⇐ Table des matières

 

Quelqu’un m’a posé cette question: «Pourquoi chantons-nous ces versets de l’Écriture pendant le Grand Carême, “Fais-leur du mal. Seigneur, fais du mal aux puissants de la terre1 ”, puisque c’est en fait une malédiction?». Je lui ai répondu ceci: «Lorsque des ennemis envahissent un pays et entreprennent sans motif d’anéantir un peuple, ce peuple prie pour qu’il leur arrive des malheurs, c’est-à-dire que leurs chars se brisent, que leurs chevaux contractent quelque maladie, et qu’ils rencontrent ainsi des obstacles. Est-ce bien ou est-ce mal? Le sens du verset ici est de souhaiter que les puissants de la terre rencontrent des obstacles sur leur chemin. Ce n’est pas une malédiction».
– Géronda, quand donc une malédiction a-t-elle de l’effet?
– Une malédiction a de l’effet lorsqu’elle est une réaction contre une injustice commise. Si, par exemple, une femme en trompe une autre qui est dans le malheur ou bien lui fait du tort, et si cette dernière la maudit, la famille de la première est perdue. Si je fais du mal à une personne et que celle-ci me maudit, ses malédictions ont de l’effet. Dieu permet que les malédictions aient de l’effet, tout comme Il permet, par exemple, qu’un homme en tue un autre. Mais

1 Is 26, 15.

s’il n’y a pas eu d’injustice, la malédiction retourne sur celui qui l’a lancée.
– Et comment donc se délivrer d’une malédiction?
– Par le repentir et la confession. J’ai de nombreux faits à l’esprit: des personnes tourmentées à cause d’une malédiction prirent conscience qu’on les avait maudites parce qu’elles étaient coupables; elles se repentirent, se confessèrent, et tous leurs malheurs cessèrent. Si le coupable prie ainsi: «Mon Dieu, j’ai commis tel et tel péché, pardonne- moi!», et s’il se confesse dans la douleur et avec sincérité, Dieu lui pardonnera, car Il est Dieu!
Le châtiment atteint-il seulement celui auquel on a lancé une malédiction ou bien aussi celui qui l’a lancée?
– Celui auquel on a lancé une malédiction est tourmenté dans cette vie. Mais celui qui a maudit est tourmenté dans celte vie et, faute de se repentir et de se confesser, il sera tourmenté dans l’autre vie également, car Dieu le châtiera comme un criminel. Admettons qu’on t’ait offensé. Mais, toi, en maudissant ton offenseur, c’est comme si tu prenais un pistolet et le tuais. De quel droit? Quoi qu’il t’ait fait, tu n’as pas le droit de le tuer. Maudire signifie qu’on porte en soi de la haine. Un homme en maudit un autre lorsque, avec passion et en colère, il lui souhaite du mal.
La malédiction d’un homme qui est dans son droit a une grande force, surtout celle des veuves. Je me souviens d’une vieille, qui faisait paître son cheval au bord de la forêt. Comme l’animal était un peu fougueux, elle avait trouvé une corde solide et l’attachait. Or trois femmes du village vinrent un jour dans la forêt pour fendre du bois. L’une était riche, l’autre veuve, et la troisième était une pauvre orpheline. Voyant le cheval attaché qui paissait, elles se dirent: «Prenons donc la corde pour lier nos fagots de bois!». Elles coupèrent la corde en trois et chacune en prit un morceau pour lier son fagot. Il était à prévoir que l’animal prenne la fuite. La vieille arriva et, ne trouvant pas son cheval, elle

s’indigna. Elle se mit à le chercher partout et, après bien de la peine, finit par le retrouver. Elle s’exclama alors en colère: «Qu’on la lie avec cette même corde, la femme qui l’a volée!». Or un jour, le frère de la femme riche jouait avec une arme à feu (laissée par les Italiens) pensant qu’elle n’était pas chargée. Il tira et la balle atteignit sa sœur à la gorge. Il fallut la transporter à l’hôpital et on eut besoin de corde pour la lier sur une échelle de bois en guise de brancard. A ce moment, on trouva le morceau de corde volée. Comme il était trop court, les deux voisines apportèrent les deux autres morceaux de corde et on lia la blessée sur l’échelle pour la transporter à l’hôpital. C’est ainsi que la malédiction de la vieille – «Qu’on la lie avec cette même corde!» – se réalisa. Finalement, la malheureuse mourut. Que Dieu la fasse reposer en paix! Voyez, la malédiction prit effet sur la femme riche, qui n’était pas dans le besoin. Les deux autres avaient leur pauvreté comme circonstances atténuantes.

