— L’arianisme en Occident.
— Euphratas de Cologne condamné ; sa réhabilitation.
— Violences du parti arien en Orient.
— Les évêques occidentaux réunis à Milan.
— Ils condamnent Photinos, disciple de Marcellus.
— Vincent de Capoue et Euphralas de Cologne délégués vers Constantius.
— Intrigue infâme desariens à Antioche contre les délégués des Occidentaux.
— Constantius se décide à rappeler Athanase.
— Ses instances auprès du saint évêque d’Alexandrie.
— Athanase pan d’Aquilée et se rend à Rome.
— Lettre que l’évêque Julius lui remet pour l’Eglise d’Alexandrie.
— Rétractation d’Ursace et de Valens à Milan, puis à Rome.
— Voyage d’Athanase à travers l’Orient.
— Son séjour à Antioche.
— Il va à Jérusalem. – Synode des évêques de Palæstine et sa lettre à l’Eglise d’Alexandrie.
— Il voit Apollinaire à Laodicée.
— Il arrive à Alexandrie.
— Etat de l’Eglise d’Egypte.
— Développements de la vie monastique.
— Etat de l’Eglise africaine.
— Gratus de Carthage et son concile.
— Révolution dans l’empire à la mort de Constans.
— Divers tyrans.
— Constantius à la tête de l’empire.
— L’arianisme en Occident.
— Conciles d’Arles et de Beziers.
— Lucifer de Cagliari à Rome.
— Liberius, évêquede Rome, se déclare en faveur d’Athanase, après l’avoir condamné.
— Sa députation et sa lettre à Constantius.
— Concile de Milan.
— Evêques orthodoxes exilés.
— Lettres de Liberius aux exilés, à Cæcilianus et à Osius.
— Liberius devant Constantius.
— Son exil.
— Intrigues des ariens pour vaincre Osius.
— Lettre d’Osius à Constantius.
— Il est mandé à Sirmium.
— Formules de foi dites de Sirmium.
— Chute et repentir d’Osius.
— Constantius à Rome.
— II promet le retour de Liberius sous certaines conditions.
— Liberius les accepte ; ses lettres aux Orientaux, à Ursace et Valens, à Vincent de Capoue.
— Il souscrit à la deuxième formule de Sirmium.
— Cette formule est envoyée aux évêques des Gaules.
— Phæbadius d’Agen la réfute.
— Les évêques gaulois la condamnent et en écrivent à Hilaire qui leur répond par son livre des Synodes.
— ConcilesdeRiminietde Seleucie.
— Chute de la plupart des évêques d’Orient et d’Occident.
— Protestations des orthodoxes.
— Ouvrages de saint Athanase, de saint Hilaire de Poitiers et de Lucifer de Cagliari contre Constantius.
— Concile de Paris où l’arianisme est condamné.
— Mort de Constantius.
— Julien l’Apostat, empereur.
(347-361)
Le concile de Sardique exerça une grande influence en Occident, et l’arianisme y compta peu d’adeptes. Avant ce concile, l’évêque de Cologne, Euphratas, avait émis des opinions favorables à l’hérésie.
Comme il disait que le Fils n’était pas de même essence que le Père et n’était pas Dieu comme lui, Servatius de Tongres chercha à le ramener à des sentiments plus orthodoxes, et eut même avec lui plusieurs conférences en présence de saint Athanase1. Sur ces entrefaites, l’évêque d’Alexandrie quitta Trêves, et Euphratas devint alors tellement hérétique, que les fidèles de son Église le dénoncèrent à Maximinus, le grand ennemi de l’arianisme dans les Gaules.
Sur l’invitation de Maximinus, quatorze évêques des différentes provinces gauloises se réunirent à Cologne : c’étaient Maximinus de Trèves, Valentinus d’Arles, Donatianus de Cabillon (Châlon-sur-Saône), Severinus de Sens, Optatianus de Troyes, Jessé de Spire, Victor de Worms, Valerianus d’Auxerre, Simplicius d’Autun, Amandus de Strasbourg, Justinianus de Bâle, Eulogius d’Amiens, Servatius de Tongres, Dyscolius de Reims.
« Après qu’on eut lu la lettre du peuple de Cologne et de toutes les villes de la seconde Germanie, dénonçant Euphratas pour avoir nié que le Christ fût Dieu, Maximinus, évêque, dit : « Puisque Euphratas a blasphémé contre le Saint-Esprit en niant que le Christ fût Dieu, je suis d’avis qu’il soit déposé de l’épiscopat. » L’évêque Valentinus dit : « Non-seulement il ne doit plus être évêque, mais il doit même être privé de la communion laïque. » Les autres évêques parlèrent dans le même sens, et Servatius ajouta : « Je sais par moi-même, et non par ouï dire, ce qu’a fait et enseigné le faux évêque Euphratas. Souvent, en présence d’Athanase, évêque d’Alexandrie, d’un grand nombre de prêtres et de diacres, je lui ai résisté lorsqu’il avançait que le Christ n’était pas Dieu. Je pense donc qu’il ne peut plus être évêque des chrétiens. »
Dix évêques, qui n’avaient pu venir au concile, envoyèrent leur adhésion à la déposition d’Euphratas ; c’étaient Martinus de Mayence, Victor de Metz, Desiderius de Langres, Pancharius de Besançon, Sanctinus de Verdun, Victorinus de Paris, Superior de Tournai, Mercu-
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1 Concil. Agrippin. ap. Sirmond., Concil. antiq. Gall, t. I.
rius de Soissons, Dioptetus d’Orléans, Eusèbe de Rouen.
Euphratas ouvrit les yeux à la lumière en entendant les évêques des Gaules se prononcer aussi unanimement contre ses erreurs. Son humilité et ses vertus le préservèrent de la condamnation prononcée contre lui ; et il resta évêque de Cologne. Parmi les occidentaux disposés en faveur de l’arianisme, on nomme Saturninus d’Arles, Paternus de Périgueux et Auxentius de Milan. Ursace et Valens appartenaient bien à la partie occidentale de l’empire, mais leurs relations étaient en Orient, où l’arianisme avait des partisans assez nombreux.
Cependant, il ne faudrait pas considérer comme ariens, tous ceux qui se prononcèrent contre le concile de Sardique, et qui se montrèrent même disposés à sacrifier le mot consubstantiel. En effet, il s’en rencontrait qui n’étaient choqués que du mot et du mauvais sens qu’on pouvait lui attribuer, et ils maintenaient la doctrine de Nicée ; d’autres, en présence des vives discussions auxquelles ce mot servait de prétexte, se montraient disposés à le sacrifier par esprit de conciliation, sans porter atteinte à l’orthodoxie1. Ceux qui voulaient le supprimer avec des intentions hérétiques n’étaient pas les plus nombreux, et ils avaient soin de dissimuler leurs véritables opinions. Lorsque plusieurs d’entre eux furent déposés et excommuniés à Sardique, un grand nombre d’orthodoxes se déclarèrent en leur faveur, et l’Orient presque tout entier interrompit ses relations de communion avec l’Occident.
Cependant, d’autres les regardaient comme légitimement condamnés. Lorsqu’ils passèrent à Andrinople pour retourner dans leurs diocèses, les fidèles de cette ville refusèrent de communiquer avec eux. Ils s’en plaignirent à Constantius qui fit couper la tête à dix des fidèles de cette Eglise2. L’évêque Lucius mourut pour la même cause peu de temps après. On l’honora ainsi que les dix fidèles, comme des martyrs de l’orthodoxie.
Plusieurs autres évêques ou clercs furent condamnés
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1 Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 22 ; Sozomen., Hist. Eccl., lib. III, c. 15.
2 S. Alhan., Hist. Arian. ad Monach., §§ 18, 19, 20.
à mort ou exilés, à l’instigation des ariens, qui abusèrent de leur influence sur Constantius pour commettre de nombreuses violences. Arius et Asterius, qui s’étaient séparés d’eux pour se joindre aux membres du concile de Sardique, furent exilés dans la Lybie supérieure, et on les accabla d’outrages. Il fut interdit à ceux qui avaient été réhabilités par le concile de Sardique de retourner à leurs Eglises ; il fut enjoint aux juges de ces localités, et en particulier à ceux d’Alexandrie, de faire trancher la tête à Athanase et à tous ceux dont on leur donnait la liste, s’ils tentaient de mettre le pied sur le territoire qui leur était interdit.
Non contents de ces décrets, les ariens se servaient des voitures de l’Etat, mises à leur disposition, pour parcourir les Eglises, et y rechercher ceux qui ne partageaient pas leurs doctrines hérétiques. Ils les faisaient impitoyablement flageller, emprisonner ou exiler, ou mettre à mort. L’effroi qu’ils inspiraient était si grand, que plusieurs aimaient mieux se réfugier dans les déserts que de s’exposer à leurs violences en refusant de communiquer avec eux.
En quittant Sardique, un grand nombre d’évêques occidentaux s’étaient rendus à Milan, où résidait alors l’empereur Constans1. Ils avaient un double but, condamner Photinos, disciple de Marcellus, et chercher les moyens de mettre à exécution les décrets de Sardique.
Photinos était évêque de Sirmium, ville qui appartenait à l’empire occidental. Il enseignait incontestablement la mauvaise doctrine que l’on avait imputée à son maître Marcellus d’Ancyre. Les orientaux l’avaient condamné à Antioche. Les occidentaux devaient le condamner également sous peine d’être suspects des hérésies qu’on lui reprochait. Les orientaux les eussent regardés comme d’autant plus suspects qu’ils avaient innocenté Marcellus. Afin de prouver que leur sentence n’était point favorable à l’hérésie, ils résolurent de condamner Photinos.
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1 S. Hilar. Pictav., Fragment. II ; S. Athan., Hist. Arian. ad Monach., § 20 ; Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 22 ; Theodor., Hist. Eccl., lib. II, c. c. 6, 7.
Il faut tenir compte de l’hérésie de Photinos pour expliquer l’opposition que plusieurs orthodoxes orientaux faisaient au mot consubstantiel. L’évêque de Sirmium en abusait certainement pour enseigner le sabellianisme. Si l’essence du Père et du Fils est la même, disait-il, les mots de Père et de Fils ne sont que des mots désignant le même être, qui est le Dieu unique, et l’on a tort de distinguer cet être unique en trois personnalités. Marcellus d’Ancyre, maître de Photinos, était moins franc que son disciple dans l’exposition de cette doctrine ; il resta cependant toujours suspect ; sa cause n’offre pas le même intérêt orthodoxe que celle d’Athanase ; ses réticences, mises à jour par Eusèbe de Cæsarée avec une science et une logique incontestables, expliquent la défiance que montraient pour le mot consubstantiel des orientaux qui, au fond, étaient fort orthodoxes.
La condamnation de Photinos ne fut acceptée ni par cet évêque, ni par Marcellus, son maître, qui dévoila, en cette circonstance, des sentiments favorables à l’hérésie de Sabellius. Il prouva alors qu’il n’avait pas été absolument de bonne foi aux conciles de Rome et de Sardique, et Athanase ne conserva pas avec lui des relations de communion qui auraient pu être suspectes, et faire douter de son orthodoxie1.
Marcellus et Photinos, avec quelques-uns de leurs amis, tinrent à Sirmium un conciliabule (349) en opposition avec le concile de Milan2 ; et il se maintint sur son siège encore quelques années.
Le concile de Milan crut devoir implorer l’intervention de l’empereur Constans pour que ses décisions fuscent mises à exécution et qu’Athanase fût rétabli sur le siège d’Alexandrie. Constans en écrivit à son frère Constantius. Sa lettre fut portée par deux délégués du concile, Vincent de Capoue et Euphratas de Cologne. Ces deux envoyés se rendirent à Antioche, où résidait Constantius.
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1 S. Hilar. Pictav., Fragment. Il, §§ 19 ; 21 ad 23 ; S. Epiph., Boires. 72, § 4.
2 Il ne faut pas confondre ce petit conciliabule avec les assemblées de Sirmium dont il sera fait bientôt mention.
Leur arrivée à Antioche jeta l’alarme parmi les ariens, et effraya surtout Étienne, évêque hérétique de la cité. Cet homme corrompu, pour déshonorer les deux évêques orthodoxes, ourdit contre eux la trame la plus infâme. Il initia à son projet un jeune débauché nommé Onagre, qui acheta une courtisane et la fit cacher dans l’hôtellerie où étaient logés les évêques. Il fut convenu que cette courtisane mettrait tout en œuvre pour les séduire, et que Onagre se cacherait avec quelques-uns de ses compagnons de débauche, pour être témoin de ce qui se passerait.
Dans la nuit, au signe convenu, la courtisane entre dans la chambre d’Euphratas. Le saint évêque, qui reconnaît la voix d’une femme, se croit le jouet d’une illusion du démon et se recommande aussitôt à haute voix à Jésus-Christ.
La courtisane, surprise d’un langage auquel elle était peu accoutumée, et apercevant un vénérable vieillard au lieu d’un jeune homme dont Onagre lui avait parlé, jette un grand cri et se plaint d’avoir été jouée. A ce cri, Vincent de Capoue et les domestiques s’éveillent en sursaut. Onagre et ses compagnons cherchent à s’enfuir, mais on se hâte de fermer les portes et sept restent enfermés ; dans ce nombre était Onagre lui-même.
Cette scandaleuse histoire se répandit dans toute la cité et retomba sur les ariens, après les aveux d’Onagre et de la courtisane1.
Constans avait déclaré dans sa lettre que, si son frère n’obtempérait pas à ses justes demandes, il lui déclarerait la guerre.
Constantius avait réuni ses évêques ariens qui lui conseillèrent de rappeler Athanase plutôt que d’exposer l’empire à une guerre civile. En conséquence de cette décision, Constantius écrivit à Constans une lettre pour l’apaiser, et à Athanase une autre lettre pour l’engager à rentrer dans son Eglise. Cette dernière était ainsi conçue2 :
—
1 Theodor., Hist. Eccl., lib. II, c. 7 ; S. Athan., Hist. Arian. ad Monach., § 20.
2 S. Athan., Apolog. cont. Arian., § 51 ; Hist. Arian. ad Monach., §§21,22.
« Constantius, Victorieux, Auguste, à Athanase.
« Notre clémence et notre bonté ne permettent pas que tu sois plus longtemps exposé aux flots cruels de la mer et aux tempêtes. Notre piété t’a toujours suivi dans ton exil, ta pauvreté, tes voyages à travers des pays sauvages. Si j’ai longtemps différé de te faire connaître par lettre nos intentions, c’est que j’espérais que tu ferais une première démarche et que tu demanderais le remède à tes fatigues. Comme la crainte t’a empêché de mettre à exécution un dessein que tu avais certainement conçu, j’adresse à ton courage cette lettre où nous te témoignons toute notre munificence, afin que tu saches que tu peux à l’avenir te présenter sans crainte en notre présence, afin d’éprouver les effets de notre bienveillance, et de pouvoir rentrer dans ta patrie, comme tu le désires. A cet effet, j’ai écrit à mon seigneur et frère, Constans, Victorieux, Auguste, de te permettre de venir vers moi, et de recevoir de notre mutuelle bonté la permission de rentrer dans ta patrie. »
Athanase ne crut pas devoir tenir compte de cette première lettre ; il resta à Aquilée, où il s’était retiré après le concile de Sardique ; puis il se rendit à Trèves.
Ursace et Valens, plus ambitieux que chrétiens, virent bientôt que les circonstances devenaient moins favorables à la cause qu’ils avaient soutenue jusqu’alors. Ils jugèrent qu’il leur fallait se réconcilier avec les évêques occidentaux et avec Athanase, afin de pouvoir rentrer dans leurs Eglises. Par leurs sièges de Singidunum et de Mursia, ils appartenaient à la partie occidentale de l’empire, et Constans ne leur eût pas permis de rentrer dans ces villes, s’ils n’avaient pas été préalablement réhabilités.
Ils se rendirent d’abord à Milan1, où ils furent réhabilités par le concile. Désirant être en communion avec l’Eglise de Rome, centre apostolique de l’Occident, ils se
—
1 S. Hilar. Pictav., Fragment. II, § 20 ; S. Athan., Apolog. cont. Arian., §§ 2, 6, 58, 60, 88; Hist. Arian. ad Monach., § 26.
Ce fut Paulitius de Trèves, successeur de Maximinus, qui remit à Athanase la copie de la déclaration d’Ursace et de Valens. (Apolog. cont. Arian., § 58.)
dirigèrent vers cette ville et remirent à Julius, en présence des prêtres de son Eglise, la déclaration suivante : « Au très-bienheureux pape Julius, Ursace et Valens. « Puisqu’il est constant que, dans nos lettres, nous avons insinué des accusations graves contre l’évêque Athanase, et que, convoqués par les lettres de Ta Sainteté, nous ne sommes pas venus en rendre raison ; nous avouons à Ta Sainteté, en présence des prêtres nos frères, que toutes les accusations qui étaient venues à nos oreilles étaient fausses et manquaient de preuves. C’est pourquoi nous nous empressons de déclarer que nous sommes en communion avec Athanase, d’autant plus que Ta Sainteté, avec sa bienveillance habituelle, a daigné nous pardonner notre erreur. Nous déclarons également que, si les orientaux ou Athanase veulent nous appeler en cause, nous ne ferons rien contre tes décisions ; que nous regardons comme hérétiques Arius et ses partisans qui disent : « qu’il fut un temps où le Fils n’était pas ; que le Fils a été tiré du néant ; qu’il n’a pas été avant les siècles ; » nous anathématisons ces hérésies, comme nous l’avons fait par la déclaration que nous avons présentée au concile de Milan.
Nous professons de vive voix ce que nous avons écrit de notre main, dans cette déclaration ; et nous déclarons que l’hérésie d’Arius et ses auteurs sont dignes de damnation.
« Moi Ursace, j’ai signé la présente déclaration ;
« Moi Valens, je l’ai signée également. »
Leur soumission n’était qu’hypocrite. Ce fut également avec hypocrisie qu’ils écrivirent cette lettre de communion à saint Athanase, à Trèves :
« Au seigneur et frère Athanase, Ursace et Valens. « Nous profitons de l’occasion que nous offre notre frère et collègue dans le sacerdoce, Moïse, pour t’envoyer, très-cher frère, de la ville d’Aquilée où nous sommes maintenant, nos très-cordiales salutations, et nos vœux pour que tu sois en bonne santé. Tu nous consoleras beaucoup, si tu veux bien nous répondre. Sache, par cette lettre, que nous sommes avec toi en communion
ecclésiastique. Cher frère, que la divine miséricorde te conserve ! »
Le saint évêque d’Alexandrie ne se hâtait pas de rentrer dans son Eglise. Constantius lui écrivit une deuxième fois pour l’engager à se rendre promptement auprès de lui1. Quelque temps après, étant à Edesse, il vit plusieurs prêtres d’Alexandrie, et en leur présence chargea le diacre Achitas de porter à Athanase une troisième lettre plus pressante encore que les deux autres. Le pseudo-évêque d’Alexandrie, Grégoire, venait de mourir (349) et Constantius avait défendu de lui donner un successeur. Il envoya à Athanase les personnages les plus capables de lui inspirer confiance, pour l’engager à retourner à son Eglise.
Athanase se décida enfin à partir. De Trèves il se dirigea vers Rome où Julius et son Eglise le reçurent avec joie comme le grand défenseur de l’orthodoxie. Julius lui remit, lorsqu’il partit pour l’Orient, cette lettre pour son Eglise :
« Aux prêtres, aux diacres et au peuple d’Alexandrie2.
« Frères bien-aimés, je vous félicite de ce que vous allez voir de vos yeux le fruit de votre foi, dans la personne de notre frère et coévêque Athanase que Dieu vous rend à cause de la pureté de votre vie et de vos prières ; car on doit remarquer que vous n’avez cessé d’offrir à Dieu des prières pures et pleines de charité. Vous souvenant des célestes promesses et de la manière de les voir réalisées, selon l’enseignement que vous avait donné notre frère, vous avez connu, et votre foi droite vous a fait comprendre qu’il ne vous était pas enlevé pour toujours, celui qui était toujours présent à vos cœurs. Je n’ai donc pas besoin de vous écrire une longue lettre ; car votre foi vous a appris d’avance tout ce que je pourrais vous dire, et Dieu, par sa grâce, a comblé nos vœux à tous.
—
1 S. Athan., Apolog. cont. Arian., § 51 ; Hist. Arian. ad Monach., §§ 21, 22 ; Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 23.
2 S. Athan., Apot. cont. Arian., §§ 52,53 ; Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 23.
« Je n’ai qu’à vous féliciter de nouveau, de ce que vous avez conservé vos âmes dans la foi. Je félicite aussi mon frère Athanase de ce que, au milieu de toutes les tribulations qu’il a supportées, il n’a oublié un seul instant ni votre charité, ni vos désirs. Quoiqu’il ait semblé séparé de vous corporellement, il vivait au milieu de vous par l’esprit.
« Il vous revient beaucoup plus illustre que quand il vous a quitté. Si le feu purifie les métaux précieux comme l’or et l’argent, que ne peut-on pas dire de la vertu d’un si grand homme, qui revient à vous, après tant d’épreuves, déclaré pur et innocent, non-seulement par notre jugement, mais par celui de tout un concile ! Recevez donc, frères bien-aimés, avec toute gloire et joie selon le Seigneur, votre évêque Athanase, et ceux qui ont partagé ses tribulations. En possession de ce que vous désiriez, réjouissez-vous de posséder un pasteur qui ne se nourrissait que de la pensée de votre piété. Dans les pays lointains qu’il habitait, vous étiez sa consolation ; la pensée de votre fidélité le ranimait au milieu des persécutions. Pour moi, je suis heureux en pensant à l’accueil que vous allez lui faire, à l’allégresse avec laquelle vous le recevrez. Quel beau jour que celui où notre frère sera au milieu de vous ; où tous les maux passés seront oubliés, où tous les cœurs seront satisfaits !
« Nous partageons votre joie, nous que Dieu a favorisés de la grâce de connaître un si grand homme. Je finis ma lettre par cette prière : que Dieu Tout-Puissant et son Fils, Notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, vous accorde toujours sa grâce ; qu’il récompense votre admirable foi, dont vous avez donné de si éclatants témoignages à votre évêque ! qu’à vous et à vos enfants, en ce monde et en l’autre, il vous accorde ces choses excellentes que l’œil n’a pas vues, que l’oreille n’a point entendues, que le cœur de l’homme n’a pas comprises, et que Dieu a préparées à ceux qui l’aiment, par Jésus-Christ Notre Seigneur, par lequel gloire soit au Dieu Tout-Puissant dans les siècles des siècles. Amen.
« Je désire, frères bien-aimés, que vous jouissiez d’une bonne santé, dans le Seigneur. »
Athanase se rendit à Antioche où il vit Constantius. Cet empereur, après l’avoir vu et s’être convaincu de la sainteté du grand évêque, écrivit à tous les évêques et prêtres de l’Eglise catholique1 qu’Athanase était complètement réhabilité, et que tous ses adhérents ne devaient pas être à l’avenir plus inquiétés que lui-même. Il écrivit une lettre particulière au peuple de l’Eglise catholique habitant Alexandrie. Enfin, il écrivit aux préfets d’Egypte, de Thébaïde et de Lybie, que toutes les pièces rédigées contre Athanase devraient être biffées des registres publics et considérées comme non avenues. Il prodigua à l’évêque d’Alexandrie les plus formelles assurances de sa protection.
Athanase2 se dirigea, d’Antioche, vers Jérusalem. Les évêques de la Palæstine, à part deux ou trois, le reçurent avec joie et se réunirent en concile pour lui donner un témoignage collectif de leurs sentiments. Ils lui remirent en conséquence une lettre pour les prêtres, les diacres et le peuple d’Alexandrie. Elle était signée de Maximus, évêque de Jérusalem et des évêques Aëtius, Arius, Theodose, Germanus, Silvanus, Paulus, Patricius, Elpidius, Germanus, Eusebius, Zenobius, Paulus, Macrinus, Petrus, Claudius.
