”Au temps de la persécution de Maximien, le comte Eutolmios fut envoyé par l’empereur pour soumettre les chrétiens. De Nicomédie, il se rendit dans le Pont, répandant le sang partout où il passait. Cependant, contrairement à ce qu’il escomptait, les gens de bonne volonté, qu’ils fussent soldats ou même brigands, admirant le courage des vrais disciples du Christ, se déclaraient chrétiens ; et nombreux étaient ceux qui délaissaient les villes et se retiraient à la campagne, pour vivre en petits groupes conformément aux préceptes évangéliques. Eutolmios en fit périr beaucoup par le glaive, et il menaça les plus nobles d’entre eux de les charger de chaînes et de les conduire devant l’empereur. De Néocésarée, il arriva dans la petite ville de Carpè en Bithynie, où on lui livra Zotique, le chrétien le plus en vue. Comme le comte lui demandait pourquoi il enseignait à ses concitoyens à mépriser les sacrifices offerts aux dieux de l’Empire, il répondit qu’il obéissait ainsi à la Parole de Dieu, consignée dans les saintes Écritures. Sommé de sacrifier sous peine de mort, il répliqua: « Le Christ me veut pour sacrifice, afin que son Nom soit glorifié jusqu’aux extrémités de la terre. » Après un jugement sommaire, il fut exécuté avec certains de ses disciples, et des fidèles vinrent ensuite en secret prendre soin de leur sépulture.
De retour à Nicomédie, Eutolmios fut accueilli par les ovations des païens et des flatteurs. On lui rapporta cependant que, l’empereur étant parti pour la Thrace, le premier personnage de la ville avait été converti à la doctrine du Christ par le sage Agathonique, fils du préfet Asclépiade et descendant d’une illustre famille romaine, et qu’ils vivaient ensemble dans le village de Kubaina. Furieux, le comte envoya des soldats pour les arrêter. Quand la troupe arriva dans leur résidence, saint Agathonique rendit gloire au Christ et promit que, confiant en la puissance de son Nom, il marcherait jusqu’au terme de son témoignage. Devant son courage et le rayonnement de sa confiance en Dieu, les soldats se convertirent mais, contraints néanmoins de remplir leur mission, ils conduisirent le saint à Nicomédie.
Eutolmios fit comparaître Agathonique en un lieu nommé Lampso, et lui demanda s’il avait bien persuadé le chef du sénat local de se faire chrétien. Le saint répondit qu’il convient d’obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, et il rappela le glorieux témoignage rendu par les martyrs des époques précédentes : saint Babylas (cf. 4 sept.) ; saint Romain (cf. 18 nov.) qui avait été martyrisé devant lui, alors qu’il était encore enfant, par le préfet Asclépiade, son père ; et l’évêque de Nicomédie, Anthime (cf. 3 sept.). Son apologie laissa le magistrat et ses assesseurs muets de stupeur. Comme des gens bien informés rapportaient à Eutolmios que la famille d’Agathonique était venue s’installer de Rome à Nicomédie, conformément à une prédiction divine, le saint ajouta que celui qui renonce à ses terres, à ses richesses et à son renom à cause de l’Évangile, recevra le centuple en cette vie et héritera la vie éternelle (cf. Mat. 29, 19). Le comte le fit fouetter puis le renvoya en prison pour le traduire devant l’empereur avec les autres nobles qu’il avait arrêtés ; quant aux chrétiens d’humble condition, il ordonna de les supprimer par le glaive. On les réunit donc en grand nombre sur une hauteur de la ville, où ils priaient sans cesse en attendant d’être consommés dans la foi. Inquiétés par les succès grandissants de la prédication d’Agathonique, les gens influents de la cité pressèrent le magistrat de l’envoyer sans tarder à l’empereur, lui et ses compagnons. Le lendemain, Eutolmios se mit en route avec ses prisonniers, suivis de loin par les fidèles de Nicomédie, qui déploraient la perte de leur nouvel apôtre. Saint Agathonique se tourna alors vers eux et leur dit : « Vous avez avec vous Jésus et les saints qui prient pour vous d’un cœur pur. Convertissez-vous dans la crainte et la vérité tout le reste de votre vie. »
