(Mt 9, 27-35)
Le premier homme qui fut créé vivait comme les anges en regardant Dieu ; ses descendants, après avoir connu le péché, ont vécu dans la foi en Dieu. Ceux dont la vision est obturée et qui ne sont pas ouverts à la foi, ne peuvent être comptés parmi les vivants, car ils n’ont pas de lien avec la vie ; de quoi pourraient-ils vivre ?
Un lac ouvert sur le ciel, reçoit de l’eau d’en haut, se remplit et ne s’assèche pas. Un autre lac, sans ouverture sur le ciel, reçoit de l’eau par le sol, en provenance de sources de montagne ; il se remplit et ne s’assèche pas. Mais un troisième lac, sans ouverture sur le ciel et sans approvisionnement souterrain en eau, ne peut que se vider et s’assécher.
Un lac privé d’eau peut-il encore être appelé lac? Non, il s’agit plutôt d’une fosse asséchée.
Un homme sans Dieu en lui peut-il encore être appelé homme ? Non, il s’agit plutôt d’une tombe asséchée.
De même que l’eau est la substance principale d’un lac, de même Dieu est la substance principale de l’homme. Pas plus qu’un lac sans eau est un lac, un homme sans Dieu n’est pas un homme.
Mais comment l’homme peut-il avoir Dieu en lui, s’il est fermé de tous côtés à Dieu, comme un lac asséché l’est par rapport à l’eau ou une tombe sombre l’est par rapport à la lumière ?
Dieu n’est pas semblable à une pierre qui, une fois jetée dans l’homme, y demeure en dépit de la volonté de l’homme. Mais Dieu est une force, plus légère et plus forte que la lumière ou l’air ; cette force emplit l’homme ou le quitte, selon la bonne volonté de l’homme et la bonté infinie de Dieu. Ainsi, en deux jours, l’homme ne s’imprègne pas de Dieu de façon homogène. Cela dépend essentiellement de l’ouverture de l’homme à Dieu. Si l’âme humaine n’était entièrement ouverte qu’à Dieu (donc simultanément fermée au monde), l’homme retournerait à la jouissance originelle consistant à regarder Dieu. Mais comme cela est difficile à accomplir dans l’environnement mortel où l’âme humaine se trouve, il reste une seule ouverture permettant à l’homme d’entrer en contact avec Dieu, source de vie: la foi. Or la foi implique d’abord de se souvenir de la vision perdue de Dieu, un souvenir resté gravé dans la conscience et l’intelligence. Puis, cela suppose d’accepter comme vérité tout ce que Dieu a révélé aux prophètes et aux saints, qui ont été jugés dignes de voir la Vérité ; enfin, et c’est le plus important, il s’agit de reconnaître le Seigneur Jésus-Christ comme Fils de Dieu, comme vision palpable du Dieu invisible (2 Co 4,4). Ce troisième facteur est suffisant en lui-même ; il recouvre et réalise à la perfection les deux premiers. C’est la foi qui vivifie et sauve. C’est l’ouverture la plus grande, par laquelle Dieu pénètre en l’homme, selon l’intensité de l’aspiration et de la bonne volonté de l’homme.
C’est pourquoi le Seigneur Jésus demandait souvent aux malades et à ceux qui souffraient : Est-ce que tu crois ? Ou : Est-ce que tu crois que je puisse accomplir cela ? Ce qui signifiait : est-ce que tu m’ouvres la porte pour que j’entre ? La foi de l’homme n’est pas autre chose que l’ouverture de la porte de l’âme et la possibilité donnée à Dieu d’entrer. Mon Dieu, fais le vide en moi et installe-Toi en moi! Avec ces mots s’exprime pratiquement l’essence de la foi.
