”Saint Julien était un jeune chrétien d’Antinoé, en Égypte, qui, dès sa plus tendre jeunesse, avait rejeté les vains artifices du savoir mondain et, blessé d’amour pour le Seigneur Jésus-Christ, s’efforçait d’imiter les vertus des saints. Parvenu à l’âge de dix-huit ans, ses parents le pressèrent de prendre épouse. Tiraillé entre son désir de se consacrer au Seigneur et le devoir d’obéissance, il obtint un délai de sept jours, qu’il passa dans le jeûne et la prière. Finalement, le Christ lui apparut et l’engagea à se soumettre au désir de ses parents, mais à garder la chasteté dans le mariage afin de ne pas perdre le précieux trésor de la virginité, et Il lui promit de le soutenir dans ce combat contre la nature, pour obtenir dès cette vie les biens que l’œil n’a pas vus, ni l’oreille entendus, mais que Dieu prépare à ceux qui Le suivent de tout leur cœur (cf. I Cor 2, 9). Le mariage fut donc célébré, en grande liesse, avec Basilisse, la fille unique d’une riche famille chrétienne. Mais, dès que les époux se retrouvèrent seuls dans la chambre nuptiale, comme Basilisse s’étonnait de la merveilleuse odeur de fleurs printanières qui y régnait alors qu’on était en hiver, Julien lui expliqua que le Christ accorde à ceux qui préservent la chasteté de leur corps d’exhaler en tout temps un tel parfum, et il lui proposa de garder la virginité, afin de faire ici-bas l’expérience de la vie éternelle.
La jeune femme lui donna son accord; et aussitôt une lumière indescriptible remplit la pièce, et le Christ apparut, trônant au milieu d’une troupe innombrable d’hommes vêtus de blanc, d’un côté, et de l’autre, d’une immense assemblée de vierges, à la tête de laquelle se tenait la Toute Sainte Mère de Dieu. Ils saluèrent par des acclamations les époux victorieux de la volupté du monde et inscrivirent leurs noms dans le Livre de vie. Une fois la vision dissipée, Julien et Basilisse passèrent le reste de la nuit en hymnes d’actions de grâces et en prières. Par la suite, ayant hérité d’une grande fortune à la mort de leur parents, ils distribuèrent de larges aumônes et fondèrent deux monastères. Julien se trouva bientôt à la tête d’une communauté de dix mille moines qu’il préparait à régner dans les cieux, et Basilisse délivra des liens du monde quantité de femmes de tous âges. Quand la persécution de Dioclétien déferla avec fureur sur l’Égypte, les deux saints prièrent Dieu instamment de garder dans la ferme confession de la foi toutes les brebis spirituelles qu’Il leur avait confiées. Le Christ apparut alors à Basilisse et lui promit que les âmes de toutes ses disciples gagneraient bientôt le Royaume et qu’elle les suivrait peu après, et Il lui révéla que Julien allait se montrer victorieux dans un combat auquel la lutte pour la chasteté l’avait admirablement préparé. Sortant de cette vision le visage radieux, comme le soleil à son lever, Basilisse alla rapporter les paroles du Seigneur à ses vierges, et elle les exhorta à offrir généreusement leur vie en sacrifice, pour que le Christ les trouve immaculées au jour de Sa visite. Le lieu où se tenaît la sainte s’ébranla et une colonne de lumière apparut, sur laquelle on pouvait lire cette inscription en lettres d’or : « Voici ce que dit le Premier et le Dernier : Venez dans le Royaume qui a été préparé pour vous! » Peu après, conformément à la promesse divine, les mille moniales trépassèrent et entrèrent dans le Royaume en portant les signes triomphants de la virginité. Elles apparurent ensuite à Basilisse, afin de lui signifier qu’elles n’attendaient plus qu’elle pour être présentées au Christ. Sainte Basilisse alla en informer Julien, et c’est quand ils se trouvèrent ensemble en prière qu’elle partit vers le Seigneur. Julien la déposa dans un tombeau, et après avoir offert des prières pour elle, il rejoignit sa communauté.
