”Abba Pior renonça au monde encore jeune et s’enfonça dans le désert profond de la région de Scété. Ayant trouvé un endroit sinistre et désolé, il s’y construisit une cellule et trouva de l’eau en creusant le sol, mais celle-ci était si amère que personne d’autre ne pouvait la boire. Il persévéra cependant cinquante ans dans cet endroit et, chaque jour, repartait à neuf, comme s’il commençait sa quête de Dieu. Il mangeait en faisant les cent pas, car il ne voulait traiter la nourriture que comme une activité accessoire, sans en ressentir aucun plaisir. Sa sœur, ayant vieilli, désirait le revoir sans toutefois pouvoir entreprendre le voyage jusqu’au désert; aussi supplia-t-elle l’évêque de convoquer Pior pour qu’il vienne la voir. Ne pouvant résister à cette pression, Pior se rendit chez sa sœur avec un compagnon et la fit prévenir de son arrivée. Quand la porte s’ouvrit, il ferma les yeux et lui cria : « Je suis Pior, ton frère, c’est moi. Regarde-moi tant que tu veux ». Mais il refusa d’entrer et, après avoir fait une prière sur le seuil, il retourna au désert.

On rapporte aussi de lui que, pendant trois étés de suite, il alla travailler à la moisson chez quelqu’un, puis disparaissait avant d’avoir reçu son salaire. Le maître de la moisson, se rendant compte de cette injustice, prit l’argent qui lui était dû et partit à sa recherche dans les monastères du désert. Mais quand il trouva Pior, le vieillard lui demanda d’aller porter cette somme à l’église. Un jour, les Pères de Scété se réunirent pour juger un frère qui avait gravement péché. Abba Pior gardait le silence pendant qu’ils discutaient du cas, puis il prit un sac, le remplit de sable et le chargea sur son épaule; il mit aussi un peu de sable dans une pochette qu’il plaça devant lui. Comme on lui demandait la signification de cette action, il dit : « Ce sac qui contient beaucoup de sable, ce sont mes nombreux péchés que je laisse derrière moi; et voici les petits péchés de mon frère que je mets devant moi et je passe mon temps à les juger! Ne vaudrait-il pas mieux faire le contraire? » Les Pères se levèrent édifiés et reconnurent qu’Abba Pior avait choisi la voie du salut.