VIES D’ASCÈTES ET DE PÈRES DU DÉSERT
L’Histoire lausiaque est, à la base, un ouvrage de Pallade de Galatie, rédigé en 418-419. Il raconte les premiers temps du monachisme chrétien en Égypte.
Table des matières
- PRÉAMBULE DE LA VIE DES SAINTS PÈRES. 1
- LAUSIAQUE DE PALLADIUS. 3
- I – ISIDORE. 7
- II – DOROTHÉE. 8
- III – POTAMIÈNE. 9
- IV – DIDYME. 9
- V – ALEXANDRA.. 10
- VI – LA VIERGE RICHE. 11
- VII – CEUX DE NITRIE. 12
- VIII – AMOUN LE NITRIOTE. 13
- IX – OR.. 14
- X – PAMBON.. 15
- XI – AMMONIUS. 16
- XII – BENJAMIN.. 17
- XIII – APOLLONIUS. 17
- XIV – PAESIUS ET ISAIE. 18
- XV – MACAIRE LE JEUNE. 19
- XVI – NATHANAËL. 19
- XVII – MACAIRE D’ÉGYPTE. 21
- XVIII – MACAIRE D’ALEXANDRIE. 23
- XIX – MOÏSE L’ÉTHIOPIEN.. 28
- XX – PAUL. 30
- XXI – EULOGE ET L’ESTROPIÉ. 30
- XXII – PAUL LE SIMPLE. 33
- XXIII – PAKHON.. 35
- XXIV – ETIENNE LE LIBYEN.. 37
- XXV – VALENS. 37
- XXVI – HÉRON.. 38
- XXVII – PTOLÉMÉE. 39
- XXVIII – UNE VIERGE DÉCHUE. 40
- XXIX – ÉLIE. 40
- XXX – DOROTHÉE. 41
- XXXI – PIAMOUN.. 41
- XXXII – PAKHÔME ET LES TABENNÉSIOTES. 42
- XXXIII – LE MONASTÈRE DES FEMMES. 44
- XXXIV – CELLE QUI JOUAIT LA DEMENCE. 45
- XXXV – JEAN DE LYCOPOLIS. 46
- XXXVI – POSIDONIUS. 48
- XXXVII – SÉRAPION.. 49
- XXXVIII – EVAGRE. 52
- XXXIX – PIOR.. 55
- XL – ÉPHREM… 56
- XLI – SAINTES FEMMES. 57
- XLII – JULIEN.. 57
- XLIII – ADOLIUS. 58
- XLIV – INNOCENT. 58
- XLV – PHILOROMUS. 59
- XLVl – MÉLANIE L’ANCIENNE. 60
- XLVII – CHRONIUS PAPHNUCE. 61
- XLVIII – ELPIDIUS. 64
- XLIX – SISINNIUS. 65
- L – GADDANAS. 65
- LI – ELIE. 66
- LII – SABAS. 66
- LIII – ABRAMIUS. 66
- LIV – ENCORE LA SAINTE MÉLANIE. 66
- LVI – OLYMPIADE. 68
- LVII – CANDIDE ET GÉLASIE. 69
- LVIII – CEUX D’ANTINOÉ. 69
- LIX – AMMA TALIS ET TAOR.. 70
- LX – UNE VIERGE ET COLLUTHUS LE MARTYR.. 71
- LXI – MELANIE LA JEUNE. 71
- LXII – PAMMACHIUS. 72
- LXIII – VIERGE QUI ACCUEILLIT LE BIENHEUREUX ATHANASE. 73
- LXIV – JULIENNE. 73
- LXV – HISTOIRE D’HIPPOLYTE. 74
- LXVI VÉRUS L’EX-COMTE. 74
- LXVII – MAGNE. 75
- LXVIII – LE MOINE COMPATISSANT. 75
- LXIX – VIERGE DÉCHUE ET REPENTIE. 76
- LXX – LECTEUR CALOMNIÉ. 76
- LXXI – LE FRÈRE QUI EST AVEC LOI 77
PRÉAMBULE DE LA VIE DES SAINTS PÈRES
En ce livre il a été consigné par écrit la vertueuse ascèse et l’admirable régime de vie des bienheureux et saints pères, moines et anachorètes du désert : c’est pour seconder l’émulation, l’imitation de ceux qui veulent réaliser le genre de vie céleste et qui sont décidés à marcher dans la route qui conduit au royaume des cieux: en second lieu, les souvenirs de femmes âgées et d’illustres mères inspirées de Dieu, qui, avec des sentiments virils et parfaits, sont venues à bout des luttes de l’ascèse vertueuse : c’est pour fournir un modèle et un objet de passion à celles qui veulent
ceindre la couronne de la continence et de la chasteté. En voici la cause : un homme, tout à fait supérieur, ayant beaucoup acquis en fait de science, pacifique de caractère, pieux de cœur, religieux de pensée, libéral envers ceux qui manquent des choses nécessaires, préféré pour le faîte même des dignités à beaucoup d’hommes d’élite à cause de l’excellence de ses mœurs, gardé en tout par la puissance de l’esprit divin, nous l’a commandé, ou plutôt, s’il faut dire le vrai, il a excité notre paresseux esprit à la contemplation de ce qui est mieux, pour porter à l’imitation et à la rivalité avec les vertus de l’ascèse de nos saints et immortels pères spirituels et de ceux qui, dans leur envie de plaire à Dieu, ont vécu dans une mortification intense du corps. De la sorte, après avoir consigné par écrit les vies des athlètes invincibles, nous les lui avons envoyées, en proclamant bien haut les vertus manifestes de chacun de ces grands personnages. Or celui qui s’est épris de ce désir divin et inspiré, c’est Lausus, le meilleur des hommes et après
la faveur de Dieu, le gardien préposé au religieux et pieux empire. Donc moi, mal instruit dans la langue, ayant touché en quelque sorte superficiellement à la science spirituelle, indigne de dresser la liste des saints pères de la vie spirituelle, effrayé de l’infinie grandeur de cette injonction qui est au-dessus de moi, j’avais de la peine à me soumettre à cet ordre, qui réclamait beaucoup de sagesse profane et d’intelligence spirituelle. Pourtant plein de respect d’abord pour la ferveur de la vertu de celui qui avait éveillé notre attention à cette injonction, ayant calculé d’autre part l’utilité des lecteurs, ayant craint ensuite le danger d’un refus fondé en raison, après avoir consacré d’abord à la Providence la noble commande et usé dune application considérable, muni d’ailes par l’intercession des saints pères, j’ai pénétré dans les stades de l’arène et j’ai décrit, dans une sorte d’abrégé, seulement les principaux combats et prodiges des nobles athlètes et grands hommes, non seulement d’hommes célèbres qui ont réalisé la vie la meilleure) mais encore de femmes bienheureuses et distinguées qui ont pratiqué la vie supérieure.
Et des uns, j’ai été jugé digne de voir d’une vue personnelle les figures augustes; quant aux autres qui ont trouvé leur perfection dans l’arène de la
piété, j’ai appris par des athlètes du Christ inspirés de Dieu leur genre de vie céleste. Puis, ayant en circulant parcouru beaucoup de villes et un très grand nombre de villages, toute grotte, toutes les lentes des moines du désert, dans un voyage à pied, avec un dessein de piété envers Dieu, en toute exactitude, j’ai décrit ce que j’ai visité moi-même; d’autre part, j’ai signalé dans ce livre ce que j’ai entendu dire aux saints pères, les combats de grands hommes et de femmes plus viriles que leur naturel à cause de leur espérance dans le Christ. (Le tout,) je l’ai envoyé à tes oreilles qui aiment les sentences divines, ô toi, gloire d’hommes excellents et aimant Dieu, ornement du très fidèle et religieux empire, noble serviteur de Dieu et cher au Christ, Lausus. J’ai gravé, dans la mesure de la petitesse qui est en moi, le nom insigne de chacun des athlètes du Christ, mâles et femelles; entre des luttes nombreuses et tout à fait grandioses, je n’en ai exposé, pour chacun, que quelques-unes et de fort courtes; j’ai ajouté, pour la plupart, leur nation, leur ville et le lieu de leur résidence.
Puis, nous avons l’ait mention d’hommes et de femmes qui ont réalisé la vertu d’une façon éminente, mais qui, à cause de la mère de la superbe, celle qu’on appelle la vaine gloire, ont été entraînés dans l’extrême gouffre et au fond de l’enfer : les mérites de l’ascèse, qu’ils avaient acquis à la suite de longues périodes et
de beaucoup de labeurs par leurs désirs et leurs luttes, ont été dissipés en une minute par les fumées de l’orgueil et l’amour-propre. Mais par la grâce de notre Sauveur, par la prévoyance des saints pères et la compassion d’entrailles spirituelles, ils ont été arrachés aux filets du diable, et par les prières des saints, ils ont recouvré leur vie vertueuse antérieure.
TRANSCRIPTION D’UNE LETTRE ECRITE
PAR PALLADIUS ÉVÊQUE À LAUSUS LE PRÉPOSÉ
J’estime heureux ton dessein. C’est justice en effet de commencer cette lettre par des félicitations, parce que, pendant que tous sont bouche béante pour les vanités et emploient pour édifier des pierres dont ils n’ont pas à se réjouir, toi-même tu veux qu’on t’enseigne des paroles d’édification. Certes le Dieu de l’univers est seul à ne pas recevoir d’enseignement, parce qu’il est son principe à lui-même et n’a pas d’autre avant lui. Mais tout le reste reçoit l’enseignement, parce que produit et créé. Les premiers ordres ont pour docteur la Trinité suprême, les seconds apprennent des premiers, les troisièmes des seconds,
et ainsi de suite par ordre jusqu’aux derniers. En effet les supérieurs en connaissance et en vertu instruisent dans la science les inférieurs. Par conséquent ceux qui croient n’avoir pas besoin de docteurs ou qui n’obéissent pas à ceux qui les instruisent avec charité, sont malades d’ignorance, la mère de la superbe. Viennent en tête pour leur perte ceux qui à cause de la même passion ont été déchus du séjour céleste, les démons qui volent dans l’air après avoir fui leurs docteurs des cieux. C’est que les mots ou les syllabes ne sont pas l’enseignement, et quelquefois même appartiennent à ceux qui sont vils au possible. Au contraire d’enseignement), ce sont les actes de droiture du caractère, l’absence d’humeur chagrine, l’intrépidité, la bravoure, le calme, la franchise en tout, celle-là même qui engendre les discours comme une flamme de feu. Car si cela n’était pas, le grand Docteur n’aurait pas dit à ses disciples : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur » Matth., ). Il ne style pas les apôtres au langage élégant, mais à la circonspection du caractère, ne chagrinant personne, excepté ceux qui haïssent le Verbe et qui haïssent des docteurs. En effet, il faut que l’âme qui s’exerce selon Dieu ou bien apprenne fidèlement ce qu’elle ne sait pas, ou bien enseigne clairement ce qu’elle sait. Mais si elle ne veut pas l’un des deux, le pouvant, elle est malade de folie. Car c’est un commencement
d’apostasie que le dégoût de renseignement et l’inappétence de la parole, dont a toujours faim l’âme de celui qui aime Dieu. En conséquence, sois fort, sois en santé, sois courageux, et que Dieu te fasse la grâce d’atteindre à la science du Christ.
LAUSIAQUE DE PALLADIUS
Beaucoup ont laissé à leur siècle des écrits nombreux et variés concernant diverses époques. Les uns, sous une inspiration de la grâce d’en haut qui est un don de Dieu, visaient l’édification et la sauvegarde de ceux qui suivent par motif de foi la doctrine du Sauveur. Les autres, dans un dessein pervers de plaire aux hommes, ont fait des folies d’exubérance, pour encourager ceux qui ont des envies de vaine gloire; puis d’autres, sous l’influence d’une sorte de manie et d’une intervention du démon qui hait le bien, par orgueil et par fureur, en vue de perdre les hommes à l’esprit léger et de souiller l’église catholique immaculée, se sont portés sur les pensées des insensés en ressentiment contre la vie sainte. J’ai eu aussi mon
projet, dans mon humilité, dans mon respect, ô homme très studieux, pour l’injonction de ta magnanimité, laquelle vise le progrès de l’âme, alors que je passe une trente-troisième année, apparemment, du régime des frères et de la vie monastique, une vingtième d’épiscopat et une cinquante-sixième de vie totale, et alors que tu désires des relations détaillées sur les pères, hommes et femmes, que j’ai vus, dont j’ai entendu parler, que j’ai fréquentés dans le désert d’Egypte, en Libye, en Thébaïde, à Syène au-dessous de laquelle sont ce qu’on appelle les Tabbenésiotes, puis en Mésopotamie, en Palestine, en Syrie et dans les parties de l’occident, à Rome, en Campanie et dans les régions alentour : c’est, en prenant les choses dès le début, de mettre au jour à ton intention, sous forme de narration, le petit livre que voici. Mon but, c’est qu’ayant là un mémento vénérable et salutaire à lame et un remède incessant contre l’oubli, tu te débarrasses, grâce à lui, d’une part? de tout assoupissement qui proviendrait d’une convoitise déraisonnable, et, d’autre part, de toute indécision et ladrerie dans les choses nécessaires, de toute paresse et pusillanimité dans ce qui regarde le caractère, d’aigreur de sentiment, de trouble, de chagrin et de crainte déraisonnable, en même temps que de la surexcitation du inonde, et qu’alors, avec un désir incessant, tu progresses dans ta résolution de piété. Tu deviendras un guide pour toi-même, pour ceux qui sont avec toi
et sous toi, et pour les très pieux empereurs; car c’est au moyen de ces œuvres méritoires que tous les amis du Christ s’empressent de s’unir à Dieu. Tu attendras aussi la délivrance de l’âme chaque jour, selon ce qui est écrit : « Il est bon de s’en aller et d’être avec le Christ » (Philipp. , ), et ceci : « Tiens prêtes tes œuvres pour le départ, et prépare-toi sur ton champ » (Prov. , = LXX : , ). En effet, qui se souvient toujours de la mort, qu’elle viendra fatalement et ne tardera point, n’aura pas de grandes défaillances; il ne se trompe pas sur la base des prescriptions et il n’est pas porté à conspuer la simplicité et l’inélégance de l’expression. Car ce n’est certes pas l’affaire de l’enseignement divin de parler avec raffinement, mais de persuader l’esprit avec des concepts de vérité, selon ce qui a été dit : « Ouvre ta bouche à la parole de Dieu » (Prov. , = LXX : , ), et encore : « Ne te détourne pas de ce que racontent les vieillards, et en effet eux aussi ont appris de leurs pères » Eccli. , .
Or donc, ô homme de Dieu très studieux, moi, suivant en partie cette sentence, j’ai été en contact avec un grand nombre de saints. Ce n’a pas été par manière d’acquit, par suite d’un calcul subsidiaire. Mais avant effectué une marche de trente jours et de deux fois autant, après avoir en quelque sorte, en présence de Dieu, parcouru dans un trajet à pied toute la terre des Romains, je me suis accommodé des mauvaises conditions du voyage, en vue de rencontrer un homme aimant
Dieu, afin de gagner ce que je n’avais pas. Car si Paul, qui, bien meilleur que moi, m’a surpassé par sa vie, sa science et sa foi, s’est ménagé son émigration de Tarse en Judée pour rencontrer Pierre, Jacques et Jean; s’il le raconte en manière de vanterie; s’il inscrit sur colonne ses labeurs pour stimuler ceux qui vivent dans la paresse et l’oisiveté, en disant: « Je suis monté à Jérusalem voir Céphas » Gal. I, : s’il ne se contente pas du renom de sa vertu, mais s’il désire vivement encore la rencontre de son visage : combien davantage moi, le débiteur de dix mille talents, je devais exécuter ceci, ne leur faisant pas du bien, mais étant utile à moi-même. Et en effet ceux qui ont écrit les vies des pères, Abraham et les suivants, Moïse, Elie et Jean, les ont racontées non pas pour les glorifier, mais encore pour être utiles à ceux qui liront.
Eh bien, ô Lausus, très fidèle serviteur du Christ, puisque tu sais cela et que lu te prêches toi-même, endure en plus notre bavardage en vue de garder ta pensée dans la piété : elle est naturellement exposée à des fluctuations sous l’action des différentes malices visibles et invisibles; mais elle peut rester dans le calme, grâce seulement à une prière continuelle et à la préoccupation de ses intérêts. Car beaucoup
d’entre les frères, infatués de labeurs et d’aumônes, se targuant de célibat ou de virginité et ayant placé leur confiance dans une méditation de sentences divines et dans des pratiques de zèle, ont perdu de vue l’impassibilité, par manque de discernement, sous prétexte de piété : ils ont eu la maladie de certaines curiosités, et de là naissent des entreprises compliquées ou des activités coupables, qui éloignent l’habitude de bien faire, mère de l’application qu’on doit à ses intérêts personnels.
C’est pourquoi, je t’en supplie, montre du courage, en n’entassant pas grassement la richesse; aussi bien c’est ce que tu as fait. Tu l’as amoindrie suffisamment, en la distribuant à ceux qui ont besoin, à cause du service qui en revient pour la vertu. Tu n’as point, dans quelque impulsion, dans une présomption déraisonnable, pour plaire aux hommes, entravé d’un serment ta détermination, ainsi que l’ont éprouvé quelques-uns qui après avoir, par rivalité, pour la gloriole de ne pas manger ou boire, asservi leur libre arbitre à la contrainte du serment, y ont ensuite manqué lamentablement, par attachement à
la vie, par découragement et par volupté, et ont ressenti les douleurs du parjure. En conséquence, si par raison tu prends une part et si par raison tu t’abstiens, tu ne pécheras jamais. 0 C’est qu’en nous, parmi les émotions, la raison, qui est divine, d’un côté, bannit les choses nuisibles, d’un autre coté, elle accepte ce qui est assez avantageux. « Pour le juste », en effet, « la loi n’est pas établie » (Tim. , ). Car l’action de boire du vin avec raison est chose meilleure que l’action de boire de l’eau avec orgueil. Et regarde-moi comme des hommes saints ceux qui ont bu du vin avec raison, et comme des hommes profanes ceux qui ont bu de l’eau sans raison, et ne blâme plus ni ne loue plus la matière, mais proclame ou heureuse ou malheureuse l’intention de ceux qui usent bien ou mal de la matière. Jadis Joseph but du vin chez les Egyptiens, mais il n’en éprouva aucun dommage d’esprit, car il prit ses sûretés dans sa pensée. D’autre part, Pythagore but de l’eau, ainsi que Diogène et Platon, et entre autres les Manichéens et le reste de la corporation des prétendus philosophes: et par leur intempérance, ils en arrivèrent à un tel degré de vaine gloire qu’ils méconnurent Dieu et adorèrent des idoles. Par ailleurs aussi, ceux qui accompagnaient l’apôtre Pierre touchèrent à l’usage du vin, au point que le Sauveur, leur maître, fut incriminé à cause de leur participation, alors que les Juifs disaient : « Pourquoi tes disciples ne jeûnent-ils pas. tout comme ceux de Jean? » (Marc, , ). Insultant encore les disciples avec des reproches, ils disaient : « Votre mettre mange et boit avec les publicains
et les pécheurs! » (Matth. , ). Or ils n’auraient pas repris à propos de pain et d’eau, mais il est évident que c’était à propos de mets et de vin. A son tour, le Sauveur disait à ceux-là, qui admiraient déraisonnablement l’action de boire de l’eau et blâmaient l’action de boire du vin : « Jean est venu dans une voie de justice, ne mangeant ni ne buvant » (Matth. , ), —évidemment des viandes et du vin. car sans les autres choses il n’eût pu vivre, — « et ils disent : Il a un démon. Le fils de l’homme est venu mangeant et buvant, et ils disent : Voilà un homme grand mangeur et buveur de vin, ami de publicains et de pécheurs » (Matth. , ,), à cause du manger et du boire. Qu’allons-nous donc, faire? Ne nous attachons ni à ceux qui blâment ni à ceux qui louent; mais ou bien jeûnons raisonnablement avec Jean, quand même on dirait : Ils ont un démon ; ou bien, avec Jésus, buvons du vin avec sagesse, si le corps en a besoin, quand même on dirait : Voilà des hommes gloutons et ivrognes. Car ni l’action de manger n’est quelque chose en réalité ni l’abstention, mais c’est la foi qui par la charité s’étend aux œuvres. En effet, lorsque la foi accompagne toute sorte d’action, qui mange et boit à cause de la foi n’est pas condamnable, « car tout ce qui ne vient pas de foi est péché » (Rom. , ). Mais lorsque tout un chacun de ceux qui pèchent dira prendre part ou faire quelque autre chose par foi avec
une conviction déraisonnable et une conscience corrompue, le Sauveur a distingué en disant : « D’après leurs fruits vous les reconnaîtrez » (Matth. , ). Or, que le fruit de ceux qui se gouvernent par raison et intelligence soit, selon le divin apôtre, « charité, joie, paix, longanimité, bénignité, bonté, foi. mansuétude et tempérance » (Gal. , ), c’est une chose avouée. Car Paul lui-même disait : « Le fruit de l’esprit est » ceci et cela. Mais parce que celui qui cherche à avoir de tels fruits ne mangera pas déraisonnablement, sans but et à contretemps de la viande, ne boira pas de vin et n’habitera pas avec une conscience mauvaise, le même Paul disait ceci encore : « Tout homme qui combat a de la tempérance en tout » ( Cor. , 0). D’une part, quand la chair est en santé, il s’abstient des choses engraissantes; d’autre part, quand elle est souffrante ou dolente ou en relation avec des chagrins et des conjonctures fâcheuses, il usera d’aliments et de boissons comme de remèdes pour la guérison des affligés, et il s’abstiendra de choses nuisibles relativement à l’âme, colère, haine, vaine gloire, morosité, détraction et soupçon déraisonnable, en rendant grâce dans le Seigneur.
C’est pourquoi ayant discuté là-dessus suffisamment, j’apporte encore à ton désir d’apprendre une autre exhortation. Fuis, autant que c’est ton pouvoir, les rencontres des hommes qui n’ont aucune
utilité et qui soignent leur peau d’une manière incohérente, quand même ils seraient orthodoxes, du moins non hérétiques en quelque chose : ils font du tort par leur hypocrisie, quand même ils semblent par des cheveux blancs ou des rides traîner longueur de temps. Car, à supposer que tu ne subisses aucun dommage de leur part à cause de la générosité de ton caractère, certes, en te moquant d’eux, tu seras pour le moins rendu insolent ou tu t’enorgueilliras, ce qui est pour toi un dommage. D’un autre côté, par-delà une fenêtre lumineuse, poursuis de saintes rencontres d’hommes et de femmes, afin que par eux, tout comme + en des livres écrits en petits caractères +, tu puisses voir clairement aussi ton cœur, et que tu puisses par la comparaison évaluer ta mollesse ou ta négligence. En effet, la couleur des visages florissante sous les cheveux blancs, la disposition des vêtements, la modestie des discours, la retenue des expressions et la grâce des pensées te réconforteront, quand même tu te trouverais en découragement. « Car le vêtement d’un homme, l’allure du pas et le rire des dents renseigneront sur lui, » ainsi que le dit la Sagesse (Eccli. , 0).
Or donc ayant commencé ces récits, je ne vais pas laisser de côté, inconnus de toi dans mon discours, ceux des villes ni ceux des villages ou des solitudes. Car ce qui est recherché, ce n’est pas le lieu où ils ont habité, mais le sens de leur plan de vie.
I – ISIDORE
La première fois que je mis le pied dans la ville des Alexandrins, lors du second consulat de Théodose, le grand empereur, qui subsiste maintenant parmi les anges à cause de sa foi au Christ!, je rencontrai dans la ville un homme admirable, distingué sous tous rapports dans ses mœurs et dans sa science, Isidore, prêtre, qui était administrateur d’hôpital de l’église des Alexandrins. On disait que les premières luttes de la jeunesse, il les avait menées à bien dans la solitude, et j’ai même vu sa cella dans la montagne de Nitrie. Mais quand je le rencontrai, c’était un vieillard de soixante-dix ans, qui, après avoir survécu quinze autres années, termine alors ses jours en paix. Jusqu’à cette fin, il ne porta point de linge, excepté un bandeau de tête, il n’eut pas de contact avec un bain, il ne prit pas une part de viande. Il avait un petit corps, façonné par la Grâce, tel que tous ceux qui ignoraient
son régime s’imaginaient qu’il passait son existence dans la bonne chère. Supposé que je veuille rapporter en particulier les vertus de son âme, le temps me manquera. Lui, il était si humain et si pacifique que même ses adversaires, les incroyants, révéraient son ombre à cause de son extrême bonté. Or il eut une telle science des saintes écritures et des préceptes divins que, même dans les repas des frères, il avait des absences d’esprit et restait muet. Et quand on le priait de raconter les détails de son extase, il disait ceci : « Je suis parti en voyage par la pensée, ravi par une contemplation. » Pour moi, je sais qu’il a souvent pleuré à table, et lui ayant demandé la cause de ses larmes, je l’ai entendu dire ceci : « J’ai honte de prendre part à une nourriture déraisonnable, moi étant raisonnable, destiné à vivre dans un paradis de délices en vertu du droit qui nous a été donné par le Christ. » Connu de tout le Sénat à Rome et des femmes des grands de l’Etat, lorsqu’il y était allé avec l’évêque Athanase d’abord, et depuis avec l’évêque Démétrius, ayant du superflu par sa fortune et par abondance des choses nécessaires, il n’écrivit pas de testament en mourant, ne laissa ni numéraire ni objet à ses propres sœurs qui étaient des vierges. Mais il les recommanda
au Christ en disant : « Celui qui vous a créées pourvoira à votre vie, comme (il l’a fait) pour moi. » Or il y avait avec ses sœurs une communauté de soixante-dix vierges.
Etant encore jeune, je m’adressai à lui et le priai de m’incorporer dans la vie de solitude. Attendu que mon âge était en pleine effervescence, et n’avait pas besoin de discours, mais de fatigues pour la chair, comme un brillant dompteur de poulains, il m’emmena hors de la ville dans les endroits qu’on appelait érémitiques, à cinq milles de distance.
II – DOROTHÉE
M’ayant remis à Dorothée, un ascète thébain qui passait une soixantième année dans sa grotte, il m’ordonne aussi de faire trois années complètes près de lui en vue de dompter mes passions ; car il savait que le vieillard vivait avec une grande austérité. Puis, il m’enjoignit de m’en retourner vers lui, à cause de l’instruction spirituelle. Mais n’ayant pu faire complètement mes trois ans, étant tombé de faiblesse, je fus de la sorte, avant les trois (ans), séparé de Dorothée : c’est que son régime était accablant de chaleur et très sec. En effet, durant tout le jour, à la chaleur,
dans le désert le long de la mer, il ramassait des pierres, et les disposant toujours en bâtisse et en faisant des cellas, il les cédait à ceux qui ne pouvaient pas bâtir: tous les ans, il achevait une cella. Et comme je lui avais dit, un jour : « Père, que fais-tu, en tuant dans une si grande vieillesse ton pauvre corps au milieu des chaleurs? » il répondit en disant : « Il me tue, je le tue ». Il mangeait en effet six onces de pain et une chaînée de légumes à tige effilée, et il buvait la quantité d’eau suffisante. Devant Dieu qui m’est témoin, je n’ai pas connaissance qu’il ait étendu les pieds, ni dormi sur une natte de jonc, ni sur un lit; mais durant toute la nuit, en étant assis, il tressait de la corde en feuilles de palmiers, en raison de sa nourriture. Or, m’étant imaginé que c’était devant moi seul qu’il faisait cela, j’appris avec plaisir en questionnant minutieusement aussi d’autres de ses disciples qui demeuraient à part, ceci : dès sa jeunesse, il eut cette manière de vivre, n’ayant jamais dormi délibérément, si ce n’est qu’occupé à quelque chose ou en train de manger, il en est venu à fermer l’œil, terrassé par le sommeil; de la sorte, souvent le pain lui tombait de la bouche au moment de manger, par excès d’assoupissement. Comme je le contraignais une fois de se laisser tomber un petit moment sur sa natte, il me disait, un peu
contristé : « Si tu arrives à persuader les anges de dormir, tu persuaderas aussi l’homme rempli de zèle ». Dans son puits, vers l’heure de none. il m’envoya un jour remplir sa cruche, en vue d’y goûter pour l’heure de none. Or il se trouva qu’étant parti je vis dans le puits, au fond, un aspic, et je ne puisai plus l’eau ; mais m’en étant allé, je lui dis ceci : « Nous sommes morts, abbé; car j’ai vu un aspic dans le puits. » Alors, ayant souri, il me regarda longuement avec gravité, et ayant branlé la tête il disait : « S’il vient à plaire au diable de se changer dans tout puits en serpent ou en tortue, et de tomber dans les sources d’eau, est-ce que tu restes sans jamais boire? » Et étant sorti et avant puisé par lui-même, il en avala d’abord à jeun après avoir dit : « Où la croix vient à passer, la malice de quoi que ce soit n’a pas d’efficacité. »
III – POTAMIÈNE
Ce bienheureux Isidore, qui s’est rencontré avec Antoine le bienheureux, m’a raconté ce fait digne
d’être écrit, l’ayant appris de lui. C’est qu’une certaine Potamiène, ainsi appelée, au temps de Maximien le persécuteur, jeune fille très belle, se trouvait la servante d’un individu. Son maître, après l’avoir obsédée par de nombreuses promesses, ne put la convaincre. Or à la fin, furieux, il la remet au préfet d’Alexandrie d’alors. La lui ayant donnée, livrée comme chrétienne et blasphémant son temps et les empereurs à propos des persécutions, il lui suggéra avec de l’argent ceci : « Si elle s’arrange de mon dessein, garde-la sans la punir. » Mais si elle persistait dans sa rigueur, il demanda de la punir, afin qu’elle ne se moquât plus vivante de son libertinage. Or, quand elle eut été amenée devant le tribunal, on ébranlait comme une tour sa résolution avec divers instruments de supplices. Parmi ces instruments, le juge, ayant rempli de poix une grande chaudière, ordonna de mettre le feu par dessous. Donc la poix bouillonnant et s’enflammant avec violence, il se tourna vers elle. « Ou bien va-t’en, soumets-loi aux volontés de ton maître: ou bien il faut que tu
saches que je commande qu’on te verse dans la chaudière. » Alors elle répondit en disant : « Puisse ne jamais exister un pareil juge qui commande de se soumettre au libertinage. » Rendu furieux, il ordonne qu’on la dévête et qu’on la jette dans la chaudière. Mais elle élève la voix en disant : « Par la tète de ton empereur que tu crains, s’il a été décidé par toi de me punir de la sorte, ordonne qu’on me laisse descendre peu à peu dans la chaudière, afin que tu voies quelle patience me donne le Christ que tu méconnais. » Et descendue peu à peu. durant l’espace d’une heure, elle rendit l’âme quand la poix lui fut venue jusqu’au cou.
