“Saint Julien vécut sous le règne de l’empereur Julien l’Apostat (360-363). Ayant abandonné le monde et tout ce qui est dans le monde, il s’installa dans une grotte obscure et éloignée de tout, qui se trouvait dans le désert proche des rives de l’Euphrate, dans la région appelée alors l’Osroène (la région d’Édesse). Il ne mangeait qu’une fois par semaine, du pain de son saupoudré d’un peu de sel. Quant à son breuvage, c’était l’eau courante d’une source voisine, mais dont il n’usait que lorsque la nécessité de la nature l’y obligeait et seulement en proportion de ce qu’il mangeait. Ses délices et ses festins consistaient à chanter les psaumes et à s’entretenir continuellement avec Dieu dans une prière très pure, de sorte qu’il pouvait dire avec le Prophète-roi: «Que tes paroles sont douces à mon palais, plus que le miel en ma bouche!» (Ps 118, 103). Il était tant rempli de l’amour divin, qu’il semblait constamment être comme hors de lui-même et comme sans yeux pour toutes les choses créées: son esprit ne se représentant et ne contemplant jour et nuit que l’unique objet de son désir. Sa réputation ne tarda pas à se répandre dans la région, si bien que tous ceux dont le cœur était altéré de la Source d’eaux vives qui jaillit pour la vie éternelle, accouraient vers Julien et lui demandaient de se retirer dans cette grotte sous sa direction. Ses disciples atteignirent bientôt la centaine. Ils vivaient comme s’ils étaient déjà sortis du corps, se nourrissant de quelques herbes et d’un peu de pain. Ils demeuraient tous ensemble dans la caverne, chantant toute la nuit les louanges de Dieu.
Aussitôt le soleil levé, ils s’éloignaient deux par deux dans divers endroits du désert, et pendant que l’un se mettait à genoux pour adorer Dieu dans la prière du cœur, l’autre restait debout et chantait quinze psaumes. Puis, celui qui était à genoux se levait et chantait à son tour les psaumes tandis que son compagnon priait. Telle était leur pratique ininterrompue jusqu’à la pointe du soir, où, après avoir pris un peu de repos, ils retournaient tous dans la grotte pour leur vigile commune. Un jour, alors que Julien marchait dans le désert, précédant de quelque distance son disciple Jacques — ainsi qu’il avait coutume de faire pour ne pas troubler sa perpétuelle contemplation —, une bête monstrueuse surgit, menaçante, sur le chemin. Sans aucunement détourner son attention de la prière qui jaillissait du fond de son cœur, le saint, d’un simple signe de croix, l’immobilisa raide morte. Afin de fuir les honneurs et les troubles que lui valait sa grande réputation, Julien partir pour le Mont Sinaï avec quelques disciples, et bâtit, près du rocher où Moïse se cacha lorsqu’il fut jugé digne de la vision de Dieu (Ex. 33, 21), une chapelle qui existe encore de nos jours. Lorsque le cruel tyran Julien l’Apostat se rendit en Perse, les chrétiens, redoutant quelque nouvelle persécution, accoururent auprès de saint Julien et lui demandèrent d’intercéder pour le peuple. Celui-ci entra en prière pendant dix jours, à l’issue desquels ils réconforta les fidèles en leur annonçant qu’une voix divine l’avait informé de la mort prochaine du tyran.
À la suite de Jovien, successeur de Julien, l’empereur Valens (364-378) prit le pouvoir. Mais il adhéra à l’hérésie d’Arius et déchaîna contre les orthodoxes une tempête encore plus violente que la persécution de l’Apostat. Le bienheureux saint Mélèce [Cf. 12 Fév.] évêque d’Antioche, chassé de son siège et contraint de se réfugier avec les fidèles dans les montagnes, envoya quelques uns de ses fidèles auprès de Julien pour lui demander le soutien de sa prière et son assistance, car les hérétiques allaient jusqu’à faire courir le bruit que le grand ascète s’était rangé à leur cause. Apprenant cela, le saint partit sur l’heure pour Antioche, préférant laisser pour un temps le silence et la quiétude du désert, afin de servir l’Église et la préserver du scandale. Sur le chemin, il fut accueilli chez une riche dame de la contrée, qui employa tout son soin à offrir l’hospitalité à un personnage si illustre et ne prit pas garde à son jeune garçon de sept ans qui, jouant près du puits, y tomba soudainement. Lorsque ses serviteurs effrayés lui apprirent la nouvelle, celleci contint son émotion, afin d’accomplir son service auprès du saint, et fit comme si de rien n’était. Mais Julien demanda à voir l’enfant pour lui donner sa bénédiction. En apprenant la nouvelle de l’accident, il se précipita le premier vers le puits et, se penchant sur la margelle, il découvrit que l’enfant nageait à la surface de l’eau en jouant. Lorsqu’on l’eût tiré de là, le garçon se jeta aux pieds du saint, en lui révélant qu’il avait vu le vieillard le soutenir au-dessus de l’eau et l’empêcher ainsi de se noyer. Telle est la récompense octroyée à ceux qui pratiquent l’hospitalité.
Arrivé près d’Antioche, Julien se rendit dans les grottes où se réfugiaient les chrétiens. Et là, par la permission de Dieu, il tomba malade, afin que l’on ne crût pas que le saint avait dépassé la condition humaine. Sans se laisser ébranler, il adressa ses prières à Dieu, lui demandant de le guérir si sa présence pouvait être utile à ceux qui l’avaient fait chercher. Il obtint non seulement sa propre guérison, mais aussi celle d’un grand nombre de chrétiens. Ce miracle affermit en même temps leur foi, montrant que c’était bien dans l’Église de Mélèce et de Julien que se trouvait la plénitude de la Grâce. Après avoir brillamment soutenu la vraie foi à Antioche, il prit le chemin du retour vers son désert en passant par la ville de Cyr, où sévissait un dangereux hérétique, Astérios, qui obtenait de nombreuses conversions à l’Arianisme par l’habileté de ses arguments et de ses sophismes. Grâce à la prière et aux jeûnes de Julien, Dieu prit son Église en pitié et ôta la vie à cet hérétique la veille même du jour où il devait prendre la parole devant le peuple. Sa mission ainsi remplie, le saint vieillard retourna auprès de ses disciples et, après quelque temps, passa avec joie vers la vie impassible et bienheureuse. [ La vie de S. Julien est rapportée par Théodoret de Cyr, Histoire des Moines de Syrie, Il (SC 234, 195).]