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- 1. Maître du désert.
L’Ancien a vécu toutes les formes de la vie monastique : cénobitique*, idiorythmique*, dans un monastère du monde[1], dans le désert, dans une skite, seul dans une calyve. Il est passé par l’obéissance, a été pétri par la tradition des anciens Pères et a acquis une grande expérience. Par humilité, il ne désira recevoir aucune dignité et par sensibilité spirituelle il ne fonda pas de communauté. En en expliquant les raisons, il disait : « Si je prends un disciple, il faudra que je lui consacre deux heures par jour. Mais, avec les gens que je reçois, puis-je disposer de mon temps ? Quoi ? Devrais-je prendre quelqu’un pour en faire un garçon de café ? » Mais malgré cela, il se révéla être un Maître du désert et un enseignant de la pratique de la vie monastique. À elle seule, sa vie étonnante, son exemple, guident et édifient sans paroles. En outre, l’Ancien parla, écrivit, défendit et illustra la divine institution du monachisme, qui constitue une réserve spirituelle pour l’Église.
L’Ancien aida bien des jeunes à devenir moines. Quand ils renonçaient au monde, ils lui demandaient dans quel monastère ils devaient aller, bien que beaucoup eussent demandé à demeurer avec lui. Le Père Païssios aida chacun avec discernement à trouver l’Ancien qui lui convenait et, par la suite, à affermir leurs vocations et à progresser. Son discours aussi pratique que plaisant, calmait, consolait, résolvait les doutes et dissolvait leurs tentations. Alors, ils partaient renouvelés, soulagés, prêts pour de nouveaux combats. De toute la Sainte-Montagne, les moines, les Anciens et les ascètes accouraient auprès de l’Ancien, y compris des higoumènes. C’était « l’entraîneur des moines[2] », parce qu’il pouvait « supporter et guérir leur pensée ». Il fut l’un des facteurs, caché quoique fondamental, du renouveau monastique contemporain de la Sainte-Montagne.
Beaucoup de moines et d’higoumènes de monastères du monde venaient également le voir. Il restait parfois en relation épistolaire avec eux. Il ne l’avait pas recherché ; au contraire, il évitait de prendre des moines et des monastères sous sa direction spirituelle. Il ne voulait pas avoir l’air d’un Ancien, mais il conseillait fraternellement et humblement tous ceux qui le lui demandaient, pour leur édification spirituelle. Il n’ambitionnait pas d’augmenter le nombre de ses enfants spirituels. C’est en fonction des circonstances, par devoir, par nécessité spirituelle, ou conformément à un dessein divin, et toujours avec difficulté, qu’il accepta d’aider des communautés monastiques nouvellement fondées dans le monde. Comme un architecte spirituel expérimenté, il leur donnait une règle, leur insufflait un esprit monastique et contribuait ainsi à créer une tradition ascétique. Sous sa direction spirituelle, les hésychastères* augmentèrent rapidement et maintenant portent des fruits spirituels ainsi qu’il le souhaitait : « Ayez vos portes et vos bras ouverts, soulagez spirituellement les hommes. Maintenant, ils sont à la recherche de quelque chose d’autre, et s’ils ne le trouvent pas ici, dans les monastères, ils repartiront. »
Sommairement, l’idéal monastique de l’Ancien était celui-ci : « Que les moines accomplissent leurs devoirs monastiques, mais qu’ils acquièrent aussi un esprit monastique, une conscience monastique, un mode de vie et un style monastiques. Qu’ils affrontent les événements spirituellement, car, autrement, ils ne seront pas heureux, pas même un seul jour. Qu’ils prennent soin en premier lieu de travailler sur leur âme et qu’ensuite, petit à petit, ils s’occupent des travaux de construction. Cela ne les fatiguera pas, et aura, de plus, l’avantage de sanctifier ces travaux. Le but du moine, c’est la purification de son cœur. Qu’il devienne aussi sensible que la feuille d’or dont se sert l’iconographe pour recouvrir le fond des icônes, et qu’il prie pour le monde entier. Nous venons au monastère pour mener une vie spirituelle et pour aider spirituellement tous les hommes. »
- Mission depuis le désert.
L’Ancien ne transigea jamais sur la question de l’hésychia ou de la mission. Ainsi qu’il se définit lui-même, c’était un moine hésychaste. Lors d’une discussion sur la mission et l’hésychasme*, l’Ancien dit : « Chacun suit sa vocation propre. Moi, c’est le désert que j’ai aimé. » Cependant, bien qu’il fût hésychaste, il accomplissait un travail apostolique depuis le désert. Il priait pour le salut de tous. Il désirait que tous les hommes connaissent Dieu. Bien que moine, durant toute sa vie, il annonça le Christ. La grande grâce qui lui fut accordée, « ne le fut pas en vain[3] ».
Il accomplit une œuvre apostolique depuis le désert. Il aida une multitude de personnes. En ce sens, P Ancien était ascète et missionnaire. Sa mission découlait de la profusion de son amour pour le monde, de la « surabondance[4] » de la grâce divine. Il ressemblait à un homme qui, spirituellement riche, avait la capacité de nourrir beaucoup d’affamés. Il ne partit pas de la Sainte-Montagne pour enseigner, ni se chargea de missions dans des continents lointains. Il resta dans le désert en pratiquant l’ascèse, et Dieu lui amena des hommes venus des cinq continents. Sa contribution missionnaire fut fondamentale et efficace, car elle jaillissait de l’ascèse et elle l’accompagnait.
La principale contribution de l’Ancien, ce fut son exemple lumineux. Celui-ci à lui seul constitue un enseignement très élevé et une mission. Il se manifesta comme un modèle : après qu’il se fut défait du vieil homme, il rendit lumineux le « selon l’image » (cf. Gn 1, 27), se fit imitateur du Christ, « modèle pour les fidèles[5] », image vivante de la beauté originelle. Il entérina l’Évangile et corrobora par son existence les événements surnaturels de la Bible. Cet exploit constitue son apport essentiel, lequel a une valeur pérenne, car c’est par lui que tout ce qu’a dit, fait, ou contribué à faire l’Ancien, a reçu validité et grâce. Car tout ce qu’il disait, il avait commencé par le vivre lui-même.
Comme une colonne de lumière, il menait à la connaissance de Dieu et aux combats spirituels. Il révélait Dieu aux hommes. Il prouva que Jésus- Christ est « hier et aujourd’hui, le même, ainsi que pour les siècles des siècles[6] », et qu’il distribue Sa grâce avec largesse à ceux qui en sont dignes. De même, son héritage écrit constitue une proclamation permanente et une aide essentielle pour les moines comme pour les laïcs.
L’Ancien se réjouissait quand quelqu’un lui disait qu’il voulait devenir missionnaire, et il l’aidait à devenir un missionnaire authentique. Exprimant la vraie conception orthodoxe de la mission, il considérait qu’il était indispensable de commencer par soi-même. Il faut d’abord se sanctifier soi-même pour sanctifier les autres. Nous sommes nous-mêmes destinés à être le fondement de l’action missionnaire. Si celui-ci s’effondre, tout l’ouvrage est menacé. Par conséquent, il est indispensable que l’homme reçoive la grâce pour être sanctifié. Dès lors, commence aussi son activité missionnaire fondamentale.
Il disait : « Un esprit de mission non-orthodoxe a pénétré aussi parmi nous. Nous ne prenons pas en compte notre ego qui est couvert de blessures et d’immondices, mais nous nous demandons comment nous allons sauver les autres. Cette légèreté spirituelle est un obstacle pour le moine. Tandis que si nous commençons par nous-mêmes, ce qui constitue un ouvrage interminable, si nous nous tournons vers notre intériorité, alors les autres aussi seront aidés. Une moniale russe, en Terre Sainte, au monastère de Sainte-Marie-Madeleine, a prêché par sa présence et son silence ; elle a transmis ainsi la grâce divine. Il suffisait de la voir pour recevoir un enseignement. Je lui ai même donné mon chapelet. »
Un jour, quelqu’un lui demanda sa bénédiction pour travailler comme missionnaire à l’étranger, et l’Ancien lui répondit : « Pour que quelqu’un devienne missionnaire et ait des résultats positifs, il faut qu’il soit saint. Il ne suffit pas de savoir conduire une voiture ou d’autres choses du même genre ; il faut faire des miracles ! Quand, par exemple, le missionnaire rencontre un sorcier au coin de la nie, il faut lui faire un miracle, pour que le malheureux croie au Christ. ». A un autre missionnaire connu, il dit de vivre d’abord plusieurs années dans un monastère avant de devenir missionnaire. Il disait : « Il y a des chasseurs qui parcourent des montagnes et des vallées, mais qui ne trouvent que peu de gibier. Mais il y a aussi d’autres chasseurs, plus intelligents. Ceux-ci se mettent à l’affût près des sources et attendent sans faire de bruit. Tout le gibier assoiffé vient se désaltérer et pan ! pan !, il remplit sa gibecière. Le monastère est la meilleure façon d’avoir une vie spirituelle, et aussi le meilleur lieu de pratiquer la mission. Les gens, de nos jours, sont très assoiffés et vont venir au monastère d’eux-mêmes, lorsqu’ils le désirent, sans subir de pression. »
Il recommandait : « Quand nous avons un prêtre pieux qui aime l’ascèse, il ne faut pas l’envoyer dans le monde sous prétexte que nous en avons besoin. Quand nous avons une pomme de terre, il faut la planter pour en avoir d’autres et non pas la manger tout de suite. »
La majeure partie de ses visiteurs était constituée par des laïcs. De par sa longue fréquentation de leurs problèmes, il avait acquis une grande expérience. Comme un médecin expérimenté, il savait comment guérir leurs maladies spirituelles. Sans partialité, il donnait la priorité à certaines catégories de personnes. En premier lieu à ceux qui étaient spirituellement nécessiteux, tout en étant malades ou souffrants.
