La mémoire pour la tradition russe : le 15 octobre; pour la tradition grecque : le 28 mai
”Notre saint Père André était un esclave d’origine scythe, qui vivait à Constantinople, au service d’un dignitaire de la Garde impériale (protospathaire). [Son biographe, Nicéphore, qui rédigea sa vie entre 920 et 956, le place, de manière très anachronique, sous le règne de Léon Ier (457-474). On pourrait plutôt le situer sous le règne de Léon VI le Sage (886-911), bien que certains historiens, se fondant sur ces contradictions chronologiques, considèrent qu’André est un saint fictif, inventé par son biographe à des fins d’édification.] Il apprit rapidement les lettres sacrées et profanes, et faisait l’admiration de son entourage pour son savoir. Une nuit, alors qu’il se tenait en prière, il vit avec effroi une armée d’Éthiopiens prête à affronter une troupe d’hommes blancs. Invité à engager un combat singulier contre le champion des barbares, André l’étendit à terre et en récompense il reçut d’un ange trois couronnes, alors que le Christ, apparaissant sous l’aspect d’un jeune homme, lui disait : « Mène, nu, ce bon combat, et fais-toi fou pour Moi, afin d’être digne du Royaume des cieux! » Dès le lever du jour, obéissant à cet ordre divin, André entama sa carrière de fou pour le Christ en coupant sa tunique avec un glaive et poussant des cris qui effrayèrent toute la maisonnée. Son maître, le croyant possédé, le fit enchaîner et garder à l’église Sainte-Anastasie-Pharmacolytria (cf. 22 déc.).
Il y passait ses jours à contrefaire la folie par toutes sortes d’excentricités, et priait toute la nuit, confirmé dans cette voie par l’apparition de sainte Anastasie. Une nuit, il fut assailli par une troupe de démons; mais dès qu’il appela saint Jean le Théologien à son aide, le saint apparut dans un coup de tonnerre, dispersa les démons au moyen de la chaîne qui entravait André, et lui promit son assistance dans la suite de ses combats. Lors d’une autre vision nocturne, il fut invité à servir un roi dans son palais, et reçut de la neige à manger, qui se transforma en un parfum céleste. Puis on lui offrit des fruits amers – symboles de la voie étroite qu’il devrait suivre –, et après cela une nourriture exquise lui fut donnée, qui lui procura une divine extase. Libéré après quatre mois de détention dans l’église, André commença à se comporter en public à l’imitation de saint Syméon le Fou. [S. Syméon (VIe s., cf. 21 juil.) est le principal et le plus expressif représentant de ce genre de sainteté exceptionnel, qui est en général déconseillé par les Pères. Dans l’Église grecque on vénère aussi SS. Isidora de Tabennêsis (1er, mai), Paul de Corinthe (6 nov.), Sabas de Vatopédi (5 oct.), Nicodème le Nouveau (cf. 24 nov. suppl.), et d’autres saints qui ont adopté provisoirement la folie, comme S. Maxime le Kavsokalyvite (cf. 13 janv.) ou Gédéon de Caracallou (cf 30 déc.). Mais c’est surtout en Russie que cette forme de sainteté connut une grande popularité. L’Église a canonisé trente-sept « Fous » : cf. par ex. SS. Jean le Chevelu de Rostov (3 sept.), Maxime de Moscou (11 nov.), Cyprien de Souzdal (2 oct.), Syméon de Yurieviets (4 nov.), Procope de Vyatsk (21 déc.), Michel de Klops (11 janv.), Galaction (12 janv.) et Théodore de Novgorod (19 janv.), Xénie de Saint-Pétersbourg (11 sept., 24 janv.), Nicolas (28 fév.) et Isidore de Rostov (14 mai), Jean (29 mai) et Procope d’Oustioug (8 juil.) etc.. En Russie, avant la Révolution, il n’y avait guère de village qui n’eût son propre Yourodivy.]
