(Mt 6,14-21)
Ne pas se rendre à l’ennemi, telle est la règle fondamentale pour le soldat dans le combat. Le chef de guerre met en garde par avance chaque soldat de se méfier des ruses de l’adversaire, pour ne pas y tomber et être fait prisonnier. Isolé, affamé, grelottant et peu vêtu, le soldat sera fortement tenté de se rendre à l’ennemi. Sa situation sera utilisée de diverses façons par l’adversaire rusé. Bien qu’il soit lui-même affamé, il jettera un peu de pain au soldat d’en face, pour lui montrer qu’il a de la nourriture en abondance. Et si le soldat grelotte, la tenue déchirée, il lui donnera quelque vêtement, pour lui montrer qu’il en possède plus que nécessaire. Il lui transmettra aussi des lettres où il se vantera que sa victoire est tout à fait assurée ; il mentira au pauvre soldat, lui faisant croire que de nombreux régiments de son armée, placés à sa droite et à sa gauche, se sont déjà rendus, que son général a prétendument été tué ou que son monarque a demandé la paix ! Il lui promettra un retour rapide dans son foyer, une belle situation, de l’argent et tout ce qu’un homme dans un grand dénuement peut seulement rêver de posséder. Toutes ces ruses et chausse-trappes de l’adversaire, le chef militaire les signale par avance aux soldats et les avertit de n’y accorder aucun crédit, mais de tenir leur position, de ne pas se rendre et de rester fidèles à leur drapeau, même au prix de la mort.
Ne pas se rendre à l’ennemi, est une règle fondamentale aussi pour le soldat du Christ engagé dans la lutte avec l’esprit maléfique de ce monde. Le Christ, en tant que Roi et Chef de guerre, nous décrit tout par avance et nous met en garde contre tout. Voici que je vous ai prévenus (Mt 24, 25; Jn 14, 29), dit-Il à Ses disciples. Le danger est immense et l’ennemi du genre humain est plus terrible et plus rusé que tout autre ennemi éventuel. C’est ce qu’exprime le Seigneur dans un autre passage : voici que Sata?2 vous a réclamés pour vous cribler comme le froment (Lc 22,31). Satan ne cesse de réclamer les hommes, et cela dès le jour où il a trompé le premier homme ; depuis ce jour il prétend avoir un droit sur le genre humain, qu’il veut enlever à Dieu comme étant à lui. Par toutes sortes de ruses, il attire les soldats du Christ à lui, cherchant à les séduire par de fausses promesses et leur montrant ses richesses. Nul n’est plus affamé que lui, mais il montre du pain aux hommes qui ont faim et les appelle à se rendre. Nul n’est plus nu que lui, mais il appâte les hommes avec les couleurs de sa tenue mensongère et transparente. Nul n’est plus misérable que lui, mais, tel un magicien de foire, il frotte une pièce de monnaie contre une autre, faisant habilement croire aux spectateurs crédules qu’il possède des millions. Nul n’est plus ruiné que lui, mais il ne cesse d’accumuler des mensonges, comme s’il était vainqueur, comme si les armées du Christ étaient battues, comme si le Christ s’était échappé du champ de bataille pour se cacher. Il est le mensonge et le père du mensonge, et toute sa force et son pouvoir ne résident que dans le mensonge. En mettant en garde Ses disciples contre toutes les ruses et les armes du diable, le Seigneur Jésus les a instruits, par l’exemple et en paroles, sur la manière de s’opposer à tout et sur les armes à utiliser dans ce combat.