Par la suite, il essaya d’aider la constitution de familles véritablement chrétiennes. « Le fruit de mon existence, témoigne un chef de famille, c’est que j’ai rencontré le Père Païssios. Il a fait de moi un homme et il m’a aidé à fonder une bonne famille. » Il considérait qu’une bonne famille était une grande affaire. Alors que, au contraire, « l’origine de tous les problèmes se trouve souvent dans la famille. Un tas de problèmes tirent leur origine d’une famille en décomposition. »
Il conseillait aux couples de mener une vie spirituelle, d’avoir le même père spirituel et d’enseigner aux enfants la piété par leur exemple. Il disait : « L’éducation qu’une mère donne à son enfant lorsqu’il est petit est très importante. Car c’est en fonction de l’éducation que l’enfant a reçue lorsqu’il était petit qu’il se développe pendant le reste de son existence. Et si quelqu’un devient un saint et va au Paradis, il le doit beaucoup à sa mère. C’est pourquoi lorsque, là-bas, nous verrons des mères se situant à un niveau plus élevé, n’en soyons pas surpris. Car, par exemple, si une mère a quatre enfants et que ses enfants reçoivent un 8 au Paradis, ne sont-ils pas chacun redevable d’un 2 à leur mère qui leur a été si utile ? Et, pour elle, 4 fois 2 font 8. Plus au moins 2 en raison du mal qu’elle s’est donnée pour eux, la voilà avec la meilleure note au Paradis, à la première place. »
Il considérait que les parents ne devaient pas avoir un esprit mondain, mais doivent vivre dans la simplicité, en limitant les dépenses inutiles et les signes extérieurs de richesse. Il insistait sur le fait que les relations avec d’autres familles chrétiennes sont très profitables. Quant à l’éducation des enfants, il conseillait aux parents « pour que les enfants puissent suivre la bonne voie, il faut beaucoup de prière. Il ne convient pas de leur témoigner trop d’affection, pour qu’ils ne deviennent pas des enfants gâtés et des effrontés, ni non plus trop de sévérité, car alors ils deviendront des révoltés. Le secret consiste à savoir jusqu’où il faut leur serrer la vis. Et les enfants ne doivent pas contester les adultes. »
Il s’occupait plus particulièrement des jeunes pour qu’ils puissent trouver leur voie, qu’ils vivent près de Dieu, et qu’ils aient du respect et un idéal. Un riche lui demanda sa bénédiction pour faire une fondation, l’Ancien lui dit alors : « Occupez-vous donc un peu des jeunes. » Alors, suivant sa recommandation, il créa une fondation pour aider les jeunes infirmes. Il aidait aussi ceux qui avaient des responsabilités. Non pas par flatterie ou par intérêt, mais pour qu’ils puissent, à leur tour, honorablement et consciencieusement aider les autres en raison de leur haute position.
Parmi les efforts déployés par l’Ancien pour venir en aide à ses frères qui luttent dans le monde, on peut signaler le fait qu’il essaya d’écrire un livre en prenant des exemples parmi des laïcs vertueux. Il avait commencé à l’écrire, mais sa dormition le laissa inachevé. Il disait : « Aujourd’hui, au lieu de s’attaquer aux défauts (c’est-à-dire de souligner les péchés) des gens, il vaut mieux mettre en avant les exemples de chrétiens vertueux. Et, heureusement, il y en a suffisamment. J’en connais beaucoup. Ceux-ci ont atteint la pureté du cœur, et comme le verbe de Dieu est pur, ils comprennent l’Évangile et peuvent faire preuve d’une illumination divine. Par leur pensée, ils ne nuisent qu’à eux-mêmes » (c’est-à-dire qu’ils donnent toujours raison aux autres, et se condamnent eux-mêmes). L’Ancien, sans être un travailleur social ou un missionnaire, depuis le désert aida beaucoup de gens, y compris pour la mission à l’étranger. Faisant allusion à la diffusion de l’Evangile, il disait : « Le temps viendra où beaucoup de gens auront soif de connaître le Christ et l’Orthodoxie. C’est ainsi que l’Évangile sera annoncé au monde entier. »
- Sorties dans le monde.
Comme cela a été dit, l’Ancien fit la connaissance, à l’hôpital, déjeunes filles s’intéressant au monachisme. Par reconnaissance pour leur contribution à son rétablissement, il les aida spirituellement, et c’est ainsi que fut fondé le saint hésychastère de Saint-Jean-le-Théologien à Souroti. Par la suite, il se rendit au monastère, quand c’était nécessaire. Plus tard, il se fixa de sortir deux fois par an de l’Athos, une fois à l’automne et une autre après Pâques. « Comme j’ai assumé une responsabilité, je ne peux pas ne pas venir », disait-il. C’était la principale destination de ses sorties, pour aider spirituellement les sœurs du monastère. Il avait aussi pris sous sa direction spirituelle le monastère de moniales du Précurseur au village de Métamorphosi en Chalcidique et, occasionnellement, il se rendait dans d’autres monastères. Au début, il fut confronté à un dilemme. Un jour, à peine de retour à l’Athos, venant de Souroti, sa pensée lui dit : « Pourquoi est-ce que je me mêle des affaires des moniales ? » Puis, il fit le rêve suivant : « Je me trouvais à la table d’un monastère, où se trouvaient de grands saints qui étaient moines ainsi que l’higoumène qui venait de Cap- padoce. J’avais moi aussi une place devant lui. Tout d’un coup, l’higoumène agita une clochette et dit au lecteur : “Arrête ta lecture. Nous allons chanter, parce que nous avons ici quelqu’un qui a des pensées” [en disant cela, l’Ancien sourit]. Ils commencèrent à chanter quelque chose qui ressemblait à une marche, dont les paroles répondirent à mes pensées et les calmèrent. »
Le manque d’empressement de l’Ancien à sortir dans le monde, et le fait que ses déplacements résultaient de son amour et de son obéissance, pour lesquelles il sacrifiait sa chère hésychia, apparaît dans le récit suivant : « Un jour, j’ai reçu une lettre me demandant de sortir dans le monde pour venir en aide à quelqu’un. C’était un cas grave. Mais je ne voulais pas y aller. Je pris mon chapelet, et je suis monté pieds nus jusqu’au sommet de l’Athos pour y prier et pour que Dieu me donne une certitude intérieure sur ce qu’il convenait de faire. Je revins des heures plus tard, couvert de plaies et sans aucune certitude intérieure. Intérieurement, je me sentais très mal. Alors je décidai d’aller voir un Ancien (le Père Tykhon) pour lui demander conseil. Il me dit qu’il fallait que j’y aille et que je sorte dans le monde. Derechef, je ne le voulais pas. En rentrant dans ma calyve, j’y trouvai une nouvelle lettre qui disait qu’il suffisait que je leur écrive une lettre, et que tout rentrerait dans l’ordre. Je retournai voir l’Ancien et je lui parlai de la lettre. “Non, me dit-il, il vaut mieux que tu y ailles, pour qu’ils te voient et que tu leur parles.” Je décidai d’obéir et d’y aller. Aussitôt, le poids qui pesait sur moi disparut, et la grâce de Dieu vint. Dieu veut que nous prenions conseil auprès des autres dans la mesure du possible. »
Au début, lors de ses sorties, il restait dehors environ une semaine, plus tard, il resta davantage. Il se hâtait de revenir dans son kellion. Une fois, il rendit visite à un monastère qu’il connaissait à Corfou. La nuit tomba, et il n’alla pas dormir : il vit les sœurs, les aida autant qu’il put, et repartit au matin.
Beaucoup de gens, en apprenant qu’il se trouvait à Souroti, se hâtaient de venir lui demander conseil et prendre sa bénédiction. Ils transportaient avec eux des malades et des affligés, qui attendaient leur tour pendant des heures.
Les dernières années, le nombre de fidèles qui venaient le voir dépassait les dix mille. Ils accouraient de tous les coins de la Grèce et de l’étranger, y compris de la lointaine Australie. Une affluence de gens telle, qu’elle constitue un phénomène rare dans les chroniques ecclésiastiques. Beaucoup d’hommes politiques « qui attirent les foules » et d’« agitateurs » pourraient prendre ombrage de cette affluence, eux qui dépensent beaucoup d’argent en publicités et informations pour attirer les gens.
Au contraire, l’Ancien, lui, sortait sans faire de bruit de l’Athos, terminait rapidement ses affaires et évitait les gens dans la mesure du possible, mais quelque chose électrisait et attirait les gens vers de lui. C’est pourquoi, c’était en général pour lui une peine et une souffrance que de rester debout à discuter avec une file interminable de gens, tout en étant le plus souvent tourmenté par des problèmes de santé. Et, alors qu’il secourut tant de gens, et que tant de miracles se produisaient, lui-même considérait que ses sorties étaient un écart, qu’il faisait par économie, de sa principale mission, qui consistait à prier pour le monde. « Être présent dans le monde est dangereux pour nous. Mais si Dieu nous manifeste, c’est différent, parce qu’alors la grâce nous précède et nous protège. »
Quand il revenait à son kellion, il disait avec humilité : « Mon âme est en friche, comme la cour de mon kellion. » Pour nettoyer son esprit des impressions et des représentations, et pour retrouver son rythme, il célébrait les Vêpres dans sa chapelle, non pas avec le chapelet, mais en chantant l’office canonique. Il disait : « Bien que je sorte de la Sainte- Montagne pour une raison spirituelle, et pas pour moi-même ni parce que cela me fait plaisir, lorsque je reviens, il me faut trois ou quatre jours pour reprendre mes esprits et reprendre mon emploi du temps. »
Il restait de marbre devant les honneurs et l’adulation des hommes. « Je me dégoûte, dit-il un jour. Qui suis-je pour que l’on me témoigne tant d’honneur ? Je suis un bon à rien, c’est pourquoi je me suis dit que j’allais arrêter et revenir sur l’Athos. »
Si, de temps en temps, il mentionnait quelques événements ou guérisons, c’était surtout pour insister ou enseigner quelque chose. Lui-même faisait attention à son combat, pour que le moine ne se perde pas et ne cesse son contact avec Dieu. Il s’appliquait à tout oublier des choses du monde. Mais il n’oubliait pas les hommes qui souffraient. Il transportait leur souffrance et leurs problèmes à la Sainte-Montagne, pour ensuite les transmettre à Dieu dans sa prière. Les miracles de l’Ancien qui se produisirent lors de ses sorties sont extrêmement nombreux. On en mentionnera ici quelques-uns à titre indicatif, parmi tous ceux qu’il nous raconta ou que nous racontèrent d’autres témoins dignes de foi, pour montrer de quelle façon il venait en aide aux gens.
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L’Ancien raconta : « Un jour, en 1976 ou 1977, alors que j’étais sorti à Souroti, j’ai demandé aux sœurs : “Comment cela va-t-il avec l’eau?” Elles me répondirent : “Gloire à Dieu, nous en avons.” Je leur dis : “C’est bien que vous en ayez, mais est-ce que vous demandez que le monde en ait ? (il y avait cette année-là une grande sécheresse). Nous allons faire une veillée et nous prierons pour qu’il pleuve.” Effectivement, elles prièrent, il plut et les semailles furent sauvées. Alors les cultivateurs se réjouirent de la bénédiction que Dieu leur avait envoyée. Je demandai et l’on me dit qu’il avait plu jusqu’en Thessalie. »
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Il rapporta une autre fois : « J’ai fait un signe de croix sur une femme cancéreuse avec les reliques de saint Arsène. Quelques jours plus tard, j’ai reçu une lettre d’elle me remerciant, parce qu’elle allait bien et demandait à connaître le nom du saint en question. »
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Une femme particulièrement pieuse, une vraie servante de Dieu, habitant Thessalonique, avait été atteinte par le cancer. Elle avait fait beaucoup de thérapies, mais le mal progressait. Les métastases s’étaient répandues jusque dans les os. Elle vint voir l’Ancien à Souroti. Dès qu’elle eut reçue sa bénédiction, elle lui demanda avec angoisse : « Géronda, je vais me rétablir ? » Il répondit négativement. La malade éclata en sanglots. Puis il lui parla en particulier pendant assez longtemps, il la consola et la
prépara à sa dormition prochaine. Elle partit calme et sereine, sachant qu’elle allait rapidement quitter cette vie et que son itinéraire serait certes pénible, mais bienheureux, et c’est ce qui se produisit.
