Or, nous pouvons affirmer, après l’étude approfondie et consciencieuse que nous avons faite des monuments historiques et doctrinaux des huit premiers siècles de l’Église, que l’évêque de Rome n’est point fondé à réclamer une autorité universelle; que cette autorité n’a de fondement ni dans la parole de Dieu, ni dans les lois de l’Église.

Le premier acte dont les partisans de la souveraineté papauté se sont autorisés, c’est la lettre écrite par saint Clément au nom de l’Église de Rome à l’Église de Corinthe. Ils ont prétendu qu’il l’avait écrite en vertu d’une autorité supérieure attachée à son titre d’évêque de Rome. Or, il est constant

  • que saint Clément n’était pas évêque de Rome, lorsqu’il écrivit aux Corinthiens ;
  • qu’il n’agit point, en cette circonstance, avec une autorité qui lui fût propre, mais au nom de l’Église de Rome et par charité.

La lettre signée par saint Clément a été écrite l’an 69 de Jésus-Christ, aussitôt après la persécution de Néron, qui eut lieu entre les années 64 et 68, comme tous les érudits en conviennent. Plusieurs savants, acceptant comme un fait indubitable que la lettre aux Corinthiens fut écrite lorsque Clément était évêque de Rome, en reculent la date jusqu’au règne de Domitien. En effet, Clément ne succéda à Anaclet sur le siège de Rome que la douzième année du règne de Domitien, c’est-à-dire l’an 93 de l’ère vulgaire, et tint ce siège jusqu’à l’an 102. Le témoignage d’Eusèbe ne peut laisser aucun doute sur ce point (Eusèbe, Hist. Eccl., liv. III, chap. II ; xiv ; xxxiv). On voit par la lettre elle-même qu’elle fut écrite après une persécution; si l’on prétend que cette persécution est celle de Domitien, il faut reculer la lettre jusqu’aux dernières années du premier siècle, puisque ce fut surtout dans les années 95 et 96 que la persécution de Domitien eut lieu. Or, il est facile de voir, par la lettre elle-même, qu’elle fut écrite avant cette époque, car on y parle des sacrifices judaïques comme existant encore dans le temple de Jérusalem. Or, le temple fut détruit avec la ville de Jérusalem par Titus, l’an 70 de l’ère vulgaire. La lettre fut donc écrite avant cette année. D’un autre côté, elle le fut après une persécution dans laquelle il y eut à Rome des martyrs très illustres. Or, il n’y en eut pas de cette sorte dans la persécution de Domitien. La persécution de Néron dura de l’année 64 à l’année 68. Il en résulte que la lettre aux Corinthiens ne put être écrite que l’an 69, c’est-à-dire, VINGT QUATRE ANS avant que saint Clément fût évêque de Rome.

En présence de ce simple calcul, que deviennent les considérations des partisans de la souveraineté papale sur l’importance de l’acte émanant du pape saint Clément ?

Quand on soutiendrait que la lettre de saint Clément fut écrite pendant son épiscopat, on ne pourrait rien en conclure, car cette lettre ne fut point écrite par lui en vertu d’une autorité supérieure et personnelle qu’il aurait possédée, mais par charité et au nom de l’Eglise de Rome. Écoutons à ce sujet Eusèbe : « Il existe de Clément une lettre admise unanimement ; elle est excellente et admirable; il l’écrivit au nom de l’Eglise des Romains à l’Église des Corinthiens, parmi lesquelles une grave discussion s’était élevée. Nous avons trouvé que, dans la plupart des Églises comme dans la nôtre, on avait coutume, de temps immémorial, de la lire. Hégésippe est un témoin très-complet de cette dissension qui s’était élevée, chez les Corinthiens, du temps de Clément (Eusèbe, Hist. Eccl., liv. III, chap. xvI.). »

Eusèbe revient plus loin sur la lettre de Clément et remarque encore qu’elle a été écrite au nom de l’Eglise des Romains (Ibid., chap. xxxvIII. ). Il ne pouvait dire d’une manière plus explicite que Clément n’avait pas agi en cette circonstance de sa propre autorité, en vertu d’un pouvoir qu’il aurait possédé individuellement. Rien dans cette lettre ne laisse soupçonner une telle autorité. Elle commence par ces mots : « L’Église de Dieu qui est à Rome à l’Église de Dieu qui est à Corinthe. » L’auteur parle du ministère ecclésiastique à l’occasion de plusieurs prêtres que les Corinthiens avaient rejetés contre toute justice ; il envisage ce ministère comme venant, en son entier, de la succession apostolique, et il n’attribue ni à lui ni à d’autres aucune primauté dans ce ministère.

On a tout lieu de croire que saint Clément fut le rédacteur de la lettre aux Corinthiens. Dès les premiers siècles, elle a été considérée comme son œuvre. Ce ne fut point à titre d’évêque de Rome qu’il l’écrivit, mais bien à titre de disciple des apôtres. Sans être chargé de gouverner l’Église de Rome, il avait été ordonné évêque par saint Pierre, et il avait été le compagnon de saint Paul dans plusieurs de ses courses apostoliques. Peut-être avait-il travaillé avec ce dernier apôtre à la conversion des Corinthiens. Il était donc naturel qu’il fût chargé de rédiger la lettre de l’Église de Rome à une Église dont il avait été un des fondateurs. Aussi Clément leur parle-t-il au nom des apôtres et surtout de saint Paul qui les avait enfantés à la foi. Alors même qu’il aurait écrit à titre d’évêque de Rome, on ne pourrait rien en inférer en faveur de son autorité. Saint Ignace d’Antioche, saint Irénée de Lyon, saint Denys d’Alexandrie, ont écrit des lettres à plusieurs Églises, et même à celle de Rome, sans prétendre pour cela à une autre autorité que celle qu’ils possédaient, comme évêques, de travailler partout à l’œuvre de Dieu.

On ne peut inférer, ni de la lettre elle-même, ni des circonstances dans lesquelles elle a été écrite, rien qui puisse faire considérer la démarche des Corinthiens comme une reconnaissance d’une autorité supérieure dans l’évêque ou dans l’Église de Rome, ni la réponse comme un acte d’autorité. Les Corinthiens s’adressaient à une Église où résidaient les collaborateurs de saint Paul, leur père dans la foi; et cette Église, par l’organe de Clément, l’engageait à la paix et à la concorde, sans la plus légère prétention à une autorité quelconque. On ne peut donc voir dans l’intervention de Clément aucune preuve en faveur de l’autorité prétendue des évêques de Rome. Clément a été le délégué du clergé de Rome en cette affaire, à cause de sa capacité, de la liaison qu’il avait eue avec les Corinthiens, de ses relations avec les apôtres et de l’influence qu’il avait à ces divers titres. Mais il n’agit point comme évêque de Rome, encore moins comme ayant autorité sur l’Église de Corinthe.

Un extrait du livre du père Wladimir Guettée, « la Papauté schismatique« .


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