”Né à Thessalonique vers 1322, saint Nicolas était issu, par son père, de la famille des Chamaétos; mais il adopta ensuite le patronyme de sa mère : Cabasilas, famille ancienne et réputée. Dès sa jeunesse, il reçut sa formation spirituelle de Dorothée Blatès [Il fut un des pères spirituels les plus réputés de Thessalonique, et fonda, avec son frère Marc, sur l’acropole, le monastère du Pantocrator (1355), qui porte aujourd’hui leur nom (Blatadôn), avant de devenir métropolite de Thessalonique (1371-1379)], proche disciple de saint Grégoire Palamas, et fréquenta les cercles de pieux laïcs qui s’adonnaient à la Prière de Jésus sous la direction de saint Isidore Boucheiras, le futur Patriarche (1347-1350); et après avoir reçu sa première éducation littéraire et philosophique auprès de son oncle, Nil Cabasilas [Théologien célèbre pour ses traités contre les Latins, il fut archevêque de Thessalonique pendant deux ans (1361-1363). Son nom séculier étant également Nicolas, notre saint a quelquefois été confondu avec son oncle et a été considéré comme archevêque de Thessalonique], il alla poursuivre ses études à l’École de Philosophie de Constantinople. Il y acquit une haute culture littéraire, et son admiration de l’Antiquité classique le fit se ranger dans les milieux humanistes, sans toutefois s’écarter de l’enseignement de l’Église. Pendant son séjour dans la capitale, la controverse entre saint Grégoire Palamas et Barlaam (cf. 14 nov.) sur la possibilité de la déification de l’homme par les énergies incréées de la Grâce, éveilla son attention sur la fin ultime de la vie chrétienne, mais il se pencha alors davantage sur les problèmes sociaux et politiques de son époque. Après la mort d’Andronique III (1341), l’Empire se trouva déchiré par une cruelle guerre civile entre les partisans de Jean V Paléologue et ceux de Jean Cantacuzène, situation que vint aggraver la révolte des Zélotes à Thessalonique contre le pouvoir impérial et les nobles.
Nicolas, se trouvant alors à Thessalonique, prit l’initiative de négociations entre les insurgés et Jean Cantacuzène. En 1345, il fut envoyé à Bérée en ambassade auprès du fils et représentant de Cantacuzène, Manuel, et il obtint la promesse de conditions de reddition avantageuses pour les insurgés. Mais dès son retour, André Paléologue s’opposa à ce projet et, ameutant les Zélotes et la populace des bas-quartiers, ils firent l’assaut de la citadelle où s’étaient réfugiés les notables. D’ignobles massacres s’en suivirent, auxquels Nicolas put échapper de justesse en se cachant dans un puits. Il demeura cependant à Thessalonique jusqu’en 1347, sans être inquiété, malgré ses sympathies pour Cantacuzène, et, méditant sur les causes de la guerre civile, il rédigea plusieurs traités contre l’usure et l’injustice sociale. Lorsque Cantacuzène fut élevé sur le trône avec le titre de Jean VI, il appela Nicolas auprès de lui à Constantinople et en fit son conseiller dans toutes les affaires importantes de l’État. C’est sous l’influence de ses deux confidents, Nicolas et son ami d’enfance Dimitrios Kydonès, qu’il appellait des hommes « parvenus au faîte de la sagesse profane, non moins philosophes en action et ayant élu la vie chaste et exempte des inconvénients du mariage », que le souverain forma le projet de se retirer au monastère des Manganes ; mais il dut y renoncer à cause de la situation politique à Thessalonique. Pendant toute cette période, Nicolas s’adonnait à une intense activité d’écrivain, tout en participant activement à la vie publique.
En septembre 1347, il faisait partie de la suite accompagnant saint Grégoire Palamas nouvellement élu archevêque de Thessalonique; mais le peuple ayant rejeté son pasteur, ils se retirèrent au Mont Athos où ils vécurent dans l’hésychia et la prière pendant une année. En 1349, il se rendit de nouveau à Thessalonique où, la révolte des Zélotes ayant été étouffée et les partis opposés s’étant réconciliés, on procéda à l’intronisation de saint Grégoire. En 1351, lors du concile condamnant Akindynos et proclamant l’hésychasme doctrine officielle de l’Église, Cabasilas prit ouvertement parti pour la théologie palamite, et il se déclara ensuite favorable au projet d’un concile d’Union avec l’Église latine, mais sans compromis doctrinal, alors que son ami Kydonès se rangeait du côté des adversaires de l’hésychasme et adoptait une attitude de soumission aux thèses latines. Une nouvelle guerre civile ayant éclaté entre Jean V Paléologue et Jean Cantacuzène (1353), avec pour conséquence la déposition du Patriarche saint Calliste [Cf. notice suivante], le nom de Cabasilas fut retenu comme un des successeurs possibles, mais on élut finalement saint Philothée (cf. 11 oct.). L’année suivante, Nicolas salua par un brillant discours le couronnement de Matthieu Cantacuzène comme co-empereur; mais, peu après, Jean Paléologue s’étant emparé du pouvoir grâce au soutien de mercenaires génois, Jean Cantacuzène dut abdiquer et il embrassa la vie monastique sous le nom de Joasaph.