Tous, excepté Macrinus, avaient assisté au concile de Sardique et connaissaient à fond les calomnies élevées contre Athanase et sa justification.
Pendant son voyage à travers l’Orient3, ceux des évêques qui étaient ses amis le recevaient avec joie ; d’autres, à sa vue, étaient honteux du rôle qu’ils avaient joué ; quelques-uns n’osaient se présenter devant lui et se cachaient à son arrivée dans leur ville épiscopale ; d’autres enfin lui demandaient pardon de ce qu’ils
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1 Voy. ses lettres dans s. Allumas., Apolog. cont. Arian., §§ 54 et seq. ; Hist. Arian. ad Monach., §§ 25 et seq. ; Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 23.
2 S. Athan,, Apolog. cont. Arian., § 57 ; Hist. Arian. ad Monach.,
Theod., Hist. Eccl., lib. II, c. 12 ; Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 23 ; Sozom., Hist. Eccl., lib. III, c. 20.
3 S. Athan., Hist. Arian. ad Monach., § 25.
avaient fait et rétractaient ce qu’ils avaient écrit contre lui.
Pendant son séjour à Antioche, quelques ariens déguisés avaient engagé Constantius à lui parler en ces termes1 : « Tu as récupéré ton siège par décret du concile2 et par mon consentement. Mais puisque, dans le peuple d’Alexandrie, il en est qui ne veulent pas être en communion avec toi, permets qu’ils aient une église dans la ville. »
Sans doute les schismatiques pouvaient se réunir dans une église sans le consentement d’Athanase, mais l’empereur voulait que cette réunion fût en quelque sorte légitimée, au point de vue catholique, par l’assentiment de l’évêque. L’évêque, en effet, était la tête de l’Eglise, et ceux qui n’étaient pas en communion avec lui formaient un schisme. Demander à Athanase d’autoriser une réunion schismatique, c’était lui demander de regarder des schismatiques comme catholiques.
Il n’était pas homme à faire de pareilles concessions ; mais, au lieu d’entrer en discussion avec Constantius, il lui répondit d’une manière fort habile et qui devait l’empêcher d’insister : « Empereur, lui dit-il, tu as le pouvoir d’ordonner et de faire tout ce que tu veux. Je te prie donc, à mon tour, de m’accorder ce que je te demanderai. » Constantius crut qu’il allait obtenir lui-même ce qu’il sollicitait, et il répondit avec empressement à Athanase qu’il lui accorderait ce qu’il demanderait. Athanase aussitôt le pria de lui accorder la même chose qu’il sollicitait de lui, c’est-à-dire que, dans toutes les villes, on accordât une église à ceux qui repoussaient l’hérésie d’Arius.
Constantius en référa à ses confidents ariens qui virent à cette demande beaucoup d’inconvénients ; ils conseillèrent à l’empereur de remettre la chose à un
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1 Socrat.,Hist. Eccl., lib. II, c. 23.
2 On doit remarquer que l’empereur ne mentionne même pas le premier jugement rendu, on concile particulier, par Julius, évêque de Rome ; et qu’il ne tient compte que du jugement du concile, c’est-à-dire du concile de Sardique, représentant l’Eglise et formant, dans l’Eglise, l’autorité suprême.
autre temps, en lui laissant, bien entendu, la liberté de faire ce qu’il voudrait.
Athanase1 avait demandé spécialement à Constantius une église à Antioche pour ceux qui refusaient de reconnaître les évêques qui s’étaient succédés depuis la déposition de saint Eustathe, injustement condamné comme sabellien. On les nommait à Antioche eustathiens, comme s’ils avaient formé une secte, quoique réellement ils fussent seuls restés fidèles à l’Eglise. Constantius avait trouvé fort juste la demande d’Athanase, mais les ariens qui le dominaient l’empêchèrent de donner aux catholiques l’autorisation, que l’évêque d’Alexandrie sollicitait pour eux.
L’empereur ne lui ayant pas accordé ce qu’il demandait, il ne fut pas obligé lui-même de reconnaître l’Eglise où pourraient se réunir les schismatiques de son Église d’Alexandrie.
Le saint évêque étant arrivé dans sa ville épiscopale, les fidèles, dit Théodoret2, firent des fêtes splendides et donnèrent des repas publics pour célébrer son retour, et en rendre grâces à Dieu.
Pendant l’absence d’Athanase, les fidèles avaient pour ainsi dire redoublé d’ardeur dans les pratiques de la piété et la fidélité à la foi3. Toutes les classes de la société rivalisaient entre elles dans l’amour de la vertu. Aussi avec quelle joie ils recevaient les lettres que l’évêque d’Alexandrie adressait du fond de son exil aux évêques d’Egypte et de Lybie à l’occasion des fêtes, comme s’il eût été sur son siège4 ; et avec quel bonheur ils le virent arriver avec ses compagnons d’exil ! Il leur semblait qu’ils avaient échappé à la dent des bêtes féroces, en les voyant à l’abri des persécutions des hérétiques.
La vie monastique avait pris, pendant l’absence
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1 Theodor., Hist. Eccl., lib. II, c. 9.
2 Theodor·., ibid.
3 S. Alhan., Hist. Arian. ad Monach., § 25.
4 Nous voyons là une allusion aux lettres paschales du saint évêque d’Alexandrie. Ces lettres, que n’avaient pas connues les anciens éditeurs de ses œuvres, ont été publiées en syriaque par Curton et traduites en allemand par Larsow : die Feslbriefe des hl. Athanasius, v. it. Mai, Nova Bibliolh. patrum.
d’Athanase, une grande extension ; si l’Eglise d’Alexandrie avait eu la douleur de voir des schismatiques sortir de son sein, elle avait eu le bonheur de voir un grand nombre de ses enfants pratiquer les vertus chrétiennes avec une perfection vraiment surhumaine.
Les solitudes d’Egypte, de Lybie et de la Thébaïde s’étaient peuplées d’une multitude de chrétiens, désireux de suivre les exemples des Paul et des Antoine.
Ce dernier vivait encore au moment où saint Athanase était réintégré sur son siège. Pendant l’exil du saint évêque, il avait contribué puissamment à soutenir la fidélité des orthodoxes. Au moment de son premier rappel, après la mort de Constantin, il l’avait vu à Alexandrie, et c’est alors qu’il en avait reçu le manteau dans lequel il avait enseveli le vénérable Paul (341). Depuis, il avait visité plusieurs fois les fidèles d’Alexandrie et les divers groupes monastiques des déserts, pour les affermir dans l’orthodoxiel. Il mourut lorsque Athanase fut obligé de chercher au désert un refuge contre les nouvelles calomnies dont nous aurons occasion de parler dans la suite (356).
Antoine exerça une influence considérable en Egypte et les provinces limitrophes ; c’est à lui principalement qu’il faut attribuer le développement que prit l’institution monastique pendant la première moitié du IVme siècle
Parmi ceux qui le secondèrent et lui survécurent, les deux principaux en Egypte furent les deux Macarius2. L’un était à la tête des moines du désert de Scitis, et de ceux qui menaient la vie monastique dans la ville même d’Alexandrie. Comme il était natif de la ville et qu’il y séjournait souvent, on lui avait donné le surnom de Politicos qui répond au titre de bourgeois ou citadin. L’autre Macarius, surnommé l’Egyptien parce qu’il était né à la campagne, gouvernait les moines de la montagne qui s’élevait au milieu des déserts de Scitis.
Ce dernier fut particulièrement célèbre par ses
—
1 S. Athan., Vit. s. Anton, pass.
2 Sozomen., Hist. Eccl., lib. III, c. 14 ; Vit. Pat. ap Rosweld.
miracles. Un jour, il ressuscita un mort pour prouver à un hérétique le dogme de la résurrection. Lorsqu’il était encore jeune, sa vie était tellement grave que les moines avaient l’habitude de l’appeler le vieillard. A l’âge de quarante ans, il fut élevé au sacerdoce. Il vécut quatre-vingt- dix ans, et passa soixante ans de sa vie dans le désert.
L’autre Macarius fut élevé au sacerdoce à un âge plus avancé. Il mettait en pratique la philosophie chrétienne avec beaucoup d’ardeur, et il profitait des exemples et des instructions des autres pour perfectionner ses propres pensées et ses actions. Il en était arrivé à dominer son corps à tel point que sa peau s’était comme durcie, et que sa barbe ne pouvait plus pousser.
A la môme époque, on distinguait parmi les philosophes chrétiens Pambo, Hiraclidis, Kronios, Paphnutios, Pontoubastis, Arsisios, Serapion et Pityrion. Ce dernier habitait dans les environs de la ville de Thèbes. Parmi les chefs des monastères, on distinguait surtout Pacôme qui, le premier, composa une règle monastique1.
Les disciples de Pacôme avaient un vêtement particulier qui consistait principalement en un manteau fait d’une peau de bête couverte de son poil. Les autres moines égyptiens avaient adopté un vêtement qui les distinguait des philosophes païens et dont chaque partie avait quelque chose de symbolique. Leur tunique n’avait pas de manches pour signifier que leur main, franchement découverte, n’était pas un instrument de violence. Ils avaient sur la tête un capuchon appelé Gueule, pour rappeler qu’ils avaient l’innocence des enfants dont on couvrait la tête de la même manière, lorsqu’ils étaient encore à la mamelle. Leur ceinture et leur courroie2 signifiaient qu’ils étaient toujours prêts à travailler pour Dieu.
Les moines se rendaient à l’église pour communier le dernier et le premier jour de la semaine, c’est-à-dire
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1 Voy. notre Histoire de l’Eglise, t. II, pages 358 et suiv.
2 La ceinture serrait le manteau autour du corps ; la courroie, placée sur le derrière du cou, se croisait sur la poitrine et servait à relever le vêtement par derrière pour travailler.
le samedi et le dimanche. Ils priaient douze fois par joui, six fois de six heures à midi et six fois de midi à six heures du soir. Ils priaient autant de fois pendant la nuit. A la neuvième heure, ils faisaient trois prières, sans doute en souvenir de l’heure sacrée à laquelle le Christ avait racheté le monde par sa mort.
Tous les moines n’étaient pas astreints à une règle aussi sévère, cependant leur vie à tous était d’une grande austérité.
Pacôme avait autour de lui mille trois cents moines qui suivaient sa règle, sans compter ceux qui étaient dispersés dans l’Egypte et la Thébaïde. La principale communauté se trouvait dans l’île de Tabennis ; on donnait le nom de Tabennisiotes à ceux qui en faisaient partie, et ils étaient célèbres sous ce nom dans toute l’Eglise.
Apollonius était illustre à la même époque. Le monastère qu’il gouvernait était en Thébaïde. Il était renommé par sa sagesse et ses miracles ; il obtenait de Dieu tout ce qu’il demandait.
Parmi les moines égyptiens se distinguait encore Asouph qui avait confessé Jésus-Christ pendant la persécution. Il passait pour n’avoir pas dit, pendant toute sa vie, un seul mot contre la vérité, et il possédait, au suprême degré, toutes les vertus.
Nous avons déjà parlé du fameux Hilarion qui était l’Antoine de la Palæstine
Les discussions ariennes le firent sortir de sa solitude. Il visita2 en Egypte les évêques Dracontius et Philon, exilés par l’empereur Constantius en Thébaïde, où ils vivaient de la vie monastique. Il parcourut ensuite les îles de la Méditerranée pour combattre l’hérésie arienne et échapper à la vénération dont il était l’objet. Il mourut en Chypre où il fut enseveli. Son disciple Hesychius enleva ses reliques en secret, les transporta en Palæstine et les déposa dans son ancien monastère.
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1 Voy. notre Histoire de l’Eglise, t. II, p. 337.
2 Hieron., Vit. s. Hilarion.
Elles y furent l’objet d’un grand respect et le jour de leur translation devint un jour de fête. Les fidèles de Palæstine, dit Sozomène, sont dans l’usage d’honorer les saints personnages qui vécurent parmi eux. C’est ainsi qu’ils en agirent envers Aurelius l’Anthidonien, Alexion de Bithagaton et Alephion d’Asaléa1.
Pendant les trois premiers siècles, on rendait un culte public aux martyrs et l’on célébrait le jour de leur mort. Après l’ère des persécutions et des martyrs, les Eglises honorèrent ceux qui se distinguèrent, dans leur sein, par des vertus exceptionnelles. D’après la remarque de Sozomène, ce serait en Palæstine que cet usage aurait commencé.
Vers le milieu du IVme siècle, la vie monastique dépassa les limites de l’Egypte et de la Palæstine, où elle avait été jusqu’alors circonscrite.
Alors Julianus la mit en pratique à EdesSe. La vie de ce saint homme était tellement sévère qu’on pourrait la considérer comme plus digne d’un esprit que d’un homme. Son corps n’était qu’un squelette couvert de peau. Le grand écrivain de Syrie, Ephrem, composa sa vie. La même région possédait alors d’autres moines illustres qui habitaient principalement aux environs de la ville d’Amidos et sur le mont Gaugal. Parmi eux on distinguait surtout Daniel et Siméon.
Eusthate, évêque de Sébaste en Arménie, institua la vie monastique en Arménie, en Paphlagonie et dans le Pont. Il composa une règle monastique et on lui attribua le livre qui passa pour l’œuvre du grand Basile, évêque de Cæsarée en Cappadoce.
Eusthate poussa loin le rigorisme, et ses disciples tombèrent même, à cause de cela, en certaines extravagances. Ils allèrent jusqu’à condamner le mariage, à refuser de prier dans les maisons habitées par des gens mariés, et à mépriser les prêtres mariés. Ils jeûnaient le dimanche, condamnaient les riches à l’enfer, et haïssaient ceux qui mangeaient de la viande.
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1 Sozomen., Hist. Eccl., lib. III, c. 14.
Mais Eusthate ne partageait pas ces erreurs, et il se distingua seulement par son amour des véritables vertus chrétiennes.
Dans le courant du IVme siècle, la vie monastique fut établie dans les églises occidentales, comme nous aurons occasion de le rapporter.
Ce fut surtout parmi les moines de l’Egypte et de la Thébaïde que saint Athanase trouva de l’appui contre les ariens, et un refuge lorsqu’il fut en butte à de nouvelles persécutions.
Dans la partie occidentale des côtes de l’Afrique, l’Eglise n’était pas moins florissante qu’à Alexandrie. Gratus de Carthage, qui en était le premier évêque, se montrait fort zélé pour la saine doctrine et l’observation des canons. Le schisme des donatistes s’était perpétué à Carthage, et les dissidents avaient à leur tête un certain Donatus. Après le concile de Sardique, Gratus entreprit de faire cesser le schisme et l’empereur Constans, pour le seconder, envoya en Afrique deux personnages importants, Paulus et Macarius1. En apparence, ils n’étaient chargés que de distribuer des aumônes aux Eglises ; en réalité, ils devaient travailler au rétablissement de l’unité. Les donatistes répandirent aussitôt le bruit qu’ils venaient les persécuter, et qu’ils forceraient les fidèles à adorer, comme sous le paganisme, les images des empereurs, qu’on placerait sur l’autel au moment du sacrifice.
Lorsque le sacrifice fut célébré, on ne vit point apparaître les images impériales ; et tout se passa suivant les règles de l’Eglise. Paul et Macarius n’avaient rien à distribuer aux Eglises des donatistes. S’étant adressés à Donatus pour lui faire part de leur mission conciliatrice, le faux évêque leur répondit : « Qu’y a-t-il de commun entre l’Eglise et l’empereur ? » Puis il parla de l’empereur avec mépris et ajouta qu’il avait envoyé une circulaire pour défendre de recevoir les aumônes que les envoyés impériaux voudraient distribuer. Comme ceux-ci se dirigeaient vers Bagaïe, l’évêque schismatique
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1 Optat. Milevit., De Schismat. Donatist., lib. III.
de cette ville, nommé aussi Donatus, en donna avis à des fanatiques, nommés circoncellions, lesquels, sous prétexte de religion, commettaient tous les crimes. Ces fanatiques parcouraient le pays, divisés par groupes, et s’abandonnaient à tous les excès. Les envoyés impériaux furent obligés de demander au préfet de la province une troupe armée pour les défendre et conserver en sûreté les aumônes dont ils étaient chargés.
Les donatistes s’ameutèrent contre la troupe qui répondit à leurs violences par des exécutions sanglantes ; les évêques donatistes s’enfuirent avec leur clergé ; quelques-uns d’entre eux furent tués ou exilés. Les évêques catholiques ne se mêlèrent point à ces tristes événements. Cependant leurs adversaires les en accusèrent, crièrent bien haut à la persécution, et considérèrent comme des martyrs ceux qui avaient subi la peine de leurs violences. Paulus et Macarius furent considérés par eux comme des persécuteurs et les catholiques ne furent plus, à leurs yeux, que des païens ou des macàriens.
Les donatistes furent d’autant plus irrités que la mission pacifique des envoyés impériaux fit ouvrir les yeux à un grand nombre de schismatiques qui rentrèrent dans le sein de l’Eglise.
L’émotion causée par cette mission fut de courte durée, et Gratus, peu de temps après, put réunir en concile les évêques d’Afrique, pour y promulguer les canons de Sardique et en rédiger quelques autres appropriés aux besoins de la province.
Cette réunion est le premier des conciles de Carthage dont on ait les canons. L’Eglise entière témoigna beaucoup de respect pour les travaux législatifs de l’Eglise africaine ; l’histoire doit mentionner ces vénérables monuments de la discipline primitive1.
Le premier et le deuxième canons sont relatifs aux donatistes. Ces schismatiques prétendaient que le baptême n’était valide que s’il était administré dans leur secte. Le concile décida que tout baptême, administré au
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1 Labbe, Concil., t. II.
nom de la Trinité, était valide. Dans le deuxième canon, le concile condamna les circoncellions qui se suicidaient par fanatisme et dont les donatistes faisaient des martyrs. Les troisième et quatrième canons défendent aux clercs de vivre avec des femmes étrangères ; et aux religieuses et veuves de vivre avec des hommes qui ne leur étaient pas unis par le mariage.
L’extension que prenait la vie monastique tendait à faire considérer le célibat comme un état de perfection tel, que des clercs prétendaient en suivre les règles même au milieu du monde. Le concile ne croyait pas à des dispositions si supérieures qui couvraient souvent des passions blâmables. Il ne condamnait pas le célibat, mais à condition qu’il fût réel et non pas seulement apparent. Le cinquième canon défend aux évêques de recevoir et d’ordonner un clerc qui n’aurait pas de son propre évêque des lettres l’autorisant à quitter son Eglise. Le sixième canon défend aux clercs de s’occuper d’affaires temporelles.
Dans les premiers temps, les membres du clergé, y compris les évêques, continuaient souvent après leur élection, le genre de vie qu’ils menaient auparavant. On peut croire que, depuis la conversion des empereurs, les membres du clergé trouvaient dans leur état des moyens d’existence assez abondants pour qu’il leur fût possible de ne se préoccuper que du ministère ecclésiastique.
D’après le septième canon, on ne devait pas admettre â la communion eucharistique des étrangers qui n’étaient pas munis de lettres de recommandation de leur évêque.
A une époque ou une foule d’ambitieux voulaient paraître chrétiens, sans l’être réellement, pour des motifs intéressés, on devait prendre contre les faux frères les plus grandes précautions.
Les huitième et neuvième canons défendent d’ordonner ceux qui remplissaient certaines fonctions publiques. Dans le dixième, on recommande aux clercs de ne pas se nuire mutuellement par jalousie. D’après le onzième, les clercs, orgueilleux et révoltés contre leur évêque, devaient être rigoureusement punis. Le dou-
zième fait un devoir de la fidélité dans les contrats ; le treizième défend aux clercs de prêter avec usure ; le quatorzième punit de peines sévères les transgresseurs des canons : l’excommunication pour les laïcs, la déposition pour les clercs.
Lorsque le concile prenait une décision relative aux droits de l’évêque sur les clercs de son Eglise, Gratus prit la parole : « Cette pratique conserve la paix, dit-il, et je me souviens que, dans le saint concile de Sardique, il a été défendu de solliciter les clercs d’une autre Eglise. » Antigone, évêque de Madaure, profita de l’occasion pour se plaindre de son voisin Optantius. Ces deux évêques avaient délimité les bornes de leurs Eglises respectives, et leurs conventions avaient été signées de leur main. Après le partage, Optantius avait continué de visiter la partie de son Eglise cédée à Antigone et avait cherché à se l’attacher.
Le concile ordonna que1 les conventions écrites seraient respectées.
Ce fait prouve que les divisions territoriales de l’empire n’étaient pas encore alors appliquées à l’Eglise, quoique le principe eût été posé plus de vingt ans auparavant par le concile œcuménique de Nicée.
Le concile, en décrétant que les clercs orgueilleux seraient punis, décida qu’il faudrait pour les juger plusieurs évêques : trois pour un diacre, six pour un prêtre, douze pour un évêque ; par cette disposition, les évêques africains témoignaient de leur respect pour les trois ordres de la hiérarchie sacrée.
Les Eglises occidentales pouvaient espérer des jours prospères et une protection éclairée sous l’empire de Constans. Mais ce prince tomba victime d’une conjuration (350). Magnentius fut salué empereur par les conjurés à Augustodunum (Autun) dans les Gaules. Constans chercha un refuge du côté des Pyrénées ; mais il fut atteint à Elne et mis à mort. Vétranion, qui commandait en Pannonie, se déclara empereur, en apprenant l’usurpation de Magnentius ; enfin Nepotianus, neveu de Constantin, en fit autant à Rome.
Constantius était alors à Edesse, et faisait la guerre aux Perses. A la nouvelle de la révolution survenue en Occident, il alla à Antioche, puis se dirigea vers la Pannonie. Vétranion crut aux ouvertures conciliatrices que lui fit Constantius, et se joignit à cet empereur pour marcher contre Magnentius, leur concurrent. Mais, au moment de marcher contre l’ennemi commun, ses troupes proclamèrent Constantius seul Auguste, et Vétranion fut heureux d’obtenir son pardon et des ressources pour vivre honorablement en Bythinie où il fut relégué.
Magnentius avait vaincu Nepotianus qui fut tué à la tête de ses troupes. Constantius n’avait donc plus qu’un concurrent. Avant de l’attaquer, il nomma Cæsar son cousin Gallus, et le chargea de veiller sur l’Orient. Magnentius ne l’attendit pas et marcha vers la Pannonie. Constantius s’avança avec ses troupes jusqu’à Mursia dont l’arien Valens était évêque. La bataille s’engagea ; mais Constantius, au lieu de combattre à la tête de ses troupes, s’était enfermé dans une Eglise, où il attendait le résultat de l’engagement. Valens avait pris toutes les mesures pour en être averti le premier. Dès qu’il eut appris que les troupes de Magnentius étaient en déroute, il en avertit l’empereur. Celui-ci lui ayant demandé comment il le savait, l’évêque imposteur lui répondit qu’un ange lui était apparu et lui avait donné cette nouvelle. Constantius le crut et proclama qu’il devait la victoire plutôt aux prières de l’évêque qu’à la bravoure de ses troupes. Magnentius, vaincu, se retira dans les Gaules. Vaincu une seconde fois, il se tua d’un coup d’épée, à Lyon. Constantius resta ainsi seul empereur d’Orient et d’Occident.