IV – DIDYME
Oui, certainement, un très grand nombre de tous ceux et de toutes celles qui arrivèrent à la perfection dans l’Eglise des Alexandrins, sont dignes de la terre
des doux. Parmi eux également il y a Didyme l’écrivain, celui qui devint privé de ses yeux. Avec lui, j’ai eu quatre rencontres séparées par des intervalles, en allant vers lui pendant dix ans. Car il finit ses jours à quatre-vingt-cinq ans. se trouvait sans yeux, connue lui-même me le raconta, ayant perdu la vue à quatre ans, n’ayant pas étudié d’écrits ni fréquenté de maîtres. C’est qu’il avait puissant le maître selon la nature, sa propre conscience. Il a été orné d’une telle grâce de science que, d’après ce qu’on raconte, s’accomplit sur lui ce qui est écrit : « Le Seigneur rend savants les aveugles » (Ps. , ). En effet il interpréta mot à mot l’Ancien et le Nouveau Testament. Et il s’appliqua tellement aux doctrines, exposant avec finesse et solidité son commentaire sur elles, qu’il surpasse en science tous les anciens. Or, lui me pressant un jour de faire une prière dans sa cellule et moi ne voulant pas, il disait, en me le racontant, ceci : « Dans cette cellule entra pour la troisième fois le bienheureux Antoine qui m’a rendu visite. Et invité par moi à faire une prière, immédiatement, il fléchit le genou dans la cellule et ne m’amena pas à répéter mon dire, m’ayant de fait donné une leçon dans cette obéissance. De sorte que si tu marches sur la trace de son observance, en tant que voué à la solitude et recevant l’hospitalité par motif de vertu, mets de côté la contestation. » Et il me raconta également ceci de cette façon :
« Songeant à la vie de Julien, l’empereur misérable étant persécuteur, j’étais découragé un jour et, jusqu’au soir avancé, je ne goûtai pas de pain à cause de cette préoccupation; il se trouva qu’étant assis sur ma chaise, je lus terrassé par le sommeil et je vis en extase des chevaux blancs accourant avec leurs cavaliers et proclamant : « Dites-le à Didyme ; aujourd’hui à la « septième heure Julien a fini. T’étant donc levé, mange « et informe, disent-ils, l’évêque Athanase, afin que « lui aussi le sache. » Et, dit-il, je remarquai l’heure, le mois, la semaine et le jour, et cela fut trouvé conforme. »
V – ALEXANDRA
Et il me parla aussi d’une servante du nom d’Alexandra qui, ayant abandonné la ville et s’étant enfermée dans un sépulcre, recevait par une ouverture ce dont elle avait besoin, sans se rencontrer en face ni avec des femmes ni avec des hommes pendant dix ans.
Mais la dixième année, elle s’endormit dans la mort après s’être revêtue de l’habit monastique, de sorte que la personne qui allait la voir selon l’habitude et n’obtint pas de réponse, nous l’annonça. Eu conséquence, ayant démoli la porte et étant entrés, nous la trouvâmes morte. Or à propos d’elle, la très heureuse Mélanie, dont je parlerai plus tard, nous disait aussi ceci : « Je ne l’ai jamais vue en face, mais m’étant placée près de l’ouverture, je la priai de me dire la cause pour laquelle elle s’enferma dans ce sépulcre. Et par l’ouverture, elle lit entendre sa voix en me disant ceci : « Un homme s’est détraqué l’esprit à mon sujet, et pour ne point paraître l’affliger ou le décrier, j’ai mieux aimé m’introduire vivante dans ce sépulcre que de donner du scandale à une âme faite à l’image de Dieu ». Et moi, dit-elle, ayant dit : Comment donc supportes-tu de ne voir personne, mais au contraire de lutter contre l’ennui? Elle me dit ceci : « Depuis le matin jusqu’à l’heure de none, je prie heure par heure, en filant le lin. Quant aux heures qui restent, je repasse en esprit les saints patriarches, prophètes, apôtres et martyrs. Et après avoir mangé mon pain, je suis dans l’attente, les autres heures, en persévérant fidèlement, et prête à accepter la tin avec une délicieuse espérance. »
VI – LA VIERGE RICHE
Je ne laisserai pas non plus de côté dans ce récit ceux qui ont vécu avec mépris : c’est pour la louange de ceux qui sont restés dans le droit chemin et la mise en garde de ceux qui liront. Il y avait à Alexandrie une vierge humble d’extérieur, mais hautaine dans ses préférences, étonnamment riche en biens, mais n’ayant donné une obole ni à un étranger, ni à une vierge, ni à une église, ni à un pauvre. Malgré les nombreuses représentations des pères, elle ne se détachait pas des choses matérielles. Or il lui restait de la parenté : elle en adopte une fille de sa propre sœur, à qui de nuit et de jour elle promettait ce qu’elle possédait, étant déchue de l’envie du ciel. Car c’est aussi une forme de la tromperie du diable : il nous amène à souffrir des transes pour la cupidité, sous prétexte d’aimer nos parents. En effet, que lui-même ne se soucie pas d’une famille, puisqu’il nous apprend à tuer un frère, une mère et un père, c’est chose avouée. Mais quand même il semble inspirer de la sollicitude pour nos proches, il ne le fait point par dévouement pour eux, maison vue d’exercer l’âme à devenir injuste, sachant bien la sentence : « Les injustes n’hériteront pas du royaume de Dieu » (I Cor. , ). Cependant on peut, mû par un sentiment de prudence qui se rapporte à Dieu, sans négliger son âme,
donner assistance à ses proches, si du moins ils sont dans le besoin. Mais quand on subordonne son âme tout entière au souci de ses proches, on tombe sous la loi, en estimant son âme pour quelque chose de vain. Or le saint psalmiste chante ceci à propos de ceux qui s’occupent de leur âme avec crainte : « Qui montera à la montagne du Seigneur? » ; c’est pour dire : rarement. « Ou bien qui se tiendra dans son saint lieu à lui? Celui qui a les mains innocentes et le cœur pur, qui n’a pas reçu en vain son âme » (Ps. , , ). Car tous ceux-là reçoivent leur âme en vain, qui ont de la négligence pour les vertus, en croyant qu’elle se dissout avec la misérable chair.
Quant à cette vierge, le très saint Macaire. prêtre et administrateur de l’hospice des pauvres estropiés, ayant voulu, d’après certes ce qu’on dit, par une espèce de saignée l’alléger de son avarice, imagine l’expédient que voici; dans sa jeunesse, en effet, il était ouvrier en pierreries, ce qu’on appelle lapidaire. Et étant
sorti, il lui dit : « Des pierres sont tombées fatalement entre mes mains : ce sont des émeraudes et des hyacinthes, et je n’ai pas à dire si elles ont été trouvées ou volées. Elles ne sont pas livrées à leur valeur, étant au-delà d’ une estimation. Celui qui les a les met en vente pour cinq cents pièces de monnaie. S’il te plaît de les prendre, avec une seule pierre tu peux conserver tes cinq cents pièces de monnaie et utiliser les autres pour parer ta nièce. » La vierge tout en suspens est séduite et tombe à ses pieds, en disant : « A tes pieds, qu’un autre ne les prenne pas. » Il l’invite alors en ces termes : « Transporte-toi jusqu’à ma maison et regarde-les. » Or elle n’en eut pas la patience, mais elle lui jette les cinq cents pièces de monnaie en disant : « Comme tu le veux, obtiens-les; car pour moi. je ne veux pas voir l’homme qui les vend. » Or Macaire, ayant reçu les cinq cents pièces de monnaie, les donne pour les besoins de l’hospice des pauvres. Puis le temps ayant galopé, comme l’homme d’Alexandrie, rempli d’amour de Dieu et compatissant, paraissait avoir un grand crédit, — il fut en effet dans sa force jusqu’à cent ans, et nous-même avons passé quelque temps avec lui, — elle avait scrupule de le faire ressouvenir. Enfin l’ayant trouvé dans l’église, elle lui dit : « Je t’en prie, que décides-tu à propos de ces pierres pour lesquelles nous avons donné cinq cents pièces de monnaie? » Mais il répondit en disant :
« Dès le moment à partir duquel tu m’as donné ton or, je l’ai dépensé pour le prix des pierres. Et si lu veux venir et les voir dans l’hospice, car c’est là qu’elles sont, viens et vois, si elles t’ont plu: car autrement reprends ton or. » Et elle y alla bien volontiers. Or c’était l’hôpital des pauvres contenant des femmes pour l’étage supérieur et des hommes pour l’étage inférieur. Et l’ayant conduite, il l’introduit au portail et lui dit : « Que veux-tu voir d’abord, les hyacinthes ou les émeraudes? » Elle lui dit : « Ce qui te semble bon. » Il la fait monter à l’étage supérieur et lui montre des femmes mutilées, ayant des visages ravagés. Et il lui dit : « Voici les hyacinthes. » Et il la fait descendre ensuite en bas et lui dit, lui ayant montré les hommes : « Voici les émeraudes, s’il arrive qu’elles te plaisent; car autrement, reprends ton or. » Alors bouleversée elle sortit, et s’en étant allée, elle tomba malade du chagrin considérable de ce qu’elle n’avait pas fait cette chose-là selon Dieu. Plus tard elle remercia le prêtre, quand la jeune fille dont elle s’occupait mourut après un mariage sans enfants.
VII – CEUX DE NITRIE
Donc après m’être trouvé et avoir passé trois ans dans les monastères autour d’Alexandrie, avec des hommes excellents et très fervents, environ deux mille, m’en étant retourné de là, je vins à la montagne de Nitrie. Or entre cette montagne et Alexandrie est situé un lac qu’on appelle Maria, sur soixante-dix milles. L’ayant traversé en un jour et demi, je vins à la montagne sur la partie qui regarde le midi. A cette montagne est adjacent le grand désert qui s’étend jusqu’à l’Ethiopie, aux Maziques et à la Maurétanie. Sur cette montagne habitent environ cinq mille
hommes ayant des genres de vie différents, chacun comme il peut et comme il veut, de sorte qu’il est permis de demeurer seul, ou à deux, ou davantage. Sur cette montagne, il y a sept boulangeries, servant à la fois à ceux-là et aux anachorètes du grand désert qui sont six cents hommes. Ayant donc séjourné sur cette montagne une année, ayant reçu beaucoup de services des bienheureux pères Arsisius le Grand, Putubaste, Asion, Cronius et Sérapion, et stimulé par eux au moyen de récits nombreux sur des pères, je pénétrai dans le désert le plus intérieur. Sur cette montagne de Nitrie est une grande église dans laquelle se dressent trois palmiers ayant chacun un fouet suspendu. L’un est à l’intention des solitaires qui commettent une faute, l’autre pour les voleurs, si du moins il en tombe par là, un autre pour ceux qui viennent par hasard. Ainsi tous ceux qui bronchent et qui sont convaincus comme méritant des coups embrassent le palmier et reçoivent sur le dos les coups réglementaires: alors on les délivre. Puis à l’église est attenante une hôtellerie, dans laquelle on accueille l’étranger qui vient, jusqu’à ce qu’il s’en aille volontairement, tout le temps, quand même il demeurerait deux ou trois ans. Or après lui avoir concédé une semaine dans l’inactivité, les autres jours on l’attire à
des travaux ou de jardin ou de boulangerie ou de cuisine. Mais s’il mérite de la considération, on lui donne un livre, sans lui permettre de s’entretenir avec personne avant l’heure. Sur cette montagne également vivent des médecins et des pâtissiers. Puis ils usent aussi de vin et Ion vend du vin. D’un autre côté tous ces gens-là façonnent de leur mains du linge, de sorte que tous sont des personnes à qui rien ne manque. Et certes aussi vers l’heure de none, on peut se lever et écouter comment de chaque résidence les psalmodies s’échappent, en sorte qu’on croit être élevé dans le paradis. Quant à l’église, on l’occupe seulement le samedi et le dimanche. Huit prêtres desservent cette église où, tant que vit le prêtre qui est le premier, aucun autre ne célèbre, ne prêche, ne décide; mais ils ne font que siéger auprès de lui sans dire mot.
Cet Arsisius et beaucoup d’autres vieillards avec lui, que nous avons vus, furent contemporains du bienheureux Antoine. Parmi eux on me racontait avoir connu Amoun le Nitriote dont Antoine aperçut l’âme
emportée et guidée par les anges. Lui me disait également avoir connu Pakhôme le Tabennésiote, homme ayant don de prophétie et archimandrite de trois mille hommes, duquel je parlerai plus tard.
VIII – AMOUN LE NITRIOTE
Puis il me disait qu’Amoun vécut de cette façon-ci. que se trouvant orphelin, jeune homme d’environ vingt-deux ans, il fut uni de force à une femme par son propre oncle. Et n’ayant pu résister à la contrainte de cet oncle, il jugea bon de se laisser couronner et asseoir en chambre nuptiale et de supporter avec patience tout ce qui est relatif aux noces. Or, après que tous se furent retirés et qu’eux se furent couchés dans la chambre nuptiale et dans le lit, Amoun s’étant levé ferme à clef la porte et s’étant assis, il appelle près de lui la bienheureuse sa compagne et lui dit : « Ici, madame, pour ce qui reste je vais l’exposer l’affaire. Ce mariage que nous avons contracté ne contient rien d’extraordinaire. Agissons donc bien si à partir de maintenant chacun de nous dort à part, afin que nous plaisions encore à Dieu, ayant gardé intacte la virginité. » Et
ayant tiré de son sein à lui un petit livre au nom de l’Apôtre et du Sauveur, il le lisait à la jeune tille qui était sans expérience des Ecritures, et pour la plus grande partie ajoutant tout de sa propre pensée, il amenait la conversation sur la virginité et la chasteté; de sorte que celle-là, convaincue par la grâce de Dieu, dit : « Moi aussi, maître, me voilà convaincue. Et qu’or-donnes-tu pour l’avenir? » — « J’ordonne, dit-il, que chacun de nous dès maintenant demeure à part. » Mais elle ne le supporta pas, disant : « Demeurons dans la même maison, mais dans des lits différents. » Ayant donc vécu dix-huit ans avec elle dans la même maison, pendant chaque jour il vaquait au jardin et à la plantation de baumiers; car il était fabricant de baume. Ce baumier. qui croît à la façon d’une vigne, cultivé et ébranché, comporte beaucoup de travail. Donc, entrant le soir dans la maison, il faisait des prières et mangeait avec elle. Et ayant fait de nouveau une prière pour la nuit, il sortait. Cela s’accomplissant ainsi, et, tous deux étant parvenus à l’impassibilité, les prières d’Amoun produisirent leur effet et elle lui dit enfin : « J’ai à te dire quelque chose, mon maître. C’est pour que, s’il arrive que tu m écoutes, je sois convaincue que tu m’aimes selon Dieu. » Il lui dit : « Dis ce que tu veux. » Et elle lui dit : « C’est chose juste que toi étant homme et pratiquant la justice et que moi pareillement ayant recherché avec
zèle la même voie que toi, nous ayons demeure ù part; il est étrange, en effet, qu’habitant avec moi dans la chasteté, tu tiennes cachée une vertu aussi grande que la tienne. » Or après avoir rendu grâce à Dieu, il lui dit : « Eh bien, toi, aie cette maison-ci. Quant à moi, je me ferai une autre maison. » Et s’en étant allé, il atteignit le plus intérieur de la montagne de Nitrie; car alors il n’y avait encore pas de monastères. Puis il se fait deux voûtes pour cellules. Et ayant vécu vingt-deux autres années dans la solitude, il finit ses jours ou plutôt il s’endormit; il voyait deux fois l’an la bienheureuse sa compagne.
Le bienheureux Athanase l’évêque raconta un miracle de lui dans la vie d’Antoine : c’est que précisément traversant le fleuve Lycus avec Théodore son disciple, et ayant scrupule de se dévêtir pour qu’il ne le vît pas nu, il fut trouvé transporté de l’autre côté sans bac par un ange. Or donc cet Amoun vécut de telle sorte et se rendit parfait de telle sorte que le bienheureux Antoine vit son âme enlevée par des anges. Quant à ce fleuve, moi je l’ai traversé en bac avec appréhension; car c’est une décharge du grand Nil.
IX – OR
Sur cette montagne de Nitrie il y eut un homme ascète du nom d’Or. En faveur de sa vertu considérable toute la communauté des frères témoignait, mais éminemment la créature de Dieu, Mélanie, qui vint avant moi sur la montagne. Moi en effet je ne l’ai pas surpris vivant. Et on disait dans les entretiens ceci, c’est qu’il ne mentit jamais, ni ne jura, ni ne lit des imprécations contre quelqu’un, ni ne parla sans nécessité.
X – PAMBON
A cette montagne appartint aussi le bienheureux Pambon, maître des frères Dioscore l’évêque, Ammonius,
Eusèbe et Euthyme, et d’Origène, le neveu de Dracontius qui fut un homme admirable Ce Pambon avait des vertus héroïques et des qualités très considérables, et entre autres aussi ceci : il méprisait l’or et l’argent, autant que l’exige la Parole. En elfet la bienheureuse Mélanie me racontait ceci : « Dans les débuts, étant venue de Rome à Alexandrie et ayant entendu parler de la vertu de celui-ci, le bienheureux Isidore me l’ayant racontée et m’ayant conduite auprès de lui dans le désert, voici que je lui portai de l’argenterie pour trois cents livres d’argent, le priant d’avoir quelque part de mes biens. Mais lui, restant assis et tressant des feuilles de palmier, me bénit de la voix seulement et dit: «Que Dieu te donne la récompense. » Et il dit à son économe Origène : « Prends cela et administre-le pour la communauté des frères de Libye et des îles, car ces monastères-là sont plus pauvres. » Il lui enjoignit de ne donner à aucun de ceux d’Egypte, parce que la contrée est plus fertile. Or moi, dit-elle, debout et attendant d’être honorée ou glorifiée par lui à cause du don, n’ayant rien entendu de sa part, je lui dis : « Pour que tu saches, maître, combien il y a, il y a trois cents livres. » Mais lui n’ayant pas du tout levé la tête me
répondit : « Celui à qui tu l’as apporté, mon enfant, n’a pas besoin de poids. Lui, qui en effet pèse les montagnes, sait bien davantage la quantité de cet argent. Car à la vérité, si celait à moi que tu le donnais, tu faisais bien de me le dire ; mais si c’est à Dieu, qui n’a pas dédaigné les deux oboles, tais-toi. » Ainsi, dit-elle, se conduisit le maître, quand j’allai sur la montagne. Or, après un peu de temps, l’homme de Dieu meurt sans lièvre, n’ayant pas été malade, mais en cousant une corbeille, étant à soixante-dix ans. Il me fit appeler, et, la dernière piqûre étant près de s’achever, sur le point d’expirer, il me dit : « Reçois de mes mains cette corbeille, afin de te souvenir de « moi; car je n’ai pas quelque chose d’autre à te « laisser. » Et lui ayant fait sa toilette funèbre et ayant enroulé le corps avec des petits linges, elle le mit en terre. Et ainsi elle s’en revint du désert, gardant la corbeille avec elle jusqu’à sa mort.
Ce Pambon en mourant, à l’heure même de trépasser, parla, dit-on, en ces termes à ceux qui étaient présents, Origène, prêtre et économe, et Ammonius, homme très fameux, et à d’autres frères : « Depuis que je suis venu à cet endroit du désert, que je me suis bâti cette cella et que je l’ai habitée, je ne me souviens pas d’avoir mangé « du pain gratuitement » (II Thess. , ), en dehors de la provenance de mes mains. Je n’ai
pas eu à me repentira d’une parole que j’aie dite jusqu’à l’heure actuelle ; même ainsi je m’en vais à Dieu comme n’ayant pas commencé à être pieux. » Et Origène et Aminonius lui rendaient un témoignage de plus en nous racontant ceci : « Jamais quand on l’interrogeait sur une parole de l’Ecriture ou quelque autre sujet pratique, il ne répondit sur-le-champ, mais il disait : Je n’ai pas encore trouvé. Et souvent il se passa même trois mois et il ne donnait point de réponse, disant n’avoir pas mis la main dessus. Cependant on recevait comme de Dieu ses déclarations qui étaient pleines de circonspection selon Dieu. Car on disait qu’il eut même plus que le grand Antoine et plus que tous, cette vertu-ci, celle qui tend à la précision des termes. »
Puis on rapporte de Pambon le fait que voici; c’est que l’ascète Pior l’ayant abordé apporta son propre pain, et interpellé par lui : « Pourquoi as-tu fait cela? » il répondit : « Pour que je ne te fusse pas à charge », dit-il. Mais par son silence il lui donna une leçon formelle. En effet l’ayant abordé après du temps, il emportait son pain après l’avoir trempé, et interrogé il dit : « Pour que je ne te fusse pas à charge, je l’ai même trempé. »
XI – AMMONIUS
Ce disciple qu’il avait, Ammonius, avec trois autres frères et deux sœurs à lui, s’étant avancés au plus haut point de l’amour de Dieu, ont occupé le désert, et celles-là firent à par leur résidence et + eux + à part, de manière à être suffisamment éloignés les uns des autres. Or comme l’homme était excessivement érudit et qu’une ville s éprit de lui en vue d’un évoque, ils se rendirent auprès du bienheureux Timothée et le supplièrent de le leur ordonner pour évêque. Et il leur dit : Amenez-le moi, et je l’ordonne. Donc, dès qu’ils furent partis avec de l’aide et qu’il vit qu’il était pris, il les supplia et jura de ne pas accepter l’ordination et de ne pas sortir de la solitude. Et ils ne le lui accordèrent pas. Alors, eux le regardant, ayant pris des ciseaux il se trancha l’oreille gauche jusqu’à la
base, en leur disant : « Aussi bien, à partir de maintenant, soyez convaincus qu’il m’est impossible de le devenir, la loi interdisant qu’un homme à l’oreille coupée soit promu au sacerdoce. » L’ayant donc ainsi laissé libre, ils se retirèrent et ils partirent le dire à l’évêque. Et il leur dit : « Que cette loi soit observée chez des Juifs! Quant à moi, si vous m’apportez même un homme au nez coupé, digne par ses mœurs, je l’ordonne. » Etant donc partis de nouveau, ils le suppliaient ; et il leur jurait ceci : « Si vous me faites violence, je me coupe la langue. » En conséquence l’ayant ainsi laissé libre, ils se retirèrent.
De cet Ammonius on rapporte ce fait merveilleux : c’est que jamais, quand la volupté se réveillait chez lui, il n’épargna sa pauvre chair, mais ayant mis un fer au feu il l’appliquait contre ses membres, de sorte qu’il était tout ulcéré. Cependant sa table fut, dès sa jeunesse jusqu’il la mort, vouée aux aliments crus. En effet, hormis du pain, il ne mangea jamais rien de ce qui passait parle feu. Puis ayant appris par cœur l’Ecriture ancienne et nouvelle, il passa en revue, dans des écrits d’hommes savants, Origène, Didyme, Piérus et Etienne, six cents myriades, ainsi que lui rendent témoignage les pères du désert. Or, pour tous les
frères dans le désert, il était propre à les consoler, s’il y en a un au monde. C’est à lui que donnait ses suffrages le bienheureux Evagre, homme inspiré et habile à discerner, en disant ceci : « Je n’ai jamais vu un homme plus impassible que lui.»
Ayant été un jour dans la ville de Constantin par besoin,… après quelque temps il meurt et est enseveli dans le martyrium qu’on appelle Rufmien. On dit que son tombeau guérit tous ceux qui ont le frisson de la fièvre.
XII – BENJAMIN
Sur cette montagne de Nitrie, Benjamin, un homme ainsi nommé, ayant vécu pendant quatre-vingts ans et pratiqué l’ascétisme au plus haut degré, fut jugé digne du don des guérisons, de sorte que toute personne à qui il avait imposé la main ou donné de l’huile qu’il avait bénite, était débarrassée de toute infirmité. Or donc lui, qui avait été jugé digne d’un tel don, devint hydropique huit mois avant sa mort, et son corps s’enlla à un tel point qu’il paraissait
un autre Job. Cela étant, Dioscore l’évêque et il était alors prêtre de la montagne de Nitrie, nous avant pris, moi et le bienheureux Evagre, nous dit : « Venez voir un nouveau Job qui, dans une si grande enflure de corps et une maladie incurable, garde en sa possession une reconnaissance sans mesure. » Etant donc partis nous vîmes une enflure de corps si grande que les doigts d’un autre ne pouvaient embrasser un doigt de sa main. Or ne pouvant fixer nos regards sur l’étrangeté de cette maladie, nous détournâmes les yeux. Alors ce bienheureux Benjamin nous dit : « Priez, enfants, afin qu’en moi l’homme intérieur ne devienne pas hydropique. Car ni celui-ci, se portant bien, ne m’a servi, ni, étant malade, ne m’a causé dédommage. » Donc pendant les huit mois une litière à deux personnes très large était dressée, sur laquelle il était assis sans cesse, ne pouvant plus être remonté sur un lit, à cause du reste des besoins. Et étant dans cette affection, il guérissait les autres. Quoi qu’il en soit, j’ai raconté en détail, forcément, cette maladie, afin que nous ne soyons pas déconcertés lorsqu’il arrive aux hommes justes quelque contretemps. Or quand il fut mort, les seuils de la porte furent enlevés ainsi que les montants, afin que le corps put être emporté de la maison, tellement était grande l’enflure.
XIII – APOLLONIUS
Un certain Apollonius de nom, ex-négociant, ayant renoncé au monde et habité la montagne de Nitrie, ne pouvant apprendre ni un art ni le métier de l’écriture à cause qu’il était avancé en âge, vécut sur la montagne vingt ans et eut cette occupation. Achetant à Alexandrie de ses biens particuliers et de ses travaux familiers toutes sortes d’objets médicaux ou de cellule, il les fournissait à toute la communauté des frères dans les maladies. Et il était possible de le voir du matin jusqu’à l’heure de none, circulant à travers les monastères, entrant à chaque porte, de peur que quelqu’un ne soit alité. Or il portait des raisins secs, des grenades, des œufs, des pains de fleur de farine, ce dont les débilités ont besoin, ayant trouvé pour sa vieillesse ce genre de vie qui lui était avantageux. En mourant il laissa ses drogues à un pareil à lui, après l’avoir exhorté à remplir le même office. C’est que cinq mille moines habitant la montagne, il était besoin aussi de cette surveillance-là, parce que l’endroit est désert.
XIV – PAESIUS ET ISAIE
Paësius, un autre, et Isaïe — on les appelait ainsi, — frères, avaient pour père un marchand espagnol. Le père étant mort, ils se partagèrent ce qui existait dans des immeubles qu’ils eurent, ce qui fut trouvé, d’une part, en cinq mille pièces de petite monnaie, d’autre part, en vêtements et en domestiques. Ils en firent la revue l’un avec l’autre et ils se consultent entre eux. en disant : « Vers quelle règle de vie nous faut-il aller, frère? Si nous allons au commerce que notre père a suivi, nous aussi nous avons à laisser nos labeurs à d’autres. Et peut-être même succomberons-nous aux risques des voleurs ou de la mer. Eh bien, voici, allons à la vie monastique, afin que nous mettions à profit les biens de notre père et que nous ne perdions pas nos âmes. » Le but de la vie monastique leur plut donc. Mais ils se trouvèrent en divergence l’un par rapport à une chose, l’autre par rapport à une autre. C’est que s’étant partagé les biens, ils s’appliquaient chacun au dessein de plaire à Dieu, mais par une tactique opposée. L’un, ayant tout éparpillé sur des centres d’ascétisme, des églises et des prisons, ayant appris un métier d’où il se
procurerait le pain, s’appliqua à lasers et à la prière. Quant à l’autre, n’ayant rien dissipé, mais s’étant fait un monastère et adjoint quelques frères, il recueillait tout étranger, tout infirme, tout vieillard, tout pauvre, dressant trois ou quatre tables le dimanche et le samedi : c’est ainsi qu’il dépensa ses richesses.
Or tous deux étant morts, différents éloges funèbres se faisaient d’eux, comme de deux personnages accomplis ; et aux uns plaisait celui-ci, aux autres celui-là. Une discussion étant donc tombée dans la communauté des frères sur ces éloges, ils partent vers le bienheureux Pambon et ils lui soumettent le différend, en demandant à apprendre le genre de vie qui était supérieur. Et il leur dit : « Tous deux sont parfaits ; car l’un a donné en spectacle une œuvre d’Abraham, l’autre. d’Elie. » Alors ils lui disent : « A tes pieds, comment est-il possible qu’ils soient égaux? Il en est qui préfèrent l’ascète et disent ceci : Il a fait une action évangélique ayant vendu et donné tout aux pauvres, portant la croix heure, jour et nuit, et se mettant à la suite du Sauveur et des prières. Mais ceux qui sont de l’autre parti disent ceci : Celui-ci en a montré tout autant à ceux qui sont dans le besoin, au point qu’il s’est arrêté sur les grands chemins pour rassembler les affligés; et non seulement il a réconforté sa
propre âme, mais celles de beaucoup d’autres, en traitant les malades et en donnant des secours. » Le bienheureux Pambon leur dit : « Encore une fois je vous dirai : tous deux sont égaux: et je certifie à chacun de vous que celui-ci. s’il n’avait pas fait tant d’ascétisme, ne serait pas devenu digne d’être comparé pour la bonté à celui-là. D’un autre côté celui-là, en réconfortant les étrangers, y trouvait aussi du réconfort, et quand même il paraissait porter la charge provenant d’une fatigue, du moins il avait encore le réconfort qui s’y rattache. Mais attendez, afin que j’en reçoive de Dieu la révélation et après cela vous viendrez l’apprendre. » Quand donc ils vinrent des jours après, ils lui firent de nouveau leur demande et il leur dit en quelque sorte devant Dieu : « Je les ai vus tous deux à la fois établis dans le paradis. »
XV – MACAIRE LE JEUNE
Un nommé Macaire le Jeune, à dix-huit ans environ, en jouant avec ses compagnons d’âge le long du lac appelé Marie, en faisant paître des quadrupèdes, commit un meurtre involontaire. Et sans rien dire à personne, il gagne le désert, et il se plongea dans une
telle crainte de Dieu et des hommes qu’il l’ut insensible et pendant trois ans demeura sans toit dans le désert. Or la terre y est sans pluie, et tous le savent, qui d’après des récits, qui par expérience. Plus tard, il se bâtit une cella, et ayant vécu dans cette cellule vingt-cinq autres années, il fut jugé digne du don de conspuer les démons, tout en faisant ses délices de la solitude. Ayant beaucoup séjourné avec lui. je lui demandais comment était son sentiment au sujet de son péché du meurtre, cl il disait qu’il était loin du chagrin, au point même de rendre grâce pour le meurtre; car le meurtre involontaire est devenu pour lui un principe de salut. Et il disait, en en rapportant d’après les Écritures le témoignage, que Moïse n’aurait pas été jugé digne de la vision de Dieu et de ce don si grand et de la rédaction des saintes paroles, si par crainte du Pharaon, à cause de son meurtre qu’il avait commis en Egypte, il n’avait pas gagné la montagne du Sina. Cependant je ne dis pas cela pour frayer la route au meurtre, mais pour montrer qu’il y a aussi des vertus dues aux circonstances, dans les cas où l’on ne se porte pas volontairement au bien. En effet, parmi les vertus, les unes sont volontaires, les autres sont dues aux circonstances.
