”Martyrologe Romain le commémore le 28. Comme c’est le cas pour d’autres saints anglo-saxons de cette époque (cf. S. Wilfrid 24 av. et S. Théodore de Cantorbéry 19 sept.), on pourrait éventuellement mettre en doute son insertion dans un synaxaire orthodoxe, à cause de son rôle dans l’imposition de l’autorité et des usages romains en Grande Bretagne. Mais pour être convenablement interprétée, cette activité ecclésiastique doit être replacée dans le contexte historique de l’Occident à la suite des invasions barbares.] Lorsque le Pape saint Grégoire le Grand (cf. 12 mars) décida de mettre en œuvre le projet, qu’il méditait depuis longtemps, de mission chez les Anglo-Saxons de Grande Bretagne [L’invasion s’accomplit à la fin du Ve s. en trois vagues d’émigrations de peuples germaniques : les Jutes, qui s’installèrent dans le Kent; les Saxons dans l’Essex, le Sussex et le Wessex, et les Angles en Est-Anglie, Mercie et Northumbrie. Ils repoussèrent les Bretons, christianisés depuis le IIIe s., au nord et à l’ouest et lavèrent dans un bain de sang toute trace de christianisme, si bien que l’évangélisation était à reprendre depuis le début], il fit choix de son homme de confiance, saint Augustin – qui était alors prévôt du monastère de Saint-André, fondé par lui sur le mont Caelius –, pour diriger un groupe de quarante moines missionnaires (596). Ces nouveaux apôtres se mirent en route par voie de terre et se rendirent d’abord en Provence, au monastère de Lérins, ce haut-lieu de la tradition ascétique reçue d’Orient, qui, au siècle précédent, avait aussi accueilli saint Patrice en partance pour l’Irlande (cf. 17 mars). Mais informés là des mœurs sauvages des Anglo-Saxons, et saisis de crainte et de pusillanimité, ils décidèrent de rebrousser chemin et envoyèrent Augustin à Rome pour en informer le Pape. Celui-ci revint peu après, porteur des vigoureux encouragements de saint Grégoire à achever l’œuvre qu’ils avaient entreprise avec l’aide de Dieu, et de lettres de recommandations adressées à l’archevêque d’Arles et aux souverains Francs. Reprenant leur route, ils passèrent l’hiver à Paris, puis traversèrent la Manche et abordèrent dans l’île de Thanet, à l’est du royaume de Kent, qui offrait le terrain le plus favorable à l’évangélisation, car son roi, saint Ethelbert (cf. 24 fév.), qui exerçait la primauté sur les royaumes anglo-saxons du sud, avait épousé une chrétienne, Berthe, la fille du roi de Paris. Augustin envoya aussitôt un émissaire auprès du souverain, pour lui annoncer qu’il était venu lui apporter la Bonne Nouvelle et la promesse d’un règne éternel en compagnie du Dieu véritable. Quelques jours plus tard, Ethelbert arriva dans l’île et demanda aux moines de lui exposer leur doctrine. Fort impressionné, il leur donna licence de prêcher dans son royaume et leur offrit une résidence dans sa capitale, Cantorbéry. Les moines romains entrèrent en procession dans la cité, avec la croix et 1’icône du Christ en tête, en chantant les Litanies, selon l’usage institué à Rome par saint Grégoire, et ils s’installèrent dans une église construite avant les invasions barbares, où la reine avait coutume de prier. Ils y organisèrent leur vie monastique, en imitant parfaitement le mode de vie fraternel des Apôtres et des premiers chrétiens, et se mirent à prêcher avec un tel succès que, peu de temps après, le roi Ethelbert demanda à recevoir le baptême et invita son peuple à l’imiter, si bien qu’à Noël 597, dix mille Anglo-Saxons devinrent chrétiens. La nouvelle Église grandissait rapidement, sous l’autorité avisée de saint Augustin — qui avait été ordonné évêque par saint Virgile d’Arles (cf. 5 mars) —, et avec l’aide du roi. En 601, il envoya deux disciples à Rome rendre compte des premiers résultats de la mission à saint Grégoire et l’interroger sur des questions pastorales spécifiques à cette région éloignée. Avec ses réponses, pleines de sagesse et de discernement, le Pape envoya un second groupe de douze missionnaires, porteurs du pallium — signe de l’autorité d’Augustin sur toute l’Église d’Angleterre —, de vases sacrés et de saintes reliques. Il leur traça aussi un plan d’organisation ecclésiastique des Églises locales : Londres et York devant devenir métropoles à la tête de douze évêchés suffragants. Entre temps, Augustin avait entrepris la construction d’une cathédrale à Cantorbéry (Christ Church) et, un peu en dehors de la ville, d’un monastère dédié à saint Pierre et saint Paul (aujourd’hui SaintAugustin), dont l’église allait recevoir par la suite les sépultures des évêques de Cantorbéry et des rois de Kent. Le temps d’étendre la mission aux autres royaumes païens étant venu, saint Augustin convoqua les évêques et docteurs celtes du pays de Galles pour une conférence, au cours de laquelle il leur proposa de renoncer à leurs particularismes [Ces particularités concernaient la fixation de la date de Pâques, le mode de célébration du baptême et surtout la conception différente de l’organisation ecclésiastique.

