”Vers 1228, deux ascètes, Jean et Conon, venus de la Sainte Montagne de l’Athos, parvinrent à Chypre, qui se trouvait alors sous occupation latine. [En 1191, Richard Cœur de Lion s’emparait de Chypre et, ne sachant qu’en faire, la livra aux Templiers. Il avait été précédé par l’aventurier Renaud de Châtillon, qui avait exercé nombre de cruautés, en particulier envers le clergé orthodoxe. Par la suite, le clergé franc réduisit, de quatorze à quatre, le nombre des évêques orthodoxes et les contraignit à n’être que les intendants des évêques latins. Ils construisirent de nombreuses églises et essayèrent par tous les moyens de soustraire le peuple à sa foi et à ses traditions. Cette occupation latine aux conséquences déplorables dura jusqu’en 1571.] Après avoir séjourné dans les fameux monastères de Machaira et de Chrysostome, ils s’installèrent au monastère isolé de la Mère de Dieu de Kantara. Leurs vertus et leurs combats ascétiques furent bientôt connus du peuple, qui accourait vers eux comme vers une source d’eau vive capable de revigorer sa foi menacée. L’archevêque latin de Leucosie, Eustorgius, craignant que cette renommée ne vienne troubler ses plans, envoya alors deux émissaires au monastère, en vue de soumettre les saints moines. Comme ceux-ci tentaient de les convaincre que la divine Liturgie doit être célébrée avec du pain sans levain (azyme), Jean proposa que chaque parti célèbre séparément la Liturgie et qu’ensuite ils entrent ensemble dans une fournaise, pour que le feu manifeste quelle est la vraie foi; mais les Latins refusèrent la proposition et quittèrent le monastère. Les treize Pères passèrent la nuit suivante en prières d’actions de grâces et, au matin, ils se mirent en route pour Leucosie. Sur le chemin, le peuple se précipitait en masse vers les saints confesseurs pour recevoir leur bénédiction. Aussitôt averti de l’arrivée des moines, Eustorgius les fit convoquer en présence de sa cour fastueuse.
Jean, Conon et leurs compagnons réfutèrent les arguments des Latins par les paroles des saints Pères, aussi, pris de fureur et ne trouvant rien à leur répondre, l’archevêque les fit-il flageller puis jeter en prison. Pendant trois ans ils endurèrent avec constance et confiance en Dieu une sévère incarcération dans un cachot sombre, humide et nauséabond, nourris d’un pain de misère, injuriés constamment par leurs geôliers et soumis à de fréquents supplices. Mais ils restaient inflexibles à toutes les propositions des envoyés de l’archevêque et, comparaissant devant lui au début de la deuxième année, ils lui répliquèrent avec une audace accrue. Ils furent alors livrés aux bourreaux. Théognoste fut le premier d’entre eux à remporter la couronne du martyre, puis on livra son corps au feu. La troisième année (1231), les saints Pères comparurent de nouveau devant l’assistant d’Eustorgius, l’inquisiteur André, qui avait reçu l’ordre d’en finir avec ces rebelles. Ils lui répondirent d’une seule voix qu’ils étaient fiers de confesser, au risque de leur vie, la foi orthodoxe que les prophètes ont annoncée, que les Apôtres ont prêchée et que les Pères et les Conciles ont définie.
Trois jours après, ils furent de nouveau convoqués, en présence d’Éric Ier, roi latin de Chypre (1218-1254), qui donna licence à André de les châtier comme il l’entendrait. Les bourreaux attachèrent alors les saints par les pieds derrière douze chevaux qu’ils lancèrent au galop à travers les rues de la cité pour terroriser les chrétiens orthodoxes. Finalement on détacha leurs corps expirants et on les jeta sur un bûcher dressé à leur intention. Comme Jean se tenait en prière au milieu des flammes, un des assistants le frappa à la tête avec un gourdin, mais en tombant le saint éteignit le feu. Les bourreaux allumèrent alors un second brasier, sur lequel ils jetèrent pêle-mêle les corps des saints avec des ossements d’animaux, puis ils dispersèrent leurs cendres. Un peu plus tard, André, devenu évêque d’Avila en Espagne, périt brûlé vif, alors qu’il s’était endormi près de sa cheminée.