Quelques Pères occidentaux des quatrième et cinquième siècles semblent être plus favorables à l’autorité papale que les Pères orientaux. Cependant, au fond, il n’en est rien. Déjà nous avons présenté la doctrine de Tertullien, de saint Cyprien, de saint Hilaire de Poitiers, de saint Léon. Celle Des saints Ambroise, Augustin, Optat, Jérôme, est la même.

D’après le témoignage de saint Augustin, saint Ambroise avait fait rapporter, dans ses hymnes, le mot la pierre à la personne de l’apôtre Pierre, ce qui avait été pour lui un motif d’admettre d’abord cette interprétation. Cependant saint Ambroise s’est expliqué lui-même en d’autres en droits de ses écrits, comme dans celui-ci  (S. Ambros., de Incarnat.):

« La foi est le fondement de l’Église, car ce n’est point de la personne mais de la foi de Pierre qu’il a été dit : que les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle ; c’est la confession de la foi qui a vaincu l’enfer. »

La vérité confessée par saint Pierre est donc le fondement de l’Église; et aucune promesse n’a été faite à sa personne, ni par conséquent à sa foi subjective.

Parmi les textes de saint Ambroise, Rome s’appuie principalement sur le suivant : ( S. Amb., in Luc. et passim.)

« Le Seigneur qui interrogeait ne doutait pas; il interrogeait, non pour apprendre, · mais pour enseigner quel était celui qu’il laisserait, avant de monter au ciel, comme le vicaire de son amour… Parce que seul de tous il confesse, il est préféré à tous… Pour la troisième fois le Seigneur ne lui demande plus : m’affectionnes-tu ? mais, m’aimes-tu ? Et alors il ne lui confie pas, comme la première fois, les agneaux qui ont besoin d’être nourris de lait; ni les petites brebis, comme la seconde fois : mais il lui ordonne de les paître toutes, afin qu’étant plus parfait il gouvernât les plus parfaites. »

Or, disent gravement les théologiens romains, après avoir cité ce texte : ces brebis plus parfaites qu’étaient-elles, sinon les autres apôtres? Puis ils supposent que le pape remplace saint Pierre, que les évêques remplacent les apôtres, et par là ils arrivent à conclure que les évêques sont des brebis à l’égard du pape.  Saint Ambroise a-t-il dit un met qui puisse autoriser de telles conséquences ? ll n’attribue aucun caractère dogmatique à ce qu’il dit de saint Pierre; c’est une interprétation mystique et pieuse qu’il propose; il ne songe point à con fondre les apôtres, qui sont des pasteurs, avec des brebis ; il songe encore moins aux privilèges des évêques de Rome, dont il ne fait aucune mention. Et c’est sur des bases aussi chancelantes que l’on prétend élever un si haut édifice ! Saint Ambroise, comme saint Hilaire de Poitiers, attribue, tantôt à la personne de Pierre, tantôt à sa foi ou plutôt à l’objet de sa foi, le titre de : la pierre. Il ne l’attribue même à sa personne que d’une manière figurative et par extension.

« Jésus-Christ, dit-il , est la pierre. Il n’a pas refusé la grâce de ce nom à son disciple en l’appelant Pierre, parce qu’il tenait de la pierre la constance et la solidité de sa foi. Fais donc toi-même tes efforts pour être une pierre; ta pierre, c’est ta foi, et la foi c’est le fonde ment de l’Église. Si tu es une pierre, tu seras dans l’Église, parce que l’Église est bâtie sur la pierre. »

Cette explication laisse-t-elle l’ombre d’un doute sur le sens que saint Ambroise attribuait à ce mot fameux sur lesquelles Romains édifient le prodigieux monument des prérogatives papales? Pourquoi Pierre a-t-il reçu ce nom ? « C’est, ajoute saint Ambroise, que l’Église a été bâtie sur la foi de Pierre. » Mais quelle foi? est-ce sa croyance personnelle, ou la vérité à laquelle il a cru ? Saint Ambroise répond au même en droit : « Pierre a été ainsi nommé parce qu’il a été le premier qui ait jeté les fondements de la foi parmi les nations. » Est-ce son adhésion personnelle qu’il a prêchée ? On ne pourrait le soutenir. C’est donc la vérité à laquelle il a cru qu’il a enseignée, et c’est cette vérité qui est le fondement de l’Église.