Mais, alors que Syméon usait de la folie, sous forme d’ironie ou de dérision, pour condamner les pécheurs et les vaines valeurs de ce monde, saint André, par ses facéties, s’offrait plutôt au mépris et aux mauvais traitements, à l’imitation du Christ, pour manifester la « folie de la Croix » (cf. I Cor. 1, 18). Appliquant à la lettre les paroles de l’Apôtre qui a dit : « Nous sommes fous à cause du Christ » (I Cor. 4, 10), il s’offrait volontairement à la dérision et aux coups, et se faisait « la balayure du monde, l’universel rebut » (I Cor. 4, 13), pour acquérir le Royaume des cieux et y entraîner les autres. Entrant un jour dans une maison de tolérance, protégé par la grâce, il resta impassible face aux provocations des prostituées qui finalement le dépouillèrent de ses vêtements et le chassèrent revêtu seulement d’un paillasson, qui devint son costume habituel. Il errait dans les rues, sans logis, et distribuait aux pauvres les aumônes qu’il recevait. Jamais il ne demandait de nourriture, se contentant d’un demi pain sec par jour, et il restait même des semaines entières sans manger. Pour étancher sa soif, il lapait les flaques d’eau boueuse, et devant ce spectacle les passants indignés le rouaient de coups et l’injuriaient. La nuit, il allait s’étendre avec les chiens errants. Un soir d’hiver, comme il essayait de se blottir contre l’un d’eux pour se réchauffer, l’animal s’éloigna avec dédain. S’offrir à la plus complète déréliction était pour le bienheureux une source de délices; mais la prière ne quittait jamais ses lèvres, et l’on pouvait distinguer en tout temps une sorte de bouillonnement dans sa bouche, comme les Apôtres le jour de la Pentecôte.
Lorsqu’il priait la nuit, il était souvent élevé de terre et son esprit se trouvait ravi en d’ineffables extases. Lors de cette même nuit d’hiver, où les chiens mêmes l’avaient rejeté, il fut transporté par Dieu en extase, délivré de la lourdeur de la chair, revêtu d’une tunique lumineuse et couronné comme un roi. Il se trouva au centre d’un jardin merveilleux, rempli de plantes surnaturelles et d’oiseaux dorés, au centre duquel s’étendait largement une grande vigne aux grappes d’une taille extraordinaire. De là un ange le conduisit audessus du firmament, dans un lieu d’une beauté indescriptible, où il vit la Croix entourée de quatre voiles. Un autre ange le mena ensuite dans un lieu plus élevé, où il vit deux croix semblables à la précédente, puis il fut conduit au troisième ciel – que seul saint Paul avait été jugé digne de voir avant lui –, et il y contempla trois croix, éclatantes comme l’éclair, entourées d’une armée céleste qui louait Dieu. Il passa alors au-delà d’un voile de lin et de porphyre, et parvint à un lieu encore plus resplendissant, où se tenait une assemblée innombrable de jeunes gens plus lumineux que le soleil. Un ange leva le dernier voile et André put contempler le Trône de Dieu, suspendu en l’air, sans assise, d’où sortait une flamme blanche. Le Christ s’y tenait assis, et Il restreignit un peu Sa gloire pour laisser André jouir, pendant un instant seulement, de la splendeur de Sa divinohumanité, puis Il devint invisible. Une voix plus douce que le miel prononça alors à trois reprises trois Noms divins mystérieux, et aussitôt le saint fut ramené dans le jardin, où il rencontra un homme lumineux, tenant une croix, qui le bénit en disant : « Bienheureux êtes-vous les fous, car vous possédez une grande sagesse. Que la Crucifixion de Notre Seigneur Jésus-Christ soit avec toi ». Puis il le renvoya, avec pour mission de renverser le Prince de ce monde, en assumant volontairement la dérision et la persécution des hommes. Reprenant ses facéties avec une audace redoublée, André fit la connaissance d’Épiphane, un jeune noble de dix-huit ans, chaste et doux, qui devint son protecteur et son fils spirituel, et auquel André prophétisa qu’il deviendrait patriarche de Constantinople [Il pourrait donc s’agir de S. Polyeucte (956-970, cf. 5 fév.) ou de S. Antoine III (974-980, cf. 12 fév.)].
