”Notre saint Père Cyprien naquit à Tirnovo, en 1330, au sein d’une famille de la noblesse bulgare [On a longtemps cru, sur la foi de Grégoire Tsamblak, futur métropolite de Lituanie († 1419), que Cyprien était l’oncle de ce dernier et membre de cette célèbre famille bulgaro-byzantine, mais il semble plutôt qu’ils étaient liés par une parenté spirituelle.]. Il fut initié aux rudiments de la vie spirituelle au monastère de Kelifarevo, le centre de rayonnement de l’Hésychasme en Bulgarie, sous la direction de l’illustre disciple de saint Grégoire le Sinaïte, saint Théodose (cf. 27 nov.), où il se lia d’amitié avec saint Euthyme, futur Patriarche de Tirnovo (20 janv.). Comme il désirait s’abreuver à la source, il se rendit ensuite à Constantinople et s’installa au monastère du Studion, où il s’adonna à la copie de manuscrits. Le Patriarche saint Philothée (cf. 11 oct.), ayant discerné ses capacités, le prit à son service comme syncelle et conseiller. Lorsque Philothée fut déposé pour la première fois (1354), saint Cyprien l’accompagna au Mont Athos, où il put se livrer avec beaucoup de zèle à la prière intérieure, sur les lieux sanctifiés par les saints Hésychastes, en y joignant la traduction en slave de textes patristiques grecs et la transcriptions des livres liturgiques, conformément aux principes qu’il avait reçus de saint Théodose. Son ascèse, sa prière ardente, sa méditation assidue de la Parole de Dieu et l’habitude qu’il avait prise de demander humblement en toute affaire le conseil des anciens, lui permirent d’acquérir une profonde expérience spirituelle, liée à une vaste connaissance de la Sainte Écriture et des Pères de l’Église. Il rédigea là plusieurs ouvrages théologiques, qui allaient contribuer à répandre dans le monde slave la doctrine de saint Grégoire Palamas et de ses successeurs (cf. 14 nov.).

Lorsque saint Philothée fut rétabli sur le trône patriarcal (1364), il appela Cyprien à Constantinople, pour qu’il l’assiste dans les affaires concernant les Églises slaves. C’est ainsi qu’il participa probablement aux négociations qui aboutirent à la restauration de la communion avec les Églises de Bulgarie (1375) et de Serbie (1368, 1371), qui, profitant de l’affaiblissement de l’Empire byzantin, s’étaient déclarées patriarcats indépendants. À cette époque, le prince de Lituanie, Olgerd, qui était encore païen, mais dont une grande partie des sujets étaient chrétiens orthodoxes, souhaitant affirmer sa puissance grandissante, sollicita du Patriarche Œcuménique qu’il crée un métropolite de Kiev, qui étendrait sa juridiction sur les principautés de Smolensk et de Tver, et scellerait ainsi de manière ecclésiastique sa rivalité avec Moscou, où siégeait le Métropolite Alexis (cf. 12 fév.) auquel il reprochait d’avoir délaissé les orthodoxes de sa principauté. Et, prenant l’exemple du prince de Pologne Casimir, qui avait obtenu de cette manière un métropolite pour la Galicie, il menaça le Patriarche de se tourner vers les catholiques en cas de refus. Soucieux de préserver l’unité de l’Église russe, qu’il prévoyait promise à un brillant avenir, saint Philothée envoya Cyprien comme apocrisaire, avec pour mission de réconcilier le prince de Lituanie avec le métropolite Alexis.

Devant les pressions d’Olgerd et ses menaces renouvelées de conversion au Catholicisme, le Patriarche trouva une solution de conciliation et nomma Cyprien métropolite de Lituanie, en précisant cependant qu’il devrait succéder à Alexis, alors très âgé, comme seul Métropolite de l’Église russe (1376). Installé à Kiev, le nouveau métropolite acquit rapidement la confiance d’Olgerd et se mit à l’ouvrage pour restaurer la vie ecclésiastique en Lituanie; il corrigea les mœurs dépravées, ordonna des prêtres et organisa des missions auprès des païens. Aussitôt après la mort de saint Alexis (1378), Cyprien se rendit à Moscou pour y prendre possession du siège métropolitain, conformément aux vœux de saint Philothée. Mais, avant d’arriver en ville, il fut arrêté, maltraité et emprisonné dans un cachot froid et humide, sur ordre du grand-prince Dimitris Donskoï (cf. 19 mai) qui l’accusait d’être un agent des Lituaniens. De retour à Kiev, Cyprien écrivit à ses amis, saint Serge de Radonège et son neveu saint Théodore de Simonov (cf. 26 sept. et 28 nov.), pour leur exposer les faits et protester de sa loyauté envers le grand-prince et de son attachement à la principauté de Moscou, qu’il avait manifesté en faisant libérer des prisonniers moscovites lors de son séjour à Kiev. Il se rendit ensuite à Constantinople, où il trouva une grande confusion, tant dans les affaires politiques que dans la vie ecclésiastique.

