Première homélie sur le feu du purgatoire
Lors du Concile de Florence, saint Marc réfute les latins, concernant leur doctrine du purgatoire.
Réfutation des chapitres latins concernant le feu du purgatoire.
Autant qu’il nous est demandé, en préservant notre orthodoxie et les dogmes de l’Église transmis par les pères, nous répondrons avec amour à ce que vous avez dit. En règle générale nous citerons d’abord chacun des arguments et témoignages que vous avez mis en avant par écrit, de façon à faire suivre notre réponse brièvement et clairement.
1. Ainsi, au début de votre rapport, vous parlez ainsi : si ceux qui se repentent véritablement ont quitté la terre en état d’amour (pour Dieu), avant d’avoir pu donner satisfaction par le moyen de fruits valables en raison de leurs transgressions ou offenses, leur âme se trouve purifiée après la mort au moyen des souffrances du purgatoire. Toutefois, pour le soulagement (ou la délivrance) de ces souffrances, ils sont aidés par la compassion manifestée à leur égard par les fidèles vivants et ce, par leurs prières, leurs aumônes, les liturgies célébrées et autres pratiques de piété.
À cela nous répondons : En ce qui concerne ceux qui sont entrés dans le repos en confessant la foi, nous croyons qu’ils sont, sans aucun doute, aidés par les liturgies, les prières et les aumônes faites à leur intention, puisque cette coutume est en vigueur depuis l’antiquité. Il existe à ce sujet une multitude de témoignages d’expressions nombreuses et variées de la part des docteurs latins autant que grecs. Ces témoignages oraux et écrits ont été relevés à différents endroits et au cours de différentes périodes.
Mais, que les âmes soient délivrées grâce à une certaine souffrance purificatrice et un feu temporaire, qui posséderaient un tel pouvoir et auraient la nature d’un secours, cela nous ne le trouvons ni dans les saintes Écritures, ni dans les prières et hymnes pour les morts, ni dans les paroles des docteurs.
Par contre, nous avons reçu que même les âmes qui sont retenues en enfer – et déjà livrées aux tourments éternels, soit en réalité par expérience, soit en une perspective sans espoir – peuvent être aidées et recevoir un petit secours, bien que ce ne soit pas dans le sens d’une délivrance complète du tourment, ni d’un espoir en une délivrance finale.
Ceci est démontré par les paroles du grand ascète saint Macaire l’Égyptien, qui, trouvant un crâne dans le désert, fut enseigné par lui à ce sujet, grâce à l’action de la Puissance divine. Et saint Basile le Grand, dans les prières lues à genoux le jour de la Pentecôte, écrit littéralement ce qui suit : De même Toi qui, à l’occasion de cette fête toute parfaite et salvatrice, daignes accepter les prières propitiatoires pour les captifs de l’enfer, nous gratifiant d’un grand espoir d’amélioration pour ceux qui sont prisonniers des souillures qui les ont enjôlés, veuille bien faire descendre sur eux ta Consolation (Troisième prière vespérale à genoux).
Mais si des âmes ont quitté cette vie dans la foi et l’amour, tout en emportant cependant avec elles quelques péchés, – soit de petits péchés pour lesquels elles ne se sont pas repenties du tout, soit des péchés graves pour lesquels – bien qu’elles s’en soient repenties – elles n’entreprirent pas de montrer des fruits de repentance : de telles âmes, nous le croyons, doivent être purifiées de ce genre de péchés, mais non au moyen de quelque feu de purgatoire ou d’une punition précise en un certain endroit (car ceci, nous l’avons déjà dit, ne nous fut absolument pas transmis).
Parmi ces âmes, certaines doivent être purifiées simplement lors de leur départ même du corps, grâce aux frayeurs de la mort, comme l’indique saint Grégoire le Grand dans ses Dialogues (Livre 4), tandis que d’autres doivent être purifiées après le départ du corps, soit en demeurant dans le même endroit terrestre, avant de venir adorer Dieu et d’être honorées avec l’ensemble des bénis, soit – si leurs péchés sont plus graves et les retiennent pour une plus grande durée – en étant maintenues en enfer, non de manière à y demeurer pour toujours dans le feu et les tourments, mais comme en y étant emprisonnées, détenues et sous garde.