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Quand l’Ancien vivait dans son kellion de la Précieuse-Croix, quelques connaissances l’invitèrent à sortir dans le monde pour leur venir en aide. Une possédée avait mis en émoi les gens dans la ville où elle vivait. Elle faisait diverses révélations. Quelques-uns, la croyant charismatique, donnaient foi à ses paroles, et il régnait une grande confusion. L’Ancien ne refusa pas d’aller sur place, il demanda juste d’avoir la bénédiction de l’évêque local, car sans sa bénédiction, il n’irait pas. Ils intervinrent aussitôt, et l’évêque lui envoya une invitation. Il sortit, clarifia les choses, et le diable fut couvert de honte. L’assurance que l’Ancien avait du succès de sa mission fit grande impression. Une autre fois, sur une invitation par un monastère, il écrivit à une connaissance : « Pas d’invitation officielle, car outre le fait qu’elle ne convient pas à ce que je suis, même si j’étais un lettré plein de capacités, je la refuserais aussi (si j’avais le peu de jugeote que j’ai et si je n’étais pas fou). »
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Témoignage de M. Chrysostome Papasotirios, médecin à Thessaloni- que : « La femme de Christos X., représentant d’une société pharmaceutique, était presque paralysée à la suite d’une sclérose en plaques. À l’automne 1989, ils allèrent voir l’Ancien au monastère de Souroti. Ils voulaient recevoir sa bénédiction et qu’il consolât la malade. Quand vint son tour, son mari la tenait sous les aisselles, et ils se demandaient comment ils allaient monter l’escalier. C’est alors qu’ils entendirent la voix de l’Ancien qui venait de l’intérieur : “Assieds-toi donc là, chère Évangelia. Ne te fatigue pas, c’est moi qui vais venir…” Cela sans les voir et sans les connaître. Puis, ils discutèrent et partirent très apaisés et consolés. »
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Témoignage de Jean X. : « Ma femme est allée en pèlerinage à Jérusalem et là, pour la première fois, elle entendit parler de l’Ancien Païssios. Plus tard, lorsque l’Ancien partit à Souroti, elle alla le voir pour lui exposer son problème. Elle était très contrariée de la chute de ses cheveux. L’Ancien lui dit : “Ne sois pas chagrinée, va et sous peu un peigne ne pourra y passer.” Effectivement, deux ou trois mois plus tard, ses cheveux devinrent très drus. Cet événement m’impressionna, et je suis allé à la Sainte-Montagne pour rencontrer à mon tour le Père Païssios. Il me prit par la main et me dit : “Voilà dix ans que tu t’es confessé[7].” J’avais effectivement dix ans à confesser et, lui obéissant, je suis allé me confesser. »
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Témoignage de Sophie Papadopoulos, de Thessalonique : « En décembre 1987, alors que j’étais âgée de sept ans, tous mes cheveux tombèrent. Les diagnostics des médecins varièrent, depuis l’assurance qu’ils allaient repousser et être blancs, jusqu’à l’affirmation qu’ils ne repousseraient jamais. Je suivis de nombreuses et laborieuses cures sans résultat et, à chaque fois, mon désespoir était grand. Mon père rendit visite au Père Païs- sios à la Sainte-Montagne. Celui-ci lui conseilla de jeûner en compagnie de son épouse et de moi-même, dans la mesure du possible. Il lui dit également : “Dieu conserve les cheveux de ta fille à la Caisse d’Épargne et II les rendra avec intérêt : ils seront abondants, noirs et bouclés.” Les paroles de l’Ancien me rendirent joyeuse et pleine d’espoir.
Par la suite, j’ai rencontré l’Ancien à Souroti. J’étais assise sur le plancher et j’avais posé ma tête sur ses genoux. Il me caressait la tête en me disant que sa main brossait mes cheveux. (Effectivement, moi aussi il me semblait à ce moment-là avoir les cheveux coupés à ras, et sa main me semblait passer sur eux, alors que ma tête n’était même pas couverte de duvet et était totalement lisse.) Son sourire lumineux est resté pour moi inoubliable, ainsi que sa caresse sur ma tête. La confiance qu’il m’avait donnée était indescriptible. Il me conseilla de jeûner tous les mercredis et tous les vendredis et de communier. C’était le jour le plus béni de ma vie. En 1996, apparurent mèche par mèche tous mes cheveux, et ils étaient « abondants, noirs et bouclés », comme l’avait dit l’Ancien. Il vaut la peine de remarquer que, lorsque plusieurs années plus tard, je rendis visite à l’endocrinologue qui me suivait, dès qu’elle me vit elle pleura et reconnu qu’un miracle s’était produit, parce qu’elle-même ne croyait pas que mes cheveux pousseraient et ne faisait que nous donner du courage. »
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Témoignage de M. Z. : « C’était en novembre 1992. Mon mari P. avait encore de graves problèmes postopératoires. En juin de la même année, il avait été opéré en Allemagne, pour la troisième fois, d’un adénome de l’hypophyse. Sa vision ne s’était pas rétablie, il était tourmenté par de terribles torpeurs et, surtout, il était psychologiquement déprimé. Le docteur, inquiet de son état, prépara son hospitalisation d’urgence à l’hôpital Hippocrate. Le 7 novembre 1992, nous rendîmes visite à l’Ancien à Souroti. Pendant la veillée, une moniale vint et nous conduisit chez l’Ancien. C’est remplis d’angoisse, de piété et de crainte que nous nous trouvâmes en face de lui ; il était assis sur un petit sofa. Il se leva aussitôt, nous embrassâmes sa sainte main, et je lui dis :
“Père, moi et mon mari nous avons de graves problèmes de santé. Nous vous en prions, nous avons besoin de votre aide. Pour ma part, il y a à peu près un an, j’ai été opérée de la poitrine.
- Et alors, qu’est-ce que l’on t’a dit ? Est-ce cancéreux ?
- Pour me faire tout ce que l’on m’a fait – chimiothérapie, séances de rayons -, il est évident que ça l’est.
- Laisse-les dire”, me répondit-il d’une voix forte, pleine d’assurance.
Je n’oublierai jamais cette phrase. C’est elle qui m’encouragea et continue de m’encourager jusqu’à maintenant. C’étaient les paroles d’un saint charismatique.
“Permettez-moi maintenant de vous parler aussi de mon mari, continuai-je. Il a subi trois opérations du crâne, et il continue de souffrir.
- Eh, ce n’est pas grave du tout.”
Il prit un peu d’huile dans la veilleuse, lui fit un signe de croix sur le front, lui donna à embrasser la croix et lui conseilla de communier. “Laisse-la ; c’est elle qui s’occupe de tout”, lui dit-il pour terminer, faisant allusion à moi qui avais été prise de panique et qui avais mis les affaires sens dessus dessous. Puis, je poursuivis :
“Mon Père, nous avons aussi un ami qui est allé à Londres pour une greffe et qui souffre, le malheureux.
- Comment s’appelle-t-il ?
- ”
Nous ne dîmes rien de plus au sujet de cet ami. Il nous donna quatre petites croix en bénédiction, ainsi qu’un chapelet pour moi. Nous sortîmes de sa petite cellule, nous étions devenus d’autres personnes, soulagées, nous volions, nous étions pleins d’optimisme.
Ce qui m’impressionna, et reste gravé dans ma mémoire, c’est son visage. Pendant tout le temps où nous discutions de nos problèmes, son visage brillait, il était gai, il avait un ton enjoué, on aurait dit que nous parlions de choses joyeuses. Ses yeux brillaient d’une lumière qui ressemblait à la lumière que donnent les iconographes aux visages des saints. Mais, dès l’instant où je mentionnai notre ami, son visage changea ; de joyeux, il devint sévère. Mon mari le constata également. Un père confesseur, à qui nous racontâmes cela et qui connaissait l’Ancien, nous dit que pour nous tout irait bien, mais que pour notre ami… Il laissa sous- entendre que notre ami ne se rétablirait pas. Effectivement, deux mois plus tard, notre ami mourut. Quant à nous, gloire à Dieu, grâce à l’aide du bon Père, jusqu’à aujourd’hui (2002) nous sommes en pleine forme. »
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Mme Hélène Katsoulis, habitant Stylidos, témoigne : « Le 8 mai 1986, jour de la fête du monastère Saint-Jean-le-Théologien à Souroti, j’arrivai en compagnie de mon frère, Constantin Tsalagkas, habitant Stylidos. L’année précédente, on lui avait fait une opération très délicate et jusqu’à aujourd’hui difficile, pour une tumeur bénigne dans la tête. Durant sa convalescence, qui était assez difficile, il rencontra l’Ancien qui lui demanda s’il avait des enfants. Quand il apprit qu’il avait deux enfants, il lui dit : “Tu as encore des obligations. Il faut que tu vives, et tu vivras.” Cette rencontre fut décisive pour la vie de mon frère. Avec l’aide de Dieu, grâce aux intercessions de l’Ancien Païssios, il est en vie et jouit d’une parfaite santé.
Depuis lors, il a une vénération particulière pour l’Ancien et il a recours à lui pour chaque moment difficile de son existence. »
- Défenseur de la Tradition.
L’Ancien avait un amour inné et un profond respect des traditions ecclésiales qui furent instituées par les saints Pères d’autrefois. C’était, au bon sens du terme « un zélote des traditions patristiques ». Il répugnait et condamnait toute tendance moderniste, comme l’abolition du vêtement des prêtres (le rasori), la traduction des textes liturgiques[8], la réduction des jeûnes, etc. La tradition en général, et plus particulièrement la tradition athonite[9] dont il est question ici, constituait pour lui un sujet de prédilection. Depuis l’époque où il était un jeune moine, il recherchait des Pères qui étaient dans un bon état spirituel et qui respectaient la tradition monastique. Tout ce qu’il entendait ou apprenait à leur sujet, il essayait de le mettre en pratique dans son existence. Plus tard, il en mit par écrit une partie qu’il publia dans son livre : Fleurs du Jardin de la Mère de Dieu[10].