L’évangile d’aujourd’hui décrit l’un des nombreux cas où le Seigneur frappe à la porte de l’âme humaine et où les hommes ouvrent la porte et Le laissent entrer. Cet extrait de l’évangile décrit l’un des nombreux miracles qui se produisent quand l’homme s’ouvre grâce à la foi et laisse Dieu venir en lui. Dieu est thaumaturge dans toutes Ses activités. Là où II se trouve, le miracle se produit. Devant Lui disparaissent toutes les lois, naturelles et humaines, comme des ombres devant le soleil, et ne subsistent plus que Sa puissance, Sa sagesse et Son amour – le tout, merveilleusement, délicieusement et dans la gloire.
Après les ténèbres de Gadara, où vivaient des païens et où le Seigneur n’avait pas rencontré la foi chez ces gens-là, même à la suite d’un miracle aussi important que la guérison de deux hommes possédés, tout à coup se succèdent plusieurs cas où l’amour du Christ rencontre une foi intense chez les hommes, dans des circonstances où les gens ouvrent volontiers la porte de leur âme ; et II accomplit alors des miracles. Chaque fois que l’amour et la foi se rencontrent, le miracle se produit. Ce fut d’abord le cas chez ceux qui avaient transporté le paralytique et l’avaient descendu à travers le toit jusqu’au Guérisseur thaumaturge. Voyant leur foi, le Christ dit au paralytique: Aie confiance, mon enfant, tes péchés sont remis […]. Lève-toi, prends ton lit et va-t’en chez toi. Ces paroles ne montrent-elles pas un amour infini ? Et se levant, il s’en alla chez lui. N’est-ce pas un miracle, fruit de l’amour et de la foi ? – Puis une femme, hémorroïsse depuis douze ans, toucha la frange de Son manteau en se disant en elle-même : Si seulement je touche Son manteau, je serai sauvée! C’est la foi! Et Jésus lui dit: Aie confiance ma fille, ta foi t’a sauvée. Tels les mots de l’amour véritable. Et de ce moment la femme fut sauvée (Mt 9, 21-22). C’est un miracle issu de l’amour et de la foi. – Puis un notable nommé Jaïre s’approcha, tout triste, du Seigneur et dit: Ma petite-fille est à toute extrémité, viens lui imposer les mains pour qu’elle soit sauvée et quelle vive! (Mc 5,23). C’est là une foi sans hésitation ni réticence. Et le Seigneur vint, prit la main de l’enfant [.. .J et aussitôt la fillette se leva (Mt 5, 41-42). Il lui prit la main! N’est-ce pas là l’amour d’un ami et d’un médecin ? Et la fillette se leva ! N’est-ce pas un miracle, fruit de l’amour et de la foi?
Après tous ces exemples merveilleux de rencontres de la foi des hommes et de l’amour divin, voici encore un autre cas, décrit dans l’évangile de ce jour : Comme Jésus s’en allait de là, deux aveugles Le suivirent, qui criaient et disaient: «Aie pitié de nous, Fils de David!» (Mt 9, 27). D’où le Seigneur Jésus partait-Il? De la maison du notable Jaïre où II venait de ressusciter une petite fille. Les aveugles avaient entendu qu’il était en train de partir et ils se mirent donc à Le suivre en implorant Sa miséricorde. Ainsi avait agi à Jéricho, un aveugle nommé Bartimée: il était assis au bord du chemin et mendiait. Quand il entendit que c’était Jésus le Nazaréen, il se mit à crier: «Fils de David, aie pitié de moi!» (Mc 10, 46-47). Ces deux aveugles agissaient de la même façon. Ayant entendu par leurs maîtres que Jésus le Thaumaturge allait passer, ils oublièrent tout le reste et se mirent à courir à Sa suite en criant…
Pourquoi ces aveugles s’adressent-ils au Christ en tant que fils de David} Parce que cette dénomination était considérée comme un honneur suprême en Israël. Le roi David était considéré comme un modèle pour tous les rois d’Israël; de même que chaque juste était appelé «fils d’Abraham», de même chaque monarque juste était appelé «fils de David ». Or le Christ était un monarque, non par sa position sociale parmi les hommes, mais par Son pouvoir véritable et la puissance qui émanait de Lui comme l’air frais et se propageait tout autour. L’habitude des Israéliens de donner aux descendants, même lointains, de David le nom de « fils de David », se retrouve dans plusieurs passages de l’Écriture Sainte (2 R 16, 2; 18, 3; 22, 2). Il est probable que les deux aveugles songeaient que le Seigneur Jésus était le Messie, quand ils L’appelaient « fils de David », puisque tout le peuple attendait l’arrivée du Messie, dans la descendance du roi David (2 S 7,12-13 ; Ps 89,27 ; Is 9, 7) ; Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père (Lc 1,32) — c’est ce qu’annonçait le grand archange à la Très Sainte Mère de Dieu. Ainsi l’archange lui-même utilise une expression populaire, en appelant David « père du Christ », alors qu’il vient de L’appeler Fils du Très-Haut, c’est-à-dire Fils de Dieu (Lc 1, 32).
