”Le saint Prophète Ézéchiel, dont le nom signifie « Dieu fort » (ou « Dieu fortifiera »), était fils du prêtre Buzi et prêtre lui-même, attaché aux institutions de la Loi et au Temple de Dieu. Il avait vingt-cinq ans lors de la première prise de Jérusalem par Nabuchodonosor (597), et fut emmené en captivité à Babylone, avec le roi Jéchonias, sa cour et tous les gens de condition, environ dix mille personnes, ainsi que les objets précieux du Temple (cf. IV Rois 24, 16). Installé à Tell-Abib, près du fleuve Chobar (Nâr Kabar), grand canal navigable situé dans la région de Nippour, il prit femme, et sa maison devint un pôle d’attraction pour les Juifs exilés, qui venaient y entendre la parole de Dieu. La cinquième année de cet exil, alors qu’il se trouvait sur les rives du fleuve, les cieux s’ouvrirent et il contempla, dans une vision grandiose, la gloire de Dieu, portée sur un char de quatre chérubins ailés, aux quatre faces : la première était celle d’un lion, la seconde celle d’un aigle, la troisième celle d’un taureau et la quatrième celle d’un homme. [Ces quatre vivants ont été souvent interprétés par les Pères comme les quatre évangélistes, et les quatre animaux sont devenus leurs emblèmes respectifs. Selon d’autres les quatre animaux sont symboles des puissances de l’âme.
S. Macaire d’Égypte (Homélie I) voit dans cette vision comme le mystère de l’âme, qui a reçu le Christ et devient le trône de sa gloire. De même que les chérubins étaient couverts d' »yeux » de tous côtés, de même l’âme devient « tout œil » et sert de char à l’Esprit, qui en tient les rênes et la conduit là où Il veut.] Deux de leurs ailes étaient déployées vers le haut et les deux autres leur couvraient le corps. Chacun allait droit devant soi, sans se retourner, là où l’Esprit les poussait, et ils faisaient un bruit de tempête en marchant. Au milieu d’eux resplendissait une lueur éclatante comme l’éclair et le feu. Sous les vivants, on voyait quatre roues qui avançaient avec eux; au-dessus d’eux s’étendait comme une voûte de cristal, sur laquelle se trouvait un trône ayant l’aspect d’une pierre de saphir, et sur le trône était assis un être à l’apparence d’homme, ayant l’éclat du vermeil, entouré d’une lumière ressemblant à l’arc-en-ciel. [Cet aspect de vermeil est interprété par les Pères comme l’union indissociable de la divinité (l’or) et de l’humanité (l’argent) dans la Personne de Jésus-Christ, chacune des natures communiquant à l’autre ses propriétés.] Tombé la face contre terre, Ézéchiel entendit la voix de Dieu qui lui ordonnait de se tenir debout et qui l’envoyait auprès des Israélites rebelles (chap. 1).
Une main lui tendit alors un livre roulé, où était écrit : « Lamentations, gémissements et pleurs. » Il dut manger ce livre, et dans sa bouche la parole de Dieu devint douce comme le miel. L’Esprit l’enleva et il put entendre derrière lui un grand tremblement : le bruit des ailes des chérubins et des roues, et une voix clamant : « Bénie soit la gloire du Seigneur au lieu de Son séjour! » (chap. 2-3). De retour à Tell-Abib, parmi les exilés, il resta sept jours frappé de stupeur, sans pouvoir parler. Ce délai écoulé, la parole de Dieu lui fut adressée en ces termes : « Fils d’ homme, je te fais guetteur pour la maison d’Israël. Lorsque tu entendras une parole de ma bouche, tu les avertiras de ma part. » Ayant ainsi reçu la responsabilité de la vie ou de la mort de ceux vers lesquels il était envoyé, Ézéchiel veillera sans relâche, pendant vingt-deux ans, du haut du poste de garde de son esprit tendu vers Dieu. Se faisant lui-même « présage » et « signe » (24, 24), il annoncera, tant par ses paroles que par des actions symboliques, la ruine définitive de Jérusalem, en châtiment des péchés du peuple; mais, une fois la catastrophe survenue, il deviendra son consolateur, proclamant le pardon et la restauration future.
