Années 62-67

— Séjour de Paul à Rome.

— Ses prédications.

— Épitres qu’il y écrivit aux Philippiens, aux Colossiens, à Philémon, aux Éphésiens.

— Départ de Rome.

— Voyage en Espagne.

— Paul de retour en Asie par la Crète.

— Il visite Milet et Ephèse.

— Il va en Macédoine.

— Première Epître à Timothée.

— Épître à Titus.

— Paul à Corinthe.

— Arrivée de saint Pierre en cette ville.

— Les deux Apôtres vont ensemble à Rome.

— Crescent quitte Rome pour aller évangéliser les Gaules.

— Deuxième Épître de Paul à Timothée.

— Deuxième Épître de Pierre et Épître de Paul aux Hébreux. L’Église de Rome organisée par les deux Apôtres.

— Linus, disciple de Paul, premier évêque de Rome.

— L’Évangile de Marc.

— Martyre de Pierre et de Paul.

 

 

 

Lorsque Paul fut arrivé à Rome1, le centurion le remit, avec les autres prisonniers, à l’officier chargé de les garder ; mais on permit à Paul de demeurer où il voudrait, sous la surveillance d’un soldat. Trois jours après son arrivée, il pria les principaux d’entre les Juifs de le venir trouver, et il leur adressa ce discours :

« Mes frères, quoique je n’eusse commis aucun délit ni contre le peuple, ni contre les coutumes de nos pères, j’ai été emprisonné à Jérusalem et mis entre les mains des Romains, qui voulaient me rendre à la liberté, ne me trouvant coupable d’aucun crime qui méritât la mort. Les Juifs s’y sont opposés et j’ai été contraint d’en appeler à César, mais sans avoir l’intention d’élever aucune accusation contre ma nation. C’est pour vous en assurer que je vous ai prié de venir ici, et aussi pour vous voir et vous dire que c’est à cause de l’espérance d’Israël que je suis chargé de ces chaînes. »

 

1 Act. Apost., XXVIII ; 16 et seq.

 

Ils répondirent :

« Nous n’avons reçu de Judée aucune lettre à ton sujet, et aucun de nos frères n’est venu de ce pays nous dire du mal de toi. Mais nous désirons que tu nous dises toi-même ce que tu penses, car tout ce que nous connaissons de la secte à laquelle tu appartiens, c’est qu’on lui fait opposition partout1. »

On prit jour, et les Juifs vinrent en grand nombre pour entendre l’Apôtre. Du matin jusqu’au soir, Paul leur prêcha le royaume de Dieu et chercha à les convaincre que les prophéties avaient été accomplies dans la personne de Jésus. Les uns le crurent ; les autres ne le crurent pas, et de vives discussions s’élevèrent entre eux. Paul en profita pour leur rappeler cette prophétie d’Isaïe2 : « Allez vers ce peuple et dites-lui : Vous écouterez, et, en écoutant, vous n’entendrez point ; vous verrez, et, en voyant, vous ne verrez point ; car le cœur de ce peuple s’est appesanti ; ils sont devenus sourds et aveugles de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n’entendent, que leur cœur ne comprenne, qu’ils ne se convertissent et que je sois obligé de les guérir. »

« Sachez, ajouta Paul, que le salut de Dieu est envoyé aux gentils et qu’ils le recevront. »

Les Juifs le quittèrent après avoir entendu ces paroles, et continuèrent à discuter entre eux. Paul habita Rome pendant deux ans, recevant chez lui tous ceux qui le venaient visiter. Il prêcha le royaume de Dieu et Jésus-Christ en toute liberté, et sans que personne y mît obstacle3. Il fit des prosélytes, même dans la maison de l’empereur4 qui était alors Néron.

Cet empereur n’avait pas encore commencé alors à persécuter les chrétiens. Paul avait avec lui, à Rome, Luc et Aristarchos, qui l’avaient suivi depuis Jéru-

 

1 Les Juifs de Rome ne connaissant pas le christianisme l’an 62, c’est une preuve nouvelle que Pierre, l’Apôtre spécial des Juifs, n’était pas encore allé les évangéliser dans cette ville.