Ne s’agit-il pas là d’une réplique terrible aux sombres pharisiens et scribes, qui appelaient le Christ «blasphémateur de Dieu» et «pécheur»? Voilà que le Seigneur les rend honteux, à travers ceux qu’ils considéraient pires qu’eux: à travers des païens, des aveugles, et même des démons! Alors qu’aveuglés par leur vanité, ils étaient incapables de voir le Christ autrement qu’en blasphémateur et pécheur, un centurion païen Lui attribuait le pouvoir divin sur les maladies (Mt 8, 5); les démons à Gadara L’appelaient «Fils de Dieu», et voilà que des aveugles voient spirituellement en Lui un Fils de David. Des païens avaient ainsi senti dans la présence du Christ, la présence de Dieu, tandis que les pharisiens et les scribes obtus ont été incapables de le sentir; les démons avaient reconnu dans le Christ le Fils de Dieu, alors que les chefs pleins de sagesse du peuple d’Israël ne L’ont pas reconnu ; enfin, des aveugles ont vu ce qu’eux- mêmes n’ont pas vu.
Pendant que les aveugles criaient, le Christ ne se retournait pas et ne répondait pas. Pourquoi ? Tout d’abord afin d’accroître leur soif de Dieu et de foi en Lui; deuxièmement, afin qu’un grand nombre entende les cris des aveugles et s’interrogent en leur cœur sur leur propre foi ; enfin, afin de montrer Sa douceur et Son humilité et éviter ainsi toute gloire humaine, en allant guérir ces malheureux non sur la route devant une masse populaire, mais dans une maison devant quelques témoins. Quelle douceur et quelle sagesse ! Lui-même savait bien que rien n’est demeuré secret que pour venir au grand jour (Mc 4,22).
Etant arrivé à la maison, les aveugles s’approchèrent de Lui et Jésus leur dit: «Croyez-vous que je puisse faire cela?» (Mt 9, 28). Oui Seigneur, Lui dirent-ils. La foi de ces aveugles était si forte qu’ils suivaient le Christ
sans s’arrêter et sans tenir compte du fait qu’il ne se retournait pas et ne répondait pas à leurs cris désespérés. Leur foi était si forte qu’ils L’ont suivi jusque dans la maison où II s’était arrêté; bien que cette maison leur fût étrangère, ils avaient osé y entrer. Ils sentaient que le moment de leur guérison était arrivé : c’était maintenant ou jamais ! Ils savaient que dans le monde entier, il n’y avait pas d’homme vivant autre que le Christ qui soit en mesure de leur ouvrir les yeux et leur faire recouvrer la vue.
« Croyez-vous que je puisse faire cela ? leur demande le Seigneur. Pourquoi le leur demande-t-Il, quand II connait et voit leur foi ? Lui qui discerne et lit dans les cœurs ? Il le leur demande, afin qu’ils expriment publiquement leur foi, autant pour eux que pour tous les autres personnes présentes. Car la confession publique de la foi permet de fortifier la foi de ceux qui la confessent aussi bien que de ceux qui les écoutent.
