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L’Ancien Païssios (1924-1994) est, parmi les grands spirituels orthodoxes du XXe siècle, un géant. Les dizaines de milliers d’hommes et de femmes qui sont venus chercher auprès de lui conseils, consolation, soutien et force spirituelle, et demander son intercession pour diverses causes, l’ont immédiatement perçu. Ceux qui ont lu ses Lettres spirituelles – qui sont du niveau des textes patristiques les plus élevés contenus dans la Philocalie – l’ont également ressenti. Ceux qui ne le connaissent pas encore ou ont seulement entendu parler de lui en seront convaincus après avoir lu ce livre.

Beaucoup d’ouvrages lui ont déjà été consacrés (plus d’une dizaine actuellement), qui contiennent des éléments biographiques et un certain nombre de ses paroles. Chacun présente de lui une vision intéressante, mais parcellaire, limitée au point de vue de son auteur et aux éléments qu’il a personnellement recueillis.

Le travail accompli ces dernières années, avec méthode et rigueur, par un groupe de proches disciples de l’Ancien d’une part, et par les sœurs du monastère Saint-Jean-le-Théologien qu’il a fondé à Souroti d’autre part, permet à présent de disposer d’une biographie complète de l’Ancien et de l’ensemble de ses écrits et de ses paroles.

Le monastère de Souroti a d’ores et déjà publié en version française la plupart des écrits de l’Ancien : Le vénérable Georges (Hadji-Georgis), moine du Mont-Athos, 1809-1886 (1996 ; 2e éd. 2007) ; Saint Arsène de Cappadoce (1996) ; Fleurs du Jardin de la Mère de Dieu (1998) ; Lettres (2005). Il prépare actuellement la traduction des huit tomes de ses Paroles, qui, après avoir déjà connu plusieurs éditions en Grèce, sont par ailleurs publiés ou en cours de publication dans une dizaine de langues.

Le présent volume propose quant à lui la biographie historique et spirituelle de l’Ancien, écrite par l’un de ses disciples athonites, l’Ancien Isaac, un moine d’origine libanaise d’une grande qualité spirituelle1. Décédé prématurément en 1998, celui-ci ne put mettre la dernière main à son travail. Cette tâche a été accomplie par son disciple l’Ancien Euthyme, qui, au cours des six éditions grecques qu’a connues ce livre, lui [1] a apporté divers suppléments du fait que de nouveaux témoignages sur l’Ancien n’ont cessé de se manifester.

Ce livre, qui a connu un immense succès en Grèce et qui:est considéré comme le meilleur livre existant actuellement sur l’Ancien Païssios, relève plus du genre hagiographique que de la simple biographie. En effet, tout en s’efforçant d’être exact et véridique en relatant dans l’ordre chronologique les différents éléments connus de la vie du Père Païssios (en prenant notamment le soin de vérifier et de recouper les témoignages), il dégage progressivement la personnalité spirituelle de l’Ancien à travers la présentation des différentes étapes de son existence, qui apparaissent comme autant de degrés de sa croissance spirituelle et de sa sanctification. Alors que la première partie présente surtout la vie de l’Ancien, la seconde partie en décrit les fruits, à savoir ses vertus et ses charismes, lesquels se sont exprimés en de multiples manifestations surnaturelles et en de nombreux miracles, dont atteste « la nuée de témoins » (cf. He 12, 1) cités.

On verra, en lisant ce livre, que la vie et la personnalité, les vertus et les charismes de l’Ancien Païssios sont ceux d’un saint, et on ne sera pas étonné que sa canonisation soit actuellement préparée par le patriarcat de Constantinople conjointement à celle d’un autre très grand spirituel atho- nite du XXe siècle, l’Ancien Joseph l’Hésychaste.