 

 

La notion de diocèse étant inconnue chez les Celtes, cette organisation s’appuyait sur de vastes monastères, dont les abbés exerçaient un pouvoir quasi-épiscopal. Les évêques avaient leur résidence dans ces monastères, mais exerçaient plutôt un ministère itinérant de prédication] en vue d’entreprendre en commun l’évangélisation des Anglo-Saxons. Le saint missionnaire ayant rendu la vue devant eux à un aveugle, les docteurs celtes lui montrérent une grande admiration, mais demandèrent à consulter leur peuple avant de répondre à sa proposition. Lors de la seconde réunion, sept évêques, venus du grand monastère de Bangor, se présentèrent, après avoir consulté un ermite qui leur avait recommandé de ne se soumettre aux propositions de l’évêque romain que s’il montrait son humilité en se levant à leur arrivée. Saint Augustin se trouvant déjà assis quand ils parvinrent devant lui, ils en conclurent aussitôt qu’il voulait agir envers eux de manière despotique; ils refusèrent catégoriquement d’abandonner leurs usages liturgiques et, surtout, de le reconnaître comme leur archevêque, ce qui aurait signifié à leurs yeux la soumission au royaume anglo-saxon de Kent. Augustin leur répondit que s’ils refusaient la paix de leurs frères, ils auraient à endurer la guerre de leurs ennemis. Et, effectivement, les Angles anéantirent peu après l’armée bretonne à Chester. Se tournant alors vers ses propres disciples, saint Augustin ordonna évêque Mellitus, afin qu’il aille prêcher dans la province des Saxons de l’est, avec Londres pour siège épiscopal, et consacra aussi Justus évêque de Rochester, dans le Kent, à l’ouest de Cantorbéry. Le nombre minimum de trois évêques, nécessaire aux ordinations canoniques et au fonctionnement des synodes locaux, étant réuni, la mission pouvait désormais s’étendre vers les autres royaumes. Ayant ainsi semé les germes de la nouvelle Église d’Angleterre, saint Augustin s’endormit en paix le 26 mai 604. À la mort de saint Ethelbert, en 616, les deux évêques, Mellitus et Justus, durent cependant quitter l’Angleterre. Ce n’est qu’en 633 que Paulin, archevêque d’York, entra dans le Kent et reprit l’œuvre d’évangélisation; et à partir de 672, saint Théodore de Cantorbéry [Cf. 19 sept.] donna son organisation définitive à l’Église anglo-saxonne.