”Né à Édesse à la suite d’un miracle, saint Théodore fut confié au maître d’école à l’âge de cinq ans, mais il se montrait incapable de retenir aucune leçon, malgré les coups et les remontrances. Un jour de fête, alors qu’il s’était caché sous l’autel et s’était endormi, il eut la vision d’un enfant d’une beauté éclatante qui lui ordonna de devenir moine et lui remit un bâton pastoral. Dès ce jour, il montra une telle facilité pour les études qu’il retenait immédiatement tout ce qu’on lui enseignait. À l’issue de ses études de rhétorique et de philosophie, le saint, âgé de dix-huit ans, se retrouva orphelin. Il consacra la moitié de sa fortune à l’établissement de sa sœur et distribua sa part aux pauvres, puis il se rendit en Terre Sainte, pour un pèlerinage. Il vénéra avec larmes le saint Sépulcre, source de notre Salut, puis entra au monastère de Saint-Sabas. Au bout de douze années, passées sous la direction spirituelle de l’higoumène Jean, il obtint sa bénédiction pour se retirer en solitaire, à quelque distance du monastère. Il y mena, pendant vingt ans, la vie hésychaste, tel un ange libéré de tout souci pour les choses du corps : il ne mangeait qu’un peu de pain, ne dormait que deux heures, et passait toute la nuit, jusqu’à la troisième heure du jour, immobile, telle une colonne de prière, repoussant les assauts des mauvaises pensées.
Un jour le Patriarche d’Antioche vint rendre visite au Patriarche de Jérusalem pour la Grande Semaine. Comme ils se trouvaient ensemble, des envoyés de la ville d’Édesse arrivèrent dans la Ville sainte, réclamant que leur soit donné un évêque. Le Patriarche fixa aussitôt son choix sur l’admirable Théodore, qui dut accepter malgré ses résistances et ses larmes.
Dès son entrée à Édesse [Occupée par les Arabes en 640, Édesse était alors la métropole du monophysisme. Mais il n’est pas exclu qu’une minorité orthodoxe s’y soit maintenue], il se rendit à la cathédrale et commença à enseigner le peuple. Pendant tout le temps de son épiscopat, il ne cessa pas de prêcher la Parole de Dieu et d’exhorter ses ouailles à la vertu, grâce à la grande sagesse que lui avaient procurée ses années de retraites et de combats ascétiques. Il consacra en particulier ses efforts à la lutte contre les hérésies, alors répandues dans ces régions. Ses réfutations étaient si puissantes que les hérétiques, ne sachant que lui répondre et animés d’une haine meurtrière à son égard, envoyèrent des hommes de main pour le tuer. Mais ces derniers se trouvèrent paralysés, tandis que ceux qui s’étaient précipités sur la cathédrale pour l’incendier étaient brûlés par une flamme jaillie de l’intérieur. Ils soudoyèrent alors les administrateurs musulmans, afin qu’ils s’emparent des biens de l’Église légués par les fidèles. Le saint demanda une entrevue au calife Moawia, pour que justice soit rendue. Parvenu à Bagdad, il trouva le souverain gravement atteint d’un cancer et n’ayant que quelques jours à vivre [Moawia I et Moawia II régnèrent à Damas à la fin du VIIe s. On ne connaît pas de calife abasside de Bagdad, portant le nom de Moawia, qui se serait de plus converti. Il faut toutefois noter qu’un épisode semblable, suivi de la dispute avec un rabbin en présence du calife, se retrouve dans la vie, conservée seulement en géorgien, de S. Jean d’Édesse, qui vécut sous le règne d’Ibn al Rachid (785-809)]. Le saint lui fit boire une potion dans laquelle il avait versé de la poussière recueillie au saint Sépulcre, et le calife se trouva aussitôt complètement guéri. Il convia tous ses dignitaires à un grand banquet pour honorer son bienfaiteur, auquel il donna des présents dignes d’un roi. Puis, le calife l’ayant interrogé sur la raison de sa venue dans la capitale, Théodore lui rapporta les exactions commises par les émirs au dépend des chrétiens d’Édesse. Le souverain envoya aussitôt des émissaires chargés de lettres ordonnant la restitution des biens des chrétiens et il fit expulser les hérétiques qui refusaient de se convertir à l’Orthodoxie. Pendant le séjour du saint dans la capitale, le calife lui confia qu’il souhaitait ne jamais être séparé de sa présence, ni dans cette vie ni dans l’autre. Saint Théodore lui répondit qu’entre eux se trouvait cependant une porte qui les séparait et que le Sarrasin se refusait de franchir. Puis il sortit de son sein un petit évangile, disant que là était la porte qui conduit à la vie éternelle. Les paroles de l’évêque pénétrèrent jusqu’au cœur du calife qui lui demanda de lui lire l’évangile, puis il le pria de lui transcrire le Symbole de foi. Peu après, il se fit baptiser en secret par Théodore, en compagnie de trois de ses serviteurs de noble naissance.

Devant les succès grandissants du saint prélat, les Juifs et les Sarrasins grinçaient les dents de haine. Un chef de synagogue proposa un débat public, au palais, avec les chrétiens. Mais saint Théodore renversa ses arguments fallacieux et le Juif fut frappé de mutisme, provoquant la conversion d’un bon nombre des assistants, Perses et Sarrasins. [L’histoire a retenu que Théodore Abboukara soutint une dispute théologique contre les docteurs musulmans à Bagdad sous le calife Mâmoun (813-839).]
L’hiver passé, le souverain fit convoquer Théodore et lui confia une grande quantité d’or et d’argent pour les distribuer au saint Sépulcre et aux monastères de Palestine. Dès que le saint fut parti pour remplir cette mission, Moawia ordonna de rassembler tout son peuple à l’hippodrome, et il confessa publiquement sa foi en la Sainte Trinité et en Notre Seigneur Jésus-Christ, en montrant la croix qu’il portait au cou. Après un instant de stupeur les Sarrasins se précipitèrent sur lui, tuèrent les trois serviteurs qui essayaient de s’interposer, et percèrent de leurs glaives et de leurs lances le souverain, qui expira en confiant son âme au Christ.

En reprenant le soin pastorale de l’Église d’Édesse, saint Théodore ne négligea rien de son programme ascétique : il mangeait une fois par semaine et veillait toute la nuit, de sorte que le Seigneur lui accorda sa grâce en abondance pour guérir les malades venus de toute la Syrie. Devant ces miracles de nombreux musulmans embrassaient la foi. Trois ans après la mort du calife, Théodore sentant que l’heure de son départ de cette vie était arrivée, fit ses adieux à son peuple et retourna à la Laure de Saint-Sabas. Il y retrouva la cellule qui avait été le témoin de ses premiers combats et, au bout de trois semaines, il remit en paix son âme à Dieu.

[La Vie de S. Théodore résumée ici est attribuée à son neveu, Basile d’Émèse. Cependant il faut probablement identifier S. Théodore avec Théodore Abboukara qui, né à Édesse et moine de Saint-Sabas, fut élu évêque d’Harran, puis se consacra à la prédication itinérante, en (grec,) arabe et syriaque. Disciple de S. Jean Damascène, il fut un ardent défenseur de l’Orthodoxie contre le Judaïsme, l’Islam, les hérésies christologiques et l’iconoclasme. Il mourut vers 825. On attribue par ailleurs à S. Théodore d’Edesse, une centurie spirituelle, incluse dans la Philocalie, mais qui est en fait une compilation de divers auteurs antérieurs.]