Bientôt cette dernière partie de l’empire fut troublée par les ariens qui virent redoubler leur influence après la victoire de Mursia et l’imposture de Valens. Ils avaient suivi Constantius dans son expédition, et on les trouve réunis (351) à Sirmium, au nombre de vingt-deux1. Le
1 Socrat., Hist. Eccl., lib. Il, cc. 29 et 30 ; Hilar. Pictav., Fragment. II et De Synod., § 38 ; Epiphan., Hœres., 71 ; Sulpit. sev. Hist. sacr., lib. Il, §§ 38 et seq.
but de ce concile était la déposition de Photinos, évêque de cette ville, déjà condamné par l’Orient et par l’Occident, Il était aimé de son’ troupeau et avait pu se maintenir ainsi sur son siège, malgré les sentences qui l’avaient frappé. Il fut convaincu d’erreur dans une conférence qui eut lieu, en présence des évêques, entre lui et Basile, le compétiteur de Marcellus pour le siège d’Ancyre. Déposé de l’épiscopat, il fut exilé par Constantius. Il employa les loisirs de son exil à la composition d’un ouvrage contre toutes les hérésies. Son but principal était de défendre la sienne et d’établir qu’il était orthodoxe. Il écrivit son livre en grec et en latin. Germinius, du parti arien, fut mis à sa place sur le siège de Sirmium.
Après la déposition de Photinos, les évêques rédigèrent une nouvelle formule de foi ; on l’a appelée la première formule de Sirmium1. Elle fut rédigée par Marc d’Aréthuse. On y admet l’existence du Fils avant les siècles ; on l’appelle Dieu de Dieu, lumière de lumière, mais on évite le mot consubstantiel. Après la profession de foi, on anathématise ceux qui diraient que le Fils est sorti d’une autre substance (ou hypostase) que celle de Dieu ; ou qu’il fut un temps où il n’existait pas.
Les ariens se servaient de ces expressions pour faire illusion à ceux qui n’étaient pas initiés à leurs mauvais desseins. Ils admettaient que le Fils venait de la substance du Père, en entendant le mot substance dans le sens de personnalité ; et ils convenaient que l’existence du Fils était antérieure au temps qu’ils ne comptaient que de la création du monde. Mais, au fond, ils pensaient que le Fils était créature ; seulement, qu’il était antérieur et supérieur à toutes les autres.
Pour fortifier l’illusion, ils disaient anathème à ceux qui enseignaient que la substance divine pouvait s’étendre ou se rétrécir, et qui regardaient le Fils comme une extension de la substance divine.
L’anathème était juste, incontestablement ; mais les
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1 S. Hilar. Piclav., De Synod., §38 ; Socrat., Hist, Eccl., lib. II, c. 30.
ariens se gardaient bien d’exposer que la substance divine était une et indivisible, et cependant triple quant aux personnalités, ce qui eût emporté l’idée de consubstantialité pour le Fils et le Saint-Esprit.
En apparence, la première formule de Sirmium était orthodoxe ; mais les erreurs ariennes y étaient ménagées.
On composa, dans la même ville, deux autres formules dont nous aurons à nous occuper dans la suite.
Dans la première formule, on traita en détail ce qui concernait le Saint-Esprit, car, à cette époque, on commençait à répandre les plus graves erreurs à ce sujet, comme nous le verrons bientôt.
L’arianisme reparaissait donc, entouré de formules captieuses, et Constantius était revenu à ses anciens sentiments. Les évêques ariens inventaient sans cesse contre Athanase de nouvelles calomnies et disaient à l’empereur1 : « Autrefois, lorsque nous faisions des instances auprès de vous, vous ne nous écoutiez pas. Nous vous disions, lorsque vous avez rappelé Athanase, que vous exiliez notre doctrine ; car, dès le principe, il en a été l’adversaire et il ne cesse de la frapper d’anathème. Il envoie de toutes parts des lettres contre nous ; et le plus grand nombre des évêques sont en communion avec lui. Parmi nos anciens partisans, il en est qui se sont unis à lui ; d’autres se disposent à le faire ; nous allons rester seuls. On nous traitera, vous et nous, d’hérétiques ; alors, nous vous le demandons, qu’est-ce qui nous distinguera des Manichéens ? A l’œuvre donc ! prenez de nouvelles mesures contre nos ennemis ; vous êtes l’empereur de notre doctrine. »
En marchant contre Magnentius, il acquit la conviction que tous les évêques étaient en communion avec Athanase. Il en fut enflammé de colère ; il oublia ses serments, ses lettres, le respect qu’il devait à la mémoire de son frère ; et à mesure qu’il avançait en Occident, il donnait des marques de son fanatisme.
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1 S. Athan., Hist. Arian. ad Monach., § 30.
C’est ce qui arriva surtout à Arles et à Milan1 où des conciles furent alors assemblés.
Le concile d’Arles fut convoqué pour examiner de nouveau la cause d’Athanase contre lequel les ariens avaient élevé de nouvelles calomnies. Liberius avait été élevé depuis peu sur le siège de Rome (353). Ignorant encore la mort de Julius, les ariens lui avaient adressé une lettre, comptant, pour le résultat, sur l’influence de Constantius, devenu empereur d’Occident. Dans cette lettre, ils l’engageaient à rompre toute communion avec Athanase. Liberius, ayant reçu la lettre destinée à son prédécesseur, envoya à Alexandrie trois prêtres romains ; Lucius, Paulus et Helianus2, chargés d’inviter Athanase à se rendre à Rome pour un nouvel examen de sa cause.
Athanase devait refuser, après le jugement du concile de Sardique qui avait confirmé celui de l’Eglise romaine et de son évêque Julius. Liberius, ayant appris par ses délégués le refus d’Athanase, écrivit aux orientaux qu’il avait rompu toute communion avec l’évêque d’Alexandrie, et qu’il était en communion avec eux et avec les autres évêques de l’Eglise catholique.
Les ariens firent grand bruit de cette lettre ; mais, comme le remarque Hilaire de Poitiers, elle ne pouvait avoir aucune importance, après le décret du concile de Sardique qui avait déclaré Athanase innocent et orthodoxe.
Les évêques égyptiens s’émurent du procédé de Liberius, et ils lui adressèrent une lettre dans laquelle ils prenaient la défense d’Athanase. Cette lettre, signée de soixante-quinze évêques, fit revenir Liberius sur sa première décision. Il convoqua les évêques suburbicaires et leur donna communication de la lettre des orientaux et de celle des égyptiens. Tous furent d’avis qu’il fallait écrire aux orientaux une nouvelle lettre dans laquelle on déclarerait qu’on ne pouvait se prononcer contre Atha-
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1 S. Athan., Hist. Arion, ad Monach., § 31.
2 Liber., Epist, ad Orientai., ap. Hilar. Pictav., Fragment. IV.
Des écrivains latins ont voulu contester l’authenticité de cette lettre de Liberius ; mais leurs raisons n’ont rien de démonstratif.
nase en présence de la lettre des soixante-quinze évêques égyptiens ; et que l’on devait envoyer à l’empereur des délégués pour demander un nouveau concile, pour terminer enfin définitivement cette question.
En conséquence, Liberius envoya à Constantius une députation à la tête de laquelle était Vincent de Capoue, dans le but de solliciter de l’empereur la convocation d’un concile à Aquilée1.
Le jugement de Julius et celui du concile de Sardique n’étaient donc pas regardés, même à Rome, comme définitifs. Liberius ne s’attribua point le pouvoir de trancher la question ; il la renvoya à l’autorité supérieure d’un concile, et il sollicita la convocation de ce concile de l’empereur lui-même2.
Le concile ne fut pas convoqué à Aquilée, mais à Arles, dans les Gaules. Liberius y fut représenté par Vincent de Capoue et par Marcellus qui était, comme Vincent, évêque en Campanie3. Ils demandèrent au concile de traiter d’abord la question doctrinale et de condamner l’erreur d’Arius4. Mais les orientaux s’y refusèrent et demandèrent que préalablement on rompît toute communion avec Athanase.
Vincent de Capoue céda sur ce point5. Les autres évêques l’imitèrent, excepté Paulinus de Trèves. On peut croire que l’exemple de Liberius n’avait pas été sans influence sur les évêques occidentaux du concile d’Arles ; mais Vincent et les autres, aussi bien que Liberius, comprirent bientôt que, sous la condamnation d’Athanase, se cachait celle de l’orthodoxie elle-même et ils se déclarèrent ouvertement en faveur du saint évêque d’Alexandrie.
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1 Liber., Epist. ad Constant., § 2 ; ap. Hilar. Pictav., Fragment. V.
2 Ead. Epist., § 1.
Ce fait et tant d’autres que nous avons cités et que nous citerons, attestent que les évêques de Rome n’avaient même pas idée, dans les premiers siècle, de l’autorité que leurs successeurs ont réclamée depuis comme ayant toujours existé et fondée sur la parole même de Dieu.
3 Liber., Epist. ad Cœcit., ap. Hilar. Pictav., Fragment. VI, §3.
4 Liber., Epist. ad Constant., §8.
5 Liber., Epist., ap S. Hilar. Pictav., Fragment. VI, § 3 ; Sulpit. Sev., Hist. sacr., lib. II, § 39 ; Hilar. Pictav., ad Constant., lib. I, § 8 ; Athanas. Apolog. ad Constant., §27.
A l’époque du concile d’Arles, cette ville avait pour évêque Saturninus, homme sans foi et sans mœurs, qui fut tout naturellement l’instrument du despotisme de Constantius. Mais il était le seul, dans l’Eglise des Gaules, qui pactisât avec l’arianisme. Après le concile d’Arles, plusieurs évêques gaulois se réunirent à Béziers en présence de Julien, alors Cæsar et qui n’avait pas encore apostasié le christianisme. Hilaire, évêque de Poitiers, parut, pour la première fois, dans ce concile ; il confondit les ariens et, en particulier, Saturninus d’Arles qui s’en plaignit à Constantius, reprochant à Hilaire et aux autres évêques des violences imaginaires. Julien aurait pu attester que Saturninus était calomniateur ; il le savait. Mais il se tut et ne voulut pas éclairer Constantius sur les intrigues ariennes dont il avait été témoin.
Liberius de Rome, plus instruit des desseins des ariens qui se donnaient faussement pour les représentants de l’Orient chrétien, comprit combien il avait gravement failli en abandonnant, au début de son épiscopat, la cause de l’évêque d’Alexandrie, malgré le jugement des conciles de Rome et de Sardique. Il n’en fut que plus affligé de la conduite de son délégué Vincent de Capoue au concile d’Arles. Il fut confirmé dans ces sentiments par l’arrivée à Rome de Lucifer, évêque de Cagliari. Cet évêque était dès lors célèbre en Occident par ses vertus, sa science et son zèle pour la foi. Il était partisan déclaré d’Athanase dont la cause était à ses yeux celle de la saine doctrine. Il était un des évêques suburbicaires qui reconnaissaient â celui de Rome une autorité supérieure, et il avait ainsi avec cet évêque des relations plus suivies. Son arrivée à Rome affermit Liberius dans son dessein de se déclarer ouvertement pour Athanase, à l’exemple de son prédécesseur. Il écrivit en ce sens à Osius1, et lui fit part de la peine que lui causait la faiblesse de Vincent de Capoue qui devait d’autant plus montrer de fermeté qu’il connaissait mieux l’affaire, et
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1 Ap. s. Hilar. Pictav., Fragment. VI, § 3.
qu’il avait eu occasion de la traiter avec Osius lui-même.
Ce Vincent était, en effet, très-probablement le même qui avait été délégué de l’évêque de Rome au concile de Nicée, et qui était devenu évêque de Capoue, après avoir été prêtre de Rome. La faiblesse de Vincent avait tellement affecté Liberius qu’il déclarait préférer mourir plutôt que d’être accusateur d’Athanase.
Nous verrons s’il fut fidèle à cet engagement.
Sous l’impression dont il avait fait Osius le confident, Liberius envoya à Constantius trois délégués : Lucifer, évêque de Cagliari ; Pancratius, prêtre de Rome, et le diacre Hilaire. Il les chargea de cette lettre pour l’empereur1 :
« Au très-glorieux Constantius, Auguste, Liberius, évêque :
« Pacifique empereur, je demande que Votre Clémence me prête des oreilles bienveillantes, afin que je puisse exposer à Votre Bonté ce que je pense. Je puis faire cette demande à un empereur chrétien, fils de Constantin de sainte mémoire2. »
Après avoir fait l’éloge de la douceur de Constantius, Liberius continue ainsi :
« Non-seulement l’affaire d’Athanase, mais d’autres encore étaient agitées, pour lesquelles j’ai dû demander à Votre Douceur la convocation d’un concile, afin que l’on pût terminer les différends au sujet de la foi, comme votre piété sincère vous en inspire le désir. Il était digne d’un vrai serviteur de Dieu, digne d’un empire que le Christ, dans sa bonté, gouverne et accroît, de nous accorder ce que nous sollicitions.
« Mais il en est un grand nombre qui ne cessent de déchirer les membres de l’Eglise et qui m’ont accusé d’avoir fait disparaître leurs lettres, afin de couvrir les
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1 Epist. Liber, ad Constant., ap. Hilar. Pictav., Fragment. V. Nous ferons remarquer que cette lettre ouvre la série des lettres que les évêques de Rome écrivirent aux empereurs comme à leurs souverains. La collection de ces lettres établit de la manière la plus évidente la fausseté de la fameuse donation que Constantin le Grand aurait faite aux évêques de Rome de la souveraineté sur la ville et sur une partie de l’empire d’Occident.
2 Certains écrivains papistes, comme M. A. de Broglie (l’Eglise et l’empire romain au IVme siècle), auraient bien dû remarquer cette expression avant d’attaquer la mémoire du premier empereur chrétien.
crimes de celui qu’ils prétendent avoir condamné. De quelles lettres veulent-ils parler ? Est-ce de celles des orientaux et des égyptiens qui traitaient, les unes et les autres, des crimes imputés à Athanase ? Mais il est évident pour tout le monde que nous avons fait connaître les lettres des orientaux, que nous les avons lues dans l’Eglise ; que nous les avons lues en concile ; que nous leur avons répondu1. Personne ne nie qu’il n’en soit ainsi. Ces lettres n’ont pu nous fixer définitivement, parce que nous avons reçu, dans le même temps, une lettre de soixante évêques égyptiens qui prenaient la défense d’Athanase. Nous l’avons lue, comme la précédente, aux évêques italiens, et nous avons pensé qu’il serait contraire à la loi divine de prendre une décision dans cette affaire, surtout lorsque le nombre des défenseurs était plus grand que celui des accusateurs. » Liberius se défend ensuite contre les attaques dont il était l’objet. Il prend Dieu à témoin qu’il n’a fait que suivre les préceptes apostoliques et qu’il ne s’est arrogé aucune autorité : « J’ai suivi, dit-il, les coutumes et les règles des anciens ; je n’ai rien ajouté à l’épiscopat de la ville de Rome ; je n’ai point souffert qu’il fût amoindri ; et je désire conserver pure cette foi qui m’est venue de la succession de tant d’évêques dont plusieurs ont été martyrs. »
Il est malheureux que, dans la suite des temps, les évêques de Rome n’aient pas imité Liberius ; n’aient pas conservé pure la foi de leurs prédécesseurs, et ne se soient préoccupés que de l’idée d’accroître les prérogatives de l’épiscopat de la ville de Rome, au point d’en faire une souveraineté universelle, absolue et infaillible.
Liberius déclare ensuite qu’il ne peut entrer en communion avec les orientaux, puisque, parmi eux, on voyait quatre évêques qui, huit ans auparavant, délégués vers Constans, avaient refusé de condamner les erreurs d’Arius et s’étaient retirés en colère d’un concile qui
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1 Nous avons donné cette réponse, très-favorable aux orientaux, comme on l’a vu.
s’était tenu alors à Milan1. Il supplie l’empereur de considérer comme non avenu ce qui s’était fait à Arles où les orientaux s’étaient refusés à traiter la question de foi, quoiqu’ils s’y fussent engagés, et de convoquer un nouveau concile où l’on proclamerait de nouveau la foi de Nicée, et où l’on rendrait la paix à l’Eglise.
Constantius accueillit favorablement la demande de Liberius et convoqua un concile à Milan2. Un fort petit nombre d’orientaux y assistèrent, les uns étant retenus par leur grand âge, les autres par la longueur du chemin. Les occidentaux s’y trouvèrent au nombre de plus de trois cents. Les ariens commencèrent par demander que l’on s’accordât au sujet d’Athanase, avant de procéder à d’autres délibérations. La plupart, sous l’impression de la crainte, ou trompés, ou ignorants, consentirent à ratifier la condamnation d’Athanase. Seuls, Denys, évêque de Milan, métropole de l’Italie Eusèbe, de Verceil en Ligurie ; Paulinus de Trèves, Rhodanius de Toulouse et Lucifer de Cagliari s’y opposèrent, disant que, sous la condamnation d’Athanase, ses adversaires cachaient leurs mauvais desseins contre la foi de Nicée.
Eusèbe de Verceil était un dés plus saints évêques d’Occident. Il avait d’abord refusé de se rendre au concile de Milan ; mais, sur les instances des membres de ce concile et sur l’ordre de l’empereur, il consentit à y prendre part. Les ariens espéraient le séduire au moyen de l’empereur et amener, par son influence, le concile entier à condamner Athanase ; les orthodoxes comptaient sur sa piété et sentaient qu’ils auraient besoin, pour lutter contre les ennemis de l’évêque d’Alexandrie, d’un homme énergique prêt à tout sacrifier pour la justice. Dès son arrivée à Milan, il ne dissimula point ses sentiments ; aussi les ariens l’empêchèrent-ils, pendant dix
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1 Ce concile de Milan fut sans doute celui qui eut lieu aussitôt après le concile de Sardique, en 317. Plusieurs auteurs pensent qu’il y en eut un en 346, et que c’est à ce dernier que Liberius ferait allusion.
2 S. Athan., Apolog. ad Constant., § 27 ; s. Hilar. Pictav., Lib. I ad Const., §8 ; Socrat., Hist. Ëccl., lib. II, c. 36 ; Sozom., Hist. Eccl :, lib. IV, c. 9 ; Sulpit. Sev., Hist. sacr., lib. II, § XXXIX ; Labb., Cone., t. II.
jours, d’entrer dans l’église où se tenait le concile. Il lui fut enfin permis d’y entrer, et son premier acte fut de demander que le symbole de Nicée fût souscrit par tous les membres de l’assemblée. Denys de Milan, qui était le premier évêque du concile, prit la plume pour signer ; mais Valens la lui arracha des mains avec violence, et le concile fut ainsi dissous dès son début.
Denys de Milan, Eusèbe de Verceil, Paulinus de Trèves, Lucifer de Gagliari et Rhodanius de Toulouse ne se laissèrent ni effrayer par les clameurs des ariens et par les menaces de l’empereur, ni affaiblir par les conseils des évêques pusillanimes. Ils soutinrent avec énergie que, sous la guerre faite à l’évêque d’Alexandrie, on cachait des attaques perfides contre la foi. Ils furent envoyés en exil.
Des prêtres et des diacres furent également exilés et on ne parvint qu’à force de violences à arracher à Vinrent de Capoue, à Fortunatianus d’Aquilée, à Heremius de Thessalonique et aux autres évêques occidentaux la promesse de rompre toute relation de communion avec Athanase1.
Denys de Milan, Paulinus de Trèves, Eusèbe de Verceil et Lucifer de Gagliari furent exilés en Orient. On mit à leur place des ariens, comme Auxentius à Milan. Hilaire de Poitiers et Rhodanius de Toulouse furent exilés peu de temps après en Phrygie2.
Hilaire3, issu d’une noble famille du pays des Pictaves, reçut de Dieu une intelligence supérieure qu’agrandit encore une éducation conforme à sa naissance. Il fut élevé dans les superstitions du polythéisme4 ; mais tout homme tant soit peu instruit et de bonne foi ne pouvait rester idolâtre depuis que le christianisme
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1 S. Athan., Apolog. ad Constant., § 27.
2 Sozom., Hist. Eccl, lib. IV, c. 9 ; Sulpit. Sev., Hist. sacr., lib. II, § XXXIX. Hilaire n’avait pu voir condamner le pieux Eusèbe à l’exil, et il en avait écrit à Constantius ; l’exil fut le prix de cette supplique.
3 Fortunat., Vit., s. Hilar., lib. I, § 3.
4 Quelques auteurs ont pensé que sa famille était chrétienne. Ce sentiment ne nous paraît pas probable. Hilaire nous dit clairement lui-même comment il est parvenu à la connaissance du christianisme.
brillait dans le monde de tout son éclat. Aussitôt que Hilaire réfléchit, il fut chrétien. Sa philosophie, qui subissait nécessairement l’influence chrétienne sans qu’il s’en doutât, lui fit comprendre de bonne heure qu’il ne pouvait y avoir qu’un Dieu unique et infini. Après avoir étudié les livres philosophiques, il passa aux livres religieux des chrétiens, et c’est là seulement qu’il trouva la satisfaction de son intelligence. Sa raison grandissait à mesure qu’il avançait dans cette divine lecture ; il pénétrait avec les prophètes jusqu’au sein de Dieu, où il contemplait avec bonheur ces attributs infinis que l’intelligence soupçonne, mais que Dieu seul pouvait nous faire connaître clairement.
« Mon esprit, nous dit Hilaire lui-même1, se portait avec ardeur vers Dieu ; il comprenait qu’il se devait tout entier à lui, que le servir était sa vraie noblesse. Je voyais qu’il devait être le but de toutes mes espérances, et que ce n’était qu’en sa bonté que je pouvais trouver un abri tranquille et sûr contre les maux qui nous assiègent en cette vie.
« Je cherchais Dieu au milieu de toutes les opinions émises sur sa nature, lorsque je tombai sur ces livres que la religion des Hébreux donne comme l’œuvre de Moïse et des prophètes, et j’y lus ces paroles où Dieu dit de lui-même : Je suis celui qui suis… Tu diras aux enfants d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous2. Je fus rempli d’admiration pour cette définition de Dieu, qui exprime d’une manière accessible à l’intelligence humaine la nature incompréhensible de la divinité. L’être, en effet, est ce que l’on conçoit le plus parfaitement en Dieu, et ce qui le fait mieux connaître ; car l’idée de l’être exclut toute idée de fin et de commencement : ce qui est par soi-même ne peut pas ne pas être, et ce qui est divin, c’est ce qui ne peut ni commencer ni finir.
« Ces seules paroles, Je suis celui qui suis, me suffirent pour connaître l’éternité de Dieu ; mais je voulais
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1 Hilar., De Trinitate, lib. I, §§ 3 ad 13.
2 Exod., c. 3, v. 14.
connaître encore sa grandeur et sa puissance. Elles me furent révélées dans ces paroles : « Le ciel est mon trône, et la terre l’escabeau de mes pieds1. Où irai-je, Seigneur, pour échapper à votre esprit2 ? Si je monte au ciel, vous y êtes ; si je descends en enfer, je vous y trouve ; si je prends les ailes de la colombe pour aller à l’extrémité des mers, c’est votre main qui m’y conduit. » Mais plus j’approfondissais Dieu, et plus je voyais qu’il ne pouvait être compris par l’intelligence humaine, et qu’il devait être cru.
« Comme mon esprit était enseveli dans ces pensées, je voulus ajouter la doctrine de l’Evangile à celle de la loi et des prophètes, et je lus ces paroles : « Au commencement3, était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et « le Verbe était Dieu, etc. »
« A ces paroles, ma raison s’éleva au-dessus des connaissances naturelles, et découvrit une science de Dieu qu’elle ne soupçonnait pas ; elle pénétra au sein même du Créateur, et y découvrit le Verbe éternel qui s’est fait chair pour habiter parmi nous. »
A mesure qu’il avance dans la lecture des saintes Ecritures, Hilaire voit s’élargir le cercle de ses pensées. Les grands problèmes de l’immortalité se dévoilent à ses yeux. Il apprend de saint Paul qu’au-dessus des connaissances purement naturelles, il existe un ordre de connaissances plus élevées, celles que donne la foi, et qui seules peuvent satisfaire l’intelligence ; il sentait une indicible joie à recevoir dans son âme les hautes et sublimes vérités qui y brillaient sans obstacle, car son cœur était resté pur.