Ayant été hébergé dans la demeure d’Épiphane, le saint y blâma, sous forme de paraboles, les péchés des serviteurs de diverses nationalités, dans leur propre langue. Il avait refusé le lit qu’Épiphane lui proposait et passait ses nuits dehors, sur le fumier. Mais il ne tarda pas à reprendre sa vie errante dans les rues, en s’offrant aux jeux cruels des garnements et aux coups des passants. Lorsqu’il s’adressait aux hommes, il les appelait toujours : « Fous », ou « Insensés », mais il se condamnait aussi constamment lui-même avec la plus grande humilité. Lors d’une nouvelle vision du Malin et de ses troupes de démons, qui lui reprochait d’amener au repentir les hommes qu’il tenait en sa possession, en leur révélant leurs péchés par ses actes prophétiques, André entra dans une violente altercation avec le Prince des ténèbres; mais celui-ci n’avait aucun pouvoir contre l’homme de Dieu, car il s’était dépouillé de tout attachement terrestre. Une nuit, le démon le fit tomber dans une fosse, mais dès que le saint invoqua saints Pierre et Paul, les deux Apôtres apparurent, le tirèrent du bourbier, et une croix lumineuse vint l’éclairer pendant le reste de son chemin. Au cours d’une grande peste, qui s’était abattue sur la capitale, malgré les moqueries des badauds, le saint passait dans les rues et sur les places en pleurant et intercédant pour la ville, et demandant à Dieu le pardon des péchés du peuple. Comme il se tenait en prière, il fut transporté à Anaplos en Thrace, où il vit saint Daniel le Stylite (cf. 11 déc.) qui l’invita à unir leurs prières pour le salut de la cité. Un feu descendit alors du ciel et chassa le démon qui avait provoqué cette épidémie. Saint André ne se lassait pas de reprendre les pécheurs, soit par des avertissements, soit par des prophéties sur leur châtiment à venir, lesquelles ne manquaient jamais de se réaliser sous peu. Passant un jour devant les marchandises de luxe étalées au marché, il s’écria : « Paille et ordure! » Une autre fois, sur la proposition malicieuse de vagabonds farceurs, il se mit à manger avidement les belles figues fraîches exposées dans l’échoppe d’un maraîcher, pendant que celui-ci faisait la sieste. Lorsque le marchand se réveilla, surprenant le saint, il saisit un bâton et le roua de coups. André se laissa frapper sans résistance, et révéla ensuite que s’il avait été frappé à cause de sa gourmandise, combien plus les pécheurs qui ne se repentent pas seront-ils châtiés par Dieu éternellement. Ayant reçu le don de clairvoyance, il dénonçait la piété hypocrite de ceux qui se tenaient à l’église en entretenant des pensées mondaines ou chantaient par vaine gloire et ostentation; et il discernait les démons de l’indifférence, du bâillement et de l’acédie, qui suggéraient à leurs victimes de quitter l’église avant la fin de l’office.
