Années 52-58

— Adversaires de Paul et de Barnabas dans la question des rites judaïques.

— Recours à l’Eglise de Jérusalem.

— Pierre, Jean et Jacques-le-Juste, évêque de Jérusalem, colonnes de l’Eglise au même titre.

— Jacques-le-Juste, évêque de Jérusalem.

— Sa vie sainte.

— Sa fidélité à observer les rites judaïques.

— Véritable sens de la question agitée.

— Concile de Jérusalem.

— Discussions.

— Opinions de Pierre, de Paul et de Barnabas.

— Décision proposée par Jacques de Jérusalem.

— Elle est adoptée.

— Lettre du concile aux fidèles d’Antioche.

— Message de Judas et Silas, qui vont à Antioche avec Paul et Barnabas.

— Epître de Jacques-le-Juste au sujet de la charité mutuelle et des devoirs que les fidèles avaient à remplir au milieu des discussions et des luttes dont la Judée était le théâtre.

— Pierre à Antioche.

— Sa conduite ambiguë relativement aux rites judaïques.

— Il est repris par Paul.

— Pierre à Antioche.

— Organisation de cette Eglise sur le modèle de celle de Jérusalem.

— Evodius, premier évêque d’Antioche.

— Deuxième mission de Paul parmi les gentils.

— Il est accompagné de Silas.

— Prédications en Syrie, en Cilicie, à Derbe, à Lystres.

— Timothée circoncis par Paul.

— Paul arrive à. Troade, après avoir traversé la Phrygie, la Galatie, la Mysie et la Bithynie.

— A Troade, Luc s’attache à Paul.

— Départ pour la Macédoine.

— Eglises fondées à Philippes, à Thessalonique.

— Paul à Athènes.

— Saint Denys l’Aréopagite.

— Paul à Corinthe.

— Les deux Epîtres aux Thessalonieiens.

— Paul en Asie.

— Séjour de trois ans à Ephèse.

— Les deux Epîtres aux Corinthiens.

 

Il y avait alors à Jérusalem deux Apôtres, Pierre et Jean, et l’évêque Jacques-le-Juste. Ils semblaient être les colonnes de l’Eglise entière1. Ceux qui se posaient en antagonistes de Paul et de Barnabas paraissaient être quelque chose, dit Paul lui-même ; mais, ajoute- t-il, peu m’importe ce qu’ils étaient, car Dieu n’a pas égard à la qualité de la personne. Ceci donnerait à penser que les antagonistes de Paul étaient des membres influents par leur position sociale. Saint Luc nous apprend qu’ils appartenaient à la secte des pharisiens2.

 

1 Paul, Epist. ad Galat., II: 1-10.

2 Act., XV; 5,

 

Paul et Barnabas partirent pour Jérusalem ; ils emmenèrent avec eux Titus, gentil converti qui n’avait point été circoncis et que l’on n’obligea pas à ce rite judaïque1. Ils traversèrent la Phénicie et la Samarie2. Partout ils racontaient comment les gentils avaient embrassé la foi, et toutes les Eglises étaient dans la joie après avoir entendu leurs récits. A leur arrivée à Jérusalem, ils furent bien reçus par les Apôtres et les Anciens auxquels ils racontèrent ce que Dieu avait fait par leur ministère.

Mais leurs antagonistes les avaient suivis ; ils troublaient l’Eglise de Jérusalem par de vives discussions, et ils disaient hautement que la circoncision et les autres rites de la loi mosaïque étaient nécessaires au salut.

Jacques-le-Juste avait été jusqu’alors très-fidèle observateur de ces rites. Hégésippe, l’historien le plus rapproché des temps apostoliques, s’exprime ainsi à ce sujet3 : « Jacques, frère du Seigneur, gouverna l’Eglise de concert avec les Apôtres. Depuis le temps du Christ jusqu’aujourd’hui on l’a surnommé le Juste, pour le distinguer de plusieurs autres qui portaient le même nom. Il fut consacré à Dieu dès le sein de sa mère ; il ne but jamais ni vin, ni cidre, et s’abstint de la chair des animaux. Il ne coupa jamais sa chevelure ; il n’avait l’habitude ni de prendre le bain, ni de s’oindre le corps. Seul, entre tous, il avait le pouvoir d’entrer dans le sanctuaire du temple. Son vêtement était de lin, et jamais il ne fit usage de la laine ; il avait l’habitude d’aller seul au temple ; là, à genoux, il priait Dieu pour les péchés du peuple. Il était si souvent prosterné en prière que la peau de ses genoux s’était durcie comme celle du chameau. On le nommait en hébreu Oblias, qui signifie : appui du peuple, et justice. » Toutefois, Jacques ne dissimulait pas sa foi en Jésus-Christ ; il annonçait qu’il était le Sauveur, et un grand nombre de Juifs, tout en restant comme lui fidèles au culte de leurs

 

1 Act., XV ; 3 et seq.

2 Paul, Epist. ad Galat., II ; 1-3.

3 Hégésipp., Comment., lib. VI, ap. Eusèb., Hist. eccl., lib. II, c. 23

ancêtres, croyaient en Jésus-Christ qu’ils regardaient comme le Messie.

Pierre avait reçu pour mission spéciale l’évangélisation des Juifs. Jean s’adressait aussi exclusivement à eux dans son apostolat1, mais ni ces Apôtres, ni Jacques, ne partageaient les opinions exagérées des antagonistes de Paul. Ils pensaient que les Juifs pouvaient être chrétiens sans renoncer à la loi mosaïque que Jésus-Christ avait complétée, mais non détruite ; mais ils savaient que les gentils n’avaient pas besoin de se faire Juifs pour devenir chrétiens. C’est tout ce que prétendait Paul. Aussi sa doctrine était-elle conforme à celle des autres Apôtres. Il ne condamnait pas la loi mosaïque ; il se montra lui-même respectueux pour elle en plusieurs occasions ; mais il ne voulut pas en imposer le joug à ceux qui n’appartenaient pas au peuple d’Israël. Les Apôtres convoquèrent les Anciens2 afin de prendre une décision qui pût mettre fin aux troubles.

Un vif débat s’engagea d’abord. Lorsque chacun eut agité la question à son point de vue, Pierre se leva, et, rappelant la vocation de Cornélius, s’exprima ainsi : « Frères, vous savez déjà depuis longtemps que Dieu a voulu, par ma prédication, faire entendre aux gentils la parole de l’Evangile et les amener à la foi. Or, Dieu qui connaît les cœurs a rendu témoignage en leur faveur, puisqu’il leur a donné le Saint-Esprit aussi bien qu’à nous. Il n’a fait aucune différence entre eux et nous, et il a purifié leurs cœurs par la foi. Maintenant, pourquoi voulez-vous faire opposition à Dieu, et imposer aux disciples un joug que ni nos pères ni nous n’avons pu porter ? Nous croyons que nous, comme eux, nous sommes sauvés par la grâce du Seigneur Jésus-Christ. »

Ces paroles d’un Apôtre que les Juifs les plus zélés ne pouvaient regarder comme suspect, furent applaudies. On écouta Paul et Barnabas qui racontèrent les miracles que Dieu avait opérés par eux au

 

1 Paul, Epist. ad Galat., II ; 9.

2 Act., XV; 6-35

 

milieu des gentils, et qui prouvaient évidemment que Dieu lui-même n’imposait point aux gentils convertis la loi de Moïse.

Lorsque Paul et Barnabas eurent cessé de parler, Jacques, évêque de Jérusalem, qui tenait le premier rang dans l’assemblée, proposa cette décision :

« Frères, écoutez-moi. Simon a raconté comment Dieu commença à se choisir un peuple parmi les gentils. Ceci est conforme aux prophéties dans lesquelles il est écrit : « Après cela, je reviendrai, et je rebâtirai le tabernacle de David qui était tombé ; je relèverai ses ruines, et je le rebâtirai, afin que le reste des hommes recherchent le Seigneur, ainsi que toutes les nations par lesquelles mon nom sera invoqué. Ainsi parle le Seigneur qui a fait ces choses, et son œuvre lui a été connue de tout temps. » A cause de cela, je juge qu’il ne faut pas troubler ceux qui, du sein des gentils, viennent à Dieu ; mais qu’il faut leur écrire qu’ils s’abstiennent des rites idolâtriques, de la fornication, des animaux étouffés et du sang ; car, depuis les temps les plus reculés, il y a, dans toutes les villes, des gens qui prêchent ainsi dans les synagogues, et qui lisent Moïse. »

La décision que Jacques proposait ménageait la susceptibilité des Juifs qui ne comprenaient pas que l’on pût rompre ouvertement avec la loi de Moïse, même en croyant en Jésus-Christ ; mais, en même temps, elle était contraire aux exagérations de ceux qui prétendaient que toutes les pratiques mosaïques étaient nécessaires au salut.

Alors les Apôtres, les Anciens et toute l’Eglise choisirent Judas Bar-Sabas et Silas, qui étaient les premiers parmi les frères, et les envoyèrent à Antioche avec Paul et Barnabas. Ils étaient porteurs d’une lettre ainsi conçue1 :

« Les Apôtres et les Anciens frères, aux frères choisis

 

1 Paul, Epist. ad Galat., II; 1-14. Ceci se passa après le concile de Jérusalem, par conséquent l’an 52. Pierre ne s’était pas encore rendu à Antioche jusqu’à cette époque. Lorsqu’il y vint, l’Eglise était fondée depuis quatorze ans environ.

 

d’entre les gentils qui sont à Antioche, en Syrie et en Cilicie,

« Salut !

Ayant appris que certains d’entre nous sont allés, sans mandat, vous troubler par leurs paroles et vous décourager, il nous a plu de nous assembler et de choisir des délégués que nous vous envoyons avec nos très-chers Barnabas et Paul, hommes qui ont sacrifié leur vie pour le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Nous vous envoyons donc Judas et Silas, qui vous diront de vive voix ce que nous vous écrivons.

Il a paru bon au Saint-Esprit et à nous de ne pas vous imposer d’autre charge que ces choses nécessaires : de vous abstenir des viandes offertes aux idoles, du sang, des animaux étouffés et de la fornication. En vous abstenant de ces choses, vous ferez bien. Salut. »

Le concile de Jérusalem nous révèle clairement la doctrine qui était professée alors sur la constitution de l’Eglise. Les Apôtres y occupent le premier rang au même titre, et c’est Jacques de Jérusalem, qui n’était pas un des Douze, qui préside, en vertu de la dignité que les Apôtres ensemble lui avaient conférée. Après les Apôtres paraissent les Anciens, parmi lesquels il y en avait qui, comme Judas et Silas, étaient prophètes et se faisaient remarquer par les dons exceptionnels qu’ils avaient reçus du Saint-Esprit. Avec les Apôtres et les Anciens, les fidèles assistent à rassemblée et prennent part aux discussions. Les Apôtres prennent ensuite la parole pour exposer leur opinion. Le président résume la discussion et propose la décision qui est adoptée par toute l’assemblée et notifiée par les Apôtres et les Anciens, qui représentent l’Eglise et la gouvernent en commun.

Dès l’origine, la constitution de l’Eglise fut donc synodale ou collective. L’autorité était possédée en commun par tous les pasteurs, et Jacques, le pasteur le plus élevé en dignité, n’exerçait aucune autorité personnelle, quoiqu’il eût présidé le concile. Pierre ne parla au concile qu’à titre d‘opinant, comme ceux qui avaient discuté avant qu’il prît la parole, et comme

Paul et Barnabas, qui parlèrent après lui. Jacques résuma la discussion et proposa la décision qui fut adoptée.