Hilaire, en possession de la vérité, l’exprima dans toutes ses actions ; il devint un chrétien parfait ; les prêtres eux-mêmes, dit Fortunat4, désiraient marcher sur ses traces. Pour lui, vivre c’était craindre Jésus-Christ avec amour, et l’aimer avec crainte. N’étant encore que
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1 Isaïe, c. 56, v. 1
2 Psalm. 138, v. 7, 8 et seq.
3 Evang. s. Joannis, c. 1, v. I et seq.
4 Fortunat., Vit., Hilar., lib. I. § 3.
laïque, il avait le zèle d’un apôtre, et déjà il était le modèle de l’Eglise de Poitiers, lorsqu’elle le choisit pour pasteur. Il était marié, et avait même une fille nommée Abra.
Après le concile de Milan, Hilaire osa s’élever contre la sentence d’exil prononcée contre les évêques orthodoxes et, en particulier, contre Eusèbe de Verceil. Il réfuta avec énergie les reproches d’insoumission adressés par les ariens aux orthodoxes et supplia Constantius de mettre un terme aux violences dont les catholiques étaient l’objet1.
L’exil fut la réponse à cette supplique aussi juste que modérée. L’évêque de Poitiers alla retrouver en Orient ceux dont il avait pris la défense. Paulinus de Trèves et Rhodanius de Toulouse moururent en exil. Hilaire consacra les loisirs qu’on lui imposait à la composition de son beau livre sur la Trinité. Nous reviendrons sur cette grande œuvre théologique.
L’Eglise des Gaules, privée de ses principaux défenseurs, fut persécutée aussi bien que celle de l’Egypte2.
Dès avant le concile de Milan, cette dernière Eglise avait souffert les plus horribles violences, et Athanase avait été obligé de s’enfuir et de se cacher dans les déserts parmi les moines ses amis. C’est dans sa retraite qu’il apprit l’exil des orthodoxes du concile de Milan et les violences à l’aide desquelles on imposait l’obligation de rompre toute communion avec lui. En Egypte, les violences étaient plus grandes encore qu’ailleurs. Les orthodoxes étaient chassés des églises livrées aux ariens. A Pâques, ils avaient été obligés de célébrer les offices dans les cimetières ; les vierges elles-mêmes n’étaient pas à l’abri des cruautés des hérétiques. On les dépouillait de leurs vêtements, et si elles persévéraient dans la foi, on les massacrait et leurs corps nus étaient exposés aux outrages ; c’est à peine si leurs parents pouvaient les enlever pour leur donner la sépulture.
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1 S. Hilar. Pictav., lib. I, ad Constant.
2 S. Athan., Apolog. ad Constant., § 27 ; Hist. Arian. ad Monach., §§ 31 et seq.
Les crimes des ariens étaient si exécrables que l’on aurait de la peine à y croire, selon saint Athanase, s’ils n’étaient pas aussi évidents. Parmi les évêques fidèles, les uns étaient massacrés, les autres exilés. On mettait à leur place ceux qui donnaient le plus d’argent, fussent-ils catéchumènes et même païens.
Constantius s’abaissa jusqu’à écrire aux habitants d’Alexandrie une diatribe aussi cruelle que sotte contre Athanase dont il faisait un scélérat digne de tous les supplices1. Il croyait faire de l’esprit en persiflant ce grand homme et en lui reprochant sa fuite au désert, comme s’il eût dû attendre le bourreau, lorsque l’Eglise avait tant besoin de son énergie pour défendre la foi. Cette lettre était évidemment écrite par un des évêques de l’entourage impérial. On y exaltait Georges de Cappadoce que le parti arien venait de placer sur le siège d’Alexandrie. Ursace et Valerts étaient les grands conseillers de l’empereur, et leurs clercs se répandirent dans toutes les contrées pour corrompre les évêques à prix d’argent ou les effrayer, afin de les amener à signer la condamnation d’Athanase. Quant aux fidèles, on les menaçait, s’ils ne signaient pas, de la colère de l’empereur.
Liberius, évêque de Rome, ne se laissa point effrayer et écrivit aux exilés Eusèbe, Denys et Lucifer la lettre suivant2 :
« Quoique, sous les apparences de la paix, l’ennemi du genre humain persécute les membres de l’Eglise, vous, prêtres très-agréables à Dieu, vous avez donné des preuves dé foi qui vous ont rendus dignes de là gloire future qui sera donnée aux martyrs. Placé entre la douleur que me cause votre absence et la joie que votre gloire me fait éprouver, je ne puis assez vous louer et exalter les mérites de votre courage. La consolation la plus grande que je puisse vous offrir, c’est de vous dire que je suis exilé comme vous. Je ne suis encore que dans l’attente d’un pareil sort, et je suis attristé de ne l’avoir
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1 Ap. s. Athan., Apotog. ad Constant., § 30.
2 S. Hilar. Pictav., Fragment. VI.
pas encore subi. J’aurais désiré, frères très-dévoués, le subir avant vous afin de vous servir d’exemple. Mais vos mérites vous ont mérité d’être appelés les premiers à la gloire insigne de rendre témoignage à la foi. Je prie Votre Détection de me regarder comme étant avec vous, de croire que mon affection ne me permet pas d’être séparé de vous, de penser que je gémis de ne plus jouir de votre présence. Votre gloire est plus grande que celle des martyrs qui n’ont éprouvé que les violences du persécuteur, puisque vous avez remporté la victoire sur de faux frères ennemis. Plus la violence de ces hommes s’accroît, plus la gloire des saints prêtres s’augmente. Soyez donc assurés des promesses divines.
« Puisque vous êtes plus près de Dieu, secourez-moi de vos prières, moi qui suis votre collègue, afin que nous puissions supporter avec plus de courage les orages qui nous sont annoncés de jour en jour et qui deviennent plus violents ; afin que je puisse être digne de vous par ma foi inviolable et mon attachement à la constitution de l’Eglise catholique. Comme je désire connaître plus exactement ce qui s’est passé dans le concile, je prie Votre Sainteté de daigner m’en instruire dans ses lettres, afin que mon esprit ressente quelque consolation au milieu des bruits qui le tourmentent, et que mon corps lui-même, par vos exhortations, recouvre les forces qui l’abandonnent. »
La tristesse dont Liberius était atteint se manifeste encore dans ses lettres à Cœcilianus de Spolète et à Osius de Cordoue1. Il écrit à ce dernier qu’il désirerait ardemment mourir ; qu’il préférerait la mort à la triste nécessité de consentir à des accommodements contraires à l’Evangile et de calomnier Athanase.
Constantius et ses amis désiraient ardemment que l’évêque de Rome se prononçât contre Athanase. Sa décision avait une haute importance pour l’Occident où son siège était l’unique centre apostolique. Un historien païen2 remarque lui-même que l’on attachait plus d’im-
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1 S. Hilar. Pictav., Fragment. VI, § 3.
2 Ammian. Marcel., lib. XV, c. 7 ; s. Ath., Hist. Arian. ad Monach., § 35.
portance à la décision de l’évêque de Rome qu’à celle des autres évêques. C’était lui, en effet, qui avait été jusqu’alors l’intermédiaire entre l’Orient et l’Occident, et les Eglises occidentales devaient attacher la plus haute autorité aux traditions de l’Eglise romaine fondée par les apôtres. Constantius envoya donc à Liberius l’eunuque Eusèbe chargé de présents pour le cas où il consentirait à ce qu’on lui demandait, et de lettres menaçantes s’il s’y refusait1. Arrivé à Rome, Eusèbe alla trouver Liberius et l’engagea à souscrire à la condamnation d’Athanase : « L’empereur le désire, lui disait-il, il te l’ordonne. » Et serrant les mains de l’évêque, il lui disait : « Fais plaisir à l’empereur et reçoisles présents qu’il t’envoie. » Liberius, répondait : « Qui peut condamner Athanase ? Il n’y a pas qu’un concile, il y en a deux qui l’ont déclaré innocent, et le second a été assemblé de tout l’univers ; pouvons-nous condamner celui qu’un concile de Rome a jugé innocent ? Qui pourra nous approuver si nous condamnons, en son absence, celui que nous avons reçu avec amour, lorsqu’il est venu ici, et que nous avons reçu à la communion ? La règle ecclésiastique ne’ le permet pas ; nous n’avons pas reçu une telle tradition ‘de nos Pères qui avaient reçu, du bienheureux et grand apôtre Pierre celle qu’ils nous ont transmise. Si l’empereur a souci de la paix de l’Eglise ; s’il ordonne d’abroger ce qui a été écrit ici en faveur d’Athanase, que l’on abroge aussi ce qui a été fait contre lui ; que l’on abroge ce qui a été fait contre d’autres et qu’enfin on convoque loin du palais un concile ecclésiastique, où l’empereur n’assistera pas, où aucun comte ne paraîtra, où aucun juge ne fera de menaces ; où la crainte de Dieu inspirera les membres, où l’on respectera la constitution apostolique, où l’on proclamera tout d’abord la foi, telle qu’elle a été définie au concile de Nicée. Que les sectateurs d’Arius soient rejetés ; que leur hérésie soit frappée d’anathème. Que l’on juge les crimes reprochés à Athanase, et ceux dont on charge ses accusateurs, afin que
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1 S. Athan., Hist. Arian. ad Monach., §§ 35 et seq. ; Theod., lib. II, c. 13.
les coupables soient Condamnés et que les innocents jouissent de la paix. Il n’est pas permis en effet d’admettre dans un concile ceux dont la foi n’est pas pure ; et il ne Convient pas de placer l’examen de la cause d’un particulier avant celui de la foi. Il faut d’abord fixer la question de foi ; on s’occupera ensuite du reste. Voilà ce que nous avons appris des Pères, ce que tu diras à l’empereur, et ce qui lui sera utile, à lui et à l’Eglise. Que l’on n’écoute point Ursace et Valens qui, s’étant repentis dé ce qu’ils avaient fait autrefois, ne sont dignes d’aucune confiance. »
A ces paroles, l’eunuque entra dans une telle colère qu’il oublia qu’il parlait à un évêque. En sortant de la demeure de Liberius, il se rendit au Martyrium de l’apôtre Pierre et y déposa les présents dont il était porteur. Liberius blâma le gardien du tombeau de les avoir acceptés, et les fit enlever comme un sacrifice impur. L’eunuque en devint encore plus furieux et, de retour auprès de l’empereur, lui dit : « Nous n’avons pas maintenant à essayer de faire souscrire Liberius ; une seule chose doit nous préoccuper, c’est qu’il est tellement contraire à la doctrine d’Arius, qu’il frappe d’anathème ceux qui la professent. » Tous les eunuques du palais prirent parti pour leur confrère. Ils avaient sur Constantius la plus grande influence, et ils le décidèrent à envoyer à Rome des lettres enjoignant à tous les officiers publics de s’emparer de Liberius par artifice et de l’envoyer à sa cour, ou de le persécuter ouvertement, s’ils ne pouvaient s’emparer de lui.
Alors on organisa à Rome1 une vaste inquisition contre tous les partisans de Liberius, au point qu’un grand nombre furent obligés de quitter la ville. Lorsque Athanase racontait à Rome les excès commis en Egypte, on se refusait d’y croire, tant ils paraissaient horribles. Cette ville fit alors l’expérience des mêmes atrocités, et fut bien obligée d’y croire.
Liberius fut traîné vers l’empereur qui était alors à
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1 S. Athan., Hist. Arian. ad Monach., §§38, 39, 40, 41.
Milan, et il parla au tyran avec une liberté évangélique : « Cesse, lui dit-il, de persécuter les chrétiens ; et ne compte pas sur notre concours pour introduire l’impiété dans l’Eglise, Nous sommes prêts à tout souffrir plutôt que d’écouter les ariens. Nous sommes chrétiens ; ne nous force pas à devenir ennemis du Christ. Nous te conseillons de ne pas entrer en lutte avec celui de qui tu tiens l’empire. » Le courage de Liberius fut admiré de tous ceux que l’esprit de parti n’aveuglait pas. Constantius, pour l’en punir, l’envoya en exil. Saint Athanase remarque que ce tyran était plus cruel que les anciens persécuteurs. Ceux-ci, du moins, envoyaient plusieurs de leurs victimes en exil dans un même lieu, de sorte que les pieux confesseurs pouvaient se consoler mutuellement dans leurs souffrances ; tandis que Constantius avait soin d’envoyer ses victimes dans des lieux isolés, où ils étaient livrés seuls à l’ennui et à la douleur.
Liberius fut relégué à Berée en Thrace. Il y passa deux années après lesquelles, accablé d’ennui et effrayé des menaces de mort qui lui étaient faites continuellement, il souscrivit à la condamnation d’Athanase1. Le
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1 La chute de Liberius, évêque de Rome, a été l’objet de grandes discussions. Nous l’admettons comme un fait certain ; et voici nos preuves :
S. Athanase (Hist. arian. ad Monachos, § 41) s’exprime ainsi :
‘0 δέ Λιβέριος, έξορ.ιςθείς, υςτερον μετά διετή χρονον ώκλασε, καί φοβηθείς τδν άπειλοΰμενον θάνατον, ΰττεγραψεν.
Traduction latine des bénédictins : « Porro Liberius extorris factus, post biennium denique fractus est, minisque mortis perterritus, subscripsit. »
S. Athanase (Apalog. cont. Arian., § 89), après avoir mentionné Liberius parmi ceux qui ont souffert l’exil pour sa cause, continue ainsi :
« Εί γάρ καί είς τέλος ουχ ύπέμεινε τοϋ έξορισμοϋ τήν θλίψιν, 8μως διετίαν εμεινεν Ιν τρ μετοικίφ, γινώσκών την καθ’ ήμων συσκευήν.
Traduction latine des bénédictins : « Nam etsi exsilii ærumnas ad finem usque non toleraverit, attamen quod conflatam in nos conspirationem probe nosset, biennio in exsilii loco est commoratus. »
Pour se débarrasser de ces deux témoignages, les papistes en ont nié l’authenticité, sous prétexte que les deux ouvrages mentionnés ont été écrites avant la chute de Liberius, et que saint Athanase n’a pu, par conséquent, parler de ce fait.
Or il est certain que l’Histoire de l’arianisme adressée aux moines n’a d’abord été écrite par saint Athanase que sur un seul exemplaire, lequel dut lui être renvoyé lorsque les moines l’auraient lu (Epist. ad Monach., § 3, en tête de l’ouvrage). Saint Athanase le revit et le compléta lorsqu’il le donna au public, ou qu’il l’envoya à Sérapion de Thmuis avec son opuscule : Sur la mort d’Arius.
Il en est de même de l’Apologie contre les ariens. Cette œuvre, composée surtout dp pièces officielles, fut publiée quelques années avant la chute de Liberius et d’Osius. Mais saint Athanase dut la compléter plus tard avec de nou-
grand évêque d’Alexandrie, en mentionnant ce fait, excuse Liberius et rappelle que, tant qu’il fut libre, il se prononça en sa faveur et pour la foi orthodoxe.
Après leur victoire sur Liberius, les ariens croyaient n’avoir encore rien fait, s’ils ne gagnaient pas à leur
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veaux faits qui se rapportaient à sa cause. Aussi fait-il principalement ressortir que Liberius, Osius et d’autres souffrirent l’exil plutôt que de le condamner. Leur chute est ensuite citée, mais atténuée et expliquée par les violences qu’ils curent à subir.
Les objections des papistes ne peuvent donc contre-balancer l’autorité de tous les manuscrites dans lesquels les deux ouvrages se trouvent dans l’état où ils ont été édités.
Saint Hilaire de Poitiers (Lib. cont. Constant., § 11) s’adresse ainsi à Constantius : « Tu as fait ensuite la guerre à Rome ; tu en as arraché l’évêque. Malheureux que tu es ! Je ne sais si ton impiété a été plus grande en l’exilant qu’en le renvoyant. » Comment le retour de Liberius aurait-il été un crime pour Constantios, s’il n’y avait mis des conditions non acceptables ?
Le même saint Hilaire de Poitiers, dans ses Fragments de l’histoire de l’arianisme, affirme positivement la chute de Libérius, l’appelle apostat et prévaricateur, et le frappe d’un triple anathème (Fragment. VI). Il donne des lettres dans lesquelles Liberius prouve lui-même qu’il a fait à Constantius les concessions qu’il demandait.
On a prétendu que les lettres éditées parmi les Fragments de saint Hilaire comme étant de Liberius ne sont pas authentiques. Quelles preuves en a-t-on données ? Sozomène, dit-on, affirme que les ariens ont calomnié Liberius (Hist. Eccl., lib. IV, c. 15), mais, au même endroit, Sozomène admet que Liberius a fait des concessions au parti arien. Ce témoignage ne prouve donc absolument rien contre l’authenticité des lettres. D’après cet historien, les calomnies des ariens ne portaient que sur un sens trop étendu donné par eux aux concessions de Liberius. Or les lettres en question ne précisent que ces concessions, sans toucher aux exagérations des ariens.
Il est possible que les ariens aient attribué à Liberius de fausses lettres, comme les papistes ont attribué de fausses lettres et décrétales à Liberius lui- même et à d’autres papes, mais il ne s’ensuit pas que celles qui sont citées dans les Fragments de saint Hilaire soient du nombre.
On a voulu trouver des preuves intrinsèques de fausseté dans le style et la manière dont les choses sont exposées dans ces lettres ; on n’a pu cependant y rencontrer aucun anachronisme, aucune erreur de fait. On sait combien on a abusé des observations sur le style pour ou contre une thèse. Quant à nous, il nous semble bien que la lettre de Liberius à Constantius, reconnue comme authentique par tout le monde, est bien dans le même style que celles que l’on voudrait rejeter comme apocryphes. De plus, toutes les pièces qui nous sont venues dans les Fragments de saint Hilaire ont été fort maltraitées par les copistes, mais elles n’ont pas cependant été falsifiées, comme on en trouve la preuve dans plusieurs de ces pièces mêmes, publiées par d’autres auteurs.
Les autres observations faites contre ces lettres ne méritent aucune attention. C’est pourquoi nous avons accepté ces lettres comme authentiques. Avant nous, de nombreux érudits ont admis cette authenticité.
La chute de Liberius a été enregistrée par saint Jérôme comme un fait très-connu de son temps. « Liberius, dit-il dans sa Chronique (ad ann. 354), vaincu par l’ennui de l’exil, est rentré à Rome comme en victorieux, après avoir souscrit à la méchanceté hérétique. »
Dans un autre endroit (De Vir. illustr., c. 97), il affirme, conformément aux lettres de Liberius, que ce fut Fortunatianus, évêque d’Aquilée, qui, le premier, sollicita Liberius de souscrire à l’hérésie et l’y décida.
Jérôme dit que Liberius entra à Rome comme en victorieux, parce qu’il en fit chasser Felix, son concurrent, et les prêtres qui s’étaient ralliés à lui. Il y eut donc comme une persécution contre les adversaires de Liberius, ce qui explique le récit du Liber pontificalis et des Actas. Eusebii. Félix n’ayant pas fait de concessions à l’arianisme, et Liberius en ayant fait, il est possible
cause le grand Osius1. Donc, sans respect pour la vieillesse de ce saint personnage que l’on appelait le Père des évêques ; pour ses antécédents de Confesseur de la foi ; pour ses soixante ans d’épiscopat, ils entreprirent de le persécuter. Ils allèrent donc trouver Constantius et lui firent comprendre que l’exil de l’évêque des Romains et de tant d’autres, que tous les moyens employés contre les catholiques, étaient autant d’actes inutiles s’ils n’avaient pas l’appui d’Osius, lequel, d’un mot, pouvait soulever l’Eglise entière contre eux. « Il est, dirent-ils, le président ordinaire des conciles, et tous obéissent à ses lettres ; c’est lui qui a rédigé le symbole de Nicée ; et partout il enseigne que les partisans d’Arius sont des hérétiques. S’il reste sur son siège, l’exil des autres ne servira à. rien. » Ils engagèrent Constantius à ne pas s’arrêter devant la vieillesse de l’évêque de Cordoue, et de l’exiler comme les autres s’il n’obéissait pas.
Constantius n’hésita pas à mander Osius qui obéit à l’ordre qui lui était donné. Mais le vénérable évêque parla à l’empereur avec tant d’autorité qu’il lui fut permis de retourner dans son pays et à son église. Les ariens ne se découragèrent pas, et obtinrent de l’empereur plusieurs lettres dans lesquelles, tantôt il flattait Osius en l’appelant son père, tantôt il le menaçait. Dans une de ces lettres, il lui disait : « Seras-tu le seul qui
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et même probable que des orthodoxes se soient rattachés à Felix après la chute de Liberius, et aient été poursuivis comme adhérents de Felix.
Il va sans dire que les historiens modernes appartenant au papisme nient formellement la chute de Liberius. L’abbé Darras n’hésite pas à dire que la chute prétendue de Liberius n’est appuyée sur aucun témoignage historique (Histoire générale de L’Eglise, t. IX, p. 362 et suiv.). Parlant du témoignage de Sozomène, il prétend que Basile d’Ancyre, Eustathius de Sébaste et Eleusius de Cyzique supprimaient le terme de consubstantiel et voulaient que Liberius et les autres évêques fissent de même. Mais, ajoute-t-il, Liberius leur remit une autre confession de foi, etc. Voici le texte de Sozomène (Hist. Ecct., lib. IV, c. 15, et non c. 13, comme le prétend l’abbé Darras) :
Παρασκευάζουσι συναινέσαι ταύτρ Λιβερίαν, etc.
Traduction latine des bénédictins : « Effecerunt ut Liberius… ei formules consentirent. » Sozomène affirme donc positivement que les ariens parvinrent à faire signer à Liberius leur formule ; seulement l’évêque de Rome fit des réserves en faveur de la doctrine du semblable en substance. Il était bon de citer ce nouvel exemple de la bonne foi et de la science des historiens papistes. Quant aux témoignages de saint Athanase, M. Darras ne les mentionne même pas. Il se contente de nier ce qui ne lui convient pas.
1 S. Athan,, Hist. Arian. ad Monach,., § 42.
restera infesté de l’hérésie ? Obéis et écris contre Athanase ; quiconque écrit contre lui, est avec nous. » Osius ne se laissa point émouvoir par les outrages dont il était l’objet, et il écrivit cette lettre à Constantius1 :
« Osius, à l’empereur Constantius, salut dans le Seigneur :
« Jadis, j’ai confessé la foi lorsque, sous ton aïeul Maximianus2, l’Eglise était persécutée. Si tu veux toi- même me persécuter aujourd’hui, sache que je suis prêt à tout souffrir, plutôt que de répandre le sang innocent3 et de trahir la vérité. Je ne t’approuve point de m’écrire et de me menacer comme tu l’as fait. Cesse donc de m’écrire de telles lettres ; ne pense pas comme Arius, n’écoute pas les orientaux, et ne te fie pas à Ursace et à Valens. C’est moins à Athanase qu’ils en veulent qu’à la foi qu’ils essayent de souiller de leur hérésie. Crois-moi, Constantius, moi qui, par mon âge, pourrais être ton aïeul : J’ai assisté au concile de Sardique, à l’époque ou toi et ton frère Constans, d’heureuse mémoire, vous nous avez convoqués. Moi-même j’ai provoqué les ennemis d’Athanase, lorsqu’ils vinrent à l’Eglise près de laquelle je demeurais ; je les ai sommés de dire ce qu’ils avaient à reprocher à Athanase. Je leur ai promis sécurité ; je me suis engagé par serment à ne poursuivre qu’un jugement absolument juste. Je n’ai pas pris cet engagement une fois, mais deux fois ; je leur ai offert d’écouter en particulier leurs accusations, s’ils ne voulaient pas les développer devant le concile. Je leur ai fait cette promesse : « Si Athanase est trouvé coupable, nous le repousserons sans hésitation ; s’il est innocent, s’il prouve que vous êtes calomniateurs, et que cependant vous refusiez de le recevoir, je lui persuaderai de venir avec moi en Espagne. » Athanase acceptait, ces conditions ; ses ennemis se défiant de leur cause, se refusèrent à toute discussion.