Bien qu’il contienne la relation de nombreux propos de l’Ancien Païssios, ce livre est moins un recueil d’enseignements spirituels qu’une icône, écrite avec des mots, du saint Père Païssios. C’est de la description de la personnalité de l’Ancien, de son mode de vie, de son ascèse, de ses dispositions à l’égard de Dieu et de ses attitudes et comportements vis-à-vis des hommes que l’on tirera le plus d’enseignements et de profit, car ils ont la force opérative de l’exemplarité. Le Père Païssios était une incarnation vivante de toutes les vertus chrétiennes, en particulier de l’humilité et de la charité, et par là une image accomplie du Christ, dont il a montré concrètement et avec éclat à de nombreux hommes la Voie, la Vérité et la Vie.

La voie chrétienne dans laquelle le Père Païssios a été sanctifié est celle d’un complet renoncement à soi, d’un complet oubli de soi au profit du prochain.

L’Ancien a été préparé à cela par de longues années d’une ascèse rigoureuse menée dans la solitude, où il a totalement renoncé à lui-même par amour pour Dieu. Ayant été libéré des passions et acquis dans l’humilité la parfaite charité, il a reçu le charisme de pouvoir venir en aide aux autres, une activité qui finit par occuper toutes ses journées et une grande partie de ses nuits, mais qui ne fut possible que parce qu’il était toujours et en tout parfaitement uni à Dieu.

Dans sa totale consécration aux autres par amour pour Dieu, l’Ancien a parfaitement accompli « la loi de Dieu, la nouvelle et l’ancienne, qui est de nous aimer les uns les autres autant qu’il nous a aimés et de nous approprier les malheurs des autres, de manière à échanger entre nous nos dispositions intimes selon la communication que réalise l’attachement de charité, selon la parole nous appelant à “pleurer avec ceux qui pleurent et à nous réjouir avec ceux dans la joie” (Rm 12, 15)[2] ». Par là l’Ancien Païssios a témoigné de son amour pour Dieu, car « c’est une claire manifestation et démonstration de l’amour pour Dieu que la disposition authentiquement bienveillante pour le prochain[3] ». Par là aussi il a réalisé la ressemblance avec le Maître et mené la vie d’en-haut, conformément à ce que recommande saint Maxime le Confesseur, un Père qu’il aimait beaucoup : « Selon que nous en avons la force dans la synergie et la grâce du Christ, soulageons avec cœur le malheur de l’indigent et ne négligeons pas de diminuer sa misère ; ne différons pas de vêtir la nudité de ceux qui sont dépouillés, obtenant par là un vêtement d’incorruptibilité ; souffrons avec les prisonniers et leurs mauvais traitements, avec les malades, les étrangers qu’oppresse leur exil, et travaillons à abriter la dure vie des autres – car “c’est nos faiblesses qu’il a prises, c’est de nos maladies qu’il S’est chargé” (Is 53, 4) -, en nous faisant semblable à notre frère, en honorant par nos œuvres Son abaissement par amour pour nous afin de pouvoir Le suivre et partager nous aussi Sa gloire ; pratiquant cela non pour une gloire tout humaine, mais devenus entièrement de Dieu à la manière de Celui qui est et devient “tout en tous”, prenant soin des autres par philanthropie, nous disons et faisons tout pour Lui plaire. Ainsi en progressant pas à pas dans la vertu pourrons-nous nous conformer à la vie d’en haut[4]. » Par là encore l’Ancien Païssios a été justifié, sanctifié et déifié car, comme le dit encore saint Maxime, « la preuve évidente de la grâce d’avoir part à l’héritage des saints dans la Lumière, c’est que, par bienveillance, on soit spontanément en accord avec ses semblables ; de cette disposition, voici l’œuvre : qu’un homme, quel qu’il soit, qui a besoin de notre assistance, nous le considérions, selon nos forces, comme aussi proche de nous que Dieu Lui-même, et qu’il ne soit pas négligé et inconsidéré, mais qu’ainsi, avec le zèle qui convient et en acte, la disposition pour Dieu et le prochain, nous la rendions vivante en nous de manière évidente. Car l’œuvre est la démonstration de la disposition. En effet, il n’y a rien de plus facile pour la justification, et rien n’établit la proximité envers Dieu plus favorablement pour la divinisation, si je peux parler