Les délégués du concile se rendirent à Antioche, et, ayant assemblé les fidèles, leur remirent la lettre. Sa lecture les remplit de joie et de consolation. Judas et Silas étaient prophètes ; ils adressèrent souvent la parole aux frères pour les consoler et les affermir dans la foi. Quelque temps après, les frères les laissèrent retourner en paix vers ceux qui les avaient envoyés. Silas jugea à propos de rester à Antioche. Judas retourna seul à Jérusalem. Paul et Barnabas demeurèrent à Antioche, et, avec plusieurs autres, enseignaient et annonçaient la parole du Seigneur.

L’Eglise de Judée était très-agitée par les discussions qui avaient motivé le concile. On y voyait de faux docteurs qui songeaient plus à dogmatiser qu’à pratiquer la vertu, et qui oubliaient ceux qui s’étaient astreints à la pauvreté pour imiter de plus près Jésus-Christ. Il n’était pas obligatoire d’abandonner ses biens ; et, parmi les fidèles, il y avait des riches qui n’étaient pas assez charitables.

Plusieurs ascètes voulaient rendre obligatoires la pauvreté et les prescriptions légales, môme pour les gentils.

De ce parti naquirent plusieurs sectes qui essayèrent de modifier renseignement dogmatique des Apôtres, et que nous ferons connaître plus tard lorsqu’elles auront obtenu plus de notoriété.

Le concile de Jérusalem fixa la doctrine touchant les observances légales, et Jacques de Jérusalem publia une lettre dans laquelle il exposa la vraie doctrine touchant la pauvreté et la charité mutuelle. Cette doctrine ‘ repose sur ces deux principes : que la propriété n’est pas interdite aux fidèles, quoique l’état de pauvreté religieuse soit plus parfait ; que la charité entre fidèles doit avoir pour conséquence le secours mutuel, de sorte que les riches sont obligés de se priver d’une partie de leur bien pour venir en aide aux pauvres. Jacques adressa sa lettre aux Juifs convertis des douze tribus, en quelque lieu qu’ils fussent dispersés. Il eut pour but,

non-seulement de les instruire sur les devoirs de la charité mutuelle, mais encore de leur tracer une ligne de conduite au milieu des événements politiques et des guerres qui agitaient alors la Judée. Il commença ainsi1 :

« Jacques, serviteur de Dieu et de Notre-Seigneur Jésus-Christ, aux douze tribus qui sont dispersées, salut :

Mes frères, regardez comme un sujet de joie les diverses épreuves que vous avez à supporter ; sachant que l’épreuve que subit votre foi produit la patience et que la patience perfectionne vos œuvres au point de vous rendre parfaits, irréprochables et fidèles en toutes choses. »

Les Israélites convertis avaient besoin de cette patience au milieu des persécutions qu’ils avaient à supporter de la part de leurs frères endurcis qui s’obstinaient à ne pas reconnaître le Messie dans le Christ, et qui avaient recours à la violence contre ceux qui croyaient en Jésus-Christ. Voyant que l’Evangile faisait des progrès dans toutes les synagogues, ils avaient envoyé de toutes parts des émissaires chargés de combattre l’œuvre apostolique2 et de persécuter les fidèles. Jacques leur rappelle que la grâce de Dieu rendra supérieurs à ces épreuves les pauvres qu’elle élève et les riches qu’elle humilie en leur apprenant à ne pas mettre leur espérance dans des biens qui n’ont pas plus de consistance que la fleur des champs, qu’un rayon de soleil dessèche. « Heureux, continue Jacques3, celui qui supporte l’épreuve, car, après avoir été éprouvé, il recevra la couronne de vie que Dieu a promise à ceux qui l’aiment. » Comme Jésus-Christ, le saint évêque enseignait que la vie éternelle est le but de cette vie d’ici-bas, et que la récompense éternelle est le prix des bonnes œuvres faites avec la grâce de Jésus-Christ. Il ne veut pas que l’on regarde l’épreuve comme venant directement de Dieu, car aucun mal ne vient de lui

 

1 Jacob, Epist. Cath., I; 1-10.

2 Justin., Epist. cum Triphon. Jud., § 17

3 Jacob., Epist. Cath., I; 12-27.

comme de sa source ; elle vient de l’homme dégénéré lui-même, et cette épreuve, qui a sa racine dans la nature déchue, produit le péché, et le péché produit la mort. Quant au bien, il vient de Dieu, et le bien, source de tous les autres qu’il a donnés aux fidèles, c’est de les avoir, engendrés dans le Verbe de vérité. Il exhorte, en conséquence, tous les fidèles à avoir des idées saines sur ces différentes questions ; à écouter avec empressement pour s’instruire, et à ne pas être trop prompt à parler. Ces recommandations prouvent que déjà, dans la société chrétienne, apparaissaient de faux docteurs qui voulaient souiller la vérité chrétienne de certaines doctrines sur l’origine du mal au moyen d’un mauvais principe qu’ils égalaient au principe du bien. Cette doctrine prit des développements dans la société chrétienne et conquit de nombreux adeptes, comme nous le verrons plus tard. Jacques rappelle aux fidèles qu’il vaut mieux bien agir que beaucoup parler ; qu’au lieu de mettre la perfection dans des théories, il valait mieux venir en aide aux malheureux et se préserver du vice.

Après avoir exposé ce caractère pratique du christianisme, Jacques rappelle qu’il est une religion d’égalité1 ; que le pauvre doit être considéré autant que le riche. Aux yeux de Dieu, pauvreté et richesse sont choses indifférentes. Il doit en être de même pour les fidèles, qui ne doivent voir dans tous les hommes que le prochain, qu’il leur est ordonné d’aimer comme eux- mêmes. Si quelqu’un a droit à plus d’égards, c’est le pauvre qu’il faut secourir ; car la charité à son égard est obligatoire, et si l’on ne fait pas des œuvres de miséricorde, à quoi peut servir la foi ? Elle ne peut servir au salut que si elle vit par de bonnes œuvres ; sans ces œuvres, elle est morte. « Si tu as la foi sans les œuvres, comment montreras-tu que tu l’as véritablement ? Mais, si jetais de bonnes œuvres, je te prouve que j’ai la foi. »

Parmi les chrétiens de Jérusalem, qui étaient tous Juifs, il y avait des pharisiens qui, tout en croyant en

 

1 Jacob, Epist. Cath., II; 1-26.

 

Jésus-Christ, n’avaient pas renoncé à cet orgueil que le Maître leur avait si énergiquement reproché. Jacques y fait allusion lorsqu’il dit1 : « Mes frères, il ne faut pas qu’un si grand nombre parmi vous veuillent devenir maîtres ; car ce titre vous charge d’une plus grande responsabilité. » Pour preuve, le saint évêque expose les dangers que la langue fait courir à l’homme. L’enseignement est bon en lui-même assurément, et l’on peut se servir de la langue pour louer et bénir Dieu, pour enseigner la vérité ; mais aussi que de maux naissent du mauvais usage de la langue ? Il en est qui s’imaginent avoir le pouvoir et le droit d’enseigner, qui s’épuisent en paroles et ne songent pas à la vertu. « Est-il quelqu’un parmi vous, dit Jacques, qui soit sage et instruit ? Qu’il en donne la preuve en faisant le bien avec douceur et modestie. Si vous avez un zèle amer et que vos cœurs soient possédés de l’amour de la discussion ; vous n’avez pas lieu de vous en glorifier, et vous mentez à la vérité. Votre sagesse n’est pas celle qui vient d’en haut ; elle est terrestre, animale, diabolique. Car, où règnent l’amertume et l’esprit de contention, là se trouvent l’inconstance et tout mal. La sagesse qui vient d’en haut est chaste, pacifique, modeste ; elle se laisse persuader ; elle est disposée pour tout ce qui est bon; pleine de miséricorde et de bons fruits ; elle ne juge pas, elle n’est pas hypocrite. Le fruit de justice est semé dans la paix et ne mûrit que pour ceux qui aiment la paix. »

Tel est le caractère de la vraie Eglise chrétienne. L’intolérance ou le zèle amer en est exclu. Elle ne persécute et ne violente personne, car elle aime la paix et elle est miséricordieuse ; elle abhorre, non-seulement le sang et le glaive qui le verse, mais toute discussion orgueilleuse et haineuse ; elle se tient immuable dans la vérité et n’élève la voix que pour la défendre ; elle abhorre toute innovation qui est un mensonge contre la vérité, reçue une fois pour être transmise dans son intégrité aux siècles suivants. C’est à ces caractères que

 

1 Jacob, Epist. Cath., III; 1-18.

 

Ton peut reconnaître l’Eglise qui a conservé l’esprit apostolique.

Jacques était témoin des luttes dont la Judée était alors le théâtre1, et qui ne devaient que s’envenimer jusqu’à la ruine de Jérusalem. Plusieurs fidèles y étaient mêlés, car, en entrant dans l’Eglise, les pharisiens n’avaient pas été obligés de renoncer à leurs opinions politiques et à leur haine du joug étranger. Mais l’esprit chrétien eut beaucoup à souffrir des guerres qui ensanglantèrent la malheureuse Judée. Jacques le déplore2 et rappelle aux fidèles qu’il est un joug qu’il est glorieux de porter : celui de Dieu ; et qu’en s’abandonnant aux luttes et aux vices qui en sont la suite, on se place sous le joug honteux du diable. Le chrétien, au milieu des contentions dont le monde est le théâtre, ne doit pas oublier la bonté, la miséricorde, l’humilité. Les luttes de parti ne doivent pas le rendre injuste envers des frères qui pensent autrement au sujet des choses de ce monde. Et qu’est-ce que ce monde ? Une vapeur qui paraît et se dissipe en un instant. Vaut-il donc la peine que l’on s’en préoccupe tant ?

Jacques, éclairé de l’Esprit apostolique, prédit la fin des luttes fratricides qui existaient entre les Juifs. « Riches, s’écrie-t-il3, pleurez, poussez des hurlements à la vue des misères qui tomberont sur vous. Vos richesses sont putréfiées ; votre or et votre argent ont rouillé, et voici que leur rouille porte témoignage contre vous. Comme un feu, elle rongera votre chair ; vous avez thésaurisé contre vous la colère divine pour les derniers jours. Le salaire dont vous avez frustré les ouvriers qui ont moissonné vos champs, pousse des clameurs, et ses cris ont monté jusqu’aux oreilles du Dieu des armées. Vous avez passé votre vie dans la bonne chair ; vos cœurs ont été rassasiés de luxure ; vous avez jugé et tué le juste qui ne pouvait vous résister. »

Pour venger ces crimes de la race judaïque, Dieu allait exercer contre elle sa vengeance. Il y a une jus-

 

1 Jacob, Epist. Cath., IV ; 1-17.

2 Ibid., V; 1-16.

 

tico pour les peuples comme pour les individus, et c’est Dieu qui est le souverain juge des uns et des autres. Le crime ne reste jamais impuni, soit en cette vie, soit en l’autre.

A la veille des malheurs qui allaient accabler la Judée, que devaient faire les fidèles ?

