”Au temps de l’empereur Aurélien (270-275), on vint rapporter au comte Silvain, gouverneur de Nicomédie, que le nombre des citoyens qui abandonnaient le culte de Zeus et d’Arès pour adopter la foi chrétienne augmentait de manière inquiétante, d’autant plus qu’un prêtre des idoles, Lucillien, s’était joint à eux et avait cessé, depuis deux ans, d’offrir des sacrifices aux dieux pour la paix de l’Empire. Pris de courroux, Silvain ordonna de faire les préparatifs nécessaires au sacrifice et promit le titre de premier dignitaire de son prétoire à qui lui ramènerait Lucillien. Un Juif, Syméon, révéla contre une somme d’argent le lieu où le saint avait coutume de se réunir avec d’autres fidèles, à deux milles de la ville. Un fort détachement fut envoyé pour les arrêter et les jeter en prison.
Après une nuit passée, séparé de ses compagnons, Lucillien comparut au matin devant Silvain sur l’agora. Comme le comte lui proposait d’un ton sévère, sous la menace de terribles supplices, de renoncer au Crucifié pour revenir au culte des dieux et leur offrir publiquement le sacrifice qui leur était dû, le saint répondit : « Jamais je n’abandonnerai l’espérance que j’ai trouvée dans le Christ, pour sacrifier à des pierres inertes et à des démons impurs. J’ai perdu assez d’années à les servir en vain. Inflige-moi ce qui te plaira, au plus vite, rien ne pourra me faire changer ! » Sur l’ordre du gouverneur les soldats lui lacérèrent le visage et le fustigèrent pendant deux heures, étendu à terre entre quatre piquets, puis ils le suspendirent la tête en bas. Lucillien restait cependant insensible à la souffrance et traitait le comte de serviteur de Satan et d’ennemi de Dieu, destiné à la Géhenne. Sur les recommandations d’un philosophe, Crispus, qui lui conseillait d’en finir au plus vite, de peur que la résistance du martyr n’entraînât d’autres conversions, Silvain le renvoya en prison. Dans son cachot il retrouva quatre enfants : Claude, Hypatios, Denys et Paul, qui avaient été incarcérés pour leur foi. En l’apercevant les enfants se prosternèrent à ses pieds et lui demandèrent de prier pour qu’il leur soit accordé de remporter avec lui la couronne inflétrissable du martyre. Au petit matin, ils furent conduits tous les cinq au temple d’Arès où siégeait Silvain, qui les somma de sacrifier au dieu sous la menace d’être livrés au feu.
Saint Lucillien réitéra son ardente confession de foi, déclarant qu’il n’avait rien à craindre d’un feu de courte durée, alors que lui, Silvain, aurait à endurer un feu éternel. Les enfants firent écho à ces paroles et déclarèrent qu’ils ne savaient prier que le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Furieux de constater que même des enfants pouvaient lui tenir tête avec une telle audace, Silvain ordonna de les livrer tous aux flammes. Mais à la prière des saints, tout comme autrefois à Babylone pour les trois Jeunes Gens, une ondée céleste vint éteindre la fournaise et ils se tinrent là en louant Dieu. Silvain les fit alors transférer à Chalcédoine, pour tenter de les faire sacrifier à Zeus en promettant aux enfants de riches cadeaux et de somptueux vêtements. Mais ceux-ci répliquèrent d’une seule voix : « Que tes honneurs s’en aillent avec toi à la perdition ! » Le tyran au comble de l’irritation les fit alors transporter à Byzance, où les quatre enfants furent décapités et saint Lucillien crucifié dans un lieu désert. On lui enfonça des clous dans la tête, dans la poitrine, aux genoux et dans les parties génitales. Une jeune et pieuse vierge, Paule, qui avait porté secours aux saints pendant leur réclusion, malgré les interdictions répétées et les menaces des païens, fut ensuite dénoncée au comte Silvain. Arrêtée à Nicomédie [Selon d’autres elle fut arrêtée à Byzance, car elle prenait soin de leur sépulture.] , elle comparut devant le gouverneur et confessa qu’elle avait été conduite à la foi par le glorieux Lucillien. Frappée à coup de lanières par dix hommes, à tour de rôle, elle chantait : « Tout le jour, j’étais frappée; mais Toi, Seigneur, Tu es mon puissant secours » (Ps. 72, 14; 70, 7). Comme elle restait inébranlable, on la soumit à la bastonnade, au point de lui briser tous les membres. Mais, à sa prière, un ange vint la guérir et l’assura qu’au ciel Lucillien et les quatre enfants-martyrs priaient pour qu’elle soit affermie dans la foi. Elle fut présentée de nouveau devant Silvain, radieuse et pleine d’audace, et lui fit part de sa hâte à remporter à son tour les trophées de la victoire. Après lui avoir fracassé la mâchoire, on la rejeta en prison. Livrée au feu, elle fut gardée indemne par l’intervention d’un ange, puis, transférée près de Byzance, elle fut décapitée, en rendant grâce à Dieu, sur les lieux mêmes du martyre de saint Lucillien.