XVI – NATHANAËL
Il y en eut un autre parmi les anciens, du nom de Nathanaël. Je ne lui ai pas rendu visite de son vivant, car il était mort avant mon arrivée, quinze ans auparavant. Mais m’étant trouvé parmi ceux qui avaient pratiqué l’ascétisme et passé du temps avec lui, j’aimais à m’informer de la vertu de cet homme. Et ils me montrèrent encore sa cella, où personne n’habitait plus, parce qu’elle était trop près du pays habité, c’est qu’il l’avait bâtie alors que les anachorètes étaient rares. Ils me racontaient sur lui. comme trait saillant, qu’il eut une telle patience dans sa cellule qu’il ne lui pas ébranlé dans son projet. Entre autres, ayant été illusionné au début par le démon qui dupe tout le monde et trompe, il crut avoir de l’indifférence pour sa première cella; et étant parti, il en bâtit une autre plus près du village. Or après avoir achevé la cella et l’avoir habitée, au bout de trois ou quatre mois le démon se présente pendant la nuit, tenant un fouet de cuir comme les bourreaux, et ayant l’extérieur d’un soldat vêtu de haillons, et il produisait des bruits dans ce fouet de cuir. Mais le bienheureux Nathanaël lui répondit, et il disait: « Qui es-tu, toi qui
fais ces choses dans mon logement? » Le démon répondit : « Je suis celui qui t’a chassé de la colla là-bas; je suis venu par conséquent pour te faire déguerpir également de celle-ci. » Ayant alors connu qu’il avait été illusionné, il retourne de nouveau dans sa première cella. Et il passa trente-sept années complètes sans franchir la porte, et fut en querelle avec le démon, lequel, pour le forcer à sortir, lui fit voir tant de choses qu’il n’est pas possible de les raconter en détail. Entre autres même ceci : Ayant guetté la visite de sept saints évoques, qui eut lieu soit par une providence de Dieu, soit par une tentation de celui-là, pour un peu il l’eût détourné de son projet. En effet, au moment où les évoques sortaient après la prière, lui ne les reconduisit même pas d’un pas de son pied. Les diacres lui disent : « Tu fais un acte d’orgueil, abbé, en ne reconduisant pas les évêques ». Il leur dit : « Moi, je suis mort à messeigneurs les évêques et au monde entier, car j’ai un dessein caché, et Dieu connaît mon cœur; conséquemment, je ne les reconduis pas. » Le démon ayant donc manqué cette affaire, use de feinte neuf mois avant la mort du saint et se fait petit garçon d’environ dix ans, poussant un âne qui porte des pains dans une corbeille. Et étant venu, un soir avancé, près de sa cella, il imagina que l’âne était tombé et que le petit garçon criait : « Abbé Nathanaël,
aie pitié de moi et donne-moi la main. » Or lui, ayant entendu la voix du prétendu petit garçon et ayant entr’ouvert sa porte, debout il lui parlait de l’intérieur : « Qui es-tu et que veux-tu que je fasse pour loi ? » Il lui dit : « Je suis le petit serviteur d’un tel et j’emporte des pains, puisque c’est l’agape de ce frère, et demain, quand le samedi luira, il faut des oblations. Je t’en prie, ne me dédaigne pas, de peur que par hasard je ne sois aussi dévoré par des hyènes; car beaucoup d’hyènes existent dans ces lieux. » Le bienheureux Nathanaël étant alors resté muet fut dans une forte perplexité, troublé dans ses entrailles, et il réfléchissait, en se disant : « J’ai à m’écarter ou du commandement ou de mon projet. » Ensuite pourtant ayant conclu qu’il est meilleur pour la confusion du diable de ne pas ébranler le projet de tant d’années, après avoir fait une prière, il dit au prétendu garçon qui l’interpellait : « Ecoute, mon garçon. J’ai foi au Dieu que j’adore, que, s’il t’est nécessaire, Dieu t’envoie du secours, et ni les hyènes ni un autre ne le feront du tort. Mais si tu es une tentation, Dieu va révéler la chose dès à présent. » Et ayant fermé la porte, il rentra. Or le démon confus de cette défaite se déchaîna en ouragan et en onagres bondissants, fuyants et lâchant des bruits. Tel fut la lutte du bienheureux Nathanaël, telle la tactique, telle la fin.
XVII – MACAIRE D’ÉGYPTE
Les événements qui concernent les deux Macaires, les hommes fameux, étant nombreux, grandioses et difficiles à croire, j’hésite à les dire et à les écrire, de peur d’encourir la réputation de menteur. D’autre part, « que le Seigneur fasse périr ceux qui disent le mensonge » (Ps. , ), l’Esprit-Saint l’a déclaré. C’est pourquoi, ô très croyant, puisque je ne mens pas, ne sois pas incrédule. L’un de ces Macaires était Egyptien d’origine, l’autre était Alexandrin, vendant des friandises.
Et d’abord je ferai mon récit sur l’Egyptien, qui vécut quatre-vingt-dix ans pleins. Il a fait soixante ans dans le désert, y étant monté dans sa jeunesse, à trente ans ; et il fut jugé digne d’un tel discernement qu’on l’appelait paidariogèrôn (vieillard sous les apparences d’un enfant). Conséquemment aussi il fit des progrès plus vite. Parvenu en effet à l’âge de quarante ans, il reçut contre des esprits une grâce de guérisons et de prédictions; et il fut jugé digne aussi du sacerdoce.
Avec lui étaient deux disciples pour le désert le plus intérieur, celui qu’on appelle Scété ; l’un d’eux était à son service près de lui. à cause de ceux qui venaient pour cire guéris, et l’autre vaquait dans une cellule très proche. Or comme le temps avait fait des progrès, ayant vu dans l’avenir d’un œil perspicace, il dit à celui qui le servait, appelé Jean, devenu prêtre plus tard à la place de Macaire lui-même : « Ecoute-moi, frère Jean, et supporte mon avertissement. car tu es tenté et c’est l’esprit d’avarice qui te tente. En effet, j’ai vu ainsi; cet je sais que si tu me supportes, lu deviendras accompli en ce lieu-ci, et tu seras glorifié « et un fouet ne s’approchera pas dans ta tente » (Ps. 0, 0). Mais si tu ne m’écoutes pas, la fin de Giézi viendra sur toi, et même tu es malade de sa passion. » Or il lui arriva de désobéir après la mort de Macaire, au bout de quinze ou vingt autres années, et ainsi, avant détourné les biens des pauvres, il eut une telle éléphantiasis qu’il ne se trouva pas sur son corps un endroit intact où fixer le doigt. Telle est donc la prophétie du saint Macaire.
D’un côté il est superflu de parler d’aliment et de boisson, alors que pas même chez les indolents il n’est possible de trouver de la gloutonnerie ou de l’indifférence en ces endroits-là, tant à cause de la rareté des choses nécessaires qu’à cause du zèle de ceux
qui y habitent. D’un autre côté, sur le reste de son ascèse, je dis : c’est qu’on disait qu’il était sans cesse ravi hors de lui et s’occupait un temps bien plus considérable de Dieu que des choses sous le ciel. Et de lui on rapporte des miracles comme ceux-ci.
Un homme d’Egypte amouraché d’une femme libre en puissance de mari et ne pouvant l’enjôler, s’aboucha avec un magicien et lui dit : « Amène-la à m’aimer ou fais quelque chose pour que son mari la rejette. » Et le magicien, ayant reçu suffisamment, usa de sortilèges magiques et il l’arrange pour qu’elle ressemble à une jument. Donc le mari qui venait du dehors l’ayant vue, trouvait étrange que dans son grabat une jument était couchée. Le mari pleure, se lamente: il engage une conversation avec l’animal ; il n’obtient pas de réponse. Il mande les prêtres du village. Il introduit, il montre; il ne découvre pas l’affaire. Pendant trois jours, elle ne prit sa part ni de fourrage comme une jument, ni de pain comme un être humain, restant privée des deux genres de nourriture. Enfin, pour que Dieu fût glorifié et que parût la vertu du saint Macaire, il monta au cœur de son mari de la conduire dans le désert, et lui ayant mis un licou comme à un cheval, il la conduisit ainsi dans le désert. Or, au moment où ils approchaient, les frères s’étaient arrêtes
près de la cella de Macaire, luttant contre le mari de celle-là et disant : « Pourquoi as-tu amené ici cette jument? » Il leur dit : « Pour qu’elle soit prise en pitié. » Ils lui disent : « Qu’a-t-elle donc ». Son mari leur répondit ceci : « C’était ma femme et elle a été changée en cheval, et aujourd’hui c’est le troisième jour qu’elle passe sans avoir goûté à quelque chose. » Ils font rapport au saint qui était en prière à l’intérieur; car Dieu lui avait fait une révélation, et il priait pour elle. Le saint Macaire répondit donc aux frères et il leur dit : « C’est vous qui êtes des chevaux, qui avez les yeux des chevaux. En effet celle-ci est une femme, non métamorphosée, si ce n’est uniquement aux yeux de ceux qui ont été trompés. » Et ayant béni de l’eau, et l’ayant versée à partir de la tête sur elle nue, il ajouta une prière ; et sur-le-champ il la fit paraître femme à tous. Puis lui ayant donné de la nourriture, il la fit manger et il la congédia, rendant grâce avec son propre mari, au Seigneur. Et il lui suggéra en lui disant : Ne sois jamais éloignée de l’église, ne t’abstiens jamais de la communion, car cela t’est arrivé pour ne t’être pas approchée des mystères pendant cinq semaines. »
0 Autre pratique de son ascèse. Ayant fait sous la terre, grâce à la longueur du temps, une galerie depuis sa cella jusqu’à un demi-stade, il acheva une petite grotte au bout. Et si parfois trop de gens
l’importunaient, sortant furtivement de sa cella, il parlait à la petite grotte et personne ne le trouvait. Quoi qu’il en soit, un de ses fervents disciples nous racontait et nous disait qu’en allant jusqu’à la petite grotte, il faisait vingt-quatre prières, et vingt-quatre en revenant.
Sur lui le bruit se répandit qu’il réveilla un mort, afin de convaincre un hérétique qui n’avouait pas qu’il y a résurrection des corps. Et ce bruit régnait dans le désert.
Un jeune homme démoniaque lui fut apporté un jour par sa mère éplorée : il avait été lié à deux jeunes hommes. Et le démon avait cette énergie-ci: après avoir mangé les pains de trois boisseaux et bu un cilicisium d’eau, les vomissant, il résolvait les aliments en vapeur; car les choses mangées et bues étaient consumées tout comme par du feu. Il existe en effet aussi une classe de démons, celle qu’on nomme ignée. C’est qu’il va des différences parmi les démons, comme aussi parmi les hommes, non pas de nature, mais de caractère.
Or donc ce jeune homme n’ayant pas sa suffisance du côté de sa propre mère mangeait ses excréments à lui ; souvent même il buvait sa propre urine. Cela étant, comme sa mère pleurait et invoquait le saint, l’ayant reçu il pria pour lui en suppliant Dieu. Et après un ou deux jours le mal ayant commencé à se calmer, le saint Macaire dit à celle-là : « Combien veux-tu qu’il mange? » Et elle répondit en disant : « Dix livres de pain. » L’ayant alors reprise parce que c’était beaucoup, après avoir prié pour lui avec jeûne pendant sept jours, il l’établit à trois livres, avec obligation aussi de travailler ; et l’ayant guéri de la sorte, il le rendit à sa mère. Et voilà le miracle que Dieu a fait par Macaire. Avec celui-ci, moi, je ne me suis pas rencontré; car un an avant mon entrée au désert, il était mort,
XVIII – MACAIRE D’ALEXANDRIE
Mais j’ai rencontré l’autre Macaire, l’Alexandrin, qui était prêtre de ce qu’on appelle les Cellules. A ces Cellulles j’ai séjourné neuf ans, et alors pendant trois ans de mon séjour il survécut; et j’ai vu certains faits, j’en ai entendu de lui certains autres, et j’en ai
appris par d’autres. Eh bien, son ascèse était celle-ci : S’il a entendu parler de quelque chose quelque part, il l’a certainement réalisé en perfection. En effet, ayant appris de quelques-uns que les Tabennésiotes mangent pendant tout le carême de ce qui n’a pas été soumis au feu, il décida de ne pas manger pendant sept ans de ce qui passe par le feu, et à l’exception de plantes potagères crues, si parfois il s’en trouva, et de légumes à cosses trempés, il ne goûta à rien. Ayant donc réalisé en perfection cette vertu, il apprit encore au sujet d’un autre qu’il mange» une livre de pain; et ayant rompu son biscuit et l’ayant versé dans + des saïtes en poterie +, il résolut de manger autant que sa main retirerait. Et ainsi il racontait en plaisantant ceci précisément : « J’empoignais bien assez de morceaux, mais je ne pouvais pas les extraire tous à la fois par l’effet de l’étroitesse de l’ouverture: car comme un publicain. elle ne mêle permettait pas. » Pendant trois ans il garda donc cette ascèse, mangeant quatre ou cinq onces de pain, et buvant de l’eau en proportion, puis un setier d’huile pour l’année.
Autre ascèse de lui. Il décida de l’emporter sur le sommeil et il raconta qu’il n’entra pas sous un toit pendant vingt jours, afin de vaincre le sommeil, d’une part brûlé par les chaleurs, d’autre part transi la nuit par la froidure. Et ainsi il disait ceci : « Si je n’étais pas entré plus vite sous un toit et n’avais pas usé du sommeil, mon cerveau se fût desséché au point de me pousser désormais en égarement d’esprit. D’un côté en ce qui dépend de moi, j’ai triomphé ; d’un côté, en ce qui dépend de la nature qui a son besoin de sommeil, j’ai cédé. »
Comme il était assis un matin dans sa cellule, un cousin s’étant posé sur son pied le piqua, et ayant ressenti de la douleur, il l’écrasa de la main, après qu’il se fut rassasié de sang. Or s’étant accusé comme s’étant vengé, il se condamna, dans le marais de Scété, qui est au grand désert, à rester assis nu pendant six mois, là où les cousins, qui sont comme des guêpes, percent même des peaux de sangliers. Ainsi donc il fut couvert de blessures partout, et il fit une poussée de papules, en sorte que quelques-uns crurent qu’il avait l’éléphantiasis. Etant alors rentré après six mois dans sa cellule, on reconnut à la voix qu’il était Macaire.
Un jour, il désira pénétrer dans le jardin-tombeau
de Janné et Jambré, à ce qu’il nous raconta. Op ce jardin-tombeau venait des magiciens qui furent jadis tout-puissants auprès du Pharaon. Comme ils avaient donc acquis la puissance depuis de longs temps, ils bâtirent leur œuvre en pierres taillées sur quatre faces, ils y firent leur monument et y déposèrent une quantité d’or. Puis, ils plantèrent aussi des arbres, car l’endroit est un peu humide: entre autres même ils creusèrent un puits. Quoi qu’il en soit, comme le saint ignorait le chemin et qu’il suivait les astres par une certaine conjecture, en cheminant à travers le désert comme sur mer, il prit un paquet de roseaux, et, chaque fois à un mille, il se marquait des jalons, afin de trouver son chemin en s’en retournant. Ayant donc continué son chemin, en neuf jours il approcha de l’endroit. Or donc le démon, qui contrecarre toujours les athlètes du Christ, ayant rassemblé tous en tas les roseaux, les lui plaça sous la tète pendant qu’il dormait, à environ un mille du jardin-tombeau. S’étant donc levé il trouva les roseaux, et peut-être Dieu avait permis cela pour l’exercer davantage, afin qu’il ne mît pas son espoir en des roseaux, mais en la colonne de nuée qui guida Israël quarante ans dans le désert. Il disait ceci : « Soixante-dix démons sortirent du jardin-tombeau à ma rencontre, criant, battant des ailes comme des corbeaux contre mon visage et disant : « Que veux-tu, Macaire? que veux-tu, moine? Pourquoi es-tu venu dans le lieu qui est à nous? Tu ne peux rester ici. » Alors, dit-il, je leur dis ceci : « Que
j’entre seulement, que je visite, et je pars. » Ayant donc pénétré, dit-il, je trouvai un petit seau d’airain suspendu et une chaîne de fer contre le puits, consumés du reste par le temps, et du fruit de grenades qui ne contenaient rien à l’intérieur à force d’être desséchées par le soleil. » Ainsi donc, s’en étant retourné, il marcha durant vingt jours. Mais l’eau qu’il portait ayant fait défaut, ainsi que les pains, il fut dans une conjoncture très critique. lit comme il était près de s’affaisser, une jeune fille fut aperçue par lui, à ce qu’il raconta, portant une robe de lin immaculée et tenant un bocal d’eau débordant. Il disait qu’elle était loin de lui comme d’un stade et qu’elle chemina pendant trois jours ; il la voyait bien avec son bocal comme arrêtée, mais il ne pouvait l’atteindre, comme dans les songes, et ayant patienté par l’espérance de boire, il avait de la constance. Après elle, apparut une troupe de bubales, dont une femelle ayant un petit s’arrêta; car ils sont fréquents dans ces endroits-là. lit alors il disait que sa mamelle ruisselait de lait. S’étant donc mis dessous et ayant télé, il fut satisfait. Et la bubale vint jusqu’à sa cellule, l’allaitant, lui, mais ne recevant pas son tout petit.
0 Une autre fois encore creusant un puits près de rejetons de sarments, il fut mordu par un aspic; or l’animal est capable de causer la mort. L’ayant alors
saisi de ses deux mains et l’ayant maîtrisé par les mâchoires, il le mit en pièces en disant : « Dieu ne l’ayant pas envoyé, comment as-tu osé venir? »
Or il avait des collas différentes dans le désert, une en Scété, le grand désert plus intérieur, une à Lips, une dans ce qu’on appelle les Cellules et une sur la montagne de Nitrie. Quelques-unes d’entre elles sont sans fenêtre, où, disait-on, il résidait le carême dans l’obscurité ; une plus étroite, où il n’avait pas le moyen d’étendre les pieds; puis une autre, plus large, où il se rencontrait avec ceux qui venaient fréquemment à lui.
Il guérit une si grande quantité de possédés du démon que cela n’est pas susceptible d’être compté. Cependant, nous étant là, il fut apporté de Thessalonique une jeune fille noble, ayant plusieurs années de paralysie. En la frottant de ses mains avec de l’huile sainte pendant vingt jours et en y ajoutant des prières, il la renvoya en santé dans sa propre ville. Quand elle s’en fut retournée, elle lui envoya des générosités considérables.
Ayant entendu dire que les Tabennésiotes ont une magnifique règle de vie, il changea de vêtements et, ayant pris l’habit séculier d’un ouvrier, il monta en quinze jours à la Thébaïde en cheminant à travers le désert. Et étant venu dans le lieu d’ascèse des Tabennésiotes, il demandait leur archimandrite, du nom de Pakhôme, homme très expérimente et ayant un
don de prophétie, mais à qui ne fut pas révélé ce qui concernait Macaire. S’étant donc trouvé en sa présence, il dit : « Je te prie, reçois-moi dans ton monastère, pour que je devienne moine. » Pakhôme lui dit : « Désormais tu l’es mis en marche sur la vieillesse, et tu ne peux être ascète. Les frères sont des ascètes, et tu ne supportes pas leurs labeurs, et tu le scandalises et tu sors en les maudissant. » Et il ne le reçut ni le premier ni le deuxième (jour), jusqu’au bout de sept jours. Mais comme il eut de la constance, demeurant à jeun, ensuite il lui dit : « Reçois-moi, abbé, et s’il arrive que je ne jeûne pas d’une manière conforme à eux ni que je travaille, ordonne que je sois jeté dehors. » Il persuade aux frères de l’accepter, et la communauté de la seule résidence est de mille quatre cents hommes jusqu’aujourd’hui. Il entra donc. Puis un peu de temps ayant passé, se présenta le carême et il vit chacun pratiquant des observances différentes, l’un mangeant le soir, l’autre au bout de deux jours, l’autre au bout de cinq, un autre encore restant debout durant toute nuit, mais s’asseyant dans le jour. Alors ayant fait tremper des feuilles de palmier en quantité, il se tint debout dans un coin, et jusqu’à ce que les quarante jours fussent achevés et que Pâques fût arrivé, il ne loucha pas à du pain ni à de l’eau; il ne fléchit pas un genou et ne se coucha pas; hormis quelques feuilles de chou, il ne prenait rien, et cela le dimanche, afin qu’il eût l’air de manger. Et si parfois il sortait pour ses
besoins, entrant de nouveau plus vite, il se replaçait, n’ayant causé à personne, n’ayant pas ouvert la bouche, mais se tenant debout en silence. Et à part une prière, celle qui est dans le cœur, et les feuilles qu’il avait dans les mains, il ne faisait rien. Aussi tous les ascètes l’ayant vu, prirent parti contre l’hégoumène en disant : « D’où nous as-tu amené ce sans-corps, pour notre condamnation? Ou bien chasse-le, ou bien c’est pour que lu saches que tous nous nous retirons. » Alors, après avoir appris les détails de son observance, il pria Dieu afin qu’il lui fût révélé qui c’était. Cela lui fut donc révélé. Et l’ayant pris par la main, il l’amène dans la maison de prière où était l’autel, et il lui dit : « Allons, beau vieillard! Tu es Macaire et tu t’es caché de moi. Pendant beaucoup d’années j’aspirais à te voir. Je t’ai de la reconnaissance pour avoir fait sentir ta poigne à mes petits enfants, afin qu’ils n’aient pas des pensées de superbe à propos de leurs ascèses. Va-t’en donc dans ton pays, car tu nous as suffisamment édifiés, et prie pour nous. » Alors, sur cette invitation, il se retira.
Une autre fois encore, il nous raconta ceci : « Ayant réalisé en perfection chaque genre de vie que j’ai désiré, alors j’en vins à un autre désir par suite duquel je voulus une fois rendre, pendant cinq jours seulement, mon esprit sans distraction d’avec Dieu. Et ayant décidé cela, je fermai la cella et la clôture, pour ne pas donner de réponse à un homme, et je me tins debout ayant commencé dès la deuxième heure.
Je commande donc à mon esprit en disant : « Ne descends pas des cieux : tu as là des anges, des archanges, les puissances d’en haut, le Dieu de l’univers ; ne descends pas au-dessous du ciel. » Et ayant duré deux jours et deux nuits, j’irritai tellement le démon qu’il devint une flamme de feu et brûla toutes les choses de la cellule, en sorte que même une petite natte de jonc sur laquelle je m’étais placé, fut consumée par le feu. et que moi, je pensai être brûlé entièrement. Enfin frappé de crainte, je me désistai le troisième jour, n’ayant pu rendre mon esprit sans distraction, mais je descendis à la contemplation du monde, afin que la vanité ne me fût point imputée. »
Un jour je me rendis auprès de ce saint Macaire, et je trouvai étendu hors de sa cella un prêtre de village, dont la tête avait été mangée par l’affection appelée cancer, et l’os même était visible depuis le sommet. Il se présenta donc pour être guéri, et lui, ne l’admettait pas à un entretien. Alors je l’invoquai ainsi: « Je t’en prie, daigne avoir pitié de lui et donne-lui sa réponse. » 0 Et il me dit : « Il est indigne d’être guéri, car une leçon lui a été envoyée. Mais si tu veux qu’il soit guéri, persuade-le de s’abstenir du service liturgique. En effet il exerçait le ministère, étant fornicateur, et à cause de cela il reçoit une leçon, et Dieu le met en traitement. » Donc, lorsque je l’eus dit au maltraité, il s’y conforma, et jura de ne plus faire les fonctions de prêtre. Alors il le reçut et lui dit : « Crois-tu qu’il y a un
Dieu? » Il lui dit : « Oui. » «N’as-tu pas pu te jouer de Dieu? » Il répondit ceci : « Non. » Il lui dit : « Si tu reconnais ton péché et la leçon de Dieu en vertu de laquelle tu as subi cela, corrige-toi pour la suite. » Il confessa donc le grief et donna sa parole de ne plus pécher ni d’exercer le ministère, mais d’embrasser la condition laïque. Et de la sorte, il lui imposa la main, et en peu de jours il fut guéri, il se garnit de cheveux et s’en alla en santé.
Sous mes yeux il lui fut apporté un petit garçon travaillé par un malin esprit. Cela étant, lui ayant mis une main sur la tête et l’autre sur le cœur, il pria autant qu’il fallut jusqu’à ce qu’il le fit tenir suspendu en l’air. Or l’enfant, ayant enflé comme une outre, fut tellement brûlant qu’il devint + tout ridé sur la peau +. Et soudain s’étant mis à crier, il évacua de l’eau par tous les sens, et s’étant calmé il devint de nouveau à la dimension qu’il était. Il le rend donc à son père, après l’avoir frotté d’huile sainte et lui avoir versé de l’eau. Il lui enjoignit pendant quarante jours de ne pas toucher à de la viande ni à du vin. Et de la sorte il le guérit.
Un jour des pensées de vaine gloire l’importunèrent,
le chassant de sa cella et lui suggérant comme une grâce de dispensation (divine) d’atteindre la (ville) des Romains pour le service des infirmes : car la grâce agissait puissamment sur lui contre des esprits. Et comme pendant longtemps il n’y obéit pas, mais qu’il était fort ébranlé, étant tombé sur le seuil de la cella, il envoya les pieds vers le dehors et il dit : « Démons, tirez, traînez, car je ne m’en vais pas avec mes pieds à moi. Si vous pouvez m’emporter dans ces conditions, je partirai. » Il leur jure ceci : « Je reste étendu jusqu’au soir; si vous n’arrivez pas à me secouer, il n’y a pas de crainte que je vous écoute. » Or étant tombé pendant longtemps, il se leva. Puis la nuit étant survenue, de nouveau ils se mirent après lui. Et ayant rempli de sable une corbeille de deux boisseaux et l’ayant mise sur ses épaules, il se remuait à travers le désert. Cela étant. Théosèbe Cosmétor, Antiochien d’origine, le rencontra et il lui dit : « Que portes-tu. abbé? Cède-moi ton fardeau et ne t’écorche pas. » Or il lui dit : « J’écorche celui qui m’écorche; car n’étant pas contenu, il m’inspire des déplacements. » Donc après s’être remué pendant longtemps, il entra dans sa cella, ayant brisé son corps.
Ce saint Macaire nous raconta ceci, car il était prêtre : « J’ai remarqué au moment de la distribution des mystères que moi je n’ai jamais donné d’oblation
à Marc l’ascète, mais un ange la lui donnait depuis l’autel. Et je voyais seulement l’ossature de la main de celui qui donnait. » Or ce Marc était plus jeune, sachant par cœur l’Ecriture ancienne et nouvelle, doux à l’extrême et réservé, si quelqu’un le fut jamais.
Quoi qu’il en soit, un jour que j’avais du bon temps, sur la fin de la vieillesse de Macaire, je pars et je m’assois à sa porte, l’ayant cru au-dessus d’un homme, attendu qu’il était ancien, et je prête l’oreille à ce qu’il dit ou à ce qu’il fait. Et étant tout seul à l’intérieur, arrivé vers les cent ans déjà et ayant perdu ses dents, il luttait contre lui-même et contre le diable, et disait en s’injuriant lui-même : « Que veux-tu, mauvais vieillard? Voilà que tu as touché à de l’huile et que tu as pris une part de vin. Que veux-tu désormais, goinfre aux cheveux blancs? » Puis aussi au diable : « Est-ce qu’en ce moment même je te suis redevable de quelque chose? Tu ne trouves rien; va-t’en loin de moi. » Et. comme en fredonnant, il se disait à lui-même : « Ici, goinfre aux cheveux blancs; jusques à quand donc serai-je avec toi? »
Puis Paphnuce, son disciple, nous racontait qu’un jour une hyène, ayant pris son petit qui était aveugle, l’apporta à Macaire, et, ayant heurté de la tête la porte de la clôture, elle entra, lui étant assis dehors, et elle jeta à ses pieds le petit. Alors le saint l’ayant pris et lui ayant craché sur les yeux, fit une prière, et sur-le-champ il recouvra la vue. lit la mère
l’ayant allaité et pris, s’en alla. lit le lendemain elle a apporté au saint une toison de grande brebis. Et ainsi la bienheureuse Mélanie m’a dit ceci : « C’est de Macaire que j’ai reçu cette toison-là en présent d’hospitalité. » Et quoi d’étonnant si Celui qui a adouci les lions pour Daniel a rendu intelligente aussi la hyène?
Et il disait que depuis qu’il fut baptisé, il ne cracha point par terre, et il était dans sa soixantième année depuis qu’il fut baptisé. Quant à son physique, il était un peu court, glabre, n’ayant de poils que sur la lèvre et au sommet du menton; car par suite d’un excès d’ascétisme, les poils de la joue ne lui avaient pas poussé.
Un jour que j’étais dans le découragement, j’allai le trouver, et je lui dis : «Abbé, que faut-il que je fasse? C’est que les réflexions m’affligent en disant ceci: Tu ne fais rien, va-t’en d’ici. » Et il me dit ceci : « Dis-leur : Moi, c’est à cause du Christ que je garde les murs. »
Entre beaucoup de faits de saint Macaire, j’ai signalé ce petit nombre-ci.
XIX – MOÏSE L’ÉTHIOPIEN
Un certain Moïse, c’est ainsi qu’on l’appelait, Ethiopien d’origine, noir, se trouvait domestique d’un
fonctionnaire, et à cause de beaucoup d’immoralité et de brigandage, son propre maître le chassa: car on disait qu’il allait jusqu’à des meurtres, je suis bien forcé de dire ses actes de perversité, afin de montrer la vertu de sa pénitence. Ainsi donc on racontait qu’il fut même chef d’une bande de brigands, cl parmi ses actes de brigandage, se distingue celui-ci, qu’il garda de la rancune à un berger qui, avec ses chiens, une fois pendant une nuit, l’avait gêné. Ayant voulu le tuer, il fait le tour de l’endroit où il avait son campement de brebis, et on le lui indiqua au-delà du Nil. Et comme le fleuve était débordé et envahissait environ un mille, ayant mordu son épée dans sa bouche et mis sa petite tunique sur sa tête, il passa ainsi de l’autre côté du fleuve à la nage. Or pendant qu’il traversait à la nage, le berger put se cacher de lui, s’étant enfoui dans le sable. Cela étant, ayant tué les quatre béliers de choix et les ayant liés avec une corde, il traversa à la nage de nouveau. Et étant venu dans une avant-cour, il les écorcha, et après avoir mangé le plus beau de la viande, vendu les toisons pour du vin et bu un saïte d’environ dix-huit setiers italiques, il s’en alla à cinquante milles, où il avait sa bande.
