”Notre saint Père Corneille naquit au XV siècle dans une des familles les plus fortunées de Rostov, apparentée au grand-prince de Moscou. Admis à la cour à l’âge de treize ans, il suivit son oncle qui avait décidé de renoncer au monde et de se retirer au monastère de Saint-Cyrille du Lac-Blanc (cf. 9 juin). Il resta novice pendant six années, travaillant avec ardeur à la boulangerie et prenant volontiers sur lui le travail des autres frères moins zélés. Il portait sur le corps de lourdes chaînes et occupait ses temps libres à la copie de manuscrits. Une fois tonsuré moine, il entreprit un voyage dans les monastères les plus célèbres de Russie, afin d’approfondir sa connaissance de la vie monastique et d’y rencontrer des hommes de Dieu. Il résida quelque temps dans un ermitage situé près de Novgorod, mais s’enfuit bientôt, quand l’archevêque saint Gennade (cf. 4 déc.) lui proposa de l’ordonner prêtre. Parvenu dans la forêt encore fort sauvage de Komel, dans la région de Tver, il s’installa dans une chaumière abandonnée par des brigands et entreprit d’y mener un combat sans relâche contre la chair et contre la nature. En plus des difficultés de subsistance dans ce lieu désert et sauvage, il dut affronter aussi les violentes et persistantes tentations des démons, ainsi que les attaques des brigands. Un jour des malfaiteurs, après lui avoir dérobé ses livres, qui étaient sa seule possession, ne retrouvant pas leur chemin, errèrent toute la nuit dans la forêt et se retrouvèrent au petit matin devant la cellule du saint. Ils restituèrent leur larcin et demandèrent pardon. Ayant été finalement ordonné prêtre, malgré ses protestations, par le Métropolite de Moscou Simon (1495- 1511), Corneille demeura seul, en présence de Dieu, pendant vingt ans.
Lorsqu’il parvint à l’âge de soixante ans, le saint commença à accepter des disciples. L’église et les modestes cellules qu’il avait tout d’abord bâties pour eux devinrent vite insuffisantes et, la communauté se développant rapidement, on entreprit la construction d’un vaste monastère, avec une seconde église, dédiée à saint Antoine le Grand, et tous les bâtiments nécessaires au fonctionnement d’un cénobion que Corneille voulait organiser dans la plus grande fidélité à l’esprit des saints Pères. Il rédigea à cette fin un Typikon si parfait qu’il devint le modèle de nombreuses autres fondations entreprises par ses disciples. [Cf. par exemple : Gennade de Kostroma (23 janv.), Cyrille du Lac-Neuf (4 fév.), Adrien de Pochekhonie (5 mars).] Le saint y avait fusionné harmonieusement les Règles de saint Nil de la Sora (cf. 7 mai) et de saint Joseph de Volokolamsk (cf. 9 sept.) : Fidèle aux principes spirituels de Nil, il les adaptait à la vie d’un monastère cénobitique, telle qu’elle avait été organisée à Volokolamsk. Il y insistait en particulier sur le strict dépouillement évangélique, et il était rigoureusement interdit d’appeler « sien » quoi que ce soit. Lorsque le prince Basile III voulut offrir au monastère forêts et terres, le saint n’accepta que celles que la communauté pouvait travailler elle- même pour ses propres besoins, « afin de manger le pain de notre propre sueur », disait-il. L’obéissance, principe de l’ordre et de la paix, devait être observée dans tous les détails de la vie quotidienne, et un jour que le boulanger avait cuit ses pains sans demander la bénédiction du supérieur, comme le prescrivait le Typikon, Corneille ordonna de les jeter sur la route.