Après une nouvelle vision de la gloire de Dieu (3, 23), le Prophète alla s’enfermer dans sa maison. Frappé de mutisme, il prit une brique, y grava le dessin des murs de Jérusalem et mima contre elle un siège. Dieu lui ordonna ensuite de se coucher sur le côté gauche, pendant 390 jours, puis sur le côté droit, pendant 40 jours, en prenant une nourriture misérable et rationnée, cuite sur des excréments humains, afin de porter sur lui les maux d’Israël qui allait être soumis à l’exil, comme au temps de la déportation en Égypte qui avait duré 430 ans (4). Il se coupa les cheveux et la barbe, en brûla un tiers, frappa le second tiers de l’épée et dispersa le troisième, ne gardant qu’une petite quantité dans le pan de son manteau, en prédiction que seul un petit « reste » échapperait à la destruction (5). « La fin approche, la fin approche, la voici qui vient! » (7, 6) répétait le Prophète sans se lasser, annonçant que Dieu allait assouvir sa fureur et demander compte de toutes les abominations et de tous les péchés commis par Son peuple. Personne ne pourra échapper au roi de Babylone, devenu instrument de la colère divine. On cherchera la paix, mais il n’y en aura pas.
La sixième année de l’exil (692), alors qu’il se trouvait chez lui, en présence des anciens, Ézéchiel vit un homme à l’aspect de feu et de vermeil, semblable au Vivant qui se tenait assis sur le char des chérubins. Cet homme le prit par les cheveux et l’enleva en vision à Jérusalem, à l’entrée du Temple, où les Juifs du temps de Manassé avaient placé une statue d’Astarté et dans lequel se commettaient toutes sortes d’abominations. La gloire de Dieu était là, emplissant de nuée le parvis du Temple, et après qu’un homme vêtu de lin eut été envoyé dans la ville pour marquer d’une croix au front tous les habitants qui gémissaient et pleuraient sur les péchés du peuple et qu’il eut répandu sur la ville des charbons ardents pris du milieu du char des chérubins, la gloire de Dieu quitta le Temple et la ville, portée dans un grand vacarme sur les ailes des chérubins. Ramené en esprit en terre des Chaldéens, le Prophète rapporta aux exilés tout ce qu’il avait vu (11). Il reçut ensuite l’ordre de faire ses bagages et d’ouvrir une brèche dans la muraille pour sortir de la ville, de nuit, le visage couvert, comme un exilé. Comme on lui demandait la raison de cet acte, il répondit qu’il avait ainsi prédit le départ en exil du peuple de Jérusalem, et que le roi Sédécias serait fait prisonnier après avoir tenté de s’échapper par une brèche, ce qui se réalisa mot pour mot (12). Puis, prenant son pain en tremblant et buvant son eau dans l’inquiétude, il prédit que les habitants de Jérusalem dispersés feraient de même, afin que le pays soit débarrassé de la violence et que tous reconnaissent que le Seigneur est le seul Dieu (12, 20).
Après avoir prophétisé contre les faux prophètes, qui rassuraient faussement le peuple et l’exhortaient à la révolte contre les Chaldéens, Ézéchiel rappela l’amour de Dieu pour Israël, dont Il avait fait son épouse au mont Sinaï; mais qui, infatuée de sa beauté, s’était prostituée en se livrant aux idoles. Le Seigneur va, dit-il, rassembler ses amants, les nations étrangères, pour découvrir sa nudité et lui faire honte, en vue de tirer justice de toute son infidélité. Puis, une fois Sa colère assouvie, Il établira, par pure bienveillance, avec Son peuple réconcilié et purifié par l’épreuve, une Alliance éternelle. Préludant à l’enseignement du Nouveau Testament, le Prophète annonçait de plus que, lors de cette réconciliation, nul n’aura à rendre compte des fautes de ses pères, comme l’enseignait la Loi juive, mais que chacun sera jugé dans l’état dans lequel Dieu l’aura trouvé : si le méchant décide de renoncer à ses péchés pour revenir vers Dieu et recevoir de Lui un cœur nouveau et un esprit nouveau, il vivra et ne mourra pas, car Dieu « ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive » (33, 11).