« Soyez patients, leur dit l’évèque-prophète1 ; imitez le moissonneur qui attend la moisson. Le Seigneur se manifestera bientôt, et une moisson immense sera recueillie. Dans la tristesse, ayez recours à la prière ; si vous êtes joyeux, chantez les psaumes ; au milieu de tous ces partis où l’on jure et l’on se parjure, ne faites aucun serment ; répondez simplement oui ou non, selon la vérité, pour n’assumer aucune responsabilité. Si quelqu’un est malade parmi vous, qu’il demande les prêtres de l’Eglise, et que ceux-ci prient sur lui en l’oignant de l’huile au nom du Seigneur. La prière faite avec foi sauvera le malade, et le Seigneur le soulagera ; et s’il avait des péchés, ils lui seraient remis. »

A l’origine de l’Eglise, l’onction, jointe à la prière, était donc en usage, et ce rite extérieur était accompagné d’une grâce qui soulageait le malade dans son corps comme dans son âme. Il y a tout lieu de croire que ce rite sacré avait été enseigné aux Apôtres par Jésus- Christ lui-même ; mais il n’en serait pas moins divin alors même qu’il aurait été établi par les Apôtres sous l’inspiration du Saint-Esprit2.

L’Epître de saint Jacques nous offre encore un témoignage précieux touchant la confession : « Confessez, dit-il, vos péchés les uns aux autres et priez les uns pour les autres, afin que vous soyez sauvés ; car la prière continuelle du juste est bien puissante. » Telle fut la forme primitive de la confession ; elle se faisait publiquement et à haute voix dans l’assemblée

 

1 Jacob, Epist. Cath., V; 7-20.

2 Jusqu’au seizième siècle, toutes les Eglises chrétiennes ont conservé ce rite sacré. A cette époque, les protestants l’ont aboli en taxant d’abus une institution divine en usage dès les premières années de l’Eglise Λ la même époque, l’Eglise anglicane abolit l’onction, ne conserva que la prière pour les malades, et plaça ce rite ainsi tronqué parmi ceux du second ordre. Toutes les autres Eglises chrétiennes l’ont conservé dans son intégrité.

 

des fidèles ; et c’est ainsi que les pasteurs, connaissant les dispositions des fidèles, exerçaient, avec connaissance de cause, le jugement que leur avait confié Jésus- Christ de remettre ou de retenir les péchés

Saint Jacques termine sa lettre en recommandant la prière et le zèle chrétien et charitable pour ramener à la vérité ceux qui s’en seraient écartés.

Pierre avait quitté Jérusalem peu de temps après le concile et s’était rendu à Antioche. Il commença à manger avec les gentils convertis comme avec des frères. En cela, il se séparait des Juifs qui, comme Jacques de Jérusalem, consentaient à ne pas obliger les gentils à la circoncision, mais qui cependant conservaient leur exclusivisme judaïque et craignaient de se souiller par des rapports trop intimes avec des incirconcis. Quelques envoyés de Jacques étant arrivés à Antioche, Pierre craignit de se compromettre vis-à-vis d’eux et s’isola des gentils. Les autres Juifs imitèrent sa dissimulation, et Barnabas lui-même fut entraîné par leur exemple.

Paul, voyant qu’ils ne marchaient pas droit dans la vérité évangélique, dit à Pierre en pleine assemblée des fidèles : « Si toi, qui es Juif, tu vis à la manière des gentils et non à la manière des Juifs, comment peux-tu forcer les gentils à vivre selon les usages judaïques? »

Il est à croire que la leçon fut utile à Pierre, qui savait, par révélation de Dieu, que les gentils étaient appelés aussi bien que les Juifs, et que l’Esprit de Dieu les rendait purs aussi bien que les enfants d’Israël.

Quelque temps après, Paul voulut quitter Antioche2. Il dit à Barnabas : « Allons visiter les frères dans toutes les villes où nous avons annoncé la parole du Seigneur, afin de voir en quel état ils se trouvent. » Barnabas voulait emmener avec lui Jean, surnommé Marc. Paul le pria de le laisser, puisqu’il les avait abandonnés en

 

1 La confession est une institution primitive ; elle est une conséquence du pouvoir de remettre ou de retenir les péchés. La forme de la confession changea selon les circonstances, comme nous le verrons plus tard ; mais l’institution elle-même est primitive, et apostolique. Les protestants l’ont abolie aussi bien que l’onction des malades, sous le faux prétexte, de revenir aux institutions primitives, comme si des rites apostoliques n’étaient pas primitifs.

2 Act., XV; 36-40.

 

Pamphylie et qu’il n’avait point pris part à leurs travaux. Ils ne purent s’entendre à ce sujet et se séparèrent. Barnabas se dirigea avec Marc vers l’île de Chypre ; Paul prit Silas avec lui et partit, après que les frères eurent imploré pour lui la grâce de Dieu.

Tandis que Pierre était à Antioche, Paul visitait, avec Silas, les Eglises de Syrie et de Cilicie. Il y fit connaître les préceptes promulgués au concile de Jérusalem, en prescrivant de les observer1.

Il se dirigea ensuite vers Derbe et Lystres2. Il y avait dans cette dernière ville un disciple, nommé Timothée, fils d’une mère juive chrétienne et d’un père païen. Tous les frères de Lystres et d’icône rendaient bon témoignage de lui. Paul voulut l’emmener. Quoique né d’une mère juive, il n’avait pas été circoncis, par suite de l’opposition de son père. On pouvait contester que le décret du concile de Jérusalem pût lui être appliqué ; car ce décret n’affranchissait que les gentils convertis de la circoncision, et Timothée était Juif par sa mère. Afin d’éviter toute discussion à ce sujet, Paul fit circoncire Timothée. Par cette déférence pour des usages judaïques qui n’avaient rien de contraire au christianisme, Paul disposait les Juifs eux-mêmes à user de tolérance envers les gentils, et à ne pas les obliger à des coutumes qui étaient comme la marque distinctive de leur nationalité. Aussi faisait- il connaître, dans toutes les villes qu’il parcourait, les décrets des Apôtres et des Anciens de Jérusalem. Le nombre des fidèles s’augmentait chaque jour dans ces Eglises, et leur foi était affermie par les prédications de l’Apôtre et de ses compagnons.

Lorsqu’ils traversaient la Phrygie et la Galatie, le Saint-Esprit leur défendit d’annoncer la parole de Dieu dans cette partie de l’Asie. Ces régions étaient réservées à d’autres Apôtres. Arrivés en Mysie, ils résolurent d’aller évangéliser la Bithynie. Le Saint-Esprit ne le permit pas encore, pour la même rai-

 

 

1 Act., XV;41.

2 Ibid., XVI; 1.

 

son. Ils traversèrent donc la Mysie et arrivèrent à Troade.

Paul rencontra dans cette ville un homme, qu’il s’attacha et qui devint son disciple fidèle, Luc, qui écrivit le troisième Evangile et les Actes des Apôtres1. Etant à Troade, Paul eut une vision pendant la nuit. Un Macédonien se tenait devant lui et lui disait : « Passe en Macédoine et viens à notre secours. » Cette vision le décida à partir pour la Macédoine, pensant que Dieu l’appelait à évangéliser ce pays. Il se dirigea en droite ligne de Troade en Samothrace ; il ne s’y arrêta pas, et, le jour suivant, il était à Néapolis. Il partit de là pour Philippes, capitale de la province. Pendant plusieurs jours, Paul et ses compagnons conférèrent ensemble sur les moyens d’annoncer l’Evangile avec succès. Le premier samedi après leur arrivée, ils sortirent de la ville et s’arrêtèrent auprès du fleuve, dans un endroit où l’on paraissait aller prier. Plusieurs femmes y étaient assemblées. Les Apôtres s’assirent et engagèrent la conversation avec elles. Parmi ces femmes, il y en avait une nommée Lydia, qui appartenait à la noblesse de la ville de Thyatire. Elle était très-pieuse et Dieu la disposa à écouter la prédication de Paul. Sa famille suivit son exemple. Lorsqu’ils eurent reçu le baptême, Lydia dit aux Apôtres : « Si vous me regardez comme fidèle au Seigneur, venez dans ma maison et demeurez-y. » Et elle les obligea à accepter son hospitalité.

Un jour qu’ils se rendaient au lieu sacré où ils avaient rencontré Lydia, ils aperçurent une jeune servante possédée de cet Esprit de divination qui avait rendu les pythonisses si célèbres. Ses maîtres spéculaient sur cette faculté et gagnaient ainsi beaucoup d’argent. La jeune fille se mit à suivre Paul et ses compagnons en criant : « Ces hommes sont les servi-

 

1 En racontant la mission de Paul jusqu’à Troade, Luc parle de l’Apôtre et de ses compagnons à la troisième personne. A partir de Troade (XVI; 8-10) il parle à la première personne du pluriel, et atteste ainsi qu’il fut dès lors à la suite de Paul.

 

teurs du Dieu Très-Haut ; ils vous annoncent le chemin du salut, » Pendant plusieurs jours, elle fît la même chose. Paul était affligé de ce témoignage que rendait le démon. Se tournant vers la fille il dit à l’Esprit :

« Je t’ordonne, au nom de Jésus-Christ, de sortir de cette femme. » Et il en sortit aussitôt.

Les maîtres de la servante voyaient disparaître ainsi la source de leur fortune. Ils se jetèrent sur Paul et Silas, et les conduisirent au forum et formulèrent contre eux cette accusation : « Ces hommes troublent notre ville ; comme ils sont Juifs, ils répandent des doctrines qu’il ne nous est pas permis, à nous, Romains, d’accepter. » La populace se jeta sur eux. Les magistrats partagèrent la fureur générale ; ils firent frapper de verges les deux Apôtres, après avoir fait déchirer leurs vêtements, et les jetèrent en prison en recommandant au gardien de veiller soigneusement sur eux1. Celui-ci, pour obéir à cet ordre, les enferma dans un cachot et leur mit des entraves aux pieds. Au milieu de la nuit Paul et Silas priaient et louaient Dieu à haute voix, et les autres prisonniers les écoutaient. Tout à coup survint un tremblement de terre si violent que 1a, prison semblait menacer ruine. Aussitôt les portes s’ouvrirent et tous les prisonniers se trouvèrent déchargés de leurs chaînes. Le gardien s’éveilla ; voyant les portes ouvertes et pensant que les prisonniers s’étaient évadés, il dégaina son glaive et voulait se tuer. Paul lui cria aussitôt : « Ne te fais pas de mal ; nous sommes tous ici. » Le gardien demanda une lumière, entra dans le cachot où étaient Paul et Silas, et, tout tremblant, tomba à leurs pieds. Il les fit sortir du cachot et leur dit : « Maîtres, que faut-il que je fasse, pour être sauvé ? » Les deux Apôtres répondirent :

« Crois au Seigneur Jésus, toi et ta famille, et vous serez sauvés. » Et ils l’instruisirent ainsi que sa famille. Il crut et exerça aussitôt la charité envers les Apôtres en lavant leurs plaies. Il fut, sans délai, baptisé avec sa famille ; dans sa joie, il pria les Apôtres

 

1 Paul, I Ad Thessal, II; 2.

rie venir dans sa maison et, d’accepter à manger.