Avant tout, c’est Lui, le Christ, qui est notre arme principale, à nous, Ses disciples. Sa présence à nos côtés et Sa force en nous, sont notre arme principale. Ses dernières paroles, inscrites dans l’Évangile, sont : Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin d’u monde (Mt 28, 20). Et voilà, en vérité, que Sa présence s’est manifestée à travers les siècles et les siècles dans des millions de Ses combattants intrépides, apôtres, martyrs, confesseurs, pères théophores, jeunes filles pieuses et saintes. Sa présence s’est non seulement manifestée dans les époques passées, mais elle se manifeste encore aujourd’hui, de manière évidente et indubitable pour quiconque ne s’est pas tout à fait livré à l’esprit maléfique ; non seulement Elle se manifeste aujourd’hui, mais à la fin même du temps, apparaîtront des théophores aussi forts que l’ont été Hénoch et Élie (Ap 11, 3). Tout aussi évidente et indubitable est la force de Son corps et de Son sang, de Son martyre, de Ses paroles, de Sa croix vénérable et vivifiante, de Sa résurrection et de Sa gloire immortelle. Vous, qui êtes convaincus de cette force invincible du Christ, qui circule tel un courant électrique à travers Ses fidèles, dites-le aux autres! Quant à vous, qui n’avez pas encore été convaincus mais souhaitez l’être, faites tout ce que l’Évangile recommande de faire, et vous serez convaincus. Laissez donc ceux qui doutent avec malveillance, continuer à douter. Ils ne font pas mal à Dieu, mais à eux-mêmes ; ils ne doutent pas au détriment de Dieu, mais d’eux- mêmes. Viendra bientôt le temps où ils ne pourront plus douter, et où il ne leur sera plus possible de croire.
En dehors même de la présence et de la force du Christ, qui sont notre arme principale dans la lutte contre l’esprit mauvais, le Seigneur Jésus a recommandé d’autres sortes d’armes que nous devons forger nous-mêmes, avec Son aide. Ces armes sont: le repentir ininterrompu, la miséricorde continue, la prière incessante, la joie ininterrompue dans le Seigneur Jésus et la peur du Tribunal et de la déchéance spirituelle; puis la capacité d’endurer volontairement des souffrances pour Lui avec foi et espérance, la pratique du pardon des offenses, la faculté de considérer ce monde qui existe comme s’il n’existait pas, la communion à Ses saints mystères, la pratique des veilles et du jeûne: Nous mentionnons le jeûne à la fin, non parce que le carême est l’arme la moins importante – Dieu nous en préserve ! – mais seulement parce que l’évangile de ce jour porte sur le jeûne, qu’il nous importe maintenant d’interpréter.
Si vous ne remettez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous remettra pas vos manquements (Mt 6, 14). Ainsi commence l’évangile de ce jour. Pourquoi commence-t-il ainsi ? On se dira : quel rapport y a-t-il avec le jeûne ? Il y a des rapports, très étroits, comme il existe aussi des rapports entre le jeûne et la fin de l’évangile de ce jour, qui n’évoque pas le jeûne, mais l’accumulation des richesses, non sur terre mais au ciel, où il n’y a point de mite ni de ver qui consument, point de voleurs qui perforent et cambriolent (Mt 6,20). Car quand on comprend le jeûne dans sa véritable signification chrétienne, et non dans celle des légalistes et des pharisiens, alors le pardon des offenses et l’abstinence par rapport à l’amour de l’argent correspondent à un jeûne, et même le jeûne principal, ou si on préfère, le fruit principal du jeûne. En vérité, l’abstinence devant la nourriture ne représente que très peu de valeur, si elle ne s’accompagne pas de la volonté de ne pas rendre les offenses subies et de ne pas succomber aux illusions des richesses terrestres.