Souvent, lors des entretiens, il se référait à la tradition des pères de jadis, à la façon dont ils exerçaient l’ascèse et à la façon dont on la vivait aujourd’hui. Il disait : « Il faut que nous nous comparions avec les saints Pères, pour voir si nous respectons leur tradition, et non pas avec notre voisin, pour que nous en sortions plus traditionnels. Par exemple, quelqu’un a un mulet et dit : “Je suis plus traditionnel que celui qui a une voiture.” Mais les pères de jadis transportaient tout ce qu’ils avaient sur leur dos, et ainsi ils harassaient leur corps et l’exerçaient à la vertu. » Il ajoutait : « Nous avons comme devoir de conserver la tradition, la simplicité et l’ascèse, pour que les plus jeunes qui viendront puissent y trouver de quoi se nourrir spirituellement. »
Il considérait la tradition athonite dans sa globalité. Il ne proclamait pas, d’une manière partielle, la tradition d’un Ancien, et ne faisait pas lui- même « école » en coryant en être le seul dépositaire ou la seule expression, tel un géant de la tradition athonite. Comme il s’était exercé pendant des décennies et qu’il avait bénéficié de l’enseignement de beaucoup d’anciens, il pouvait par la suite parler naturellement de cette tradition et la transmettre aux jeunes générations de moines. Il décrivait ainsi l’atmosphère régnant à la Sainte-Montagne lorsqu’il y arriva : « Jadis, ici. à la Sainte-Montagne, on voyait les Apophtegmes des Pères du désert1 mis en pratique. On rencontrait aussi des fous pour le Christ et des saints, de simples Anciens spirituellement élevés, mais aussi certains qui se trouvaient dans l’illusion. Tandis qu’aujourd’hui nous avons une autre illusion, et l’on y rencontre des bonnes manières européennes. J’ai connu cette bienheureuse atmosphère de jadis, parce que, si je ne l’avais pas connue, je serais mort de chagrin. Mais c’est elle qui fait que je souffre de l’état actuel, quand je compare avec l’état d’alors. Alors, il y avait une incitation à devenir meilleur et à se livrer au combat spirituel, tandis qu’aujourd’hui, il y a une incitation aux choses mondaines. Je souffre, en voyant un monachisme tiède et une politesse de façade. » Le monachisme est avant tout une tradition. Lejeune moine est instruit auprès d’un ancien, afin d’apprendre le mode de vie et d’ascèse que son guide spirituel a lui- même reçu des Pères antérieurs, et ainsi, en remontant d’un ancien à un autre, le courant de la tradition arrive jusqu’aux premiers Pères du désert. Le Père Païssios conseillait aux candidats à la vie monastique de se rendre ou dans un monastère ou auprès d’un Ancien ayant une connaissance pratique de la vie monastique, et non pas une connaissance livresque. Car, comme il disait : « Par soi-même, on n’apprend jamais rien. Regardez : ces chatons sont malins parce qu’ils sont éduqués par leur mère, alors que [11] cet autre, qui est orphelin, est comme perdu, il ne sait rien. » Par cette comparaison, il voulait souligner l’utilité de l’apprentissage.
Il poussait les nouveaux moines à se rendre auprès de vieux athonites pour discuter de questions spirituelles et à mettre leurs conversations par écrit. « Nous voyons que ceux qui ont écrit les recueils d’Apophtegmes[12] [13], l’Histoire Lausiaqueu, n’hésitèrent pas à affronter des dangers pour aller consulter les Pères du désert. Alors que, aujourd’hui, on se déplace facilement, et que, de plus, on reçoit une collation[14]. »
Il était très instructif de voir l’Ancien poser des questions à d’autres Anciens pratiquant l’ascèse, quel canon de prières ils suivaient, et comment ils combattaient, dans la seule intention d’en être édifié. Finalement, il s’accusait lui-même parce que, par rapport à ce que faisaient les autres, lui ne faisait rien, et que les autres faisaient des ascèses plus grandes. Il mentionnait souvent et toujours avec respect la tradition athonite. Il considérait qu’elle était non seulement précieuse, mais aussi fragile, tel un arbre qui tend à se dessécher et dont il ne reste plus que quelques rameaux qui soient vivaces.
Telle était en bref la position de l’Ancien à l’égard de la tradition ascétique et neptique* de la Sainte-Montagne. Une attitude faite de respect, d’une vie d’apprentissage, et de bien des combats pour la vivre et la transmettre sans altération aux jeunes moines.
Cela s’accompagnait d’une attitude négative vis-à-vis de l’esprit du monde, du mode de vie du monde, et de la conception sécularisée de l’existence. Il disait avec emphase : « Le pire de tout, c’est l’esprit du monde[15]. » Il considérait que c’était le facteur principal du relâchement de la tradition monastique, et que celui-ci était susceptible de nuire au moine plus que le diable[16]. Naturellement, les choses mondaines ne conviennent pas aux moines et leur sont très nuisibles. Mais l’Ancien considérait que même les chrétiens qui vivent dans le monde ne doivent pas avoir un esprit mondain. Sa parole, « telle une vive flamme et un marteau qui brise un roc[17] », distinguait et séparait ce qui est du monde et ce qui relève des moines, même là où d’autres les confondaient. Il avait une sensibilité rare sur cette question particulière. Avec tristesse, l’Ancien constatait « qu’au- jourd’hui une influence du monde s’exerce sur le monachisme. Cela confirme ce que des prophéties ont dit, selon lesquelles, à la fin des temps, les moines se comporteront comme les laïcs, et que les laïcs se comporteront comme les démons. Mais il y a aussi des exceptions. » C’est pourquoi il conseillait : « De nos jours, à cause du relâchement du monachisme, il faut faire très attention pour ne pas être entraîné par le courant, parce que le mal se produit progressivement et alors on est entraîné sans s’en rendre compte. L’esprit du monde influence aussi les monastères. C’est-à-dire que le moine cherche à vivre confortablement, à se sanctifier en faisant le moins d’effort possible. »
Porteur et défenseur de l’authentique esprit patristique, il considérait que c’était une tentation nuisible et destructrice pour le moine, qui le conduisait à se détourner de ses devoirs spirituels, que de mettre un accent excessif sur les « aspects secondaires » du monachisme (le travail manuel, les bâtiments luxueux – non pas les besoins essentiels – les fêtes ostentatoires), la recherche du moindre effort, le goût pour le confort et la facilité.
Un jour, il fut sur le point de partir du Stomion parce que l’on voulait prolonger la route jusqu’au monastère et construire un chemin de fer aérien. Un autre, à sa place, se serait réjoui de cette facilité, mais les critères de l’Ancien étaient différents.
D’un Ancien qui faisait beaucoup de compromis à l’égard de ses disciples, il disait : « Pourquoi ses moines ne montent-ils pas jusqu’à son niveau spirituel, dans la mesure où ils le peuvent, et pourquoi descend-il ainsi à leur niveau ? »
Il vit dans un kellion des choses qui ne devaient pas y être et il demanda : « Que font là ces choses du monde ? » L’Ancien du kellion se justifia en disant qu’on les lui avait données, et il répliqua : « Et si on t’avait donné une jupe, tu ia porterais à la place de la soutane ? » Il voulait que les moines vivent simplement et que cela se fasse consciemment. Dans un monastère, il vit que le sol était recouvert de tapis et il conseilla de les enlever. Il se réjouit, lors de sa visite suivante, en voyant qu’on les avait enlevés, mais il dit à quelqu’un : « Ils ont enlevé les tapis d’ici, mais s’ils ne les enlèvent pas aussi de leur cœur, ils les mettront ailleurs. »
On rapporte que, un jour, un moine vint le voir ; il arrivait du désert[18]. Il lui dit qu’il avait mis le téléphone et commença à énumérer les effets positifs de celui-ci : qu’il pourrait commander les choses dont il avait besoin à Daphni et gagner ainsi du temps pour la prière tout en économisant ses efforts. L’Ancien ne fut pas d’accord avec cet esprit et lui répondit : « Je sais bien qu’il est pratique d’avoir le téléphone. Et que plus on a de choses du monde, plus on a de facilités. Mais est-ce pour ces facilités que nous sommes venus ici ? Eh ! alors il aurait mieux valu que nous restions dans le monde où nous aurions eu davantage de facilités. » Il citait aussi un autre exemple : « Un Ancien vivait dans un kellion avec son disciple. L’Ancien dit à celui-ci : “Je veux que tu fasses comme travail manuel quelques petites croix et que tu pries beaucoup.” Celui-ci fit pression sur son Ancien et apprit l’iconographie. Progressivement, ils eurent beaucoup de commandes, achetèrent beaucoup de meubles ainsi que des vêtements sacerdotaux pour trente prêtres et trois évêques. Il y a peu, ce disciple est décédé. Avant qu’il ne meure, j’avais rendu visite à ce kellion. Il était seul et, comme un petit vieux impotent, il avait du mal à s’occuper de lui- même. Les fauteuils et les meubles étaient tachés par des immondices. Voilà où l’on en arrive, lorsque l’on abandonne la prière et que l’on fait sa volonté propre. » Il ajouta : « Hadji-Georgis, ne donnait pas de diaconie* à beaucoup de ses disciples. Ceux-ci se préoccupaient davantage de la prière et faisaient des prosternations pour le monde entier. »
Il conseillait aux moines : « Il faut que ce soit le monde qui nous imite, nous les moines, pour leur progrès spirituel, et non pas nous qui imitions le monde pour un progrès mondain. »
« Lorsque le moine ne trouve pas de douceur dans ses activités spirituelles, il n’a pas de consolation. Dès lors, il commence à désirer les choses du monde, et comme il ne peut pas les utiliser comme les gens du monde, il se débat. Les choses du monde et l’esprit du monde vont apporter la ruine du monachisme, y compris à l’Athos, comme cela s’est déjà produit en Egypte. De nos jours, les archéologues découvrent dans les kellia* monastiques de la Thébaïde, des représentations de chasse sur des bas-reliefs qui datent de l’empereur Zénon, etc. Quand la simplicité a été perdue et que les moines ont commencé à se soucier de telles choses, est venu l’abandon du monachisme. »
Il disait en prophétie à propos de la Sainte-Montagne : « Vous verrez que les grandes constructions que certains érigent seront plus tard abandonnées. Et que, même en payant, personne ne viendra s’y installer. Ils viendront juste prendre les matériaux pour en faire de nouvelles petites calyves. »
Il constatait : « De nos jours, il y a beaucoup de ressources humaines ; beaucoup de jeunes viennent pour devenir moines ; mais le levain est très rare. Nous ne sommes pas comme Dieu voudrait que nous soyons, et les jeunes qui viennent ne voient pas de modèle. L’exemple manque. »
Mais il constata qu’il se heurtait aussi à une autre difficulté de la part des jeunes dans l’observance du pur esprit monastique. « Les jeunes moines qui sont venus sont de très bonne qualité. C’est la première fois dans l’histoire de la Sainte-Montagne que l’on rencontre des gens d’une telle qualité. Les jeunes sont bien éduqués, plein de finesse et de politesse. Malheureusement, ils ne valorisent pas les capacités dont ils disposent. Ils vont dans l’église, allument le lustre, et le font tourner comme une toupie – « Serviteurs du Seigneur, alléluia ! », crient-ils[19]. Et allez donc, maintenant allons nous reposer. Ce n’est pas cela la vie monastique. On n’ose pas le leur dire, parce qu’ils ne supportent rien. Ils sont, vois-tu, bien élevés. À la moindre réprimande, ils se disent : “Comment a-t-il pu me parler ainsi ? Il s’est très mal comporté avec moi, il ne m’a pas pris en considération.” Ils se perdent dans leurs petitesses. Et tout cela pour la seule raison qu’ils n’ont pas connu la souffrance dans leur existence. »
L’Ancien souffrait à cause de la Sainte-Montagne, et il lutta pour qu’elle demeurât sereine, spirituelle, loin du monde sans toutefois être inhospitalière, mais non influencée par les influences destructrices du monde, de manière à ce qu’elle continue à être sainte et pourvoyeuse de saints. Il soulignait, plein d’espoir : « Ils retourneront de nouveau à la tradition. Vous verrez les voitures de luxe devenir des poulaillers et les jeunes moines vivre dans des grottes. »
Il voulait que les moines se limitassent à l’essentiel et ne dissipassent pas leur temps et leurs forces dans des choses futiles et vaines, qui ont comme conséquence le dessèchement spirituel.