ainsi, qu’une compassion offerte du fond de l’âme, avec plaisir et joie, à ceux qui sont dans le besoin. Si en effet le Verbe a fait Dieu celui qui a besoin qu’on lui fasse du bien – Il dit en effet : “ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait” -, il rendra d’autant plus vraiment dieu par grâce et par participation celui qui est capable de faire du bien et qui le fait, puisque, par une exacte ressemblance, il aura fait siens l’énergie et le caractère propre de la bienfaisance de Dieu. Et si le pauvre est Dieu à cause de la condescendance de Dieu qui S’est fait pauvre pour nous, et qui, prenant sur Lui-même par compassion les souffrances de chacun jusqu’à la fin des temps souffre toujours mystérieusement, à cause de Sa bonté, à la mesure de la souffrance de chacun, alors, selon un raisonnement semblable, il sera d’autant plus Dieu celui qui, guérissant lui-même à la manière de Dieu les souffrances de ceux qui souffrent, par une philanthropie à l’imitation de Dieu, s’avère ainsi avoir, selon sa disposition et toute proportion gardée, la même puissance de sollicitude salvatrice que Dieu a[5]. »

Bien que ce livre se suffise à lui-même et rende toute introduction superflue du fait qu’il apporte tous les éléments nécessaires à la connaissance de la vie et de la personnalité du Père Païssios, je voudrais, pour conclure cet avant-propos, citer, avec l’ampleur que mérite leur qualité spirituelle et littéraire, les propos de celui qui fut pendant plusieurs années un très proche disciple de l’Ancien et qui me le fit connaître et rencontrer plusieurs fois : l’Archimandrite Basile (Gondikakis), autrefois higoumène du monastère athonite de Stavronikita et aujourd’hui higoumène de celui d’Iviron. Il s’agit d’une magnifique description du Père Païssios (bien que celui-ci n’y soit jamais nommément désigné) et des impressions que l’on peut éprouver face à un tel homme transformé, sanctifié et déifié par la grâce[6].

« Dans son petit, faible et fragile vase de terre, il cache un trésor indicible de joie. Et cette joie déborde et se répand autour de lui, elle remplit de parfums tout ce qui l’entoure. La lumière resplendit de son être. La jubilation dépasse sa résistance physique, éclate dans son cœur et se libère par des larmes, des cris et des mouvements. Et lorsqu’il parle et lorsqu’il se tait. Et lorsqu’il dort et lorsqu’il est éveillé. Et lorsqu’il est présent et lorsqu’il est

absent, il dit la même chose, il a la même personnalité, la même grâce et la même force. Sa présence ou sa mémoire, le sentiment de son voisinage ou sa seule existence répand quelque chose de différent, quelque chose qui est in- créé, calme, pénétrant. Cela renouvelle l’homme, calme ses nerfs. Éteint sa colère. Éclaire son esprit. Donne des ailes à ses espoirs. Prépare à une lutte qui donne la sérénité et la paix au peuple tout entier. Ici, quelque chose naît continuellement qui existe de toute éternité et qui est immobile. Ce qui émane de lui ne peut être ni épuisé ni fragmenté. Dans chaque partie, dans chaque fragment se trouve le mystère du tout et ce tout est sans interruption, c’est quelque chose d’autre, de nouveau, pour la première fois vu et entendu. À tous il dit la même chose et chacun puise ce qu’il demande, ce dont il a besoin. Ce n’est pas ce qu’il dit qui a de l’importance, mais l’esprit qui en ressort. L’Esprit fait mouvoir son cœur et sa langue, il construit son expression et transforme en icônes les pierres de ses mots.

Il est un instrument, une harpe de l’Esprit qui vibre tout entière au souffle léger de l’Esprit. C’est pourquoi la mélodie qui en sort fascine et ouvre les portes d’un autre monde ; profondément humaine, elle humanise l’homme et résout tous ses problèmes. Il est un homme qui a conquis le paradis avec son sang. Il a déchiré sa propre personne et il l’offre à tous.