Oui, Seigneur!, répondent les aveugles. Tout joyeux que le Christ se soit adressé à eux, ils sentent en eux l’embrasement de leur foi en Lui et en Son pouvoir. Oui, Seigneur! Ils ne L’appellent plus, fils de David – cela leur paraît un peu évasif- mais précisément « Seigneur». C’est en cela que réside leur confession de foi : Jésus-Christ est Seigneur, Dieu-homme et Sauveur. Et cela suffit. En effet, quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé {Rm 10,13).
La foi est donc là, dans le cœur et la parole. Il faut maintenant que l’amour rencontre la foi et le miracle aura lieu. Et voici l’amour, qui ne tarde jamais à venir à la rencontre de la foi ! Alors II leur toucha les yeux en disant: «Qu’il vous advienne selon votre foi!» Et leurs yeux s’ouvrirent (Mt 9, 29-30). Comme quand on rapproche un cierge qui brûle d’un autre qui n’est pas allumé: ce dernier s’illumine. Le Seigneur très pur n’éprouvait pas de répugnance devant le corps impur de l’homme, ni devant son âme impure. Tout est pur pour les purs (Tt 1,15). Il étendit Ses mains très pures et toucha les trous sombres et les fenêtres closes des yeux des aveugles, et ils s’ouvrirent. Le rideau tomba et la lumière pénétra dans la prison, qui se transforma en palais éclatant. Qu’il vous advienne selon votre foi. Et il en fut ainsi. En quelle haute estime le Seigneur tient Ses créatures, bien que ces créatures ne soient que fumée et poussière sous Ses pieds ! Dans la quête de la foi, Il cherche la collaboration des hommes dans l’œuvre de la création. Comme l’a dit le très sage Chrysostome, Il pouvait d’un seul mot faire de tous les malades sur terre, des êtres en bonne santé. Mais qu’aurait-Il accompli ainsi ? Il aurait ramené l’homme au niveau des substances sans conscience, sans volonté libre, sans liberté de jugement et sans but élevé. Il aurait réduit l’homme au niveau du soleil, de la lune et des étoiles qui doivent briller sur ordre; au niveau de la pierre, qui doit demeurer et tomber sur ordre; au niveau des torrents et des rivières qui doivent couler sur ordre. Mais l’homme est doté de conscience et de raison, et il a le devoir de faire ce qu’une substance sans conscience est obligée de faire, c’est-à-dire s’en remettre entièrement à Dieu et accomplir les commandements de Dieu. « Le Seigneur ordonne, je suis obligée de L’écouter», dit toute la nature. «Le Seigneur ordonne, je dois L’écouter», dit l’homme véritable. L’homme doit choisir, non entre deux biens, mais entre le bien et le mal. S’il choisit le bien, il sera ami et fils de Dieu dans le Royaume éternel, et il lui sera plus agréable qu’à l’ensemble de la nature ; s’il choisit le mal, il sera rejeté par Dieu et il sera dans une situation pire que les substances sans conscience. Telle est donc la volonté du Créateur: l’homme doit choisir librement dans la vie, entre le bien et le mal. C’est pourquoi le Seigneur Jésus interroge les hommes au sujet de la foi, c’est pourquoi II les invite à contribuer à leur propre salut. Le Seigneur exige très peu des hommes. Il ne demande que de la bonne volonté : reconnaître qu’il est le Seigneur Tout-puissant et qu’eux ne sont rien. Telle est la foi que le Seigneur demande aux hommes pour le bien et le salut des hommes eux-mêmes.