Le monastère était, à l’image du Royaume de Dieu, un refuge pour tous les hommes éprouvés. Il était doté d’un asile pour accueillir les pèlerins et les mendiants, et lorsque la famine s’abattit sur le pays de Vologda, des foules d’affamés s’y pressèrent. Corneille les recevait tous avec amour, distribuait de ses propres mains, sans compter, des vivres, même à ceux qui se présentaient plusieurs fois devant lui, et il recueillait comme un père les enfants que leurs parents désespérés avaient abandonnés à la porte. Un jour, alors que certains moines lui avait reproché ses prodigalités, saint Antoine lui apparut en vision et remplit son manteau de pains et de prosphores, pour l’encourager à persévérer dans cette vertu. Ravi de joie après cette vision, le saint ordonna à ses moines, les larmes aux yeux, de toujours faire, après sa mort, l’aumône aux pauvres. Sachant que l’homme ne vit pas seulement de pain, saint Corneille prodiguait aussi l’aumône spirituelle : une parole de consolation ou un conseil spirituel, aux foules qui accouraient vers lui pour recevoir sa bénédiction. Avec affabilité et patience, il bénissait, consolait, faisait du bien et parlait à tous ceux qui avaient recours à lui.
Malgré la patience et la douceur du saint à l’égard des récalcitrants, sa rigueur dans l’application des principes du monachisme suscita la haine de certains moines qui le jugeaient trop sévère. Un jour, deux d’entre eux, ayant résolu de le supprimer, se cachèrent sous un pont, où Corneille devait passer. Mais à trois reprises ils le virent escorté d’une foule nombreuse, qui disparaissait aussitôt que le saint se trouvait hors de leur portée. Saisis de terreur devant ce miracle, ils allèrent se jeter aux pieds de l’homme de Dieu, qui leur pardonna et les laissa partir avec charité. Saint Corneille fut aussi l’objet des calomnies de la part des hommes jaloux, qui allèrent jusqu’à le diffamer auprès du souverain, mais restant ferme comme un diamant dans l’adversité, il rendait grâce à Dieu pour ces épreuves dont Il l’avait jugé digne. Lassé cependant par ces oppositions, il rassembla un jour ses moines, délégua ses pouvoirs aux douze plus dignes d’entre eux, et partit pour la forêt de Kostroma, à soixante-dix kilomètres de Komel, afin d’y retrouver l’hésychia et la prière sans distraction. Cependant ses moines lui demandèrent bientôt de revenir et de ne pas les laisser orphelins. Pendant plusieurs années Corneille resta sourd à leur demandes, et ce ne fut que sous la pression du prince Basile III qu’il céda et fut accueilli avec joie et effusion au monastère. Il reprit la direction de la communauté, donnant, malgré son âge, l’exemple du labeur dans le travail des champs et du défrichement des forêts cédées par le prince.
Mais, à nouveau, des moines se montrèrent indociles, et lorsque l’un d’eux vint se plaindre de la pauvreté de ses vêtements, le saint, sans mot dire, se revêtit de son habit et lui donna le sien. De telles résistances à l’esprit de la vie apostolique que les moines s’engagent à suivre, décidèrent le saint à abandonner de nouveau Komel pour retourner au monastère de Saint-Cyrille, où il avait commencé sa carrière. Grâce à l’appui de l’higoumène de ce monastère ses moines réussirent une fois encore à le convaincre de revenir, mais il n’accepta qu’à la condition de nommer un autre higoumène à sa place, saint Laurent (cf. 16 mai). De retour à Komel, il s’installa dans une cellule, pour y persévérer dans la prière et le silence. Quelque temps après une invasion des Tatares (1536), qui obligea les moines à s’enfuir, le monastère ayant été épargné, saint Corneille regagna sa cellule pour y achever paisiblement ses jours. En 1537, le quatrième dimanche après Pâques, il convoqua l’higoumène et la communauté, les exhorta à vivre dans l’harmonie en gardant fidèlement sa Règle, à être assidus aux offices de l’église et à ne pas négliger le soin des pauvres. Puis il demanda qu’on lise l’hymne Acathiste et, après avoir lui-même encensé, il s’allongea et remit son âme à Dieu de manière si paisible que personne ne se rendit compte qu’il avait quitté cette vie.