A présent il se meut avec aisance dans le tout, d’une manière qui n’est pas celle des autres. Partout il trouve une maison à lui, parce qu’il a toujours brûlé la sienne par amour pour l’autre. Partout où se pose son pied, il trouve un rocher, parce qu’il s’est incliné et a laissé l’autre passer sur lui. Toujours sa parole est claire et il trouve l’image qu’il désire, parce qu’il n’a trompé personne, n’a blessé aucun homme et n’a jamais lésé aucune créature. Il a soulagé la blessure, et allégé la peine de l’autre.

Ainsi sa voix est brisée, son haleine est coupée. Ses mains sont tremblantes et ses pieds aussi. Malgré cela il se tient de pied ferme. Il voit, il avance, il aime. Il est libre. Il est un homme du siècle à venir. C’est pourquoi il est le seul qui parle juste au sujet du siècle actuel.

Il est une journée ensoleillée, un repos, une pureté féconde, une virginité fructueuse. Un rire décent résonne dans tout son corps. Il répand de la lumière et de la douceur. Il est une journée de printemps, avec une brise légère, pure, pleine de parfums vivifiants, venus des vallées fleuries de son cœur et des pentes de ses réflexions saintes et lumineuses.

Près de lui on s’épure, on revêt la grâce par la Grâce. Cet homme est une icône de la théologie, de la sainteté, une révélation de l’union des deux natures dans le Christ.

Son corps, dès la vie de ce monde, se nourrit et se conserve par des expériences de l’Esprit. La manne céleste retient son corps, remplit son cœur, affermit ses os.

Selon l’expression de la Liturgie divine, il connaît le Dieu terrible et philanthrope. Il est faible, exquisément délicat, mais tout puissant. Il reçoit des ondes de grâce qui dépassent souvent son pauvre vase de chair. Son faible corps ne résiste pas. Il déborde, s’enflamme, et tout devient lumière en lui et autour de lui.

Il est un océan de lumière, et on peut nager toute sa vie là où nagent et trouvent leur salut la création et l’histoire entière.

L’Esprit incréé qui a fait de son cœur sa demeure donne sens et substance aux choses en lui et autour de lui. Cet Esprit incréé est bien plus tangible, plus existant que le paysage qui nous environne. Et son corps est transparent, plein de lumière.

Il est nature et sainteté, homme parfait et Dieu parfait par grâce.

Il ne fait rien de faux. Il ne fabrique pas ; il fait naître et procéder. Il ne parle pas, il agit. Il ne commente pas, il aime.

Ses pensées sont action. Ses paroles sont création. Son absence remplit le tout (par la grâce). Sa présence ouvre l’espace à tous (par la grâce). Il a une conception différente de la vie, du monde, des distances.

Il n’existe pas dans le monde et, en même temps, il le récapitule, l’organise et le construit. “Par ses prières, comme dit le Tropaire, il affermit le monde habité.”

Il est sorti du camp de nos habitudes. Si tu le frappes, tes coups ne l’atteignent pas. Il est au-delà. Si tu le cherches, où que tu sois, tu le trouves à tes côtés. Il vit seulement pour toi.

Son image, sa vie, sa langue, sa conception du monde émergent à tout moment. Et ceci parce que sa vie constamment se cache, son corps se perd, son existence se spiritualise, sa chair acquiert une transparence radieuse, tout son être se remplit d’immortalité.

“J’ai communié à l’image de Dieu et ne l’ayant pas gardée, Lui (le Seigneur) a communié à notre chair afin de sauver l’image et de rendre la chair immortelle” (PG 36, 3250).

Devant lui on comprend la théologie de saint Grégoire Palamas. De l’essence inaccessible de sa sainteté émane et procède librement et incessamment une grâce inexplicable, qui atteint l’homme entier, esprit et corps, comme une lumière donatrice de vie.

Et tout comme le soleil donne vie à toute la création, de même cette lumière qui jaillit du moine donne à la vie de tout homme la possibilité de fleurir.