2 Is., VI; 9.

3 Ici se termine le livre des Actes des Apôtres.

4 Paul, Epist. ad. Philipp., IV; 22.

salème1. Luc, auteur des Actes, est qualifié de médecin par l’Apôtre, qui lui a donné aussi le doux titre d’ami. Aristarchos était son compagnon de captivité. Paul trouva à Rome le diacre Tichikos, qu’il appelle son frère chéri et son compagnon dans le service du Seigneur2 ; Timothée3, Onésime, de Colosses ; deux Juifs : Marc, cousin de Barnabas, et Jésus, surnommé Justus. Le premier, qui avait accompagné Pierre jusqu’à Babylone, avait laissé cet Apôtre en Asie pour aller à Rome. Paul ne lui garda pas rancune de ce qu’il les avait abandonnés, lui et Barnabas, lors de leur première mission, et il le recommanda aux habitants de Colosses parmi lesquels il devait se rendre.

L’Apôtre avait encore auprès de lui, à Rome, Di- mas et Epaphras. Ce dernier était de Colosses. « C’est, écrivait Paul aux Colossiens, un serviteur du Christ, qui soutient sans cesse votre cause dans ses prières, afin que vous demeuriez fermes et parfaits et que vous accomplissiez toute la volonté de Dieu. » Il se montrait très-zélé pour le bien des fidèles des Eglises de Laodicée et de Hiérapolis qu’il avait sans doute contribué à fonder4.

Paul n’avait pas à Rome d’autres Juifs que Marc et Jésus pour collaborateurs ; et ils faisaient sa consolation5.

Non content de travailler à la conversion des Romains, Paul s’efforçait, par ses lettres, d’affermir et d’améliorer les Eglises qu’il avait fondées précédemment. Il écrivit de Rome quatre lettres : une aux Philippiens, une aux Colossiens ; la troisième à Philemon, de Laodicée ; et la quatrième aux Ephésiens. Les lettres aux Ephésiens et aux Colossiens furent portées

 

1 Act. Apost., XXVII; 2 ; — Epist. ad Coloss., IV; 10, 14.

2 Epist. ad Eph., VI; 21; — ad Coloss., IV; 7.

3 Epist. ad Philipp., I; 1; II; 19; — ad Coloss., I; 1.

4 Epist. ad Coloss., IV; 9, 10, 11, 12, 13, 14.

5 Ibid., IV; 1 . Saint Pierre n’y était donc pas (ann. (63). On ne peut, comme on voit, étudier sérieusement l’Ecriture sans y rencontrer la réfutation de la légende romaine sur le prétendu épiscopat de saint Pierre. Nous nous attachons d’autant plus à le démontrer que cette fable a été la source de la plus regrettable division qui ait désolé l’Eglise de Jésus-Christ.

 

par le diacre Tichikos1 ; celle aux Philippiens par Epa- phroditos2.

Les fidèles de Philippes, en Macédoine, s’étaient montrés plus dévoués à l’Apôtre que tous les autres. Déjà ils lui avaient envoyé, par deux fois, à Thessa- lonique, leurs offrandes pour subvenir à ses besoins. Ayant appris qu’il était prisonnier à Rome, ils lui adressèrent, par Epaphroditos, des aumônes abondantes3.

Paul les en remercia affectueusement et leur donna dans sa lettre des instructions et des conseils pour les fortifier dans la foi et dans l’esprit chrétien.

Il écrivit sa lettre en son nom et au nom de Timothée, qui avait été son collaborateur dans la fondation de l’Eglise de Philippes4. Après avoir félicité ses chers enfants de leur fidélité et de leurs vertus, il leur donne ces détails précieux sur son apostolat à Rome5:

« Frères, je veux que vous sachiez que ce qui m’est arrivé a servi au progrès de l’Evangile, à tel point que mes chaînes sont devenues célèbres à la cour de l’empereur et dans toute la ville. Ces chaînes ont même affermi plusieurs de nos frères qui parlent sans crainte et avec hardiesse. Parmi eux, les uns prêchent le Christ par envie et en esprit d’opposition contre moi, tandis que d’autres prêchent avec de bons sentiments et en esprit de charité avec moi, sachant que j’ai reçu mission de défendre l’Evangile. Les premiers sont guidés surtout par la jalousie et par l’intention d’ajouter une affliction nouvelle à ma captivité ; mais que m’importe? Que le Christ soit annoncé, par hasard ou par vrai zèle, pourvu qu’il le soit, je m’en réjouis et je m’en réjouirai. Grâce à l’influence de l’Esprit de Jésus-Christ, et par vos prières, le résultat sera toujours bon. »