Toutes ces âmes, nous l’affirmons, reçoivent du secours grâce aux prières et liturgies faites à leur intention, avec la coopération de la divine Bonté pleine d’amour pour le genre humain. Cette divine coopération accorde immédiatement la rémission de certains péchés, ceux commis par faiblesse humaine, comme le dit saint Denys l’Aéropagite dans son ouvrage : Réflexions sur le Mystère de ceux qui reposent en paix, tandis que pour d’autres péchés, après un certain temps, par de justes jugements, elle les remet et pardonne – et cela complètement –, ou bien en allège la responsabilité jusqu’au Dernier Jugement. En conséquence, nous ne voyons aucune nécessité d’une autre punition quelconque ou d’un feu purificateur, puisque certains pécheurs sont purifiés par la peur, alors que d’autres sont dévorés par la douleur lancinante de leur conscience avec plus de tourments qu’un feu ne pourrait en procurer; d’autres encore sont purifiés par la grande frayeur éprouvée devant la divine Gloire et l’incertitude de ce que sera le futur. L’expérience montre que cela tourmente et punit beaucoup plus qu’autre chose, et saint Jean Chrysostome en témoigne dans presque toutes ou du moins la plupart de ses homélies morales, qui l’affirment, de même que l’homélie Sur la conscience… du saint ascète Dorothée.
2. Nous implorons donc Dieu avec foi de délivrer (de l’éternel tourment) ceux qui sont partis et non pas d’un autre tourment ou feu autres que ceux qui ont été proclamés éternels. En outre, nous croyons que les âmes des disparus sont délivrées, par la prière, de la détention en enfer comme d’une prison. De tout cela témoigne, parmi tant d’autres, Théophane le Confesseur, appelé aussi le Marqué (à cause des paroles de son témoignage pour l’icône du Christ, paroles écrites sur son front, et il scella son témoignage par son sang). Dans un des canons pour ceux qui sont entrés dans le repos, il prie ainsi : Délivre, ô Sauveur, tes esclaves qui sont dans l’enfer des larmes et des soupirs.
Entendez-vous, il dit «des larmes et des soupirs». Il ne parle d’aucun autre genre de punition, ni de feu purgatoire. Et si l’on retrouve dans ces hymnes et prières quelque allusion au feu, elle ne concerne pas un feu temporaire ayant une puissance purificatrice, mais plutôt le feu éternel, cette punition incessante. Les saints, émus d’amour pour les hommes, et de compassion pour leurs concitoyens, osant et souhaitant ce qui est presque impossible, prient pour la délivrance de tous ceux qui sont partis dans la foi. Ainsi en témoigne saint Théodore le Studite, qui écrit tout au début de son canon pour les disparus : «Implorons tous le Christ, en commémorant aujourd’hui tous ceux qui sont morts depuis le début des temps. Qu’Il daigne délivrer du feu éternel tous ceux qui sont partis dans la foi et l’espoir de la vie éternelle» (Triode du Carême, canon du samedi du Carnaval, ode 1). Et ensuite, dans un autre tropaire de l’ode 5 du canon, il dit : «Délivre, ô notre Sauveur, tous ceux qui sont morts dans la foi, du feu qui brûle éternellement, et des ténèbres sans lumière, des grincements de dents, du ver qui tourmente éternellement et de tout tourment».
Où est ici le feu du purgatoire ? S’il existait, ne serait-ce pas ici l’endroit le plus approprié pour le saint d’en parler ? Il ne nous appartient pas de chercher à savoir si les saints sont entendus de Dieu lorsqu’ils prient pour cela. Mais mus comme ils l’étaient par l’Esprit qui demeurait en eux et qui le savait, ils le savaient eux-mêmes, et ils parlaient et écrivaient alors en vertu de cette connaissance; et le savait pareillement le Seigneur Christ, Lui qui nous donna le commandement de prier pour nos ennemis, et qui priait Lui-même pour ceux qui Le crucifiaient, inspirant au premier martyr Étienne, lorsqu’on le lapidait à mort, à faire de même. Et bien qu’il y en ait qui disent que, lorsque nous prions pour de telles personnes, nous ne sommes pas entendus, nous ferons cependant tout ce qui est en notre pouvoir. Et certains saints, qui priaient non seulement pour les croyants, mais même pour les impies, furent entendus, et par leurs prières, ils les sauvèrent du tourment éternel, comme par exemple la première martyre Thècle sauva Falconilla, et le divin Grégoire le Dialogue sauva l’empereur Trajan, comme il est rapporté.