Cette lumière ne limite pas. Elle ne fragmente pas. Elle ne crée pas de partis. Elle ne nourrit pas des fanatismes particuliers. Elle ne ferme pas. Elle n’organise pas humainement. Elle aide chacun à trouver son moi. Elle aide chacun à aimer sa vie, en le guidant dans la lumière sans déclin.

Tous se confessent au porteur de cette lumière, et lui se confesse à tous. Personne n’hésite à lui révéler le secret de son cœur. Au contraire, tous lui ouvrent leur cœur avec confiance, comme la fleur s’ouvre au soleil. Et lui ne craint jamais que les autres apprennent les secrets de sa vie. Au contraire, il place souvent un écran de silence entre son être ardent et lumineux et les faibles sens de son visiteur, par peur que ce dernier, en voyant cette lumière aveuglante, perde aussi sa puissance de voir les choses ordinaires et quotidiennes. Il laisse ainsi, tendrement et sans bruit, la splendeur qui demeure en lui pacifier, illuminer, consoler et rendre joyeux l’homme, son frère, image de Dieu.

Par ses réalisations ascétiques il n’effraie pas, mais il apaise en communiquant l’amour de Dieu, dans lequel lui-même vit nuit et jour.

Dans la discussion il est attentif et poli. Il sait, il voit, il aime. 11 discerne où aboutissent les choses. Ainsi, dans ce climat de vérité totale (pour la vie et pour l’homme), il agit.

Il dévoile une à une tes difficultés, dans une ambiance naturelle. Tu ne souffres pas de l’opération qui t’est faite. “C’est un autre qui a déjà souffert pour toi, le Christ Jésus. Et tu te trouves à présent dans le lieu de repos, que sa souffrance a créé. Voici que par la Croix la joie est venue dans le monde entier.”

Il te laisse le voir, l’assimiler. Et chaque fois il te demande, au cours de votre conversation, comment tu te sens.

Tu vois qu’il t’aide discrètement. Il n’intervient pas brutalement. Il ne s’impose pas, par des sortilèges oratoires ou autres. Il te révèle comment ton propre moi doit exister selon la nature. Il te laisse libre. Et tu te trouves prisonnier de la vérité, de la liberté, de la réalité telle quelle. Et tu pars consolé, sans soucis, reposé, plus fort. Et tu pars et tu vas à ton travail, tu vas là où tu veux, et pourtant tu restes pour toujours ici. C’est ici que te porte l’unique expérience de ta vie, qui fait pour toi de ce lieu une montagne d’Horeb, qui peut être nommée : “Dieu a vu… Dieu a été vu.”

Un cordon ombilical d’espoir relie ton moi spirituel à ce lieu, ce moment, ce visage, cette expérience. Et ce cordon, maternellement, nourrit et forme au sein de l’Église le germe spirituel, l’homme nouveau, qui se développe et naît dans l’Esprit Saint.

Devant lui, tu sens que les saints des autres temps continuent à vivre parmi nous, tout comme celui-ci est mort pour le monde et vit d’une autre manière, « en Esprit », parmi et avec nous. Il démontre ainsi que lui aussi ne nous abandonnera pas. Devant lui tu sens que tu vis dans les derniers temps et que tu es jugé.

C’est son amour, que tu ne mérites pas, qui te juge. Sa clairvoyance, son regard clair ne te blâment pas. Tu comprends ainsi comment Dieu jugera le monde. Tu comprends aussi comment est interprétée la doctrine chrétienne de l’immortalité, comment seront les corps ressuscités. Les choses du présent et de l’avenir s’expliquent non par la réflexion, mais par l’apparition, par la manifestation de la vie. Tu te trouves devant une épiphanie. Devant une vraie anthropophanie.

Une dimension eschatologique vient finaliser dès à présent ta vie. Une chaleur humaine et un espoir commencent à remplir pour toi les choses dernières.

La présence des anciens saints devient sensible. Et la grâce des nouveaux dépasse déjà l’histoire et indique ici et maintenant l’éternité. Qu’ils vivent ou qu’ils meurent, ils témoignent de la force de la Résurrection. Ils révèlent la dignité fondamentale de l’homme, la lumière sans fin du Royaume, pour lequel nous avons été créés. Ils nous montrent qu’il n’y a pas de différence entre l’ancien et le nouveau dans l’Église, le corps du Christ ressuscité “qui renouvelle toutes choses”.