Le Seigneur ne nous ordonne pas par la force de Son pouvoir de pardonner les péchés aux hommes. Il nous laisse le choix de pardonner ou de ne pas pardonner. Il ne veut pas porter atteinte à notre liberté et nous imposer de force de faire quelque chose, car dans ce cas nos actes ne seraient en fait pas les nôtres mais les Siens ; ils n’auraient donc pas la valeur qu’ils revêtent quand nous les accomplissons librement et volontairement. En vérité, il ne nous ordonne pas par la force, mais nous prévient de ce qui va nous arriver: votre Père non plus ne vous remettra pas vos manquements. Qui nous pardonnera alors nos péchés si Dieu ne le veut pas ? Personne, ni au ciel ni sur terre, personne. Les hommes ne nous pardonneront pas, car nous ne leur pardonnons pas non plus, et Dieu ne nous pardonnera pas car les hommes ne nous pardonnent pas. Où serons-nous alors ? Nous passerons alors ce siècle sous une montagne de péchés, alors que dans l’autre monde le poids de cette montagne sera accru pour toute l’éternité. Aussi faut-il nous entraîner à ne pas rendre aux hommes les offenses qu’ils nous ont faites, à ne pas rendre le mal pour le mal, et à ne pas payer par le péché celui qui a été commis. Quand on voit un homme ivre tomber dans la boue, va-t-on se coucher dans la boue à ses côtés, ou va-t-on essayer de le relever et de le faire sortir de la boue ? Si ton frère a enfoui son âme dans la boue du péché, pourquoi devrais-tu vautrer ton âme dans cette même boue ? Aussi faut-il t’abstenir de commettre ce que ton frère a fait, et te dépêcher de le redresser et de le purifier, afin que toi aussi, le Père céleste te redresse et te purifie de tous tes péchés, commis en secret et en public, et te place parmi Ses anges lors du Jugement dernier.
Quand vous jeûnez, dit le Seigneur, ne vous donnez pas un air sombre comme font les hypocrites: ils prennent une mine défaite, pour que les hommes voient bien qu’ils jeûnent. En vérité, je vous le dis, ils tiennent déjà leur récompense (Mt 6, 16). Hypocrites sont ceux qui ne jeûnent pas pour le Seigneur, ni pour leur âme, mais pour les hommes : pour que les hommes voient qu’ils jeûnent et leur adressent des louanges. Comme tout le monde ne peut observer chaque jour ce qu’ils mangent et boivent, ils s’efforcent d’adopter une physionomie telle que les gens puissent comprendre qu’ils jeûnent d’après leur visage. Ils prennent une mine défaite, prennent un air pâle et triste, renfrogné et préoccupé. Ils ne se parfument pas le visage et ne le lavent pas. Les gens les observent, s’émerveillent devant eux et les louent. Les gens les récompensent par leur émerveillement, rémunèrent leur jeûne avec des compliments. Qu’ont-ils à attendre de plus de la part de Dieu? Ils n’ont même pas jeûné à cause de Dieu. Ils ont jeûné à cause des hommes. Quelle récompense peuvent-ils attendre pour leur âme? Ils n’ont pas jeûné à cause de leur âme. Ils ont jeûné à cause des hommes et les hommes leur ont tressé des louanges pour cela. En vérité, ils ont reçu leur récompense. Et Dieu n’a pas de dette à leur égard, et II ne leur donnera rien pour leur jeûne dans l’autre vie.
Pour toi, quand tu jeûnes, dit le Seigneur, parfume ta tête et lave ton visage, pour que ton jeûne soit connu, non des hommes, mais de ton Père qui est là, dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra (Mt 6,17-18). Telle est la règle principale du jeûne. Son sens apparent est clair. Quand tu jeûnes, tu jeûnes à cause de Dieu et à cause du salut de ton âme, et non à cause des hommes. Il n’est absolument pas important que les hommes voient et sachent que tu jeûnes, il est même préférable pour toi qu’ils ne le voient pas et ne le sachent pas. Tu n’attends d’ailleurs aucune récompense des hommes. Car que pourraient te donner ceux qui, eux-mêmes, attendent tout de Dieu, comme toi? Il est important que Dieu voie et sache. Or, Dieu le verra en tout cas, car rien ne peut être caché de Lui. Aussi ne faut-il pas montrer qu’on jeûne, par quelque signe extérieur. Dieu ne lit pas dans ton cœur sur des signes extérieurs ; Il le lit de l’intérieur, du cœur lui-même. De même qu’on s’est parfumé la tête avant le carême, de même on peut la parfumer ainsi pendant le carême ; de même qu’on s’est lavé le visage avant le carême, de même on peut le laver pendant le carême. Le fait de se parfumer ou non la tête n’augmentera pas ton mérite devant Dieu ; le fait de se laver ou non le visage ne contribuera ni à sauver ton âme ni à la perdre.