Ce personnage, touché de componction un jour sur le tard à la suite de quelque contretemps, se donna à un monastère et tellement à la pratique de la pénitence qu’il amena publiquement à la connaissance supérieure du Christ le complice de ses méfaits, démon depuis sa jeunesse, qui avait péché avec lui. Entre autres, on dit qu’un jour des brigands ignorant qui il était, tombèrent sur lui pendant qu’il était assis dans sa cellule. Or ils étaient quatre. Les ayant liés tous et mis sur son dos comme un bissac de paille, il les porta à l’église des frères en disant : « Puisqu’il ne m’est pas permis de faire du mal à personne, qu’ordonnez-vous de ces gens-ci?» Alors ceux-là ayant fait des aveux, et ayant su que celui-là était Moïse, le réputé et célèbre autrefois parmi les brigands, ayant glorifié Dieu, renoncèrent aussi au monde à cause de sa conversion, s’étant dit ceci : « Si celui-ci qui fut si fort et puissant en brigandages, a eu la crainte de Dieu, pourquoi différons-nous notre salut? »
Ce Moïse, les démons l’entreprirent pour le replonger dans l’ancienne habitude de l’intempérance luxurieuse. Il fut tenté tellement que, à ce qu’il racontait, peu s’en fallut qu’ils ne le détournassent de sa résolution. Cela étant, s’étant rendu auprès du grand Isidore, celui de Scété, il lui rapporta les détails de sa lutte. Et il lui dit : « Ne t’afflige pas : ce sont en effet des débuts,
et pour cela ils t’ont entrepris avec plus de violence, à la recherche de ton habitude. Car comme un chien d’une boucherie ne s’en sépare pas en vertu de l’habitude, mais si la boucherie est fermée et que personne ne lui donne rien, il ne s’en approche plus, de même si toi aussi lu persistes, le démon découragé s’écartera de toi. » S’étant donc retiré, à partir de cette heure-là, il se mortifiait plus violemment, et surtout sous le rapport des aliments, ne prenant part à rien, sinon à du pain sec pour douze onces, produisant un travail très considérable, et menant abonne tin cinquante prières. Quoi qu’il en soit, ayant macéré son misérable corps, il demeura encore plein de feu et rêveur. De nouveau il s’adressa à un autre parmi les saints et il lui dit : « Que faut-il que je fasse, puisque les rêves de mon âme enténèbrent ma raison par habitude du plaisir? » Il lui dit : « Comme tu n’as pas détourné ton esprit des imaginations de ce genre, c’est pour cela que tu subis ceci. Donne-toi aux veilles et prie à jeun, et tu en es délivré promptement. » Et lui, après avoir entendu aussi cette suggestion et être parti, dans sa cella, il donna sa parole de ne pas dormir
durant chaque nuit, de ne pas plier le genou. Or étant resté dans sa cellule pendant six ans, toutes les nuits il se tenait debout au milieu de la cellule, priant sans fermer l’œil. Et il ne put surmonter la chose. Il se soumit donc de nouveau à un autre genre de vie, et sortant les nuits, il s’en allait dans les cellas des vieillards et des ascètes plus avancés, et prenant leurs cruches en cachette, il les remplissait d’eau. Car ils ont l’eau à distance, les uns à deux, les autres à cinq milles, d’autres à un demi. Cela étant, le démon l’ayant guetté une des nuits et à bout de patience, lui donna d’une massue sur les reins pendant qu’il était penché sur le puits et le laissa mort n’ayant conscience ni de ce qu’il souffrait ni de la part de qui. Or le lendemain, quelqu’un étant venu puiser de l’eau le trouva là gisant et l’annonça au grand Isidore, le prêtre de Scété. Alors l’ayant pris, il l’emporta à l’église, et, pendant un an, il fut malade au point qu’à peine son corps et son âme revinrent en force. 0 Le grand Isidore lui dit donc : « Moïse, cesse de contester avec les démons et ne les provoque pas ; car il y a des mesures même dans le courage que comporte l’ascétisme. » Mais il lui dit : « Il est impossible que je cesse, jusqu’à ce que cesse pour moi la représentation des démons. » Alors il lui dit : « Au nom de Jésus-Christ, tes rêves ont pris fin. Communie donc en toute franchise; car pour que tu ne te vantes pas d’avoir
surmonté une passion, c’est pour cela que dans ton intérêt tu as été opprimé. » Et il partit de nouveau pour sa cella. Après cela, interrogé par Isidore environ deux mois après, il disait n’avoir plus rien éprouvé. Or il fut jugé digne d’un don contre des démons à ce point que nous craignons ces mouches plus que lui les démons. Tel fut le genre de vie de Moïse l’Ethiopien, qui lui aussi fut compté parmi les grands d’entre les pères. Quoi qu’il en soit, il meurt à soixante-quinze ans à Scété, devenu prêtre et ayant laissé soixante-dix disciples.
XX – PAUL
Il y a en Egypte une montagne aboutissant au grand désert de Scété : elle s’appelle Phermé. Sur cette montagne résident environ cinq cents hommes qui pratiquent l’ascétisme. Parmi eux aussi un certain Paul — c’est son nom — observa ce genre de vie ; il ne toucha pas à un travail ni à une affaire, il ne reçut rien de personne, hormis de quoi manger. Or son ouvrage à lui et son ascèse fut de prier sans cesse. Il avait donc trois cents prières déterminées, ramassant
alors autant de petits cailloux, les tenant dans son sein et, à chaque prière, jetant hors de son sein un caillou. Ayant abordé pour un entretien le saint Macaire. surnommé le Citadin, il lui dit : « Abbé Macaire, je suis affligé. « Il le força alors à lui dire pour quelle cause. Et il lui dit : « Dans un village habite une vierge, qui a trente ans de pratique d’ascétisme. Sur elle on m’a raconté, qu’à part samedi ou dimanche, elle ne goûte jamais à rien, mais traînant en longueur les semaines et mangeant à l’intervalle de cinq jours, elle fait sept cents prières. Et j’ai désespéré de moi en apprenant cela, de ce que je n’en ai pu faire au-delà des trois cents. » Le saint Macaire lui répond : « Moi, j’ai soixante ans, je fais cent prières régulières, je produis par mon travail ce qui concerne ma nourriture, je rends aux frères le devoir de les entretenir, et le raisonnement ne me juge pas comme coupable de négligence. Quant à toi, si en faisant trois cents prières lu es jugé par la conscience, il est évident que tu ne les récites pas avec pureté ou que tu peux en réciter davantage que tu n’en récites. »
XXI – EULOGE ET L’ESTROPIÉ
Cronius, le prêtre de Nitrie, me raconta ceci : « Etant plus jeune et par suite de langueur m’étant enfui du monastère de mon archimandrite, errant j’avançai jusqu’à la montagne du saint Antoine. Or elle était située entre Babylone et Héraclée du côté du grand désert qui conduit à la mer Rouge, à environ trente milles du fleuve. Alors étant allé dans le monastère, qui est près du fleuve, où résidaient dans ce qu’on appelle Pispir ses deux disciples, Macaire et Amatas, lesquels l’enterrèrent après sa mort, j’attendis cinq jours pour me rencontrer avec le saint Antoine. Car on disait qu’il abordait ce monastère tantôt au bout de dix, tantôt au bout de vingt, tantôt au bout de cinq jours, selon que chaque fois Dieu le dirigeait en vue de faire le bien à ceux qui se trouvaient de passage au monastère. Quoi qu’il en soit, différents frères y furent rassemblés, ayant différents besoins; parmi eux également Euloge, un moine Alexandrin
et un antre, estropié, qui se présentèrent pour la cause que voici. Cet Euloge était, par suite de ses études complètes, un lettré, qui, frappé d’un amour d’immortalité, renonça aux agitations, et ayant distribué tous ses biens, garda pour lui de la menue monnaie, ne pouvant travailler. Or étant découragé intérieurement, ne voulant pas entrer dans un couvent ni décidé à rester seul, il trouva jeté sur la place publique un estropié qui n’avait ni mains ni pieds. Chez lui, la langue seule se trouvait sans être usée, pour attraper les passants.
« Euloge s’étant donc arrêté, fixe les yeux sur lui, prie Dieu et fait un pacte avec Dieu ainsi : « Seigneur, en ton nom, je prends cet estropié et je lui procure du réconfort jusqu’à la mort, afin que, au moyen de lui, moi aussi je sois sauvé. Accorde-moi de la patience pour le servir. » Et, s’étant approché de l’estropié, il lui dit : « Veux-tu, le grand, je te prends dans ma maison et je te procure du réconfort? » Il lui dit : « Parfaitement. » — « N’est-ce pas, dit-il, j’amène un âne et je te prends? » Il consentit. Alors
ayant amené un âne, il le leva et l’emmena dans sa propre chambre des hôtes, et il était aux petits soins pour lui. Donc l’estropié ayant tenu bon pendant quinze ans était traité en malade par lui. lavé, soigné des mains d’Euloge et nourri d’une manière convenable à sa maladie. Mais après ces quinze ans le démon s’appesantit sur lui, et il se révolte contre Euloge. Et il commença à débarbouiller son homme avec un tas de mauvais propos et d’injures, en ajoutant : « Assassin, déserteur, tu as volé le bien des autres, et c’est au moyen de moi que tu veux être sauvé. Jette-moi sur la place publique, je veux de la viande. « Il lui apporta de la viande. Cela étant, de nouveau il cria : « Je ne suis pas satisfait; je veux des foules; c’est sur « la place publique que je veux. O violence! Jette-moi où tu m’as trouvé. » De sorte que s’il avait eu des mains, peut-être même se serait-il étranglé, le démon l’ayant rendu sauvage à ce degré. C’est pourquoi Euloge s’en va vers ceux de ses voisins qui étaient ascètes et il leur dit : « Que faire, puisque cet estropié m’a réduit au désespoir? Le rejeter? J’ai engagé mes mains à Dieu, et je suis dans la crainte. Mais ne pas le rejeter? Il rend mauvais pour moi les jours et les nuits. Que faire alors pour lui, je ne sais pas. » Mais ils lui disent: « Comme le Grand vit encore»,
— car ils appelaient ainsi Antoine, — « monte vers « lui, après avoir jeté l’estropié dans une barque, « transporte celui-ci au monastère, attends qu’il « revienne de sa grotte, et défère-lui la décision. Et « s’il te dit quelque chose, dirige-toi d’après son arrêt, car Dieu te parle par lui. » Et il les écoula patiemment, et ayant jeté l’estropié dans une petite barque de pâtre, il sortit la nuit de la ville et l’emmena au monastère des disciples du saint Antoine. Mais il advint que le Grand arriva le lendemain, le soir étant avancé, à ce que raconta Cronius : il était affublé d’un manteau de peau. Or en arrivant à leur monastère, il avait cette habitude d’appeler Macaire et de l’interroger : « Frère Macaire, des frères sont-ils « venus ici? » Il répondit : «Oui. » — « Sont-ils Egyptiens ou Hiérosolymitains ? » Et il lui avait donné ce signe : « Si tu en vois de plus insouciants, dis ceci : « ils sont Egyptiens. Mais dans le cas de plus recueillis et plus judicieux, dis: Hiérosolymitains.» En conséquence il lui demanda selon l’habitude : « Les frères sont-ils Egyptiens ou Hiérosolymitains? »
Macaire répondit et lui dit : « C’est un mélange. » D’une part, quand il lui disait : « Ce sont des Egyptiens », le saint Antoine lui disait : « Fais des lentilles et donne-leur à manger. » Et il leur faisait une prière et les congédiait. D’autre part, quand il disait ceci : « Ce sont des Hiérosolymitains », il s’asseyait toute la nuit, leur parlant des choses du salut. 0 S’étant donc assis ce soir-là, dit-il, il les interpelle tous, et personne ne lui ayant dit d’aucune façon quel nom il avait, les ténèbres existant, il élève la voix et dit : « Euloge, Euloge, Euloge», à trois reprises. Celui-là, le lettré, ne répondit pas. pensant qu’un autre Euloge était nommé. Il lui dit de nouveau : C’est à toi « que je parle. Euloge, qui es venu d’Alexandrie. » Euloge lui dit: « Qu’ordonnes-tu, je te prie?» — « Pourquoi « venais-tu?» Euloge répond et lui dit : « Celui qui t’a révélé mon nom t’a révélé aussi mon affaire. » Antoine lui dit : « Je sais pourquoi tu es venu, mais dis-le devant tous les frères, afin qu’eux aussi l’entendent. » Euloge lui dit : « J’ai trouvé cet estropié sur la place publique, et j’ai engagé mes mains à Dieu pour le traiter pendant sa maladie, pour être sauvé grâce à lui, et lui, grâce à moi. Or comme après tant d’années il me tourmente à l’extrême, et que je me suis mis dans l’esprit de le rejeter, c’est pour cela que je suis venu vers ta sainteté, afin que tu me conseilles ce que je dois faire et que tu pries pour moi, car je me tourmente terriblement. » Antoine lui dit d’une voix grave et austère : « Le rejettes-tu? Mais celui qui l’a fait ne le rejette pas. Le rejettes-tu, toi ? « Dieu en suscite un plus beau que toi et il le recueille. »
Alors Euloge, s’étant tenu tranquille, fut saisi de crainte. Et avant délaissé ensuite Euloge, il se met à fouetter de la langue l’estropié et à lui crier : « Estropié, mutilé, indigne de la terre et du ciel, ne finis-tu pas de lutter contre Dieu? Ne sais-tu pas que le Christ est celui qui te sert? Comment oses-tu articuler de telles paroles contre le Christ ? Ne s’est-il pas. à cause du Christ, rendu esclave pour ton service? » L’ayant donc réprimandé, il le laissa aussi. Et ayant conversé avec tous les autres sur ce qui avait trait à leur besoin, il s’en reprend à Euloge et à l’estropié et leur dit : « Ne rôdez nulle part, partez. Ne soyez pas séparés l’un de l’autre, excepté dans votre cella, dans laquelle vous avez séjourné. C’est que déjà Dieu envoie vers vous. Car cette tentation vous est survenue, parce que tous deux vous vous dirigez vers votre fin et que vous allez être jugés dignes de couronnes. Ne faites donc pas quelque autre chose, et qu’alors, en venant. l’Ange ne vous trouve pas dans cet endroit. » Alors ayant cheminé plus vite, ils arrivèrent dans leur cella. Et au bout de quarante jours Euloge meurt, et, au bout de trois autres jours, l’estropié meurt. »
Or Cronius, après avoir séjourné dans les
parages de la Thébaïde, descendit dans les monastères d’Alexandrie. Et il arriva que les services pour le quarantième jour de l’un et pour le troisième jour de l’autre étaient célébrés par la communauté des frères. Cronius l’apprit donc et en fut stupéfait; et ayant pris un évangile et l’ayant placé au milieu de la communauté, après avoir raconté ce qui était arrivé, il déclara ceci : « Pour tous ces discours, j’ai été l’interprète, le bienheureux Antoine ne connaissant pas le grec. Car moi je savais les deux langues et je leur servis d’interprète, aux uns en grec, à celui-ci en égyptien. »
0 Puis Cronius raconta également ceci en ces termes : « Cette nuit-là. le bienheureux Antoine nous raconta ceci : « Pendant une année entière, je demandai par mes prières que le lieu des justes et des pécheurs me fût révélé. Et je vis un géant grand jusqu’aux nues, noir, ayant les mains étendues vers le ciel et au-dessous de lui un lac ayant la dimension d’une mer. Et je voyais des âmes s’envolant en haut comme des oiseaux. Et d’une part toutes celles qui s’envolaient au-dessus de ses mains et de sa tête étaient sauvées; d’autre part, toutes celles qui étaient souffletées par ses mains tombaient dans le lac. Alors vint une voix me disant : Ces âmes que tu vois s’envolant en haut sont les âmes des justes
qui sont sauvées au paradis; mais les autres sont celles qui sont tirées en dessous en enfer, ayant obéi aux volontés de la chair et au ressentiment.»
XXII – PAUL LE SIMPLE
Puis Cronius racontait encore ceci, ainsi que le saint Hiérax et plusieurs autres, à propos de ce que je vais dire, c’est que Paul, un paysan cultivateur, excessivement sans malice et simple, fut uni à une femme très belle, mais dépravée dans ses mœurs, laquelle lui cachait ses fautes pendant très longtemps. Donc, étant revenu soudain d’un champ, Paul les trouva faisant des choses honteuses, la Providence guidant Paul vers ce qui lui serait avantageux. Et s’étant mis à rire discrètement, il les apostrophe et dit : « Bien, bien. En vérité je n’en ai pas de souci. Par Jésus, je ne la prends plus. Va, garde-la ainsi que ses petits enfants, car moi je me retire, je me fais moine. » Et n’ayant rien dit à personne, il se hâte de remonter les huit relais, s’en va vers
le bienheureux Antoine et frappe à la porte. Etant donc sorti, il l’interroge : « Que veux-tu? » Il lui dit: « Je veux devenir moine. » Antoine répond et lui dit : « Homme vieux de soixante ans, tu ne peux devenir moine ici; mais va plutôt au village, travaille et vis une vie d’ouvrier, en rendant grâce à Dieu; car tu n’es pas capable de soutenir les tribulations du désert » Le vieillard répond de nouveau et dit : « Dans le cas où tu m’enseignes quelque chose, je le fais. » Antoine lui dit : « Je t’ai dit que tu es vieux et que tu n’es plus capable. Va-t’en, si évidemment tu veux devenir moine, dans une communauté de frères plus nombreux, lesquels peuvent supporter ta faiblesse. Car moi je réside ici seul, mangeant au bout de cinq jours et cela par faim. » Par ces paroles et de semblables, il écartait Paul; et comme il ne le supportait pas, après avoir fermé la porte, Antoine ne sortit pas pendant trois jours à cause de lui. pas même pour ses besoins. Mais lui ne se retira point. Or le quatrième jour, les besoins l’y forçant, ayant ouvert il sortit et lui dit de nouveau: « Va-t’en d’ici, vieillard. Pourquoi essaies-tu de la pression sur moi? Tu ne peux pas rester ici. » Paul lui dit : « Il m’est impossible de mourir ailleurs qu’ici. » Alors Antoine l’ayant considéré et ayant vu qu’il ne portait pas de quoi se nourrir, ni pain ni eau, et qu’il y avait quatre (jours) qu’il tenait bon à jeun :
« De peur qu’il ne meure, dit-il, et n’entaché mon âme », il l’admet. Et Antoine adopta en ces jours-là un régime comme jamais dans sa jeunesse. Et ayant trempé des feuilles de palmier, il lui dit : « Prends, tresse de la corde tout comme moi. » Le vieillard en tresse jusqu’à none quinze brasses, et il se donna de la peine. Cela étant, Antoine, après avoir regardé, fut mécontent et lui dit : « Tu as mal tressé ; défais et tresse depuis le commencement. » Quoiqu’il fût à jeun et âgé, il lui imposa cette tâche dégoûtante, afin que le vieillard impatienté prît la fuite loin d’Antoine. Mais il défit et de nouveau tressa les mêmes feuilles, quoique ce fût plus difficile à manier, parce qu’elles étaient ridées. Or Antoine ne l’ayant vu ni murmurer, ni se décourager, ni s’indigner, fut touché de componction. Et le soleil ayant baissé, il lui dit: « Veux-tu que nous mangions un fragment de pain?» Paul lui dit: « Comme il te plaît, abbé. » Et cela fléchit de nouveau Antoine, qu’il n’ait pas accouru avec ardeur à l’annonce de la nourriture, mais qu’il en ait rejeté sur lui la faculté. En conséquence, ayant mis la table, il apporte des pains. Et Antoine ayant posé les pains biscuités à raison de six onces chacun, il en trempa un pour soi. car ils étaient secs, et trois pour lui. Et Antoine entonne le psaume
qu’il savait, et l’ayant psalmodié douze lois, il fit une prière douze fois, afin d’éprouver Paul. Mais celui-ci de son côté s’unissait avec ardeur à la prière, car. à ce que je pense, il eût préféré paître des scorpions que de vivre avec une femme adultère. Cependant, après les douze prières, le soir étant avancé, ils s’assirent pour manger. Or Antoine, ayant mangé l’un des biscuits, ne toucha pas à un autre. Mais le vieillard, qui mangeait plus lentement, en était encore à son petit biscuit. Antoine attendait qu’il eût fini, et il lui dit : « Mange, petit père, encore un autre biscuit. » Paul lui dit : « Dans le cas où tu en manges, moi aussi ; mais toi ne mangeant pas, je ne mange pas. » Antoine lui dit : « Cela me suffit, car je suis moine. » Paul lui dit : « Il me suffit également, car moi aussi je veux devenir moine. » Il s’éveille de nouveau et fait douze prières et psalmodie douze psaumes. Il dort un peu du premier sommeil, et de nouveau s’éveille pour psalmodier au milieu de la nuit jusqu’au jour. Alors, comme il voyait que le vieillard l’avait suivi avec ardeur dans son régime, il lui dit : « Si tu peux ainsi jour par jour, reste avec moi.» Paul lui dit: « En vérité, si parfois il arrive qu’il y ait quelque chose de plus, je ne sais pas ; car autrement, ce que j’ai vu, je le fais bien dextrement. » Antoine» lui dit le (jour) après : « Voici que tu es devenu moine ». Donc Antoine, convaincu, au bout des mois
convenus, qu’il est d’une âme parfaite, étant extrêmement simple, la grâce agissant avec lui, lui fait une cella environ à trois ou quatre milles et lui dit : « Voici que tu es devenu moine. Reste à part afin de recevoir aussi l’épreuve des démons. » Cela étant, Paul ayant habité un an, fut jugé digne d’une grâce contre des démons et des maladies. Entre autres, une fois fut amené à Antoine un démoniaque très effrayant jusqu’à l’excès, qui avait un esprit principal, et maudissait le ciel même. 0 Alors Antoine l’ayant examiné, dit à ceux qui l’avaient amené : « Celte besogne-ci n’est pas pour moi : car contre cet ordre principal, je n’ai pas encore été jugé digne d’un don; mais cela appartient à Paul. » Antoine étant donc parti les emmène vers Paul, et lui dit: « Abbé Paul, chasse ce démon de l’homme, afin qu’il s’en retourne en santé à ses propres affaires. » Paul lui dit: « Mais toi, quoi donc? » Antoine lui dit : « Je n’ai pas le loisir, j’ai d’autre ouvrage. » Et Antoine, l’ayant quitté, alla de nouveau dans sa propre cella. Le vieillard s’étant donc levé et ayant récité une prière efficace, adresse la parole au démoniaque : « L’abbé Antoine a dit ceci : « Sors de l’homme. » Mais le démon cria avec des blasphèmes en disant : « Je ne sors pas, méchant vieillard. » Ayant alors pris sa mélote, il le frappait sur le dos en disant : « Sors, a dit l’abbé Antoine. » De nouveau
le démon injurie plus violemment et Antoine et lui. Enfin il lui dit: «Tu sors, ou bien je m’en vais (et) le dis au Christ. Par Jésus, si tune sors pas déjà à l’instant même, je m’en vais (et) le dis au Christ, et il va te faire du mal. » De nouveau le démon blasphémait, criant : « Je ne sors pas. » Alors Paul, s’étant indigné contre le démon, sortit hors de la chambre des hôtes, au fort même de midi. Or la chaleur des Egyptiens est parente de la fournaise de Babylonie. Et s’étant placé contre un rocher de la montagne, il se met en prière et parle ainsi : « Toi, Jésus-Christ, le crucifié sous Ponce-Pilate, tu vois qu’il n’est pas à craindre que je descende du rocher, que je mange ou que je boive jusqu’à ce que je meure, si tu ne chasses de l’homme l’esprit et n’en délivres l’homme. » Mais avant que les paroles fussent achevées dans sa bouche, le démon poussa un cri en disant : « O violence, je suis chassé. La simplicité de Paul me chasse, et où m’en aller? » Et sur-le-champ l’esprit sortit et fut changé en un dragon grand de soixante-dix coudées, en se traînant vers la mer Bouge, afin que fût accompli ce qui a été dit : « Le juste annoncera une foi qui se démontre » (Prov. ,). Tel est le miracle de Paul, qui fut surnommé le Simple par toute la communauté des frères.
XXIII – PAKHON
Un nommé Pakhon, parvenu aux environs de la soixante-dixième année, était établi en Scété. Et il arriva qu’importuné par un désir de femme, j’étais dans le malaise à propos de mes idées et de mes imaginations la nuit. Or étant près de m’en aller du désert, la passion me poussant, je ne soumis pas la chose à mes voisins ni à mon maître Evagre, mais m’étant rendu en cachette dans le grand désert, je me rencontrais pendant quinze jours avec les pères, qui avaient vieilli en Scété dans la solitude. Parmi eux, je rencontrai aussi Pakhon. L’avant trouvé en fait plus intègre et plus versé dans l’ascétisme, je pris la hardiesse de lui soumettre l’état de ma pensée. Et il me dit : « Que la chose ne te déconcerte pas, car lu ne l’éprouves point par la suite de négligence. En effet, la région témoigne en ta faveur, à cause de la rareté des choses nécessaires et de l’absence de rencontres avec des femelles; mais cela est plutôt une conséquence de la ferveur. C’est que la guerre de l’impureté est triple. Tantôt en effet la chair nous assaille, parce qu’elle est bien portante ; tantôt les passions, au moyen des idées ; tant que le démon lui-même, par jalousie. Pour moi, qui ai observé
beaucoup, j’ai trouvé ceci. Comme lu le vois, me voici un homme clans la vieillesse; c’est la quarantième année que je passe dans cette cella en songeant à mon salut. Et tout en amenant cet âge jusqu’ici, je suis tenté. » Et alors il affirmait avec serment ceci : « Pendant douze ans après ma cinquantième année, Il (le démon) ne m’a pas accordé une nuit ni un jour sans m’attaquer. C’est pourquoi, ayant supposé que Dieu s’était retiré de moi et que c’est pour cela que j’avais le dessous, je préférai malgré toute raison mourir que de manquer à la décence pour une passion du corps. Et étant sorti et ayant marché de-çà et de-là dans le désert, je trouvai la caverne d’une hyène. Dans cette caverne je me plaçai nu pendant le jour, afin que les bêles en sortant me dévorassent. Lorsque le soir fut donc venu, selon l’Ecriture : « Tu as posé les ténèbres et la nuit a été faite. En elle toutes les bêtes de la forêt iront de côté et d’autre » (Ps. 0, 0), les bêtes sauvages, le mâle et la femelle, étant sorties, me flairèrent depuis la tête jusqu’aux pieds, me léchèrent et, lorsque je m’attendais à être dévoré s’éloignèrent de moi. Conséquemment, m’étant tenu affaissé pendant toute la nuit, je ne fus pas dévoré. Puis ayant réfléchi que Dieu m’avait pardonné, de nouveau je retourne en ma cella. Alors, après s’être contenu quelques jours, le démon m’assaillit encore plus violemment qu’auparavant, au point que pour un peu j’aurais blasphémé.
S’étant donc transformé on une jeune fille éthiopienne, qu’autrefois dans ma jeunesse j’avais vue glanant en été, elle s’assit sur mes genoux et m’excita au point que je crus avoir commerce avec elle. Cela étant, plein de fureur, je lui donnai un soufflet et elle devint invisible. Or pondant un espace de deux ans, je ne pouvais supporter la mauvaise odeur de ma main. Etant réellement devenu découragé et désespéré, je sortis errant çà et là dans le grand désert. Et ayant trouve un petit aspic et l’ayant pris, je le porte à mes parties génitales, afin que je mourusse, quand même je fusse mordu d’une pareille façon. Et ayant écrasé la tète de la bêle contre les parties, en quelque sorte causes pour moi de la tentation, je ne fus pas mordu. Alors j’entendis venir dans mon esprit une voix comme ceci : « Va-t’en. Pakhon, lutte. Car c’est pour ceci que je t’ai laissé avoir le dessous, afin que tu ne t’enorgueillisses pas, comme si tu étais puissant, mais qu’ayant parfaitement connu ta faiblesse, tu ne mettes pas la confiance dans ta manière de vivre, mais que tu recoures à l’assistance de Dieu. » Ainsi convaincu, je rebroussai chemin et m’étant installé avec confiance et ne m’étant plus soucié de cette guerre, je passai en paix le reste de mes jours. L’Autre, ayant connu mon mépris, ne s’est plus approché de moi. »
XXIV – ETIENNE LE LIBYEN
Etienne, un Libyen d’origine, résida durant soixante ans sur les côtés de la Marmarique et du Maréotide. Devenu éminemment ascète et habile dans le discernement. il fut jugé digne d’un don tel, que tout individu chagriné par n’importe quel chagrin, s’il venait le trouver, se relirait exempt de chagrin. Or il l’ut connu aussi du bienheureux Antoine, et il est même parvenu jusqu’à nos jours. Pour moi je ne l’ai pas rencontré, à cause de la distance du lieu. Mais ceux qui entouraient le saint Amnionius et Evagre, et qui s’étaient trouvés avec lui, m’ont raconté ceci : « Nous l’avons surpris, tombé dans l’infirmité que voici, à l’endroit même des testicules et du gland, ayant formé un ulcère, ce qu’on appelle ulcère phagédénique. Nous lavons trouvé recevant les soins d’un médecin, travaillant de ses mains, tressant des feuilles de palmier et nous parlant, tandis que le reste de son corps était opère par le chirurgien. Et il demeurait dans des dispositions telles que si un autre eût été incisé. Les membres ayant donc été coupés comme des cheveux, il était insensible, grâce à une grandeur extraordinaire
de préparation religieuse. Mais comme nous en étions peines et que nous en éprouvions du dégoût, parce qu’une telle vie était devenue en huile à une telle souffrance et à de pareilles opérations chirurgicales, il nous dit : « Enfants, ne soyez pas froissés de la chose. Car, de ce qu’il fait, Dieu ne fait rien par malice, mais en vue d’une bonne fin. C’est que peut-être ces membres étaient tributaires d’un châtiment, et il est avantageux qu’ils paient leur dette de justice ici-bas plutôt qu’après la sortie de cette carrière. » Nous ayant donc exhortés ainsi et fortifiés, il nous édifia. » Or j’ai raconté cela, afin que nous ne soyons pas déconcertés, lorsque nous voyons des saints en butte à de telles souffrances.
XXV – VALENS
Il y eut un certain Valons. Palestinien de Dation et Corinthien d’esprit. En effet saint Paul a attribué aux Corinthiens le vice de la présomption. Ayant pris le désert, il habita avec nous pendant plusieurs années, et il en arriva à un tel degré d’orgueil qu’il fut trompé par des démons; car à force de le tromper petit à petit, ils le préparèrent à avoir des sentiments de superbe,
comme si des anges conversaient avec lui. Tout au moins un jour, à ce qu’on racontait, c’est que travaillant dans l’obscurité, il lâcha l’aiguille avec laquelle il cousait sa corbeille, et, comme il ne l’avait pas trouvée, le démon fit un flambeau et il trouva l’aiguille. Enflé encore de cela, il s’enorgueillissait et il devint présomptueux au point même de mépriser la communion aux mystères. Puis il arriva que des étrangers, étant venus, apportèrent des friandises dans l’assemblée pour la communauté des frères. Or le saint Macaire, notre prêtre, les ayant reçues, nous en envoya à chacun dans sa cella environ une poignée, et entre autres aussi à Valons. Alors Valons ayant pris celui qui les apportait l’outragea, le frappa, et il lui dit : « Va-t’en et dis à Macaire : Je ne te suis pas inférieur pour que tu m’envoies une eulogie. » Macaire, ayant donc connu qu’il avait été illusionné, partit l’exhorter après un jour, et il lui dit : « Valens, tu as été illusionné. Cesse. » Et comme il n’écouta pas ses exhortations, il se retira, Cela étant, le démon, convaincu qu’il a été persuadé
au dernier degré par ses tromperies, son va, se déguise dans le Sauveur, et il se présente de nuit, dans une vision d’un millier d’anges tenant des flambeaux et un cercle de feu où il parai figurer le Sauveur, et l’un prenait les devants et disait : « Le Christ s’est complu dans ta conduite et dans la franchise de la vie, et il est venu te voir. Sors donc de ta cella et ne fais pas autre chose, si ce n’est que l’ayant aperçu de loin et tétant prosterné, adore-le et rentre dans ta cella. » Étant alors sorti et ayant contemplé la rangée porteuse de flambeaux et, environ à un stade, l’antichrist, prosterné il l’adora. En conséquence, le lendemain, il délira de nouveau à un tel point qu’il entra dans l’église et, la communauté des frères ayant été rassemblée, il dit : « Moi, je n’ai pas besoin de communion, car j’ai vu le Christ aujourd’hui. » Alors les pères l’ayant attaché et lui ayant mis les fers le soignèrent pendant un an, ayant détruit l’estime qu’il avait de lui par leurs prières, leur indifférence et une vie plus calme, et selon ce qu’on dit : aux contraires, les remèdes contraires.