J’éprouve ce que, jeune moine, j’écrivais au sujet d’un ancien Père : “Je lis Abba Isaac. J’y trouve quelque chose de vrai, d’héroïque, de spirituel. Quelque chose qui est au-delà de l’espace et du temps. Je sens qu’il est une voix qui a retenti pour la première fois en mon for intérieur, fermé et inconnu. Quoique si éloigné de moi dans l’espace et le temps, il a cependant pénétré dans mon âme. À un moment de paix, il m’a parlé. Il s’est assis avec moi. Bien que j’aie lu tant d’autres choses, bien que tant d’autres aient passé près de moi (ou aujourd’hui même vivent près de moi), nul n’a été aussi discret. Et à personne je n’ai tant ouvert la porte de mon moi. Ou pour mieux dire, nul ne m’a montré fraternellement, amicalement qu’en moi – dans ma nature humaine – existait aussi cette porte. Cette porte qui donne accès à un espace ouvert, illimité. Et personne ne m’a dit cette chose inexprimable et inattendue, que tout cela appartient à l’homme.

Pour la première fois je sens une sainte fierté, une admiration pour la nature humaine (ou mieux divino-humaine). Cela m’a donné, comme une bénédiction divine, la présence d’un saint séparé du monde et du péché.

Il appartient à la nature humaine. Je me réjouis de cela. Je jouis du bienfait de sa bénédiction. Étant de la même nature que moi, il me transfuse ontologiquement le sang vivifiant de sa liberté. Il me révèle l’homme véritable. Il me dit par sa présence, et je le ressens, que nous sommes ensemble. Ce n’est pas quelque chose d’étranger à ma personne. Il est, lui, mon plus véritable moi. Il est une fleur pure de la nature humaine.” »

Puisse ce livre, malgré la limite des mots, faire ressentir à ses lecteurs quelque chose de la grâce que ceux qui ont connu l’Ancien Païssios ont ressenti en sa présence.

Jean-Claude Larchet

Nous remercions tous ceux qui ont contribué à la réalisation de cette édition, en particulier les Anciens Efthymios, Grigorios et Théoklitos, qui ont permis sa mise en œuvre, Yvan Koenig qui a mené avec succès le long travail de traduction, le Père Macaire de Simonos-Pétra, qui en a assuré la révision, ainsi que ceux qui ont participé à la correction.

Les notes de bas de pages sont dues à l’auteur, à l’éditeur grec, au traducteur et au directeur de la collection ; pour simplifier la présentation et parce qu’elles ont un caractère purement explicatif ou informatif, on n’a pas jugé nécessaire de mentionner leurs sources respectives.

Les mots qui ont caractère technique ou inhabituel sont suivis d’un astérisque qui renvoie au Glossaire situé à la fin du volume. Les principaux noms de lieux sont répertoriés à la suite de ce Glossaire.

 

 

[1] On trouvera une brève biographie et quelques enseignements spirituels de l’Ancien Isaac (Atallah) dans le numéro spécial de la revue Le Bon Pasteur, 4,2006, téléchargeable sur Internet à l’adresse : http://tinvuri.com/pere-Isaac,

[2]  S. Maxime le Confesseur, Lettres, 44.

[3]  Id., Lettres, 2.

[4]  ID., Lettres, 12.

[5]  S. Maxime le Confesseur, Mystagogie, 24.

[6]  Ce texte a été écrit en 1974, alors que le Père Païssios, qui habitait alors à l’ermitage athonite de la Précieuse-Croix, n’était pas encore très connu. Il a été intégré, sans référence au Père Païssios, au texte d’une conférence sur « L’expérience monastique », donnée en français par l’Archimandrite Basile le 2 novembre 1974 à Dijon, dans le cadre du T Congrès de la jeunesse orthodoxe.