Paul rencontrait partout les mêmes ennemis, c’est- à-dire les Juifs, chez lesquels l’esprit étroit du mo-

 

1 Epist. ad Ephes., VI : 21; — ad Coloss.. IV ; 7.

2 Epist. ad Philipp., II; 25.

3 Ibid., IV; 16, 18.

4 Ibid., I; 1; — II: 19, 22.

5 Ibid., 12 19.

 

saïsme étouffait le véritable esprit chrétien ; qui s’imaginaient que c’était assez de croire que Jésus était le Messie, et qui ne considéraient la conversion du monde païen que comme sa soumission au peuple hébreu. Le royaume de Dieu n’était toujours à leurs yeux que le triomphe de leur race. De là leur opposition à l’Apôtre des gentils, qui n’entendait pas que l’on obligeât les païens convertis à se faire Juifs pour devenir chrétiens.

Paul était abreuvé de tant d’amertume par les fanatiques du judaïsme qu’il désirait ardemment quitter la vie pour aller se reposer avec Jésus-Christ dans le sein de Dieu ; mais il savait qu’il avait encore quelque temps à vivre, et il donnait à espérer à ses chers Philippiens qu’il les reverrait encore avant de mourir1. Il leur recommande l’union, la charité mutuelle, l’humilité dont Jésus-Christ leur avait donné un si grand exemple. Le Christ était dans la forme même de Dieu, et il put, sans porter atteinte à l’essence divine, se donner comme l’égal de Dieu ; cependant il a pris la forme de l’esclave, il s’est fait semblable à l’homme, et il a obéi jusqu’à la mort de la croix. Ce rapprochement sublime entre les deux natures divine et humaine du Christ, établit que l’une était aussi réelle que l’autre, et que les deux étaient unies dans la personne unique du Christ que Dieu a élevé jusqu’à sa propre gloire et gratifié d’un nom devant lequel tout genou doit fléchir au ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue doit exalter2.

Les magnifiques paroles de Paul sont un résumé vraiment divin de tout ce que Jésus-Christ avait enseigné sur sa double nature et sa personnalité divine.

Après avoir dit aux Philippiens qu’ils devaient travailler avec crainte à leur salut sous l’influence salutaire de la grâce qui opérait en eux et la volonté et l’action, il ajoute3: « J’espère dans le Seigneur Jésus que je vous enverrai bientôt Timothée, afin d’avoir par lui la consolation d’apprendre de vos nouvelles. Per

 

1 Epist. ad Philipp., I ; 20-30.

2 Ibid., II ; 1-11.

3 Ibid., 12-30.

 

sonne n’est plus uni avec moi, de cœur et d’esprit, et ne m’est plus dévoué que Timothée ; car tous cherchent plutôt leurs intérêts que ceux de Jésus-Christ. Vous savez que j’ai déjà fait l’épreuve de ses sentiments, puisqu’il a travaillé avec moi, comme un fils avec son père, pour l’Evangile. J’espère vous l’envoyer aussitôt que j’aurai réglé ici ce qui me concerne. J’ai aussi confiance que le Seigneur m’accordera d’aller moi-même vous voir bientôt. En attendant, j’ai cru devoir vous renvoyer Epaphroditos, mon frère et le compagnon de mes travaux, mon aide dans mes besoins et votre Apôtre. » Cette dernière expression peut donner à penser que Epaphroditos était le premier pasteur de l’Eglise de Philippes, car c’était Paul lui-même qui avait été l’Apôtre et le fondateur de cette Eglise, et Epaphroditos n’avait pu qu’y continuer son œuvre. Les premiers pasteurs des Eglises avaient, comme saint Jacques de Jérusalem, le titre d’Apôtres, d‘Anges ou d’Evangélistes. Le titre d’Evêque ou Surveillant était donné indifféremment à tous les pasteurs locaux, soit Apôtres, soit Anciens ou Prêtres, et sous eux étaient les diacres. Paul adressa sa lettre à tous les fidèles de Philippes, et particulièrement aux évêques et aux diacres1.