Il est pourtant nécessaire d’insérer aussi les vies de pareils hommes dans ce petit livre, pour la sécurité de ceux qui liront, de même qu’il y avait aussi dans les saintes plantes du paradis le bois qui renfermait la connaissance du bien et du mal. C’est afin que, si parfois il leur arrive quelque bonne
action, ils ne s’enorgueillissent pas de leur vertu. Car souvent même une vertu devient un sujet de chute, lorsqu’elle n’a pas été pratiquée avec une intention droite. Il est écrit en effet : « J’ai vu le juste périr au milieu de sa justice, et voilà certes une vanité » (Eccl., , , .)
XXVI – HÉRON
Il y eut un certain Héron qui était mon voisin, Alexandrin d’origine, jeune homme du monde bien doué pour l’intelligence, pur dans sa vie. Lui aussi, après beaucoup de labeurs atteint d’orgueil, se rompit le cou et eut des sentiments de superbe contre les pères, ayant outragé même le bienheureux Evagre, en disant ceci : « Ceux qui obéissent à ton enseignement sont des dupes; car il ne faut pas s’attacher à d’autres maîtres que le Christ. » Or il abusait même du Témoignage dans le sens de sa folie et il disait ceci : « Le Sauveur lui-même a dit : Ne donnez pas le nom de maître sur la terre » (Matth. , ). Lui aussi, il fut si
enténébré que lui aussi plus lard fut mis aux fers, ne voulant pas même s’approcher des mystères. La vérité m’est chère. Il fut sobre, à l’extrême, dans son genre dévie : ainsi beaucoup racontaient, qui furent en familiarité avec lui, que souvent il mangeait au bout de trois mois, se contentant de la communion aux mystères, et si quelque part lui apparaissait un légume sauvage. Quant à moi, j’en ai fait l’épreuve avec le bienheureux Albanius, quand j’allai en Scété. Or Scété était éloigné de nous de quarante milles. Durant ces quarante milles, nous mangeâmes deux fois et nous bûmes trois fois de l’eau; mais lui n’ayant goûté à rien, marchant à pied, il récita par cœur quinze psaumes, ensuite le grand, puis l’épitre aux Hébreux, puis Isaïe et une partie de Jérémie, puis Luc l’Évangéliste, puis les Proverbes. Et cela se passant ainsi, nous ne pouvions lui emboîter le pas. A la lin agité par une sorte de feu, il ne put résider dans sa cella, mais étant parti pour Alexandrie, par une dispensation (divine), il chassa, comme on dit, son clou avec un clou. En effet, il tomba volontairement dans l’indifférence et plus tard trouva le salut sans le vouloir. Car il fréquenta théâtre et hippodromes, etilava.it les passe-temps des cabarets. Et de la sorte, gourmand et ivrogne, il tomba dans la fange de la concupiscence féminine. Et comme il était résolu à pécher, ayant
rencontré une mime, il l’entretenait de ce qui avait trait à sa plaie. Cela s’accomplissant ainsi, il lui vint un anthrax sur le gland même, et il fut tellement malade pendant une période de six mois que ses parties furent gangrenées et tombèrent. Mais plus tard, étant en pleine santé sans ces membres-là, et revenu à une mentalité religieuse, il vint confesser tout cela aux pères. Et n’ayant pas eu le temps de se mettre à l’œuvre, il mourut au bout de quelques jours.
XXVII – PTOLÉMÉE
Un autre encore, du nom de Ptolémée, vécut une vie difficile ou impossible à raconter. Il habita en effet au-delà de Scété, à ce qui s’appelle Klimax (l’Échelle). Or on nomme ainsi un endroit où personne ne peut habiter, par le fait que le puits des frères en est à dix-huit milles. Quoi qu’il en soit, lui, après avoir chargé une quantité d’amphores ciliciennes en poterie, il les emporta, et recueillant sur les pierres avec une éponge la rosée pendant les mois de décembre et janvier, — car alors il fait de la rosée beaucoup dans ces parages-là, — il s’en contenta pendant quinze
ans qu’il habita là. Mais devenu étranger à l’enseignement, au commerce et aux bons services d’hommes saints, et à une communion continue aux mystères, il sortit tellement du droit (chemin), qu’il dit que ces choses-là n’étaient rien, mais qu’on rapporte qu’il est devenu allier, errant jusqu’aujourd’hui en Egypte, s’étant adonné lui-même à discrétion à la gourmandise et à l’ivrognerie, et ne communiquant rien à personne. Et cette infortune arriva à Ptolémée à la suite de son outrecuidance déraisonnable, selon ce qui est écrit : « Ceux qui n’ont pas de direction tombent comme des feuilles » (Prov. II, ).
XXVIII – UNE VIERGE DÉCHUE
J’ai connu encore à Jérusalem une vierge portant un sac pendant six ans. recluse, ne prenant rien de ce
qui tend au plaisir. Plus tard, ayant été abandonnée à cause d’un excès d’orgueil, qui aboutit à une chute. Et ayant ouvert sa fenêtre, elle introduisit celui qui l’assistait et elle eut commerce avec lui, attendu qu’elle n’avait point pratiqué l’ascétisme par un motif relatif à Dieu et par amour pour Dieu, mais par ostentation humaine, ce qui est le fait de vainc gloire et d intention gâtée. En effet, ses pensées ayant été occupées ailleurs à condamner les autres. le gardien de la chasteté n’était plus là.
XXIX – ÉLIE
Un ascète, Elie, fut fort ami des vierges : il existe en effet de telles âmes en faveur de qui rend témoignage leur but qui tend à la vertu. Pour lui, ayant eu compassion de la classe des femmes menant la vie ascétique, ayant de quoi dépenser dans la ville d’Athribé,
il construisit un grand monastère, et, à l’intérieur, il rassembla toutes les errantes, prenant soin d’elles en conséquence, leur procurant toute sorte de délassement, des jardins, des ustensiles et ce que leur vie réclame. Elles, amenées là au sortir de vies différentes, engageaient des luttes continuelles les unes avec les autres. Comme il lui fallait donc et les écouter et mettre la paix, car il en rassembla environ trois cents, il se trouvait dans la nécessité d’être pendant deux ans au milieu d’elles. Cela étant, traversant l’âge de la jeunesse, car il avait environ trente ou quarante ans, il fut tenté de volupté. Et s’étant éloigné à jeun du monastère, il errait en remontant le désert pendant deux jours, demandant ceci en ces termes : « Seigneur, ou tue-moi, afin que je ne les voie pas affligées, ou prends ma passion, afin que je m’occupe d’elles conformément à la raison. » Or le soir s’étant fait, il s’endormit dans le désert, et trois anges étant venus à lui, à ce qu’il racontait, le saisirent, et ils disent : « Pourquoi es-tu sorti du monastère des femmes? » Et il leur racontait l’affaire : « Parce que j’ai craint de leur nuire ainsi qu’à moi. » Ils lui disent : « N’est-ce pas. si nous te débarrassions de la passion, tu pars, tu t’occupes d’elles? » Il donna son assentiment là-dessus. Ils exigent de lui un serment. Et il disait que le serment était tel : « Jure-nous ceci : Par celui qui prend soin de moi, je prends soin d’elles ». Et il leur jura. Alors ils lui saisirent un les mains et un les pieds et le troisième
ayant pris un rasoir lui coupa les testicules, non en réalité mais au figuré. Il lui sembla donc avoir été même guéri, comme on dirait, dans l’extase. Ils l’interrogent : « T’es-tu aperçu de l’avantage? » Il leur dit : « J’ai été fort soulagé et je suis persuadé que je suis délivré de la passion. » Ils lui disent : « Va-t’en donc. » Et s’en étant retourné après cinq jours, le monastère étant dans le deuil, il y entra, et dès lors il demeura à l’intérieur dans une cellule de côté, d’où étant plus près il leur faisait la correction continuellement, autant qu’il était en lui. Puis il vécut quarante autres années, assurant aux pères ceci : « La passion ne monte plus dans ma pensée. » Tel fut le don de ce saint qui s’occupa ainsi du monastère.
XXX – DOROTHÉE
Dorothée lui succède, homme qui avait fait ses preuves, ayant vieilli dans une vie sainte et active. N’ayant pu demeurer de la même façon dans ce monastère, mais enfermé dans l’étage supérieur, il fit une fenêtre ayant vue sur le monastère des femmes et il la fermait et l’ouvrait. Donc, sans interruption, il était assis à la fenêtre, leur rappelant la cessation des rivalités. Et de la sorte il vieillit en haut de son étage, ni les femmes ne montant en haut, ni lui ne pouvant descendre en bas, car il ne s’y dressait pas d’échelle.
XXXI – PIAMOUN
Piamoun fut une vierge qui vécut les années de sa vie avec sa propre mère, mangeant tous les deux jours et filant le lin. Elle fut jugée digne du don des prédictions. Sous ce rapport, il arriva un jour en Egypte, au moment de la crue, qu’un village se jeta sur un village; car ils sont en contestation pour le partage de l’eau, de sorte qu’il s’ensuit des meurtres et des mutilations. Donc un village plus puissant se jeta sur son village à elle, et des hommes en foule avec des piques et des massues commençaient à saccager son village. Or il se présenta à elle un ange, lui révélant l’attaque de ceux-là. Et ayant envoyé chercher les prêtres du village, elle leur dit : « Sortez et allez au-devant de ceux qui viennent de ce village-là contre vous, afin que vous aussi ne périssiez pas avec
le village, et conjurez-les de cesser cette lutte odieuse. » Mais les prêtres épouvantés tombent à ses pieds en la suppliant et en lui disant ceci : « Nous, nous n’osons pas aller au-devant d’eux, car nous savons leur ivresse et leur démence. Mais si tu prends pitié de tout le village et de ta maison, étant sortie toi-même, va au-devant d’eux. » Celle-là n’ayant pas consenti à ceci, étant montée dans sa petite maison particulière, en nuit, resta tout le temps debout priant, ne pliant pas le genou et demandant à Dieu ceci : « Seigneur, qui juges la terre, à qui rien d’injuste ne plaît, lorsque cette prière te sera parvenue, que ta puissance cloue ces gens-là à l’endroit où elle les surprendra. » . Et vers l’heure de prime, à une distance de trois milles, cloués sur place, ils ne purent se remuer. Or il leur fut révélé à eux aussi que, grâce à ses requêtes, il leur était arrivé cette entrave. Et ayant envoyé au village, ils demandèrent la paix, ayant déclaré ceci : « Rendez grâces à Dieu et aux prières de Piamoun, qui elles aussi nous ont entravés. »
XXXII – PAKHÔME ET LES TABENNÉSIOTES
Tabennisi est un endroit dans la Thébaïde ainsi appelé, où un certain Pakhôme exista, homme, entre
ceux qui ont vécu dans la droite voie, tel qu’il fut jugé digne et de prédictions et de visions angéliques. Il fut extrêmement rempli d’humanité et de fraternité. Or comme il était assis dans sa grotte, un ange lui apparut et lui dit : » Les choses qui te regardent, tu les as accomplies parfaitement. Donc il est superflu que tu restes fixé dans cette grotte. Allons, étant sorti, rassemble tous les jeunes moines et habite avec eux, et d’après le plan que je te donne, alors impose-leur des lois. » Et il lui remit une tablette d’airain sur laquelle avait été inscrit ceci :
« Tu permettras à chacun d’après sa force de manger et de boire. Et selon les forces de ceux qui mangent, mets-leur en main des travaux proportionnés ; et n’empêche ni de jeûner ni de manger, dépendant voici : Mets en mains les travaux de force aux plus forts et à ceux qui mangent, et les moins pénibles à ceux qui sont plus débiles et qui pratiquent davantage l’ascétisme. Puis fais des collas différentes dans l’enceinte et qu’ils habitent trois par cella. Quant à la
nourriture de tous, qu’on aille la chercher dans un local unique. Et qu’ils dorment non pas étendus de tout leur long, mais que s’étant fabriqué des sièges faciles à construire, un peu renversés en arrière, et y ayant placé leurs couvertures, ils dorment assis. Puis qu’ils portent dans les nuits des lébitons de lin avec une ceinture. Que chacun d’eux ait une mélote en peau de chèvre travaillée et qu’ils ne mangent pas sans elle. Mais en partant pour la communion le samedi et le dimanche, qu’ils détachent leurs ceintures, déposent leur mélote et entrent avec la cuculle toute seule. » Et il leur prescrivit un type de cueillies sans poils velus, comme pour des petits enfants, dans lesquelles il ordonna qu’on appliquât une empreinte, en forme de croix, avec de la pourpre. Puis il commanda qu’il y eût vingt-quatre classes et à chaque classe il imposa une lettre grecque depuis alpha,
bêta, gamma, delta, et ainsi de suite. Par conséquent en interrogeant et en s’occupant avec intérêt dune si grande foule, le supérieur demandait au second : Comment va la classe de l’alpha? ou : Comment va le dzêta? Encore : Salue le rhô, en suivant une certaine signification propre des lettres. « Et aux plus simples et aux plus sincères, tu assigneras l’iôta, mais aux plus difficiles à manier et plus dissimulés, tu affecteras le xi. » Et ainsi, par analogie avec la nature des préférences, des mœurs et des vies, il adapta la lettre à chaque catégorie, ceux qui mènent la vie spirituelle sachant seuls ce que cela Signifiait. D’autre part, il avait été inscrit sur la tablette ceci : « Qu’un étranger d’un autre groupe monastique qui a une autre règle ne mange ni ne boive avec eux, qu’il n’entre pas dans le monastère, à moins qu’il ait été trouvé en voyage. » Toutefois pendant trois ans ils n’admettent pas en dedans du chœur celui qui est entré pour rester avec eux. Mais quand il a fait des travaux plutôt corporels, alors au bout de trois ans. il a ses entrées. Puis « en mangeant qu’ils couvrent leurs têtes de leurs cuculles, afin qu’un frère ne voie
pas un frère en train de manger. Il n’est pas permis de parler quand on mange ni de s’appliquer de l’œil ailleurs, en dehors de son écuelle ou de la table ». Et il leur prescrivit la règle de faire pendant tout le jour douze prières et douze au lucernaire, et douze dans les vigiles nocturnes, et trois à l’heure de none. Mais quand tout le monde est sur le point de manger, il ht une règle de chanter un psaume avant chaque prière.
Or Pakhôme objectant à l’ange que les prières sont peu nombreuses, l’ange lui dit : « J’ai précisé cela pour assurer d’avance que même les petits viennent à bout de l’office de règle, sans être affligés. Quant aux parfaits, ils n’ont pas besoin de réglementation; car, à part eux, dans leurs cellules, il est de fait qu’ils consacrent à la contemplation de Dieu leur vie entière. Mais j’ai légifère pour tous ceux qui n’ont pas l’esprit dirigé par des vues supérieures, afin que, quand même ils seraient comme des domestiques en remplissant l’ensemble de leurs observances, ils aient été établis dans des conditions de franchise. »
Quoi qu’il en soit, il y a beaucoup de monastères
de ce genre qui possèdent cotte règle et qui s’étendent à sept mille hommes. Mais le premier, le grand monastère où Pakhôme lui-même habitait, celui qui enfanta les autres monastères, a treize cents hommes. Parmi eux, il y avait aussi le bel Aphthon, qui est devenu mon ami intime et qui pour le moment est le second dans le monastère. Comme il ne saurait être scandalisé, ils l’envoient à Alexandrie pour vendre leurs ouvrages et acheter les choses nécessaires. Mais il existe d’autres monastères de deux cents et de trois cents. Entre autres, étant entré à Panopolis, j’y trouvai trois cents hommes. Dans ce monastère, j’ai vu quinze tailleurs, sept forgerons, quatre charpentiers, douze chameliers, quinze foulons. Or ils travaillent de tout métier, et avec leur superflu ils entretiennent aussi les monastères des femmes et des prisons. 0 Et ils nourrissent aussi des porcs. Et moi blâmant la chose, ils me disaient ceci : « Dans la tradition nous avons appris ceci : qu’on en nourrisse à cause des criblures, à cause des épluchures des légumes, à
cause des restes qu’on jette, afin qu’ils ne soient pas perdus; et que les porcs soient sacrifiés, et que la viande soit vendue, mais les extrémités consommées par les malades et les vieillards, parce que le pays est d’étendue médiocre et rempli d’hommes. » Le peuple des Blemmyes, en effet, habite près d’eux. Or ceux qui sont de service s’étant levés malin vont les uns à la cuisine, les autres aux tables. Donc ils dressent celles-ci jusqu’à l’heure voulue, les ayant garnies, ayant mis sur la table des pains, des sénevés des champs, des olives confites, des fromages de vaches, les extrémités des viandes et des légumes à tige effilée. Alors il en est qui vont manger à la sixième heure, d’autres à la septième, d’autres à la huitième, d’autres à la neuvième, d’autres à la onzième, d’autres le soir avancé, d’autres au bout de deux jours, en sorte que chaque lettre connaît sa propre heure. Pareillement aussi étaient leurs travaux : l’un travaille à la terre en labourant, un autre au jardin, un autre à la forge, un autre à la boulangerie, un autre à l’atelier de charpentier, un autre à celui de foulon, un autre en tressant les grandes corbeilles, un autre à la tannerie, un autre à l’atelier de cordonnerie, un autre
à la calligraphie, un autre en tressant les petits paniers. Et ils apprennent par cœur toutes les Ecritures.
XXXIII – LE MONASTÈRE DES FEMMES
Il y a, à eux aussi, un monastère de femmes, environ quatre cents, ayant la même constitution, la même observance, excepté la mélote. Et les femmes sont au-delà du fleuve, les hommes en deçà. Par conséquent, lorsqu’une vierge meurt, les vierges ayant fait sa toilette funèbre, l’emportent et la posent sur la rive du fleuve. Puis les frères ayant traversé avec un bac, avec des palmes et des rameaux d’oliviers, l’emportent au chant des psaumes de l’autre côté, l’enterrant dans leurs propres tombeaux. Cependant, hormis le prêtre et le diacre, personne ne fait la traversée pour le monastère des femmes, et cela chaque dimanche.
En ce monastère des femmes, il arriva l’affaire que voici : Un tailleur séculier, ayant fait la traversée par ignorance, cherchait de l’ouvrage. Et une novice étant
sortie, car l’endroit est désert, se rencontra avec lui involontairement et lui donna pour réponse ceci : « Nous avons des tailleurs à nous. » Une autre ayant vu la rencontre, du temps s’étant passé et une dispute s’étant produite, sous une inspiration diabolique, par suite d’une grande perversité et d’un bouillonnement de colère, la dénonça en la communauté. Avec elle aussi se joignirent avec empressement quelques autres par malice. Donc celle-là, affligée comme ayant subi une calomnie d’une nature qui n’était pas même venue à sa pensée, et ne l’ayant pas supporté, se jeta secrètement dans le fleuve et mourut. Pareillement la délatrice, ayant reconnu qu’elle avait calomnié par perversité et commis cette abomination, se saisit et s’étrangla, elle non plus n’ayant pas surmonté la chose. Or au prêtre qui vint, le reste des sœurs annonça l’affaire. Et il ordonna, d’abord, que pas même pour une de celles-là l’oblation ne fût célébrée; d’autre part, quant à celles qui ne les avaient pas mises en paix, comme complices de la dénonciatrice et ayant cru à ses dires, il les mit à pari pour sept ans, les ayant exclues de la communion.
XXXIV – CELLE QUI JOUAIT LA DEMENCE
En ce monastère fut une autre vierge qui jouait la folie et le démon. Et on la détesta au point de ne pas même manger avec elle, elle ayant préféré cela. Errant donc à travers la cuisine, elle faisait toute sorte de service et elle était certes, comme on dit, l’éponge du monastère, accomplissant en fait ce qui est écrit : « Si quelqu’un juge à propos d’être sage parmi nous en cette vie, qu’il devienne insensé pour devenir sage » (I Cor. , ). Elle, après s’être attaché des haillons sur la tête — car toutes les autres sont tondues et ont des cuculles, — elle était ainsi en faisant le service. Aucune des quatre cents ne la vit en train de manger pendant les années de sa vie. Elle ne s’assit pas à table, elle ne reçut pas un fragment de pain, mais épongeant les miettes des tables et relavant les marmites, elle s’en contentait. Elle n’outragea jamais personne, elle ne murmura point, elle ne parla ni peu ni beaucoup, bien qu’elle fût frappée à coups de poing, outragée, chargée d’imprécations et exécrée.
Cela étant, un ange se présenta au saint Pitéroum,
anachorète établi en Porphyrite, homme qui avait fait ses preuves, et il lui dit : « Pourquoi as-tu une grande opinion de toi-même. En tant que religieux et établi dans ce lieu? Veux-tu voir une femme plus religieuse que toi? Va dans le monastère des femmes tabennésiotes, et là, tu en trouveras une ayant un bandeau sur la tête : elle est meilleure que toi. Car tout en combattant contre une foule qui est si grande, elle n’a jamais éloigne de Dieu son cœur. Tandis que toi, établi ici, tu t’égares par la pensée à travers les villes. » Et celui qui n’était jamais sorti s’en alla jusqu’à ce monastère, et il demande aux maîtres de pénétrer dans le monastère des femmes. Eux furent pleins de confiance pour l’introduire, en tant que célèbre et avancé dans la vieillesse. Et étant entré il réclama de les voir toutes. Celle-là ne paraissait pas présente. Enfin il leur dit : « Amenez-les moi toutes, car il en manque encore une autre. » Elles lui disent : « Nous avons à l’intérieur, dans la cuisine, une salé (= idiote) » : car on appelle ainsi les psychopathes. Il leur dit : « Amenez-moi
aussi celle-là : laissez que je la voie. » On s’en alla lui parler. Elle n’obéit pas, peut-être pressentant la chose, ou même en ayant eu la révélation. On la traîne de force et on lui dit : « Le saint Pitéroum veut te voir. » Car il était en renom. Elle étant donc venue, il considéra les haillons qui étaient sur son front, et étant tombé à ses pieds, il lui dit : « Bénis-moi. » Pareillement, elle aussi tomba à ses pieds en disant : « Toi. maître, bénis-moi. » Toutes furent hors d’elles et elles lui disent à lui : « Abbé, ne sois pas affecté de l’outrage : c’est une salé (idiote). » Pitéroum leur dit à toutes : « C’est vous qui êtes des salé (idiotes). En effet elle est notre amma (mère) à moi et à vous »; car on appelle ainsi celles qui mènent la vie spirituelle. « Et je demande dans mes prières d’être trouvé digne d’elle au jour du jugement. » Ayant entendu cela, elles tombèrent à ses pieds à lui, toutes confessant des choses différentes, l’une comme ayant versé sur elle la lavure de l’écuelle, une autre comme l’ayant broyée de coups de poing, une autre comme lui ayant sinapisé le nez. Et en un mot toutes énoncèrent des outrages différents. Après avoir donc prié pour elles, il s’en alla. Quant à celle-là, peu de jours après, n’ayant pas enduré l’estime et l’honneur de ses sœurs, et accablée par les excuses, elle sortit du monastère; et où elle s’en alla, ou bien où elle s’est plongée, ou bien comment elle a fini ses jours, personne ne l’a su.
XXXV – JEAN DE LYCOPOLIS
Il y eut un certain Jean dans la ville de Lyco, qui dans son enfance apprit le métier de charpentier; il avait un frère teinturier. Puis plus tard, arrivé à vingt-cinq ans environ, il renonça au monde. Et avant passé cinq ans dans différents monastères, il se retira seul sur la montagne de Lyco, s’étant fait sur le sommet lui-même trois chambres voûtées, et, y étant entré, il s’emmura. Or une des voûtes était pour les besoins de la chair, une où il travaillait et mangeait, et l’autre où il faisait ses prières. Ayant passé trente années complètes enfermé et recevant par une fenêtre de celui qui l’assistait les choses nécessaires, il fut jugé digne du don de prédictions. Entre autres même il envoya différentes prédictions au bienheureux empereur Théodose, et, à propos du tyran Maxime, qu’après l’avoir vaincu, il s’en reviendra des Gaules. Et pareillement
encore il lui donna de bonnes nouvelles au sujet du tyran Eugène. Un renom considérable se répandit relativement à sa vertu.
Or pendant que nous étions dans le désert de Xitrie, moi et ceux qui entouraient le bienheureux Evagre, nous cherchions à apprendre avec précision quelle était la vertu de cet homme. Alors le bienheureux Evagre dit : « J’apprendrais volontiers de celui qui sait apprécier intelligence et discours, de quelle catégorie est l’homme. Car s’il arrive que moi-même je ne puisse le voir, mais que je puisse entendre exactement un autre raconter ce qui concerne sa manière de vivre, je ne vais pas jusqu’à sa montagne. Pour moi, ayant entendu et n’ayant rien dit à personne, je demeurai un jour en repos, et, le lendemain, ayant fermé ma cellule et ayant confié à Dieu moi-même avec elle, je me surmenai de hâte jusqu’en Thébaïde. Et j’arrivai au bout de dix-huit jours, tantôt à pied, tantôt en bateau sur le fleuve. Mais c’était le temps de la crue, durant lequel beaucoup tombent malades, et certes c’est ce que moi aussi j’eus à supporter. Etant donc parti, je trouvai le vestibule de celui-là fermé. Car plus tard, les frères bâtirent à côté un vestibule très grand où tiennent environ cent personnes. Et, le fermant à clef, ils l’ouvraient le samedi et le dimanche. Par conséquent ayant appris la cause pour laquelle il avait été fermé, je restai tranquille jusqu’au samedi.
Et m’étant présenté à la deuxième heure pour l’entrevue, je le trouvai assis à la fenêtre, au travers de laquelle il paraissait consoler ceux qui s’en approchaient. M’ayant donc salué, il me disait par interprète : « D’où es-tu, et pourquoi es-tu venu? Car je conjecture que tu es du couvent d’Evagre. » Je dis ceci : « Etranger, issu de Galatie. » Et j’avouai que j’étais dans l’intimité d’Evagre. Pendant que nous parlions, survint le gouverneur de la contrée, du nom d’Alypius. S’étant empressé vers lui, il abandonna la conversation avec moi. Alors m’étant retiré un peu, je leur donnai de la place en me tenant de loin. Mais eux conversant pendant longtemps, je nie décourageai et, étant découragé, je murmure contre le beau vieillard, de ce qu’il m’avait méprisé et qu’il avait honoré celui-là. Et dégoûté à cause de cela, j’envisageais la pensée de me retirer en l’ayant méprisé. Mais ayant appelé son interprète, nommé Théodore, il lui dit : « Va, dis à ce frère : N’aie pas de petitesse d’âme. Tout à l’heure je congédie le gouverneur, et je te parle. » Alors je crus en lui comme en un inspiré et je m’appliquai à patienter encore. Et le gouverneur étant sorti, il me rappelle et me dit : « Pourquoi as-tu été blessé au sujet de moi? Qu’as-tu trouvé digne de blâme, puisque tu as pensé des choses qui ne s’appliquent pas à moi et qui ne te siéent pas? Ou bien ne sais-tu pas qu’il est écrit : « N’ont pas besoin de médecin ceux
qui sont en santé, mais ceux qui éprouvent des malaises »(Luc, , )? Je te trouve quand je veux, et toi moi. Et s’il arrive que moi je ne te console pas, d’autres frères ainsi que d’autres pères te consolent. Mais celui-ci est livré au diable par ses affaires mondaines, et, parce qu’il a respiré durant une heure bien courte, comme un esclave qui a fui son maître, il est venu pour recevoir de l’aide. Il eût donc été étrange que nous l’ayons laissé pour nous occuper de toi, alors que tu as du loisir continuellement pour ton salut. » Cela étant, l’ayant supplié de prier pour moi, je fus convaincu que c’était un homme inspiré. Alors faisant le gracieux, ayant souffleté doucement de sa main droite ma joue gauche, il me dit : « Beaucoup d’afflictions t’attendent et tu as été en butte à des hostilités beaucoup pour sortir du désert. Et tu t’es montré timide et tu as différé. Mais le démon t’apportant des prétextes pieux et rationnels te relance. Il t’a suggéré en effet de regretter ton père et de catéchiser ton père et ta sœur en vue de la vie monastique. Eh bien, voici que je t’annonce une bonne nouvelle : tous deux ont été sauvés, car ils ont renoncé au monde. Quant à ton père, en ce moment même, il a d’autres années à vivre. Par conséquent, tiens ferme dans le désert, et, à cause d’eux, ne veuille pas t’en aller dans ta patrie. Il est écrit en effet : « Personne ayant mis la
main à la charrue et s’étant retourné en arrière n’est apte au royaume des cieux » Luc, , . Alors ayant tiré profit de ces paroles et étant suffisamment raffermi, je rendis grâces à Dieu, ayant appris que les prétextes qui me pressaient étaient à leur fin.
0 Ensuite il me dit de nouveau en faisant le gracieux : « Veux-tu devenir évêque? » Je lui dis ceci : « Je le suis. » Et il me dit : « Où? » Je lui dis : « Aux cuisines, aux caves, aux tables, aux vaisselles; je fais l’évêque là-dessus, et s’il arrive qu’il y ait du petit vin qui aigrisse, je le mets à part, mais je bois le bon. Pareillement, je suis aussi l’évêque de la marmite, et s’il manque du sel ou un des assaisonnements, je l’y mets et assaisonne, et alors je la mange. Tel est mon épiscopat : car c’est la gourmandise qui ma ordonné. » Il me dit avec un sourire : « Quitte les plaisanteries. Tu as à être ordonné évêque. à peiner beaucoup et à être affligé. Par conséquent, si tu fuis les afflictions, ne sors pas du désert, car dans le désert personne ne peut t’ordonner évêque. »
M’étant alors séparé de lui, je m’en allai au désert dans mon endroit habituel, et je racontai ces choses mêmes aux bienheureux pères, lesquels, après deux mois, ayant navigué s’en allèrent et le rencontrèrent. Or moi j’oubliai ses paroles. Car après trois ans. je tombai malade d’une infirmité de rate et d’estomac. De là je fus envoyé à Alexandrie par les frères et
j’y soignai une hydropisie. D’Alexandrie, les médecins, à cause de l’air, me conseillèrent de me rendre dans la Palestine; car elle a de l’air léger en rapport avec notre tempérament. De Palestine je gagnai la Bithynie, et là, —je ne sais comment, soit par empressement des humains, soit par la bonne volonté du Plus-Puissant, Dieu le saurait, — je fus jugé digne de l’ordination sur moi : je m’étais mêlé aux conjonctures relatives au bienheureux Jean. Et pendant onze mois, caché dans une cellule ténébreuse, je me souvins de cet (autre) bienheureux, parce qu’il m’avait prédit ce que j’ai subi. Et pourtant, à dessein de m’amener par son récit à la patience du désert, il me racontait ceci en ces termes : « J’ai quarante-huit ans de cette cellule ; je n’ai pas vu de visage de femme, pas d’image de monnaie; je n’ai pas vu quelqu’un en train de mâcher et quelqu’un ne m’a pas vu manger ni boire. »
La servante de Dieu, Poeménie, s’étant approchée pour le voir, il ne se rencontra pas même avec elle ; mais il lui fit savoir aussi un certain nombre de choses secrètes. Puis il l’engagea à ne pas se détourner
sur Alexandrie en descendant de la Thébaïde; « car autrement tu as à tomber sur des épreuves ». Mais elle, ayant calculé différemment ou bien ayant oublié, se dirigea sur Alexandrie pour voir la ville. Or pendant la route, ses embarcations abordèrent près de Niciopolis pour relâcher. Cela étant, ses serviteurs étant sortis engagèrent, par suite d’un certain désaccord, une lutte avec les indigènes, gens furieux. Ceux-ci enlevèrent le doigt d’un eunuque, en tuèrent un autre, et n’ayant pas reconnu le très saint évêque Denys, ils le plongèrent même dans le fleuve, et elle, ils l’accablèrent d’injures et de menaces, après avoir blessé tous les autres serviteurs.