« Quand toi-même tu as rappelé Athanase, il a pro-
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1 S. Athan., Hist. Arian. ad Monach., § 44.
2 La mère de Constantius était fille de Maximianus.
3 Allusion à la sentence de mort prononcée contre saint Athanase.
voqué ses ennemis à venir devant toi soutenir leurs accusations. Ils ne l’ont pas osé. Parmi eux étaient Ursace et Valens qui, depuis, se repentirent publiquement de leurs calomnies. Ils disent qu’ils ont été forcés de faire cette démarche. Qui les y a forcés ? Ils sont allés de leur plein gré à Rome et se sont rétractés devant l’évêque et les prêtres de cette Eglise, sans qu’aucun soldat ait été mêlé à cette affaire. Mais s’ils se plaignent de la violence qui leur a été faite, pourquoi as-tu recours à ce moyen pour arriver à ton but ? Jamais ton frère Constans n’a commis de violence. Quel évêque a-t-il envoyé en exil ? Quand s’est-il mêlé des jugements ecclésiastiques ? Cesse donc d’agir, comme tu le fais ! souviens-toi que tu es un homme mortel ; redoute le jour du jugement, et tiens-toi prêt à y comparaître. Ne te mêle pas des affaires ecclésiastiques ; ne nous adresse pas d’ordres à ce sujet ; apprends plutôt de nous ce que tu as à faire. Dieu t’a donné l’empire ; à nous il a confié les affaires de l’Eglise. Celui qui résiste à ton empire contredit les ordres de Dieu ; et toi, en t’occupant des affaires de l’Eglise, crains de te rendre, coupable d’un grand crime. Il est écrit ; Rendez à Cœsar ce qui est à Cœsar, et à Dieu ce qui est à Dieu.
« J’arrive à ce qui fait le sujet de tes lettres et je te réponds : Je n’adhère point aux ariens ; bien plus, je frappe cette hérésie d’anathème ; je n’écrirai point contre Athanase lequel a été déclaré innocent par moi, par l’Eglise romaine, bien plus, par tout un concile1. Toi- même, après avoir pris connaissance de ses affaires, tu as fait venir cet homme auprès de toi, et tu lui as accordé de rentrer avec honneur dans sa patrie et dans son Eglise. Quelle est la cause du grand changement qui s’est opéré dans ton esprit ? Ses ennemis d’aujourd’hui sont les mêmes qu’autrefois ; leurs insinuations contre lui sont les mêmes, et ils n’osent les proférer en sa présence. Ils les répandaient déjà, lorsqu’ils vinrent au concile ; et lorsque moi-même ; je leur demandai des preuves,
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1 Celui de Sardique.
ls ne purent en donner, comme je l’ai rapporté ci-dessus. S’ils en avaient eu à donner, ils ne se fussent pas enfuis aussi honteusement. Qui t’a amené, après un temps si long, à oublier tes lettres et tes paroles ? Arrête-toi, je t’en prie, et ne donne pas ta confiance à des hommes méchants, de peur de partager leur culpabilité. Ce que tu leur accordes maintenant, tu en rendras compte au jour du jugement. Ils veulent blesser leur adversaire par ton entremise ; ils veulent que tu sois l’instrument de leur malice ; ils entreprennent de répandre, avec ton secours, -une exécrable hérésie dans l’Eglise. Un homme prudent ne doit pas s’exposer à un danger évident pour le plaisir des autres. Arrête-toi donc, Constantius, je t’en prie, et consens à suivre mes conseils. Mon devoir est de t’écrire ; le tien de ne pas mépriser mes avis. »
Telle fut, dit saint Athanase1, la lettre d’un vieillard qui était un vrai saint. Constantius n’en fut pas touché et il persévéra dans son dessein ou de le forcer à changer d’opinion ou de l’envoyer en exil. Osius avait alors cent ans. Constantius savait qu’en Espagne les évêques et les fidèles suivaient la même règle qu’Osius. Il força donc le saint vieillard à quitter sa patrie ; il le laissa pendant un an à Sirmium comme en exil, et il l’y fit tant souffrir que le vénérable évêque, sans vouloir condamner Athanase, consentit à quelques relations avec Ursace et Valens, et à signer la seconde formule de Sirmium. On le renvoya alors à, son Eglise. Mais, avant de mourir, il consigna, dans son testament, la violence qui lui avait été faite, et il y frappa d’anathème l’hérésie arienne.
Liberius, évêque de Rome, poussa plus loin la faiblesse.
Les ariens, comprenant que le mot consubstantiel pouvait seul rendre impossibles leurs subterfuges au sujet de la nature du Verbe incarné, s’appliquaient, depuis le fameux concile d’Antioche, à rédiger des formules de foi, très-orthodoxes en apparence, mais qui ne contenaient pas le mot consubstantiel consacré par le concile de Nicée.
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1 S. Athan., Hist. Arian. ad Monadi., § 45 ; Phœbad. Aginn., Adv. Arian., c. 23.
Ils avaient trompé un grand nombre d’évêques orientaux qui n’étaient pas réellement ariens, mais qui semblaient faire cause commune avec les hérétiques, parce qu’ils ne se prononçaient pas ouvertement en faveur d’Athanase, et qu’ils ne tenaient pas au mot consubstantiel que les ariens présentaient toujours comme sabellien.
Les erreurs de Marcellus d’Ancyre avaient contribué à répandre en Orient cette notion. Celles de Photinos, connues et condamnées en Occident, sans faire abandonner le mot consubstantiel, disposaient cependant à croire que ce mot pouvait être susceptible d’un mauvais sens. De là l’importance que les ariens attachaient à ces erreurs.
C’était en apparence pour y échapper qu’ils évitaient le mot consubstantiel dans leurs formules de foi. Depuis que, grâce à Constantius, ils exerçaient une grande influence en Occident, ils cherchaient à en tromper les évêques par des professions de foi captieuses, où l’orthodoxie paraissait exposée avec un luxe d’expressions bien capables de tromper le plus grand nombre, du moins dans une circonstance donnée.
C’est ce qui arriva bientôt.
Les dernières formules, répandues en Occident, avaient été élaborées à Sirmium. On en connaît trois qui portent pour cela le titre de formules de Sirmium. La première avait été faite en 351, lors de la condamnation de Photinos. La seconde fut rédigée au commencement de l’année 858, lorsque Constantius, après un séjour d’un mois à Rome, s’était rendu à Sirmium. Dans la même année, on rédigea la troisième, plus arienne que les autres.
Pendant son séjour à Rome, Constantius avait persécuté les orthodoxes. Il fit part à Liberius des désirs des chrétiens de Rome et des conditions auxquelles ces désirs seraient exaucés1
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1 Voy. Lib. Pontif. et Acta s. Eusebii. Pendant l’exil de Liberius, on avait placé Felix sur son siège. Felix fut chassé de Rome au retour de Liberius. Il se serait montré plus orthodoxe que son concurrent, selon les documents cités plus haut. (Sozom., Hist. Eccl, lib. IV, c. 15 ; Theod., Hist. Eccl., lib. II, c. 17.)
Liberius, fatigué de l’exil, se décida à écrire aux orientaux la lettre suivante1 :
« Aux très-aimés frères, les prêtres, mes collègues d’Orient :
« Grâce à Dieu, votre foi est connue de Dieu et des hommes de bonne volonté. Selon cette parole de la loi : enfants des hommes, jugez avec justice, je ne prends pas la défense d’Athanase. Gomme mon prédécesseur Julius, de bonne mémoire, l’avait reçu à sa communion, j’avais craint de passer, en le condamnant, pour un prévaricateur. Mais dès que j’eus connu, selon la volonté de Dieu, que vous l’aviez justement condamné, j’ai donné mon assentiment à votre sentence, et j’ai chargé notre frère Fortunatianus de porter à l’empereur Constantius notre lettre à ce sujet. Donc, Athanase est rejeté de la communion de nous tous ; je ne recevrai pas ses lettres ; je déclare que je suis en communion avec vous et avec tous les évêques orientaux, c’est-à-dire que je suis en paix et en accord avec les évêques de toutes les provinces.
« Afin que vous sachiez que, dans cette lettre, je m’exprime en toute franchise, je déclare que j’adhère de tout cœur à l’exposition de foi catholique, dressée par plusieurs de nos frères et collègues à Sirmium et qui m’a été communiquée avec bienveillance par notre seigneur et frère Demophilos. Je n’y contredis en aucun point ; je m’y conforme et je la professe. »
En citant ce passage, saint Hilaire de Poitiers interrompt Liberius pour déclarer que la formule à laquelle adhérait Liberius était arienne, et pour dire anathème une fois, deux fois et trois fois au prévaricateur Liberius.
Par cette lettre, on voit que les rédacteurs de la deuxième formule de Sirmium l’avaient adressée par un des leurs, Demophilos, à Liberius. Celui-ci consentit à tout et mérita sa réintégration au prix de son orthodoxie. Arrivé à Rome, il ne s’éleva point contre les persécutions dont les orthodoxes y étaient l’objet par ordre
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1 Liber., Epist.ad Episcop. Orient. ; ap. s. Hilar. Pictav., Fragment. VI, §§ 5 et 6. Sozom., Hist. Eccl., lib. IV, c. 15. (Voir la note des pages 203 et suivantes du présent volume.)
de Constantius, et c’est ainsi qu’il a mérité d’être considéré comme l’auteur même de la persécution.
Pendant son exil, l’Eglise de Rome avait, été gouvernée par le diacre Felix, élevé à la dignité d’évêque. Felix, après le retour de Liberius, voulut continuer ses fonctions épiscopales et Constantius était d’avis de partager l’Eglise entre les deux concurrents. Mais le parti de Liberius était le plus fort et Felix fut obligé de quitter Rome. Il avait dû son élévation à des complaisances pour les ariens. Cependant il se montra toujours orthodoxe, et même, d’après plusieurs documents occidentaux, plus orthodoxe que Liberius1.
Ce dernier ne s’était pas contenté d’écrire, de son exil, aux évêques réunis à Sirmium2. Il avait écrit en particulier à trois d’entre eux qu’il considérait comme plus influents : Ursace, Valens et Germinius. Il y rappelle avec complaisance ses premiers sentiments hostiles à saint Athanase.
« Comme je sais, écrit-il3, que vous êtes enfants de la paix, et que vous aimez la concorde et l’unité de l’Eglise catholique, je vous écris, très-chers seigneurs et frères, sans y être forcé, Dieu m’en est témoin, mais pour le bien de la paix et de la concorde, bien qui est supérieur à celui du martyre lui-même. Que Votre Prudence sache donc qu’Athanase, ex-évêque d’Alexandrie, a d’abord été condamné par moi avant l’envoi de mes lettres à la cour du pieux empereur pour les évêques orientaux4, et qu’il a été séparé de la communion de l’Eglise romaine ; le presbytère entier de l’Eglise romaine peut l’attester. Si, plus tard, je parus changer d’avis, dans la lettre que j’écrivis à nos frères d’Orient ; c’est que je devais prendre parti pour les légats que j’avais
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1 Voy. Lib. Pontif. et Acta s. Eusebii ; Sozom., Hist. Eccl., lib. IV, c. 15 ; Theod., Hist. Eccl., lib. II, c. 17.
2 Selon saint Hilaire de Poitiers (Fragment. VI, § 7), ces évêques étaient : Narcissus, Theodorus, Basilius, Eudoxius, Demophitos, Cecropius, Silvanus, Ursacius, Valens, Evagrius, Hyrenius, Exuperantius, Terentianus, Bassus, Gaudentius, Macedonius, Marthus, Aclicus, Julius, Surinus, Simplicius, Junior. Ils étaient tous hérétiques, selon saint Hilaire.
3 Ap. s. Hilar. Pictav., Fragment. VI, § 8.
4 Nous avons donné précédemment le document qui prouve que Liberius disait vrai.
envoyés à la cour et pour les évêques exilés, afin qu’on les rappelât de leur exil.
« Je veux aussi que vous sachiez que j’ai prié mon frère Fortunatianus de porter une lettre de moi au très-clément empereur Constantius, Auguste. Dans cette lettre, je demande, pour le bien de la paix et de la concorde, qu’il me renvoie à l’Eglise que Dieu m’a confiée, afin de la préserver de tout malheur. Très-chers frères, vous, verrez, par cette lettre, que je veux être en paix avec vous tous évêques de l’Eglise catholique. Au jour du jugement vous aurez une grande récompense si, par vous, la paix est rendue à l’Eglise romaine. Je vous fais connaître que je suis en paix et en communion ecclésiastique avec nos frères et collègues Epictète et Auxentius. J’espère qu’ils en recevront l’assurance avec joie. Donc, quiconque se séparera de l’accord et de la paix que nous avons entre nous, sera séparé de notre communion. » Liberius ne se contenta pas de demander l’intervention des évêques les plus influents à la cour, il crut devoir se réconcilier avec son ancien légat Vincent de Capoue, qui avait faibli jadis aux conciles d’Arles et de Milan, et dont Liberius imitait alors la faiblesse :
« Très-cher frère, lui dit-il1, ce n’est pas un enseignement que je vous donne ; je vous avertis seulement que les mauvaises paroles corrompent les bonnes mœurs. Les embûches des hommes pervers vous sont connues ; ce sont elles qui ont causé ma peine actuelle. Priez Dieu qu’il nous accorde la patience.
« J’ai cru devoir informer Votre Sainteté que je me suis retiré de la discussion qui s’agite sous le nom d’Athanase, et que j’ai écrit à ce sujet à nos frères et collègues d’Orient. Gomme vous jouissez de la paix, rassemblez tous les évêques de la Campanie et faites leur connaître ma résolution, afin que je puisse donner avis de notre accord au très-clément empereur et être délivré de la grande tristesse où je me trouve. »
A cette lettre écrite par un secrétaire, Liberius avait ajouté de sa propre main :
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1 Ap.s. Hilar. Pictav., Fragment. VI, §§ 10 et 11.
« Que Dieu te conserve en bonne santé. Nous avons la paix avec tous les évêques d’Orient et avec vous. Je m’en réfère à Dieu ; quant à vous, avisez ; si vous voulez que je meure en exil, Dieu jugera entre moi et vous. » L’adhésion de Liberius à la deuxième formule de Sirmium donna aux ariens l’espérance d’entraîner dans la même voie l’Occident tout entier, habitué à considérer l’Eglise romaine comme son centre apostolique. Pour arriver à ce but, ils adressèrent leur formule à tous les évêques. Ceux des Gaules l’ayant reçue la rejetèrent énergiquement, et un d’entre eux, Phæbadius d’Agen, la réfuta avec une science et une habileté que les orientaux n’auraient pas soupçonnées dans l’évêque d’une contrée qu’ils considéraient comme barbare.
L’évêque gaulois fait d’abord connaître à ses frères les motifs qui l’ont porté à écrire :
« Si je n’étais témoin, dit-il1, de la subtilité diabolique avec laquelle on donne à l’hérésie les apparences de la vraie foi, et à la vraie foi les apparences de l’hérésie, je ne parlerais pas, très-chers frères, de ces écrites qui nous sont parvenus récemment.
« Il m’eût suffi de conserver ma foi pure au fond de ma conscience, et il m’eût semblé plus sage de mettre ma propre foi à l’abri que de discuter sur des opinions étrangères.
Mais puisqu’il faut se faire hérétique, si on veut être appelé catholique ; et puisqu’on ne peut cependant être vrai catholique qu’en rejetant l’hérésie, je suis obligé d’écrire ce livre afin de mettre à découvert ce venin diabolique qui s’enveloppe sous des dehors modestes et religieux, afin de faire bien comprendre le mal que recèlent ces paroles, simples en apparence. Quand le mensonge sera dévoilé, la vérité pourra enfin se dilater et respirer à l’aise. »
Phæbadius, après avoir indiqué les fourberies des ariens et répondu à leurs objections, expose avec clarté la vraie foi catholique sur la Trinité et la consubstantia-
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1 Phœbad, Aginn., Advers. Arian., c. 1.
lité du Verbe. Il termine son traité par quelques, mots sur Osius de Cordoue. Ce grand évêque avait signé la seconde formule de Sirmium, et on se servait de son nom comme d’une machine de guerre pour accabler les catholiques. Phœbadius y oppose ce dilemme d’une parfaite vérité : Ou bien Osius s’est trompé pendant quatre-vingt- dix ans de sa vie, pendant lesquels il fut sincèrement catholique ; ou il s’est trompé seulement en admettant la formule de Sirmium. S’il s’est trompé pendant quatre- vingt-dix ans, son opinion n’est évidemment d’aucun poids1.
L’adhésion de Liberius à la formule de Sirmium n’était pas encore connue en Occident, ce qui fixe le livre de Phœbadius à la date de 357 ou 358.
Les évêques gaulois se réunirent sous la présidence de Phœbadius pour examiner officiellement la formule de foi que Constantius leur avait fait adresser2. L’empereur, dans sa lettre, leur citait l’exemple d’Osius. Ils répondirent : « Nous ne jugeons pas de la foi par les personnes ; mais des personnes par la foi, » et ils condamnèrent la seconde formule de Sirmium. Ils envoyèrent leur décision en Phrygie à Hilaire, qui en conçut une grande joie. Plusieurs évêques lui adressèrent en même temps des lettres particulières dans lesquelles ils le priaient de les instruire sur la foi de l’Eglise orientale. Il leur répondit par le livre des Synodes, dans lequel il fait l’histoire des variations que les ariens avaient fait subir à leur système dans les divers synodes ou conciles qu’ils avaient tenus. Il y loue les évêques des Gaules sur l’intégrité de leur foi, les affermit dans leur attachement au mot consubstantiel, contre lequel venaient échouer toutes les subtilités des hérétiques, et discute avec profondeur la seconde formule de Sirmium, dans laquelle les ariens avaient enveloppé avec un art merveilleux leur détestable doctrine3.
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1 Phæbad. adv. Arian., c. 23.
2 S. Hilar. Piclav., De Synod., § 2. On ignore en quel lieu ils s’assemblèrent.
3 Nous parlerons ailleurs avec plus de détails des ouvrages d’Hilaire et de Phœbadius.
Ils furent beaucoup plus formels dans la troisième formule qu’ils composèrent encore à Sirmium vers la fin de l’année 358. Ils y rejetèrent non-seulement le mot consubstantiel comme dans les deux premières formules, mais encore le terme de semblable en substance, qu’ils avaient accepté jusqu’alors afin de faire croire qu’ils n’en voulaient qu’à une expression dont on pouvait abuser en faveur du sabellianisme, mais qu’ils professaient la vraie doctrine.
En effet, l’expression semblable en substance pouvait être étendue d’une manière orthodoxe et dans le sens du consubstantiel. C’est ce qui décida les ariens à l’éliminer de leur dernière formule.
Il s’agissait de faire admettre l’erreur par tous les évêques. Constantius l’entreprit et convoqua pour cela deux grands conciles, l’un à Rimini pour l’Occident, et l’autre à Seleucie pour l’Orient.
Pour comprendre ce qui se passa dans ces deux conciles, on doit avoir une idée exacte des divers partis qui existaient au sein de l’arianisme. Le système d’Arius n’était plus soutenu ouvertement par aucun évêque. Ceux qui, au fond, l’adoptaient, concentraient leur opposition à l’orthodoxie autour du mot όμοούσιοσ (consubstantiel), et affectaient de répéter qu’ils n’attaquaient cette expression que parce qu’elle se prêtait à un sens dont Marcel d’Ancyre et Photinos avaient abusé pour enseigner leurs erreurs. Le motif était spécieux ; plusieurs orthodoxes, surtout en Orient, se montrèrent disposés à sacrifier le mot, en sauvegardant la vraie doctrine sur la génération étemelle et substantielle du Verbe. Ce qui autorisait, du moins en apparence, les observations des ariens, c’est que le mot ούσία était interprété de deux manières. Pour les uns, il signifiait substance ; pour d’autres, il signifiait personne ; le mot ύπόστασισ était également diversement interprété dans le double sens de substance et de personne. De ces interprétations diverses naissait une confusion, une obscurité dont les hérétiques, soutenus par le pouvoir impérial, abusaient.
Mais si, par politique, les ariens voulaient dissimuler
leurs véritables sentiments, certains théologiens qui, au fond, pensaient comme eux, n’avaient pas les mêmes motifs pour dissimuler leurs opinions. De ce nombre était Aëtius1. Cet homme, natif de Célésyrie, avait d’abord été orfèvre ; obligé, à la suite d’un vol, de s’expatrier, il se réfugia à Alexandrie où il se mit à étudier la médecine et la philosophie d’Aristote. Il se distingua par sa dialectique vigoureuse et ses connaissances. S’étant rendu à Antioche, l’évêque Leontius l’ordonna diacre et le chargea de l’enseignement, probablement dans l’école ecclésiastique. Il eut alors des discussions avec les principaux ariens, en particulier avec Basile d’Ancyre, un des plus savants évêques du parti arien. Obligé de retourner à Alexandrie, il y connut Eunomius qui devint son disciple. Tous deux se posèrent en ariens logiques et conséquents ; Eunomius était natif de Cappadoce. Sa science attira l’attention sur lui, et il fut élu évêque de Cyzique en Mysie. Eunomius, comme son maître Aëtius, enseignait ouvertement que le Fils n’était, ni de la même substance que le Père, ni d’une substance semblable. C’était un être tout à fait distinct du Père et qui avait été créé. Ils appuyaient cette théorie sur des raisonnements philosophiques dont le principal était que la substance divine ne pouvait être en même temps non engendrée dans le Père et engendrée dans le Fils ; que ce qui était engendré, était un produit, le résultat d’un acte de la puissance, une créature.
Les ariens hypocrites s’élevèrent avec autant d’énergie que les orthodoxes contre les doctrines d’Aëtius et d’Eunomius ; ce zèle ne contribua pas peu à tromper les orthodoxes qui s’habituèrent à ne voir, dans leur opposition à Ι’όμοούσιος et à saint Athanase, qu’un excès de précaution contre de mauvaises doctrines. Ils proposaient de remplacer l’expression adoptée à Nicée par une autre qui, selon eux, avait le même sens et lui res
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1 Voy. Philostorg., Hist. Eccl. Epitorn., lib. VIII, c. 18 ; Theodor., Hoeres. Fabul., lib. IV, c. 5 ; Epiphan., Haeres., 76 ; Fabric., Bibliotheca grœca.
En analysant les ouvrages des Pères de l’Eglise, et particulièrement ceux de saint Basile de Cæsarée et de saint Grégoire de Nysse, nous aurons occasion d’exposer les doctrines d’Eunomius et leur réfutation.
semblait même extérieurement, et qui n’avait point les inconvénients de ia première ; Cette expression était όμοιούσιος. Il n’y avait qu’une lettre ; ι, ajoutée au mot du symbole de Nicée, et l’expression signifiait semblable en substance. On pouvait l’interpréter d’une manière orthodoxe ; mais, en même temps, elle se prêtait à un sens arien que les chefs du parti prenaient bien soin de dissimuler.