L’attitude de l’Ancien à l’égard de la tradition n’était pas formelle, sèche et inflexible, mais il en ressentait la valeur, il la vivait tout en prévoyant les conséquences futures de son observance. Il avait la perspicacité de condescendre à la faiblesse humaine, sans franchir les limites permises. Il disait : « Que quelqu’un ajoute une cuillérée d’huile quand il se sent faible, je peux le comprendre. Qu’il mette une bûche de plus dans le poêle, soit. Qu’il ait même un mulet parce qu’il en a besoin, admettons. Mais nous, nous sommes allés trop loin. Quelle “vie d’ascèse désirons- nous mener[20]” et à quel monde avons-nous renoncé, si nous conservons le monde entier en nous-mêmes (l’esprit du monde) et si nous meublons notre existence de toutes les commodités et de toutes les facilités ? Et, ce qu’il y a de plus terrible, c’est qu’au lieu de nous déclarer pitoyables, nous prétendons faire preuve de plus de discernement que les Pères de jadis ! »
Il donnait l’exemple en menant une vie irréprochable. Il ne possédait pas même une lampe à pétrole. Pendant la nuit, il se servait d’une bougie. Il faisait venir l’eau de la source dans un tuyau en plastique pour que les pèlerins puissent en boire, alors que lui-même la transportait avec un seau et remplissait le réservoir de l’étendoir. Quand on lui demanda pourquoi il ne faisait pas venir l’eau dans un tuyau jusqu’à l’intérieur du kellion, il répondit : « Suis-je débile au point de ne pouvoir poser un tuyau pour y faire passer de l’eau? Mais ce n’est pas profitable (spirituellement)». Certains, en entendant parler d’une hôtellerie en plein air, s’étaient imaginés une véritable hôtellerie avec des fauteuils. Au bout du compte, ils virent des billots mangés par les vers posés sur le sol. Mais, malgré tout, cette simplicité les apaisait. « C’est ce que nous cherchions », disaient-ils. Bien qu’il en ait eu la capacité, le savoir et l’habileté manuelle, il n’essaya pas de construire « de belles petites calyves[21] », mais de construire l’habitation de son cœur. Au lieu de passer son kellion à la chaux, il blanchissait sans cesse son âme par des combats spirituels et des prières. Sa petite calyve était simple et ancienne. Sa cellule, noircie par les nombreuses bougies qui s’y consumaient, avait même des araignées. « Elles m’aident spirituellement, disait-il, parce qu’elles me rappellent les grottes où vécurent les saints Pères d’autrefois, alors que les objets du monde t’évoquent le monde. » Ce qui le touchait, c’étaient les choses simples, pauvres, tout ce qui convient aux moines. Il faisait don immédiatement d’un manteau doublé de fourrure de prix et préférait porter une houppelande de crin. Il se privait volontairement de beaucoup de choses que d’autres considéraient indispensables. Cependant, cette privation était porteuse de consolation spirituelle, comme il le disait : « Pour que la consolation divine vienne, il faut d’abord que les fausses consolations disparaissent. » Selon Abba Isaac, « celui qui se fait pauvre des choses du monde deviendra riche en Dieu[22] ».
Tel était, en quelques mots, l’esprit de l’Ancien et le but pour lequel, selon lui, le moine a avantage à fuir les choses du monde. Il l’exprimait d’une façon très simple, comme un épigramme formulé d’une façon très belle : « Bon sang ! nous sommes partis dans le désert pour la lumière incréée et l’on court derrière les biens matériels ! »
- Pour la sainte mère l’Église.
Comme saint Jean l’Évangéliste avait trois mères : sa mère naturelle, la Toute Sainte et le tonnerre – parce que le Seigneur l’a appelé Boanergès, « fils du tonnerre[23]» -, de même l’Ancien : outre sa mère Evlogia et la Toute Sainte, il considérait aussi que notre sainte Église était sa véritable mère. Elle est effectivement la mère de tous les fidèles, puisqu’elle nous fait renaître par le baptême et nous nourrit de la grâce de ses mystères*. L’Ancien soulignait particulièrement cette relation. Il écrivait dans une lettre à un jeune : « Ensuite, quand tu auras terminé tes études, fais tout ce qui t’apaise au sein de notre mère l’Église. » C’était un moine, pourvu d’un esprit et d’une conscience ecclésiale. Ses conceptions ecclésiologiques étaient parfaitement orthodoxes. Il considérait que l’Église contient la plénitude de la Vérité révélée. « Tout ce que contient l’Eglise est resplendissant. » Le salut des hommes est réalisé dans l’Église. Il sentait qu’il était un de ses membres. Il lui subordonnait sa volonté et se sacrifiait pour son bien. Même son ascèse avait une signification ecclésiale. Il croyait qu’en « se redressant lui-même, il redressait une petite partie de l’Église ». Son amour pour elle était très grand. Pour sa stabilité, il supportait souffrances et sacrifices, et il priait sans cesse pour sa gloire. Pour son unité, il combattit de diverses manières. Il écrivait : « Je ne fais pas partie de ceux qui ont fait de l’Église orthodoxe du Christ un parti. J’aime les bons ouvriers du Christ et je les aide tant que je peux. » Il aida beaucoup de jeunes à devenir de bons clercs, des ouvriers de la vigne du Christ. Il leur conseillait : « Travaillez humblement dans l’Église, et le Seigneur vous promouvra aux yeux des hommes. Certains d’entre eux maintenant font honneur à la hiérarchie. Il voulait que les clercs préparent le peuple grâce au repentir, à éviter la juste colère de Dieu, que leur dia- conie ait en vue le salut des fidèles et la gloire de l’Église, et non pas leur gloriole personnelle. À propos d’un clerc qui avait accompli une œuvre méritoire, il disait que « son œuvre aurait de la valeur si elle n’était pas quelque chose de personnel ».
Lui-même, sans faire de bruit, depuis son lieu d’ascèse, suivait avec intérêt les affaires de l’Église. Il priait, parlait, écrivait et, quand il le jugeait nécessaire, sortait dans le monde pour quelque affaire concernant l’Église. C’est pour une affaire de ce genre qu’il sortit de l’Athos et rencontra l’archevêque d’Athènes Jérôme, et qu’une autre fois il se rendit auprès du métropolite de Florina, Mgr Augustin. Celui-ci lui dit : « Moine, es-tu venu pour me critiquer ? » Il lui répondit : « Non Monseigneur, mais l’Évangile dit : “Si ton frère vient à pécher envers toi, va le trouver et fais- lui tes reproches[24]” ; il ne mentionne pas le père[25].” Il lui fit une profonde métanie et ensuite, il lui dit quelque chose, que le métropolite accepta; depuis lors, il lui témoigna une grande vénération. Un certain nombre d’évêques vinrent lui demander conseil et cherchaient à communiquer avec lui.
Il souffrait beaucoup quand il y avait des scandales et des crises dans l’Église. Alors, il priait davantage. « Je vous écris pour vous faire part de ma profonde douleur », écrivait-il dans une lettre lors d’une telle période (12 avril 1975), et il expliquait pourquoi de telles choses se produisent : « La noblesse de la spiritualité des Pères fait défaut, et c’est pourquoi ils se disputent comme des mendiants. » À propos de la question si débattue des organisations religieuses, il disait : « Nous ne devons pas dissoudre les organisations chrétiennes, mais les rendre conformes à l’esprit des Pères. » Il observait les canons ecclésiastiques et l’ordre de l’Église. Il respectait les autorités et les institutions de la Sainte- Montagne. Il ne sortait jamais sans une permission écrite[26]. Un jour qu’il se trouvait à Souroti, sa permission vint à son terme. Il avait une affaire urgente dans une autre ville, mais il ne s’y rendit pas. Il perdit deux jours à attendre qu’on lui apporte une nouvelle permission. Il avait de la vénération et du respect pour les évêques. Quelqu’un l’invita chez lui. « Naturellement, lui dit-il, je ne peux pas venir, mais si je venais, il faudrait que nous allions d’abord chez l’évêque pour prendre sa bénédiction, et pour le voir, nous perdrions ainsi de un à deux jours. »
« Géronda, pourquoi faut-il que nous allions voir l’évêque ?
— Il le faut, parce lui c’est un général et que nous, nous ne sommes que de simples soldats. »
Il avait une vénération pour le trône œcuménique[27]. Il reconnaissait sa mission panorthodoxe et comprenait la situation difficile dans laquelle il se trouve. Il priait beaucoup pour le patriarche et prit sa défense en public dans de nombreuses circonstances.
Nous avons vu que, depuis le Stomion, l’Ancien était en guerre contre les hérésies. Il était rigoureux sur les sujets concernant la foi et inflexible. Il disait : « Dans le domaine de la Vérité, il n’y a pas de rabais possible. La Vérité, c’est le Christ. »
Il combattait l’œcuménisme et parlait de la grandeur et de l’unicité de l’Orthodoxie, et cette certitude, il la tenait de la grâce divine qui jaillissait de son cœur. Sa vie montrait la supériorité de l’Orthodoxie.
Avec son discernement, il conseillait : « Pour les chrétiens qui ne sont pas orthodoxes, il n’est pas nécessaire de leur dire qu’ils iront en enfer ou qu’ils sont des antéchrists, mais il ne faut pas leur dire non plus qu’ils seront sauvés. Car, sinon, nous les rassurons de façon trompeuse et nous serons jugés à cause de cela. Il faut que nous les menions à une saine inquiétude, que nous leur disions qu’ils sont dans l’erreur. »
Il avait une grande sensibilité orthodoxe, c’est pourquoi il n’acceptait pas de prier et de communier avec des non-orthodoxes. Il insistait : « Pour pouvoir communier avec quelqu’un, il faut qu’il y ait un accord dans la foi. » Il interrompit toute relation ou évita de fréquenter des clercs qui participaient à des prières communes avec des hétérodoxes. Il ne reconnaissait pas les « sacrements » des hétérodoxes, et il conseillait à ceux qui entraient dans l’Église orthodoxe de bien se faire catéchiser avant de se faire baptiser.