Ces paroles du Christ : parfume ta tête et lave ton visage, prononcées avec tant de résolution, possèdent une signification intérieure profonde. Car si le Seigneur n’avait pensé qu’à la tête et au visage au sens charnel, Il n’aurait certainement pas donné le commandement de parfumer la tête et laver le visage pendant le carême, mais aurait simplement dit qu’il était accessoire et insignifiant pour la fécondité du carême de se parfumer ou non la tête et de se laver ou non le visage. À l’évidence, ces paroles du Christ revêtent un sens caché. Autrement, celui qui aurait compris ce commandement explicite du Christ d’après sa signification apparente, puis entrepris pendant le carême de parfumer sa tête et de se laver le visage, serait tombé dans une autre sorte d’hypocrisie. Un tel homme aurait lui aussi exhibé.sa manière de jeûner devant les autres, mais de façon différente. Or, le Seigneur a précisément voulu déshabituer les hommes d’agir ainsi. Il est hors de doute, par conséquent, que ce commandement possède un sens intérieur. Lequel? Semblable à celui que l’apôtre Paul donne à la circoncision, en soulignant que la circoncision dans le cœur est salvatrice et en considérant que la circoncision au-dehors équivalait à l’absence de circoncision (Ga -, 15 ; Rm 2, 29). Parfumer sa tête signifie donc se parfumer l’esprit avec le Saint-Esprit. Car la tête désigne l’esprit et l’âme entière, tandis que l’huile parfumée, dont on enduit la tête, le Saint- Esprit. Cela signifie qu’il faut s’abstenir de toutes mauvaises pensées et se priver de prononcer des paroles laides et inutiles et qu’il importe, au contraire, de remplir son esprit de pensées liées à Dieu, la religion, la pureté, la foi et l’amour et tout ce qui est digne du Saint-Esprit. Il faut agir de même avec sa langue ; si l’on dit des mots, il ne faut prononcer que ceux destinés à proclamer la gloire de Dieu et au salut de l’âme. Il faut également se comporter ainsi avec son cœur : s’abstenir de tout sentiment de haine et de méchanceté, de jalousie et de lubricité ; il faut s’abstenir de tout cela et laisser l’Esprit Saint semer sur le champ de ton cœur, toutes sortes de semences divines et agréables à Dieu ainsi que des fleurs célestes. Il faut agir de même avec la volonté de ton âme : s’abstenir de toutes intentions pécheresses et actions pécheresses, s’abstenir de tout mal et laisser l’Esprit Saint parfumer, telle une huile parfumée, ton âme obstinée, guérir ses blessures, la redresser vers Dieu, lui rendre chères les bonnes actions, la remplir de la soif de tout bien qui est en Dieu.
C’est ce que signifient les paroles -.parfume ta tête. En un mot : contenir et retenir l’homme intérieur en nous, qui tient le rôle fondamental, de tout mal et le diriger uniquement vers le bien.
Que signifient les paroles: et lave ton visage? Le visage désigne l’homme extérieur, charnel, sensuel, en un mot : le corps humain. C’est par le corps que l’âme se manifeste aux yeux du monde. Pour Dieu, l’âme est le visage de l’homme, mais pour le monde, le corps est le visage de l’homme. C’est par nos sens et nos organes que nous annonçons au monde ce que nous pensons, ce que nous ressentons et ce que nous voulons. La langue exprime ce que l’esprit pense, les yeux montrent ce que le cœur ressent et les pieds accomplissent ce que la volonté de l’âme souhaite.
