”La sainte et glorieuse martyre Eugénie vit le jour à Rome, sous le règne de Commode (180-192), au sein d’une noble et riche famille de magistrats. Son père, Philippe, païen nourrissant de bonnes dispositions envers les chrétiens, ayant été nommé par l’empereur préfet d’Alexandrie, se rendit vers la capitale de l’Égypte avec toute sa famille, et il y confia Eugénie aux meilleurs maîtres. Au cours de ses études la jeune fille vint à fréquenter les épîtres de Saint Paul, dans lesquelles elle lut: «Où est-il le sage? Où est-il l’homme cultivé? Où est-il le raisonneur de ce siècle? Dieu n’a-t-Il pas frappé de folie la sagesse du monde? Puisqu’en effet le monde par le Moyen de la sagesse n’a pas reconnu dans la sagesse de Dieu (c’est-à-dire dans Ses œuvres), c’est par la folie de la prédication qu’il a plu à Dieu de sauver les croyants (…) Nous proclamons nous un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et païens, c’est le Christ, puissance de Dieu et Sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes» (I Cor. 1, 20-25). Devant de telles paroles de feu comment persévérer davantage dans l’étude de la stérile philosophie et des vaines occupations de ce monde? Le cœur désormais épris d’amour pour la vraie Sagesse, le Verbe de Dieu incarné et crucifié par amour des hommes, Eugénie décida de ne pas attendre davantage pour devenir chrétienne. À la faveur de la nuit, elle s’enfuit de la demeure familiale en compagnie de deux eunuques, Protas et Hyacinthe, ses fidèles serviteurs, qui, eux aussi, avaient décidé d’embrasser la Foi, et tous trois se rendirent un peu en-dehors de la ville, vers l’église de fortune où les chrétiens avaient coutume de tenir leurs assemblées de prières. On leur recommanda là d’aller trouver refuge dans une communauté proche, prélude des futurs monastères, où des hommes décidés à se consacrer à la virginité et aux combats de l’ascèse vivaient en commun.
Parmi eux brillait en particulier un saint évêque, Hélénos, qui avait acquis une grande renommée en pénétrant sans rien souffrir dans une fournaise embrasée afin de confondre un mage païen. Eugénie coupa ses cheveux, revêtit des effets masculins et, se faisant passer pour un eunuque du nom d’Eugène, fut accueillie avec joie par l’évêque, qui la baptisa sans tarder avec ses compagnons et la rangea parmi les moines. Ils montraient tous les trois un zèle exemplaire, et Eugénie, en particulier, triomphant de la faiblesse de la nature féminine par la fermeté et la ferveur de son amour de Dieu, faisait l’admiration des moines les plus éprouvés, si bien, qu’après seulement trois années de vie ascétique, elle fut désignée par les frères pour succéder à l’higoumène défunt. Avec soumission et crainte de Dieu, elle accepta à la condition de devenir le serviteur de tous, comme le recommande le Seigneur (Marc 9, 35). C’est ainsi qu’en plus de la gestion de la communauté et de la direction des âmes comme père spirituel, elle entreprenait les tâches et les services les plus vils: transport de l’eau, nettoyage, coupe du bois etc. Sa cellule était la plus petite et la plus misérable et, de jour comme de nuit, elle sacrifiait toute ses forces pour l’amour de Dieu et le service des frères.
Une noble et illustre femme d’Alexandrie, Mélanthia, ayant entendu vanter les vertus admirables et les miracles accomplis par l’higoumène Eugène, l’implora de venir la visiter pour la délivrer de la maladie qui la tourmentait cruellement depuis de longues années. Finalement, cédant à ses instances, Eugénie se rendit chez elle et la guérit en l’oignant d’huile sainte. Mais le démon jaloux saisit cette occasion pour insinuer dans le cœur de Mélanthia une passion coupable pour le jeune et beau moine. Feignant une nouvelle maladie, elle obtint qu’Eugène la visitât une seconde fois et essaya alors de l’entraîner au péché. Sans révéler son secret, Eugène la repoussa avec autorité, en lui rappelant le vœux sacré que les moines font de garder inviolée pour le Seigneur la virginité de leur corps et de leur âme, puis il s’enfuit. Cet échec déchaînant chez la méchante femme un profond désir de vengeance, elle proclama partout que l’higoumène Eugène s’était rendu chez elle et l’avait déshonorée. Cette rumeur parvint jusqu’au préfet Philippe qui, n’osant pas mettre en doute la parole d’une personne de si haut rang, convoqua sans plus attendre Eugénie et ses moines. Chargée de chaînes et honteusement accusée, Eugénie se résolut à découvrir toute la vérité, afin de ne pas laisser au diable l’occasion de dénigrer le saint habit monastique. En déchirant sa tunique devant l’assistance ébahie, elle révéla qu’elle était une femme cachée sous une identité masculine afin de pouvoir mener un combat plus glorieux pour la vertu, et, se tournant vers Philippe, elle confessa qu’elle était Eugénie, sa fille, que depuis si longtemps il croyait perdue.
Dans la joie de ces retrouvailles et l’admiration pour les merveilles accomplies par Dieu, Philippe, sa femme Claudia et leurs deux autres enfants, Abitos et Serge, embrassèrent la foi chrétienne et reçurent le saint baptême, en compagnie d’un grand nombre de païens alors présents. Philippe fut même bientôt consacré évêque et gouverna dès lors la grande ville selon les commandements évangéliques, dans l’ordre temporel comme dans l’ordre spirituel, jusqu’à ce que, un an plus tard, dénoncé à l’empereur par des païens envieux, il soit démis de sa charge de préfet et remplacé par le cruel Térence, qui le fit assassiner alors qu’il était en prière dans son église.
Après les funérailles, Eugénie, Claudia, Protas et Hyacinthe retournèrent à Rome et se consacrèrent au jeûne et à la prière dans la demeure familiale. Basilla, une jeune fille de haute naissance, qui désirait devenir chrétienne mais était tenue enfermée par son père, réussit à communiquer par lettre avec Eugénie. Elle reçut de la sainte la catéchèse nécessaire, puis, baptisée en secret par l’évêque de Rome, elle se lia d’une étroite amitié avec Eugénie, car elle partageait avec elle le même amour pour la virginité. Mais une-de ses servantes alla la dénoncer à son prétendant, Pompée, qui, pris de rage à cette nouvelle, la livra à l’empereur ennemi des chrétiens et obtint sa décapitation.
On arrêta ensuite Protas et Hyacinthe, en voulant les contraindre de sacrifier à Zeus. À leur refus, ils eurent également la tête tranchée. Puis, après comparution devant le préfet de la ville, on amena Eugénie au temple d’Artémis pour l’obliger à sacrifier, sous menace de mort. Mais, à la prière de la sainte, les idoles se fracassèrent à terre et le temple lui-même fut dangereusement ébranlé, à la grande frayeur des assistants. Le tyran ordonna alors de la jeter dans le Tibre, d’où elle fut miraculeusement sauvée de la noyade. Après diverses autres épreuves, elle fut finalement décapitée dans son cachot, le 25 décembre, naissant à la vie céleste et éternelle le jour où le Christ immortel s’est fait homme terrestre et mortel pour nous rendre immortels.