Afin d’habituer les esprites à l’expression de leur choix, ces chefs rédigèrent un grand nombre de formules de foi, dans lesquelles ils semblaient entourer la saine doctrine de toutes les garanties désirables. Nous en avons cité plusieurs émanant du concile d’Antioche dit de la Dédicace. A Sirmium, en 351, on renouvela une de ces formules à laquelle on ajouta vingt-sept anathèmes1. La plupart sont dirigés contre les erreurs de Marcellus d’Ancyre et de Photinos, mais le premier l’était également contre l’arianisme proprement dit. Il est en effet ainsi conçu : « Ceux qui disent que le Fils vient des non- êtres (du néant) ou d’une autre substance, mais non de Dieu ; et qu’il fut un temps ou un siècle où il n’était pas, la sainte et catholique Eglise les considère comme étrangers. »
Mais, en acceptant que le Fils venait de la substance divine, les ariens dissimulés refusaient de croire qu’il fût de la même substance que le Père ; en même temps, ils enseignaient que la substance divine était indivisible. Leur système n’était pas logique ; les orthodoxes et les vrais ariens, comme Eunomius, n’avaient pas de peine à le démontrer ; mais ils s’en tenaient à cette demi-orthodoxie, et cherchaient à la faire prévaloir, faisant également persécuter par leur empereur, et les orthodoxes et les partisans d’Aëtius et d’Eunomius. Cependant ils comprirent bientôt que le mot όμοωόσιος, sans satisfaire les orthodoxes, prêtait aux ariens des arguments invincibles contre eux. C’est pourquoi, en 357, ils crurent utile de
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1 C’est ce qu’on a appelé la première formule de Sirmium. Voy. s. Athan., De Synod., § 27 ; S. Hilar. Pictav., De Synod., § 38.
rédiger une nouvelle profession de foi1, afin de faire disparaître également les deux expressions όμοούσιος et όμοιουσιος comme étant également défectueuses et ne se trouvant point dans la sainte Ecriture. Ils se contentèrent donc de dire que le Fils unique de Dieu avait été engendré du Père avant tous les temps.
Cette formule fut envoyée à toutes les Eglises. Plusieurs ariens, réunis à Antioche, répondirent par une lettre dans laquelle ils félicitaient les auteurs de la formule d’avoir ramené l’Occident à l’orthodoxie.
L’Eglise des Gaules était bien éloignée de cette conversion, comme nous l’avons constaté plus haut.
A la même époque, un certain nombre d’évêques orientaux se réunirent à Ancyre pour la consécration d’une nouvelle Eglise. Ils se crurent obligés de traiter des questions qui agitaient alors le monde, et ils rejetèrent, comme les évêques de Sirmium, les deux expressions qui avaieïit été le prétexte de tant de discussions2.
En résumé, ils enseignent que le Père est le principe d’une substance semblable à la sienne. Cette seconde substance ne peut donc être une créature comme les autres, puisque les relations entre Père et Fils ne sont pas les mêmes que celles qui existent entre le créateur et l’objet créé. Le Λογοσ ou Verbe n’est pas Fils de Dieu, comme les êtres auxquels on a donné ce titre d’une manière métaphorique ; il l’est réellement, en toute vérité. Les Pères du concile condamnèrent, en dix-huit anathèmes, les ariens rigides qui ne faisaient du Verbe qu’une créature, et les orthodoxes qui ne voulaient pas sacrifier le consubstantiel.
Les députés du concile d’Ancyre trouvèrent à Sirmium ceux du concile d’Antioche. Ces derniers avaient gagné Constantius à la cause de l’arianisme représenté à Antioche principalement par Eudoxius, évêque de
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1 On la connaît sous le titre de seconde formule de Sirmium. Voy. s. Athan. De Synod., §28 ; s. Hilar. Pictav., De Synod., c. 11 ; Socrat., Hist. Eccl. lib. II, c. 50.
2 Socrat., Hist. Eccl.. lib. II, c. 57 ; Sozom., Hist. Eccl., lib. IV, c. c. 12, 15 ; Theodor., Hist. Eccl., lib. II, c. 25 ; Epiph., Hœres., 75 ; s. Hilar. Pictav., De Synod.,
cette ville, Acacius de Cæsarée en Palæstine et Uranius de Tyr. Mais, à l’arrivée des députés d’Ancyre, Constantius modifia ses opinions, redevint arien dissimulé, ou, comme on a dit depuis, semi-arien, et fit tenir, à Sirmium, un concile qui dressa une nouvelle formule de foi1. Comme elle fut lue au concile de Rimini, nous la traduirons ci-après.
Tel était l’état des discussions à l’époque où Constantius convoqua les deux conciles de Rimini et de Seleucie pour faire adopter universellement la troisième formule de Sirmium (359). Il voulait établir l’uniformité dans l’erreur ; mais, au lieu d’atteindre ce but, il augmenta les divisions ; en effet, à Rimini, les évêques occidentaux ne furent pas d’accord et à Seleucie, les orientaux soulevèrent une nouvelle discussion2.
Les évêques occidentaux se trouvèrent à Rimini au nombre de plus de quatre cents3, venus d’Illyrie, d’Afrique, des Espagnes, des Gaules et de Bretagne.
Constantius leur écrivit deux lettres4 pour les engager à ne s’occuper que de la foi, et à ne point discuter les affaires personnelles des évêques orientaux ; car les décisions qu’ils pourraient prendre contre eux, en leur absence, seraient de nul effet.
Conformément à ces lettres, on convint que l’on ne s’occuperait pas d’Athanase, mais uniquement de la question de foi. Germinius, Auxentius, Demophilos et Caïus émirent cet avis. Ursace et Valens ajoutèrent que, pour éviter toute discussion, il fallait abandonner tout ce qui avait été écrit jusqu’alors, rejeter toutes les anciennes professions de foi, et en promulguer une qui exposerait la doctrine avec exactitude. Ils proposèrent donc la troisième formule de Sirmium, rédigée par eux quelques mois auparavant, et qu’ils avaient tenue secrète jusqu’alors5. Telle était cette formule de foi :
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1 Elle est connue sous le titre de troisième formule de Sirmium.
2 Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 37. Socrate, en s’exprimant ainsi, fait allusion aux faits qui suivirent le vrai concile de Rimini.
3 Sulpit. Sev., Hist. saep., lib. Il, §41 ; Sozom.,Hist. Eccl., lib. IV, c. 17.
4 Epist. Const., ap. s. Hiiar. Pictay., Fragment. VII, § 1.
5 Socrat., loc. cit. Celte remarque de Socrate prouve que ce ne fut pas la troisième formule de Sirmium qui fut signée par Osius et Liberius, mais bien
« Nous croyons en un seul et vrai Dieu, Père Tout- Puissant, créateur et fondateur de toutes choses ; et en un Fils, unique, lequel, avant tous les siècles, avant tout commencement, avant tout temps intelligible, avant toute idée compréhensible, a été engendré de Dieu sans passion ; par lequel les siècles ont été établis et toutes choses ont été faites : Il a été seul engendré, seul de seul, Dieu de Dieu, semblable au Père qui l’a engendré, selon les Ecritures ; personne n’a connu sa génération, si ce n’est le Père qui l’a engendré. Nous savons que ce Fils unique de Dieu, avec l’assentiment du Père, est venu du ciel sur la terre pour abolir le péché ; qu’il est né de la vierge Marie ; qu’il a vécu avec ses disciples ; qu’il a accompli sa mission selon la volonté du Père ; qu’il a été crucifié et qu’il est mort ; qu’il est descendu aux enfers, où il fit ce qu’il avait à y régler ; que les portiers des enfers tremblèrent à son aspect. Il ressuscita le troisième jour, et vécut avec ses disciples. Après quarante jours accomplis, il monta aux cieux où il est assis à la droite du Père. Au dernier jour, il viendra dans la gloire du Père pour distribuer à chacun le prix de ses œuvres.
« Nous croyons aussi au Saint-Esprit que le Fils unique de Dieu, Jésus-Christ, a promis d’envoyer au genre humain comme consolateur et avocat, selon qu’il est écrit : Je vais à mon Père et je le prierai ; et il vous enverra un autre consolateur : l’Esprit de vérité. Celui-ci recevra de moi, et il vous instruira et vous inspirera toutes choses. »
La question relative au Saint-Esprit commençait à être soulevée par Aëtius et Eunomius. C’est pourquoi on inséra dans le symbole un article sur ce sujet. Il est à remarquer qu’il n’y est question que de la mission extérieure que le Saint-Esprit avait reçue du Père et du Fils.
Ursace et Valens avaient ajouté la note suivante à leur formule de foi : « Quant au mot de substance dont
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la seconde, comme nous l’avons dit, laquelle avait été rédigée au commencement de l’année 358, époque du retour de Liberius à Rome.
La formule, donnée ici par Socrate, a été également copiée par saint Athanase, Le Synod., § 8.
les Pères se sont servis dans leur simplicité et qui n’est pas compris du peuple, il offusque un grand nombre, parce qu’il ne se trouve pas dans les Ecritures ; il nous a plu, pour ce motif, de le rejeter et de décider qu’on n’en fera pas mention, lorsqu’on parlera de Dieu, parce que les saintes Ecritures ne parlent nulle part ni de la substance du Père, ni de celle du Fils. Nous disons cependant que le Fils est en tout semblable au Père, comme les saintes Ecritures le disent et l’enseignent. »
Lorsque les deux hérétiques eurent fini leur lecture, ceux qui ne partageaient pas leurs opinions se levèrent et dirent : « Nous ne sommes pas venus ici pour faire des formules de foi ; car nous conservons intacte la foi que nos ancêtres nous ont léguée, et nous ne sommes venus que pour condamner la nouveauté qui contredirait cette foi ancienne. Si ce que vous venez de lire ne contient rien de nouveau, dites anathème à l’hérésie d’Arius, à l’exemple de l’ancienne Eglise qui a rejeté toutes les autres hérésies comme autant d’impiétés. En effet, il est très-évident pour le monde entier que la doctrine impie d’Arius a excité dans l’Eglise, jusqu’à ce jour, de grands troubles et de nombreuses divisions. »
Ursace, Valens, Germinius, Auxentius, Demophilos et Caïus ayant refusé de condamner l’arianisme, l’assemblée fut profondément divisée. Les uns adhéraient à la nouvelle formule de foi ; les autres se rattachaient à l’ancien symbole de Nicée, et se moquaient de l’inscription qui avait été mise en tête de la nouvelle formule. On y donnait en effet à Constantius le titre d’Éternel que les ariens refusaient à Jésus-Christ ; et ils avaient eu soin de marquer sous quels consuls le nouveau symbole avait été rédigé, comme pour donner la date exacte de leur nouvelle doctrine1.
Les évêques de Rimini opposèrent à la formule des ariens la protestation suivante qu’ils signèrent2 :
« Quoique les blasphèmes d’Arius aient été condamnés précédemment, ils étaient restés obscurs, et
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1 Socrat., loc. cit. ; s. Athan., De Synod., §§ 8 et 9.
2 Hilar. Piclav., Fragment. VII, § 4.
l’on avait oublié qu’il eût blasphémé. Mais, par la grâce de Dieu, il est arrivé que, nous étant assemblés à Rimini, cette hérésie pestilentielle a reparu. C’est pourquoi, avec ses blasphèmes, nous condamnons toutes les hérésies anciennes qui se sont élevées précédemment contre la catholique et apostolique tradition, comme elles ont été condamnées par les anciens conciles en divers lieux.
« Nous anathématisons ceux qui disent que le Fils de Dieu est venu du néant, et d’une autre substance, et qu’il n’est pas né de Dieu le Père, vrai Dieu de vrai Dieu.
« Si quelqu’un dit que le Père et le Fils sont deux Dieux, c’est-à-dire deux principes innés, et ne confesse pas que le Père et le Fils ont la même divinité, qu’il soit anathème !
« Si quelqu’un dit que le Fils de Dieu est créature et qu’il a été fait, qu’il soit anathème !
« Si quelqu’un dit que le Père lui-même est né de la vierge Marie, et que le Père et le Fils sont la même chose, qu’il soit anathème !
« Si quelqu’un dit que le Fils de Dieu a pris son commencement de Marie, et qu’il y eut un temps où le Fils n’était pas encore, qu’il soit anathème !
« Si quelqu’un dit que le Fils n’est pas né du Père véritablement et d’une manière inénarrable, mais qu’il a été son Fils adoptif, qu’il soit anathème !
« Si quelqu’un dit que le Fils de Dieu n’a été qu’un pur homme, né dans le temps, et ne professe pas qu’il est né de Dieu le Père avant tous les siècles, qu’il soit anathème !
« Si quelqu’un dit que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont qu’une personne, ou sont trois substances séparées, qu’il soit anathème !
« Si quelqu’un dit que le Fils a été avant tous les siècles, mais non avant tout temps, afin de lui assigner une époque, qu’il soit anathème !
« Si quelqu’un dit que toutes choses n’ont pas été créées par le Verbe, mais sans lui ou ayant lui, qu’il soit anathème !
« S’il existé d’autres blasphèmes, soit d’Arius, soit
de tout autre, nous les anathématisons également. » Après que les membres du concile, excepté les ariens nommés ci-dessus, eurent signé ces anathèmes, Græcianus, évêque de Galles en Italie, se leva et dit1 :
« Très-chers frères, le concile catholique a eu autant de patience qu’il était convenable d’en avoir, et s’est montré une assemblée pleine de charité envers Ursace, Valens, Germinius, Caïus et Auxentius qui ont troublé toutes les Eglises en changeant si souvent de doctrine, et qui s’efforcent encore de faire pénétrer dans les esprites des chrétiens leurs opinions hérétiques. Ils veulent, en effet, renverser les décisions prises à Nicée contre l’hérésie d’Arius et les autres. Ils nous ont apporté une nouvelle formule de foi écrite par eux, et qu’il ne nous était pas permis d’accepter. Il y a longtemps que nous les connaissions comme hérétiques ; aujourd’hui, en leur présence, nous devons les condamner de vive voix et déclarer que nous ne les admettons pas à notre communion. Déclarez ouvertement ce que vous décidez et signez-le. »
Tous les évêques répondirent : « Il nous plaît que les susdits hérétiques soient condamnés, afin que la foi vraiment catholique demeure inébranlable, et que l’Eglise jouisse d’une paix perpétuelle. »
Tous les membres, à. part les excommuniés, furent unanimes dans cette décision2.
Les évêques excommuniés quittèrent le concile, et se hâtèrent d’aller trouver Constantius, auquel ils remirent la formule de foi qui avait été rejetée. Le concile, de son côté, notifia à l’empereur, dans la lettre suivante, ce qu’il avait fait3 :
« Nous croyons que c’est par la volonté de Dieu que Ta Piété a ordonné aux évêques de diverses provinces occidentales de s’assembler à Rimini, afin que la foi pût luire aux yeux de tous les fidèles de l’Eglise catholique,
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1 Hilar. Pictav., Fragment. VII, §4 ; Athan., De Synod., § 11.
2 Athan., De Synod., § 11.
3 Cette lettre est citée par Socrate (loc. cil.) ; par saint Athanase, De Synod., §10 ; par saint Hilaire de Poitiers, Fragment. VIII ; par Theodor., Hist. Eccl„ lib. II, c. 15 ; par Socrate, (loc.cit.) ; par Sozom., Hist. Eccl., lib. IV, c. 18.
et que les hérétiques fussent connus. Lorsque nous tous qui avons conservé la vraie foi, nous avons été réunis, il nous a plu de rendre témoignage à cette foi que nous avons toujours professée, qui nous est venue de l’antiquité par le moyen des prophètes, des Évangiles, des apôtres et de notre Seigneur et Dieu Jésus-Christ, Sauveur de ton empire et auteur de ton salut. Il nous a paru criminel, de mutiler en quoi que ce soit les doctrines décrétées sainement et exactement par ceux qui se réunirent à Nicée avec le père de Ta Piété, Constantin de glorieuse mémoire ; Ce qui a été fait alors est connu, a pénétré l’esprit des peuples, et est si précis contre l’hérésie d’Arius que, non-seulement cette hérésie, mais d’autres encore, viennent s’y briser. Si l’on retranchait quelque chose, la porte serait ouverte pour les hérésies.
« Ursace et Valens, ayant été soupçonnés de suivre l’hérésie d’Arius, furent excommuniés. Ils ont demandé pardon, comme leurs propres écrites le prouvent, et ils l’ont obtenu au concile de Milan, en présence des délégués de l’Eglise romaine. Ceci fut consigné en présence de Constantin1, après un sérieux examen ; et c’est dans cette foi que cet empereur, ayant été alors baptisé, s’en alla au repos du Seigneur ; nous pensons qu’il serait criminel de changer quelque chose à cette foi qui a été celle de tant de saints et de confesseurs, successeurs de martyrs, lesquels avaient conservé auparavant les traditions de l’Eglise catholique. Cette foi a persévéré jusqu’à ce temps où Ta Piété a reçu de Dieu le Père, par notre Dieu et Seigneur Jésus-Christ, le pouvoir de gouverner le monde.
« Ces hommes sont vraiment malheureux et doués d’une pauvre sagesse, qui osent avec tant de témérité se donner comme les prédicateurs d’une doctrine impie, et qui essayent de renverser ce qui a été édifié avec tant de raison ! Lorsque, conformément aux lettres de Ta Piété, nous devions traiter de la foi, les susdits pertur-
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1 Il s’agit ici de Constantin le jeune, frère de. Constantius, lequel avait assisté au concile de Milan mentionné en cet endroit.
bateurs de l’Eglise nous présentèrent, d’accord avec Germinius, Auxentius et Caïus, nous ne savons quelle pièce, laquelle contenait beaucoup d’assertions hérétiques. Voyant que leur écrit déplaisait au concile, ils jugèrent bon d’en modifier la rédaction, et ils lui firent subir plusieurs changements. Mais, afin que les Eglises ne soient plus troublées à l’avenir, il nous a plu de ratifier l’ancienne foi, de la conserver dans sa pureté, et de séparer de notre communion les susdits perturbateurs.
« Pour faire connaître nos décisions à Ta Clémence, nous t’avons envoyé des délégués porteurs de cette lettre. Nous ne leur avons fait que cette recommandation : de considérer que l’unique but de leur mission était de se prononcer fermement en faveur des anciennes décisions, et de faire savoir à Ta Sagesse que, si l’on en retranchait quelque chose, il serait impossible d’obtenir la paix, malgré les promesses qu’en avaient faites Ursace, Valens, Genuinius et Caïus. Comment en effet pourraient-ils procurer la paix, ceux qui sont auteurs des troubles ? Ils ont, en effet, troublé plus que jamais toutes les provinces et surtout l’Eglise romaine. »
Ces troubles de l’Eglise romaine venaient peut-être des concessions que les évêques susnommés avaient obtenues de Liberius et qui avaient détourné de cet évêque un grand nombre de fidèles. De l’aveu de tous les historiens, Felix, concurrent de Liberius, était resté orthodoxe. Les ariens qui l’avaient choisi, lorsque Liberius s’était déclaré pour la saine doctrine, auraient voulu que les deux évêques continuassent à gouverner ensemble l’Eglise de Rome1 ; mais Liberius, aussitôt après son arrivée à Rome, en avait chassé Félix. Nous ne croyons donc pas que les paroles des Pères de Rimini fassent allusion aux discussions relatives à la possession ou au partage du siège romain, mais bien aux luttes entre les orthodoxes et les fauteurs de l’arianisme qui excusaient la faiblesse de Liberius. C’est ainsi que les évêques ariens de la cour de Constantius étaient cause des troubles qui existaient dans l’Eglise romaine.
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1 Sozom., Hist. Eccl., lib. IV, c. 15.
Il est probable qu’à cause de ces troubles, Liberius ne put se rendre à Rimini ; mais on peut croire que la décision prise par ce concile lui ouvrit les yeux et qu’il y adhéra1. Les évêques de Rimini continuent ainsi :
« Nous prions donc Ta Clémence de recevoir nos délégués, de les écouter avec bienveillance, et de ne pas permettre que l’on ébranlé, en quoi que ce soit, ce que nous avons reçu de nos Pères, lesquels, nous en avons la confiance, ont été prudents et n’ont pas agi sans l’assistance de l’Esprit-Saint. Non-seulement les fidèles ont été troublés par la nouveauté, mais les infidèles sont détournés de la foi. Nous vous prions aussi de permettre à tant d’évêques qui sont à Rimini de retourner à leurs Eglises ; car un grand nombre d’entre eux sont vieux et pauvres, et les fidèles pourraient souffrir de leur absence. Nous insistons principalement sur ce point : que rien ne soit innové, ne soit retranché ; qu’on laisse dans leur intégrité les choses qui ont été décidées du vivant de ton père et qui ont été maintenues jusqu’à ce temps. Que Ta pieuse Sagesse ne permette pas que l’on nous fatigue à l’avenir en nous obligeant à quitter nos sièges, afin que les évêques puissent tranquillement, avec leurs peuples, continuer à prier pour ton salut, pour ton règne, et pour que Dieu t’accorde selon tes mérites, une longue et profonde paix. Nos délégués te transmettront, nos noms et nos signatures avec les leurs, et te remettront un autre écrit pour l’instruction de Ta pieuse et religieuse Prudence. »
On doit remarquer ce qui est dit dans cette lettre de la pauvreté de certains évêques. Sulpice-Sévère avait appris à ce sujet cette anecdote de plusieurs évêques qui avaient assisté au concile :
« L’empereur, dit-il2, avait ordonné de fournir aux évêques les choses nécessaires. Ceci parut inconvenant aux évêques d’Aquitaine, des Gaules et de Bretagne, et ils aimèrent mieux vivre à leurs frais qu’aux dépens du fisc. Cependant trois évêques bretons étaient si pauvres
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1 On verra plus bas sur quelle preuve nous appuyons cette probabilité.
2 Sulpit. Sev., Hist. sacr., lib. II, § 11.
qu’ils étaient obligés de vivre sur les deniers publics ; les autres leur avaient bien offert ce qui leur était nécessaire, mais il leur semblait qu’il valait mieux être à. charge à l’État qu’à des particuliers. J’ai entendu, continue Sulpice-Sévère, notre évêque Gavidius raconter ce fait en blâmant les trois évêques bretons ; mais je ne partage pas du tout son avis. Je loue ces évêques d’avoir été si pauvres qu’ils n’avaient rien en propre, et d’avoir préféré recevoir du fisc pour n’être à charge à personne. Sur ces deux points, ils ont donné un bon exemple. »
Sulpice-Sévère donne cet autre détail : que, à l’ouverture du concile, les ariens étaient au nombre de soixante-dix, et se réunissaient dans un bâtiment profane qu’ils transformèrent en temple. Les catholiques, de beaucoup les plus nombreux, se réunissaient dans l’Eglise de la ville.
Nous pensons que la plupart de ces ariens se joignirent à la majorité, puisqu’on ne condamna comme tels que les cinq que nous avons nommés. Ceux que l’historien désigne comme ariens étaient sans doute des hommes faibles, prêts à faire des concessions comme Liberius, mais qui, au fond, ne voulaient pas trahir la foi. L’arianisme proprement dit n’a jamais eu assez d’importance en Occident pour y être représenté par soixante évêques.
Ursace et Valens étaient arrivés auprès de l’empereur avant les délégués du concile1. Ils n’eurent pas de peine à lui inspirer de mauvaises dispositions contre 1’assemblée de Rimini. Il affecta de les combler d’honneurs, tandis qu’il ne donnait même pas audience aux délégués. Il se décida enfin à écrire aux évêques assemblés à Rimini un simple billet pour leur dire que, obligé de s’occuper d’affaires fort importantes, il avait donné avis aux vingt délégués du concile d’aller l’attendre à Andrinople, où il leur remettrait sa réponse par laquelle ils sauraient ce qu’ils auraient à décider pour le bien de
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1 Theod., Hist. Eccl., lib. II, c. 16 ; Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 37 : Sozom., Hist. Eccl., lib. IV, c. 19 ; Sulpit. Sev., Hist. sacr., lib. Il, § 43, 44.
l’Eglise. En attendant, les évêques devaient rester à Rimini.