Maladies et accidents qui proviennent de malédictions

Maintes maladies dont les médecins n’arrivent pas à trouver la cause peuvent provenir de malédictions. Est-il possible à des médecins de diagnostiquer une malédiction? On amena un jour à ma kalyva* un paralytique, un gaillard qui ne pouvait pas même s’asseoir! Son torse était raidi comme un morceau de bois. Un homme le portait sur son dos et un autre le soutenait par derrière. Je plaçai deux bûches afin que le malheureux puisse un peu s’y appuyer. Ceux qui l’accompagnaient me dirent: «Cela fait dix huit ans qu’il est dans cet état, depuis l’âge de quinze ans! – Comment cela lui est-il arrivé? Sans motif? Impossible. Quelque chose a dû se passer!», répondis-je. Je posai quelques questions et appris qu’on l’avait maudit. Que s’était-il passé exactement? Il allait un jour à l’école en autobus et était assis, le buste raidi, bien droit sur son siège. A un arrêt, un prêtre âgé

ainsi qu’un petit vieux montèrent dans l’autobus et se tinrent debout près de lui. Un passager l’adjura: «Cède ta place aux plus âgés!». Lui tendit plus encore le buste, droit sur son siège sans accorder aucune importance à ces paroles. Le vieillard qui se tenait debout lui dit alors: «Puisses-tu rester ainsi enraidi et ne puisses plus jamais t’asseoir!». Et sa malédiction prit effet. Voyez l’insolence du jeune! Son attitude signifiait: «Pourquoi me lever? J’ai payé ma place!». C’est vrai, mais l’autre aussi a payé la sienne; c’est en outre un vieillard respectable, qui se tient debout, alors que toi, un gamin de quinze ans, tu es assis! «C’est à cause de ton attitude dans l’autobus, lui dis-je, que tu es paralysé; tâche de te repentir! Pour recouvrir la santé, il faut te repentir». Dès qu’il eut pris conscience de sa faute et l’eut reconnut, le malheureux fut guéri.
De nombreux malheurs qui arrivent de nos jours proviennent soit d’une malédiction soit de la colère. Quand une famille entière est exterminée ou quand plusieurs membres d’une même famille meurent, sachez que c’est ou à cause d’une injustice commise, ou à cause d’une malédiction, ou encore à cause d’un sort jeté. Un père de famille avait un fils qui traînait la nuit. Exaspéré, il lui dit un jour: «Rentre cette nuit une fois pour toutes!». En rentrant à la maison cette nuit-là, le fils fut renversé par une voiture juste devant la porte et y resta. Ses amis le relevèrent mort et le portèrent à l’intérieur de la maison. Le père vint ensuite à ma kalyva et me dit en pleurant: «Mon fils a été tué devant la porte de la maison». Petit à petit, il finit par m’avouer: «Je lui avais dit une parole dure. – Quelle parole? – J’étais en colère qu’il passe les nuits dehors et je lui avais lancé: “Rentre cette nuit une fois pour toutes!” C’est peut-être à cause de cette parole qu’il a été tué? – Sans doute. Tâche de le repentir, de te confesser». Le père avait dit à son fils: «Rentre cette nuit une fois pour toutes!», et le fils fut ramené mort. Et le père ensuite de se frapper la poitrine, de pleurer…

La malédiction des parents a beaucoup d’effet

Sachez que la malédiction des parents et leur courroux ont beaucoup d’effet. Même si les parents ne maudissent pas leur enfant, mais sont simplement en colère contre lui. cet enfant n’aura pas une existence facile et ne connaîtra pas un jour de bonheur. Il sera tourmenté dans cette vie. Naturellement, ce sera plus facile pour lui dans l’autre vie, car ainsi il rachète par ses souffrances ici-bas quelques-unes de ses fautes. Les paroles d’Abba lsaac se réalisent alors: «Il consomme le châtiment»2 , c’est-à-dire qu’en passant ici-bas une existence malheureuse il diminue le châtiment qu’il aurait sans cela à subir dans l’autre vie. Car le malheur en cette vie consomme le châtiment. Lorsque les lois spirituelles entrent en vigueur, un peu du châtiment sur cette terre…, et les tourments de l’enfer sont allégés.
Cependant, les parents qui envoient leur enfant au «diable» le vouent ainsi au diable, et celui-ci a ensuite des droits sur l’enfant. «Tu me l’as voué!», dira le diable. A Farassa3 , un couple avait un enfant qui pleurait souvent, et le père l’envoyait constamment au «diable». Savez-vous ce qui se passait alors? Dès que le père envoyait son fils au «diable», Dieu permettait que l’enfant disparaisse de son berceau. La pauvre mère allait demander le secours d’Hadji- Efendis4 : «Hadji-Efendis, ta bénédiction! Les démons ont à nouveau emporté mon enfant!». Hadji-Efendis se rendait à la maison de la femme, lisait des prières sur le berceau, et l’enfant revenait. Et ce manège se répétait. La malheureuse se plaignait: «Hadji-Efendis, ta bénédiction! Comment cela finira-t-il?». Il répondait: «Moi, cela ne me fatigue pas de