Pendant une période, il cessa, comme pratiquement tout le reste de la Sainte-Montagne, de mentionner dans les diptyques* le patriarche Athé- nagoras, en raison de ses ouvertures dangereuses à l’égard des catholiques romains. Mais il le fit avec souffrance, il dit à quelqu’un : « Je prie pour que Dieu retranche des jours sur ma durée de vie afin de les donner au patriarche Athénagoras, pour qu’il ait le temps de se repentir. »
Les antichalcédoniens[28] (monophysites) – comme tous les autres hérétiques et ceux qui pratiquaient une autre religion -, il les considérait comme des créatures de Dieu et nos frères selon la chair (depuis Adam), mais pas comme des enfants de Dieu et comme nos frères selon l’esprit, ce qu’il réservait uniquement aux orthodoxes. Quant à ce qu’ont soutenu dernièrement les monophysites (et leurs partisans[29]) l’Ancien avait observé : « Ceux-là, ils ne disent pas qu’ils n’ont pas compris les saints Pères de l’Église, mais que ce sont les saints Pères qui ne les ont pas compris. C’est-à-dire comme si, eux, ils avaient raison et que les Pères les auraient mal compris. » Il stigmatisait comme étant un blasphème contre les Pères la proposition de supprimer des livres liturgiques la qualification d’hérétique appliquée à Dioscore[30] et Sévère[31]. Il disait : « Tant de Pères saints, éclairés par Dieu et qui leur étaient contemporains, ne les auraient pas compris et mal interprétés, et nous nous arriverions après tant de siècles pour corriger les Pères ? Même le miracle de sainte Euphémie[32], ils ne le prennent pas en compte ? Elle aussi aurait mal compris le tome des hérétiques ? »
Sans chercher à être un confesseur de la foi, à sa manière, il agissait, parlait, écrivait à des personnalités ecclésiastiques : il disait que « l’Église n’est pas le navire de chaque évêque pour qu’il en fasse ce qu’il veut ». Ses oppositions s’accompagnaient de beaucoup de prières et d’amour pour l’Église, mais aussi pour ceux qui s’étaient écartés du droit chemin, et présupposaient l’impassibilité*, le discernement et une illumination divine.
Une autre question qui préoccupait l’Ancien, était celle du calendrier. Il souffrait de la séparation et priait. Il regrettait les affrontements avec les vieux-calendaristes*, qui sont séparés comme des ceps de la Vigne et qui ne sont pas en communion avec les patriarches orthodoxes et les Églises orthodoxes autocéphales. Plusieurs des paroisses de ceux-ci à Athènes et à Thessalonique s’unirent de nouveau, suivant ses indications, avec l’Église, tout en conservant leur ancien calendrier. « Ce serait bien s’il n’y avait pas cette différence de calendrier, mais ce n’est pas une question de foi. » Aux objections selon lesquelles c’étaient les papes qui avaient fait le nouveau calendrier, il répondait : « Si le nouveau calendrier a été fait par des papes, c’est un idolâtre qui a fait l’ancien », désignant par là Jules César. Pour mieux faire comprendre la position de l’Ancien sur la question du calendrier, nous mentionnerons un témoignage la concernant. Un Grec orthodoxe vivait depuis des années en Amérique avec sa famille, mais il avait cependant un grave problème. Lui-même était zélote (vieux-calendariste), tandis que sa femme et ses enfants étaient partisans du nouveau calendrier. Il disait : « Nous ne pouvions pas célébrer une fête en famille. Eux fêtaient Noël, moi la Saint Spyridon[33]. Moi Noël, et eux la Saint Jean Baptiste. Mais cela encore ce n’était rien. Le pire était le fait de savoir, comme on nous l’a enseigné, que les néo-calendaristes étaient des hérétiques et que les autres iraient en enfer. Ce n’est pas rien que d’entendre sans cesse que ta femme et tes enfants ont trahi ta foi, qu’ils ont pris le parti du pape, que leurs sacrements sont dépourvus de grâce divine, etc. J’ai discuté pendant des heures avec ma femme mais sans résultat. Pour dire la vérité, il y avait quelque chose qui ne me plaisait pas chez les vieux-calendaristes. Particulièrement, quand un évêque venait nous parler. Ils ne parlaient pas avec amour et souffrance des néo-calendaristes qui sont dans l’illusion (selon leur point de vue). Mais on aurait dit qu’ils étaient pleins de haine et que cela leur faisait plaisir de dire qu’ils iraient en enfer. Ils étaient extrêmement fanatiques. Quand ils arrêtaient de parler, je ressentais en moi un malaise. Je perdais ma paix. Mais je n’avais pas non plus l’idée de quitter notre tradition. J’étais sur le point de m’effondrer. C’est sûr, j’allais mourir de chagrin.
Lors d’un voyage en Grèce, je parlai de mon problème à mon cousin Yannis. Celui-ci me parla d’un certain Ancien Païssios. Nous décidâmes d’aller à la Sainte-Montagne pour le rencontrer. Nous arrivâmes à la Pa- nagouda. L’Ancien nous offrit une collation, le visage souriant, et me fit asseoir à côté de lui. J’étais désorienté. Je ressentais qu’il se comportait avec moi comme s’il me connaissait depuis longtemps, comme s’il savait tout de moi. “Comment cela va pour les voitures, là-bas en Amérique ?” Telle fut sa première adresse. J’étais stupéfait. J’avais oublié de mentionner que je travaillais dans les parcs de stationnement des voitures et que, bien sûr, je m’occupais sans cesse de voitures. “Ça va bien”, lui répondis- je. Ce furent les seuls mots que je réussis à balbutier, en regardant l’Ancien d’un air égaré.
“Combien d’églises avez-vous là où vous habitez ? — Quatre”, répondis-je. Une deuxième vague d’étonnement m’envahit. “Elles sont avec l’ancien ou avec le nouveau ?” Pour la troisième fois la foudre s’abattit, ce qui, au lieu d’accroître ma stupeur, m’apprivoisa un peu, me “ramena sur terre”, grâce au charisme de l’Ancien.
“Deux avec l’ancien et deux avec le nouveau”, lui répondis-je.
- Et toi, tu vas où ?
- Moi, avec l’ancien. Mais ma femme avec le nouveau, répondis-je.
- Bon, alors toi aussi tu dois aller là où va ta femme”, me dit-il avec autorité, et il se préparait à me donner des explications. Mais pour moi la question était close. Je n’avais pas besoin d’explications et d’arguments. Quelque chose d’inexplicable s’était produit en moi ; quelque chose de divin. Tous les arguments, toutes les menaces, et toutes les excommunications concernant les néo-calendaristes se dissipèrent. Je sentais la présence de la grâce de Dieu transmise par l’Ancien et elle m’inonda d’une paix que je recherchais depuis des années. L’état spirituel que je vivais devait se refléter sur mon visage… Ce dont je me souviens, c’est que, vraisemblablement, cela fit que l’Ancien s’arrêta un peu de parler. Mais, il ne tarda pas à poursuivre avec quelques explications. Sans doute pour que je les transmette à d’autres. Peut-être aussi pour que je m’en serve pendant les moments de tentation, lorsque cet état spirituel céleste aurait disparu.
“Nous aussi, bien sûr, à la Sainte-Montagne nous suivons l’ancien calendrier. Mais c’est différent. Nous sommes unis à l’Église, avec tous les patriarcats, avec ceux qui suivent le nouveau calendrier, comme avec ceux qui suivent l’ancien. Nous reconnaissons leurs sacrements et eux reconnaissent les nôtres. Leurs prêtres concélèbrent avec les nôtres. Tandis que eux, les malheureux, se sont séparés. La plupart sont des gens pieux, consciencieux, pratiquant l’ascèse et pleins de zèle pour Dieu. Mais ils manquent de discernement, ils ‘n’ont pas une vraie connaissance[34]’. Les uns ont été entraînés à cause de leur simplicité, d’autres à cause de leur ignorance, d’autres encore par égoïsme. Ils ont considéré que les treize jours constituaient une question de dogme et que tous les autres étaient dans l’erreur. Ils ne sont pas en communion, ni avec les patriarcats et les Églises qui suivent le nouveau calendrier, ni non plus avec les patriarcats et les Églises qui observent l’ancien, parce qu’elles auraient été prétendument polluées par leur relation avec les néo-calendaristes. Et ils ne cessent de se fragmenter, de s’anathématiser, de s’excommunier, et de se déposer mutuellement. Tu ne sais pas à quel point j’ai souffert et combien j’ai prié pour ce problème. Il faut que nous les aimions, que nous les prenions en pitié et non pas que nous les jugions, et surtout que nous priions pour que Dieu les éclaire, et si par hasard un jour quelqu’un de bien intentionné nous demandait de l’aider, nous puissions discuter avec lui.” »
Cinq ans se sont écoulés depuis la dormition de l’Ancien. M. X. est allé à la Panagouda, pour remercier l’Ancien, car depuis il a trouvé un salut non seulement spirituel, mais aussi pour sa famille, et c’est les larmes aux yeux qu’il a raconté ce qui précède.
On peut ajouter aussi une autre prise de position pleine de discernement de l’Ancien sur une question ecclésiastique. Un prêtre orthodoxe de l’étranger le sollicita sur une question difficile. Son évêque avait fait construire, en dessous des églises, des salles destinée à la danse et à d’autres activités contraires à la tradition. Les chrétiens n’en furent pas satisfaits et partirent dans une Église schismatique. Voici la réponse de l’Ancien : « Si tu veux aider les gens, tu ne dois pas t’accommoder de ce que fait ton évêque. Car c’est avec ces activités qu’il pousse les gens à partir de l’Église. Je ne dis pas que tu doives interrompre la communion avec lui et faire un schisme, ni parler publiquement contre lui, mais tu ne dois pas non plus faire sa louange. »
Grâce à son amour, sa prière et son discernement, il savait quand il devait parler, comment il devait agir et aider sans bruit notre mère l’Église, en évitant les extrêmes, en soignant les plaies qui tourmentaient le corps de l’Église, et qui scandalisaient les fidèles.
- En faveur de la nation et de la patrie.