(Le chapitre 3 démontre que l’Église prie aussi pour ceux qui jouissent déjà d’une béatitude avec Dieu – et qui, bien sûr, n’ont pas besoin de traverser le feu du purgatoire).
4. Après cela, un peu plus loin, vous désiriez prouver le dogme susdit du feu purgatoire, d’abord en citant ce qui est écrit dans le Livre des Macchabées : Il est saint et pieux… de prier pour les morts… afin qu’ils soient délivrés de leurs péchés (2 Mach 12,44-45), puis, en prenant de l’évangile de Matthieu le passage où le Sauveur déclare que quiconque parlera contre le Fils de l’homme, il lui sera pardonné; mais quiconque parlera contre le saint Esprit, il ne lui sera pardonné ni dans ce siècle ni dans le siècle à venir (Mt 12,32) vous dites que d’après cela on peut voir qu’il y a une rémission des péchés dans la vie future.
Soit, mais l’idée du feu purgatoire n’en découle pas du tout, et c’est plus clair que le soleil; car qu’est-ce qu’il y a de commun entre la rémission d’une part et la purification par le feu et la punition d’autre part ? Car si la rémission des péchés est accomplie à cause des prières, ou simplement par l’amour de Dieu pour l’homme, il n’y a besoin ni de punition, ni de purification (par le feu). Mais si la punition et la purification sont également établies (par Dieu) … alors, semblerait-il, les prières (pour les morts) sont accomplies en vain, et vainement chantons-nous l’amour de Dieu pour l’homme. Ainsi, ces citations sont moins une preuve de l’existence du feu du purgatoire qu’une réfutation de celle-ci : car la rémission des péchés de ceux qui ont transgressé est présentée en elles comme le résultat d’une autorité royale et d’un amour pour l’homme assurés, et non comme une délivrance d’une punition ou d’une purification.
5. Troisièmement, (prenons) le passage de la première épître du bienheureux Paul aux Corinthiens, dans lequel, au sujet de la construction sur la fondation qui est Christ, il parle de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, du bois, du foin, du chaume, l’œuvre de chacun sera manifestée; car le jour la fera connaître, parce qu’elle se révèlera dans le feu, et le feu éprouvera ce qu’est l’œuvre de chacun. Si l’œuvre bâtie par quelqu’un sur le fondement subsiste, il recevra une récompense. Si l’œuvre de quelqu’un est consumée, il perdra sa récompense; pour lui, il sera sauvé, mais comme au travers du feu (1 Cor 3,11-15). Il semblerait que cette citation, plus que toute autre, introduit l’idée du feu du purgatoire; mais en réalité, elle la réfute plus que toute autre.
Premièrement, l’Apôtre divin l’appela (ce feu) non pas purificateur, mais examinateur; ensuite il déclara que les œuvres bonnes et honorables doivent aussi passer par lui, et celles-ci, il est clair qu’elles n’ont besoin d’aucune purification; puis il dit que ceux qui apportent des œuvres mauvaises, après que ces œuvres sont brûlées, subissent une perte, tandis que ceux qui sont en train d’être purifiés ne souffrent aucune perte, mais acquièrent encore plus; après, il dit que cela aura lieu en ce jour, à savoir au jour du Jugement et de l’âge futur, alors que supposer l’existence d’un feu purificateur après ce redoutable Avènement du Juge et la sentence finale – n’est-ce pas une absurdité totale ? Car l’Écriture sainte ne nous transmet rien de la sorte, et Celui qui nous jugera dit : et ceux-ci iront au châtiment éternel, mais les justes à la vie éternelle (Mt 25,46), et encore : ils sortiront. Ceux qui auront fait le bien ressusciteront pour la vie, mais ceux qui auront fait le mal ressusciteront pour le jugement (Jn 5,29). Il ne reste donc aucune sorte d’endroit intermédiaire, mais après avoir divisé tous ceux qui sont à juger en deux parts, plaçant les uns à sa droite, les autres à sa gauche, et appelant les premiers des brebis et les seconds des boucs – le Seigneur n’a pas dit du tout que certains devaient être purifiés par ce feu. Il semblerait que le feu dont parle l’Apôtre soit le même que celui dont parle le prophète David : Devant Lui est un feu dévorant, autour de Lui une violente tempête (Ps 49,3), et encore : Le feu marche devant Lui, et embrase à l’entour ses adversaires (Ps 96,3). Le prophète Daniel parle aussi de ce feu : Un fleuve de feu coulait et sortait de devant Lui (Dn 7,10).