Jésus alors les rudoya: «Prenez garde! dit-il. Que personne ne le sache!» Mais eux, étant sortis, répandirent Sa renommée dans toute cette contrée (Mt 9, 30-31). Pourquoi Jésus les mettait-il en garde de ne pas ébruiter ce miracle ? Tout d’abord, parce qu’il n’aspire à aucune gloire ou louange humaine. La gloire et les remerciements ne peuvent ajouter le moindre iota à Sa gloire. Deuxièmement, afin de montrer que ce qu’il fait, Il l’accomplit par compassion et amour des hommes, telle une mère pour ses fils, et non comme des magiciens esclaves de forces démoniaques, qui n’ont dans leur cœur que haine et mépris pour les hommes et dont les activités ne visent qu’à obtenir la gloire et les louanges des hommes. Troisièmement, pour montrer par l’exemple aux hommes que toute bonne action doit être faite à cause de Dieu et non par vanité ; que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite (Mt 6, 3). Et quatrièmement, parce qu’il sait – et II souhaiterait que les hommes le sachent aussi – qu’une bonne action ne peut être cachée, ce qui s’est d’ailleurs vérifié aussitôt. Car, qu’ils l’aient voulu ou non, les aveugles furent amenés à divulguer la nouvelle dans leur contrée. Même si leur bouche restait fermée, leurs yeux parlaient par eux-mêmes. Même s’ils avaient voulu garder le silence, la puissance divine, qui fait tout connaître, les poussait à parler et parler encore. C’est ce que le Seigneur Jésus souhaitait leur montrer: en dehors même de votre propre volonté, cette action sera annoncée, malgré tous vos efforts pour que cela ne se propage pas : tâchez seulement de ne pas l’annoncer par vanité, ou afin d’obtenir des louanges pour vous ou pour moi. Glorifiez Dieu, c’est là l’essentiel.
Comme ils sortaient, voilà qu’on Lui présenta un démoniaque muet. Le démon fut expulsé et le démoniaque parla (Mt 9,32-33). Tels des voyageurs assoiffés dans le désert qui se ruent vers la seule source d’eau découverte, les hommes en quête de guérison, sagesse, force, bonté, paix, se précipitent vers le Seigneur Jésus, seule source jamais vue jusque-là de tous ces bienfaits. Or cette source est surabondante, de sorte qu’aucun de ceux venus s’y abreuver n’en est reparti en ayant soif. A peine les aveugles étaient-ils partis, leurs yeux grand-ouverts et sans personne pour les guider, qu’arrivèrent des gens conduisant un homme muet et démoniaque jusqu’au Seigneur. Muet et démoniaque ! Il n’avait pas la capacité de formuler un mot, ni celle de le prononcer. Le Seigneur ne l’interroge pas sur sa foi, car comment un homme possédé pourrait-il avoir la foi? Comment un muet pourrait-il professer sa foi? Mais le Seigneur voyait la foi de ceux qui l’avaient conduit auprès de Lui. Il est probable que le Seigneur s’était entretenu avec eux comme II l’avait fait auparavant avec les aveugles, mais l’évangéliste, du fait de la similitude des entretiens, des questions et des réponses, ne le mentionne pas. Pour ceux qui aspirent au salut, il y a suffisamment d’enseignements et de jalons dans l’épisode relatif aux aveugles. À l’inverse, pour ce qui concerne ceux qui courent à la déchéance en se moquant du Sauveur et de Ses paroles salvatrices, il ne suffirait pas de citer tous les discours ni toutes les œuvres accomplies par le Seigneur Jésus-Christ tout au long de Sa vie sur la terre. Si tout cela avait été mentionné sténographiquement et décrit, je pense que le inonde lui-même ne suffirait pas à contenir les livres qu’on en écrirait, dit l’évangéliste Jean (Jn 21, 25). Mais ce qui a été mis par écrit, l’a été pour que nous croyions dans le Fils de Dieu et que nous ayons ainsi la vie éternelle (Jn 20, 31). Pour l’événement cité dans l’évangile de ce jour, l’évangéliste ne consacre que deux phrases. Songeons cependant à ce que recouvre cet événement: expulser le diable d’un homme possédé, desserrer le mal qui l’étouffe et faire en sorte qu’il puisse parler de façon paisible et sensée ! Il s’agit d’un événement plus important qu’une guerre à laquelle de nombreux livres ont été consacrés. Faire la guerre, chacun peut le faire, mais expulser les démons et remplir de mots une bouche jusque-là muette, nul ne peut l’accomplir sauf Dieu. On pourrait écrire des livres à propos d’un tel miracle, mais l’évangéliste n’y consacre que deux phrases ; il agit notamment ainsi afin de montrer la multitude de miracles semblables accomplis par le plus grand thaumaturge de l’histoire et mettre en évidence la facilité avec laquelle le Seigneur a réalisé ces miracles.