Epaphroditos avait été retenu à Rome par une maladie très-grave, que lui avaient causée ses travaux pour l’Evangile. Il était préoccupé de son Eglise, qui avait été elle-même très-affligée en apprenant sa maladie. Dès qu’il eut assez de force pour entreprendre le voyage de Macédoine, Paul se hâta de le faire partir. « De tels hommes, dit-il aux Philippiens, méritent tout honneur. » Mais, ajoutait-il, « gardez-vous des chiens, gardez-vous des mauvais ouvriers, gardez-vous des circoncis2. » Il désignait ainsi ses ennemis. Il ajoute : « De quoi se glorifient-ils, ces circoncis, dont je ne puisse me glorifier aussi bien qu’eux ? Je suis Hébreu, je suis pharisien, j’ai eu du zèle pour la loi jusqu’à être

 

1 Epist. ad Philipp., I; 1. I.e titre d’Evêque a été réservé depuis au premier pasteur. La lettre aux Philippiens met en relief la hiérarchie telle qu’elle existait aux temps apostoliques,

2 Ibid., III ; 1-21.

 

persécuteur. Mais j’ai appris à ne me point glorifier de tout cela ; je ne me glorifie qu’en Jésus-Christ, principe unique de mon salut. Imitez-moi et éloignez-vous de ceux qui, par leur confiance dans des rites sans valeur, se déclarent ennemis de la croix du Christ, de sa rédemption ; qui ne songent qu’aux choses de la terre ; quant à moi, je vis pour le ciel, et je ne songe à mon corps qu’en vue de la résurrection glorieuse qui le transformera sur le modèle du corps glorieux et ressuscité du Christ.

« Mes frères chéris, continue Paul1, mes amis, ma joie et ma couronne, mes bien-aimés, continuez à demeurer fermes dans le Seigneur. »

Il y avait à Philippes deux femmes distinguées qui n’étaient pas en bonne harmonie : Evodia et Syntykhi. Paul les conjure de s’unir dans les mêmes sentiments au Christ et les recommande à un fidèle compagnon de ses travaux, qui avait uni ses efforts aux siens, à ceux de Clément et de ses autres collaborateurs dans l’œuvre de l’Evangile.

On peut croire que ce fidèle compagnon était l’évêque Epaphroditos lui-même, qui retournait avec la lettre de Paul à son Eglise de Philippes. Clément, dont il est fait ici mention, est sans doute l’Apôtre du même nom, qui fut dans la suite évêque de Rome et fut un des plus grands écrivains du premier siècle2. Il aurait commencé sa vie apostolique à la suite de Paul et aurait été un des Apôtres de la Macédoine.

Paul recommande aux Philippiens la joie dans le Seigneur, la modestie, la prière et en général toutes les vertus dont il leur avait donné l’exemple. Il finit en saluant tous les Saints, c’est-à-dire tous les fidèles auxquels on donnait ce beau nom que la plupart méritaient.

Après le départ d’Epaphroditos, le diacre Tychikos alla en Orient avec trois lettres : pour les Ephésiens, pour les Colossiens et pour Philémon de Laodieée.

 

1 Epist. ad Philipp., IV; 1-23.

2 Nous ferons connaître bientôt sa vie et ses écrits.

 

Ephèse n’avait pas encore d’Apôtre ou premier pasteur1 ; Timothée, disciple chéri de Paul, le devint bientôt après. Colosses en avait un nommé Arkhippos2. Paul chargea son Eglise d’exciter son zèle pour l’accomplissement de tous les devoirs du ministère que le Seigneur lui avait confié. Le premier pasteur devait être soumis à son Eglise, quoiqu’il tînt son ministère de Dieu lui-même. Les fidèles de Colosses se réunissaient dans la maison d’Arkhippos3. Paul ne les avait pas visités pendant ses voyages en Asie ; ils avaient été instruits dans la vérité par Epaphras, qui avait ensuite quitté l’Asie pour se rendre à Rome, et avait laissé l’Eglise de Colosses aux soins d’Arkhippos4. Epaphras avait fait connaître à Paul les fruits de son apostolat à Colosses et à Laodicée, et ce fut sans doute à sa prière que l’Apôtre écrivit aux Colossiens.

Laodicée était aussi dès lors une Eglise ; les fidèles se réunissaient chez l’un d’entre eux nommé Nymphas5, et ils avaient des relations avec les Eglises de Colosses et d’Hiérapolis6.

Paul pria les fidèles de Colosses de lire aux Laodicéens la lettre qu’il leur adressait et qui servait de réponse à celle que l’Eglise de Laodicée lui avait envoyée.