Comme les saints n’apportent aucune œuvre mauvaise ni souillure avec eux, ce feu les manifeste encore plus brillants, comme l’or éprouvé dans le feu, ou comme l’amiante, qui, comme on le rapporte, placée dans le feu, apparaît comme carbonisée, mais sortie du feu, elle apparaît encore plus propre, comme lavée avec de l’eau, comme l’étaient aussi les corps des trois adolescents dans la fournaise de Babylone. Les pécheurs cependant, qui apportent du mauvais avec eux, sont saisis comme une matière adéquate à ce feu, et sont immédiatement enflammés par lui, et leur œuvre, c’est-à-dire leur mauvaise disposition ou leurs actes de méchanceté, est brûlée et détruite complètement, et ils sont privés de ce qu’ils apportèrent avec eux, c’est-à-dire privés de leur fardeau de méchanceté, tandis qu’eux-mêmes sont sauvés – c’est-à-dire, préservés et gardés pour toujours, afin de ne pas être sujets à destruction ensemble avec leur méchanceté.
6. Le divin père Chrysostome aussi (celui que nous appelons les lèvres de Paul, tout comme ce dernier est appelé les lèvres du Christ) considère nécessaire de faire une telle interprétation de ce passage dans son commentaire sur l’épître (Homélie 9 sur 1 Corinthiens) ; et Paul parle par Chrysostome, comme cela fut révélé grâce à la vision de Proclus, son disciple et Saint Chrysostome consacra un traité spécial à ce seul passage, afin que les origénistes ne citent pas ces paroles de l’Apôtre en guise de confirmation de leur façon de penser (qui, semblerait-il, leur convient plus à eux qu’à vous), et ne nuisent à l’Église par l’introduction en son sein de l’idée d’une fin au tourment de l’enfer et d’une restauration finale (apocatastasis) des pécheurs. Car l’expression que le pécheur est sauvé comme à travers le feu signifie qu’il restera tourmenté par le feu et ne sera pas détruit ensemble avec ses œuvres mauvaises et sa mauvaise disposition de l’âme.
Basile le Grand en parle aussi dans les Morales, en interprétant le passage de l’Écriture, La voix du Seigneur divise les flammes de feu (Ps 28,7) : Le feu préparé pour le tourment du diable et de ses anges, est divisé par la Voix du Seigneur, afin qu’il y ait ensuite deux pouvoirs en lui : un qui brûle et un qui éclaire; le pouvoir tourmenteur et punissant de ce feu est réservé à ceux qui sont dignes de tourment, alors que le pouvoir illuminateur et éclairant est destiné à faire resplendir ceux qui se réjouissent. Par conséquent, la Voix du Seigneur qui divise et sépare la flamme de feu est destinée à cela : que la partie obscure puisse être un feu de tourment et la partie qui ne brûle pas une lumière de jouissance (St Basile, Homélie sur le Psaume 28).
Et ainsi, comme on peut le voir, cette division et cette séparation de ce feu se produiront lorsque tous passeront par lui : ainsi, les œuvres claires et brillantes seront manifestées comme encore plus lumineuses, et ceux qui les apportent deviendront héritiers de la lumière et recevront une récompense éternelle; tandis que ceux qui apportent des œuvres mauvaises, faites pour être brûlées, étant punis par leur perte, resteront éternellement dans le feu et seront héritiers d’un salut qui est pire que la perdition, car c’est ce que signifie, strictement parlant, le mot sauvé – que le pouvoir destructeur du feu ne leur sera pas appliqué et qu’eux-mêmes ne seront pas complètement détruits. Suivant ces pères, bien d’autres de nos docteurs comprirent ce passage dans le même sens. Et quiconque l’a interprété dans un sens différent et a entendu par sauvé : «délivré de la punition», et passage par le feu : «purgatoire» – celui-là, si nous osons nous exprimer de la sorte, comprend ce passage d’une manière complètement incorrecte. Et ce n’est pas surprenant, car il est un homme, et beaucoup parmi les docteurs eux-mêmes interprètent des passages de l’Écriture de différentes façons, et tous n’ont pas atteint le sens précis à un degré égal. Il n’est pas possible que le même texte, transmis avec des interprétations diverses, corresponde à un degré égal à toutes ses interprétations; mais nous, choisissant parmi elles les plus importantes et celles qui correspondent le mieux aux dogmes de l’Église, devons mettre les autres en seconde place. Par conséquent, nous n’allons pas dévier de l’interprétation citée ci- dessus des paroles de l’Apôtre, même si Augustin ou Grégoire le Dialogue ou un autre de vos docteurs donnait une telle interprétation; car une telle interprétation répond moins à l’idée d’un feu temporaire de purgatoire qu’à l’enseignement d’Origène, qui, parlant d’une restauration finale des âmes par ce feu et d’une délivrance du tourment, fut interdit et anathématisé par le cinquième Concile œcuménique, et irrévocablement renversé comme une impiété commune pour l’Église.