Le matin, le gardien reçut ordre de mettre les prisonniers en liberté, et se hâta d’apporter aux Apôtres cette bonne nouvelle. Mais Paul répondit : « Ils nous ont fait publiquement frapper de verges quoique innocents, et ils nous ont jetés en prison, nous, citoyens romains, et ils veulent nous délivrer secrètement ! Il n’en sera pas ainsi ; il faut qu’ils viennent eux- mêmes nous mettre en liberté. » Des licteurs portèrent cette réponse aux magistrats, qui eurent peur en apprenant que leurs prisonniers étaient citoyens romains. Ils se rendirent à la prison, leur firent des excuses et les mirent en liberté, en les priant de quitter la ville. Les deux Apôtres, sortis de prison, allèrent chez Lydia, consolèrent les frères et partirent.

Ils passèrent1 par Amphipolis et Apollonia, et arrivèrent à Thessalonique, où il y avait une synagogue de Juifs. Paul s’y rendit, selon la coutume, et, pendant trois sabbats, il y exposa les Ecritures, pour prouver que le Christ devait souffrir et ressusciter des morts. Après avoir ainsi préparé ses auditeurs, il dit ouvertement : « Ce Christ, c’est Jésus que je vous annonce. » Plusieurs Juifs crurent et se mirent à la suite de Paul et de Silas. Une grande multitude d’hellénistes et de gentils, et un grand nombre de femmes de noble condition crurent aussi à Jésus-Christ. Mais les autres Juifs excitèrent une vile populace qui envahit la maison de Jason où les Apôtres étaient logés. Ne les y trouvant point, ils conduisirent. Jason lui-même devant les magistrats en l’accusant de reconnaître un autre souverain que César, c’est-à-dire Jésus. Jason était un des notables de la ville ; il n’eut pas de peine à faire connaître son innocence.

Paul, étant à Thessalonique2, ne se contentait pas de prêcher l’Evangile ; il travaillait des mains jour et nuit afin de n’être à charge à personne, et il donna des

 

1 Act. Apost.. XVII ; 1 et suiv.

2 Paul, I Ad Thessal., II ; 9.

preuves d’un désintéressement qui dut profondément toucher les cœurs des néophytes.

Les fidèles de Thessalonique avaient conduit, pendant la nuit, les Apôtres à Bœrée, afin de les soustraire à la fureur des Juifs. Là aussi leurs succès furent grands. Ayant enseigné, dans la synagogue, des hommes encore plus distingués que ceux de Thessalonique, crurent à l’Evangile, après avoir vérifié sur les Saintes Ecritures l’exactitude de ce qui leur était annoncé. Les Juifs de Thessalonique l’ayant appris, coururent à Bœrée pour y exciter la fureur de leurs coreligionnaires. C’était surtout à Paul qu’ils en voulaient. Les frères, pour le soustraire à leurs violences, le conduisirent jusqu’à la mer ; Silas et Timothée restèrent à Bœrée. Paul fut conduit jusqu’à Athènes, où les frères de Bœrée le laissèrent. Ils rapportèrent à Silas et à Timothée l’ordre de l’aller rejoindre le plus promptement possible.

Timothée se rendit à Athènes ; mais Paul ayant appris que l’Eglise de Thessalonique était persécutée, le renvoya dans cette ville pour y consoler et soutenir les fidèles, et il resta seul à Athènes1.

Pendant qu’il était à Athènes2, il fut profondément ému en voyant la ville adonnée à l’idolâtrie. Chaque jour il discutait dans la synagogue avec les Juifs et avec les gentils qui adoraient le vrai Dieu, et qui s’y rencontraient avec lui. Des épicuriens et des stoïciens dissertaient aussi avec lui, et quelques-uns disaient : « Qu’est-ce qu’enseigne ce discoureur? » Il semblait à d’autres qu’il annonçait de nouveaux génies, parce qu’il prêchait Jésus et la résurrection. On s’empara de lui et on le conduisit devant l’aréopage : « Pourrions-nous savoir, lui disait-on, quelle est cette nouvelle doctrine que tu enseignes? car tu nous fais entendre des choses toutes nouvelles ; nous voulons savoir ce qui en est. »

 

1 Paul. I Ad Thrssal, III; 1, 2, 5. Paul disant qu’il resta seul à Athènes après le départ de Timothée, on doit en conclure que Silas n’était pas venu à Athènes, et qu’il était resté à Bœrée.

2 Act. Apost., XVII; 16-34.

 

Les Athéniens et les étrangers qui habitaient la ville n’avaient qu’une occupation : dire ou entendre quelque chose de nouveau. Athènes était restée la patrie du bel esprit et de la philosophie. Paul se tenant debout au milieu de l’aréopage s’exprima ainsi :

« Athéniens, tout dans votre ville me prouve que vous êtes religieux à l’excès; car, en visitant les statues de vos dieux, j’ai rencontré un autel sur lequel j’ai remarqué cette inscription : AU DIEU INCONNU. Ce que vous adorez sans le connaître, je vous l’annonce : c’est le Dieu qui a fait le monde et toutes les choses qui y sont contenues ; comme il est le Maître du ciel et de la terre, il n’habite pas dans des temples bâtis par les hommes. On ne peut l’adorer en travaillant pour lui, car il n’a besoin de rien, et c’est lui, au contraire, qui donne à tous, la vie, la respiration et tout le reste. C’est lui qui, d’un seul homme a fait sortir tout le genre humain répandu dans le monde entier, et qui a déterminé l’ordre des saisons et les régions que les peuples devaient habiter et où ils pouvaient chercher Dieu, le trouver et comme le toucher, quoique, en réalité, il ne soit pas loin de chacun de nous ; car. en lui, nous avons la vie, le mouvement et l’être ; et, comme le dit un de vos poètes : « Nous sommes sa famille. »

« Puisque nous sommes la famille de Dieu, nous ne devons pas assimiler le divin à l’or, à l’argent, à la pierre, à une œuvre d’art, à un produit de la pensée humaine. Dieu a manifesté son mépris pour ces temps où l’ignorance donnait de telles idées aux hommes, et il les convoque tous à en faire pénitence. Il a fixé le jour où il jugera le monde selon la justice, et par un homme auquel il a confié cette mission en le ressuscitant d’entre les morts, comme chacun peut s’en assurer. »

A ce mot de résurrection des morts, les uns se mirent à rire ; d’autres dirent : « Nous t’entendrons encore sur ce sujet. » C’est ainsi que Paul sortit de l’assemblée. Quelques personnes s’attachèrent à lui et crurent. Parmi eux était un membre de l’aréopage,

nommé Denys, une femme nommée Damaris et quelques autres1.

 

1 Des érudits se sont appliqués à établir que Damaris était la femme de Denys, Les expressions dont saint Lue se sert n’excluent pas absolument ce sens; mais on ne peut non plus s’en autoriser pour soutenir celte opinion.

Saint Denys fut premier évêque d’Athènes. Éusèbe l’affirme sur le témoignage de saint Denys, de Corinthe. (Hist. eccl., III; 4.) Certains érudits attribuent à saint Denys l’Aréopagite plusieurs ouvrages intitulés : De la Céleste Hiérarchie ; De la Hiérarchie ecclésiastique ; Dés Noms divins; De la Théologie mystique; plusieurs Lettres; une Liturgie. On a donné plusieurs éditions de, ces ouvrages et on a essayé d’en prouver l’authenticité. A notre avis, ces efforts n’ont pas été couronnés de succès.

Un premier fait, dont tout le monde convient, c’est que ces ouvrages ont été cités, comme étant de saint Denys, pour la première fois dans le courant du sixième siècle (en 533), dans une Conférence tenue à Constantinople entre les orthodoxes et les eutychiens. Ces derniers invoquèrent ces écrits en leur faveur. Les orthodoxes en nièrent l’authenticité. (V. Labbe, Concim., t. IV, p. 1766.)

Ce fait est de la plus haute importance. On voit, d’après les ouvrages mêmes qui sont en question, que l’auteur les aurait envoyés à Timothée, disciple de saint Paul et évêque d’Ephèse ; il les aurait, en outre confiés à sa propre Eglise d’Athènes. Ils auraient donc dû être connus en Asie et en Grèce dès le commencement. Cependant, personne ne les a cités pendant l’espace de cinq siècles ; et les historiens qui, comme Eusèbe de Césarée, se sont attachés à nous faire connaître les ouvrages des hommes apostoliques, ne les ont pas mentionnés.

Cette preuve n’est pas seulement négative, car les ouvrages en question eussent été les plus importants de tous ceux qui ont été écrits à l’époque apostolique. II est donc impossible qu’on ne les ait ni cités, ni mentionnés, s’ils eussent existé. Même au cinquième siècle, on ne les connaissait pas encore, et saint Jérôme n’a point placé saint Denys l’Aréopagite dans son catalogue des écrivains des premiers siècles. Ce silence, eu égard à l’importance des ouvrages et du nom sous lequel on voudrait nous les donner, équivaut, à une négation positive.

On a eu recours à plusieurs moyens pour expliquer ce silence : les matières traitées dans ces ouvrages sont, dit-on, tellement élevées, que de tels livres ne pouvaient tomber dans le domaine public. Du moins, les théologiens les auraient cités. Comme on le fit, observer aux eutychiens dans la conférence de Constantinople, il serait bien étonnant que les plus savants docteurs ne les eussent pas mentionnés dans les questions ardues qui furent soulevées sur la personne et les deux natures en Jésus-Christ ; sur l’essence divine et la divinité du Saint-Esprit. Or, ni Athanase, ni Cyrille, ni aucun des docteurs qui prirent part aux discussions ne citèrent ces ouvrages, qui eussent joui d une si liante autorité à cause du nom de l’auteur et de son titre d’homme apostolique.

Ajoutons que, dans les premiers siècles, on a publié plusieurs ouvrages d’une doctrine aussi élevée que celle que Ton trouve dans les ouvrages attribués à saint Denys ; ce qui n’a pas empêché ces ouvrages de tomber dans le domaine public.

On prétend que les théologiens ont connu ces ouvrages, et, pour établir ce fait, on a accumulé des textes dans lesquels on a fait remarquer des rapports frappants entre certaines phrases des Pères des divers siècles et celles des ouvrages en question.

La peine que Ton a prise, était fort, inutile ; car, en admettant tous les rapports que l’on voudra établir entre des phrases, on demandera toujours : sont-ce les Pères qui ont profité des ouvrages ? ou bien, est-ce d’auteur qui a

 

En quittant Athènes, Paul se dirigea vers Corinthe. Il y rencontra un Juif, originaire de Pont, nommé Aquilas, et sa femme Priscilla, qui y étaient arrivés

 

profité des ouvrages des Pères ? Aucun des Pères que l’on cite n’a mentionné les livres attribués à saint Denys. Plus on soutient qu’ils les ont lus ; plus on rend difficile à expliquer ce profond silence qui a existé, pendant cinq siècles, autour de ces ouvrages. L’argument des aréopagitistes, non-seulement ne prouve rien, mais se retourne contre eux.

Les eutychiens, au commencement du sixième siècle, ayant cité les ouvrages en question comme étant de saint Denys l’Aréopagite, on peut en conclure qu’ils existaient depuis un certain temps ; autrement personne n’eût pu se faire illusion sur leur origine.

Sans avoir de données précisément positives, on peut les faire remonter à un siècle au moins avant la conférence de Constantinople, ce qui les reporte au commencement du cinquième siècle ou à la fin du quatrième. Ce délai d’un siècle ou d’un siècle et demi suffit bien pour expliquer l’opinion émise par les eutychiens au commencement du sixième siècle.