Après tant de transgressions et d’infidélités, Dieu se retient pourtant de déverser sur Son peuple toute Sa fureur et de l’exterminer, par égard pour son Nom (20); et Il lui promet, qu’à l’issue de l’épreuve éducative de l’exil, Il le fera monter du milieu des peuples étrangers et qu’Il régnera sur eux à main forte et à bras étendu. Alors Il fera revenir les fils d’Israël sur la terre de leurs pères, pour Le servir sur la Montagne sainte, dans les larmes du repentir. Avant cette réconciliation, il convient néanmoins que s’abatte la ruine, que les visages soient brûlés par le feu du Jugement et que l’épée aiguisée du Seigneur sépare le juste de l’impie (21). Un an avant la prise de Jérusalem (588), Dieu ayant annoncé que la ville sanguinaire allait être mise à l’épreuve du feu, telle une marmite toute rouillée, pour que sa rouille soit consumée (24), Ézéchiel perdit soudain son épouse, la « joie de ses yeux »; mais le Seigneur lui interdit de prendre le deuil. Le lendemain, il fit savoir au peuple que, de la même manière, ils allaient perdre ce qu’ils avaient de plus cher, et que les malheurs allaient s’abattre sur eux si brutalement qu’ils n’auraient même pas le temps de se lamenter.
Quelque temps après la prise de Jérusalem (587), un des rescapés arriva à Tell-Abib pour annoncer le désastre. Le Prophète, qui avait de nouveau été frappé de mutisme, prit alors la parole pour réprouver la confiance présomptueuse des rescapés, et il prédit que le malheur ne s’arrêterait pas là et que tout le pays serait dévasté. Il prononça ensuite des remontrances solennelles contre les pasteurs d’Israël : roi, prêtres et chefs, qui se paissaient eux-mêmes au lieu de paître leur peuple, par leurs crimes et leur avarice. Il annonça que Dieu allait leur reprendre Son troupeau et qu’Il se ferait le Pasteur de son peuple, pour le ramener dans la Terre Promise et le faire paître sur les montagnes d’Israël (34). Après l’exil, la royauté ne sera pas restaurée en Israël, car dans cette ère messianique, Dieu régnera sur Son peuple par l’intermédiaire d’un nouveau David, le Bon Pasteur (cf. Jean 10, 11-18) : « Moi, le Seigneur, Je serai pour eux un Dieu, et mon serviteur David sera prince au milieu d’ eux et sera pour eux un pasteur » (34, 24).
Israël a profané le Nom de Dieu qu’il portait, en ayant commerce avec les nations païennes, mais le Seigneur l’épargnera, par égard pour ce Nom qu’Il sanctifiera en eux, et, les faisant revenir d’exil, Il les purifiera de toute souillure : « Et Je vous donnerai un cœur nouveau, et Je mettrai en vous un esprit nouveau. J’ ôterai de votre chair le cœur de pierre et Je vous donnerai un cœur de chair » (36, 26). Leur donnant son Esprit Saint pour qu’ils accomplissent Ses volontés et Ses commandements, Il se laissera désormais « chercher » par eux, et le peuple renouvelé se multipliera, tel un immense troupeau de bêtes consacrées (36, 37). Alors qu’il se trouvait au milieu des Juifs exilés, découragés par l’annonce de la catastrophe, le Prophète fut transféré par l’Esprit au milieu d’une vallée pleine d’ossements desséchés. Dieu lui ordonna de prophétiser sur ces ossements et de leur dire en son Nom : « Voici que Je fais venir sur vous l’esprit de vie… ». Aussitôt ces paroles prononcées, il se fit comme un frémissement, les os se rapprochèrent les uns des autres, et se recouvrirent de nerfs, de chair et de peau. Mais l’esprit n’était pas en eux. Le Seigneur dit : « Prophétise à l’esprit, fils d’homme et dis : « Viens des quatre vents, souffle sur ces morts, et qu’ ils vivent »» (37, 9). L’esprit vint alors en eux, les morts reprirent vie et se mirent debout sur leurs pieds, semblables à une immense armée. Le Seigneur expliqua ensuite que ces ossements étaient une figure du peuple d’Israël, desséché et comme mort, qu’Il allait ramener à la vie pour l’installer de nouveau sur son sol; mais au-delà de cette prophétie concernant un proche avenir, Il préparait les esprits à la foi en la résurrection de la chair. [Cette prophétie est lue à la fin des matines du Grand Samedi, témoignant que la Résurrection du Christ est venue accomplir la prophétie d’Ézéchiel. Cf. aussi Dan. 12 et II Maccabées.]