(Dans les chapitres 7-12, saint Marc répond à des objections levées par des citations des œuvres du bienheureux Augustin, de saint Ambroise, de saint Grégoire le Dialogue, de saint Basile le Grand et d’autres pères, montrant qu’ils ont été mal interprétés ou peut-être mal cités et que ces pères enseignent bien la doctrine orthodoxe en réalité, sinon, leur enseignement ne doit pas être accepté. Plus loin, il démontre que Grégoire de Nysse ne parle pas du tout de purgatoire, mais qu’il soutient une erreur bien pire, celle d’Origène, affirmant qu’il y aura une fin des flammes éternelles de l’enfer – bien qu’il soit possible que ces idées fussent placées dans ses écrits plus tard par des origénistes).
13. Et finalement vous dites : La vérité susmentionnée est évidente d’après la Justice divine, qui ne laisse pas impuni quelque chose qui fut mal fait, et de là il s’ensuit nécessairement que pour ceux qui n’ont pas subi de punition ici-bas et ne peuvent s’en acquitter ni au Ciel ni en enfer, il reste à supposer l’existence d’un troisième endroit différent, où cette purification s’accomplit, grâce à laquelle chacun, devenu purifié, est immédiatement conduit à la jouissance céleste.
À cela, nous répondons ce qui suit, et remarquez combien c’est aussi simple que juste : il est généralement reconnu que la rémission des péchés est en même temps aussi une délivrance de la punition; car celui qui reçoit leur rémission est en même temps délivré de la punition qui leur était due. La rémission est donnée sous trois formes et à des moments différents : 1) lors du baptême; 2) après le baptême par la conversion, le regret et la réparation (des péchés) par les bonnes œuvres dans la vie présente; et 3) après la mort, par des prières et des bonnes œuvres et grâce à tout ce que l’Église fait pour les morts.
Donc, la première rémission des péchés n’est pas du tout liée au labeur; elle est commune à tous et égale en honneur, comme l’éclairage de la lumière et la vision du soleil et les changements des saisons de l’année, car c’est uniquement la grâce et de nous il n’est demandé rien d’autre que la foi. Mais la deuxième rémission est pénible, comme pour celui qui de ses larmes chaque nuit baigne sa couche, et de ses pleurs arrose son lit (Ps 6,5) pour qui même les traces des coups du péché sont douloureuses, qui va en pleurant et la face contrite et imite la conversion des Ninivites et l’humilité de Manassé, lesquels obtinrent miséricorde. La troisième rémission est également douloureuse, car elle est liée à la repentance et à une conscience contrite qui souffre de l’insuffisance du bien; cependant, elle n’est pas du tout mêlée à une punition, si elle est une rémission des péchés : car rémission et punition ne peuvent aucunement coexister. Qui plus est, dans la première et la dernière rémissions des péchés, la Grâce de Dieu a la part la plus importante, avec la coopération de la prière, et notre apport est minime. La rémission du milieu, d’un autre côté, laisse peu à la Grâce, alors que la plus grande part est due à notre labeur. La première rémission des péchés est distincte de la dernière en ceci que la première est une rémission de tous les péchés à un degré égal, tandis que la dernière est une rémission seulement de ceux des péchés qui ne sont pas mortels et dont la personne s’est repentie durant sa vie.
Ainsi pense l’Église de Dieu, et lorsqu’elle intercède pour la rémission des péchés des âmes des défunts et croit qu’elle leur est accordée, elle ne définit comme loi aucune sorte de punition par rapport à ces âmes, sachant bien que dans de telles questions, la Bonté divine surpasse l’idée de justice.