On doit remarquer que ce sont des hérétiques qui, les premiers, citèrent les ouvrages attribués à saint Denys, et les prétendirent authentiques. Nous trouvons là un renseignement important pour arriver à déterminer quel fut le véritable auteur de ces ouvrages. Un autre renseignement nous est fourni, au septième siècle, par saint Maxime, partisan de l’authenticité des ouvrages attribués à saint Denys. Il nous apprend que ceux qui, de son temps, rejetaient cette authenticité, attribuaient ces ouvrages à Apollinaire.

On connaît plusieurs écrivains ecclésiastiques de ce nom. Le plus célèbre est celui qui fut évêque de Laodicée au quatrième siècle. C’était un docte théologien, d’abord ami de saint Athanase et de saint Basile-le-Grand, et qui tomba depuis dans plusieurs erreurs touchant la personne de Jésus-Christ. Il ne mourut qu’à la fin du quatrième siècle, époque qui concorde parfaitement avec celle où les ouvrages attribués à saint Denys l’Aréopagite ont dû être écrits. Cet évêque, tout en enseignant plusieurs erreurs, montrait beaucoup de piété dans sa vie et un grand zèle pour l’Eglise. Ses opinions particulières étaient dissimulées sous des formes de langage qui pouvaient séduire les personnes pou attentives. Un tel écrivain a bien pu composer les ouvrages attribués à saint Denys, et chercher à les faire passer pour l’œuvre d’un homme apostolique, afin de. leur concilier plus d’autorité.

On pourrait établir que ce n’est pas sans raison que les eutychiens en appelaient à son témoignage ; mais comme les passages que l’on citerait, peuvent être interprétés d’une manière orthodoxe, nous, n’engagerons pas une telle discussion. Nous constaterons seulement ce fait : que les eutychiens s’en sont autorisés, et que les orthodoxes, au lieu de chercher à donner un sens exact aux passages allégués, en ont nié l’authenticité.

Il serait facile aussi d’établir que ni le style, ni la manière dont les questions sont traitées dans ces ouvrages, ne peuvent appartenir au premier siècle de l’ère chrétienne ; mais ceux qui veulent absolument que ces ouvrages soient de saint Denys sont disposés à tout contester. Or, comme il s’agit là, au fond, d’une, discussion qui repose plutôt sur l’intelligence des critiques et sur leur habitude de lire, les ouvrages des Pères, on conçoit que d’autres érudits, décidés à tout contester, puissent le faire en accumulant des considérations plus ou moins justes. Nous n’entrerons donc pas dans cette discussion inutile. Seulement nous dirons que, habitué à lire et à méditer les documents des premiers siècles, nous avons la conviction que les œuvres attribuées à saint Denys ne peuvent appartenir à l’époque apostolique.

C’est, notre appréciation complètement désintéressée.

Depuis le sixième siècle., l’authenticité des ouvrages mentionnées eut des partisans jusqu’à nos jours, tant en Orient qu’en Occident.

 

depuis peu de Rome. L’empereur Claudius1 avait expulsé les Juifs de cette capitale de l’empire, et Aquilas s’était réfugié provisoirement à Corinthe, où il exerçait son métier de fabricant de tentes. Lui et sa femme étaient chrétiens et Paul les connaissait sans doute. Comme il était du même métier, il logea et travailla avec eux. C’est là que Silas le trouva avec Timothée, qui avait quitté Thessalonique

Les trois Apôtres commencèrent, selon leur coutume, par annoncer Jésus-Christ aux Juifs dans leur synagogue. Mais, comme ils ne répondaient que par des contradictions et des blasphèmes, Paul, secouant ses vêtements, leur dit : « Que votre sang retombe sur votre tête ; pour moi, j’en suis pur et je vais m’adresser aux gentils. » Il quitta la synagogue et il entra chez un certain Titus Justus, gentil croyant, dont la maison

Cependant, il y eut toujours des écrivains qui la nièrent. Au neuvième siècle, le prêtre Théodose lit un livre pour prouver cette authenticité. Aurait- il eu besoin de le faire si sa thèse n’eût pas été contestée? Photius, un des plus doctes écrivains de l’Eglise, a mentionné le livre de Théodose dans sa Bibliothèque (§ 1); il en a parlé de manière à laisser penser qu’il n’en admettait pas les conclusions.

Tous les’témoignages cités depuis le sixième siècle, ne peuvent contrebalancer le silence significatif des cinq siècles précédents, silence qui, quoi qu’on en ait dit, n’est pas une preuve purement négative, et équivaut, à la négation de l’authenticité.

On a soulevé une autre question à propos de la personne de saint Denys l’Aréopagite Nous y reviendrons ailleurs, et nous prouverons qu’il ne peut être identifié avec saint. Denys, apôtre de Paris. Nous ferons seulement ici ces deux remarques : 1° les ouvrages attribués à saint Denys auraient été composés à Athènes et pendant que l’auteur en était évêque ; 2° il cite, dans ces ouvrages, une lettre de saint Ignace d’Antioche, lettre écrite l’an 108 de l’ère chrétienne. Or, à cette époque, saint Denys l’Aréopagite aurait, eu plus de cent ans. Peut-on croire qu’à cet âge il aurait quitté Athènes pour aller évangéliser Paris, en passant par Rome ? De plus, les aréopagitistes font martyriser saint Denys sous Domitien, qui mourut l’an 90. Comment a-t-il pu être martyrisé à Paris en 90 et être resté à Athènes jusqu’après l’an 108.

Nous reviendrons plus tard sur cette question de l’aréopagitisme, et nous en ferons l’histoire vraie. Pour le moment, c’est assez des deux remarques qui précèdent, et de cette observation : que l’opinion de l’aréopagitisme est née au neuvième siècle, et que l’histoire, appuyée sur des documents authentiques et contemporains des faits, n’a point à en tenir compte.

 

1 Le décret d’expulsion de l’empereur Claudius contre les Juifs, mentionné par Suétone (In Claud., 25) et par Tacite (Annal., XII; 52) est de l’année 52, Aquilas était établi déjà à Corinthe lorsque Paul y arriva; ce qui fixe cette arrivée à l’an 53. D’un autre côté, l’Apôtre parti d’Antioche en 32, avait bien mis un an pour parcourir les Eglises d’Asie et évangéliser la Macédoine et Athènes. On peut donc fixer avec certitude son arrivée à Corinthe à la fin de Tannée 33. Il y resta un an et demi (Act., XVIII; 11), par conséquent jusqu’à l’année 55.

2 Paul, I Ad Thessal., III; 6.

était située tout près. Crispus, chef de la synagogue, crut au Seigneur avec toute sa famille, et un grand nombre de Corinthiens crurent et furent baptisés. Parmi eux, les plus considérables étaient Crispus, Caïus et la famille de Stephana ; ils furent baptisés par Paul lui-même1. Les autres le furent par ses compagnons ; car le Christ, dit-il, ne l’avait pas envoyé baptiser, mais évangéliser. » La plupart des fidèles de Corinthe étaient des hommes d’humble condition2, à la faible intelligence desquels Paul avait été obligé d’accommoder son enseignement. Il faut joindre à la famille de Stephana, Fortunatus et Achaïcus, que l’Apôtre appelle les prémices de l’Achaïe3, et qui étaient les soutiens de la nouvelle communauté chrétienne. Alors le Seigneur apparut à Paul en une vision pendant la nuit, et lui dit : « N’aie aucune crainte, parle, et ne te tais point ; car je suis avec toi ; personne ne pourra te nuire. Le peuple qui m’appartient est nombreux en cette ville. » Il y resta un an et demi. Les Juifs essayèrent de leurs persécutions ordinaires et conduisirent Paul au tribunal de Gallion, alors proconsul d’Achaïe. Mais, à peine Paul avait-il commencé à parler que Gallion dit aux accusateurs : « Juifs, s’il s’agissait de quelque délit ou de quelque crime, je vous rendrais justice ; mais, dès qu’il ne s’agit que de discussions, de querelles de mots et de votre loi, arrangez vous-mêmes vos affaires ; je ne veux pas être juge de ces sortes de choses ; » et il les renvoya. Les Juifs, furieux, se vengèrent sur Sosthènes, chef de synagogue converti, et le frappèrent en plein tribunal, sans que Gallion s’en préoccupât.

Pendant son séjour à Corinthe, Paul écrivit deux lettres qui ont été conservées et vénérées comme partie intégrante des écrits du Nouveau Testament. Elles sont adressées aux Thessaloniciens, et écrites au nom de Paul, Silvanus4 et Timothée.

 

1 Paul, I Epist. ad Corinth., I; 14,16, 17.

2 Ibid., 1 ; 26.- II; 1, 2.

3 Ibid., XVI; l5.

4 I Ad Thessal., I; 1. Comme il est dit plus haut que Silas était venu trou-

 

L’Eglise de Thessalonique, aussitôt après sa fondation, s’était distinguée par sa foi, sa charité et son espérance en Jésus-Christ1· elle avait été aussitôt constituée en Eglise. C’est le nom que lui donne l’Apôtre2 ; et elle avait reçu des pasteurs pour la gouverner3. Ses membres se distinguaient tellement par leurs vertus que tous ceux qui, en Macédoine et en. Achaïe, embrassaient la foi, les prenaient pour modèles4. Leur Eglise était devenue comme un foyer d’où la foi avait rayonné sur les villes environnantes ; dans toute l’Eglise chrétienne on admirait le zèle avec lequel ils avaient abandonné le culte des idoles pour servir le vrai Dieu5. Mais les Juifs qui avaient persécuté Paul n’épargnèrent pas ses disciples, et l’Apôtre put leur écrire : « Frères, vous êtes devenus les imitateurs des Eglises de Dieu qui ont embrassé la foi de Jésus-Christ en Judée ; vous avez souffert, de la part de vos concitoyens, les mêmes persécutions que ces Eglises ont souffertes de la part de ces Juifs qui ont tué le Seigneur Jésus et les prophètes et qui nous ont persécuté nous- mêmes6. »

L’Eglise de Thessalonique fut donc, dès son origine, arrosée du sang des martyrs. Paul brûlait du désir de revoir et de fortifier ses chers enfants, qu’il appelle « son espérance, sa joie, sa couronne, sa gloire ; » mais Satan, qui sévissait contre eux, rendait inutiles ses désirs. La prudence lui défendait de se livrer à la fureur de ses ennemis7.

Ce fut alors qu’il leur envoya Timothée qui, de retour auprès de Paul, à Corinthe, lui rendit le meilleur

 

ver Paul à Corinthe avec Timothée, des écrivains ont prétendu que Silvanus est le même personnage que Silas. La raison sur laquelle on s’appuie n’est pas solide, car Paul resta ù Corinthe un an et demi. Pendant ce temps, Silas put s’en aller évangéliser ailleurs, et Silvanus, peut-être originaire de Thessalonique, pouvait être auprès de lui.

1 I Ad Thessal., I ; 3.

2 Ibid., I; 1.

3 Ibid., V; 12-13.

4 Ibid., I; 7.

5 Ibid., I; 8-9.

6 Ibid., II ; 14-15.

7 Ibid., Il ; 17-20.

 

témoignage de la foi et de la constance des Thessaloniciens au milieu des persécutions1.