Lave ton visage signifie: purifie ton corps de tout acte de péché, toute impureté et toute méchanceté. Tiens tes sens éloignés de tout ce qui est superflu et ruineux. Empêche tes yeux d’errer sans cesse devant le chatoiement de ce monde; empêche tes oreilles de prêter attention à ce qui ne contribue pas au salut de l’âme ; empêche ton nez d’enivrer l’âme avec les parfums de ce monde, qui se changent rapidement en puanteur; empêche ta langue et ton ventre de se jeter sur une abondance de nourriture et de boissons ; de façon générale, empêche ton corps de s’amollir et d’exiger plus de toi que ce qui est nécessaire pour subsister. En outre, empêche tes mains de frapper et de torturer des hommes ou du bétail ; empêche tes pieds de marcher vers le péché, les réjouissances folles, les fêtes impies, d’aller au combat ou de participer à un vol; et à l’opposé de tout cela, oriente ton corps afin de devenir le temple véritable de ton âme – non une auberge aü bord de la route où les bandits s’arrêtent pour partager le butin et préparer un nouveau plan d’enlèvement – mais le temple du Dieu vivant.
C’est ce que signifient les mots: Lave ton visage. Il s’agit d’un jeûne qui mène au salut. C’est un jeûne recommandé par le Christ; un jeûne où il n’y a pas d’hypocrisie ; un jeûne qui expulse et proscrit les esprits maléfiques et apporte à l’homme une victoire glorieuse ainsi que des fruits abondants dans ce monde comme dans l’autre.
Il est important d’observer ici que le Christ mentionne d’abord la tête, puis le visage, c’est-à-dire d’abord l’âme, puis le corps. Les hypocrites ne jeûnaient que charnellement, tout en montrant aux hommes ce jeûne par le corps. A l’inverse, le Christ souligne d’abord le jeûne intérieur, spirituel, puis l’extérieur, corporel, non par sous-estimation du jeûne corporel – Lui-même a jeûné physiquement – mais pour commencer par le début, pour éclaircir la source puis la rivière, pour purifier d’abord l’âme, puis le miroir de l’âme. L’homme doit d’abord, par l’esprit, le cœur et la volonté, adopter le jeûne, puis ensuite l’accomplir volontairement et joyeusement. De même qu’un peintre fait d’abord l’ébauche d’un tableau avec son esprit, puis l’exécute rapidement et joyeusement avec sa main. C’est ainsi que le jeûne corporel doit être une joie, non une tristesse. C’est pourquoi le Seigneur utilise des mots évoquant le fait de se parfumer et de se laver; car de même que ces deux choses sont une source de plaisir et de joie pour l’homme physique, de même le jeûne – le jeûne spirituel et corporel – doit créer du plaisir et de la joie pour l’homme spirituel. Le jeûne est une arme, une arme très puissante dans le combat contre l’esprit maléfique. Quand il perd son arme, le soldat au combat est triste car, sans armes, il doit s’enfuir ou se rendre. Mais quand il reçoit une arme, il est joyeux car il peut alors tenir sa place et opposer une résistance à l’adversaire. Comment le chrétien ne se réjouirait-il pas quand il se retrouve armé, grâce au jeûne, contre le démon le plus sombre de son âme? Comment son cœur ne tressaillirait-il pas et son visage ne s’éclairerait-il pas en voyant entre ses mains une arme, devant laquelle le démon s’enfuit sans ménagement?
L’avidité rend l’homme morose et peureux, tandis que le jeûne le rend joyeux et courageux. De même que l’avidité pousse à une avidité accrue, de même le jeûne pousse à une endurance de plus en plus grande et longue. Le roi David s’est entraîné à jeûner si longtemps qu’il a dit : à tant jeûner; mes genoux fléchissent (Ps 108, 24). Quand l’homme voit les bienfaits du jeûne, il se met à aimer le jeûne de plus en plus. Or, les bienfaits du jeûne sont innombrables.