L’épître aux Colossiens renferme les plus précieux enseignements7. Paul exhorte les fidèles à se rendre dignes de la vocation de Dieu, qui les a appelés au royaume de son Fils bien-aimé, lequel les a rachetés, par son sang. « Ce Fils, dit-il, est l’image du Dieu invisible ; il est le premier né de toute créature, car tout a été créé par lui dans le ciel et sur la terre, les êtres visibles et les êtres invisibles, comme les Trônes, les Dominations, les Principautés, les Puissances. Avant toutes choses il était, et toutes choses subsistent par lui. »

 

1 Saint, Paul adresse sa lettre aux fidèles.

2 Epist. ad Coloss., IV; 17.

3 Epist. ad Philem., 2.

4 Epist. ad Coloss., I; 7.

5 Ibid., IV; 18; — I; 7-9; —II ; 1.

6 Ibid., IV; 14.

7 Ibid., I; 12-29.

 

La génération éternelle du Christ, comme Fils de Dieu, n’a pas été exposée plus clairement par l’évangéliste saint Jean lui-même.

Dans le temps, le Christ est la tête ou le chef du corps de l’Eglise ; il est le premier né d’entre les morts, car en tout il devait être le premier ; toute la plénitude (παν πλήρωμα)1 réside en lui, par la volonté du Père, et c’est par lui et au moyen du sacrifice de son fils, que le Père s’est réconcilié tout ce qui est au ciel et sur la terre, car tout avait abusé de la liberté pour le mal et n’a été sauvé que par le Christ.

Pour correspondre à cette rédemption, chacun, à l’exemple de Paul, doit, pour ainsi dire, la compléter en souffrant avec patience, en pratiquant la vertu. L’Apôtre s’attache surtout à exposer que Jésus-Christ seul est le principe du salut2 ; que les fidèles doivent tenir à lui comme les branches de l’arbre tiennent à la racine ; être appuyés sur lui comme une maison l’est sur son fondement. Il les prévient contre de faux docteurs qui, abusant de certains raisonnements philosophiques, prétendaient que toute la plénitude (παν πλήρωμα) de la Divinité ne résidait pas en lui3. «Il est, dit Paul, la tête de toute Principauté et de toute Puissance. » Les êtres invisibles ne sont point des émanations divines, mais des créatures, dont le Christ, Fils de Dieu, avant le temps, est le principe. C’est lui aussi qui, par le baptême, appelle les hommes à une nouvelle naissance ; qui, par la foi, les fait passer de la mort spirituelle à la vie ; qui, par son sacrifice, a racheté l’humanité et a attaché à la croix avec lui la sentence de condamnation lancée contre elle ; qui l’a affranchie de l’influence pernicieuse des êtres invisibles dont il a triomphé.

Paul prévient aussi les Colossiens contre les Juifs chrétiens qui voulaient leur imposer leurs abstinences, leurs fêtes, leurs néoménies et leur sabbat ; contre un

 

1 Nous verrons ce mot de pliroma jouer un grand rôle clans les systèmes des premiers hérétiques.

2 Epist. ad Coloss., II ; 1-23.

3 C’est le système auquel Valentin attacha son nom, comme nous le verrons dans la suite. Ce système était, comme on voit, enseigné en Asie, l’an 63, date de la lettre aux Colossiens.

faux docteur qui affectait un culte superstitieux pour les anges, et se séparait du Christ, seule tête dont tout le corps de l’Eglise recevait la vie. Au lieu de mettre la vie chrétienne en Jésus-Christ seul, ils la plaçaient en certaines pratiques superstitieuses, une humilité affectée, des flagellations et des abstinences.

Paul ne condamnait pas les pratiques de pénitence ; on le voit en plusieurs endroits de ses écrits ; mais il s’élevait contre le pharisaïsme, qui était passé du judaïsme dans le christianisme, et tendait à y acclimater ce faux culte, purement extérieur, si contraire à celui que Jésus-Christ avait enseigné et qui devait être un culte en esprit et en vérité.