Le Patriarche Macaire (1376-1379), qui avait été imposé par l’empereur de manière anticanonique à la place de saint Philothée, lui déclara qu’il voulait nommer Métropolite de toute la Russie l’archimandrite Michel, surnommé Mitiatis — homme tyrannique, ennemi des moines et objet de l’opposition du peuple — qui dès la mort d’Alexis s’était emparé du palais métropolitain et affublait des ornements pontificaux alors qu’il n’avait pas même été consacré évêque. Le Patriarche convoqua donc Mitiatis à Constantinople, en vue de l’ordonner, mais celui-ci mourut subitement alors qu’il arrivait en vue de la capitale. Peu scrupuleux, les membres de sa suite s’entendirent pour présenter l’un d’eux, Pimène, comme le candidat du grand-prince de Moscou, et ils utilisèrent à cette fin des documents signés en blanc par le prince Dimitris. Le Patriarche Nil Kerameus (1380-1388), qui venait de succéder à Macaire mais ignorait la situation en Russie, ordonna Pimène sans plus ample examen et concéda à Cyprien la juridiction sur la Lituanie, entérinant ainsi la division de l’Église russe, contre laquelle saint Philothée avait si énergiquement lutté.

À la suite de la brillante et mémorable victoire de Koulikovo (8 septembre 1380), qui marqua le début de la libération du joug tatare, et qui avait été en partie acquise grâce à l’intervention de saint Cyprien auprès du prince de Lituanie, Jagiello, pour qu’il ne prenne pas part au combat aux côtés des Tatares, le grand-prince Dimitris, sur les conseils de Théophane de Nicée et de saint Serge, envoya saint Théodore auprès de Cyprien, afin de l’inviter à assumer la juridiction de la métropole russe réunifiée. Saint Cyprien fit son entrée à Moscou le 23 mai 1381 et, au milieu des réjouissances populaires, le prince Dimitris lui demanda officiellement pardon. Peu après, Cyprien rédigea l’éloge de saint Pierre de Moscou (cf. 21 déc.), en soulignant les similarités avec sa propre vie, et il canonisa saint Alexandre Nevsky (23 nov.), pour symboliser l’unité de l’Église russe. Mais la situation ne tarda pas à s’altérer. Les Tatares ayant obtenu l’alliance des Mongols orientaux attaquèrent Moscou l’année suivante et se livrèrent à de terribles pillages. Apprenant que le Métropolite Cyprien s’était réfugié dans la ville ennemi de Tver, le prince Dimitris furieux décida de le faire déposer et de rétablir Pimène, qu’il avait fait emprisonné, à la tête de l’Église. Se soumettant aux décrets de la Providence, saint Cyprien retourna donc de nouveau à Kiev. Les exactions et la conduite indigne de Pimène provoquèrent cependant bientôt sa disgrâce, et le grand-prince fit appel au Patriarche qui convoqua Pimène et Cyprien à Constantinople, pour que leur différent soit réglé devant le Synode permanent. Saint Théodore précéda de peu Cyprien, porteur d’un message du grand-prince affirmant qu’il refusait absolument d’accepter Pimène comme Métropolite.

Durant son séjour à Constantinople, saint Cyprien fut envoyé par l’empereur en mission diplomatique en Lituanie, car à l’occasion de l’union dynastique entre le royaume de Pologne et la principauté de Lituanie, Jagiello, devenu souverain des deux états, s’était converti au catholicisme et l’avenir de l’Orthodoxie était de ce fait mis en danger dans les régions occidentales de la Russie. Après son retour à Constantinople (1388), le nouveau Patriarche, Antoine (1389-1390; 1391-1397), après avoir déposé Pimène, qui avait refusé de se présenter devant le Synode, confirma Cyprien dans la charge de Métropolite de Kiev et de toute la Russie. Ce n’est cependant qu’à la suite du décès du prince Dimitris, suivi peu après par celui de Pimène (1389), que le saint put faire son entrée à Moscou, et fut reçu par le prince Basile Dimitrievitch et par tout le peuple, qui saluait en lui son père spirituel. Faisant preuve de clémence et de charité, il reconnut les ordinations faites par Pimène et il œuvra dans la direction que lui avait inspirée saint Philothée, faisant de Moscou le centre ecclésiastique de l’Église russe et la fidèle héritière de la civilisation byzantine. Il fit appliquer les réformes liturgiques de saint Philothée, alignant la pratique de l’Église russe sur celle de Constantinople, introduisit dans le Synodikon de l’Orthodoxie les clauses concernant la doctrine de saint Grégoire Palamas sur les énergies incréées et, à plusieurs reprises, il organisa des collectes en faveur de la capitale Byzantine, surtout lors du siège de Constantinople par Bazajet (1394).

Après avoir ainsi gouverné son Église avec sagesse, en lui ouvrant la voie pour son glorieux avenir, saint Cyprien s’endormit en paix le 16 septembre 1406. Quatre jours avant son décès, il avait dicté une lettre qui devait être lue à ses funérailles, dans laquelle il demandait humblement pardon à ses amis et à ses ennemis, et leur donnait à tous sa bénédiction en les embrassant dans le Seigneur. Cette lettre fut lue également aux funérailles de plusieurs de ses successeurs.