2. Cf. ISAAC LE SYRIEN, Œuvres spirituelles, 55e Discours, éd. DDB, 1981, p. 293.
3. Le village le plus important des six villages situés près de Césarée de Cappadoce, dont fut originaire saint Arsène de Cappadoce.
4. C’est ainsi que les Farassiotes appelaient saint Arsène de Cappadoce.

venir; toi, te lasses-tu de venir me chercher? Le diable finira par se fatiguer et te laissera ton enfant». Et dès lors, l’enfant ne disparut plus. Lorsqu’il grandit, on l’appelait l’objet du diable. Il mettait tout le village sens dessus dessous. Le jeune en question rapportait à un villageois: «Un tel a dit cela de toi!». Il allait ensuite trouver l’autre et lui disait la même chose. Les deux hommes en venaient aux mains. Lorsqu’ils comprenaient de quoi il retournait, ils voulaient rosser le jeune. Mais lui réussissait à faire qu’ils lui demandent pardon! Il était tellement diabolique, l’objet du diable ! Que ne dut supporter mon père5 ! Dieu permit ainsi que tous, voyant le résultat de la malédiction du père, acquièrent un peu de cervelle et soient plus vigilants à l’avenir. Comment Dieu jugera ce pauvre garçon est une autre affaire! Il a naturellement des circonstances atténuantes.
La plus grande richesse pour un laïc est la bénédiction de ses parents, tout comme la plus grande richesse pour un moine est de recevoir la bénédiction de son Géronda. C’est pourquoi on dit: «Obtiens la bénédiction de tes parents!». Je me souviens d’une mère de quatre enfants qui pleurait constamment, la malheureuse: «Je mourrai avec ma peine, me disait-elle, je n’ai marié aucun de mes enfants. Prie pour nous!». Cette femme était veuve, les enfants orphelins, j’eus compassion d’eux. Je priais, priais, aucun résultat. «Il se passe quelque chose d’anormal», pensai-je. «On nous a jeté un sort, disaient les enfants. – On ne vous a pas jeté de sort, répliquais-je, cela se voit lorsque c’est le cas. Peut-être que votre maman vous a maudits? – Oui, Père, nous étions très vifs étant petits, et notre mère nous répétait du matin au soir: “Puissiez-vous rester comme des bûches, puissiez-vous rester comme des bûches!” – Allez secouer votre mère, dites-lui de se repentir, de se confesser et de vous donner à l’avenir constamment des bénédictions».

5. Le père du Géronda était maire du village.

Un an et demi plus tard, les quatre enfants étaient mariés. La malheureuse était veuve, facilement découragée, semble-t-il; les enfants, très vifs, mettaient sa patience à bout et elle les maudissait.
– Si les parents maudissent leurs enfants et meurent ensuite, comment les enfants seront-ils délivrés de la malédiction?
– Si les enfants s’examinent, ils découvriront la raison pour laquelle leurs parents les avaient maudits: ils se comportaient comme des fous et leur rendaient la vie impossible. S’ils prennent conscience de leur faute, se repentent sincèrement et se confessent, ils sont en règle. Et s’ils progressent spirituellement, leurs parents en seront aidés.
– Géronda, moi aussi, lorsque je suis entrée au monastère, mes parents m’ont maudit.
– Ces malédictions sont les seules qui deviennent bénédiction.

La malédiction déguisée

– Géronda, est-il juste de dire à celui qui nous fait du tort: «Que Dieu te punisse!»?
– Celui qui parle ainsi est trompé par le Malin et ne comprend pas que c’est une façon déguisée de maudire. Certains affirment qu’ils sont sensibles, pleins d’amour et de délicatesse, qu’ils supportent bien le tort que leur font les autres, mais qu’ils disent: «Que Dieu les punisse!» Tous, nous passons en cette vie des examens afin d’être admis en l’autre vie, en la Vie éternelle, au Paradis. Je pense que cette malédiction déguisée est en-dessous de la moyenne requise et qu’elle n’est pas permise à un chrétien. Le Christ, en effet, ne nous a pas enseigné un amour de ce genre, mais l’amour qui dit: «Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font»6 .