L’Ancien, déraciné depuis son plus jeune âge, ayant connu l’horreur de la guerre et de l’Occupation, savait par expérience que le fait de « mener une vie paisible et calme » constitue une grande bénédiction. Il aimait la Patrie et disait : « La patrie aussi est une grande famille. » Il n’ambitionnait pas la grandeur nationale, la gloire et la force au sens des gens du monde, mais la paix, la progression spirituelle et une vie conforme à la morale, pour les citoyens, pour que Dieu nous vienne en aide. Il ne recherchait pas non plus la sécurité pour que les gens jouissent de leurs facilités. À un Grec, ardent patriote, qui vivait en Amérique et qui se proposait de promouvoir la Grèce, il conseilla de mener une vie d’ascèse pour se sanctifier et ensuite, de promouvoir correctement et spirituellement aussi la Grèce. Les prophètes d’Israël participèrent à la vie de leur nation à leur manière, en priant, se lamentant, critiquant les rois, incitant au repentir et prophétisant les menaces futures. L’Ancien fit de même. Il n’était pas indifférent et insensible aux sujets concernant la patrie. Le prophète qui disait : « Pour Sion, je ne me tairai pas[35] », n’était pas un nationaliste. De la même façon, la position de l’Ancien était purement spirituelle. Alors qu’il vivait en dehors du monde, il combattit tant et plus pour le bien de la patrie. Sa contribution et son activité liées aux problèmes de politique extérieure sont dignes d’éloge. Il parlait contre les courants antihelléniques, qui déforment la vérité historique, et surtout contre les revendications territoriales injustifiées qui s’insinuaient sur le dos de la Grèce, des courants « panslavistes » de Skopje, des Albanais, des Turcs, etc. Il disait : « L’un revendique Thessalonique, l’autre veut arriver jusqu’à Larissa, le troisième exige la mer Égée. Mais au bout du compte, y a-t-il jamais eu de Grèce ? » Il signalait les dangers menaçant le pays avant même qu’ils n’apparaissent. Il aida beaucoup de gens à démasquer les propagandes étrangères hostiles à la Grèce, et tous ceux qui avaient des positions et qui étaient sensibles à ces questions, prirent les mesures appropriées.
Sur la question de la Macédoine, un officier supérieur rapporte : « J’étais au cœur de la question, sans m’en rendre compte. L’Ancien m’a ouvert les yeux. Au début je trouvais cela bizarre et je me disais : “Mais qu’est-ce que l’Ancien me raconte là, et d’où tient-il ces choses ?” Ensuite, je me suis rendu compte que c’était vrai. » L’Ancien, dès 1977, quand il est allé en Australie, mentionnait la question de la Macédoine, propos que certains « spécialistes » considéraient alors comme étant « irresponsables, fanatiques, alarmistes ».
Défendant le caractère grec de la Macédoine, il afficha dans son « hôtellerie » le texte du prophète Daniel[36] qui fait allusion à Alexandre le Grand, et à côté de lui il mit une icône d’un ange d’un monastère serbe, qui montrait le texte.
« En 1992, rapporte un Athonite, nous rendîmes visite à l’Ancien Pais- sios avec un moine étranger qui demeurait dans notre monastère. Je m’empressai de le lui présenter parce que c’était la première fois qu’il rendait visite à l’Ancien. Nous n’eûmes pas le temps de nous asseoir que déjà l’Ancien engagea une violente attaque contre ce frère. Je fus surpris et j’intervins en disant qu’il avait oublié sa patrie et qu’il ne s’occupait pas de questions nationales mais uniquement de sa formation spirituelle. Alors l’Ancien, sur un ton assez énergique, se tourna vers moi et me dit : “Tais- toi, tu ne sais pas ce que tu dis.” Effectivement. Comme cela se révéla par la suite, l’Ancien avait bien diagnostiqué l’hypocrisie de ce moine et prévu son évolution. Cela se termina par son départ en cachette et sans bénédiction en 1999, qui fut précédé par des ententes secrètes, et maintenant il est devenu un cadre en vue de l’église schismatique de sa patrie. »
Il comparait le gouvernement de Skopje avec un bâtiment fait de briques et de blocs de halva coupés en forme de briques et qui, bien sûr, sont destinés à s’effondrer. Le livre de l’ex-ministre de la Grèce du Nord, M. Nicolas Martis, La Falsification de la Macédoine, l’enthousiasma. « Gloire à Dieu, dit-il, il y a encore des patriotes. » Il prit beaucoup de livres et les distribuait en bénédiction*. Il écrivit aussi un petit poème élogieux, que M. Martis inclut dans l’une des rééditions de son livre.
Quant à la Turquie, il proclamait avec certitude : « Elle sera détruite et les grandes puissances nous donneront Constantinople. Non pas parce qu’elles nous aiment, mais parce que Dieu a prévu dans Son économie que les choses soient ainsi, en sorte que leur intérêt sera qu’elle nous revienne. Les lois spirituelles fonctionneront. Les Turcs ont une lourde dette, avec tout ce qu’ils ont fait. Cette nation sera détruite, parce qu’elle n’a pas progressé conformément à la volonté de Dieu. Ils ont leurs colly- ves* dans leur ceinture (autrement dit leur fin est proche). Saint Arsène disait, avant l’échange des populations : « Nous allons perdre notre patrie, mais nous la retrouverons. » L’Ancien recommandait de traduire l’Évangile en turc, parce qu’il croyait que beaucoup de Turcs allaient être baptisés.
Voyant le danger menaçant la Thrace, il se rendit à Komotini pour soutenir des musulmans convertis au christianisme. Il voulut rester avec eux quelque temps pour les aider.
On demanda à l’Ancien quand Chypre serait libérée et il répondit : « Chypre sera libérée quand les Chypriotes se repentiront. Faites donc des bases spirituelles pour chasser les bases aériennes des Turcs, des Anglais, des Américains. » Il considérait donc que la question chypriote était de nature spirituelle, non pas comme une question nationale ou politique, et que sa solution viendrait du repentir du peuple et de la prière.
Il ne voulait pas que les chrétiens soient indifférents aux questions touchant la patrie. Il s’attristait beaucoup en voyant des personnes spirituelles qui recherchaient des conseils pour elles-mêmes, sans s’intéresser aux questions touchant la patrie. Il disait : « À une époque où Satan fait la fête, et alors que ses suppôts s’organisent, les Grecs sont en léthargie. Chacun cherche à se tirer d’affaire, et rien de plus. On a beau faire, même si on les secoue, rien ne peut les tirer de leur engourdissement. »
Il était peiné et perplexe en constatant que les responsables ne voyaient pas où ils nous conduisaient. Lui-même, depuis longtemps, avait prévu la situation actuelle et il s’inquiétait, mais il ne transmettait pas ses inquiétudes aux gens. Il disait : « Du mal qui prévaut aujourd’hui sortira un grand bien. »
Il s’attristait de l’effondrement spirituel des citoyens. Il parlait sévèrement de ceux qui votent des lois antichrétiennes. Il s’attristait de la transformation de la langue et disait : « La génération suivante fera venir des Allemands pour nous enseigner notre langue, et nos enfants cracheront sur nous. » Il écrivit dans une lettre : « Ceux qui ont aboli le grec ancien de l’enseignement le rétabliront. »
Il publia un court texte pour soutenir le très pur patriote que fut Makri- giannis[37] contre les accusations injustes et fausses dont il était victime. Au-delà du rétablissement de la vérité, il y avait alors, comme aujourd’hui, le besoin impérieux de promouvoir un modèle idéal susceptible d’être imité par les hommes politiques, mais qui soit aussi susceptible d’aider le peuple à se former des critères politiques justes pour choisir les dirigeants de notre nation.
Un Premier ministre, que l’Ancien critiqua publiquement pour ses actes préjudiciables à notre nation et à l’Église, demanda à le rencontrer à Sou- roti. L’Ancien répondit : « Qu’il vienne, je vais lui en dire de toutes les couleurs et en sa présence. » Ce pauvre ermite avait la force mentale nécessaire pour hausser le ton sans crainte devant les puissants du jour.
Lorsqu’un président de la République fit une visite à la Sainte-Montagne, l’Ancien conseilla aux monastères de ne pas l’accueillir parce qu’il avait signé la loi sur l’avortement.
Il n’accepta rien d’un ministre qui voulait aider un monastère qu’il connaissait, parce qu’il appartenait à un parti qui avait souscrit à des lois antichrétiennes.
L’Ancien était un homme de paix et d’unité. Il n’appartenait à aucun parti. Il était au-dessus des partis. Il rejeta des partis politiques et des politiciens athées qui avaient des relations avec la franc-maçonnerie, à cause de leur athéisme et de la guerre qu’ils menaient contre l’Église. Il disait : « Que peut faire la main droite ou la main gauche, s’il ne fait pas le signe de croix ? », rejetant ainsi les politiciens athées indépendamment de leur appartenance politique. Certains partis, voulant utiliser son influence sur le peuple, cherchèrent à l’attirer pour gagner des voix, mais en vain.
Il était particulièrement hostile aux francs-maçons. Au Sinaï, un membre de la paroisse grecque du Caire lui rendit visite en compagnie d’un hiéromoine du lieu. Alors qu’ils discutaient amicalement, son interlocuteur lui dit qu’il était franc-maçon. Alors, brusquement, le calme Ancien lui dit avec irritation : « Alors, déguerpis ! », et aussitôt il le quitta et partit. Il voulait montrer, par son comportement, son aversion pour les francs- maçons. Un autre maçon lui rendit visite et se présenta comme une connaissance et un ami. Quand l’Ancien en fut informé – et après avoir vérifié son information – il le blâma et suspendit toute relation avec lui.
Des personnalités politiques lui rendirent visite : des députés, des ministres, des sénateurs venus des États-Unis, ainsi que le roi Constantin. Mais à aucun d’entre eux, il ne demanda quoi que ce soit pour lui-même ou pour des monastères qu’il connaissait. Il leur demandait uniquement d’agir pour le bien de la patrie et de l’Église. Il aida également beaucoup de fonctionnaires de l’État par ses conseils pour qu’ils soient honnêtes et consciencieux dans leur travail. Il appréciait les bons pédagogues à cause du travail de fond qu’ils fournissent, ainsi que les militaires pieux, qui ont un idéal. Il poussa beaucoup de jeunes anarchistes à servir dans l’armée. En général, il conseillait à tous d’avoir du respect et de l’amour pour la patrie, d’agir pour l’intérêt commun consciemment et de ne pas se laisser emporter par l’esprit général d’indifférence, de nivellement, de facilité et de concussion.
