”Cet autre Ange du désert était originairement soldat dans la cinquième Schola [Corps d’élite, institué par Dioclétien, qui formait la Garde de l’empereur] de l’armée byzantine. Au cours d’une campagne contre les Arabes, il fut capturé en Syrie et enfermé dans la prison publique de Samara, leur capitale, audessus de Bagdad. La misère de cette âpre incarcération le fit revenir en lui-même, et il se souvint qu’il avait autrefois fait vœu de devenir moine, mais, oubliant sa promesse, il s’était engagé dans la carrière des armes. Il se repentit et supplia saint Nicolas, l’intercesseur empressé de tous les désespérés, de venir à son aide, promettant de se faire moine à Rome, s’il obtenait la liberté. [Probablement parce que l’Église de Constantinople était alors dirigée par un patriarche iconoclaste.] Au bout d’une semaine passée dans le jeûne et la prière instante, saint Nicolas lui apparut, à deux reprises, pour l’encourager à persévérer dans la prière et à faire ainsi violence à la miséricorde divine. La troisième fois, il se présenta en compagnie de saint Syméon le Théodoque (cf. 3 fév.) et annonça au prisonnier qu’en unissant leurs prières, ils avaient obtenu sa libération. Le vieillard Syméon, qui était vêtu comme un grand prêtre de l’Ancienne Alliance, toucha de son bâton d’or les liens de Pierre, et ceux-ci se brisèrent aussitôt, comme la cire sous l’action du feu. Ils le conduisirent hors de la prison, puis, Syméon ayant disparu, saint Nicolas le guida jusqu’à Rome.
Dans la basilique Saint-Pierre, au cours de la liturgie du dimanche, le Pape, qui avait été instruit en rêve par saint Nicolas, discerna l’élu de Dieu dans la foule, le fit approcher et le tonsura moine, en lui donnant le nom du Coryphée des apôtres. Il passa là quelque temps, à s’instruire des principes de la vie monastique, puis s’embarqua pour retourner en Orient. Pendant le voyage, le bienheureux ne se nourrissait que d’une once de pain par jour et buvait de l’eau de mer, faisant l’admiration des marins, qui lui témoignaient un grand respect. Après quelques jours de navigation, ils firent escale dans un port [En Crète, d’après S. Grégoire Palamas] pour se ravitailler, où saint Pierre guérit par sa prière une famille atteinte d’une épidémie mortelle. Une nuit, comme le navire était ancré en eaux calmes, il vit la Mère de Dieu lui apparaître en gloire, avec à ses côtés saint Nicolas qui la suppliait de montrer à son protégé un endroit favorable pour y mener une vie agréable à Dieu. La Toute-Sainte répondit : « Il ne pourra trouver le repos que sur la montagne de l’Athos, située aux confins de l’Orient et de l’Occident, que mon Fils et mon Dieu m’a accordée, afin que ceux qui se retirent de la confusion du monde et de ses soucis puissent y servir Dieu sans distractions. Elle sera désormais appelée Sainte Montagne et mon « Jardin », et sera un jour remplie de moines. Pour ceux qui y endureront avec patience tentations et afflictions, en glorifiant le Nom de mon Fils, Je serai leur providence, leur alliée dans les combats, leur médecin et leur soulagement en ce monde, et Je prendrai leur défense au dernier jour pour obtenir le pardon de tous leurs péchés. » Ils parvinrent bientôt en vue du cap sud de l’Athos et, le bateau s’immobilisa soudain, malgré les vents favorables. S’étant informé du nom de cette montagne, le saint révéla à ses compagnons qu’il devait les quitter pour s’y installer. Les larmes aux yeux, ils le déposèrent sur le rivage et, Pierre ayant fait trois signes de croix, le bateau put repartir, le laissant seul dans ce lieu désert et escarpé. Avec beaucoup de peine, il fit l’ascension de la pente et parvint jusqu’à un endroit plat et dégagé, où il trouva une grotte très obscure, entourée d’une épaisse végétation, qui était le refuge des reptiles et l’antre des démons, mais dans laquelle il s’installa néanmoins, en mettant toute sa confiance en Dieu. Le deuxième jour, le diable, ne pouvant supporter l’encens de sa prière ininterrompue, envoya contre lui toute la troupe de ses démons qui tentèrent de l’effrayer par des bruits, des clameurs, des traits de flèches et des jets de pierres. Prêt à s’offrir au martyre, le saint restait inébranlable, et dès qu’il invoqua le Nom de la Mère de Dieu, les apparitions démoniaques s’évanouirent. Cinquante jours plus tard, les esprits de ténèbres mobilisèrent contre lui tous les reptiles et les animaux sauvages de la montagne, mais le soldat du Christ les repoussa par le signe de la croix et l’invocation de Dieu.
Loin de l’effrayer, ces attaques le confirmaient dans sa sainte résolution, et de jour en jour, il progressait dans la vertu. Libre de tous soucis et distractions, il pouvait rassembler en son cœur les puissances de son âme et présenter son intellect, sourd et muet, devant Dieu, dans une prière très pure. Son cœur devenait alors un autre ciel, dans lequel la grâce faisait resplendir ses rayons, qui se répandaient ensuite sur son corps. Mais de tels progrès rendaient furieux le démon, qui ne s’avouait pas vaincu. Au bout d’un an, il se présenta à l’ermite, travesti sous les traits d’un de ses jeunes serviteurs, qui essaya de le persuader de quitter la Montagne, en lui rappelant ses parents éplorés et lui promettant de trouver, en ville, d’autres monastères aussi calmes. Le saint s’émut, mais lui répondit : « Sache que ce n’est ni un ange ni un homme qui m’a amené ici, mais Dieu seul et la Toute Sainte Mère de Dieu. Sans leur ordre, je ne peux pas quitter cette retraite. » Et aussitôt qu’il entendit le nom de la Mère de Dieu, le démon disparut. Sept ans après, il lui apparut de nouveau, transformé en ange de lumière, une épée dégainée à la main, devant l’entrée de la grotte, annonçant au saint qu’il lui apportait une couronne de gloire, car il avait dépassé les prophètes et les saints par ses combats et ses prières.