Deuxième homélie sur le feu du purgatoire
Lors du Concile de Florence, saint Marc réfute les latins, concernant leur doctrine du purgatoire.
Nous affirmons que, pour le moment, ni les justes n’ont reçu la plénitude de leur sort bienheureux, cette condition bénie pour laquelle ils se sont préparés ici par les labeurs; ni les pécheurs, après la mort, n’ont été conduits dans la punition éternelle dans laquelle ils seront tourmentés éternellement. Les uns et les autres devront nécessairement prendre leur place après le jugement du dernier jour et la résurrection de tous. Maintenant cependant, ils sont dans les endroits qui leur sont appropriés. Les premiers en repos absolu et libres, sont au ciel avec les anges, devant Dieu Lui-même, et déjà comme dans le paradis, duquel Adam est tombé (et dans lequel le bon larron est entré avant les autres). Ils nous rendent souvent visite dans les églises où on les vénère, ils entendent ceux qui les invoquent et prient Dieu pour eux, ayant reçu de Lui ce don suprême. À travers leurs reliques, ils font des miracles, se réjouissant de la vision de Dieu et de l’illumination envoyée par Lui, plus parfaitement et plus purement qu’auparavant lorsqu’ils étaient en vie. Les seconds, eux, étant confinés en enfer, restent au plus profond de la fosse, dans les ténèbres et l’ombre de la mort (Ps 87,7), comme le dit David, et aussi Job : dans le pays où la lumière est obscurité (Jb 10,21–22). Les premiers demeurent dans toutes les joies, en se réjouissant, attendant déjà mais n’ayant pas encore entre leurs mains le royaume et toutes les bonnes choses ineffables qui leur ont été promises. Les seconds, au contraire, demeurent tous en prison, dans une souffrance inconsolable, tels des hommes attendant la sentence du Juge et prévoyant leurs tourments. Mais ni les premiers n’ont encore reçu l’héritage du royaume et ces bonnes choses que l’œil n’a pas vues, l’oreille n’a pas entendues, et qui ne sont pas entrées dans le cœur de l’homme (1 Cor 2,9), ni les seconds n’ont été remis aux éternels tourments, ni aux brûlures du feu inextinguible. Et cet enseignement-ci, nous l’avons reçu comme transmis par nos pères anciens, et nous pouvons facilement le démontrer par les divines Écritures elles- mêmes.
Ce que certains saints ont vu en visions et révélations concernant le tourment à venir des impies et des pécheurs sont des images des choses futures et pour ainsi dire de descriptions, mais non ce qui se passe déjà en réalité maintenant. Ainsi, par exemple, Daniel, décrivant le Jugement futur, dit : Je regardai, pendant que l’on plaçait des trônes. Et l’Ancien des jours s’assit… et les livres furent ouverts (Dn 7,9-10), alors qu’il est clair que cela n’a pas eu lieu en réalité, mais fut révélé d’avance en esprit au prophète.
Quand nous examinons les témoignages que vous avez cités du livre des Macchabées et de l’évangile, en parlant simplement avec amour de la vérité, nous voyons qu’ils ne contiennent aucun témoignage de punition ou de purification quelconques, mais parlent uniquement de rémission de péchés. Vous avez fait une division étonnante, disant que chaque péché doit être compris sous deux aspects : 1) l’offense elle-même faite à Dieu, et 2) la punition qui la suit. De ces deux aspects – enseignez-vous –, l’offense à Dieu peut en effet être remise après repentance et détournement du mal, mais la charge de punition doit exister en tous les cas; de sorte que, sur la base de cette idée, il est essentiel que ceux qui ont été délivrés des péchés doivent quand même être objets d’une punition pour eux.
Mais nous nous permettons de dire qu’une telle présentation de la question contredit des vérités claires et connues par tous : si nous n’avons jamais vu un roi qui, après avoir accordé l’amnistie et le pardon, soumet les coupables à de nouvelles punitions, alors à plus forte raison Dieu, dont les nombreux attributs en comprennent un particulièrement remarquable, qui est son amour pour l’homme, même s’Il punit bien un homme après un péché commis, Il le délivre immédiatement de la punition aussi dès le moment où Il lui a pardonné. Et c’est naturel. Car si l’offense à Dieu mène à la punition, alors quand la faute est pardonnée et la réconciliation a eu lieu, la conséquence même de la faute – la punition – se termine nécessairement.