Les œuvres de saint Ambroise sont pleines de témoignages contre les prétentions papales. Nous pourrions multiplier les textes, mais à quoi bon? Il suffit de jeter un coup d’œil sur ses ouvrages pour être persuadé qu’on ne peut invoquer son autorité en faveur de l’ultramontanisme. Nous nous contenterons donc de citer les textes suivants, dans lesquels il expose sa croyance sur la primauté de Pierre. Expliquant ces paroles de l’épître aux Galates : J’allai à Jérusalem pour voir Pierre, il s’exprime ainsi :

« Il convenait que Paul allât voir Pierre. Pourquoi? est-ce que Pierre était son supérieur et celui des autres apôtres? NON; mais parce que, entre tous les apôtres, il était le premier à qui le Seigneur avait confié le soin des Églises. Est-ce parce qu’il avait besoin de recevoir instruction ou mission de Pierre? NON ; mais afin que Pierre connût que Paul avait reçu la puissance qui lui avait été donnée à lui-même. »

Saint Ambroise explique ainsi ces autres paroles: Ayant connu que le pouvoir d’annoncer l’Evangile aux Gentils m’avait été confié :

« Il (Paul) ne nomme que Pierre et ne se compare qu’à lui, parce que, comme Pierre avait reçu la primauté pour fonder l’Eglise des Juifs, lui, Paul, avait été choisi de la même manière pour avoir la primauté dans la fondation des Églises des Gentils. »

Puis il s’étend sur cette idée qui détruit radicalement les prétentions papales. En effet, d’après saint Ambroise, Rome, qui n’appartenait pas aux Juifs, comme personne ne le conteste, n’aurait point à se glorifier de la primauté de Pierre, mais de celle de Paul. Du reste, elle serait ainsi beaucoup plus dans la vérité historique, car il est démontré que Paul l’a évangélisée avant Pierre ; que ses deux premiers évêques ont été ordonnés par Paul; que sa succession par Pierre ne remonte qu’à Clément, son troisième évêque. Enfin, en quel sens saint Ambroise entendait-il le mot primauté? Il n’y attachait aucune idée d’honneur ou d’autorité, puisqu’il dit positivement :

« Dès que Pierre entendit ces mots : Que dites-vous que je suis ? se souvenant de sa place, il exerça la primauté, primauté de confession, non d’honneur; primauté de foi, non d’ordre (S. Aug., de Retract., lib. I, c. XXI.). »

statim loci non immemor sui, primatum egit: primatum confessionis untiqe, non honoris; primatum fidei, non ordinis.

Du mystère de l’Incarnation du Seigneur, V:34, PL 16, col.826 

 

N’est-ce pas là rejeter toute idée de primauté telle que l’entendent les Romains? Ils abusent donc de l’autorité de saint Ambroise.

Un extrait du livre du père Wladimir Guettée, « la Papauté schismatique« .

 


 

L’interpréation de Mat 16.18 par saint Ambroise de Milan

 

« La foi est le fondement de l’Église (Fides ergo est Ecclesiæ fundamentum), car il n’est pas dit de la chair de Pierre, mais de la foi que les portes de la mort ne l’emporteront pas sur elle (non enim de carne Petri, sed de fide dictum est, quia portæ mortis ei non prævalebunt) »

«Fides ergo est Ecclesiae fundamentum: non enim de carne Petri, sed de fide dictum est, quia portae mortis ei non praevalebunt : sed confessio vicit infernum. Et haec confessio non unam haeresim exclusit, nam cum Ecclesia multis lamquam bona navis fluctibus saepe lundatur, adversus omnes haereses debet valere Ecclesia fundamentum.» 

Du mystère de l’Incarnation du Seigneur, V:34, PL 16, col.827 

 

 

 

« Si Pierre est le fondement, alors tous les apôtres le sont ; si l’Eglise est fondée sur lui, elle est fondée également sur d’autres apôtres… Pierre est le membre du Christ comme Il a dit à ses disciples : “Vous êtes en Moi et Je suis en vous” (Jn 14:20). Le Christ est le fondement de tous les apôtres et les apôtres sont le fondement pour tous ceux qui ont cru grâce à eux. »

Curs. Compl. Migne. T. XVII, col. 949.

 

 

« Ainsi, fais tous les efforts pour être pierre. Cherches la pierre à l’intérieur de toi-même, et non pas en dehors. Ta pierre est une action, ta pierre est une pensée. Sur cette pierre ta maison est bâtie pour te défendre de toute sorte de souillure spirituelle. La pierre est ta foi qui est le fondement de l’Eglise. Si tu es pierre, tu seras dans l’Eglise, car l’Eglise est bâtie sur cette pierre. Si tu restes dans l’Eglise, les portes de l’enfer de prévaudront pas contre toi. Les ports de l’enfer sont les ports de la mort : les portes de la mort ne peuvent pas être les portes de l’Eglise. »

«Enitere ergo ut et tu petra sis. Itaque non extra te, sed intra te petram require. Petra tua actus est, petra tua mens est. Supra hanc petram aedificatur domus tua; ut nullis possit nequitiae spiritalis reverberari procellis. Petra tua fides est, fundamentum Ecclesiae fides est. Si petra fueris, in Ecclesia eris; quia Ecclesia supra petram est. Si in Ecclesia fueris, portae inferi non praevalebunt tibi. Portae inferi, portae mortis sunt: portae autem mortis, portae Ecclesiae esse non possunt.» 

PL 15 Col. 1694D


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