6. Lc 23, 34.

La meilleure bénédiction pour nous lorsqu’on nous maudit injustement est de l’accepter en silence et avec bonté.
Lorsque nous sommes calomniés ou lésés par des hommes superficiels ou rusés, qui ont de la méchanceté et déforment la vérité, il nous est bon. autant que possible, de ne pas vouloir être justifiés devant les hommes, si du moins l’injustice ne concerne personne d’autre que nous. Ne disons pas non plus: «Que Dieu les punisse!», car c’est une malédiction. Il nous est bon de leur pardonner de tout notre cœur, de supplier Dieu de nous affermir pour pouvoir supporter le poids de la calomnie et de poursuivre notre combat spirituel (dans le secret, si possible). Que ceux qui ont pour règle de juger et de condamner autrui continuent ainsi, car ils nous préparent des couronnes en or dans la Vie éternelle. Naturellement, ceux qui vivent en communion avec Dieu ne maudissent jamais, car ils ne sont que bonté et n’ont aucune méchanceté en eux. Quel que soit le mal qu’on fasse à ces hommes sanctifiés, il se transforme en bien, et ils en ressentent une profonde et secrète joie.

Le maléfice

La jalousie qui s’accompagne de méchanceté peut faire du mal. C’est cela le maléfice, l’influence démoniaque.
— Géronda, l’Église reconnaît-elle le maléfice?
— Oui. il y a même une prière spéciale contre le maléfice7 . Lorsqu’un homme dit quelque chose par jalousie, le «mauvais œil» agit.
— Géronda, de nombreuses mères nous demandent des «yeux»8 pour leurs bébés de peur qu’on leur jette le «mauvais œil». Convient-il de faire porter ces «yeux» aux enfants?

7. Le Géronda Païssios soulignait que seul le prêtre est habilité à dire la prière contre le maléfice.
8. Il s’agit d’une babiole en forme d’œil qu’on porte autour du cou pour soi-disant se protéger du mauvais œil.

— Non, cela ne convient pas! Dites aux mères en question de mettre une croix au cou de leurs bébés!
— Géronda, si on loue un beau travail, mais que celui qui l’a accompli reçoit les louanges avec une pensée d’orgueil et en subisse un dommage, s’agit-il de maléfice?
— Non, ce n’est pas un maléfice. En cc cas entrent en vigueur les lois spirituelles. Je m’explique: le Seigneur retire de cet homme Sa Grâce, et il en subit un dommage spirituel. Le maléfice n’existe qu’en de rares circonstances. Ce sont surtout les personnes qui ont de la jalousie accompagnée de méchanceté – elles sont rares – qui jettent le mauvais sort. Une femme, par exemple, voit un enfant plein de charme avec sa maman et elle dit poussée par l’envie: «Pourquoi n’est-ce pas moi qui ai cet enfant? Pourquoi donc Dieu l’a-t-II donné à cette femme?». L’enfant peut alors en subir un dommage: il ne dort pas, pleure, souffre, car la femme a dit cela avec envie. Si cet enfant tombait malade et mourrait, elle en ressentirait de la joie. Un autre peut voir un porc, désirer le posséder, et l’animal peut crever sur-le-champ !
Mais souvent, un enfant souffre, et c’est sa mère la responsable. Elle a vu un jour un nourrisson tout maigre et s’est exclamée: «Qu’est-ce que cela? Quel enfant squelettique!». Elle s’est ainsi vantée de son propre enfant et a critiqué l’autre. Et les paroles qu’elle a dites par méchanceté au sujet de l’autre enfant se retournent contre le sien. Sans être coupable, son enfant souffre ensuite de par sa faute. Le malheureux maigrit, fond à vue d’œil, afin que sa mère soit punie et comprenne sa faute. Naturellement, l’enfant sera compté avec les martyrs! Les jugements de Dieu sont un abîme.