À l’issu du Carême, il distinguait l’état spirituel de chacun : voyant les hommes vertueux couronnés de lin fin et les pécheurs avec des bestioles immondes suspendues à leurs vêtements. Mais son soin allait tout particulièrement à l’éducation spirituelle d’Épiphane, la seule personne avec laquelle il parlait de manière sensée. Il l’instruisait avec science dans la lutte contre les démons, et le laissait parfois être tenté par eux, pour acquérir la patience et devenir, sous le feu des épreuves, un digne pain du Christ. Il l’enseignait aussi sur les mystères de la création, sur le monde spirituel, et surtout, il lui révéla, avec de nombreux détails inconnus de l’Écriture, ce qui allait arriver à la fin des temps, lorsqu’à l’issue de terribles épreuves, invasions et catastrophes naturelles, l’empereur des Romains ira remettre sa couronne sur la Croix à Jérusalem, avant que celle-ci soit emportée au ciel par un ange. Ainsi s’achèvera le temps de l’Empire chrétien, instauré par saint Constantin. Peu après, Constantinople – que les Byzantins de ce temps considéraient souvent comme devant être éternelle –, sera engloutie dans les flots, comme Babylone (Apoc. 18, 21), et la royauté juive sera restaurée à Jérusalem. Tous croiront à l’Antéchrist, qui y règnes comme seul souverain sur terre et persécutera les chrétiens. Le Christ apparaîtra ensuite pour mener le grand combat contre l’Antéchrist, et lorsqu’Il l’aura vaincu, Il l’amènera, lui et ses démons, devant le Tribunal de Dieu, pendant qu’une trompette retentira, annonçant la résurrection des morts. Après le Jugement, quatre anges se tiendront aux quatre extrémités de la terre et ils l’enrouleront sur l’ordre du Seigneur.
L’univers entier sera alors renouvelé, des « cieux nouveaux et une terre nouvelle » apparaîtront, pour être conformes aux corps incorruptibles des hommes ressuscités. Tout sera alors incorruptible et éternel, et un parfum indicible remplira l’univers illuminé par une lumière sans soir. Un jour qu’André et Épiphane s’étaient rendus à l’église des Blachernes, pour la vigile qui y avait lieu chaque semaine, ils virent la Très-Sainte Mère de Dieu s’avancer des portes saintes, escortée par un grande foule de saints, parmi lesquels saint Jean Baptiste et saint Jean le Théologien, et recouvrir le peuple de son voile. [Distinct du miracle habituel, qui se produisait chaque vendredi dans ce sanctuaire, et au cours duquel le voile qui recouvrait une icône de la Vierge se soulevait de lui-même et se maintenait en l’air, ce miracle a fourni le thème de la fête de la Protection de la Mère de Dieu (cf. 1er oct.), laquelle fut, semble-t-il, instituée en Russie au XIIe s., et de là se diffusa en Grèce au siècle dernier.] Une autre fois, comme saint André lisait à son disciple un texte de saint Basile, un parfum céleste se répandit autour d’eux. À la question d’Épiphane, le saint répondit que cette bonne odeur est prise par les anges du Trône de Dieu, pour qu’ils encensent et honorent les hommes à trois occasions : quand ils prient, quand ils lisent les livres saints et quand ils souffrent avec patience par amour de Dieu. Quelque temps après ses révélations sur la fin des temps, saint André annonça à Épiphane sa mort prochaine; mais il lui interdit de faire honorer sa mémoire ou de garder ses reliques, car il avait fait vœu devant Dieu de ne jamais être glorifié sur la terre. Il lui renouvela sa prédiction quant à son élection au patriarcat, et lui promit de toujours l’assister invisiblement, à condition qu’il montre sa sollicitude envers les pauvres, les veuves, les orphelins et tous ceux qui sont dans l’épreuve. Puis il se rendit à l’Hippodrome, sous le portique où avaient coutume de se tenir les prostituées, et y pria toute la nuit pour le monde entier. Une fois sa prière achevée, le bienheureux s’étendit à terre et, regardant en souriant les saints qui étaient apparus en grand nombre pour l’assister, il remit son âme à Dieu, à l’issue de soixante-six années de combats ascétiques cachés sous le voile de la folie. Une pauvre femme, qui habitait à proximité, attirée par une forte odeur d’encens qui avait rempli l’atmosphère, accourut et découvrit son corps; mais lorsque la foule, avertie par elle, se précipita vers la dépouille du saint, celle-ci avait disparue, emportée par Dieu dans un lieu inconnu. Cette nuit-là, Épiphane vit l’âme de son père spirituel, sept fois plus lumineuse que le soleil, enlevée au ciel en présence d’une myriade d’anges.