Il est dit que le Seigneur a d’abord chassé le diable, à la suite de quoi le muet a parlé. Cet acte montre que le Seigneur agit toujours en descendant profondément jusqu’à la racine du mal. L’esprit maléfique était en l’homme et avait ligoté sa langue. Il fallait donc chasser cet esprit mauvais, afin que tous les liens et les chaînes qui lui avaient permis d’enchaîner le malade, se dénouent d’eux-mêmes. C’est pourquoi le Seigneur expulsa d’abord le diable, puis insuffla dans l’homme la force de l’intelligence et de la conscience. Cet événement rappelle beaucoup l’épisode du paralytique où le Seigneur dit d’abord : Tes péchés sont remis, puis seulement après -.prends ton lit et va-t’en chez toi. Pour le Christ, la méthode la plus fréquente est de guérir d’abord la souffrance spirituelle, puis seulement après de s’occuper de la tare physique. Il aurait pu délier la langue du muet, mais laisser le diable en lui. Mais qu’en aurait-il résulté ? Pourquoi lui délier la langue, si par son intermédiaire le diable continue à blasphémer Dieu et les hommes ? Pourquoi libérer l’homme d’une tare moindre, tout en le laissant entre les chaînes d’un mal plus important? Et avec le temps, le diable n’aurait-il pas ligoté de nouveau la langue du malade, le rendant muet une nouvelle fois ? Seigneur, comme tout ce que Tu fais est sage et pertinent! Nous ne pouvons que nous émerveiller devant Ta sagesse inépuisable et nous en inspirer pour que tout ce que nous faisons, nous le fassions en profondeur et à la perfection.
Les foules émerveillées disaient: «Jamais pareille chose n’a paru en Israël! » Mais les pharisiens disaient: «C’est par le prince des démons qu’il expulse les démons» (Mt 9, 33-34). Pendant que les uns s’émerveillent, les autres dénigrent. Pendant que les uns se réjouissent devant le bien, les autres bouillonnent de colère devant le bien. Pendant que le peuple glorifie Dieu, ses dirigeants évoquent le diable. Pendant que les gens bienveillants appellent le Christ, fils de David et Seigneur, les scribes soi-disant sages L’appellent, émissaire de Béelzéboul, le prince des démons! Et pendant que les aveugles recouvraient la vue, les sourds retrouvaient l’ouïe, les possédés récupéraient la raison, les muets se remettaient à parler et à confesser leur foi, les sages de ce monde, à l’esprit empâté par la sagesse terrestre et au cœur endurci par la vanité et la jalousie, étaient incapables de voir le Fils de Dieu, L’entendre, Le reconnaître, Le confesser. Car la sagesse de ce monde est folie auprès de Dieu (1 Co 3,19).