XXXVI – POSIDONIUS
Quant à ce qui concerne les choses nombreuses et difficiles à raconter sur Posidonius le Thébain, comment il fut doux et aussi avancé en ascétisme que possible, quelle grande innocence il avait en lui, je ne sais pas si j’en ai rencontré un autre. J’ai vécu en effet avec lui pendant un an à Bethléem, où il s’établit au-delà du Pœmenium, et j’ai vu à fond ses nombreuses
vertus. Entre autres, il me racontait un jour ceci du moins : « Ayant habité un an dans le pays Porphyrite, je n’ai pas rencontré un homme dans toute l’année, je n’ai pas entendu une conversation, je n’ai pas touché à du pain, sinon que j’ai subsisté avec des petites dattes et quand j’ai trouvé quelque part des herbes sauvages. Entre autres, une fois, les aliments faisant défaut, je sortis de ma grotte pour aller dans le pays habité. Et ayant marché durant tout un jour, je m’éloignai à peine de deux milles de ma grotte. Alors ayant regardé tout alentour je vois un cavalier ayant l’extérieur d’un soldat, ayant un casque en forme de tiare sur la tête. Et, ayant espéré que c’était un soldat, je m’élançai jusqu’à la grotte, et je trouvai une corbeille de raisins et de ligues fraîchement cueillis. L’ayant prise et devenu tout joyeux, j’entrai dans la grotte, ayant pendant deux mois ces aliments pour réconfort. » Mais voici le miracle qu’il fit à Bethléem. Une femme avait un esprit impur, et sur le point même d’enfanter, elle avait un accouchement difficile ; car l’esprit la tourmentait. Sur quoi, le mari de cette femme démoniaque se présenta et il suppliait ce saint de venir. Or comme nous étions entrés ensemble pour prier, lui, debout et déplus ayant prié, après la seconde génuflexion, il chassa l’esprit. S’étant donc levé il nous dit : « Priez, car à l’instant l’esprit impur déguerpit. Et un signe doit subsister, afin que nous soyons
convaincus. » Alors le démon en sortant renversa depuis les fondations le mur entier de la clôture. Mais la femme était depuis six ans sans avoir parlé. Après donc que le démon fut sorti, elle enfanta et parla.
J’ai connu aussi de cet homme la prophétie que voici. Jérôme, un prêtre, habitait dans ces parages, distingué par sa valeur en littérature romaine et par ses aptitudes naturelles. Mais il avait une telle jalousie que sa valeur littéraire en était éclipsée. Or Posidonius ayant séjourné avec lui d’assez nombreux jours, me dit à l’oreille ceci : « La noble Paula, qui a soin de lui, mourra d’abord, débarrassée de sa jalousie, à ce que je crois. Et à cause de cet homme, un saint homme n’habitera pas dans ces lieux; mais sa haine s avancera même jusqu’à son propre frère. » En cela aussi la chose arriva. En effet, il chassa le bienheureux Oxyperentius Italien, et un autre. Pierre, Égyptien, et Siméon, hommes admirables qu’en attendant moi j’ai signalés. Ce Posidonius me racontait qu’il n’avait pas essayé du pain depuis quarante ans, et que certes il n’avait pas
eu de ressentiment contre quelqu’un, même jusqu’à une demi-journée.
XXXVII – SÉRAPION
Un autre, un Sérapion, a existé, et il était surnommé Sindonite; car il ne s’enveloppait jamais de rien, excepté d’un méchant sindon. Il pratiqua un grand détachement des biens et, étant bon lettré, il savait par cœur toutes les Ecritures. Et par suite de ce détachement considérable des biens, et de la méditation des Ecritures, il ne put demeurer tranquille dans une cellule; non point tiraillé par les choses matérielles, mais en parcourant le monde habité, il pratiqua en perfection cette sorte de vertu. Car il était né avec ce naturel-
là. Il y a en effet des différences de naturels, mais non de substances. Quoi qu’il en soit, les pères racontaient qu’après avoir pris un ascète pour compagnon de jeux, il se vendit dans une ville à des mimes païens pour vingt pièces de monnaie. Et ayant mis sous scellé les pièces de monnaie, il les gardait sur lui. Alors il persévéra et servit les mimes qui l’avaient acheté pendant tout le temps, jusqu’à ce qu’il les eut rendus chrétiens et éloignés du théâtre; il ne prenait rien, hormis du pain et de l’eau, et ne restait pas même silencieux de bouche par suite de la méditation des Écritures. Au bout d’un long temps, le mari le premier fut touché profondément, puis la mime, puis leur maison tout entière. Et l’on disait que tant qu’ils ne le connaissaient pas, il leur lavait à tous deux les pieds. Or tous deux ayant été baptisés se retirèrent de la profession théâtrale, et s’étant appliqués à une vie honorable et pieuse, ils vénéraient fort notre homme, et ils lui disent : « Allons, frère, que nous t’affranchissions, puisque toi-même tu nous as affranchis d’une honteuse servitude. » Il leur dit : « Puisque Dieu a agi et que votre âme a été sauvée, que je vous dise le mystère de ma
conduite. Ayant eu pitié de votre âme, moi étant ascète, libre, Egyptien de race, je me suis vendu moi-même en vue de cela, afin de vous sauver. Mais puisque Dieu a fait cela et que votre âme a été sauvée au moyen de ma bassesse, prenez votre or, afin que je parte et vienne en aide à d’autres. » Eux cependant l’ayant beaucoup supplié, lui assurèrent ceci : « Nous te tiendrons pour un père et un maître, reste seulement avec nous. » Ils n’eurent pas la puissance de le persuader. Alors ils lui disent : « Donne l’or aux pauvres, car il a été pour nous des arrhes de salut. D’un autre côté, visite-nous, quand ce ne serait qu’à un intervalle d’une année. »
Avec des déplacements continus, il aboutit en Grèce, et ayant séjourné trois jours à Athènes, il ne fut pas jugé digne de pain par quelqu’un. C’est qu’il ne portail ni petite monnaie, ni besace, ni mélote, ni rien de tel. Cela étant, le quatrième jour survenu, il eut fortement faim; car la faim involontaire est terrible, si elle a pour l’aider l’incrédulité. Et sciant placé sur un tertre de la ville, où les gens en charge de la ville étaient en train de se rassembler, il commença à se plaindre de violence avec des claquements de mains et à crier : « Hommes d’Athènes, au secours! » Et tous étant accourus, porteurs de manteaux râpés et porteurs de casaques, ils lui disent : « Qu’as-tu? et
d’où es-tu? et que souffres-tu? » Il leur dit : « Je suis Egyptien de nation. Mais depuis que je me suis absenté de ma véritable patrie, je suis tombé sur trois usuriers. Deux se sont retirés de moi, désintéressés de leur créance, n’ayant plus rien à réclamer. Mais l’autre ne se retire pas de moi. » Or ceux-là, s’enquérant minutieusement des créanciers afin de les convaincre, l’interrogeaient : « Où sont-ils et qui sont-ils? Qui est celui qui t’importune? Montre-le-nous, afin que nous te secourions. » Alors il leur dit : « Depuis ma jeunesse, m’ont importuné l’avarice, la gloutonnerie et la luxure. Je suis débarrassé de deux, l’avarice et la luxure : ils ne m’importunent plus. Quant à la folie du ventre, je ne peux m’en débarrasser. En effet je suis à mon quatrième jour sans avoir mangé et mon ventre continue à m’importuner et à exiger sa dette habituelle, sans laquelle je ne poux vivre. » Alors quelques-uns dos philosophes ayant soupçonné que c’était de la mise en scène, lui donnent une pièce de monnaie. Et l’ayant reçue, il la posa dans une boulangerie, et ayant pris un seul pain il s’éloigna de la ville, s’étant mis en route aussitôt et n’y étant plus retourné. Alors les philosophes connurent qu’il était véritablement vertueux, et, ayant donné au boulanger le prix du pain, ils prirent leur pièce de monnaie. Cependant étant venu dans les
parages autour de Lacédémone, il entendit dire que quoiqu’un, le premier de la ville, était Manichéen avec toute sa maison, étant du reste vertueux. De nouveau il se vendit à lui, à sa première façon. Et au bout de deux ans, l’ayant séparé de l’hérésie, ainsi que son épouse, il les amena à l’Église. Alors l’ayant aimé, ils ne le regardaient plus comme un domestique, mais comme un frère selon la nature ou un père, et ils glorifiaient Dieu.
Il se jeta un jour dans un vaisseau, comme devant naviguer vers Rome. Les gens du vaisseau ayant supposé que ou bien il avait versé les frais ou bien qu’il possédait en or le montant des débours, le reçurent sans enquête, ayant imaginé l’un l’autre avoir reçu ses bardes. Après avoir navigué et s’en être allés à cinq cents stades d’Alexandrie, les passagers commencèrent à manger vers le coucher du soleil, les gens du vaisseau ayant mangé auparavant. 0 Ils virent donc que lui ne mangeait pas le premier jour, et ils s’y attendirent à cause de la navigation. De même, et le deuxième et le troisième et le quatrième. Le cinquième jour, ils le regardent s’asseoir tranquillement pendant que tous mangeaient, et ils lui disent: « Homme, pourquoi tu ne manges pas? » Il leur dit : « C’est que je n’ai rien. » Alors ils s’enquirent les uns auprès des autres : « Qui a reçu ses effets ou son paiement?» Et comme ils trouvèrent que ce n’était personne, ils commencèrent à le quereller et à lui dire : «Comment es-tu entré sans débours ? D’où peux-tu nous donner
le naulage? ou bien de quoi peux-tu le nourrir ? » Il leur dit : «Je n’ai pas un objet. Reportez-moi et jetez-moi où vous m’avez trouvé. » Mais ceux-là n’auraient pas volontiers relâché, même pour cent pièces d’or; au contraire ils parvenaient à leur but. Ainsi donc il fut dans le vaisseau, et il se trouva qu’ils le nourrirent jusqu’à Rome
Cela étant, après être entré dans Rome, il s’enquérait de tous côtés qui était un grand ou une grande ascète dans la ville. Entre autres, il rencontra aussi un disciple d’Origène, Domninus, dont le lit, après sa mort, a guéri des malades. Donc l’ayant rencontré et ayant été assisté par lui, car c’était un homme raffiné sous le rapport des mœurs et de la science, il apprit de lui quel autre existait, homme ou femme pratiquant l’ascétisme, et il eut connaissance d’une vierge silencieuse qui ne se rencontrait avec personne. Et ayant appris où elle demeurait, il partit et il dit à la vieille femme qui la servait : « Dis à la vierge ceci : j’ai à te rencontrer nécessairement, car c’est Dieu qui m’a envoyé. » Donc ayant attendu deux ou trois jours, il se rencontra ensuite avec elle et il lui dit : « Pourquoi te tiens-tu assise? » Elle lui dit : « Je ne nie tiens pas assise, mais je fais route. » Il lui dit : « Où diriges-tu ta route ? » Elle lui dit : « Vers Dieu. » Il lui dit : « Es-tu en vie ou es-tu morte? » Elle lui dit : « Sur Dieu, je crois que je suis morte, car il n’y a pas à craindre que quelqu’un de vivant dans la chair fasse cette route. » Il lui dit : « N’est-ce pas, pour me convaincre
que tu es morte, fais ce que je fais. » Elle lui dit : « Commande-moi des choses possibles et je les fais. » Il lui répondit : « Tout est possible à un mort, excepté d’être impie. » Alors il lui dit : « Sors et avance en public. » Elle lui répondit : « Je fais une vingt-cinquième année sans avoir paru en public. Et pourquoi paraîtrais-je en public? » Il lui dit : « Si tu es morte pour le monde et le monde pour toi. c’est pour toi la même chose de paraître en publie ou de n’y point paraître. Parais donc en public. » Elle y parut. Et après qu’elle se fut avancée au dehors et qu’elle fut allée jusqu’à une église, il lui dit dans l’église : « Eh bien, si tu veux me convaincre que tu es morte et que tu ne vis plus pour plaire à des hommes, lais ce que je fais, et je sais que tu es morte. T’étant dévêtue comme moi de tous tes vêtements, mets-les sur tes épaules et traverse la ville par le milieu, moi prenant les devants dans cet appareil. » Celle-là lui dit : « Je scandalise beaucoup de gens par l’indécence de la chose, et ils ont le droit de dire ceci : elle est devenue extravagante et elle est démoniaque. » Il lui fut répondu : « Et que t’importe s’ils disent ceci : elle est devenue extravagante et elle est démoniaque ; puisque pour eux tu es morte. » Alors celle-là lui dit : « Si tu veux une autre chose, je la fais: car à cette mesure-ci je ne prétends pas être arrivée. » Alors il lui dit : « Vois donc, ne t’enorgueillis plus de toi-même,
comme plus religieuse que tous et morte au monde. En effet, moi je suis plus mort que toi et je montre en fait que je suis mort au monde; car c’est sans émotion et sans honte que je fais cela. » Alors l’ayant laissée dans des sentiments d’humilité et ayant brisé son orgueil, il se retira.
Et nombreuses encore sont d’autres actions admirables qu’il lit et qui ont trait à l’impassibilité. Il meurt dans la soixante-dixième année de son âge, enterré à Rome même.
XXXVIII – EVAGRE
Ce qui se rapporte à Evagre, l’illustre diacre, l’homme qui a vécu selon les apôtres, il n’est pas juste de le passer sous silence; mais ayant jugé digne de le mettre par écrit pour l’édification de ceux qui liront et la gloire de la bonté de notre Sauveur, j’expose depuis le début comment il en vint à son dessein et comment, l’ayant poursuivi dans l’ascétisme, il meurt dignement dans le désert à cinquante-quatre ans, selon
ce qui est écrit : « En peu de temps, il a fourni le compte de beaucoup d’années » (Sagesse, , ).
Par son origine il était du Pont, de la ville d’Ibora, fils d’un chorévêque. Il fut promu lecteur par le saint Basile, évoque de l’église de Césarée. Cela étant, après la mort du saint Basile, lorsqu’il eut remarqué ses aptitudes, le très sage, très impassible et distingué par sa culture, Grégoire de Nazianze, évêque, lui impose les mains comme diacre. Puis au grand synode de Constantinople, il le cède au bienheureux Nectaire l’évêque, comme étant très bon dialecticien contre toutes les hérésies. Et dans la grande ville il était florissant, mettant la fougue de la jeunesse dans ses paroles contre
chaque hérésie. Or il arriva que fort honoré par la ville entière, il fui empêtré par le fantôme d’une concupiscence féminine, ainsi qu’il nous le raconta, quand plus tard il fut délivre d’y penser. A son tour la femelle s’amouracha de lui : or elle appartenait aux premiers rangs. Cela étant, Évagre craignant Dieu, ayant le respect de sa propre conscience et s’étant mis devant les yeux la grandeur de l’acte honteux et la joie malveillante des hérésies, pria Dieu, en le suppliant d’être entravé par lui. Quoi qu’il en soit, la femme le pressant et étant enragée, lui le voulant n’avait pas la force de se retirer, retenu par les liens de cette servitude . Or peu après, sa prière ayant réussi, avant d’en arriver à la pratique, il se présenta à lui une vision angélique sous l’aspect de soldats du gouverneur; elle l’entraîne et le mène comme au tribunal et le jette dans ce qu’on appelle le poste, des gens lui ayant attaché le cou et les mains avec des colliers et des chaînes de fer, étant venus à lui apparemment sans lui en dire la cause. Mais lui savait par sa compréhension intime que c’était pour celle-là qu’il subissait cela, et il s’était imaginé que son mari était intervenu. Aussi pendant
qu’il était extrêmement anxieux, un autre procès se faisant et d’autres étant mis à la torture à cause d’une accusation, il demeurait fort anxieux. Cependant l’ange, qui avait procuré la vision, se métamorphose pour représenter un ami authentique, et lui dit, alors qu’il avait été attaché, parmi quarante condamnés à la chaîne : « A cause de quoi es-tu retenu ici, seigneur diacre? » Il lui dit : « En vérité, je ne sais pas, mais le soupçon me tient qu’un tel, l’ex-gouverneur, a sollicité contre moi, sous le coup d’une jalousie déraisonnable. Et je crains que le chef, corrompu pour de l’argent, ne me soumette à un châtiment. » Il lui dit : « Si tu écoutes ton ami, il n’est pas dans ton intérêt de vivre dans cette ville. » Evagre lui dit: « Si Dieu vient à me délivrer de cette infortune-là et que tu me voies à Constantinople, sache que c’est bien justement que je subis ce châtiment. » L’autre lui dit : « J’apporte l’évangile, et jure-moi sur lui que tu te retires de cette ville et que tu as souci de ton âme, et je le délivre de cette fatalité. » Alors il apporta l’évangile, et il lui jura sur l’évangile ceci : « A part un jour, afin que j’aille d’avance mettre dans le navire mes habits, il n’y a pas de crainte que je demeure. » Le serment s’étant donc produit, il revint de l’extase qui lui était arrivée dans la nuit. Et s’étant levé, il réfléchit à ceci : « Quoique le serment ait eu lieu dans une extase, tout de même j’ai juré. » En conséquence, ayant jeté dans ce navire tout ce qu’il avait, il s’en va à Jérusalem.
Et là il est accueilli par la bienheureuse Mélanie de Rome. Puis le diable lui ayant desséché de nouveau le cœur de même qu’à Pharaon, comme il était jeune et plein de sève pour son Age, il lui vint quelque doute cl il eut de l’hésitation sans rien dire à personne ; et alors, il change de nouveau d’habits et la vaine gloire l’engourdissait même dans son langage. Mais le Dieu, qui empêche notre perte à tous, le jeta dans un accès de fièvre, et à la suite il lui exténua dans une longue maladie pendant une période de six mois la pauvre chair par laquelle il était entravé. Cependant les médecins étant, embarrassés et ne trouvant pas un mode de traitement, la bienheureuse Melanie lui dit : « Fils, ta maladie qui se prolonge ne me plaît pas. Dis-moi donc ce qu’il y a dans ta pensée. Car cette maladie que tu as n’existe pas sans Dieu. » Alors il lui avoua l’affaire complète. Et elle lui dit : « Donne-moi ta parole devant le Seigneur, que lu t’en tiens au but de la vie monastique. Et quoique je me trouve pécheresse, je prie qu’il te soit donné + un congé de vie. + » Et lui y consentit. Donc en peu de jours il fut en santé. Et s’étant levé, il fut changé d’habits par elle-même, et il part, s’étant expatrié vers la montagne de Nitrie en Egypte.
Y ayant habité deux années, la troisième, il
s’engage dans le désert. Or ayant vécu quatorze ans dans ce qu’on appelle les Cellules, il mangeait une livre de pain et en trois mois un setier d’huile, et c’était un homme sorti d’une vie très molle, délicate et très opulente! Et il faisait cent prières, écrivant pendant l’année pour la valeur seulement de ce qu’il mangeait; car il était doué pour écrire le caractère oxyrynque. Cela étant, en quinze ans, ayant purifié au suprême degré son esprit, il fut jugé digne du don de science, de sagesse et de discernement des esprits. Il compose donc trois livres sacrés pour moines, les Antirrhetica, ainsi qu’on les appelle : il y soumet des procédés relativement aux démons. Le démon de la
luxure l’importuna lourdement, comme lui-même nous le racontait. Et pendant chaque nuit, il se tint nu dans le puits — c’était l’hiver. — au point même que ses chairs étaient figées. D’autres fois, à son tour, un esprit de blasphème l’importuna. Et en quarante jours, il n’entra pas sous un toit, ainsi qu’il nous le raconta, au point même que son corps, comme chez les animaux sans raison, grouillait de tiques. Trois dénions se présentèrent à lui un jour en tenue de clercs, le questionnant sur la foi. Et l’un se disait Arien, l’autre Eunomien, l’autre Apollinariste. Et il les domina par sa sagesse au moyen de paroles concises. D’autre part un jour la clef de l’église ayant été perdue, ayant signé la face de la serrure et ayant poussé de la main, il ouvrit, après avoir invoqué le Christ. Il fut tellement fustigé par des démons et il reçut une épreuve de démons si considérable que le compte n’en est pas possible. Et à un de ses disciples il dit ce qui devait arriver au bout de dix-huit ans, lui ayant tout prophétisé selon une vision. Puis il disait ceci : « Depuis que j’ai occupé le désert, je n’ai pas touché à une laitue, ni à quelque autre légume vert, ni à un fruit, ni à un raisin, ni à de la viande, ni à un bain. » Et plus tard, la seizième année de ce régime sans aliment cuit, sa chair ayant
besoin, à cause de la faiblesse de l’estomac, de prendre quelque chose qui avait passé par le feu, il ne toucha plus à du pain, mais prenant une part de légumes potagers ou de tisane ou de légumes à cosses pendant deux ans, il meurt dans ces conditions; il avait communié pour l’Epiphanie à l’église. Quoi qu’il en soit, il nous déclarait ceci, vers sa mort : « Voilà trois ans que j’ai été sans être importuné par une concupiscence charnelle — après tant de vie, de fatigues, de labeurs et d’oraison incessante. » La fin de son père lui fut signifiée et-il dit à celui qui la lui avait annoncée : « Cesse de blasphémer, car mon père est immortel. »
XXXIX – PIOR
Pior, un jeune Egyptien, ayant renoncé au monde sortit de la maison paternelle et donna à Dieu sa parole, dans un transport de zèle, de ne plus voir quelqu’un de ses proches. Quoi qu’il en soit, cinquante ans après., sa sœur ayant vieilli et ayant entendu dire qu’il était vivant, tournait au dérangement d’esprit, dans le cas où elle ne le verrait pas. Mais ne pouvant aller dans le grand désert, elle Supplia l’évêque de l’endroit d’écrire aux pères du désert, afin qu’ils l’envoyassent et qu’elle le vît. Une violence considérable l’ayant donc circonvenu, il lui parut bon de s’adjoindre un autre et
de partir. Et, dans la maison de sa sœur, il signifia ceci : « Ton frère Pior est arrivé. » Alors s’étant tenu dehors et s’étant aperçu au bruit de la porte que la vieille femme sortait à sa rencontre, il ferma les yeux et lui cria : « La une telle, la une telle, je suis Pior ton frère, je le suis; regarde-moi tant que tu veux. » Donc elle convaincue, ayant glorifié Dieu et ne l’ayant pas décidé à entrer dans sa maison, retourna dans sa propre habitation. Quanta lui, ayant lait une prière sur le seuil, il s’expatria de nouveau dans le désert.
Puis on rapporte de lui ce miracle, c’est qu’ayant creusé à l’endroit qu’il habitait il trouva une eau très amère. Et jusqu’à ce qu’il mourut, il demeura là, s’étant réglé sur l’amertume de l’eau pour montrer sa patience. Or plusieurs moines, après sa mort, ayant rivalisé pour rester dans sa cellule ne purent y achever une année. Car l’endroit est affreux et sans consolation.
Moïse le Libyen, homme très doux tout à fait et très charitable, fut jugé digne du don des guérisons. Il m’a raconté ceci : « Dans le monastère, quand j’étais jeune, nous creusâmes un très grand puits de vingt pieds de large. Dedans, pendant trois jours, quatre-vingts hommes ayant déblayé et ayant dépassé d’une coudée la veine ordinaire et soupçonnée, nous ne trouvâmes pas d’eau. Alors étant tout à fait navrés nous méditions de renoncer à l’ouvrage. Et il survint Pior du grand désert, à la sixième heure même de la chaleur,
vieillard enveloppé de la mélote; il nous salua et dit après la salutation : « Gens de peu de foi, pour ce quoi avez-vous perdu courage? je vous ai vus, en effet. « depuis hier perdre courage. » Et étant descendu sur l’échelle dans le creux du puits, il fait une prière avec eux. Et ayant pris le pic, il dit après avoir porté le troisième coup : « Dieu des saints patriarches, ne laisse pas inutile le travail de tes serviteurs ; mais envoie-leur le nécessaire des eaux. » Et sur-le-champ l’eau jaillit au point qu’ils furent entièrement arroses. Cela étant, ayant de nouveau fait une prière, il s’en alla. Or comme ils le pressaient de manger, il ne le souffrit pas en disant : « Ce pour quoi j’ai été envoyé a été achevé; mais pour cela je n’ai pas été envoyé. »
XL – ÉPHREM
Tu as certainement entendu parler de ce qui concerne Éphrem le diacre de l’église d’Edesse, car il est
devenu un de ceux qui méritent d’être mentionnés par les religieux. Il a dignement suivi jusqu’au bout la route de l’Esprit, et n’ayant pas été détourné du droit chemin, il fut favorisé du don de connaissance naturelle, que continuent la science de Dieu et la béatitude finale. Donc, ayant toujours pratiqué la vie de quiétude et édifiant ceux qui le rencontraient pendant assez d’années, plus tard il sortit de sa cella pour la raison que voici. Une grande famine s’étant emparée de la ville d’Édesse, ayant eu compassion de toute la campagne en train de périr, il alla vers les puissants en biens matériels et il leur dit : « A cause de quoi n’avez-vous point pitié de la nature humaine en train de périr, tandis que vous laissez pourrir votre richesse pour la condamnation de vos âmes? » Alors ayant réfléchi, ils lui disent ceci : « Nous n’avons pas en qui avoir confiance pour s’employer au service des affamés. Car tous sont des trafiquants dans les affaires. » Il leur dit : « Quelle opinion avez-vous de moi? » Or il avait une grande réputation auprès de tous, non pas feinte mais réelle. ) Ils lui disent : « Nous te savons homme de Dieu. » — « Eh bien, dit-il, ayez confiance en moi. Voici qu’à cause de vous je m’élis directeur d’hospice. » Et ayant reçu de l’argent, après avoir séparé par des barrières les portiques et dressé environ trois cents lits, il soignait les malades affamés, ensevelissant ceux qui défaillaient, soignant les malades qui avaient espérance de vie, et en un mot, à
à cause de la faim, procurant chaque jour à tous les indigènes hospitalité et assistance sur ce qui lui était libéralement fourni. Or l’année ayant été achevée, la prospérité ayant suivi et tous s en allant chez eux. comme il n’avait plus à faire, il retourna dans sa cella et mourut au bout d’un mois, Dieu lui ayant procuré cette occasion de la Couronne en acheminement à sa fin. Il a cependant laissé aussi des compositions dont la plupart sont dignes d’étude.
XLI – SAINTES FEMMES
Mais il est nécessaire de faire aussi mention, dans ce livre, des femmes viriles, auxquelles Dieu a accordé pour leurs luttes les mêmes faveurs qu’aux hommes; c’est afin qu’on ne prétexte pas qu’elles sont trop faibles pour la pratique régulière de la vertu. Or j’en ai vu beaucoup et je me suis trouvé avec beaucoup de vierges et de veuves distinguées. Entre autres, Paula la Romaine, mère de Toxotius,
femme d’une distinction supérieure pour la vie spirituelle. Elle eut pour embarras vin certain Jérôme de Dalmatie. Elle pouvait en effet voler au-dessus de toutes, étant très bien douée ; mais il l’encombra de sa jalousie, après l’avoir attirée dans ses vues personnelles. D’elle une fille existe, qui maintenant se livre à l’ascétisme, du nom d’Eustochie à Bethléem. Moi, je n’ai pas été en relation avec elle; mais on dit qu’elle est d’une chasteté fort éminente et elle a un couvent de cinquante vierges.
D’autre part, j’ai connu Vénerie, la femme du comte Vallovicus, laquelle distribua magnifiquement la charge d’un chameau et se trouva exempte des plaies qu’engendrent les biens matériels; puis Théodora, la femme du tribun, laquelle en vint à un tel dépouillement de fortune qu’après avoir reçu l’aumône, elle finit ainsi dans le monastère d’Hésychas, près de la mer. J’ai connu celle qui se nommait Hosia, femme très vénérable en tout, puis Adolia, sa sœur, qui vécut d’une façon non pas comparable à elle, mais en rapport avec ses propres moyens. J’ai connu aussi Basianilla, la femme de Gandidianus, le commandant d’armée, qui pratiqua la vertu ardemment et scrupuleusement et est
maintenant encore fort occupée par des épreuves; puis Photina, vierge très vénérable au suprême degré, fille de Théoctiste, le prêtre du voisinage de Laodicée. D’autre part encore, je me suis rencontré à Antioche avec une femme très vénérable et conversant familièrement avec Dieu, la diaconesse Sabiniana, tante de Jean, l’évêque de Constantinople. Et j’ai vu aussi à Rome la belle Asella, la vierge qui avait vieilli dans le monastère, femme d’une douceur fort éminente et servant d’appui à des couvents. Là, j’ai contemplé des hommes et des femmes nouvellement catéchisés. J’ai vu aussi Avita, digne de Dieu, avec son mari Apronien et leur fille Eunomie, cherchant à plaire à Dieu au point que, publiquement, ils furent convertis à la vie vertueuse et continente : ils se sont rendus dignes par là de mourir dans le Christ, délivrés d’un côté de toute faute, et d’un autre côté étant entrés en possession de la gnose; ils ont laissé leur vie en bon souvenir.
XLII – JULIEN
J’ai entendu parler d’un certain Julien dans les parages d’Edesse, homme très adonné à l’ascétisme.
Ayant macéré à l’excès sa pauvre chair, il ne portait que les os et la peau. Vers les derniers temps de sa fin, il fut jugé digne du don de guérisons.