Par le jeûne, l’homme soulage le corps et l’esprit des ténèbres et de l’obésité. Le corps devient léger et alerte, alors que l’esprit devient lumineux et clair.
Par le jeûne, l’homme élève son âme au-dessus de la prison terrestre et progresse à travers les ténèbres de la vie animale vers la lumière du Royaume de Dieu, c’est-à-dire vers sa demeure.
Le jeûne rend l’homme fort, résolu et courageux, aussi bien devant les hommes que devant les démons.
Le jeûne rend l’homme généreux, doux, charitable et obéissant.
Le jeûne rend Moïse digne de recevoir la Loi des mains de Dieu.
Par le jeûne, Eiie ferma le ciel et il n’y eut pas de pluie pendant trois ans ; par le jeûne, il fit descendre le feu sur les idolâtres et par le jeûne, il se rendit si pur qu’il put s’entretenir avec Dieu sur le mont Horeb.
Par le jeûne, Daniel se sauva des lions dans la fosse et trois jeunes gens furent délivrés de la fournaise de feu ardent.
Par le jeûne, le roi David éleva son cœur vers Dieu et la grâce divine descendit sur lui et il entonna les prières les plus douces et les plus délicates qu’aucun mortel ait jamais, avant le Christ, adressées à Dieu.
Par le jeûne, le roi Josaphat écrasa sans combat ses adversaires, les Moabites et les Ammonites (2 Ch, 20,23).
Par le jeûne, les Juifs furent sauvés des persécutions menées par le ministre du roi, Aman (Est 4, 3).
Par le jeûne, la cité de Ninive fut sauvée de la destruction prédite par le prophète Jonas.
Par le jeûne, Jean le Baptiste devint le plus grand homme parmi tous ceux nés d’une femme.
C’est avec l’arme du jeûne que saint Antoine triompha de toutes les hordes du démon et les chassa loin de lui. Saint Antoine est-il le seul à l’avoir fait? Non, car d’innombrables armées de saints du Christ se sont purifiés par le jeûne, se sont fortifiés par le jeûne et sont devenus les plus grands héros de l’histoire humaine. Car ils ont vaincu ce qui est le plus difficile à vaincre : eux-mêmes. Et en triomphant d’eux-mêmes, ils ont vaincu le monde et Satan.
Enfin, le Seigneur Jésus n’a-t-Il pas commencé Son œuvre divine de salut des hommes par un jeûne long de quarante jours ? Et n’a-t-Il pas montré ainsi clairement que nous aussi, nous devons commencer la vie chrétienne véritable par le jeûne ? D’abord le jeûne ; tout le reste se produit avec le jeûne et à travers le jeûne. Par Son exemple, le Seigneur nous a montré quelle arme puissante est le jeûne. Avec cette arme, Il a vaincu Satan dans le désert et triomphé ainsi de trois principales passions sataniques, qui permettent à Satan d’accéder librement à nous : l’amour des voluptés, l’amour des honneurs et l’amour de l’argent, trois passions destructrices et trois pièges énormes dans lesquels l’ennemi maléfique du genre humain cherche à attirer les soldats du Christ.
Mais c’est l’amour de l’argent qui facilite et rend possibles toutes les autres passions ; c’est lui qui est, selon l’apôtre Paul, la racine de tous les maux (lTm 6, 10). C’est pourquoi le Seigneur Jésus termine Son enseignement sur le jeûne en nous mettant en garde de ne pas succomber à l’amour de l’argent, à nous abstenir de l’accumulation fatale pour l’âme de richesses terrestres, qui éloigne notre cœur de Dieu et l’ensevelit dans la terre.