Il ajouta qu’il lui fallait désormais retourner dans le monde pour l’édification et le salut d’un grand nombre. Saint Pierre répliqua : « Qui suis-je, moi, le chien, pour qu’un ange de Dieu vienne à moi? » Et, une fois de plus, le démon battit en retraite, comme brûlé par l’humilité de l’homme de Dieu. La nuit suivante, la Mère de Dieu lui apparut, avec saint Nicolas, et lui dit : « Désormais, ne crains plus ! » Et elle lui promit que, tous les quarante jours, un ange viendrait lui apporter une manne céleste en nourriture. Ayant éteint par ses combats les sources des passions et ayant été revêtu du manteau de l’impassibilité par la Grâce, le saint passa ainsi cinquante-trois ans dans l’hésychia. Il supportait sans peine les rigueurs du climat et la solitude, car la contemplation divine lui tenait lieu à la fois de nourriture, de vêtement et de consolation. Lorsque Dieu décida de révéler son mode de vie angélique au monde, un chasseur, qui s’était aventuré dans les forêts épaisses du sud de l’Athos à la poursuite d’un grand cerf, fut conduit jusqu’à la grotte du saint. Voyant apparaître devant lui un vieillard vêtu seulement d’un pagne de feuillage, avec une grand barbe et une chevelure blanche comme la neige, qui lui descendait jusqu’à la ceinture, il fut troublé et saisi d’une grande peur. Mais saint Pierre le rassura et lui raconta avec douceur toute sa vie, ses combats et les grâces que Dieu lui avait accordées. Émerveillé, le chasseur rendit grâce à Dieu de l’avoir jugé digne d’une telle rencontre, et demanda au saint de vivre avec lui. Pierre lui commanda cependant de rentrer chez lui, de distribuer ses biens aux pauvres, et après s’être entraîné à la vie ascétique pendant un an, de dire adieu aux siens et de venir le rejoindre. L’année suivante, le chasseur revint à l’Athos, en compagnie de deux moines et de son frère, qui était possédé d’un démon. Mais ils trouvèrent le bienheureux reposant du sommeil éternel, les mains croisées et les yeux fermés. Dès que son frère toucha le corps, il fut pris de convulsions violentes, et le démon le quitta en maudissant Pierre, qui depuis plus de cinquante ans n’avait cessé de le tourner en dérision.
Ils chargèrent le corps sur leur bateau et firent voile vers le nord. Mais dès qu’ils parvinrent en face du monastère de Clément [Un siècle plus tard, en 979, ce monastère « tou Klèmentos », étant tombé en déclin, fut donné à Tornik et S. Jean l’Ibère (cf. 13 mai), et il reçut dès lors l’appellation de « Laure de la Vierge » ou « des Ibères », Iviron] l’embarcation s’arrêta net. – En effet, depuis le début de l’installation de saint Pierre, les moines s’étaient multipliés sur la Sainte Montagne et des monastères y avaient été fondés [C’est symboliquement que S. Pierre est considéré comme le premier habitant de l’Athos, qui devait abriter des ermites depuis longtemps. Lorsque S. Euthyme le Jeune (cf 15 oct.) y arriva, sensiblement à la même époque, en 843, venant de l’Olympe, l’Athos était déjà réputé comme un lieu favorable à la vie érémitique] –. Les moines de Clément se portèrent à leur secours et, malgré leur désir de garder le secret, ils se virent contraints de révéler à l’higoumène de quel trésor ils étaient porteurs. On transféra la sainte relique dans l’église, et aussitôt des miracles se produisirent, attirant non seulement les moines de toute la péninsule mais aussi une foule d’habitants des alentours. Par la suite, on la transféra dans l’église de la Mère de Dieu. [Le catholikon d’Iviron, dédié à la Mère de Dieu, n’existant pas alors, il s’agit vraisemblablement de l’église du Protaton à Karyès, dédiée elle aussi à la Dormition, où « les moines faisaient leur assemblée annuelle », dit la Vie.]
Le chasseur et son frère retournèrent dans leur patrie, et les deux moines, prétendant vouloir passer le reste de leurs jours sous la protection du saint, s’installèrent à proximité. Mais ils le dérobèrent de nuit, quelques jours plus tard, et s’enfuirent sur une barque. Quand ils parvinrent près du village de Photokomi, en Thrace, la population se porta en foule à leur rencontre, pour vénérer le saint qui venait de les délivrer des démons habitant leurs citernes. On ouvrit le sac contenant la relique, et aussitôt elle laissa suinter un baume au parfum céleste, et de nombreuses guérisons se produisirent. Ces miracles attirèrent une telle foule que l’évêque de la région, ayant été averti, vint avec tout son clergé et obligea les deux moines à se dessaisir de leur précieux larcin. Malgré la vaine tentative du démon, qui avait envoyé un homme pour la brûler, la sainte relique fut déposée dans l’église du diocèse et devint une source de miracles et de consolation pour les habitants du lieu. [L’office composé en son honneur, vers 840, par S. Joseph l’Hymnographe (3 av.), permet de situer le repos de S. Pierre dans les premières années du IXe s. Au XIVe s., S. Grégoire Palamas a écrit un éloge du premier Athonite, ayant pour base la Vie ancienne utilisée ici.]