XLIII – ADOLIUS
J’ai connu encore à Jérusalem un nommé Adolius. Tarsien d’origine, qui, étant venu à Jérusalem, suivit tout à fait la voie qui n’est pas fréquentée, non celle où la plupart nous avons marché; mais il s’était taillé à lui-même un genre de vie étrange. C’est qu’il pratiqua l’ascétisme au-delà des forces humaines, au point que les démons eux-mêmes, tremblant devant son austérité, n’osèrent pas s’approcher de lui. Car à cause de l’excès de son abstinence et de ses veilles, il fut même soupçonné d’être un fantôme. En effet durant le carême il mangeait tous les cinq jours et tout le reste du temps tous les deux jours. Mais sa grande pratique était celle-ci. Depuis le soir jusqu’à ce que de nouveau la communauté des frères fût rassemblée dans les maisons de prières, lui, au mont des Oliviers, sur le tertre de l’Ascension d’où Jésus fut enlevé, il était constamment debout, chantant et priant. Et
qu’il tombât de la neige, ou de la pluie, ou de la gobe blanche, il demeurait sans bouger. Or ayant terminé son temps habituel, il heurtait les collas de tous avec le petit marteau à réveiller, les rassemblant dans les maisons de prières, et, dans chaque maison, chantant avec eux une ou deux antiphones et priant avec eux ; alors il s’en retournait avant le jour dans sa cellule, dans un tel état souvent, en vérité, que les frères le dévêtaient, pressaient ses habits comme au sortir du lavage et l’en enveloppaient d’autres. De la sorte donc, s’étant reposé de nouveau jusqu’à l’heure de la psalmodie, il s’y appliquait jusqu’au soir. Et telle fut par conséquent la vertu d’Adolius de Tarse, qui devint parfait à Jérusalem et mourut là.
XLIV – INNOCENT
Ce qui concerne le bienheureux Innocent, prêtre d’Olivet, tu l’as entendu dire par beaucoup; mais tu
n’entendras non plus rien moins de nous qui avons vécu trois ans avec lui. Il était très simple, jusqu’à l’extrême. Or ayant été parmi les dignitaires du palais dans les débuts de l’empereur Constance, il renonça au monde en sortant du mariage, où il avait même un fils du nom de Paul, de la maison militaire. Celui-ci ayant péché envers la fille d’un prêtre, Innocent maudit son propre fils, ayant supplié Dieu en disant ceci : « Seigneur, donne-lui un esprit tel que sa misérable chair ne trouve plus le temps de pécher. » Il pensait qu’il était meilleur pour celui-là de lutter contre un démon que contre l’intempérance. Et c’est ce qui arriva. Encore maintenant, il est sur la montagne des Oliviers, portant des fers et châtié par l’esprit. Combien compatissant d’une part fut cet Innocent, je serai considéré comme un radoteur en racontant la vérité, au point que souvent il volait aux frères et donnait à ceux qui étaient dans le besoin. D’autre part, il fut extrêmement innocent et simple et il fut jugé digne d’un don contre les démons. Entre autres, une fois, lui fut apporté sous nos yeux un jeune garçon pris par un esprit et de la paralysie, de sorte que moi l’ayant
vu, je voulus publiquement repousser la mère de celui qui était amené; je désespérais de la guérison. Or il arriva que le vieillard, étant venu sur ces entrefaites, la vit se présenter à lui, pleurer et se lamenter sur l’infortune inénarrable de son fils. Alors le beau vieillard ayant pleuré et s’étant ému jusqu’aux entrailles, prit le jeune garçon et entra dans son oratoire qu’il avait bâti lui-même, où reposent des reliques de Jean-Baptiste. Et ayant prié pour lui depuis l’heure de tierce jusqu’à l’heure de none. il rendit le jeune garçon en santé à sa mère, le même jour, après avoir chassé sa paralysie et son démon. Et telle était sa paralysie qu’en crachant l’enfant crachait sur son dos, tant il était déjeté.
Une vieille femme, ayant perdu une brebis, vint à lui en pleurant. Et l’ayant suivie, il dit : « Montre-moi l’endroit où tu l’as perdue. » Elle l’emmène dans les parages autour de Lazarium. Alors, debout, il se mit en prière. Cependant les jeunes gens qui avaient dérobé celle-là. ayant pris les devants, regorgèrent. Or pendant qu’il priait, personne n’avouant et la viande ayant été cachée dans le vignoble, un corbeau vint de quelque endroit se poser et ayant pris un morceau
s’en retourna ensuite. Et le bienheureux, l’ayant remarqué, trouva la bête immolée. Et ainsi les jeunes gens, étant tombés à ses pieds, avouèrent qu’ils l’avaient égorgée et on leur réclama le prix que cela valait.
XLV – PHILOROMUS
Nous avons rencontré en Galatie et nous avons séjourné longtemps avec le prêtre Philoromus, homme très avancé en ascétisme et très patient. Il était issu d’une mère domestique et d’un père libre. Mais il montra une telle noblesse de sentiments dans le genre de vie selon le Christ que les invincibles eux-mêmes sous le rapport de la race révéraient sa vie et sa vertu. Il renonça au monde dans les jours de Julien, l’infâme empereur, et il lui parla avec franchise. Lui le fit raser et souffleter par déjeunes enfants. S’étant résigné à la chose, il lui exprima même de la reconnaissance, ainsi qu’il nous le raconta. Dans les débuts, s’acharna sur lui la guerre de la fornication et de la gourmandise.
Il chassa cette passion en s’enfermant, en portant des fers et en s’abstenant de pain de blé et de tout ce qui est cuit au feu. S’étant contraint à cela pendant dix-huit ans. il chanta au Christ l’hymne du triomphe. Combattu diversement par les esprits de malice, il tint bon dans un seul monastère pendant quarante ans. Et il racontait ceci : « Pendant trente-deux ans je n’ai touché à aucun fruit. » Puis une fois, la timidité lui ayant livré des assauts, il s’enferma, pour la surmonter, six ans dans un tombeau. Le bienheureux évêque Basile, charmé de son austérité et de sa fermeté, avait tout à fait soin de lui. Encore maintenant il n’a pas renoncé au calame et au quaternion pour écrire, et il est peut-être dans sa quatre-vingtième année. Il a dit ceci : « Depuis que j’ai été initié aux mystères et régénéré jusqu’aujourd’hui, je n’ai pas gratuitement mangé le pain d’un antre, mais de mes propres labeurs. » Ainsi devant Dieu, il nous persuada qu’il avait donné à des estropiés deux cent cinquante pièces de monnaie provenant du travail de ses mains, n’ayant jamais fait tort à personne. Par un trajet à pied, il est allé aussi jusqu’à Rome même, pour prier sur le martyrium du bienheureux Pierre. Et il poussa auparavant aussi jusqu’à Alexandrie, pour prier sur le martyrium de
Marc. Puis + il alla + aussi pour la seconde fois à Jérusalem, étant parti sur ses pieds et ayant suffi à ses dépenses. Et il disait ceci : « Je ne me souviens pas de m’être éloigné de Dieu une fois en esprit. »
XLVl – MÉLANIE L’ANCIENNE
La trois fois heureuse Mélanie fut Espagnole d’origine, puis Romaine. Elle fut la fille de Marcellinus, l’ex-consul, et la femme d’un homme dans les dignités, dont je ne me souviens pas bien. Devenue veuve à l’âge de vingt-deux ans, elle fut favorisée de l’amour divin, et n’ayant rien dit à personne, car elle en était empêchée dans les temps de Valens qui avait le pouvoir dans l’empire, après avoir fait nommer un tuteur à son fils, pris tous ses meubles et les avoir jetés sur un navire, elle fit voile rapidement vers Alexandrie avec des enfants et des femmes illustres. Et de
là, après avoir vendu ses biens matériels et les avoir monnayés en or, elle pénétra dans la montagne de Nitrie, se rencontrant avec les pères, les Pambon. Arsisius, Sérapion le Grand, Paphnuce de Scété, Isidore le Confesseur, évêque d’Hermopolis et Dioscore. Et elle séjourna près d eux jusqu’à la moitié d’une année, circulant à travers la solitude et visitant tous les saints. Mais après cela, l’Augustal d’Alexandrie bannit Isidore, Pisimius, Adelphius, Paphnuce et Pambon, avec eux aussi Ammonius Parotes et douze évoques et prêtres, en Palestine aux environs de Diocésarée. Elle les suivit en les assistant de ses propres biens. Or des serviteurs étant interdits, à ce qu’on racontait, car je me suis trouvé avec le saint Pisimius, Isidore, Paphnuce et Ammonius, elle, ayant pris la blouse d’un jeune esclave, leur portait les soirs ce qui leur était nécessaire. Or le consulaire de Palestine l’ayant su et ayant voulu remplir sa poche, espéra l’enfumer. Et l’ayant arrêtée, il
la jeta en prison, ignorant sa condition libre. Mais elle lui déclare : « Moi, je suis née fille d’un tel et femme d’un tel, mais je suis une servante du Christ. Et ne va pas conspuer la vileté de mon extérieur, car je peux me rehausser moi-même, si je veux, et tu n’as pas à propos de cela à m’enfumer ni à prendre quelque chose de ce qui est à moi. Ainsi donc, c’est afin que tu ne tombes point par ignorance dans des griefs, que je t’ai fait cette déclaration. Il faut, en effet, contre les gens qui ne comprennent pas, user de l’arrogance comme d’un épervier. » Alors le juge, en connaissance de cause, s’exécuta, lui rendit honneur et ordonna que, sans être empêchée, elle se rencontrât avec les saints.
Après leur rappel, avant fondé à Jérusalem un monastère, elle y passa vingt-sept ans, ayant là un couvent de vierges. Avec elle vécut le très noble Rufin d’Italie, de la ville d’Aquilée. ayant le même caractère et plein de fermeté, plus tard jugé digne de la prêtrise. Il ne se trouvait pas parmi les hommes un plus instruit et plus modeste que lui. Tous deux accueillant
durant ces vingt-sept ans, ceux qui, dans un but de prière, étaient de passage à Jérusalem, évêques, moines, vierges, ils édifièrent, aux frais de leur maison, tous ceux qui étaient de passage, et ils ramenèrent à l’unité le schisme selon Paulin, d’environ quatre cents hommes vivant en solitaires, puis ayant convaincu tout hérétique pneumatomaqué, ils l’introduisirent dans l’église ; honorant les clercs de l’endroit de dons et d’aliments, ils allèrent ainsi jusqu’au bout, sans avoir scandalisé personne.
XLVII – CHRONIUS PAPHNUCE
Un nommé Chronius, du village appelé Phœnicé, ayant mesuré, à partir de son propre village qui est
proche du désert, quinze mille pas comptés du côté du pied droit, se mit là en prières et creusa un puits. Et ayant trouvé une eau très belle, distante de sept brasses, il se bâtit là un petit logement. Et du jour où il s’installa lui-même dans sa résidence, il demanda à Dieu de ne plus retourner du tout dans un endroit habité. Mais quelques années ayant passé, il fut jugé digne de la prêtrise, une communauté de frères d’environ deux cents hommes ayant été rassemblée autour de lui. Or la vertu de son ascèse est rapportée ainsi : c’est qu’avant siégé soixante ans en officiant à l’autel, il ne sortit pas du désert, et ne mangea pas de pain d’autre provenance que du travail de ses propres mains.
Avec lui habitait un certain Jacob, du voisinage, au surnom de boiteux, ayant à un degré éminent de très grandes connaissances. Et tous deux furent connus du bienheureux Antoine. Or un jour Paphnuce, celui qu’on surnommait Céphale. accourut aussi. Il avait un don de science des divines écritures de l’Ancien et du Nouveau Testament, l’interprétant tout entier sans avoir lu d’écritures; mais il était modeste au point de voiler sa vertu de prophétie. On rapporte de lui que pendant quatre-vingts ans, il n’eut pas en même temps deux tuniques. Nous étant trouvés avec eux, moi et les bienheureux Evagre et Albanais, nous cherchions à apprendre les causes qui font dévier ou
déchoir ou défaillir les frères dans la vie comme il faut. Il arriva en effet, en ces jours-là, que Chérémon l’ascète termina sa vie assis et qu’il fut trouvé mort sur sa chaise, tenant son ouvrage dans les mains. Et il arriva aussi qu’un autre frère creusant un puits fut englouti par ce puits. Et un autre, en revenant de Scété, mourut par suite du manque d’eau. Entre autres aussi, l’histoire d’Etienne, tombé dans un honteux libertinage, et d’Eucarpe, celle de Héron d’Alexandrie, celle de Valens de Palestine et celle de Ptolémée l’Égyptien de Scété. Nous demandions donc quelle était la cause de ce fait que des hommes, vivant ainsi dans la solitude, avaient été les uns trompés dans leur esprit, les autres violemment entamés par la licence. Alors Paphnuce, le plus éclairé, nous donna cette réponse en ces termes : « Tout ce qui arrive se partage sur deux choses, la volonté de Dieu et sa permission. Par conséquent, tout ce qui se fait selon la vertu en vue de la gloire de Dieu, cela arrive par la volonté de Dieu ; mais aussi, d’un autre côté, tout ce qui est dommageable, périlleux, dû à des circonstances fâcheuses et à des défaillances, cela arrive par permission de Dieu. Cependant cette permission est rationnelle; car il est impossible que celui qui pense avec droiture et vit avec droiture, succombe dans des fautes de déshonneur ou d’égarement par des démons. Par conséquent, tous ceux qui semblent embrasser la vertu pour une
fin perverse, le vice de complaire aux hommes ou l’infatuation des pensées, ceux-ci aussi tombent par suite de faux pas : pour leur utilité, Dieu les abandonne, afin que ressentant, grâce à cet abandon, la différence qui résulte du changement, ils corrigent ou l’intention ou l’action. Tantôt, en effet, l’intention pèche, lorsqu’elle a lieu par une fin mauvaise; mais tantôt aussi l’action, lorsqu’elle se fait d’une façon perverse ou non selon la manière qu’il faut, c’est ce qui arrive souvent même au vicieux qui, avec une intention perverse, fait l’aumône à des jeunes filles à cause d’une fin honteuse; mais son action est conforme à la raison, en ce sens qu’il donne assistance à une orpheline, à une solitaire, à une pratiquante d’ascétisme. D’autre part, il arrive aussi qu’on fait l’aumône avec une intention droite à des malades ou à des vieillards ou à des gens déchus de leur fortune, mais parcimonieusement et avec murmure : alors l’intention est bien droite, mais l’action n’est pas digne de l’intention. Il faut en effet que le miséricordieux fasse miséricorde avec gaieté et générosité. » Puis ils disaient encore ceci en ces termes : « Il y a des qualités dans beaucoup d’âmes, dans les unes bonté naturelle de pensée, dans les autres aptitude pour ascèse. Seulement, lorsque ni l’action ni la bonté naturelle ne se produisent à cause du bien lui-même, et que ceux qui possèdent ces qualités ne les attribuent pas au Dieu qui donne les biens, mais à leur propre libre arbitre, à leurs dons naturels, à leur capacité, ces gens-là sont dans l’abandon ; mais une fois acquis à des pratiques honteuses ou à des sentiments
honteux et au déshonneur, grâce à l’humiliation qui survient et au déshonneur, insensiblement, d’une certaine façon, ils se débarrassent de leur vanité à propos de leur prétendue vertu. En effet, lorsque celui qui s’est enflé d’orgueil, en se prévalant de la bonté naturelle de ses discours, n’attribue pas à Dieu ce bon naturel ni le don gratuit de sa science, mais à son application ou à sa nature, Dieu éloigne de lui l’ange de sa providence. Quand celui-ci s’est détourné, celui qui se prévalait de son bon naturel est terrassé par l’Adversaire et tombe par sa présomption dans le dérèglement. C’est afin que, le garant de la tempérance étant retiré, ce qui est dit par eux devienne indigne de crédit : les gens pieux fuient alors l’enseignement venant de semblable bouche comme une fontaine contenant des sangsues, de sorte que s’accomplit ce qui a été écrit : « Dieu a dit au pécheur : Pourquoi racontes-tu mes jugements et reprends-tu mon alliance en ta bouche?» (Ps. , ). 0 C’est qu’en vérité les âmes des vicieux ressemblent à diverses fontaines, les uns, gourmands et ivrognes, à des fontaines bourbeuses; les autres, avares et ambitieux, à des fontaines contenant des grenouilles; les autres, envieux, orgueilleux, mais ayant de l’aptitude pour la science, à des fontaines nourrissant des serpents, dans lesquels toujours la raison est flottante, mais personne n’y puise volontiers, à cause de l’amertume du caractère. C’est pourquoi David demandait en suppliant trois choses :
« bonté, règle de conduite et science » (Ps. , ). Sans bonté, en effet, la science est inutile. Et si celui qui est tel se corrige, ayant mis de côté la cause de son abandonnement, c’est-à-dire l’orgueil, s’il reprend de l’humanité, s’il reconnaît sa mesure en ne se prévalant pas contre quelqu’un, en rendant grâces à Dieu, la science accompagnée de sa preuve revient de nouveau en lui. Car des discours spirituels qui n’ont pas pour escorte une vie honnête et tempérante sont des épis flétris par le vent : ils ont bien l’apparence, mais on leur a dérobé les principes nutritifs. Donc toute chute, soit par la langue, soit par la sensibilité, soit par action, soit par l’ensemble du corps, tend à un abandonnement, conformément à la proportion de la présomption, bien que Dieu ménage ceux qui sont abandonnés. En effet, si, au milieu de leur dérèglement, le Seigneur vient à rendre témoignage même à la bonté naturelle de leur esprit en leur octroyant l’éloquence, la superbe en fait des démons qui se prévalent avec leur impureté. »
Et ces hommes nous disaient encore ceci : « Lorsque tu vois, dit-il, quelqu’un irrégulier dans sa conduite et persuasif en parole, souviens-toi du démon conversant, selon l’Ecriture, avec le Christ et du témoignage qui dit : « Le serpent était le plus prudent de tous les animaux de la terre » (Gen. , ). Pour lui, la prudence tourna plutôt en dommage, parce qu’une autre vertu ne lui avait pas fait cortège; car il faut que celui qui est fidèle et bon pense ce que Dieu donne, qu’il dise ce qu’il pense et lasse ce qu’il dit. Si en effet la parenté de la vie ne concorde pas
avec la vérité des paroles, c’est, selon Job, du pain sans sel, qui ne sera nullement consommé, ou qui, consommé, conduira ceux qui le mangent à un malaise. « Car, dit-il, est-ce qu’on mangera du pain sans sel? « Est-ce qu’il y a du goût dans des discours vides » (Job. , ), qui ne sont pas remplis du témoignage des œuvres? Donc, parmi les causes de ces abandonnements, l’une est en vue de la vertu cachée, afin qu’elle soit manifestée, comme celle de Job, Dieu négociant avec lui et disant : « Ne rejette pas mon jugement, ne pense pas que j’ai négocié avec toi autrement que pour que lu apparaisses juste » (Job. 0, ). Car tu m’étais connu, à moi qui vois les secrets, et, pendant que tu étais ignoré des hommes, au moment où l’on supposait que lu me servais pour la fortune, j’ai amené le contretemps, j’ai moissonné ta fortune, afin que je leur montrasse ta résignation reconnaissante. L’autre cause est en vue de la ruine de la superbe, comme à propos de Paul. En effet Paul fut abandonné, en butte à des contretemps, à des soufflets
et à diverses afflictions, et il disait : « Il m’a « été donné une épine dans la chair, un ange de Satan, « pour me frapper à coup de poing, afin que je ne me « prévale pas » (II Cor. , ). Peut-être, au milieu de ses miracles, le repos, le succès et l’honneur qui lui arrivait l’auraient-ils jeté tout bouffi de vanité dans un orgueil diabolique. Egalement fut abandonné le paralytique à cause dépêchés, ainsi que le dit Jésus : « Voici que tu es devenu sain, ne pèche plus » (Jean, , ). Également fut abandonné Judas qui préféra l’argent à la Parole, et c’est pour cela qu’il s’étrangla. Fut aussi abandonné Ésaü, et il tomba dans le dérèglement, ayant préféré du fumier d’intestins à une bénédiction paternelle. En sorte que, ayant le sentiment de tout cela, Paul a dit : « Puisqu’on effet ils n’ont « pas jugé bon d’avoir Dieu dans une connaissance supérieure, Dieu les a livrés au sens réprouvé, jusqu’à faire ce qui n’est pas convenable » (Rom. , ). Mais, sur quelques autres qui semblent avoir une connaissance de Dieu avec un esprit corrompu : Puisqu’on effet « ayant connu Dieu, ils ne l’ont pas glorifié ce ou remercié comme Dieu » Rom. , ), « Dieu ce les a livrés à des passions de déshonneur » Rom. , ). En sorte que, par là, nous connaissons qu’il n’y a pas moyen que quelqu’un tombe dans le dérèglement, sans avoir été abandonné par la providence de Dieu. »
XLVIII – ELPIDIUS
Dans les grottes des Amorrhéens. en descendant Jéricho, lesquelles jadis ils taillèrent dans la pierre en fuyant Jésus, fils de Navé, qui ravageait alors les tribus étrangères, sur la montagne de Doucas, vint Elpidius, un Cappadocicn, plus tard jugé digne de la prêtrise, et ayant fait partie du monastère de Timothée, chorévêque de Cappadoce, homme très capable : il habita dans une de ces grottes. Il montra dans son ascétisme une telle maîtrise de soi, qu’il éclipsait tous les autres. En effet, ayant vécu vingt-cinq ans, il prenait quelque chose seulement les dimanches et le samedi, restant debout les nuits et chantant la psalmodie. Avec lui, tel qu’un petit roi au milieu des abeilles, habitait la multitude des frères, et moi aussi j’ai habité avec lui, et ainsi il transforma en ville la montagne. Et il était possible d’y voir différents genres de vie. Une fois un scorpion blessa cet Elpidius psalmodiant durant la
nuit, pendant que nous aussi nous psalmodiions avec lui. L’ayant foulé aux pieds, il ne changea même pas la pose de son attitude, n’ayant pas tenu compte de la douleur relative au scorpion. Puis un jour, un frère tenant un morceau de sarment, lui, l’ayant pris pendant qu’il était assis à l’extrémité de la montagne, il l’enterra comme en le plantant, quoique en non-saison. Et cela grandit et devint une vigne au point de couvrir l’église. Avec lui se sanctifia aussi Aenesius, un homme digne de considération ainsi qu’Eustathe son frère. Quant à lui, il parvint à un tel degré d’impassibilité, en macérant son corps, que le soleil brillait à travers ses os. Et un récit est rapporté par ses fervents disciples, c’est que jamais il ne se tourna vers le couchant, parce que la montagne en hauteur dominait la porte de sa grotte. Il ne vit pas non plus le soleil après l’heure de sexte, alors qu’il était au-dessus de sa tête et déclinait au couchant, ni non plus les étoiles qui se levaient au couchant, pendant vingt-cinq ans; et depuis qu’il entra dans sa grotte, il ne descendit pas de la montagne, jusqu’à ce qu’il fut enterré.
XLIX – SISINNIUS.
Un disciple de cet Elpidius avait nom Sisinnius, issu de condition servile, mais libre au regard de la foi, Cappadocien de nation. Car il faut même faire ressortir cela pour la gloire du Christ qui nous ennoblit et nous mène à la véritable noblesse. Ayant séjourné auprès d’Elpidius six ou sept ans, il s’enferma plus tard dans un tombeau, et pendant trois ans dans ce tombeau, il persévérait en prières sans s’asseoir ni jour ni nuit, sans se mettre à table, sans faire un pas au dehors. Il fut jugé digne d’un don contre des démons. Mais maintenant étant retourné dans sa patrie, il a été jugé digne de la prêtrise, ayant réuni une communauté d’hommes et de femmes. Par son genre de vie vénérable, il a chassé ce qu’il y a du mâle en lui dans la concupiscence, et par la tempérance il a bridé l’élément femelle dans les femmes, de sorte que s’accomplit ce qui a été écrit : « Dans le Christ Jésus, personne n’a du mâle et de la femelle » (Gai. , ). Puis il est également hospitalier, quoique étant sans biens : c’est à la confusion des riches qui ne partagent pas avec autrui.
L – GADDANAS
J’ai connu un vieillard de Palestine du nom de Gaddanas, qui a passé sa vie, sans toit, dans les parages aux environs du Jourdain. Une fois, des Juifs, l’ayant attaqué par fanatisme dans les parages autour de la mer Morte, marchèrent contre lui Cépée nue. Et il arriva la chose que voici : En levant l’épée et en voulant la tirer contre Gaddanas, la main de celui qui avait mis à nu l’épée fut desséchée, et l’épée tomba de celui qui l’avait.
LI – ELIE
Élie, moine aussi aux mêmes endroits, habitait dans une grotte, étant d’une vie très vénérable et disciplinée. Un jour plusieurs frères étant venus chez lui, car l’endroit était un passage, il manqua de pain. Et il nous certifia ceci du moins : « Découragé sur le fait, j’entrai dans ma cellule et je trouvai trois pains. Et ayant mangé à satiété étant vingt, un des (pains) resta, dont je me servis pendant vingt-cinq jours. »
LII – SABAS
Un nommé Sabas, laïque, du pays de Jéricho, ayant femme, devint si ami des moines qu’il circulait au travers des cellas cl du désert dans les nuits, et, à chaque résidence, mettait à l’extérieur un médimne de dattes et la suffisance de légumes, parce que les ascètes du Jourdain ne mangeaient pas de pain. Un jour, un Lion le rencontra et l’ayant surpris à un mille, le chassa et le fit retourner, puis, ayant pris son Ane, s’éloigna.
LIII – ABRAMIUS
Il y eut un Abramius, Egyptien d’origine, qui vécut dans le désert une vie très rude et très sauvage. l’esprit sous le coup d’une conviction malencontreuse, il vint dans l’église et il se querellait avec les prêtres en disant : « J’ai été ordonné prêtre cette nuit par le Christ, et acceptez-moi pour officiant. » Les pères l’ayant séparé de la solitude et réduit à une vie plus grossière et plus indifférente, le guérirent de sa présomption, et
ils amenèrent à la connaissance de sa propre faiblesse celui qui avait été illusionné par le démon.
LIV – ENCORE LA SAINTE MÉLANIE
De l’admirable et sainte Mélanie j’ai parlé plus haut, à la vérité en y touchant superficiellement ; néanmoins maintenant je vais tisser dans mon récit ce qui me reste. Combien elle a dépensé de bien matériel dans son zèle pour Dieu, enflammée dune sorte de feu. ce n’est pas à moi à le raconter, mais encore à ceux qui habitent la Perse. Personne en effet n’a échappé à sa bienfaisance, ni le levant, ni le couchant, ni le nord, ni le midi. Car c’était la trente-septième année que donnant l’hospitalité, elle a subvenu de ses propres frais à des églises, à des monastères, à des étrangers et à des prisons, ceux de sa famille, son fils lui-même et ses propres intendants lui fournissant de l’argent. Ayant persisté si longtemps dans l’exercice de l’hospitalité, elle ne posséda pas un empan de terre, elle ne se laissa pas attirer parle désir de son fils, et le regret de
cet unique fils ne la sépara pas de la charité pour le Christ. Mais, grâce à ses prières, le jeune homme parvint au plus haut degré en fait d’éducation et de caractère, à un mariage illustre, et il entra dans les dignités mondaines. Il eut aussi deux enfants. Or longtemps après, ayant entendu parler de la situation de sa petite-fille, à savoir qu’elle était mariée et qu’elle se proposait de renoncer au monde, ayant craint qu’ils ne fussent entamés par une mauvaise doctrine, une hérésie ou une mauvaise vie, âgée de soixante ans, elle se jeta dans un vaisseau et, ayant fait voile depuis Césarée, elle arrive à Rome au bout de vingt jours. Et là, ayant rencontré Apronien, qui était païen, l’homme éminemment bienheureux et considérable, elle le catéchisa et rendit chrétien, lui ayant persuade; de garder la continence avec sa propre femme, sa nièce à elle, Avita. Puis, ayant aussi assuré dans la fermeté sa propre petite-fille Mélanie avec son mari Pinien. et ayant catéchisé Albine, sa belle-fille, la femme de son fils, et les ayant tous préparés à vendre ce qui leur appartenait, elle les emmena de Rome et les conduisit au port vénérable et tranquille de la Vie. Et ainsi elle combattit
comme des bêtes sauvages tous les personnages sénatoriaux et leurs épouses qui l’écartaient à propos du renoncement au monde dans le reste des maisons. Or elle leur disait : « Petits enfants, il a été écrit il y a quatre cents ans : « C’est la dernière heure ». Pourquoi vous attardez-vous avec plaisir à la vanité de la vie, dans la crainte que les jours de l’antichrist ne vous surprennent et que vous ne jouissiez plus de votre fortune et des biens de vos ancêtres?» Et les ayant tous libérés, elle les amena à la vie monastique. Et ayant catéchisé le fils plus jeune de Publicola. elle le conduisit en Sicile ; et avant vendu tout ce qui lui restait et reçu les valeurs, elle se rendit à Jérusalem, et après avoir distribué ses biens matériels, elle mourut au bout de quarante jours dans une belle vieillesse et une mansuétude très profonde, ayant laissé encore à Jérusalem un monastère avec ses revenus.
Cependant lorsque tous ceux-là se furent éloignés de Rome, une tempête de barbares, celle qui depuis longtemps reposait dans les prophéties, fondit
sur Rome et ne laissa pas même les statues d’airain sur la place publique, mais ayant tout ravagé avec une démence barbare, elle le livra à la destruction, de sorte que Rome qu’on avait aimé à embellir pendant douze cents ans, devint une ruine. Alors ceux qui avaient été catéchisés et ceux qui avaient été opposés à la catéchèse glorifièrent Dieu : il avait, par le bouleversement des choses, convaincu les incroyants qu’entre toutes les autres faites prisonnières, seules furent pleinement sauvées les familles qui étaient devenues, grâce au zèle de Mélanie, des holocaustes au Seigneur.
(LV). — | Il nous arriva de faire route ensemble d’Aelia en Egypte, en escortant la bienheureuse Silvanie,
la vierge, sœur de la femme de Rufin, l’ex-préfet. Entre autres était aussi avec nous Jubin, alors diacre et maintenant évêque de l’église d’Ascalon, homme pieux et érudit. Or une chaleur très forte nous surprit et quand nous fûmes arrivés à Péluse, il se trouva que Jubin, ayant pris une cuvette, se lava avec le poing les mains et les pieds dans une eau très froide, et après s’être lavé il se reposa sur un matelas de peau jeté sur le pavé. Celle-là Mélanie s’étant approchée, comme une mère sage d’un fils selon la nature, elle le raillait sur sa délicatesse en disant : « Comment oses-tu, ayant cet âge où ton sang est encore plein de vie, choyer ainsi la misérable chair, sans t’apercevoir des choses pernicieuses qui naissent d’elle? Crois bien, crois bien ceci : j’ai soixante ans d’âge ; à part les extrémités des mains, ni mon pied n’a touché d’eau, ni mon visage, ni un de mes membres ; quoique saisie de différentes infirmités et contrainte par les médecins, je n’ai pas supporté de rendre à la chair ce qui est d’usage, je ne me suis pas reposée sur un lit, je n’ai pas fait route en quelque endroit avec une litière. »
Devenue elle-même très savante et ayant pris l’amour de la littérature, elle changea les nuits en jours
et parcourut chaque écrit des anciens commentateurs, entre autres trois cents myriades d’Origène, vingt-cinq myriades de Grégoire, d’Etienne, de Piérius, de Basile et de quelques autres très studieux. Et elle ne les parcourut pas simplement ni comme cela se trouvait, mais elle parcourut avec des efforts chaque livre sept ou huit fois. C’est même pourquoi elle put, une fois délivrée de la science faussement nommée, être munie d’ailes parla grâce de ces traités : au moyen de salutaires espérances elle se rendit elle-même oiseau spirituel et effectua sa traversée auprès du Christ.