Le Patriarche Philothée se vit à son tour déposé et envoyé en exil, et on rappela saint Calliste sur le siège patriarcal. Nicolas se retira dès lors des affaires publiques, pour se livrer à la méditation sur le Mystère du Christ vécu dans l’Église. On ne sait pas s’il resta jusqu’à la fin de ses jours un « hésychaste laïc » ou s’il devint moine, comme le laisse supposer certains passages de ses œuvres. Pendant cette longue période de retraite, qu’à part un séjour de deux ans à Thessalonique, il passa à Constantinople, fréquentant les monastères des Manganes, des Xanthopoulos et du Studion, il acquit la réputation d’un homme ayant atteint le sommet de la vertu, et de hautes personnalités, comme l’empereur Manuel Paléologue, sollicitaient ses conseils, le considérant comme leur père spirituel. Le saint évitait cependant de s’engager à nouveau dans les troubles du monde, et il préférait rester dans le silence pour composer ses deux traités majeurs : l’Interprétation de la Sainte Liturgie et la Vie en Christ [Traduction française dans SC 4bis, 355 et 361], qui témoignent de sa sainteté et sont à juste titre considérés comme deux chefs-d’œuvre de la littérature chrétienne. Saint Nicolas s’endormit en paix, sans laisser de témoignage sur ses derniers jours, entre 1391 et 1397.
Dans la Vie en Christ, il montre comment, recevant l’être, le mouvement et la vie véritable par les saints Mystères : le Baptême, la Chrismation et l’Eucharistie, et croissant spirituellement par les saintes vertus, les fidèles peuvent réaliser que le Christ Lui-même, par le Saint-Esprit, vient habiter et croître en eux, jusqu’à l’accomplissement de leur union parfaite avec Dieu. L’Incarnation du Christ est le fondement de toute vie spirituelle, car, ayant uni ce qui était séparé, elle a permis la communion, le « mélange », du créé et de l’incréé. Cette vie en Christ commence, dit-il, ici-bas, mais elle s’achève dans le Royaume éternel qui nous est devenu ainsi accessible dès maintenant, dans l’Église. Le Christ se déverse et se mêle à chacun de Ses membres, par les sacrements, comme la lumière pénétrant dans une pièce à travers des fenêtres, et Il y accomplit le Grand Mystère de son union nuptiale avec l’homme, introduisant dans son corps mortel et soumis au changement la vie immortelle et permanente. Cette présence du Seigneur ne deviendra cependant active que si nous y « collaborons » (synergie), que si nous répondons librement au don de Dieu, en ne faisant rien d’autre que de « garder » avec vigilance la grâce reçue, comme un flambeau allumé, dans l’attente du retour de l’Époux.
La vie spirituelle du chrétien consiste donc à « garder » ses membres et ses sens, auxquels le Christ s’est uni, et à méditer sur l’honneur qu’Il nous a fait. Impossible en effet d’être attiré par le mal pour quiconque a pris conscience de l' »amour fou » dont le Christ nous a aimés, jusqu’à s’offrir en sacrifice sur la Croix afin de faire de nous son temple et ses propres membres. Pour un tel homme, le Seigneur devient le seul désirable et, ayant acquis « l’esprit du Christ », la pratique des commandements lui devient aisée. Et lorsque, croissant dans les saintes vertus, il aura pleinement identifié sa volonté avec celle du Sauveur, lorsqu’il ne fera sa joie que de ce qui Le réjouit et ne s’attristera que de ce qui peut L’attrister, l’amour divin deviendra alors leur vie commune et le fera communier aux propriétés de la nature divine du Dieu-Homme. Cette déification, fin ultime de la destinée de l’homme, saint Nicolas Cabasilas la voit représentée parfaitement dans la personne de la Mère de Dieu qui, par la beauté de son âme et par sa volonté tout entière soumise au dessein de Dieu, a attiré l’Esprit Saint pour que naisse en elle le Sauveur. [Homélies sur les fêtes de la Mère de Dieu (Patrologie Orientale 19)] Empruntant une autre voie que celle de saint Grégoire Palamas, saint Nicolas Cabasilas, humaniste de formation mais hésychaste par vocation, a su montrer que la déification et l’union au Christ constituent le but de la vie spirituelle de tout chrétien, et pas seulement des moines retirés loin du monde et de ses obligations. Transfigurant les éléments positifs de la culture humaniste de son temps pour se faire le docteur d’un « hésychasme sacramentel », il occupe, depuis la récente insertion de sa mémoire dans le calendrier, sa juste place dans le chœur des saints Pères de l’Église Orthodoxe. [Son culte a été instauré en 1982 par le Patriarcat Œcuménique, suite à l’initiative du Métropolite de Thessalonique.]