La vie bienheureuse de ces moines se déroula sans heurts jusqu’au jour où le gouverneur Marcien fit irruption à Antinoé, avec une furieuse rage persécutrice. Il ordonna qu’une statue de Zeus soit placée dans toute habitation et que pas un champ ni un établissement, public ou privé, ne devait rester sans idole. Il prescrivit en outre qu’aucune transaction commerciale ne devait être accomplie sans avoir été scellée par un sacrifice aux dieux. Quand il apprit que Julien et ses disciples, auxquels s’étaient joints un grand nombre d’évêques, de prêtres et de clercs, refusaient d’obtempérer à ses ordres, il le fit arrêter et présenter au tribunal, avec cependant les égards dus à son rang. Aux injonctions du magistrat le pressant de se plier aux décrets de l’empereur, Julien répondit : « Nous, nous n’avons qu’un Roi, le Christ Fils de Dieu, et nous sommes tous prêts à endurer la mort pour vivre éternellement avec Lui! » L’assesseur alla rapporter ces paroles à Marcien qui donna l’ordre de faire périr tous les moines par le feu dans leur monastère, puis de traduire Julien devant lui. Après ce massacre, le lieu du martyre resta si imprégné de grâce, qu’à l’heure des sept offices du jour, on pouvait y entendre les chants sacrés d’une grande foule et que de nombreux malades y trouvaient la guérison. Le lendemain, Julien comparut donc devant le gouverneur au forum, en présence de toute la ville, petits et grands. D’un ton terrible Marcien l’accusa de se rebeller contre l’empereur et d’avoir user de sortilèges magiques pour rassembler tant de disciples. Après avoir d’abord gardé le silence, Julien rejeta les propositions qu’on lui faisait d’offrir de l’encens aux dieux pour obtenir l’amitié du souverain, et déclara qu’il n’adorait qu’un seul Dieu et que sa foi ne saurait se compromettre avec les cultes impériaux, tout comme la lumière ne peut se mêler aux ténèbres. Exacerbé par l’assurance du saint, Marcien le livra à ses bourreaux, mais l’un d’eux, qui avait la faveur du gouverneur, perdit un œil. Julien fit rassembler tous les prêtres païens, les mettant au défi de guérir le soldat.
Comme leurs incantations s’étaient montrées impuissantes, le saint renversa, par sa prière, plus de cinq cents idoles, et dès qu’il fit le signe de croix sur le borgne, en invoquant le Nom du Christ, celui-ci fut guéri et clama : « Le Christ est le vrai Dieu. Lui seul doit être adoré! » Désirant étouffer l’affaire, Marcien le fit aussitôt décapiter et livra Julien à la torture. Comme on promenait le saint, chargé de fers, à travers la ville, le cortège passa devant l’endroit où le fils de Marcien, Celse, était en classe. L’enfant vit le martyr entouré d’une foule d’êtres resplendissants, vêtus de blanc et coiffés d’une couronne d’or, et il déclara que, désirant lui aussi obtenir une telle gloire, il était prêt à souffrir pour que leur Dieu soit aussi son Dieu. Rejetant ses livres et ses cahiers, et se dépouillant de ses vêtements, il se précipita pour rejoindre Julien à l’endroit où il était torturé, et tombant à ses pieds, il s’écria : « Je te reconnais, toi seul, comme père qui me procurera la seconde naissance. » Quand ses parents apprirent la conversion de Celse, ils fondirent comme la cire sous l’action du feu, et l’ordre fut donné d’arracher de force l’enfant à l’influence du saint martyr. Mais dès qu’il toucha Celse, l’envoyé de Marcien eut les mains putréfiées. Aux supplications de ses parents, Celse répondit d’un ton assuré qu’il les reniait et que rien ne lui ferait préférer les liens de la chair à la grâce éternelle de la filiation divine. Jetés dans un cachot infect et obscur, où ils étaient promis à pourrir dans la vermine, Julien et ses compagnons transformèrent cet endroit, par leurs hymnes et leurs prières, en un lieu de lumière embaumé d’un parfum qui n’était pas de ce monde; et devant ce spectacle étonnant leurs geôliers, au nombre de vingt, se convertirent. Sept frères, fils d’un dignitaire chrétien de sang impérial, qui avaient obtenu des souverains le privilège de mener la vie chrétienne sous la direction d’un prêtre, Antoine, furent avertis en songe de se rendre dans la prison publique pour y procéder au baptême du fils de Marcien et des vingt soldats. Un ange leur ouvrit toutes les portes, et ils parvinrent en présence de Julien et de ses compagnons. Aussitôt informé, Marcien fit arrêter les sept frères ainsi que le prêtre Antoine, et leur demanda pourquoi ils s’étaient ainsi exposés à la peine capitale, alors qu’ils pouvaient vivre selon leur croyance sans être inquiétés.