Paul leur recommande, dans sa lettre, les principales vertus chrétiennes : la pureté des mœurs, l’amour mutuel, le travail. Ces vertus n’ont point un but terrestre, mais céleste ; on doit les pratiquer, afin de ressusciter un jour dans la gloire et de vivre éternellement avec Jésus-Christ dans le monde futur2.

Telle était la base donnée à la doctrine évangélique par Jésus-Christ, qui avait interdit même de regarder une femme avec une intention impudique ; qui avait enseigné le commandement nouveau de l’amour mutuel ; qui avait confirmé, par son exemple et son enseignement, la loi divine et universelle du travail. Aucun arbre stérile ne doit rester planté dans le champ du Père de la famille humaine ; tous les membres de cette famille doivent, par leur activité, concourir au bien général. Ce n’est qu’à cette condition que l’on jouira de la vie éternelle dans le monde futur.

La loi chrétienne donne au travail et à la vertu ce but élevé. Elle estime trop l’humanité pour en faire une machine dont chaque homme serait un rouage destiné à fonctionner comme un être inintelligent, et à travailler sans autre espérance que le tombeau. Elle veut, dans la vie terrestre, une activité constante et de l’âme et du corps, mais elle promet à l’âme le bonheur et au corps la résurrection glorieuse.

Paul n’était, dans sa lettre aux Thessaloniciens, que l’écho de l’a parole du Maître.

Il expose à ses chers enfants3 que le jour du dernier avènement, de Jésus-Christ, juge de l’humanité, n’aura rien de terrible pour les fidèles qui ne s’endorment point

 

1 Paul, I Ad Thessal., III; 2, 5, 6.

2 Ibid., IV; l-18. Ou doit retenir ce premier enseignement du Paul, qui répond ainsi, dès sa première Epitre, à ceux qui lui ont imputé de donner la foi sans les œuvres comme le principe du salut. On sait que des exégètes se sont prétendus assez profonds pour découvrir dans saint Paul une doctrine différente de celle des 2vangiles et des autres Apôtres. Nous ferons remarquer que Paul n’a pas prêché un seul point de doctrine qui ne se trouve dans les autres livres du Nouveau Testament.

3 Ibid., V; 1-28

 

dans le vice, et qui sont des enfants de lumière rachetés par Jésus-Christ lui-même.

« Consolez-vous mutuellement, leur dit-il, édifiez- vous les uns les autres ; donnez des conseils à ceux qui pèchent ; relevez le courage de ceux qui sont abattus ; supportez les faibles ; soyez patients envers tous; ne rendez point le mal pour le mal ; soyez dans la disposition de faire à tout le monde autant de bien que vous pourrez ; soyez gais ; priez sans cesse; rendez grâces à Dieu en toutes choses. »

L’Esprit-Saint se manifestait extérieurement à l’Eglise et donnait à des fidèles le don de prophétie. Mais il arrivait parfois que l’on regardait comme une influence divine ce qui n’était que le produit d’une surexcitation toute naturelle. Paul recommande aux Thessaloniciens un sage discernement pour ne pas éteindre l’Esprit et mépriser les prophéties, mais, en même temps, pour n’approuver que ce qui est bon. Ils avaient pour cela une règle sûre dans la doctrine révélée qui leur avait été enseignée, et qui ne pouvait être contredite par le Saint-Esprit.

A côté des prophètes favorisés exceptionnellement des communications divines, il y avait dans l’Eglise de Thessalonique des pasteurs qui exerçaient sur elle l’autorité dans le Seigneur, et qui avaient soin d’y maintenir la saine doctrine. Paul recommande1 aux Thessaloniciens de les considérer, de les respecter et de les aimer d’une manière toute particulière. Il prescrit de lire sa lettre dans l’assemblée des fidèles.

Quelque temps après avoir écrit cette première lettre aux Thessaloniciens, Paul leur en écrivit une seconde, encore avec Sylvanus et Timothée, ses compagnons.

L’Eglise de Thessalonique était toujours persécutée par les Juifs, mais elle supportait avec courage les violences exercées contre elle3. Elle était aussi troublée par quelques hommes exaltés qui y annonçaient, au nom du Saint-Esprit et de Paul, que le jour du dernier

 

1 Paul, I Ad Thessal., V; 12-13.

2 Paul, II Ad Thessal., I; 1.

3 Ibid., I ; 4-5.

 

jugement allait bientôt arriver. Paul fut averti que l’on répandait, comme étant de lui, des lettres dans lesquelles cette erreur était enseignée1. II écrivit donc aux Thessaloniciens pour les détromper.

Le dernier avènement de Jésus-Christ n’arrivera qu’après que le mystère d’iniquité sera accompli. La lutte est engagée entre Dieu et Satan. Dieu offre au monde, par Jésus-Christ, la vérité ; Satan lui offre l’erreur et sera personnifié sur la terre par l’Antéchrist, qui osera s’asseoir dans le temple de Dieu et se donner comme Dieu. Il fera des prodiges; ceux qui auront refusé de croire à la vérité croiront au mensonge. Le mystère d’iniquité sera accompli et Jésus-Christ paraîtra pour sauver ses élus, condamner les antichrétiens et détruire, par le souffle de sa puissance, l’Antéchrist leur chef2.

Quant à l’époque de cet avènement, elle est inconnue. « Retenez donc, dit-il aux Thessaloniciens, l’enseignement que nous vous avons donné soit de vive voix, soit par notre lettre3. » L’enseignement apostolique était donné de vive voix et destiné à être conservé dans chaque Eglise comme un dépôt sacré. Les quelques écrits des Apôtres n’étaient point destinés à présenter un corps de doctrine complet, mais à confirmer quelques-uns de leurs enseignements oraux. Aussi verrons- nous que, dans tous les temps, on en a appelé, dans les discussions, au témoignage des Eglises apostoliques pour constater l’enseignement donné primitivement et qui devait être conservé dans sa pureté4.

Il y avait parmi les fidèles de Thessalonique de faux frères qui voulaient vivre aux dépens de la communauté sans travailler et dont la vie n’était pas réglée selon l’Evangile. Paul trace à ses chers enfants les devoirs qu’ils ont à remplir à l’égard de ces coupables.

 

1 Paul, II. Ad Thessal., II ; 2.

2 Ibid., II; 4-12.

3 Ibid., II; 15

4 C’est la règle primitive de l’Eglise. Les protestants qui en appellent à l’Ecriture et qui l’interprètent par eux-mêmes, en s’isolant du témoignage de l’Eglise, ont abandonné la règle apostolique de l’Eglise primitive.

 

Ils doivent, afin de ne pas les entretenir dans l’oisiveté, les obliger à travailler en ne partageant pas leur pain avec eux ; on ne doit pas traiter ces frères coupables comme des ennemis, mais il faut les avertir, et, s’ils ne profitent pas des conseils, s’isoler d’eux afin de leur faire comprendre qu’ils sont indignes d’appartenir à une communauté chrétienne1. Paul revient avec insistance sur la loi du travail dont il donnait lui-même l’exemple, et finit en priant les Thessaloniciens de bien remarquer sa signature, afin qu’on ne puisse les tromper par de fausses lettres2.

Après un an et demi de séjour à Corinthe, Paul se rendit à Cenchrée3, qui était le port de cette ville, afin de s’y embarquer pour la Syrie. Aquilas et Priscilla quittèrent Corinthe en même temps et s’embarquèrent avec lui pour les côtes d’Asie. A Cenchrée, Paul se fit raser les cheveux pour accomplir un vœu qu’il avait fait, conformément à la loi mosaïque4. Il ne voulait pas astreindre les gentils à cette loi ; mais, comme les autres Apôtres, il pensait que les Juifs devaient en suivre les prescriptions en tout ce qui était compatible avec la doctrine évangélique5. Un Juif religieux pouvait rester fidèle à la loi de Moïse, tout en croyant en Jésus-Christ. La doctrine de Paul ne différait pas de celle de Pierre ou de Jacques de Jérusalem. Nous avons déjà fait observer qu’il circoncit Timothée, né d’une mère juive, et nous le verrons lui-même, à Jérusalem, se soumettre aux purifications légales.

Paul arriva à Ephèse6 où il laissa Aquilas et Priscilla. Il entra dans la synagogue, où il discuta avec les Juifs. On l’engageait à rester dans cette ville, mais il n’y consentit pas. Il fit ses adieux aux frères en leur promettant de revenir parmi eux. Il partit d’Ephèse,

 

1 Paul, II Ad Thessal., III ; 11-15.

2 Ibid., III; 17;

3 Act., XVIII; 18-28.

4 Num., VI.

5 Ceci répond au système de ceux qui ont voulu voir dans son opposition aux prescriptions légales, par rapport aux gentils, une preuve que son christianisme différait de celui des autres Apôtres.

6 Act., XVIII; 19-23.

 

s’embarqua pour Césarée ; accomplit son vœu à Jérusalem et alla à Antioche. De là il remonta par la Galatie et la Phrygie, affermissant les fidèles dans la foi.

Il alla ensuite à Ephèse1, où il trouva quelques disciples, au nombre de douze environ, qui n’avaient reçu que le baptême de Jean. Gomme leur maître, le Précurseur, ils croyaient que le Messie était venu, mais ils n’avaient pas été instruits de sa doctrine. Paul leur demanda : « Avez-vous la foi et avez-vous reçu le Saint-Esprit? » Ils répondirent : « Nous n’avons même pas entendu dire qu’il y ait un Saint-Esprit. — Quel baptême avez-vous donc reçu ? demanda Paul. — Celui de Jean, répondirent-ils. —Jean, reprit Paul, ne donna qu’un baptême de préparation pour la venue de Celui qui devait se manifester après lui, c’est-à-dire de Jésus. » Ils écoutèrent les instructions de Paul et ils furent baptisés au nom du Seigneur Jésus. Lorsque Paul leur eut imposé les mains, le Saint-Esprit vint en eux, et ils reçurent le don des langues et celui de prophétie.

Le baptême était toujours accompagné du rite de l’imposition des mains qui communiquait le Saint-Esprit. Ce rite s’est perpétué dans l’Eglise sous le titre de Confirmation, comme nous l’avons déjà remarqué.

Paul resta à Ephèse deux ans2; il demeurait chez Aquilas et Priscilla3. Pendant les trois premiers mois, il donna son enseignement dans la synagogue, mais, voyant que les Juifs résistaient à la foi, il forma une communauté à part et se mit à prêcher dans l’école d’un certain Tyrannus. Ses discours eurent du retentissement dans toute l’Asie, et tous les habitants juifs et gentils entendirent la parole du Seigneur Jésus.

Ce fut d’Ephèse que Paul écrivit sa première lettre aux Corinthiens.

Pendant le voyage de Paul en Palestine, en Galatie

 

1 Act., XIX; 1-10.

2 Ibid., XIX; 8-10. Sa mission en Galatie et en Phrygie avait duré nécessairement, y compris le voyage, environ un an. Comme il était parti de Corinthe l’an 33, on doit estimer qu’il fut de retour à Ephèse vers la fin de l’année 53, et qu’il y resta jusqu’à la fin de l’année 58.