Paul enseigne ensuite en quoi consiste la vie chrétienne1. Le but de cette vie est l’éternité ; son caractère est d’être cachée en Dieu, et non pas extérieure pour être vue des hommes ; sa nature consiste dans la pratique de la vertu, qui renouvelle l’homme; l’homme renouvelé est le seul qui soit agréable à Dieu ; que l’homme soit gentil ou juif, circoncis ou incirconcis ; Scythe, barbare, esclave, libre, peu importe ; l’homme renouvelé en Jésus-Christ, à quelque nation qu’il appartienne, est seul agréable a Dieu. L’homme renouvelé est charitable, bon, doux, modeste, patient, plein de tolérance pour les autres, disposé à pardonner, rempli de cette charité qui est comme un lien dans lequel sont unies toutes les vertus ; uni avec ses frères comme avec les membres d’un même corps ; cherchant à les édifier, à les instruire ; chantant avec eux des psaumes, des hymnes, des cantiques spirituels ; agissant, en toutes choses, en Jésus-Christ.

Paul trace ensuite les devoirs des personnes mariées, des enfants envers leurs parents et de Ces derniers envers leurs enfants, des serviteurs envers leurs maîtres ; des maîtres2 envers les serviteurs.

Il termine sa lettre en demandant des prières pour lui3 et en faisant connaître ses collaborateurs dans

 

1 Epist. ad Coloss., III; l-25.

2 Ibid., IV ; I.

3 Ibid., 3-18.

 

l’œuvre apostolique qu’il accomplissait à Rome. Le diacre Tychikos, après avoir remis la lettre adressée à l’Eglise de Colosses, se présenta chez Philémon avec Onesimos qui l’avait accompagné en Asie.

Onesimos était esclave de Philémon. Après avoir volé son maître, il s’était enfui à Rome, où il rencontra Paul qui découvrit en lui des qualités excellentes, le convertit, le baptisa et en fit un vrai chrétien. Paul le renvoya à son maître qui, ne voyant plus en lui qu’un frère, lui accorda la liberté. Onesimos fit l’admiration de l’Eglise entière par ses lumières et ses vertus. Nous le verrons succéder à Timothée sur le siège d’Ephèse et couronner une vie sainte par le martyre.

Tychikos et Onesimos remirent à Philémon cette lettre touchante :

« Paul, prisonnier de Jésus-Christ, et son frère Timothée à Philémon leur ami et collaborateur, à leur très-chère Appia, à Arkhippos, leur compagnon d’armes et à l’Eglise qui est en sa maison : grâce et paix de la part de Dieu et du Seigneur Jésus-Christ. Je me souviens toujours de vous dans mes prières et j’ai rendu grâces à Dieu en apprenant votre foi dans le Seigneur Jésus, votre charité envers tous les Saints, toutes les bonnes œuvres qui sont pratiquées dans votre maison et qui font éclater dans le monde entier votre foi en Jésus-Christ. Nous avons été comblés de joie et de consolation en voyant que tu as nourri tant de saints pour lesquels tu as été rempli de charité. Cette charité m’autoriserait à t’imposer comme un devoir en Jésus-Christ, ce dont j’ai à te parler ; mais j’aime mieux te le demander à titre de Paul déjà vieux et prisonnier de Jésus- Christ. Je t’adresse donc une prière pour mon fils Onesimos, que j’ai enfanté dans mes chaînes. Il te fut inutile autrefois ; maintenant il nous est utile à toi et à moi. Je te l’ai renvoyé toi, reçois-le comme mon cœur. J’avais pensé le garder auprès de moi, afin qu’il me servît à ta place dans les chaînes que je porte pour l’Evangile ; mais je n’ai voulu prendre aucune détermination sans avoir ton avis, désirant ne rien t’imposer, mais recevoir un don volontaire. Peut-être as-tu été sé-

paré de lui quelque temps pour le recouvrer pour toujours, non plus à titre d’esclave, mais à titre d’un de nos frères bien-aimés, qui m’est très-cher à moi, et qui doit te l’être encore plus, puisqu’il t’appartient, et selon la chair et selon le Seigneur. Si tu me considères comme ton ami, reçois-le comme moi-même ; s’il t’a causé quelque préjudice, et s’il est ton débiteur, prends- en toi à moi ; j’en signe l’obligation de mon nom de Paul ; je te rendrai ce qu’il te doit, pour ne pas dire que tu te dois toi-même à moi. Oui, frère, donne-moi ce bonheur dans le Seigneur ; procure-moi cette consolation dans le Seigneur.

« Je t’ai écrit ainsi parce que j’ai pleine confiance que tu feras ce que je dis, et plus encore. Je te prie aussi de me préparer un logement, car j’espère que, grâce à vos prières, Dieu me donnera encore à vous.