Jamais pareille chose n’a paru en Israël! disaient les foules émerveillées. Il est vrai que Moïse, Elie et Elisée ont accompli des miracles, mais comment? A l’aide de leur foi, du jeûne et de la prière d’une part, et de la grâce accordée par Dieu d’autre part. C’est le Dieu vivant qui a accompli ces œuvres puissantes par leur intermédiaire. Le Christ accomplit tout par Son propre pouvoir et Sa propre puissance. La différence entre Lui et les thaumaturges anciens est la même que celle existant entre le soleil et la lune : la lune brille par la lumière reçue du soleil, mais le soleil brille par sa propre lumière. Sans préjugé, l’âme simple du peuple a senti cette énorme différence, ce qui l’a conduit à confesser que : jamais pareille chose n’a paru en Israël! Les pharisiens, il est vrai, ne nient pas la puissance des miracles, mais, s’ils le pouvaient, ils seraient prêts à soudoyer de faux témoins comme lors de la Résurrection du Christ ; mais ils ne peuvent nier ce qui s’est produit sous le regard de foules nombreuses ; ils ne nient donc pas ces miracles mais, poussés par la méchanceté et la perfidie, les interprètent à leur façon. C’est par le prince des démons qu’il expulse les démons. Ils ont dit cela à plusieurs reprises au Seigneur, et à plusieurs reprises II leur a cloué la bouche par une réponse d’une netteté redoutable, leur disant: si Satan expulse Satan, il s’est divisé contre lui-même; dès lors, comment son royaume se maintiendra-t-il? (Mt 12, 26; Mc 3, 23-26; Le 11, 18). En vérité, il est difficile à un homme tant soit peu équilibré, de concevoir une interprétation plus ridicule, inconséquente et stupide des œuvres du Christ que celle imaginée par les esprits enténébrés des chefs du peuple et des scribes d’Israël. Expulser le diable avec l’aide de Satan ! N’est-ce pas la même chose que de dire : tuer les enfants d’un père avec l’aide du père ? Ou: faire battre et détruire l’armée d’un chef militaire avec l’aide de ce chef militaire ? Mais on ne dit pas en vain que l’envie rend aveugle. On peut aussi dire que l’envie est ridicule ou que l’envie est stupide. Car l’envie non seulement endurcit le cœur et aveugle l’esprit, mais elle embrouille le langage et on ne sait plus ce qu’on dit ; c’est pourquoi tout ce qui sort de la bouche des gens envieux, paraît insensé, ridicule et niais.
Le Seigneur Jésus ne s’attardait pas sur cette impuissance furieuse des chefs du peuple pleins d’envie; Il se dépêchait de poursuivre Son œuvre afin de sauver et de préserver tous ceux que le Père Céleste Lui avait confiés, afin qu’aucun d’eux ne soit perdu (Jn 17,12). L’évangile de ce jour se termine par ces mots : Jésus parcourait toutes les villes et les villages, enseignant dans leurs synagogues, proclamant la Bonne Nouvelle du Royaume et guérissant toute maladie et toute langueur (Mt 9, 35). Ville ou village, peu Lui importait. Il ne cherche pas une ville ou un village, Il cherche des hommes. Il parcourait toutes les villes et les villages, écrit l’évangéliste, afin de montrer le zèle du Christ à l’œuvre. Le zèle pour ta maison me dévore (Ps 69, 10). Pour Lui, en vérité, un jour était comme mille ans. L’œuvre du Christ s’est exercée à trois niveaux, comme le montrent les mots de l’évangéliste. Il enseignait, Il proclamait la Bonne Nouvelle du Royaume et II guérissait toute maladie et langueur humaine. Il enseignait: cela signifiait qu’il analysait l’esprit de la création de l’Ancien Testament. Il proclamait la Bonne Nouvelle: cela signifiait qu’il posait les fondations de la Nouvelle création, du Royaume de Dieu, de l’Église des saints. Il guérissait – cela signifiait qu’il prouvait en actes la véracité de ce qu’il enseignait et de ce qu’il proclamait.
Et tout cela, le Seigneur le faisait par amour à l’égard non seulement des hommes de cette époque, Ses contemporains – Il est le contemporain de tout ce qui a été, est et sera – mais aussi de nous-mêmes. Afin que Sa lumière allume un cierge dans notre âme ; afin que Son amour rencontre notre foi ; afin que de cette rencontre de l’amour divin et de notre foi, naisse le miracle de notre salut; afin de guérir notre aveuglement spirituel, notre stupidité et notre déraison ainsi que tous nos maux et infirmités.
O Christ Seigneur, Fils du Dieu vivant, aie pitié de nous ! Afin que nous sachions glorifier Ton Nom dans tout notre corps, dans tout notre peuple et dans toute l’humanité, avec Ton Père prééternel et avec Ton Esprit doux et vivifiant, Trinité unique et indissociable, maintenant et toujours, de tout temps et de toute éternité. Amen.