”Après avoir décrété la persécution générale contre les disciples du Christ, le sanguinaire Maximien (296-305) parcourait lui-même, à la tête de ses troupes, les différentes régions de son empire pour assister en personne à l’exécution de tant d’innocents. Parvenu à Apamée, métropole de la province de Syrie seconde, les prêtres païens lui dénoncèrent Maurice et les soixante-dix soldats de son escouade comme chrétiens et rebelles au culte impérial, obligatoire dans l’armée. Un tribuna l de fortune ayant été installé un peu en dehors de la ville, on y présenta les inculpés à l’empereur, devant la foule agitée de la plupart des païens d’Apamée. Accusés d’ingratitude envers les dieux de l’empire et à l’égard du souverain qui les avait comblés de biens et d’honneurs militaires, Maurice et ses compagnons répondirent qu’ils ne devaient aucune reconnaissance à des êtres qui n’existaient que dans l’imagination pleine de passions des païens, et ils confessèrent avec une belle assurance l’unique vrai Dieu en trois Personnes et la venue dans la chair de Notre Seigneur Jésus-Christ. Repoussant avec dédain les flatteries et les promesses enjôleuses, ils déclarèrent qu’aucune menace ne pouvait plus les effrayer, car Dieu accorde à ceux qui l’aiment une force surnaturelle, plus forte que la mort.
Quand on les dégrada en leur arrachant leurs ceintures, pour les livrer aux outrages de la populace, ils s’écrièrent que le Seigneur allait désormais les revêtir de la tunique incorruptible de la gloire éternelle. Jetés en prison et étroitement enferrés, les saints athlètes du Christ, unis comme s’ils n’avaient qu’une seule âme, s’encourageait mutuellement à la prière pour supplier le Seigneur de leur accorder la puissance de l’Esprit Saint dans la confession de la Vérité et la patience du Christ dans les souffrances. Au bout de trois jours, ils furent de nouveau traduits devant l’empereur et déclarèrent que cette vie n’avait plus d’attrait pour eux, mais qu’au contraire la mort terrible promise par le tyran était leur seul désir, car elle portait la promesse de la vie éternelle. Fustigés à coups de nerfs de bœuf, jusqu’à ce que leurs chairs tombent en lambeaux, puis jetés dans un brasier et ensuite attachés à des poteaux pour avoir les côtes déchirées au moyen d’ongles de fer, les saints martyrs, absorbés par la prière, restaient insensibles à la douleur, comme si leurs corps étaient déjà revêtus del’incorruptibilité future.
Comme Maximien avait remarqué dans la troupe un jeune et frêle adolescent, Photin («lumine ux»), le propre fils de Maurice, il le prit à part dans l’espoir de le faire fléchir plus facilement; mais, comme il se heurtait à son zèle enflammé, il le fit décapiter sur le champ, en escomptant ainsi désarmer de chagrin celui qui était l’âme et le chef des rebelles. Il fut bien déconfit, car le résultat fut tout autre: l’empressement des martyrs à rejoindre leur jeune compagnon excitait davantage leur audace; aussi le tyran décida-t-il de ne pas faire tarder l’exécution qu’il voulait d’une cruauté inouïe. Il les fit conduire dans un endroit marécageux, entouré de deux fleuves et d’un étang, où les mouches, les moustiques, les guêpes et les insectes de toutes sortes pullulaient en si grand nombre que personne ne pouvait s’y tenir, ne serait-ce qu’un instant, sans être couvert de piqûres douloureuses. Mis à nu et couverts de miel, les saints furent attachés à des poteaux, de manière à ne pouvoir faire aucun mouvement pour éloigner les insectes, dont les assauts étaient d’autant plus virulents qu’on se trouvait alors en période de chaleur.
Portant la cruauté à son comble, Maximien ordonna de placer le cadavre de Photin sous les yeux de son père. Abandonnés ainsi sur place, les saints martyrs supportèrent pendant dix jours et dix nuits d’atroces souffrances, puis remirent leurs âmes au Seigneur et remportèrent au ciel les trophées de leur victoire. [Saint Maurice et ses soixante-dix compagnons ont été adoptés et vénérés avec ferveur par la tradition occidentale au prix de quelques variantes. Amenés de Thèbes, en Orient, jusqu’à la montagne d’Agaune, non loin de Genève, pour exécuter les ordres de Maximien, ils refusèrent de lever leurs armes contre les chrétiens et se déclarèrent eux aussi disciples du Christ. Malgré l’exécution a deux reprises d’un dixième d’entre eux, ils restèrent inébranlables, stimulés par leurs chefs: Maurice, Exupère et Candide. Finalement, ils furent massacrés dans un bain de sang, en s’offrant sans résistance aux coups, après avoir déposés leurs cuirasses. Comme leurs bourreaux festoyaient au milieu de leurs dépouilles sanglantes, ils invitèrent un vétéran de passage, Victor, à se joindre à eux. Mais apprenant la cause de la fête, celui-ci recula avec horreur en confessant qu’il était lui aussi chrétien. On se jeta alors sur lui et son nom fut inscrit sur le rôle de la légion céleste. Ils sont commémorés en Occident le 22 septembre.]