L’aîné lui répondit que, de même qu’il ne convient pas aux pierres précieuses de rester cachées, mais qu’elles doivent être exposées sur le diadème de l’empereur, de même il leur fallait proclamer leur foi au grand jour, comme Julien, pour être jugés dignes d’orner la couronne du Christ Roi. Marcien ayant fait son rapport aux empereurs sur tous les événements qui agitaient la ville, il fut décidé que s’ils persistaient, Julien et ses compagnons seraient brûlés vifs en présence du peuple, pour servir d’exemple. Les saints acceptèrent la sentence et, comme pour manifester combien elle était dérisoire, Julien ressuscita un mort, Anastase, qui proclama la gloire du Christ. Les glorieux martyrs furent amenés, chargés de fers et chantant des psaumes, dans l’hippodrome où l’on avait préparé trente-six chaudières, remplies de soufre, d’asphalte et de poix. Dès qu’ils furent précipités dans le feu, en élevant une hymne vers le ciel, leurs corps parurent comme de l’or rutilant de tout son éclat. Tous restèrent indemnes et, après qu’on les eut renvoyés en prison, l’autorisation fut donnée à Celse de s’entretenir avec sa mère. En entrant dans le cachot, Marcianilla put contempler une lumière surnaturelle et respirer un parfum qui l’emportait sur les essences les plus rares. Elle en oublia sa peine et reconnut que le Dieu adoré par son fils était le seul et vrai Dieu, qui accorde l’incorruptibilité; et, se livrant en toute confiance à Julien, elle reçut aussitôt le saint baptême. Quand il apprit cette nouvelle Marcien ne retint plus son courroux. Et, le lendemain, après avoir livré les vingt soldats au feu, il convoqua Antoine et Julien, qui semblèrent accepter d’offrir un sacrifice dans le temple de Zeus.
Ils pénétrèrent dans le temple en se signant le front, et, tombant à terre, ils élevèrent une prière au seul vrai Dieu. Dès que les chrétiens présents répondirent l’Amen, toutes les idoles s’écroulèrent et le temple s’effondra, écrasant un grand nombre de prêtres païens. La nuit suivante, une foule de saints leur apparurent, avec sainte Basilisse en tête d’un chœur de vierges qui criaient à pleine voix : Alléluia. Le lendemain, après avoir été soumis à divers supplices, les saints martyrs furent livrés aux fauves, mais les bêtes vinrent lécher tendrement les pieds de Julien. Marcien ordonna alors de tous les décapiter avec des condamnés de droit commun. Au moment de l’exécution, la terre trembla, renversant les idoles de la cité, le gouverneur Marcien prit la fuite et il périt quelques jours après, dévoré par les vers. Le soir venu, les chrétiens se rendirent sur les lieux du supplice où les corps des saints se trouvaient confondus avec ceux des criminels. Ils se mirent en prière et virent les âmes des martyrs se tenir, comme de belles vierges, au-dessus de leurs corps. Ils purent ainsi les rassembler et leur donner une digne sépulture. Une source miraculeuse jaillit de leur tombeau, auprès duquel on érigea un baptistère. Un jour de la Théophanie dix lépreux furent guéris par cette eau en recevant le saint baptême, et d’autres guérisons s’accomplirent par l’intercession de saint Julien, non seulement à Antinoé, mais aussi partout où on l’invoquait avec foi. [Un sanctuaire lui était dédié à Constantinople, près du Forum.] [Le Synaxaire les mentionne aussi le 8 janv. Ce récit a connu, par l’intermédiaire de ses diverses versions et de ses traductions, une immense célébrité, tant en Orient qu’en Occident, au Moyen Age. Nous résumons ici la Passion ancienne (BHG 970-971). Dans certaines notices, Basilisse est présentée comme la mère de Celse.]