Ne vous amassez point de trésors sur la terre, où la mite et le ver consument, où les voleurs percent et cambriolent. Mais amassez-vous des trésors dans le ciel; là, point de mite ni de ver qui consument, point de voleurs qui perforent et cambriolent. Car où est ton trésor, là sera aussi ton cœur (Mt 6,19-21). Qui amasse des trésors terrestres, amasse de la souffrance et de la peur pour lui -même. Cet homme se perd lui-même dans ses richesses, et son cœur est enseveli sous la poussière. Nous sommes toujours en contact avec nos richesses, fussent-elles sur terre ou dans le ciel. Nos pensées sont avec nos richesses ; notre cœur est avec nos richesses ; notre volonté est avec nos richesses, que celles-ci soient sur terre ou dans le ciel. Nous sommes liés à nos richesses comme la rivière l’est à son lit, que nos richesses soient sur terre ou dans le ciel. En nous enrichissant de trésors terrestres, nous serons provisoirement riches et éternellement pauvres; mais en nous enrichissant de trésors célestes, nous serons provisoirement pauvres et éternellement riches. Nous avons la faculté de choisir l’un ou l’autre. C’est dans cette liberté de choisir que réside notre gloire mais aussi notre souffrance. En choisissant des richesses éternelles, auxquelles n’accèdent ni la mite ni le ver ni le voleur, notre gloire sera éternelle. Mais si nous faisons le choix des autres richesses, que nous devons préserver de la mite, du ver et du voleur, notre souffrance sera éternelle.
Dans leur acception intérieure, les richesses terrestres recouvrent aussi bien le marasme terrestre que la culture et la magnanimité terrestres lorsque celles-ci sont séparées de Dieu et de l’Evangile. L’oubli consume ces richesses comme la mite ; les tourments et les souffrances de la vie les rongent comme le ver; les tourments et les souffrances de la vie les abîment comme le ver, alors que l’esprit maléfique les mine et les dérobe comme tout voleur. Accumuler les richesses célestes, dans son acception intérieure, signifie enrichir son esprit par la connaissance de Dieu et de la volonté divine; et enrichir son cœur et son âme par la culture et la noblesse évangélique. Car seules ces richesses ne sont jamais exposées à la précarité, à la dégradation et au vol. En amassant de telles richesses, nous les laissons aussitôt en garde à Dieu. Or, ce qui est près de Dieu, est loin de la mite, du ver et du voleur. C’est cette richesse que Dieu envoie à notre rencontre quand, après la mort physique, nous allons à la rencontre de Dieu. Cette richesse nous conduira devant le visage de Dieu. Toute autre richesse, qui nous divisait sur terre et nous éloignait de Dieu, nous éloignera de Dieu dans le ciel pour toujours. Car si nous avons livré notre cœur aux richesses terrestres, nous avons livré notre âme à Satan. Nous serons alors pareils aux soldats qui ont trahi leur drapeau et se sont livrés à l’ennemi féroce et menteur.
C’est pourquoi nous devons ouvrir les yeux pendant qu’il est encore temps. Soyons fermement convaincus que la victoire ultime reviendra, non au diable et à ses serviteurs, mais à notre Roi et général-en-chef, le Christ. Aussi faut-il nous dépêcher de recevoir l’arme victorieuse qu’il nous recommande pour le combat, le jeûne honorable, une arme lumineuse et fière, mais terrible et mortelle pour le diable.
Abstenons-nous de nourriture et de boisson superflues, afin qu’elles n’encombrent pas nos cœurs (Lc 21, 31) et ne sombrent pas dans la pourriture et les ténèbres.
Abstenons-nous d’amasser des richesses terrestres, afin que, par l’intermédiaire de Satan, cela ne nous sépare pas du Christ et ne nous force à nous rendre.
Quand nous jeûnons, nous ne jeûnons pas pour obtenir des louanges des hommes, mais pour le salut de notre âme et la gloire de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, que célèbrent les anges et les saints dans le ciel ainsi que les justes sur la terre, avec le Père et le Saint-Esprit, Trinité unique et indivise, maintenant et pour toujours, à travers tous les temps et toute l’éternité. Amen.