Mais, surtout, l’Ancien aida la patrie invisiblement par sa prière. C’est ce qui ressort de la règle de prière que l’on a mentionnée, mais aussi du poème qu’il envoya à sa mère. À la fin, il écrit qu’il s’est fait moine pour prier aussi « pour toute la République ». Il donna l’exemple le premier et il nous incitait à prier en disant : « Prions pour que Dieu illumine les responsables qui occupent des positions importantes dans la République, parce que ceux-ci peuvent faire beaucoup de bien. » Quand il y avait de la tension dans les relations gréco-turques, il disait : « Beaucoup de nuages se sont accumulés. Peut-être pourrons-nous les dissiper » (par la prière). Dans une circonstance semblable, il fit célébrer la Divine Liturgie dans sa calyve. Aux Béatitudes, il ne chanta pas ce que prévoyait le typikon*, mais des extraits du canon de saint Nicolas de Kataskepinos, parce que c’était adapté à la circonstance : « Détourne les traits des Agarènes[38] athées, ô Vierge, et rends vaine toute agression des démons, protège et garde un peuple chrétien, pour que nous te glorifiions avec amour[39]. »
Quand la patrie traversait une période d’instabilité politique en raison de la faiblesse du projet gouvernemental, l’Ancien souffrait et priait beaucoup. La troisième fois qu’il y eut des élections, en un court laps de temps il se produisit la chose suivante, comme il le raconta lui-même : « C’était la veille d’élections. J’étais assis sur mon lit de bois dans l’hôtellerie et je disais la prière. Soudain le diable apparut sous les traits de … (une très importante personnalité politique de cette époque à laquelle on reprochait des actions destructrices), et il me menaça. Mais il ne put s’approcher. Il était attaché, quelque chose le retenait et le serrait. » La même soirée, l’Ancien apparut en rêve à un prêtre marié. Il lui dit sévèrement : « Papa* X., pourquoi dors-tu ? Lève-toi pour prier, la patrie est en danger. »
C’est de Dieu qu’il attendait le salut de la nation. Il disait : « Si Dieu abandonnait le destin de la nation aux politiciens, nous serions détruits. Mais II laisse aller un peu les choses, pour que les dispositions de chacun se manifestent. »
Des politiciens qui faisaient du mal au peuple, il disait : « Avec la conscience en paix je prie Dieu qu’il leur accorde le repentir et qu’il les prenne, pour qu’ils ne fassent pas un plus grand mal, et qu’il suscite de nouveaux Maccabées. »
Il croyait qu’un seul moine peut aider toute une nation. « Dieu fait l’un moine pour qu’il aide une famille et l’autre pour qu’il aide toute une nation. La Sainte-Montagne peut contribuer à beaucoup de choses. Elle peut recréer Byzance dont elle est issue. »
[1] C’est-à-dire situé à l’extérieur de la Sainte-Montagne.
l.Aleiptès ton monachôn. Le terme aleiptès désigne en fait la personne chargée d’oindre les athlètes d’huile avant les combats de l’amphithéâtre. Ce terme est passé dans la tradition chrétienne pour désigner les fidèles qui se rendaient auprès des martyrs, et aussi des néo-martyrs de l’époque turque, pour les encourager à rester ferme jusqu’à la fin.
[4] Jn 10, 10.
[5] 1 Tm 4, 12.
[6] He 13, 8.
[7] C’est-à-dire : cela fait dix ans que tu ne t’es pas confessé.
[8] Ici comprendre leur traduction en grec courant.
[9] À la Sainte-Montagne, lieu béni de l’adoration perpétuelle de Dieu, sont conservés les plus précieux témoignages de cette tradition : la sainte ceinture de la Mère de Dieu, d’innombrables fragments de la Vénérable Croix, de saintes reliques, des icônes miraculeuses, des manuscrits, et bien d’autres souvenirs historiques. Parmi ces trésors, et ayant avec eux une valeur égale, il faut inclure aussi la thésaurisation millénaire de la tradition monastique. La tradition comme mode de vie, d’ascèse et d’adoration de Dieu. Tout ce que vécurent les saints Pères des déserts d’Égypte, du Sinaï, de Palestine, de Syrie mais aussi dans les monastères de Constantinople, de l’Olympe, de Bythinie est préservé jusqu’à aujourd’hui, non seulement dans les bibliothèques des monastères de la Sainte-Montagne, mais aussi dans l’architecture, dans la musique et dans les règles, sans oublier la vie et l’ascèse des pères de la Sainte-Montagne. L’hésychia, et jusqu’à l’institution de 1 ’abaton (interdiction faite aux personnes de l’autre sexe d’y accéder), les saintes reliques, les objets et les manuscrits précieux, se retrouvent en d’autres lieux, sans doute encore plus vénérables (les Lieux Saints, le Mont Sinaï). Mais la tradition monastique ininterrompue depuis tant de siècles, vécue par tant de moines, et sous toutes les formes de vies monastiques, on ne la trouve nulle part ailleurs que dans la République athonite. À cet égard, la Sainte- Montagne est unique. Notre époque témoigne d’un véritable souci de restauration des monastères, par la restauration des fresques et par la conservation et la préservation des objets précieux. Mais existe-t-il aussi une volonté de conservation et d’épanouissement de la fragile tradition spirituelle de la Sainte-Montagne ?
[10] La traduction française a été publiée par le monastère Saint-Jean-le-Théologien de Souroti en 1997.
[11] Voir la note suivante.
[12] Les différents recueils d’Apophtegmes des Pères du désert ont été traduit en français par l’Abbaye de Solesmes. Récemment, la collection « Sources Chrétiennes » (n° 387, 474,498), a publié la collection systématique.
[13] Pallade d’Hélénopolis, Histoire Lausiaque, SO 75, Bellefontaine, 1999. On peut noter qu’il y a une certaine similitude entre la démarche de Pallade, qui ne voulait pas proposer un modèle unique mais laissait chacun libre de trouver sa réponse spécifique en Dieu, et celle du Père Païssios.
[14] Allusion à la collation que, à la Sainte-Montagne, l’on offre à tout pèlerin arrivant.
[15] S. Jean l’Évangéliste dit au sujet du monde : « N’aimez ni le monde ni rien de ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui. Car tout ce qui est dans le monde – la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la richesse – vient non pas du Père, mais du monde. Or le monde passe avec ses convoitises ; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement» (1 Jn 2, 15-17). Les Pères, par le terme « monde », désignent d’une part les passions et le péché, mais surtout l’esprit mondain et l’adhésion et le souci des choses matérielles du monde, à propos desquelles ils nous mettent en garde : « N’aime en ton âme rien de mondain » (S. IsaaC LE Syrien, Discours, 7), parce que : « le monde est une prostituée qui attire à elle ceux qui la regardent et désirent sa beauté. Celui qui s’est laissé prendre et enlacer par le désir du monde, ne peut plus se délivrer de ses mains, tant qu’il ne s’est pas dépouillé de cette vie. C’est alors, quand le monde lui enlève tout, le laisse nu et le met à la porte de sa maison, que l’homme sait que celui-ci est un menteur et un imposteur. Mais quand il s’efforce de sortir des ténèbres de ce monde, alors même qu’il est enfoui en lui, il ne peut pas voir ses pièges. Ainsi, le monde tient en son pouvoir, non seulement ses adeptes, ses enfants, ceux qui lui sont attachés, mais aussi les ascètes, ceux qui rejettent toute possession, ceux qui ont brisé ses liens, ceux qui une fois l’ont dominé » (S. Isaac le Syrien, Discours, 85).
[16] « Le repos du corps et l’oisiveté sont la perdition de l’âme. Ils peuvent nuire plus que les démons » (S. Isaac le Syrien, Discours, 73).
[17] Jr 23,29 (LXX).
[18] La partie sud du Mont-Athos où vivent les ermites.
[19] Allusion à la pratique athonique qui consiste, lors du chant du Polyeleos (constitué des psaumes 134 et 135) au cours de l’office des Matines, à faire tourner un lustre appelé lui-même polyeleos. Il s’agit d’un lustre circulaire, d’environ trois mètres de diamètre, placé au milieu de la nef et suspendu à la coupole par des chaînes, comportant en pmcipe douze panneaux rectangulaires où sont apposées des icônes (généralement des douze apôtres), surmonté de cierges que l’ekklésiastikos* allume à ce moment-là, et auquel il imprime un mouvement de va-et-vient. Le lustre forme une couronne (il est d’ailleurs appelé aussi corona) qui symbolise celle des saints, tandis que son mouvement symbolise la danse des anges autour du trône divin. C’est un moment particulièrement festif et joyeux.
[20] Office de la Profession monastique.
[21] Expression de S. Nil le Myroblite.
[22] S. Isaac le Syrien, Discours, 43.
[23] Mc 3, 17.
[24] Mt 18,15.
[25] Autrement dit, les pères (et donc les évêques) sont inclus dans la dénomination générale de « frères », et le conseil du Christ peut leur être appliqué.
[26] Pour sortir de la Sainte-Montagne, un moine, qu’il soit cénobite ou ermite, doit nécessairement avoir l’autorisation du monastère dont il dépend.
[27] Nom traditionnellement donné au patriarcat de Constantinople, dont dépend le Mont-Athos.
[28] Ce nom désigne les membres des Églises (arménienne, copte, syrienne jacobite, éthiopienne) qui n’ont pas reconnu la foi orthodoxe proclamée par le concile de Chalcé- doine et ont adopté une christologie monophysite.
[29] Pour plus de précisions sur tout ce dont il est question dans ce paragraphe, voir J.-C. Larchet, « La question christologique. À propos du projet d’union de l’Eglise orthodoxe avec les églises non chalcédoniennes : problèmes théologiques et ecclésiologiques en suspens », Le Messager orthodoxe, 134,2000, p. 3-103.
[30] L’un des principaux initiateurs du courant monophysite.
[31] L’un des principaux théologiens monophysites.
[32] Le dogme christologique du IVe Concile œcuménique a été confirmé par un miracle accompli auprès des reliques de sainte Euphémie de Chalcédoine. Voir le Synaxaire, au 11 juillet : « Lors du iv’ saint Concile œcuménique, réuni par les pieux empereurs Marcien et Pulchérie à Chalcédoine, dans la vaste basilique de sainte Euphémie, les six cent trente Pères entreprirent de réfuter les opinions hérétiques de l’archimandrite Eutychès, soutenu par l’archevêque d’Alexandrie Dioscore. Afin de trancher leur différend par une décision venant de Dieu, le patriarche saint Anatole suggéra que les deux partis rédigeassent un tome contenant leur profession de foi respective, et que les deux documents fussent déposés dans la châsse de sainte Euphémie. Les deux parchemins, sur lesquels étaient écrites les définitions de la foi concernant la Personne du Christ, furent donc placés sur la poitrine de la sainte et, après avoir scellé la châsse, les Pères se mirent en prière. Au bout de huit jours, tous se rendirent au martyrium et, ouvrant la châsse, ils découvrirent avec émerveillement que la sainte étreignait dans ses bras le tome orthodoxe, comme si elle voulait le faire entrer dans son cœur, tandis que le tome des hérétiques gisait à ses pieds. »
[33] L’ancien calendrier julien a actuellement treize jours de retard sur le nouveau, lequel a été aligné à peu près sur le calendrier astronomique.
[34] Cf. Rm 10, 2 : « Car, j’en suis témoin, ils ont du zèle pour Dieu, mais c’est un zèle que n’éclaire pas la connaissance. »
[35] Is62, 1.
[36] Dn 8,21-25.
[37] Ioannis Makrigiannis (1797-1880), très célèbre général de la guerre d’indépendance (1821) contre les Turcs. Ses Mémoires sont considérés comme un chef-d’œuvre de la littérature grecque.
[38] Les descendants d’Agar, la servante d’Abraham.
[39] Théolokarion de S. Nicodème l’Hagiorite, Ton 4, Vêpres du samedi.