LVI – OLYMPIADE
Marchant sur la considération de celle-là et sur sa trace, la très vénérable et très fervente Olympiade suivit le Conseil. Elle fut la fille de Seleucus, l’ex-comte, la petite-fille d’Ablavius, l’ex-préfet, et l’épouse pour quelques jours de Nébridius, l’ex-préfet de la ville, mais ne fut la femme de personne, car on dit qu’elle mourut vierge, mais compagne de vie du Verbe de vérité. Elle dispersa tout ce qui lui appartenait et le
distribua aux pauvres. Ayant livré pour la vérité des combats non médiocres, catéchisé beaucoup de femmes, parlé avec révérence aux prêtres, honoré les évoques, elle fut jugée digne de confesser la vérité. Ceux qui habitent Constantinople rangent sa vie parmi les confesseurs, car elle est morte ainsi et elle a émigré vers le Seigneur au milieu de combats en l’honneur de Dieu.
LVII – CANDIDE ET GÉLASIE
Sur la considération de celle-là et comme dans un miroir, la bienheureuse Candide, fille de Trajan, le commandant d’armée, vécut dignement et étant parvenue au plus haut point de la sainteté, ayant honoré églises et évêques. catéchisé sa propre fille pour la condition de la virginité, elle l’adressa, don de ses flancs, en prémices au Christ ; plus tard, elle se mit à la suite de sa fille par sa tempérance, sa chasteté et les distributions de ses biens. Je sais que. durant chaque nuit, elle se fatiguait à moudre de ses mains pour la mortification de son corps, racontant ceci : « Le jeu ne suffisant pas, je lui donne encore pour alliée la veille pénible, afin que je réduise à néant la fierté hennissante
d’Esaü. » Dune part, elle s’abstint au plus haut point de ce qui a sang et vie; mais d’autre part, elle prenait, en fête, du poisson et des légumes avec de l’huile. Elle persista ainsi à se contenter d’un mélange vinaigré et de pain sec.
En émulation avec elle marcha pieusement, ayant tiré le joug de la virginité, la très vénérable Gélasie qui était fille d’un tribun. Et voici ce qu’on rapporte de sa vertu, c’est que le soleil ne se coucha jamais sur un sentiment pénible d’elle ni contre un serviteur, ni contre une servante, ni contre quelque autre.
LVIII – CEUX D’ANTINOÉ
Ayant séjourné quatre ans à Antinoé de Thébaïde. pendant un temps aussi long, j’ai pris également connaissance des monastères de là. En effet, autour de la ville sont établis douze cents hommes environ, vivant de leurs mains et pratiquant l’ascétisme d’une façon éminente. Parmi eux sont aussi des anachorètes qui se sont enfermés eux-mêmes dans les grottes des rochers. Entre autres il y a un Solomon, homme très doux et réservé, et ayant le don de patience. Il disait avoir
cinquante ans de sa grotte, s’étant suffi à lui-même avec le travail de ses mains et ayant appris toute la sainte Ecriture.
Dorothée habitant dans une autre grotte, prêtre, très bon jusqu’à l’extrême, ayant vécu lui aussi la vie irrépréhensible, fut jugé digne de la prêtrise et chargé du ministère pour les frères qui sont dans les grottes. Un jour, Mélanie la Jeune, petite-fille de la grande Mélanie, dont je parlerai plus tard, lui envoya cinq cents pièces de monnaie, l’ayant prié de les employer pour les frères de là. Mais lui, en ayant pris seulement trois, renvoya le reste à l’anachorète Dioclès, homme doué de toute science, en disant ceci : « Le frère Dioclès est plus sage que moi et il peut les administrer sans faire de tort, sachant ceux qui doivent raisonnablement être assistés. Quant à moi, je me contente de ceci. »
Ce Dioclès partit d’abord de la grammaire et plus tard il s’adonna à la philosophie; car, avec le temps, la grâce l’avait attiré. Lorsqu’il approcha de la vingt-huitième année de son âge, il renonça au cycle des études cl s’attacha au Christ, et lui aussi il passait
dans les grottes une trente-cinquième année. Il nous disait ceci : « L’intelligence qui s’est éloignée de la pensée de Dieu devient ou démon ou bête. » Et comme nous lui demandions curieusement le mode qu’il avait voulu dire, il disait alors ceci : « L’intelligence qui s’est éloignée de la pensée de Dieu succombe nécessairement par concupiscence ou par colère. » Et il appelait bestiale la concupiscence, et démoniaque la colère.
Puis moi lui objectant ceci : « Comment est-il possible qu’une intelligence humaine soit avec Dieu sans interruption? » Et le même disait ceci : « En quelque pensée ou action pieuse et relative à Dieu que puisse être l’âme, elle est avec Dieu. »
Près de lui demeurait un certain Capiton, ex-voleur, Ayant passé intégralement cinquante ans dans les grottes à quatre milles de la ville d’Antinoé, il ne descendit pas de sa grotte, pas même jusqu’au fleuve du Nil, disant qu’il ne pouvait pas encore se rencontrer avec les foules, parce que l’adversaire lui faisait de l’opposition à l’instant même.
Avec eux nous avons vu aussi un autre anachorète, pareillement lui aussi dans une grotte. Illusionné en rêves par le taon de la vaine gloire, il se moquait à son tour de ceux qui se trompaient : « Il paissait des vents » (Prov. , ). Et, d’une part, il avait la tempérance selon le corps à cause de la vieillesse, à cause du temps et peut-être à cause de la vaine gloire : mais,
d’autre part, son jugement était altéré par le désordre de la vaine gloire.
LIX – AMMA TALIS ET TAOR
Dans cette ville d’Antinoé il y a douze monastères de femmes, où j’ai rencontré aussi l’Anima Talis, une vieille ayant quatre-vingts ans d’ascèse, ainsi qu’elle et ses voisines le racontaient. Avec elle habitaient soixante jeunes tilles, qui l’aimaient tellement qu’une clef ne se mettait pas à la clôture du monastère, comme dans d’autres, mais qu’elles étaient dominées par l’amour de celle-là. Et la vieille femme parvint à un tel degré d’impassibilité qu’elle vint et s’assit avec moi, quand je fus entré et assis, et qu’elle posa ses mains sur mes épaules dans un transport de franchise.
Dans ce monastère, une vierge, son élève, du nom de Taor, ayant trente ans de ce monastère, ne voulut jamais recevoir un vêtement neuf ou un voile ou une chaussure, en disant ceci : « Je n’en ai pas besoin, afin que je ne sois pas forcée aussi de sortir. » En effet
toutes les autres vont le dimanche à l’église pour la communion. Mais celle-là reste, vêtue de haillons, dans la résidence, assise sans interruption à l’ouvrage. Or elle avait le visage si parfaitement gracieux de nature, qu’il était près d’arriver que le plus ferme fàt séduit par sa beauté, si elle n’avait eu sa chasteté, comme sauvegarde supérieure : elle refoulait par sa modestie l’œil libertin vers le respect et la crainte.
LX – UNE VIERGE ET COLLUTHUS LE MARTYR
Une autre était voisine de moi, mais je n’ai pas vu son visage, car elle ne sortit jamais, à ce qu’on dit, depuis qu’elle eut renoncé au monde. Or ayant passé intégralement soixante ans dans l’ascétisme avec sa propre mère, elle était plus tard sur le point de changer de vie. Et le martyr de l’endroit, du nom de Colluthus, s’étant présenté devant elle, lui dit : « Aujourd’hui tu dois faire route vers le Maître et voir tous les saints. Eh bien, étant venue, déjeune avec moi dans mon sanctuaire. » S’étant donc levée de grand matin, s’étant habillée et ayant pris dans sa corbeille à elle du pain, des olives et des légumes à tige effilée, elle sortit après tant d’années,
et, étant entrée au sanctuaire, elle pria. Et ayant observé le moment de toute la journée où personne n’était à l’intérieur, s’étant assise, elle s’adresse au martyr en disant : « Bénis mes aliments, saint Colluthus, et accompagne-moi dans ma route avec tes prières. » Alors ayant mangé et de nouveau ayant prié, elle revint, vers le coucher du soleil, dans sa maison. Et ayant donné à sa mère un écrit de Clément, l’auteur des Stromates, sur le prophète Amos, elle dit : « Donne-le à l’évêque exilé, et dis-lui : Prie pour moi, car je fais route. » Et elle mourut dans cette nuit sans fièvre ni mal de tête, mais s’étant arrangée elle-même pour la sépulture.
LXI – MELANIE LA JEUNE
Puisque plus haut j’ai promis d’avance de parler de la descendante de Mélanie, nécessairement je paie
ma dette; car il n’est pas juste que, regardant avec dédain ce qui est fort jeune dans sa chair, nous rejetions de côté, sans lui élever une stèle, une vertu aussi grande, laquelle, franchement, l’emporte de beaucoup sur des personnes Agées et ferventes. Ses parents l’ayant forcée l’amenèrent à un mariage entre les premiers de Rome; mais, se piquant toujours des directions de sa grand’mère, elle fut stimulée au point qu’elle ne put s’accommoder du mariage. En effet deux enfants mâles lui étant nés et tous deux étant morts, elle parvint à une telle haine du mariage qu’elle dit à son mari Pinien, fils de Sévère l’ex-préfet, ceci : « Si tu choisis de faire de l’ascétisme avec moi selon la Parole de la Sagesse morale, je te reconnais pour maître et seigneur de ma vie ; mais si cola te paraît lourd, parce que tu es trop jeune, ayant pris tous mes biens, rends la liberté à mon corps, afin que j’accomplisse mon désir scion Dieu, en devenant l’héritière du zèle de ma grand’mère, dont j’ai aussi le nom. Car si Dieu voulait que nous fassions des enfants, il
ne m’aurait pas pris avant l’âge ceux qui ont été enfantés. » Or, quand ils eurent lutté sous le joug pendant longtemps, plus tard Dieu ayant eu compassion du jeune homme lui inspira aussi un zèle de renoncement au monde, de sorte que sur eux s’accomplit ce qui est écrit : « Femme, en quoi sais-tu donc si tu sauveras ton mari? » (I Cor. ,). Donc, mariée à treize ans et ayant vécu sept ans avec son mari, à vingt, elle renonça au monde. Et d’abord elle donna aux autels ses écharpes de soie ; mais cela aussi, la sainte Olympiade l’a fait. Puis ayant taillé le reste des objets en soie, elle fit différents meubles pour les églises. Et ayant confié son argent et son or à un prêtre, Paul, moine de Dalmatie, elle envoya par mer en Orient, en Egypte et en Thébaïde dix mille pièces de monnaie, à Antioche et à ses dépendances dix mille pièces, en Palestine quinze mille pièces, aux églises des îles et à ceux des lieux de relégation dix mille pièces, et elle fournissait semblablement par elle-même aux églises d’Occident. Tout cela et son quadruple, elle l’arracha, pour dire ainsi devant Dieu, de la bouche du lion Alaric, grâce à sa foi personnelle. Et elle affranchit les huit mille esclaves qui voulurent; car les autres ne
voulurent pas, mais choisirent de servir son frère : elle les lui céda tous à prendre avec trois pièces de monnaie. Puis, ayant vendu ses possessions des Espagnes, d’Aquitaine, de Tarraconaise et des Gaules, s’étant réservé les seules de Sicile, de Campanie et d’Afrique, elle les consacra à un entretien de monastères. Voilà sa sagesse touchant le fardeau des richesses. Et voici son ascèse : elle mangeait tous les deux jours — et dans les débuts même au bout de cinq, — s’étant astreinte elle-même à un tour du service journalier de ses servantes, qu’elle a rendues ses compagnes d’ascétisme.
Puis, elle a aussi avec elle sa mère Albine qui pratique pareillement l’ascétisme et qui de son côté éparpille en particulier ses propres richesses. Or elles sont en train d’habiter sur leurs terres, tantôt de Sicile, tantôt de Campanie, avec quinze eunuques et soixante vierges et libres et servantes. Pareillement aussi
Pinien son mari, avec trente moines, lisant et s’occupant au jardin et à de graves conférences. Or ils ne nous honorèrent pas petitement nous aussi, quand, étant assez nombreux, nous fûmes arrivés à Rome, à cause du bienheureux évêque Jean : ils nous ont restaurés par leur hospitalité et par des viatiques très larges, se préparant comme fruit, avec une grande joie la vie éternelle par les œuvres, qui sont un don divin, de la meilleure manière de vivre.
LXII – PAMMACHIUS
Leur parent, du nom de Pammachius, ex-proconsul ayant pareillement renoncé au monde, vécut la vie parfaite. Quant à sa fortune tout entière, il en éparpilla une part de son vivant, et en mourant il laissa l’autre aux pauvres. Pareillement (il y eut) aussi un Macaire, ex-vicaire, et Constantin qui fut assesseur des préfets d’Italie, hommes distingués, très savants et parvenus au plus haut degré de l’amour de Dieu. Je crois qu’ils sont encore dans la chair, après avoir pratiqué la vie parfaite.
LXIII – VIERGE QUI ACCUEILLIT LE BIENHEUREUX ATHANASE
A Alexandrie, j’ai connu une vierge que j’ai rencontrée d’environ soixante-dix ans. Or tout le clergé témoignait qu’étant jeune, environ à vingt ans et fort excellemment belle, elle était à éviter à cause de sa beauté, afin qu’elle ne donnât à personne sujet de blâme par suite de soupçon. Quoi qu’il en soit, lorsqu’il arriva que les Ariens conspirèrent contre le bienheureux Athanase, évoque d’Alexandrie, au moyen d’Eusèbe le préposé, sous l’empereur Constance, et lorsqu’ils l’accusaient injustement par leurs calomnies, évitant d’être jugé par un tribunal corrompu, il ne se confia à personne, ni parent, ni ami, ni clerc, ni un autre. Mais les envoyés du préfet étant entrés soudain dans l’évêché et le cherchant, il prit sa tunique et sa casaque et, au beau milieu de la nuit, il s’enfuit chez cette vierge. Or déconcertée à cause de la chose, elle fut tout à fait effrayée. Alors il lui dit : « Comme je suis cherché par
les Ariens et dénoncé injustement, en conséquence pour ne pas remporter moi-même une réputation déraisonnable et jeter dans un péché ceux qui veulent me punir, je me suis mis dans l’idée de fuir. Puis Dieu m’a révélé cette nuit ceci : Tu n’as à être sauvé chez personne, sinon chez celle-là. » Elle donc, dans une joie considérable, ayant rejeté toute discussion, se lit toute entière au Seigneur ; elle cacha ce très saint pendant six ans, la vie durant de Constance : elle lavait ses pieds, faisait le service des sécrétions, pourvoyait à tous ses besoins, empruntait des livres et les lui procurait. Et personne parmi les hommes d’Alexandrie entière ne sut dans les six ans où passait son temps le bienheureux Athanase. Or dès que la mort de Constance fut annoncée et qu’elle parvint à ses oreilles, s’étant bien habillé de nouveau dans la nuit, il fut trouvé dans l’église, et tous furent hors d’eux-mêmes, et le contemplèrent comme un vivant d’entre les morts. Alors il se justifiait de la sorte à ses amis sincères : « C’est pour ceci que je ne me suis pas réfugié vers vous, afin qu’il vous fût facile de faire serment et d’autre part aussi à cause des perquisitions. Et je me suis réfugié vers celle sur laquelle personne ne pouvait avoir de soupçon, parce que belle et assez jeune. J’ai recherché deux choses : et son salut, car je lui ai été utile, et ma réputation. »
LXIV – JULIENNE
Julienne, une autre vierge de Césarée de Cappadoce, était dite très savante et très fidèle. C’est elle qui reçut l’écrivain Origène fuyant l’insurrection des Païens, et pendant deux ans, grâce à ses dépenses et à son dévouement, elle réconforta l’homme. Or j’ai trouvé ceci écrit dans un très vieux livre en vers, où avait été écrit de la main d’Origène : « J’ai trouvé ce livre chez Julienne la vierge de Césarée, quand je me cachais chez elle. » Pour elle, elle disait l’avoir reçu de Symmaque lui-même, l’interprète des Juifs.
Ce n’est pas à titre d’accessoire pourtant que j’ai placé aussi les vertus de ces femmes : c’est pour que nous apprenions qu’il est possible de plusieurs façons de réaliser le gain par excellence, si à un moment donné nous le voulons.
LXV – HISTOIRE D’HIPPOLYTE
Dans un autre livre très vieux et manuscrit j’ai
trouvé d’Hippolyte familier des apôtres le récit que voici : c’est qu’une vierge très noble et très belle existait dans la ville de Corinthe, pratiquant l’ascétisme en vue de la virginité. Vers ce temps-là, on la déféra auprès de celui qui alors rendait la justice, un païen, vers le temps des persécuteurs, comme blasphémant et les temps et les empereurs et maudissant les idoles. Mais, d’un autre côté, les trafiquants de ces choses-là vantaient à outrance sa beauté. Or le juge, qui était fou de femmes, accueillit avec plaisir la calomnie, en cheval qui dresse les oreilles. Et comme, ayant mis en mouvement tous les moyens, il ne put persuader la créature, alors, dans sa fureur contre elle, il ne la livra pas à un châtiment ni à la torture, mais l’ayant placée dans un lieu de prostitution, il enjoignit au tenancier de celles-là ceci : « Prends-la, en me rapportant d’elle par jour trois pièces de monnaie. » L’autre, en exigeant de l’or, la présentait à livrer à ceux qui voulaient. Cela étant, dès que les éperviers à femmes en eurent connaissance, ils furent assidus à la boutique de perdition, et, donnant la piécette, ils lui parlaient de ce qui avait trait à la séduction. Mais elle, avec instances,
les priait en disant ceci : « J’ai dans un endroit caché un ulcère qui pue extrêmement, et je crains que vous n’arriviez à une haine de moi. Accordez-moi donc quelques jours et vous avez possibilité de m’avoir même gratuitement ». Alors elle suppliait Dieu dans ses prières pendant ces jours-là. Aussi Dieu ayant vu sa chasteté inspira à un jeune homme, agent du maître des offices, beau d’intelligence et d’aspect, un zèle enflammé pour la mort. Et s’en étant allé sous prétexte de libertinage, il entre un soir avancé vers celui qui nourrit celles-là, il lui donne cinq pièces de monnaie et lui dit : « Concède-moi de demeurer cette nuit-ci avec elle. » Etant donc entré dans la maison secrète, il lui dit : « Lève-toi, sauve-toi toi-même. » Et l’ayant dévêtue et enveloppée de ses propres vêtements, ses chemises, son manteau et tous ses effets virils, il lui dit : « T’étant voilée entièrement avec l’extrémité du manteau, sors. » Et ainsi s’étant signée et étant sortie, elle fut sauvée sans corruption et sans souillure. Mais le lendemain, l’affaire fut connue. L’agent du maître des offices fut livré et jeté aux bêtes, afin que le démon eut à rougir même en ceci, devint doublement martyr, et pour soi et pour cette bienheureuse.
LXVI VÉRUS L’EX-COMTE
A Ancyre de Galatie, dans la ville elle-même, j’ai rencontré un certain Vérus, clarissime, dont j’ai eu même une longue expérience, qui était ex-comte, avec son épouse Bosporie. Ils en vinrent à un tel point de ferme espérance qu’ils frustrèrent même leurs enfants, en considérant pratiquement l’avenir. En effet ils dépensent les revenus de leurs campagnes sur ceux qui sont pauvres. Ils ont deux filles et quatre fils, à qui ils ne donnent pas de dot, excepté à celles qui ont été mariées, en disant ceci : « Après notre départ de la vie, tout est vôtre. » Mais apportant les fruits de leurs possessions, ils les distribuent dans les églises des villes et des villages. Et certes, sous ce rapport, ceci également est en eux une preuve de vertu. Une famine étant survenue, qui s’attaquait même aux affections, ils ramonèrent les hérésies à l’orthodoxie, ayant fourni dans beaucoup de campagnes leurs greniers à blé pour l’alimentation des pauvres. Puis pour le reste de leur train de vie, l’ayant repris très grave tout à fait et modique, ils portent des vêtements fort peu chers, vivent d’une nourriture très peu coûteuse, pratiquant la tempérance en vue de Dieu, séjournant la plupart du
temps dans leurs terres et fuyant les villes, de peur que par le plaisir partagé là, ils ne contractent quelque chose des troubles des villes et ne déchoient de leur dessein.
LXVII – MAGNE
Dans cette ville d’Ancyre se distinguent encore beaucoup d’autres vierges, environ deux mille ou plus, ainsi que des femmes continentes et distinguées. Parmi elles les surpasse en religion Magne, femme très vénérable ; mais je ne sais comment l’appeler, vierge ou veuve. Car alliée de force par sa mère à un mari, l’ayant alléché et ajourné, à ce que disent la plupart, elle est demeurée intacte. Lui étant mort peu après, elle se donna tout entière à Dieu, s’occupant sérieusement de ses propres maisons, vivant d’une vie très ascétique et réservée, ayant la conversation telle que les évêques mêmes la révéraient pour l’excellence de sa religion. Comme elle fournit aux besoins nécessaires et superflus des hôpitaux, des pauvres et des évêques de passage, elle ne cesse pas de travailler en secret par elle-même
et par des serviteurs très fidèles, et elle ne quitte pas l’église pendant les nuits.
LXVIII – LE MOINE COMPATISSANT
Pareillement dans cette ville, nous avons trouvé un moine qui préférait ne pas recevoir une ordination de prêtrise et qui avait été amené (là) en sortant d’un service militaire de peu de durée. Il passe sa vingtième année dans l’ascèse, ayant ce genre de vie : il demeure auprès de l’évêque de la ville, mais il est si humain et miséricordieux qu’il circule les nuits et prend pitié de ceux qui sont dans le besoin. Il ne néglige ni prison, ni hôpital, ni pauvre, ni riche, mais il secourt tous, donnant aux uns des réflexions sur la compassion comme à des gens sans entrailles, se mettant au-devant des autres, apaisant ceux-là, fournissant aux autres des provisions du corps et des vêtements. Et ce qui a coutume d’arriver dans toutes les grandes villes existe aussi dans celle-ci. En effet, dans le portique de l’église, une multitude de malades couchés quête la nourriture du jour, les uns non mariés, les autres mariés. Il arriva donc qu’un jour, au milieu de la nuit, la femme d’un accouchait sous le portique en hiver. Or il l’entendit qui criait dans les douleurs,
et ayant abandonné ses oraisons accoutumées, il sortit et regarda, et n’ayant trouvé personne il tint lui-même lieu de femme-médecin : il n’eut pas horreur de la souillure qui accompagne les accouchées, la compassion ayant produit en lui de l’insensibilité. Quant à la tenue de ses habits, elle ne vaut pas une obole, et son alimentation le dispute à ses habits. Se pencher sur une tablette, il n’en a pas le moyen : le sentiment d’humanité l’éloigné des lectures. Si l’un des frères vient à lui donner un petit livre, il le vend sur-le-champ, répondant à ceux qui le raillent, ceci : « D’où puis-je persuader à mon Maître que j’ai appris son art, à moins que je ne le vende Lui-même pour l’application parfaite de cet art? »
LXIX – VIERGE DÉCHUE ET REPENTIE
Une vierge ascète, demeurant avec deux autres, fit de l’ascétisme pendant neuf ou dix ans. Enjôlée par
quelque chantre, elle succomba, et ayant conçu dans son sein, elle accoucha. Or étant parvenue à une haine extrême de celui qui l’enjôla, elle ressentit de la componction au fond de l’âme et en vint à tant de repentir qu’elle se décourageait ostensiblement et se tuait de faim. Mais dans ses oraisons elle priait Dieu en disant : « Dieu grand, qui portes les maux de toute créature et qui ne veux pas la mort et la perte de ceux qui défaillent, si tu consens à ce que je sois sauvée, montre-moi en ceci tes merveilles et emmène le fruit de mon péché que j’ai engendré, afin que je ne vienne pas à me servir d’une corde de jonc ou à me lancer moi-même comme un disque. » Priant en ces termes, elle fut exaucée; car ce qu’elle avait enfanté ne mourut pas beaucoup après. Alors, à partir de ce jour, elle ne se rencontra plus avec celui qui l’avait captivée, et s’étant adonnée au jeûne le plus extrême, elle se consacra pendant trente ans au service de malades et d’estropiées, ayant tellement fléchi Dieu qu’il fut révélé à un des saints prêtres ceci : « La une telle m’a plu davantage dans sa pénitence que dans sa virginité. » Et j’écris ces choses pour que nous ne méprisions pas ceux qui se repentent sincèrement.
LXX – LECTEUR CALOMNIÉ
Une fille d’un prêtre de Césarée en Palestine, vierge déchue, fut instruite par celui qui l’avait corrompue à calomnier un lecteur de la ville. Et étant devenue enceinte, questionnée par son père, elle accusa le lecteur. Or le prêtre, plein de confiance, en référa à l’évêque. Et l’évêque convoqua le clergé et lit appeler le lecteur. La cause fut examinée : interrogé par l’évêque, le lecteur n’avouait pas; comment en effet était-il même possible de parler de ce qui n’était pas arrivé? L’évêque s’indignant lui disait gravement : « N’avoues-tu pas, misérable, malheureux, rempli d’impureté? » Le lecteur répondit : « Moi, j’ai dit ce qui est, à savoir que je n’ai pas d’affaire ; car je ne suis pas coupable même de l’idée sur elle. Mais si
tu consens à entendre ce qui n’est pas, je l’ai fait. » Quand il eut dit cela, il déposa le lecteur. Alors s’étant approché il supplie l’évêque et lui dit : « N’est-ce pas. puisque j’ai failli, ordonne qu’elle me soit donnée pour femme, car désormais ni je ne suis clerc, ni elle vierge. » En conséquence il la délivra et la donna au lecteur, ayant pensé que le jeune homme resterait assidu près d’elle, et que, d’ailleurs, l’intimité avec elle ne pouvait lui être retranchée. Le jeune homme l’ayant donc reçue et de l’évêque et du père, la place dans un monastère de femmes et prie la diaconesse locale de la communauté de la supporter jusqu’à son accouchement. Or en peu de temps furent accomplis les jours pour accoucher. Vint l’heure critique, gémissements, douleurs de l’enfantement, souffrances du travail, visions de dessous terre. Et le fœtus ne s’engageait pas. Passa le premier jour, le second, le troisième, le septième : la femme, sous la douleur, conversant avec l’enfer, ne mangea pas, ne but pas, ne dormit pas, mais elle poussait des cris en disant : « Malheur à moi, misérable, je suis en danger pour avoir calomnié ce lecteur. » Elles partent le dire au père. Le père craignant d’être condamné comme calomniateur, reste coi deux autres jours. La fille ni ne mourait ni n’enfantait. Cela étant, comme les religieuses
ne supportaient pas ses cris, elles coururent annoncer à l’évêque ceci : « La une telle avoue, en criant depuis des jours, qu’elle a calomnié le lecteur. » Alors il envoie vers lui des diacres et lui notifie : « Prie, pour que celle qui t’a calomnié vienne à enfanter. » Mais lui ne leur donna pas de réponse ni n’ouvrit sa porte : depuis le jour où il y entra, il priait Dieu. Le père s’en va de nouveau vers l’évêque : une prière se fait dans l’église, et, même avec cela, elle n’enfanta pas. Alors l’évêque s’étant levé s’en alla vers le lecteur, et ayant frappé la porte, pénétra vers lui et il lui dit : « Eustathius, lève-toi, dénoue ce que tu as lié. » Et sur-le-champ le lecteur ayant plié le genou, la femme enfanta.
Or la requête de celui-ci et la constance de la prière ont eu le pouvoir de démontrer la calomnie et d’instruire aussi la calomniatrice. C’est pour que nous apprenions à persévérer dans les prières et à connaître leur puissance.
LXXI – LE FRÈRE QUI EST AVEC LOI
Or donc, quand j’aurai dit quelques mots du frère qui est avec moi depuis la jeunesse jusqu’aujourd’hui,
je mettrai fin à ce récit. Je sais que pendant longtemps il n’a pas mangé par passion, ni jeûné par passion : il avait vaincu, à ce que je crois, la passion des richesses, la plus grande partie de la vaine gloire; il se contentait des choses présentes ; il ne se parait pas avec des vêtements ; méprisé, il rendait grâce ; il se risquait pour des amis sincères ; il avait reçu une épreuve de démons mille fois et davantage ; de sorte qu’un jour un démon composa avec lui et dit : « Conviens avec moi de pécher, quand même ce serait une seule fois, et celle que tu pourras m’indiquer dans le monde, je te l’amène. » Et encore une autre fois ayant usé du poing contre lui pendant quatorze nuits, ainsi qu’il me le racontait, et l’ayant tiré par un pied dans la nuit, il lui adressait la parole en disant : « N’adore pas le Christ, et il n’y a pas à craindre que je t’approche. » Mais lui de répondre et de dire : « C’est pour cela que je l’adore, et je le glorifierai et l’adorerai infiniment, puisque en cela tu as tout à l’ait du désagrément. » Ayant foulé le sol de cent six villes, séjourné même dans la plupart, il n’eut pas, grâce à la miséricorde de Dieu, une expérience de femme, même en rêve, excepté durant cette lutte-là. Je sais qu’il reçut pour la troisième fois d’un ange son nécessaire de nourriture. Un jour dans l’extrême désert, n’ayant
pas même une miette, il trouva trois pains chauds dans sa mélote ; une autre fois encore du vin et des pains. Une autre fois encore j’ai su qu’on disait ceci : « Tu es dans le besoin; eh bien, va-t’en et reçois de celui-là du blé et de l’huile. » Or lui, étant allé à celui vers lequel il l’avait envoyé, lui dit : « Es-tu un tel ? » Et il dit : « Oui. Quelqu’un t’a ordonné de ‘ recevoir trente boisseaux de blé et douze seliers d’huile. » « Je me glorifierai à propos de lui » (II Cor. , ), tel qu’il fut. J’ai su qu’il versa des larmes souvent sur des hommes en nécessité, qui souffraient détresse de pauvreté, et, tout ce qu’il avait, il le leur offrit, excepté sa chair. Et j’ai su qu’il pleura aussi sur un déchu dans le péché, et lui, par ses larmes, il amena au repentir celui qui était déchu. Il m’a juré un jour ceci: « J’ai prié Dieu de ne stimuler personne, surtout des riches et des méchants, pour me donner quelque chose dans les besoins. »
Quant à moi, il me suffit d’avoir été jugé digne de mentionner tout ce que j’ai transmis par écrit. En effet, ce n’a pas été sans Dieu que ta pensée a été mue à me commander la composition de ce livre et à transmettre par écrit les vies de ces saints. Pour toi du moins, très fidèle serviteur du Christ, en les retrouvant avec plaisir, après avoir pris pour une preuve suffisante de la résurrection leurs vies, leurs travaux et leur si grande patience, marche à la suite avec ardeur,
nourri de salutaire espérance, voyant les jours futurs plus courts que ceux du passé. Prie pour moi, en te conservant tel que je te connais depuis le consulat de Tatien jusqu’aujourd’hui, et tel que je t’ai trouvé encore, depuis que tu as été élu préposé à la très pieuse Chambre. En effet, celui qu’une telle dignité accompagnée de richesses et une telle autorité n’ont pas rendu incapable de la crainte de Dieu, celui-là s’appuie sur le Christ, qui s’est entendu dire par le diable : « Je te donnerai tout cela, si prosterné tu m’adores.»
FIN ET GLOIRE A DIEU