La bénédiction jaillie du fond du cœur est une bénédiction divine

Je vais maintenant vous donner une… malédiction! Que Dieu inonde votre cœur de Son Amour et de Sa Bonté en sorte que vous deveniez folles, folles d’amour! Que votre esprit quitte désonnais la terre pour demeurer dès maintenant au Ciel près de Lui! Soyez folles de la divine folie de l’amour de Dieu! Qu’Il embrase vos cœurs de Son Amour! Une autre fois, ne me forcez pas à vous en donner une seconde, car elle… agit ma bonne malédiction, vu qu’elle sort du profond de mon cœur. Lorsque j’étais au sanatorium pour tuberculeux9 , j’eus compassion de vous. Certaines d’entre vous attendaient depuis huit ans et affirmaient: «Nous fonderons un monastère», mais le monastère n’apparaissait pas à l’horizon. Elles en étaient déprimées. Je leur dis alors: «Dès que je sortirai du sanatorium, le monastère sera planté comme un champignon, et d’ici un an vous serez au monastère!». J’avais dit cela de tout mon cœur, vous aviez de bonnes dispositions, et c’est pourquoi Dieu ne vous abandonna pas. Autrement cela ne s’explique pas!
Si tu as compassion d’un homme humble qui te demande de tout son cœur de prier pour qu’il se libère d’une passion qui le tyrannise et si tu lui dis: «Ne crains pas, tu vas devenir meilleur!», tu lui donnes là une bénédiction qui est bénédiction de Dieu. Cette bénédiction, le souhait que tu as exprimé, contient amour et compassion, et c’est pourquoi il se réalise: il plaît à Dieu, et Dieu l’accomplit. Le seul fait qu’on éprouve de la compassion pour autrui est déjà une bénédiction pour lui.
Pendant mon service militaire, le commandant m’envoya un jour dans une chapelle dédiée à Saint Jean-le-Précurseur accomplir un vœu qu’il avait fait, car le saint nous
9. En 1966.

avait aidés pendant les combats. Je devais acheter deux grands chandeliers pour la chapelle et accompagner par la même occasion un soldat qui devait passer en tribunal militaire à Naupacte10 . Les autres soldats dirent au commandant: «Tu as trouvé la bonne personne pour le livrer au tribunal!». Originaire d’Épire, le malheureux soldat en question était pauvre, musicien, marié et père de famille. Il était condamné pour s’être automutilé afin d’échapper à la guerre. Il s’était dit: «Mieux vaut que je survive avec une seule jambe plutôt que d’être tué!». Nous descendîmes à Agrinio, où il avait des connaissances. «Allons les voir!», me dit-il. «Allons-y», répondis-je. «Allons ici, allons là-bas!» Que faire, je le suivais partout. Quelle fatigue! Il ne voulait pas que je le livre au tribunal. J’eus compassion du malheureux et lui dis: «Tu vas voir! Toi, tu vas passer la guerre mieux que nous tous. Le commandant enverra l’ordre de te mettre dans quelque service, tu pourvoiras ainsi aux besoins de tes enfants et tu auras la vie sauve!». En arrivant à Naupacte, nous apprîmes que le commandant avait envoyé une lettre et le soldat fut libéré! Autrement il aurait été fusillé. La discipline est stricte en temps de guerre. Le commandant eut pitié de lui, vu qu’il était père de famille, et on le mit à la cuisine du Centre des Transmissions. Il fit venir sa famille et passa la guerre dans de meilleures conditions que nous tous. Comme les soldats n’allaient pas toujours au Centre pour manger, il y avait des restes de nourriture, et il en nourrissait ses enfants. Tous lui dirent ensuite: «Toi, tu as mieux passé la guerre que nous tous!». Car nous étions en haut dans les montagnes, dans la neige. Ce que je lui avais souhaité était agréable à Dieu, car je l’avais dit avec une vraie compassion, du fond du cœur, et c’est pourquoi Dieu l’accomplit.
Je me souviens d’une autre circonstance, qui eut lieu aussi à Konitsa, alors que j’étais au monastère de Stomiou.
10. Ville du sud de la Grèce.

Après la fête patronale du monastère, le 8 septembre, les pèlerins avaient tout laissé sens dessus dessous. Alors que je faisais des rangements, je vois ma sœur et une jeune fille qui commençaient à mettre de l’ordre. La pauvre avait deux autres sœurs mariées (elle était la plus jeune), et elle seule n’était pas encore mariée. Quelle générosité elle avait! Elles mirent tout en ordre, et la jeune fille me dit: «Père, si c’est nécessaire, nous pouvons rester encore pour faire le travail qui demeure!». «Quelle générosité!», pensai-je. Je vais dans la chapelle et prie de tout mon cœur: «Sainte Vierge, pourvois aux besoins de cette jeune fille. Moi, je n’ai rien à lui donner!». Même si j’avais eu quelque chose, elle ne l’aurait pas accepté. Dès qu’elle rentra chez elle, elle y trouva un garçon qui l’attendait – nous avions été soldats ensemble -, un bon gars, et d’une bonne famille. Ils se marièrent et sont très heureux! Combien la Sainte Vierge Ta généreusement pourvue!