Quatorze ans après la prise de Jérusalem (573), le Prophète Ézéchiel fut emmené en vision en Palestine et placé sur une haute montagne, face à la Ville sainte renouvelée et agrandie. Un ange lui apparut, un cordeau et une canne à la main, et il mesura devant lui les dimensions du Temple. Une fois accompli cet arpentage sacré, il fut conduit devant le porche qui faisait face à l’Orient et vit la gloire de Dieu qui faisait son retour dans le Temple, venant de l’Orient, dans un grand tumulte et un éclat lumineux. Entrant dans le parvis intérieur, qui était rempli de cette gloire, il entendit la voix de Dieu dire : « C’ est ici le lieu de mon trône, le lieu où Je pose la plante de Mes pieds. J’y habiterai au milieu des enfants d’Israël à jamais! » (43, 7). Et Il prescrivit au Prophète de mettre par écrit toutes les mesures du Temple, afin que les fils d’Israël rougissent de leurs péchés et que, se repentant, ils observent sans faillir la nouvelle Loi. Il ajouta que le porche oriental, par lequel la gloire était passée pour entrer dans le Temple, devrait rester fermé pour la suite des âges [L’Église y verra la figure de l’enfantement virginal de la Mère de Dieu, la « Porte scellée ». C’est pourquoi cette prophétie est lue à toutes les fêtes de la Mère de Dieu], et que le prince messianique, le nouveau David, s’y assiérait pour y prendre son repas en présence du Seigneur (44).
Le Temple était tourné vers l’Orient et, à son entrée, sous le seuil, jaillissait une source, qui devenait un torrent puis un fleuve aux eaux profondes, bordé d’arbres touffus, qui arrosait tout le pays pour en faire une terre fertile. Dieu montra ensuite à son Prophète qu’Il partagerait la Palestine en bandes parallèles, équitablement, selon les douze tribus d’Israël. Jérusalem sera située au milieu, dans un territoire réservé à Dieu, et sera confiée aux prêtres et aux lévites ; quant au territoire du prince, il s’étendra à l’orient et à l’occident de cette part sacrée. La Ville sera carrée, dotée de douze portes, et son nom sera désormais : « Le Seigneur est là », signifiant le repos et l’habitation définitive de Dieu parmi les hommes. [On trouve en ces chapitres d’Ézéchiel, non seulement la source littéraire, mais surtout la première annonce prophétique de la Jérusalem céleste, dont la description clôt l’Apocalypse de S. Jean et toute la Bible.] On raconte que le Prophète Ézéchiel châtia des hommes de la tribu de Gad, qui se comportaient de manière impie, en leur envoyant des serpents qui tuèrent leurs enfants et leur bétail [Selon la tradition apocryphe]. Comme il leur prédisait qu’ils ne reviendraient pas dans la terre de leurs pères avant de s’être acquittés de leurs mauvaises actions, les hommes de Gad, ne supportant pas les reproches de l’homme de Dieu, le lapidèrent. Il aurait été enseveli dans le tombeau de Sem et Arphaxad, près de Bagdad.