Ceux-ci, à la réception de ce billet, répondirent qu’ils n’avaient d’autre décision à prendre que celle qu’ils avaient prise, et dont leurs délégués étaient porteurs, c’est-à-dire qu’ils s’en tenaient aux anciennes décisions. Ils priaient en conséquence Constantius de lire leurs lettres, d’écouter leurs délégués, et de leur permettre de retourner à leurs Eglises avant l’hiver.
L’empereur n’ayant pas répondu à cette lettre, les évêques, après avoir attendu quelque temps, retournèrent à leurs Eglises pour la plupart. Constantius considéra ce départ comme une injure faite à sa personne, et il disait que les évêques avaient témoigné du mépris pour lui en terminant le concile sans attendre sa permission. Pour se venger, il donna à Ursace, à Valens et à leurs adeptes, la liberté de faire ce qu’ils voudraient contre les Eglises, ordonna d’adresser à toutes les Eglises d’Italie la formule de foi rejetée par le concile de Rimini, et prescrivit que tous les évêques qui refuseraient de la souscrire seraient chassés de leurs Eglises et remplacés. Liberius, évêque de Rome, se repentant des concessions faites par lui à l’arianisme, refusa de signer la formule rejetée par le concile de Rimini, et fut de nouveau condamné à l’exil1. La mort de Constantius le sauva de cette nouvelle épreuve. L’Occident fut parcouru en tous sens par les ariens ; les évêques qui refusaient de signer leur formule étaient persécutés. Après avoir jeté le trouble partout, ils se dirigèrent vers une ville de Thrace nommée Nice. Les députés du concile de Rimini y avaient
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1 Socrate (Hist. Eccl,, lib. II, c. 57) confond le second exil de Liberius avec le premier qu’il ne connaissait pas. Sozomèn parle du premier exil de l’évêque de Rome (Ibid., lib. IV, c. 11), de sa chute (Ibid., c. 15), enfin de sou second exil (Ibid., c. 19). Les historiens et les érudits n’ont pas assez remarqué ces divers récits de Sozomène qui parait avoir été fort instruit de ce qui concernait l’Eglise romaine, et n’ont admis qu’un exil de Liberius. A notre avis, le récit de Sozomène mérite la plus grande considération. Il prouve que Liberius répara ses faiblesses ; c’est pourquoi il mérita de passer pour saint, même en Orient. Sa pénitence fit presque oublier sa faute, et l’on comprend comment Ruffin déclarait ne pas savoir positivement si Liberius avait dû son retour à Rome à ses concessions, ou à l’intervention du peuple romain. (Ruff., Hist. Eccl., lib. I, c. 26.) Cet historien ignorait aussi ce qui s’était passé à Rimini. (Ibid., c. 21.)
été envoyés, en attendant la réponse impériale1. Ils y réunirent en concile tous les évêques qu’ils avaient gagnés à leur cause, traduisirent en grec la formule qu’ils avaient présentée en latin au concile de Rimini, et répandirent en Orient le bruit qu’elle avait été adoptée par le concile. Ils abusèrent du nom de la ville où ils étaient réunis (Νίκη) et le mirent en tête de leur formule, afin de faire croire aux ignorants que cette formule n’était que le symbole proclamé à Nicée. Les délégués du concile de Rimini se laissèrent séduire par les ariens ; à leur tête était Restitutus de Carthage2. Il prit la parole dans le conciliabule de Nice pour déclarer que c’était à tort que l’on avait excommunié à Rimini, Ursace, Valens, Germinius et Caïus ; qu’ils n’avaient jamais été hérétiques ; que toute la discussion avait roulé sur des expressions incompréhensibles qu’il fallait abandonner pour l’amour de la paix et de la concorde. Il faut donc, dit-il, déclarer nul tout ce qui a été fait à Rimini. Tous les évêques présents adhérèrent à cette déclaration et écrivirent à Constantius une lettre flatteuse dans laquelle ils remerciaient Dieu et l’empereur de l’heureux résultat de l’assemblée, priant ce dernier de leur permettre de retourner à leurs Eglises pour y enseigner la vraie foi débarrassée des mots de substance et de consubstantiel, lesquels avaient causé toutes les discussions.
Les délégués du concile de Rimini eurent la permission d’aller retrouver les évêques qui étaient, restés dans cette ville en attendant la réponse de l’empereur. La plupart d’entre eux cédèrent comme les délégués, et prétendirent qu’il ne fallait pas se diviser pour le mot substance qui n’était pas dans l’Ecriture. Vingt seulement résistèrent avec énergie. A leur tête étaient Phœbadius d’Agen et Servatius de Tongres. Le lieutenant de l’empereur, Taurus, les suppliait avec larmes de céder enfin et de suivre l’exemple de leurs collègues ; mais Phœbadius répondit : « Je suis prêt à partir pour l’exil et à souffrir
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1 Socrat.. Hist. Eccl., lib. H, c. 37 ; Sozom., Hist. Eccl, lib. IV, c. 19.
2 S. Hilar. Pictav., Fragment. VIII, §§ 5, 6, 7 ; Fragment. IX, §§ 1, 2, 3.
tous les supplices, plutôt que de consentir à ce que l’on me demande, et d’adhérer à la formule rédigée par les ariens. »
Ursace et Valens avaient suivi les délégués à Rimini. En présence de la fermeté de Phœbadius et des autres orthodoxes, ils résolurent d’user de ménagements. Phœbadius et Servatius purent proposer au concile la condamnation de l’arianisme. Au moment où ils frappaient d’anathème toutes les erreurs de la secte, Valens semblait y adhérer et, comme pour confirmer les condamnations prononcées, il éleva la voix et dit : « Si quelqu’un dit que le Fils de Dieu est créature comme les autres créatures, qu’il soit anathème ! » Qu’il soit anathème, répondit le concile, croyant décider que le Fils de Dieu n’était pas créature, tandis que Valens disait seulement qu’il n’était pas une créature comme les autres.
Le concile se sépara sur ce malentendu dont les ariens voulurent abuser pour faire croire que leur hérésie avait été ratifiée par le concile de Rimini.
Au fond, il n’en était rien. D’abord la plupart des évêques avaient déjà quitté Rimini avant le conciliabule de Nice et le retour des délégués. De plus, on ne pouvait reprocher à ceux qui étaient restés qu’une inadvertance. Seulement, on ne peut nier qu’un grand nombre d’évêques occidentaux n’aient commis alors la même faute que Liberius, en se montrant prêts à sacrifier le mot consubstantiel, unique sauvegarde de l’orthodoxie contre les perfidies de l’arianisme.
Tandis que ces événements avaient lieu en Occident, les évêques orientaux étaient réunis à Seleucie, en Isaurie, au nombre de cent soixante environ1. Plusieurs d’entre eux étaient sous le poids d’accusations fort graves touchant la foi. Les accusateurs étaient les plus nombreux. Les accusés se groupèrent autour d’Acacius, évêque de Cæsarée en Palæstine. Oh leur donna le titre d’acaciens. Ils se prononcèrent ouvertement contre les décrets du concile de Nicée et élevèrent dès récrimina-
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1 S. Athan., De Synod., S 12.
tions contre cette vénérable assemblée. Les autres acceptaient les décrets de Nicée, et abandonnaient seulement le mot consubstantiel qui se prêtait à de mauvaises interprétations à cause de son obscurité. De vives discussions s’élevèrent entre les acaciens et les autres évêques, lesquels, scandalisés de l’audace de ces hérétiques formels, déposèrent de l’épiscopat Acacius de Cæsarée ; Patrophilos de Scythopolis ; Uranius de Tyr ; Eudoxius d’Antioche ; George d’Alexandrie ; Leontius, Theodosius, Evagrius et Theodulus. Ils séparèrent de leur communion Asterius, Eusebius, Augarus, Basilicus, Phœbus, Fidelius, Eutychius, Eustathius et Magnus, lesquels, ayant été cités pour répondre aux accusations élevées contre eux, n’avaient pas comparu. Le concile décréta qu’ils resteraient excommuniés jusqu’à ce qu’ils eussent prouvé leur innocence. Après avoir envoyé leurs décrets dans tous les diocèses, les évêques se rendirent auprès de Constantius, selon l’ordre qu’ils en avaient rèçu, afin de lui en donner connaissance.
Saint Athanase n’a donné que ces notions générales sur le concile de Seleucie. Saint Hilaire de Poitiers, qui y assista1, en parle ainsi : « Ce que je vais dire, je ne l’ai point appris des autres, je l’ai entendu moi-même, et j’ai vu tout ce qui a été fait dans le concile de Seleucie, où l’on a prononcé autant de blasphèmes que Constantius pouvait en désirer. Cent cinq évêques se prononcèrent pour le mot semblable en substance ; dix-neuf rejetèrent toute parité entre la substance du Père et celle du Fils ; seuls, les Egyptiens, excepté l’intrus Georges d’Alexandrie, se déclarèrent pour le consubstantiel2. Par ordre du comte Léonas, tous les évêques, malgré la diversité de leurs doctrines, se réunirent en une seule assemblée. Les uns et les autres exposaient leurs systèmes. Les ariens ou acaciens ne dissimulaient point leurs hérésies. Ils disaient ouvertement que le Fils était créa-
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1 S. Hilar. Piclav., lib. II, Cont. Constant., § 12 ; Sulpit. Sev., Hist. sacr., lib. II. § 45.
2 En rapprochant le chiffre donné par saint Athanase de ces indications de saint Hilaire, on peut conclure que les Egyptiens orthodoxes étaient, à Seleucie, au nombre de trente-six.
ture. » Le faux évêque d’Antioche, Eudoxius, afin de prouver que Dieu ne pouvait avoir de Fils, avait débité, dans un sermon, des infamies qui furent lues en plein concile et qui arrachèrent à saint Hilaire cette exclamation : « Que mes oreilles ont été malheureuses d’entendre de semblables paroles, prononcées par un homme contre Dieu, contre son Christ, et dans l’église même ! » Les infamies d’Eudoxius excitèrent un grand tumulte. Les ariens cherchèrent à expliquer leur doctrine à Hilaire ; mais le grand évêque, scandalisé de leurs impiétés, ne put y croire que lorsqu’elles furent avouées par eux publiquement.
Les historiens donnent de plus longs détails sur le concile de Seleucie1.
Les évêques s’assemblèrent en présence du comte Léonas, délégué de l’empereur, et de Lauricius, commandant des troupes d’Isaurie. A la première séance, Léonas ordonna que chaque évêque proposerait ce qu’il voudrait. Mais ceux qui étaient présents répondirent qu’ils n’avaient rien à proposer jusqu’à l’arrivée de ceux qui étalent absents. On attendait, en effet, Macedonius de Constantinople, Basile d’Ancyre, et quelques autres qui craignaient d’être mis en accusation. Macedonius s’était fait excuser sous prétexte de maladie. Patrophilos disait que, souffrant beaucoup des yeux, il était obligé de rester dans un faubourg de Seleucie ; d’autres alléguaient divers prétextes pour excuser leur absence. Léonas ayant dit que les questions seraient soumises aux absents, ceux qui étaient présents décidèrent qu’on ne soulèverait pas de question doctrinale avant d’avoir examiné les griefs soulevés contre les personnes. Plusieurs évêques avaient été accusés, entre autres Cyrille de Jérusalem qui avait pour ennemi l’impie Acacius de Cæsarée ; Eustathe de Sébaste en Arménie ; et quelques autres.
Une grave discussion s’éleva entre les accusateurs et les défenseurs. Les uns voulaient examiner les causes
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1 Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 39 ; cet historien ne compte que cent- cinquante évêques présents à celle assemblée. Sozomène (Hist. Eccl., lib. IV, c. 22) eu compte cent soixante, comme saint Athanase.
personnelles ; les autres prétendaient qu’il fallait commencer par la question doctrinale. Les uns et les autres citaient en leur faveur des lettres contradictoires de l’empereur. Le concile fut donc divisé en deux partis, et la question doctrinale se trouva naturellement discutée. Les ariens avaient pour chef Acacius ; et les semi-ariens, Georges de Laodicée. Ce dernier parti était de beaucoup le plus nombreux.
Après une journée entière passée en discussions au sujet du concile de Nicée, Silvanus, évêque de Tarse, se leva et, élevant la voix pour dominer le tumulte, déclara qu’il ne fallait pas faire de nouvelle formule de foi, et que l’on devait se contenter de celle qui avait été rédigée par le concile de la Dédicace à Antioche.
En entendant cette proposition, les acaciens quittèrent le concile. Les autres se firent lire la formule d’Antioche, et, sans rien arrêter, levèrent la séance. Le lendemain, ils se rendirent au lieu des séances, fermèrent les portes et signèrent la formule d’Antioche lue la veille.
Acacius et les siens s’élevèrent hautement contre la précaution qu’on avait eue de fermer les portes1. « Ce que l’on fait en secret, disait-il, est mauvais et suspect. » Il ne parlait ainsi que parce qu’il avait rédigé une nouvelle formule qu’il voulait faire signer au concile, qu’il avait communiquée préalablement à Lauricius et à Léonas, et qu’il voulait absolument faire accepter.
On le laissa dire, pour ce jour-là ; et on n’entra pas en discussion.
Le troisième jour, Léonas engagea les deux partis à se réunir. Les acaciens firent des difficultés au sujet des évêques qui étaient sous le coup de leurs accusations2. On les pria de sortir et les acaciens alors entrèrent. Léonas prit la parole pour dire qu’il allait donner lecture d’une pièce à lui remise par Acacius. Il ne dit pas que c’était une formule de foi. Tous ayant fait silence, Léonas lut un écrit dans lequel il était dit : qu’on rejetait à égal
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1 Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 40.
2 Sozomène (Hist. Eccl., lib. IV, c. 22) dit que Macedonius de Constantinople et Basile d’Ancyre étaient arrivés à Seleucie pour cette séance.
titre les mots de consubstantiel, de semblable en substance et de dissemblable en substance, expressions qui avaient causé tant de troubles1. « Cependant, ajoutait Acacius, nous croyons que le Fils est absolument semblable au Père, selon la parole de l’apôtre qui a dit que le Fils est l’image du Dieu invisible. Nous croyons, de plus, en un Dieu Père Tout-Puissant… » Et là commençait une profession de foi analogue aux précédentes et qui était orthodoxe. Acacius et ses adhérents l’avaient signée.
Après l’avoir écoutée, Sophronius, évêque de Pompeiopolis en Paphlagonie, se leva et dit : « Si l’on appelle profession de foi l’exposition nouvelle de ses sentiments, nous n’avons plus de règle de vérité. »
Cette observation était aussi orthodoxe que profonde. Pour un évêque catholique, en effet, il ne s’agit pas de déclarer ce qu’il pense, mais quelle a été l’ancienne foi qui a été transmise et doit être conservée. En dehors de cette règle, il n’y a plus de règle de foi catholique. Sophronius ajouta : « Je vous affirme que si ceux qui ont précédé le concile de Nicée et ceux qui l’ont suivi avaient eu, touchant la foi proclamée à ce concile, les mêmes opinions qui viennent d’être exposées, il n’y aurait jamais eu de discussions ni de déchirements dans l’Eglise. »
En effet, tous auraient été ariens, et la doctrine d’Arius n’aurait excité contre elle aucune réclamation.
Une discussion s’éleva ensuite au sujet de la formule d’Acacius, et elle devint si vive qu’on fut obligé de lever la séance.
Le quatrième jour, tous les partis se réunirent de nouveau ensemble. La discussion recommença. Acacius soutint son sentiment. Eleusius de Cyzique lui répliqua, en insistant sur cette idée : que l’on devait s’attacher à la doctrine des Pères. Mais, comme le fait remarquer l’historien Socrate, il était facile de lui répondre que les Pères du concile de Nicée méritaient mieux ce titre que ceux du concile d’Antioche ; qu’il était mieux par conséquent
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1 όμοόυσιος… όμοιόυσιος… τό άνόμοιον. De ce dernier mot, on a fait le mot Anoméens pour désigner les acaciens ou ariens proprement dits.
de proclamer le symbole de Nicée que la formule du concile de la Dédicace. On demanda aux acaciens en quoi consistait cette similitude qu’ils professaient entre le Père et le Fils. Ceux-ci répondaient que c’était une similitude de volonté, mais non de substance. Les autres membres soutenaient qu’il y avait entre l’un et l’autre une similitude de substance. La discussion sur ce sujet dura toute la journée. On opposait à Acacius ses propres ouvrages dans lesquels il avait enseigné que le Fils était semblable au Père sous tous les rapports. « Personne, répondait Acacius, ni parmi les anciens, ni parmi les modernes, n’a été jugé d’après ses livres. » La prétention était singulière ; car c’est surtout dans ses livres qu’un écrivain expose sa doctrine. Comme les deux partis discutaient avec passion et ne pouvaient s’accorder, Léonas leva la séance. Comme on lui demandait, le lendemain, de réunir de nouveau le concile, il refusa en disant : « J’ai reçu pour mission de l’empereur d’assister à une assemblée, où il y aurait moyen de s’entendre. Comme l’accord est impossible, je ne puis plus y assister. Allez gazouiller comme vous voudrez dans l’église. » Les acaciens profitèrent de cette disposition de l’envoyé impérial pour ne plus paraître à l’assemblée. Les autres se réunirent et citèrent Acacius à venir rendre compte de la sentence qu’il avait prononcée contre Cyrille de Jérusalem.
Nous ferons bientôt connaître ce grand évêque. Il suffira de dire pour le moment qu’il avait été condamné et déposé par Acacius qui se croyait en droit d’en agir ainsi à cause de son titre de métropolitain de Palæstine. Condamné par Acacius, Cyrille en avait appelé dans les formes légales et l’empereur avait reçu son appel. C’était la première fois qu’un tel appel avait lieu, dit Socrate. Cité de nouveau par ses adversaires, il les avait récusés jusqu’au moment où un grand concile de l’Orient tout entier avait été convoqué à Seleucie. Il s’y était rendu et était disposé à répondre à ses accusateurs. Mais ceux-ci refusèrent d’obéir à la citation, car ils étaient eux-mêmes accusés de plusieurs délits que le concile voulait égale
ment juger. Sur leur refus de comparaître, ils furent condamnés1.
Mais Léonas et Lauricius entravèrent l’exécution des décrets du concile. C’est pourquoi les évêques se rendirent à. Constantinople pour en référer à l’empereur.
A leur tête était Macedonius, qui alors s’était attiré la disgrâce de l’empereur2. Ce fanatique abusait de son autorité au point de faire persécuter et exiler les catholiques et de détruire leurs Eglises. Les novatiens qui n’étaient séparés des catholiques que pour des questions de discipline, s’étaient également attiré les persécutions de Macedonius, à cause de leur orthodoxie. Réconciliés par leurs malheurs communs, catholiques et novatiens se réunirent dans les mêmes lieux de prières, et le schisme qui les séparait cessa à Constantinople. Il en fut de même à Mantinée, en Paphlagonie, où Macedonius envoya des soldats pour obliger les habitants à professer l’hérésie. Les habitants s’armèrent de haches et autres moyens de défense pour résister aux soldats. Un combat furieux s’engagea ; les habitants de Mantinée curent beaucoup à souffrir ; mais les soldats furent tués jusqu’au dernier. L’empereur attristé fît retomber ce malheur sur Macedonius. Il le rendit aussi responsable d’une émeute sanglante qui eut lieu à Constantinople, à l’occasion de l’exhumation de Constantin. Les catholiques regardaient comme un sacrilège cette exhumation du grand empereur orthodoxe. Macedonius y procéda néanmoins, ce qui fut cause d’une émeute dans laquelle il y eut beaucoup de sang répandu.
Constantius s’était rendu à Constantinople, sous l’impression de ces faits déplorables, et il en était affecté lorsque les membres du concile de Seleucie arrivèrent dans la ville impériale.
Les délégués du concile de Rimini s’y étaient également rendus, après avoir trahi, au conciliabule de Nice, en Thrace, le mandat qu’ils avaient reçu.
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1 Nous avons donné plus haut, d’après saint Athanase, les noms des évêques qui furent alors, soit déposés, soit excommuniés.
2 Sozom., Hist. Eccl., lib. IV, c. 20.
Constantius entreprit alors de mettre en rapport ces délégués avec les orientaux, de manière à rédiger une formule qui fût considérée comme celle de l’Eglise universelle1. Dans ce but, les acaciens s’assemblèrent à Constantinople avec quelques évêques de Bithynie, et acceptèrent la formule du conciliabule de Nice avec quelques modifications. C’était, dit Socrate, la onzième formule de foi qui était rédigée depuis celle de Nicée2. Elle conquit un nouvel adhérent dans Ulfilas, évêque des Goths qui ne suivit pas les traces de son prédécesseur Théophile. Ce dernier avait assisté au concile de Nicée et avait signé le symbole orthodoxe.
Les acaciens, sachant que l’empereur était’irrité contre Macedonius, profitèrent de cette circonstance pour le déposer comme coupable de plusieurs meurtres3. Us mirent à sa place Eudoxius qu’ils transférèrent du siège d’Antioche. Par une évidente contradiction, ils déposèrent Dracontius pour avoir échangé son siège de Galitie contre celui de Pergame. Ils déposèrent plusieurs autres semi-ariens, leurs adversaires, et Cyrille, évêque de Jérusalem.
Ils promulguèrent ensuite la troisième formule de Sirmium modifiée. Les délégués de Rimini la portèrent en Occident, ainsi qu’une lettre dans laquelle les délégués de Seleucie déclaraient, au nom de l’Orient, qu’ils étaient en communion avec eux4. Nous avons raconté plus haut ce qui se passa à leur arrivée à Rimini. La nouvelle formule de foi fut imposée à l’Occident ; un grand nombre d’évêques se laissèrent séduire et n’osèrent refuser leur signature. Leur faiblesse prouve que les évêques eux- mêmes, dans les questions de foi, ne peuvent parler avec fidélité et orthodoxie, qu’en laissant de côté leurs propres inspirations, qu’en s’attachant indissolublement à
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1 Socrat.. Hist. Eccl., lib. II, c. 41 ; Sozom., Hist. Eccl, lib. IV, c. 23.
2 Voici celles qu’indique Socrate : le symbole de Nicée, les deux formules du concile de la Dédicace à Antioche ; une troisième d’Antioche présentée à Constantin le Jeune par Narcissus, dans les Gaules ; celle qui fut envoyée par Eudoxius en Italie ; les trois de Sirmium ; celle dns acaciens à Seleucie ; enfin celle de Constantinople qui était la troisième de Sirmium avec modifications.
3 Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c.42.
4 S. Hilar. Pictav., Fragment. X.
la doctrine toujours crue dans l’Eglise. L’Eglise seule est infaillible dans le témoignage continu et universel qu’elle rend à la doctrine révélée, et les évêques ne peuvent être que les échos de cette autorité infaillible, en constatant la doctrine révélée toujours et universellement admise.