3 Paul, I Epist. ad Corinth., XVI ; 19.

et en Phrygie, était arrivé à Ephèse un certain Juif nommé Apollo1 ; il était natif d’Alexandrie et distingué par son éloquence et sa science des Ecritures. Il n’avait reçu que le baptême de Jean, mais il connaissait tout ce qui concernait la personne de Jésus et sa doctrine, qu’il prêchait avec beaucoup de zèle. Arrivé à Ephèse, il enseigna dans la synagogue. Aquilas et Priscilla l’ayant appris, l’amenèrent dans leur maison et lui exposèrent avec plus d’exactitude qu’il ne l’avait connue jusqu’alors la doctrine du Maître. D’après les exhortations des frères, Apollo résolut d’aller en Achaïe et s’y rendit avec des lettres de recommandation d’Aquilas et de Priscilla pour les fidèles de Corinthe2.

Arrivé dans cette ville, Apollo y fut très-utile aux fidèles et convainquit les Juifs, par les Ecritures, que Jésus était le Christ.

Mais bientôt plusieurs partis se formèrent dans l’Eglise de Corinthe. Les uns s’y donnaient comme les disciples d’Apollo, les autres de Paul, les autres de Pierre, les autres de Jésus-Christ, à l’exclusion de tout Apôtre. Les fidèles de la maison de Chloès3 avertirent Paul de ces divisions ; quelques personnes lui avaient aussi écrit pour le consulter sur plusieurs sujets4.

L’Apôtre leur écrivit. Il leur reprocha d’abord leurs divisions avec vivacité5. « Chacun de vous dit : Moi, je suis disciple de Paul moi, je le suis d’Apollo ; moi, je le suis de Pierre; moi, je le suis du Christ. Le Christ est-il divisé? avez-vous été baptisés au nom de Paul?… N’êtes-vous pas des hommes charnels, lorsque vous dites, l’un : Je suis disciple de Paul ; moi, je le suis d’Apollo? Qu’est-ce qu’Apollo? qu’est-ce que Paul? Ils sont l’un et l’autre, selon le don qui leur a été fait, les ministres de Celui auquel vous avez cru. Moi, j’ai

 

1 Act., XVIII; 24-28; XIX; 1.

2 Apollo quitta bientôt Corinthe et revint en Asie. Paul l’engagea à retourner à Corinthe, mais il ne put vaincre pour lors sa résolution. (I Epist. ad Corinth.. XVI ; 12)

3 Paul, I Epist. ad Corinth; 11-12.

4 Ibid., VII; 1.

5 Ibid., I; 12-13; III; 4-7.

planté ; Apollo a arrosé1 ; mais c’est le Seigneur qui a fait croître. Celui qui plante n’est rien, non plus que celui qui arrose ; Dieu qui fait croître est. tout. »

C’est au nom d’Apollo, aussi bien qu’en son nom, que Paul s’exprimait ainsi, comme il le déclare lui- même2, car les deux Apôtres enseignaient la même doctrine, et n’autorisaient point ce que disaient certains contempteurs de Paul. On peut croire que ces ennemis de l’Apôtre étaient des Juifs peu instruits qui lui gardaient rancune de l’attitude qu’il avait tenue à Antioche et à Jérusalem. Ils eussent voulu, dans leur zèle peu éclairé pour la loi mosaïque, soumettre les gentils à la circoncision, et ne pardonnaient pas à Paul d’avoir si puissamment contribué à les en exempter. Ils cherchaient donc à donner de la doctrine de Paul une idée erronée. Pour empêcher ces erreurs de se propager, Paul envoya Timothée à Corinthe, et promit d’y aller bientôt lui-même3.

Dans une précédente lettre qui n’a pas été conservée, Paul avait écrit aux Corinthiens d’éviter soigneusement d’avoir des relations avec les fornicateurs. L’immoralité était la plaie du monde païen. Il leur renouvela la même défense à propos d’un homme scandaleux qui vivait en concubinage avec l’épouse de son père. L’Apôtre s’exprime, au sujet de cet homme, avec une vive indignationv; il reproche aux Corinthiens de l’avoir gardé jusqu’alors dans leur communauté, et il l’excommunie en vertu de son autorité apostolique : « Réuni avec vous en esprit, leur dit-il, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et par la puissance du Seigneur Jésus, je l’abandonne à Satan pour la mort de

 

1 On doit remarquer que saint Paul parle de sa mission à Corinthe comme de la première qui ait eu lieu eu celle ville, et de celle d’Apollo comme de la seconde. Les Corinthiens, qui se donnaient comme disciples de Pierre, étaient sans doute des Juifs qui avaient reçu son enseignement en Syrie ; car il n’avait pas alors prêché à Corinthe. Il faut remarquer aussi que Paul donne le titre d’Eglise à la communauté chrétienne de Corinthe, ce qui prouve qu’elle avait dès lors ses pasteurs.

2 Paul, I Epist. ad Corinth., IV; 6.

3 lbid., IV; 17-19.

 

sa chair, afin que son esprit soit sauvé au jour de Notre- Seigneur Jésus-Christ1.

Ce n’était pas sa mort véritable que désirait l’Apôtre ; il voulait que, sous l’influence de Satan auquel il s’était abandonné, sa chair qui se rendait coupable fût mortifiée par des épreuves, afin que son esprit recouvrât la vie qu’il avait perdue. Ce n’était point une violence de la part des hommes que Paul réclamait contre le coupable, mais une punition salutaire de la part de Dieu, qui ‘permettrait à Satan d’user de sa pernicieuse influence d’une manière qui tournerait au salut du coupable.

Un autre abus régnait parmi les fidèles de Corinthe. Lorsque plusieurs d’entre eux avaient des discussions, ils s’adressaient aux tribunaux des infidèles au lieu de s’en rapporter à l’arbitrage des frères. Paul le leur reproche avec énergie2. Il leur fait entendre qu’il avait appris que, parmi eux, il y avait d’anciens païens qui, en embrassant la foi, n’avaient pas renoncé à leurs vices honteux. Il les avertit que ceux qui s’y abandonnent encourront la damnation éternelle3.

Les Corinthiens avaient consulté Paul touchant le célibat. Il l’approuve en lui-même, conformément à la doctrine de Jésus-Christ, mais il ne l’envisage que comme une exception, et il donne le mariage comme la règle générale que chacun doit suivre, à moins d’avoir reçu de Dieu une grâce spéciale par laquelle il soit possible d’observer un célibat chaste et vrai4. Une autre question était relative à la circoncision. Paul considère ce rite comme indifférent, de sorte que le Juif peut être circoncis et le gentil refuser de se soumettre à cette prescription de la loi mosaïque5. Cette décision était conforme à celle du concile de Jérusalem.

Une autre question concernait l’esclavage. Ces Corinthiens pensaient peut-être que cette condition était contraire à l’amour fraternel. Paul répond que l’esclave peut rester esclave, en s’élevant à la liberté spirituelle,

 

1 Paul, I Epist. ad Corinth.. V ; 1-5.

2 Ibid., IV; 1-8.

3 Ibid 9-20.

4 Ibid., VII ; 1-17.

5 Ibid., VII; 18-10.

 

en servant les hommes, non pour eux, mais pour Dieu. L’esclave ainsi peut être libre, et l’homme libre doit être esclave du Christ par l’obéissance à ses lois. La dignité de l’homme ne dépend pas de la position sociale qu’il occupe, mais de la vertu1.

En ce qui concerne les vierges, Paul reconnaît que le Maître n’avait pas donné de précepte. Il se contente donc de donner un conseil en son propre nom. Si quelqu’un veut rester vierge, il fait bien, s’il veut l’être réellement. Si quelqu’un veut se marier, il fait bien également. Lui, Paul, était célibataire, mais il ne fait pas une loi de son exemple. Le père peut donc marier sa fille sans scrupule. Une fois mariée, elle est unie à son mari par un lien que la mort seule peut rompre. Le lien rompu, elle peut se marier de nouveau ; cependant, Paul croit être l’interprète de l’Esprit-Saint, en lui conseillant de rester veuve2.

Ce fut par suite de cette doctrine que l’on vit naître dans l’Eglise la corporation vénérable des vierges et des veuves qui se dévouaient à la piété et à la pratique de la charité.

Plusieurs fidèles de Corinthe pensaient que l’on pouvait, sans scrupule, manger des aliments qui auraient été offerts aux idoles. Il était en effet souvent fort difficile de s’en procurer d’autres, à cause de l’usage où étaient les païens de soumettre à une espèce de consécration superstitieuse les denrées dont ils faisaient commerce. Il est certain qu’en usant de tels aliments, on ne faisait point acte d’idolâtrie. Chacun le savait. Mais des fidèles cependant s’en scandalisaient et mettaient leurs soins à ne manger que des choses qu’une consécration idolâtrique n’avait pas souillées. Paul reconnaît que la nourriture en elle-même est indifférente, mais il veut que l’on ait égard à l’innocence des faibles. La science est une belle chose, mais la charité lui est bien supérieure. Si donc, en mangeant des aliments offerts aux idoles, on scandalise ses frères, il vaut mieux ne pas

 

1 Paul, I Epist. ad Corinth., VII; 21-24.

2 Ibid., VIl; 25-40.

 

en manger. « Quant à moi, ajouta-t-il, si je savais qu’en mangeant de la viande je scandaliserais mon frère, je n’en mangerais de ma vie1. »

Les adversaires de Paul lui reprochaient de se distinguer des autres Apôtres par le célibat et par le travail manuel auquel il se livrait, afin de n’être à charge à personne. Ils lui reprochaient un état de vie qui semblait être la critique de celui des autres Apôtres. Paul répond à ces critiques2 : « Ne suis-je pas libre, dit-il, ne suis-je pas Apôtre? » Je ne blâme ni les autres Apôtres, ni les frères du Seigneur, ni Céphas, qui conduisent avec eux des femmes qui sont leurs sœurs. Je ne blâme pas ceux qui ne travaillent pas des mains et qui vivent de leur ministère. J’aurais le droit d’en faire autant. Mais je ne veux pas en user non plus que Barnabas. Qui a le droit de nous en faire un reproche? » Après avoir ainsi répondu aux critiques, Paul revient aux précautions qu’il faut prendre afin de ne point participer au culte des idoles ; car participer sciemment à ce culte, c’est faire acte d’idolâtrie, comme participer au culte chrétien, c’est s’identifier avec Jésus-Christ. « Le calice que nous avons bénit, dit-il, n’est-il pas la communion du sang du Christ? Le pain que nous avons rompu, n’est-ce pas la participation au corps du Seigneur? Nous qui participons au même pain, nous sommes tous un seul pain, un seul corps. » Paul considérait donc comme une identification véritable avec le corps et le sang de Jésus-Christ, la participation au pain et au vin consacrés. Ses paroles ont la plus haute importance comme interprétation des paroles de Jésus- Christ : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang. » Le culte chrétien consistait dans la bénédiction du calice et la fraction du pain ; en obéissant à l’ordre de Jésus- Christ : « Faites ceci en mémoire de moi, » tous les fidèles participaient au même pain qui était rompu et partagé entre eux ; et ce pain unique était le symbole de l’Eglise dont les fidèles étaient unis entre eux comme

 

1 Paul, I Epist. ad Corinth., VIII; 1-13.

2 Ibid., IX; 1-27.

 

les parcelles d’un même pain, et ne formaient qu’un corps en Jésus-Christ. Ainsi ils étaient unis entre eux et avec le Christ, et consommés en unité, comme le Verbe l’est avec le Père, conformément à la prière suprême de Jésus-Christ pour ses disciples1.