Le tyran exténua ses prisonniers par la faim, la longueur du chemin et les sévices. À l’occasion d’une halte au village de Potamoi, il fit amener devant lui Zénon et deux de ses compagnons, Théoprépios et Akindynos, des officiers qui avaient été convertis par Agathonique, et comme les tortures s’étaient avérées inutiles, il les fit mourir au moyen de catapultes. Quand la troupe arriva à Chalcédoine, des prêtres des idoles amenèrent à Eutolmios un vieillard, Sévérien, qui avait encouragé sainte Euphémie avant son martyre (cf. 16 sept.), et qu’ils accusaient d’avoir transformé en école catéchétique le prétoire de Darius, entraînant ainsi à sa suite un nombre grandissant de citoyens. Le comte l’interrogea, et comme il le trouvait fervent à condamner les païens et à annoncer le châtiment divin qui les attendait, il le fit aussitôt exécuter, un peu en dehors de la cité. Les autres saints furent ensuite conduits à Byzance, où ils comparurent au tribunal. Interrogé le premier Agathonique fut invité à se soumettre aux ordres de l’empereur. Il répliqua que la Parole de Dieu dans le Psaume nous invite à ne pas aller au conseil des impies et à ne pas nous tenir dans la voie des pécheurs, mais à nous perfectionner dans la foi au Christ (cf. Ps. 1, 1). « S’il est vraiment Dieu et Roi celui que tu confesses, comment a-t-il été mis à mort par les Juifs? Comment n’a-t-il pas délivré de la mort ceux qui à son exemple s’opposent à nos dieux? Laisse-toi convaincre et renonce à ta folie » déclara le juge avec colère. Le saint lui répondit en confessant sa foi en la puissance du Sauveur qui a souffert pour nous. La sentence ayant été finalement rendue, on le conduisit hors de la ville pour être écorché vif sur les remparts. Tandis que ses chairs et son sang se mêlaient à la terre, Agathonique se tourna vers ses compagnons pour les assurer que les souffrances du moment présent ne sont rien en comparaison de la gloire qui sera révélée aux serviteurs du Christ dans le Royaume (cf. Rom. 8, 18). À ces paroles qu’attestait le sang versé, plusieurs juges et militaires furent gagnés à la foi.
Après ce supplice, Eutolmios prit des chevaux de poste et alla retrouver en hâte Maximien à Sélybrie, en Thrace, sur les bords de la mer de Marmara ; et après lui avoir rendu compte de sa mission, il lui présenta les chrétiens de haut rang qu’il venait de torturer. Quand vint le tour d’Agathonique de décliner son identité, Maximien reconnut qu’il appartenait à sa parenté et il lui demanda pourquoi il avait été arrêté. Le saint répondit que c’était pour le Christ, qui a prescrit à ses disciples de s’offrir en spectacle au monde et aux anges afin de témoigner de l’Évangile (cf. I Cor. 4, 9), et il ajouta qu’il valait mieux subir les tourments ici-bas, plutôt que d’être livré au feu éternel dans lequel seront jetés les impies et les tyrans de son espèce. Maximien écouta ces paroles avec attention, mais restant endurci, il ordonna de le faire périr avec ses compagnons, puis de mettre fin à la persécution qui s’était avérée impuissante à réfréner l’expansion de la Bonne Nouvelle. Saint Agathonique marcha vers le lieu de l’exécution avec allégresse et, après une dernière prière, il fut décapité, avec le sénateur et beaucoup d’autres chrétiens qu’il avait convertis et dont les noms sont inscrits dans le Livre de vie. Les chrétiens de Sélybrie vénérèrent par la suite saint Agathonique comme le protecteur et patron de leur cité. [En 1922, lors de l’expulsion des Grecs, son crâne a été transféré à Kavala avec la relique de Ste Xenie (cf. 24 janv.), seconde protectrice de Sélybrie.