Mais il y eut, même dans les tristes circonstances que nous venons de décrire, de grands évêques qui protestèrent énergiquement en faveur de la pure doctrine. A leur tête était Athanase qui adressa à Constantius une apologie qui était en même temps sa défense personnelle et celle de la foi. Cet ouvrage d’Athanase est écrit avec une éloquence douce et persuasive. Le saint évêque y présente ses moyens de défense avec un art qui fait de son apologie une œuvre digne d’être placée à côté des harangues des premiers orateurs de l’antiquité. L’apologie de sa fuite au désert peut être considérée comme la suite de la précédente. Il s’y montre moins doux que dans la précédente ; il n’espérait plus amener Constantius à la justice et à la raison après l’indigne pamphlet dans lequel cet empereur, aussi lâche que froidement cruel, attaquait la fuite d’Athanase au désert comme une lâcheté. Il ne répond pas à Constantius directement, mais à Leontius d’Antioche, Narcissus de Néroniade et Georges de Laodicée, vrais auteurs du pamphlet. Il fait un tableau des crimes qu’ils ont commis, en troublant les Eglises, en exilant et tuant les évêques orthodoxes d’Orient C’est le sort qu’ils me préparaient, dit-il ; les ordres étaient déjà donnés, lorsque j’ai résolu d’échapper à leurs mauvais desseins. Leurs crimes, commis en Orient, ne les ont pas satisfaits. Ils ont fait exiler Liberius de Rome, Paulinus, évêque de la métropole des Gaules (Trèves) ; Dénis, évêque de la métropole de l’Italie (Milan) ; Lucifer, évêque de la métropole de Sardaigne (Cagliari) ; Eusèbe, évêque italien (de Verceil). Tous ces évêques étaient bons, défenseurs de la vérité, et ils ont été envoyés en exil uniquement pour leur opposition à
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1 S. Altran., Apolog. de fug., § 3.
l’hérésie d’Arius1. N’ont-ils pas envoyé aussi en exil le grand et saint vieillard Osius, confesseur de la foi, et le plus illustre dans l’Eglise2. Quel est en effet le concile auquel il n’ait présidé ? N’a-t-il pas amené tout le monde à son sentiment par ses paroles pleines de sagesse ? Quelle est l’Eglise qui ne conserve pas les plus illustres témoignages de son patronage ? Est-il quelqu’un qui soit allé à lui dans la tristesse et qui ne soit revenu consolé ? Est-il un indigent qui n’en ait reçu des secours ? Ce grand homme n’a pas échappé à leurs violences. Ils l’ont martyrisé dans sa personne et dans sa famille pour en obtenir une signature. A Alexandrie, continue Athanase, leur fureur se donne libre carrière3, au moment où Georges de Cappadoce y entre avec des soldats. Les vierges sont jetées en prison, les évêques sont chargés de chaînes, les maisons hospitalières des veuves et des orphelins sont pillées, les maisons particulières sont violées pendant la nuit ; on y cherche des clercs et si on n’en trouve pas, leur famille répond pour eux. Les églises sont arrachées aux fidèles ; et lorsqu’ils se réunissent dans les cimetières pour prier, Georges envoie contre eux un général manichéen, Sebastianus, qui fait allumer des feux et menace d’y jeter les vierges qui refusent de se déclarer ariennes. Celles-ci refusent ; alors il les fait dépouiller de leurs vêtements et les abandonne aux outrages de ses soldats. Il faisait mutiler les hommes et commettait les cruautés les plus horribles. Il faisait torturer les évêques et les prêtres exilés avec tant de violence qu’un grand nombre d’entre eux en moururent. Athanase ajoute :
Ce sont ceux qui ont encouragé de telles cruautés qui me reprochent aujourd’hui de m’être soustrait à leur fureur4. Ils sont désolés de n’avoir pu me tuer. S’il est honteux de fuir, comme ils disent, il est bien plus honteux de poursuivre. Celui qui fuit cherche à éviter la
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1 S. Athan., Apolog. de fug., § 4.
2 Ibid., § 5.
3 Ibid., §§ 6, 7.
4 Ibid., § 8.
mort ; celui qui poursuit cherche à la donner. S’ils veulent me reprocher ma fuite, qu’ils se reprochent d’abord à eux-mêmes leur persécution. Qu’ils cessent de tendre des pièges, et celui qui fuit s’arrêtera. On ne fuit pas devant un homme honnête, mais devant un homme cruel ; ma fuite n’est que la preuve de leur malice qui les pousse à chercher sans cesse à me prendre.
L’apologie d’Athanase est un tableau des crimes que commirent les ariens contre les orthodoxes. Constantius doit en porter la responsabilité vis-à-vis de l’histoire. Il donnait lui-même aux ariens le pouvoir dont ils abusaient, et il mettait à leur disposition les chefs civils et militaires des provinces et l’armée.
Malgré l’énergie avec laquelle saint Athanase attaquait les violences de ses adversaires, il ménagea toujours Constantius tant qu’il vécut. On était habitué, en Orient, à une soumission que les peuples moins civilisés d’Occident ne connaissaient pas.
Aussi Hilaire de Poitiers attaque-t-il Constantius personnellement et sans ménagements. Voyant que sa première lettre en faveur des évêques occidentaux exilés n’avait eu pour résultat que son propre exil, il s’adressa de nouveau à Constantius pour lui reprocher ses crimes et ses violences. Quelques précautions oratoires ne pouvaient atténuer ce qu’il y avait d’énergie dans des paroles comme celles-ci1 : « Je suis évêque en communion avec toutes les Eglises des Gaules et leurs évêques ; quoique en exil, je suis au milieu de mon Eglise, et je distribue la communion par mes prêtres. Je ne suis pas exilé pour mes crimes, mais par l’influence d’une faction d’hommes pervers qui m’ont calomnié. J’ai dans votre césar Julien, un témoin de l’outrage qui m’a été fait. Empereur, je vous prouverai, quand vous le voudrez, qu’on vous a trompé, qu’on s’est moqué de votre césar ; si je suis convaincu de quelque faute, je ne dirai pas, indigne du caractère d’un évêque, mais d’un laïque probe et honnête, je veux bien quitter l’épiscopat et
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1 S. Hilar. Piclav., lib. II, ad Constant.., §§ 2 et seq.
vieillir dans les exercices de la pénitence comme le dernier des fidèles… Prince, j’ai une grâce à vous demander, daignez m’entendre devant le concile qui est aujourd’hui assemblé et qui ne s’accorde pas sur la foi. Vous cherchez la vérité ? Apprenez-la, non de vos nouvelles formules, mais des livres saints. Souvenez-vous que la foi n’est pas un système philosophique, mais la doctrine de l’Evangile. ».
Dans son second livre à Constantius, Hilaire cherchait à l’empêcher d’imposer la troisième formule de Sirmium. Voyant ses efforts inutiles, il ne garda plus de ménagements contre le tyran.
« Il est temps de parler, s’écrie-t-il1 : le temps de se taire est passé. Qu’on attende Jésus-Christ, l’Antéchrist est venu ; que les pasteurs crient, les mercenaires ont fui. Donnons notre vie pour nos brebis, car les voleurs sont entrés dans la bergerie, et un lion furieux rôde autour d’elles pour les dévorer. Marchons au martyre… Mourons avec Jésus-Christ pour régner avec lui. Garder un plus long silence, ne serait pas modération, mais lâcheté ; se taire toujours, n’est pas moins dangereux que de ne se taire jamais… Dieu Tout-Puissant, créateur de toutes choses ! Père de notre Seigneur Jésus-Christ ! que n’ai-je été appelé à vous confesser, vous et votre Fils unique, aux temps des Dèce et des Néron. Alors, par la miséricorde de Jésus-Christ, Votre Fils, brûlant de l’Esprit-Saint, j’eusse méprisé les chevalets, les flammes, les croix ; je n’eusse craint ni d’être brûlé, ni d’être jeté au fond de la mer… Nous aurions combattu ouvertement contre vos ennemis, contre les bourreaux et les égorgeurs. Mais nous avons à combattre un persécuteur hypocrite, un ennemi caressant… Constantius, je te dis ce que je dirais aux Néron, aux Dèce, aux Maximien : tu combats contre Dieu, contre son Eglise ; tu tourmentes les saints, tu hais ceux qui prêchent Jésus-Christ, tu es le tyran de la religion : c’est là ce que tu as de commun avec les persécuteurs. Ce qui t’est propre, le voici : tu
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1 S. Hilar Pictav., lib. Cont. Constant.
feins d’être disciple de Jésus-Christ, et tu es son ennemi ; tu fais sans cesse de nouvelles formules de foi, et ta vie est un combat contre la foi ; tu nommes de mauvais évêques, tes partisans, et tu chasses les bons ; tu emprisonnes les ministres de Jésus-Christ, et tu ranges tes armées en bataille pour inspirer de la terreur à l’Eglise. »
Selon Sulpice Sévère1, Constantius, plein de repentir, permit à Hilaire de retourner dans les Gaules. Il fut ému, sans doute, des foudroyantes paroles que lui fit entendre le saint évêque. Les ariens eux-mêmes vinrent au secours des bonnes dispositions qu’elles purent lui inspirer. Ils redoutaient Hilaire. Sa science, son éloquence, son zèle, son courage, les effrayaient. Ils le représentèrent à l’empereur comme le perturbateur de l’Eglise orientale2, et obtinrent son éloignement sans que la sentence d’exil fut révoquée. Hilaire prit aussitôt la route de l’Occident : il brûlait du désir de revoir son Eglise des Gaules, qui embrassa avec amour ce héros revenant du combat tout couvert de gloire3.
Comme Athanase et Hilaire, Lucifer de Cagliari reprocha à Constantius ses hérésies et ses crimes. Cet empereur se flattait d’être béni de Dieu, parce que son règne avait été prospère. Lucifer lui offrit une revue des rois apostats de Juda et d’Israël, lesquels comme Constantius, avaient persécuté le peuple de Dieu, et n’en avaient pas moins joui d’un règne long et, en apparence, heureux4. Cette étude biblique est parsemée de traits vigoureux dont Constantius n’eut pas à se louer.
L’évêque de Cagliari lui adressa en outre deux livres en faveur d’Athanase.
« Constantius, lui dit-il5, tu nous forces à condamner en son absence notre pieux collègue Athanase ; mais cela nous est défendu par la loi divine. Tu obliges, en vertu d’une autorité plus que royale, les prêtres du Sei-
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1 Sulpit. Sev., Vit. Martini, § 6.
2 Ibid., Hist.. lib. II, § 45.
3 Hieron., adv. Lucifer.
4 Lucif. Caralit., lib. ad Constant, de Regib. apostat.
5 Lucif. Caralit., pro S. Athan. ad Constant., lib. I.
gneur à répandre le sang, mais tu ignores qu’en agissant ainsi, tu veux arracher de nos cœurs ces droits de la justice qui nous ont été confiés par Dieu. Peux-tu affirmer que Dieu permet de condamner un homme absent, dont on n’a pas entendu la défense, et même un innocent ? »
Lucifer prouve, par l’Ecriture, qu’il est défendu de condamner celui qui n’a pas été jugé coupable. En passant en revue une foule de faits et de textes bibliques de l’Ancien Testament, il décoche, en passant, à Constantius, les traits les plus acérés contre ses violences et ses injustices. « Si Héli, dit-il, a été repris pour les délits de ses enfants, dis-moi, Constantius, quels reproches nous recevrions de Dieu pour toi. Je crois qu’il nous dirait : vous avez plus honoré Constantius que moi. Comment ? parce qu’en obéissant à tes ordres, nous aurions méprisé ceux du Seigneur ; parce que ce Georges que tu as mis à la place d’Athanase, est, comme les enfants d’Héli, un fils de pestilence. » Lorsque Dieu ordonnait à Samuel d’aller sacrer David, Samuel répondait : Si Saül l’apprend, il me tuera. « Entends-tu, Constantius ? Dès que toi et les tiens vous vous éloignez de Dieu, on ne vous regarde plus comme des hommes, mais comme des bêtes sauvages et des brigands. » Saül persécuta David, « lequel des deux veux-tu imiter ? Tu es un juge injuste, le meurtrier des adorateurs de Dieu. Pourquoi nous persécutes-tu ? Parce que nous n’avons pas voulu être apostats comme toi, parce que nous n’avons pas voulu renoncer au Fils unique de Dieu. »
L’évêque de Cagliari met Constantius en opposition avec le saint roi Josaphat. « As-tu agi comme lui ? Tu as envoyé des émissaires dans ton empire, pour que tous rejettent les ordres de Dieu ; pour que ton autorité prît la place de celle de Dieu. Josaphat, au contraire, envoya les hommes les plus vertueux de son royaume, les lévites et les prêtres du Seigneur, pour supplier tous ses sujets de rendre à Dieu le culte qui lui est dû, de se montrer tous vrais serviteurs du Tout-Puissant ; il envoya le livre sacré écrit par Moïse, afin de vérifier si l’on avait fait
quelque chose qui fût contraire aux ordres de Dieu. Pour toi, non-seulement tu n’observes pas la loi de Dieu qui défend de tuer, mais tu as abandonné Dieu lui-même, puisque, au lieu de suivre la foi apostolique, tu te déclares pour l’erreur d’Arius. Josaphat détourna son peuple des idoles et le ramena à Dieu ; toi, tu t’efforces de faire apostasier le peuple qui t’a été confié, et de le rendre comme toi apostat et sacrilège. »
En parcourant tous les livres de l’Ecriture, Lucifer trouve l’occasion d’affirmer contre les erreurs patronées par Constantius, la foi de l’Eglise. « Qu’est-ce que la sainte foi de l’Eglise atteste ? Qu’il n’y a qu’un Dieu Père, son Fils unique, né du Père vrai et inné, et le Saint-Esprit paraclet.Qu’est-ce que l’Eglise catholique atteste ? Que la Trinité est parfaite, et que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ont la même divinité. Qu’est-ce qu’atteste la foi de la bienheureuse Eglise ? Que ni le Père, ni le Saint-Esprit n’ont pris l’humanité, mais le Fils seul. Qu’est-ce que la foi de la glorieuse Eglise atteste encore ? Qu’il n’y a qu’un Fils de Dieu, immuable, sans changement, incompréhensible, infini, éternel, comme Celui dont il est Fils. La sainte Eglise croit que le Père, le Fils et le Saint-Esprit possèdent la même puissance, la même souveraineté ; et cette foi, tu dis, Constantius, qu’elle est une hérésie, et tu appelles foi catholique ton erreur d’après laquelle Dieu n’aurait pas un vrai Fils. »
Dans son deuxième livre, Lucifer suit la même méthode. Il parcourt les livres du Nouveau Testament pour y trouver des textes qui lui donnent occasion de reprocher à Constantius ses erreurs et ses violences.
« Malgré la position élevée que tu occupes, lui dit-il1, tu dois être compté au nombre de ceux dont le Seigneur a dit : « Vous êtes les fils du diable, et vous faites les œuvres de votre Père ; car il fut homicide dès le commencement, et ne resta pas dans la vérité. » Tu es menteur et homicide ; menteur en reprochant au serviteur de Dieu Athanase des crimes qu’il n’a pas commis ;
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1 Lucif. Caralit., pro S. Athan. ad Constant., lib. II.
en disant que l’hérésie est la foi catholique, et que cette foi est hérétique. Tu es homicide, parce que tu voudrais répandre le sang d’Athanase, et que tu as répandu celui de plusieurs serviteurs de Dieu. Certainement tu n’es pas resté dans la vérité en agissant ainsi ; tu t’es enseveli tout entier dans le mensonge, parce que le diable ton père, le menteur, t’a poussé à nier l’unique Fils de Dieu et à répandre le sang innocent. »
En terminant, il l’engage à imiter saint Paul qui, de persécuteur, devint apôtre. « Toi aussi, lui dit-il, après avoir été persécuteur et blasphémateur, tu pourras devenir saint et ami de Dieu, si, comme le bienheureux Paul, tu crois que Jésus-Christ est le vrai Fils de Dieu ; si tu confesses qu’il a régné et qu’il régnera toujours avec le Père, sans commencement ni fin ; si tu ne résistes pas aux Ecritures qui te crient que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ont la même éternité ; si, enfin, tu crois que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ont une divinité unique. Si tu as cette foi, tu feras partie un jour du chœur des patriarches, des prophètes, des apôtres et des martyrs. Si tu ne l’as pas, et si tu méprises nos avertissements, tu ne l’imputeras qu’à toi, lorsque tu seras tourmenté avec le diable et ses satellites. »
Lucifer adressa encore un autre livre à Constantius pour établir qu’on ne devait pas épargner les ennemis de Dieu
Ses premiers ouvrages avaient semblé trop rigoureux. Constantius, auquel il avait osé les envoyer, prétendait que les orthodoxes ne respectaient pas assez sa dignité2. « Constantius, répond Lucifer3, tu nous reproches d’avoir été insolent. Tu aurais raison, si les serviteurs de Dieu devaient épargner les apostats. Voyons si jamais il en a été ainsi. »
Le docte évêque reprend de nouveau ses recherches bibliques, et démontre que, de tout temps, les serviteurs de Dieu n’ont, point ménagé ses ennemis.
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1 Lucif. Caralit., De non parcende in Deum delinquentibus, ad Constant.
2 Florent, ad Lucif. et Lucif. ad Florent., Epist. Inter, op. Lucifer.
3 Lucif., De non parcend.
La réponse de Constantius aux livres de Lucifer fut un nouvel exil, où le saint et docte évêque eut à subir les plus mauvais traitements. Mais, au lieu de se laisser abattre, Lucifer adressa à Constantius son livre : Il faut mourir pour le Fils de Dieu1.
Peut-être eût-il été appelé à mettre en pratique ce qu’il enseignait, si Constantius lui-même n’eût été appelé par Dieu à rendre compte des persécutions dont il avait accablé les défenseurs de la vérité chrétienne. Il mourut en 361, et eut pour successeur Julien surnommé l’apostat.
Cet empereur, qui abjura le christianisme et se déclara protecteur d’un paganisme qu’il chercha à rendre philosophique, ne s’était point préoccupé des discussions intestines de l’Eglise. Orthodoxes et ariens étaient, à ses yeux, dignes du même mépris. Les orthodoxes profitèrent de cette disposition pour affirmer hautement la foi. Les ariens, qui n’avaient plus leur protecteur pour imposer leur doctrine, se virent abandonnés par la plupart des évêques qui avaient été plutôt faibles qu’hérétiques.
Les orthodoxes orientaux, obligés au plus profond silence pendant tout le règne de Constantius, élevèrent la voix, dès que le tyran fut mort. Ils s’adressèrent à l’Eglise des Gaules dont ils avaient connu la foi par les évêques exilés, et surtout par Hilaire de Poitiers. Ce fut ce grand évêque qui reçut la lettre des orthodoxes orientaux et qui convoqua à Paris les évêques gaulois pour leur répondre. Saint Hilaire2 nous a conservé leur réponse dont il fut sans doute le principal rédacteur. Elle est ainsi conçue :
« A leurs bien-aimés et bienheureux collègues, les évêques orientaux qui, dans les diverses provinces, demeurent fermes dans le Christ, les évêques des Gaules, salut :
« De tout notre cœur et avec foi, nous rendons grâces au Dieu Père par notre Seigneur Jésus-Christ, de ce
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1 Lucif. Caralit., Moriendum esse pro Dei Filio, ad Constant.
2 S. Hilar. Pictav., Fragment. XI, §§ 1 ad 4.
qu’il nous a placés dans la lumière de la science de sa doctrine, par l’enseignement des prophètes et des apôtres ; et de ce qu’il nous a préservés ainsi des ténèbres où la faiblesse humaine et le jugement du siècle nous ont retenus. Il n’y a, en effet, qu’une seule espérance efficace du salut, c’est de confesser le Dieu Tout-Puissant, par son Fils unique, notre Seigneur Jésus-Christ, dans le Saint-Esprit.
« Mais si nous avons un grand motif de reconnaissance envers Dieu, de ce qu’il nous a délivrés de l’erreur du monde, nous ne devons pas moins le remercier de ce qu’il nous à préservés de l’hérésie. En effet, par les lettres que vous avez adressées à notre aimé frère et collègue Hilaire, nous avons connu la fraude du diable et les machinations des hérétiques contre l’Eglise du Seigneur, dans le but de diviser l’Orient de l’Occident, en les trompant l’un et l’autre. Plusieurs de ceux qui se sont réunis soit à Rimini, soit à Nice, ont été forcés, devant votre autorité qui leur était objectée, de consentir à ne pas mentionner le mot substance ; cette expression, cependant, avait été trouvée par vous pour combattre l’hérésie des ariens, et nous l’avions saintement et fidèlement conservée.
« Nous avons adopté également le mot omoousios, comme exprimant parfaitement la vraie et légitime génération que le Dieu unique-engendré tient du Dieu Père, rejetant en même temps, et la fusion enseignée par Sabellius, et la divisibilité de la substance divine ; croyant que le Dieu inengendré est complet et parfait ; que le Dieu engendré, est aussi complet et parfait ; confessant, par conséquent, qu’il y a entre eux le même être, la même substance, sans aucune idée de créature, ni d’adoption, ni de désignation. »
Après avoir exposé en détail la foi sur la divinité de Jésus-Christ et son humanité, les évêques des Gaules continuent ainsi :
« Très-chers frères, nous avons appris par vos lettres que l’on a abusé de notre simplicité, touchant la suppression du mot substance. Notre frère Hilaire, fidèle
prédicateur du nom du Seigneur, nous a également fait connaître que ceux qui sont allés de Rimini à Constantinople1 n’ont pu se décider à condamner les blasphèmes des hérétiques, quoique vous les y ayez engagés, comme votre lettre l’atteste. En conséquence, nous révoquons tout ce qui a été fait légèrement et par ignorance. Conformément à vos lettres, nous regardons comme excommuniés Auxentius, Ursace, Valens, Caïus, Megasius et Justinus. Selon lé témoignage de notre frère Hilaire qui refusa d’entrer en communion avec les hérétiques, nous condamnons les blasphèmes que vous avez relatés dans votre lettre, et nous rejetons comme des apostats ceux qui ont été substitués aux évêques fidèles condamnés à l’exil ; et nous protestons que nous rejetterons de notre communion et du sacerdoce, ceux qui, dans les Gaules, refuseront de se soumettre à nos décisions. »
Les évêques des Gaules disent en finissant qu’ils confirment la condamnation et la déposition de Saturninus d’Arles, évêque indigne, soit à cause de ses sentiments hérétiques, soit à cause de nombreux crimes qu’il avait eu l’habileté de dissimuler fort longtemps.
Les évêques orthodoxes se mettaient en communication, afin d’opposer une forte digue à l’hérésie. Eusèbe de Verceil, un des plus fermes appuis de l’orthodoxie en Occident, écrivait à Grégoire, évêque d’Elvire, en Espagne, pour le féliciter de ne s’être pas laissé séduire par l’exemple d’Osius2. Parmi les évêques orthodoxes, les uns, comme Lucifer de Gagliari, se montraient fort rigoureux envers ceux qui avaient faibli devant les intrigues des ariens et les violences de Constantius. D’autres se montraient plus tolérants et se refusaient à regarder comme hérétiques ceux qui avaient sacrifié, plutôt des mots, que la vraie doctrine de l’Eglise. Plusieurs conciles, soit en Egypte, soit en Grèce, se prononcèrent clans le sens de la douceur. Liberius de Rome, qui devait sur
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1 C’est-à-dire les délégués du concile de Rimini.
2 Epist. Euseb.ad Greg. ap. S. Hilar. Pictav., Fragment. XI, § 5.
tout prêcher la tolérance dont il avait lui-même besoin, écrivit aux évêques d’Italie une lettre dans laquelle il s’appuie sur les conciles d’Egypte et de Grèce pour recommander la douceur envers ceux qui professeraient ouvertement la foi de Nicée et condamneraient explicitement la doctrine d’Arius1.
Les évêques d’Italie se mirent en relation avec ceux d’Illyrie, et leur écrivirent que, dans leurs provinces, ils avaient prescrit de s’en tenir à la foi de Nicée, et de regarder comme non avenus les décrets contradictoires de Rimini.
Parmi les ariens, les uns, comme Valens, persévérèrent dans leurs erreurs, malgré les anathèmes dont ils étaient accablés de toutes parts. D’autres, comme Germinius de Sirmium, sans admettre le mot consubstantiel, professaient une doctrine réellement orthodoxe2.
Mais, si le plus grand nombre des évêques professèrent la foi orthodoxe après la mort de Constantius, l’arianisme avait jeté des racines profondes ; nous verrons cette hérésie troubler de nouveau l’Eglise.
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1 Epist. Lib. ad Episcop. Ital. ap. S. Hilar. Pictav., Fragment. XII, §§ 1-2.
2 Epist. Germin. et Valent. ap. S. Hilar. Piclav., Fragment. XIII, XIV, XV.