Nous n’avons encore analysé qu’un petit nombre d’Épîtres de Paul, et déjà nous y avons noté, non-seulement des préceptes de morale qui ne sont que l’écho des enseignements de Jésus-Christ, mais quatre rites fondamentaux du culte chrétien : La régénération par le baptême ; la communication du Saint-Esprit par l’imposition des mains ; la participation au corps et au sang du Christ par la communion ; la communication du sacerdoce par l’imposition des mains des Apôtres.

L’immortalité, la récompense ou la punition au dernier jour, la résurrection des corps forment comme la base des préceptes de morale que l’Apôtre a exposés au nom du Seigneur. Les autres Epîtres mettront dans toute son évidence cette vérité : que Paul n’enseigna que la doctrine de Jésus-Christ, comme Jésus-Christ n’avait enseigné que la doctrine puisée en Dieu lui- même.

Paul avait à adresser aux Corinthiens quelques reproches ; il le fit avec charité, mais salis faux ménagements. Des femmes entraient nu-tête dans l’église. Il blâme cet abus. La femme doit avoir plus de modestie et l’homme seul doit avoir la tête découverte dans les réunions de prière2.

« Quand vous vous réunissez, ajoute-t-il3, ce n’est pas pour manger la cène du Seigneur, car chacun apporte sa propre cène à manger. Et tel a faim, tandis que tel autre est rassasié. N’avez-vous pas vos maisons pour manger et boire? Méprisez-vous l’Eglise de Dieu et

 

1 L’Eglise orthodoxe a conservé religieusement en mystère fondamental de limité chrétienne en ne consacrant qu’un seul pain, auquel tous les fidèles participent avec le prêtre. Les Eglises occidentales ont dévié sur ce point de la doctrine primitive, en consacrant un pain pour le prêtre et autant de pains différents qu’il y a de fidèles qui communient. Cette déviation est postérieure à leur séparation de l’Eglise orthodoxe, séparation qui leur a fait perdre le sens chrétien, comme on en verra trop de preuves dans la suite de cette histoire.

2 Paul. I Epist. ad Corinth, XI ; l-19

3 Ibid., XI; 20-29.

 

ne couvrez-vous pas de confusion ceux qui n’ont rien? Que vous dirai-je ? Je vous loue ? Non, je ne vous loue pas en cela. Comme je l’ai appris du Seigneur, je vous ai enseigné que le Seigneur Jésus, la nuit où il fut livré, prit le pain, et, l’ayant béni, le rompit et dit : « Prenez et mangez, ceci est mon corps qui sera livré pour vous ; faites cela en mémoire de moi. » De même pour la coupe, après le repas, il dit : « Cette coupe est le Nouveau Testament dans mon sang ; faites ainsi chaque fois que vous la boirez en mémoire de moi. » En effet, chaque fois que vous mangerez ce pain et que vous boirez cette coupe, vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. »

La cène est donc la continuation mystique de la mort du Seigneur, c’est-à-dire du sacrifice par lequel il a racheté le monde. Ce passage de l’Épître de saint Paul est un commentaire sublime des paroles du Maître. L’Apôtre tire de cette doctrine des conséquences pratiques qui 1a rendent plus évidente encore : « Quiconque, dit-il, mangera ce pain et boira la coupe du Seigneur indignement, sera coupable du corps et du sang du Seigneur. » Les indignes peuvent donc y participer réellement, et leur communion est une profanation du corps et du sang du Christ. « Que l’homme s’éprouve, continue l’Apôtre, avant de manger de ce pain et de boire de cette coupe ; car celui qui mange et boit indignement, mange et boit son jugement, ne faisant pas le discernement du corps du Seigneur. »

Paul se réserva de régler, à son retour à Corinthe, tout ce qui touchait à la cène du Seigneur, mais il fit dans sa lettre, cette recommandation : que les fidèles devaient s’attendre mutuellement pour célébrer la cène, et que ceux qui avaient faim devaient manger chez eux1. La cène avait lieu après le repas du soir et ne se confondait pas avec ce repas. On imitait Jésus-Christ, qui donna son corps et son sang, sous les apparences du pain et du vin, après le repas pascal.

Ces détails, donnés par l’Apôtre sur le grand mys-

 

1 Paul, I Epist. ad Corinth., XI; 33-34.

tère chrétien, sont de la plus haute importance au point de vue historique comme sous le rapport dogmatique. Il en est de même de l’exposition qu’il fait de l’unité de l’Eglise. Tous les fidèles doivent former un seul corps, être identifiés en Jésus-Christ, et il ne doit pas plus y avoir de divisions entre eux qu’entre les membres d’un même corps. Dans le corps, chaque membre a sa fonction qui lui est propre. Il en est de même dans l’Eglise. L’un a en partage la sagesse, un autre la science, un autre la foi, un autre la grâce de guérir, un autre fait des miracles, un autre prophétise, un autre reçoit le don de parler plusieurs langues, un autre celui de les comprendre1. Tels étaient les différents effets que produisait dans l’Eglise primitive la communication du Saint-Esprit. Mais ces effets extérieurs ne se produisaient pas chez tous les fidèles. Dieu avait aussi placé dans son Eglise une hiérarchie avec des attributions distinctes : au premier degré étaient les Apôtres ; au second les Prophètes ; au troisième les Docteurs2. Venaient ensuite les dons spéciaux pour faire des miracles, opérer des guérisons, secourir le prochain, gouverner avec sagesse, parler avec éloquence, interpréter les Ecritures : « Tous sont-ils Apôtres? demande saint Paul ; tous sont-ils Prophètes? tous sont-ils Docteurs? tous ont-ils le pouvoir de faire des miracles, de guérir, de parler ou d’interpréter les langues? »

Ces vocations diverses ne doivent point exciter de jalousie entre les frères ; car aucune ne peut servira ceux qui les possèdent s’ils n’ont pas la charité ; et ceux qui ont la charité n’ont rien à envier aux autres, car elle est le couronnement et le résumé de toute la vie chrétienne3.

On doit remarquer les trois ordres hiérarchiques indiqués par saint Paul ; tous trois viennent du Saint- Esprit et sont ainsi d’institution divine. Au premier rang sont les Apôtres, et sous ce nom Paul ne désignait

 

1 Paul, I Epist. ad Corinth., XII; 8-10.

2 Ibid., 28-30.

3 Ibid., XIII; 1-13.

 

pas seulement les Douze, mais tous ceux qui avaient reçu d’eux, ou directement de Dieu, comme lui Paul, la mission d’organiser et de gouverner l’Eglise ; au second degré étaient les Prophètes qui, sans avoir l’autorité apostolique, concouraient à la direction des Eglises et à l’évangélisation sous la haute autorité apostolique ; enfin, au troisième rang, les Docteurs, placés dans chaque Eglise pour y maintenir, par l’enseignement, les doctrines divines reçues des Apôtres et des Prophètes. Les Prophètes et les Docteurs n’avaient point la direction pastorale des Eglises, réservée aux Apôtres et à ceux auxquels ils la confiaient1.

Dans les réunions des fidèles, les pasteurs n’avaient pas seuls le droit de parler et d’enseigner. Les fidèles qui se sentaient inspirés de l’Esprit de Dieu, et même des femmes, prenaient la parole ; mais il arrivait qu’un trop grand nombre voulaient, soit parler, soit interpréter.

Paul donna aux Corinthiens des conseils qui nous révèlent le caractère surnaturel des assemblées des premiers chrétiens. « Lorsque vous êtes assemblés2, si quelqu’un est inspiré pour composer un psaume, un autre pour instruire, un autre pour révéler des secrets divins, un autre pour parler une langue inconnue, un autre pour l’interpréter, que tout se fasse pour l’édification. Si plusieurs ont le don des langues, il ne faut pas que plus de deux ou trois parlent en une langue inconnue, et ils doivent parler l’un après l’autre, et quelqu’un doit interpréter ce qu’ils auront dit. S’il n’y a pas d’interprète, celui qui a le don des langues ne doit pas parler dans l’église. Quant aux Prophètes, deux ou trois seulement doivent parler · que les autres jugent leurs révélations. Si, parmi ceux qui sont assis dans l’assemblée, il en est un qui reçoit tout à coup une révélation, celui qui parlait doit se taire pour l’écouter. « Tous, vous pouvez prophétiser l’un après l’autre pour votre instruction et votre consolation mutuelles. »

 

1 Paul, I Epist. ad Corinth. XIV; Pass. Nous verrons la confirmation de tous ces points dans la suite de nos études sur les divines Ecritures.

2 Ibid., XIV; 26-31.

 

Cependant les femmes ne devaient pas parler dans l’église1.

Le don des langues était un effet fréquent de la communication du Saint-Esprit ; il était nécessaire pour la prédication de l’Evangile chez tous les peuples. Mais celui qui parlait n’était qu’un écho du ciel ; il ne comprenait pas lui-même ce qu’il disait, de telle sorte que, si un fidèle parlait une langue inconnue dans l’église, en dehors du peuple étranger dont il parlait la langue, il avait besoin d’un interprète qui avait reçu du Saint- Esprit la connaissance de la langue qui était parlée.

C’est grâce à ces dons de l’Esprit de Dieu. que les Apôtres et leurs disciples purent évangéliser toutes les nations du monde dont ils ne connaissaient pas les langues. Le don de prophétie servit surtout au succès de la prédication. Celui qui l’avait reçu pénétrait jusqu’aux plus profonds secrets de l’âme de ceux qui l’écoutaient. Paul le plaçait au-dessus du don des langues. « Si l’Eglise entière se réunit, dit-il2, et si tous parlent diverses langues, des simples ou des infidèles, en vous entendant, diront que vous déraisonnez ; mais si tous prophétisent, et qu’un simple ou un infidèle entre dans rassemblée, on le juge et on le convainc ; les secrets de son cœur sont manifestés; aussitôt, se prosternant, il adorera Dieu et il reconnaîtra que Dieu est en vous. »

La jeune Eglise de Corinthe était déjà troublée par des hérétiques qui niaient la résurrection des morts. Ce dogme était un de ceux qui rencontraient le plus d’opposition dans le monde païen ; nous avons vu comment les Athéniens, en l’entendant prêcher, avaient refusé d’écouter Paul plus longtemps. L’Apôtre exposa aux Corinthiens le dogme chrétien dans toute sa plénitude, et le fit envisager comme la conséquence de la résurrection de Jésus-Christ, nouvel Adam, qui, dans tous ses actes, a été le type de l’humanité régénérée3. Son enseignement était conforme à celui que Jésus-

 

1 Paul, I Epist ad Corinth., XIV; 34.

2 lbid., 23-25

3 Ibid., XV; 1-58.

 

Christ lui-même avait opposé à l’erreur des saducéens.

Paul resta à Ephèse jusqu’à la Pentecôte1 ; il avait l’intention de partir alors pour la Macédoine2, de se rendre ensuite en Achaïe de passer l’hiver à Corinthe3, et de partir ensuite pour Jérusalem4 avec les aumônes qu’il aurait recueillies pour les pauvres de cette Eglise. Son projet était d’aller de Jérusalem à Rome, car, disait-il, « il faut que je voie Rome5. » Il envoya d’avance Timothée et Eraste6 en Macédoine, et resta à Ephèse jusqu’à l’époque fixée.

 

1 Paul, I Epist ad Corinth., XVI; l.

2 Ibid., 5

3 Ibid., 6.

4 Ibid., 1-4.

5 Act. Apost., XIX; 21.

6 Act. Apost., XIX; 22.