« Epaphras, prisonnier de Jésus-Christ comme moi, vous salue, ainsi que Marc, Aristarchos, Dimas et Luc, mes compagnons.

« Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec votre esprit. Amen. »

Cette lettre fut remise à Philémon par Onesimos lui-même. Tychikos, qui l’accompagnait, était aussi porteur d’une lettre pour les Ephésiens. Paul y expose les mêmes vérités que dans celle aux Colossiens. Jésus- Christ, principe unique du salut ; nécessité de correspondre à la vocation chrétienne, en se régénérant, en union avec Jésus-Christ, par la pratique de toutes les vertus.

Les élus, dit-il1, ont été prédestinés comme tels, de toute éternité. Dieu vit, dans sa prescience infinie, quels seraient ceux qui, par le bon usage de leur liberté, correspondraient à sa grâce, et il les prédestina à former son peuple élu, son Eglise, dont le Christ serait le chef, dont tous les membres formeraient comme un corps, puisant dans son chef le principe de la vie spirituelle.

Par leur origine, les élus étaient enfants de colère

 

1 Epist. ad Ephes., I; 1-23.

 

comme le reste de l’humanité1 ; mais ils ont été sauvés par la grâce de Jésus-Christ; Dieu les a créés, pour ainsi dire, de nouveau, et leur a donné une nouvelle vie en Jésus-Christ ; par la foi, ils sont identifiés avec leur chef, et cette foi produit les bonnes œuvres qui assimilent leur vie à celle du Fils de Dieu. Les élus ont été choisis parmi les gentils et les Israélites, sans distinction. La race d’Abraham n’est plus exclusivement le peuple choisi ; ce peuple se compose de tous ceux que Dieu a appelés, et tous, gentils ou Juifs, forment comme un édifice spirituel, dont les Prophètes et les Apôtres forment comme les premières assises, et dont le Christ est la pierre angulaire ; sur ces bases, l’édifice entier s’élève comme un temple à Dieu, sous l’inspiration de l’Esprit.

Telle est l’économie de l’Eglise chrétienne. Jésus- Christ, seule pierre angulaire : les Prophètes et les Apôtres, sans distinction et à titre égal, premières assises de l’édifice spirituel.

L’Eglise2 n’embrasse pas seulement les membres vivants sur la terre, mais tous les justes qui sont morts dans la paix du Seigneur. « Jésus-Christ est le chef de la grande famille qui est au ciel et sur la terre. » Les êtres invisibles comme les êtres visibles, tous les saints ne forment qu’un même corps dont le Christ est le centre, la rédemption, la vie. La mort ne rompt point les liens qui existent entre les membres. Le Christ agit en eux tous, en quelque état qu’ils se trouvent. Tel est le grand mystère de l’Eglise de Dieu, du nouveau peuple élu.

Le devoir de tout chrétien est de se rendre digne d’une aussi haute vocation3, en remplissant les devoirs attachés à l’état dans lequel Dieu l’a placé. Dans l’Eglise, ces états sont différents. Les uns sont apôtres, les autres prophètes, les autres évangélistes, les autres pasteurs et docteurs. Tous, selon les dons ou les titres qu’ils ont

 

1 Epist. ad Ephes., II; 1-22.

2 Ibid., III ; 1-21.

3 Ibid., IV ; 1-32.

 

reçus, doivent travailler à former l’Eglise, qui est le corps du Christ, de manière que tous les membres arrivent à l’unité d’une même foi et d’une même connaissance du Fils de Dieu, et que chacun parvienne, en âge et en force, à l’état d’homme parfait, sur le modèle du Christ lui-même, type de la perfection complète vers laquelle le chrétien doit tendre.

D’après saint Paul, il y a dans l’Eglise diverses classes de personnes favorisées de ministères ou de dons exceptionnels, appelés à ces états par Dieu lui- même ; mais dans ces ordres différents, parmi les Apôtres, comme parmi les autres pasteurs, personne, en particulier, n’a de rang suprême ; tous sont des membres du même corps, et le Christ seul en est la tête ou le chef.

Pour être digne de faire partie de ce corps harmonieux, il faut renoncer à la vie païenne, pratiquer les vertus chrétiennes, vivre en homme nouveau et régénéré.

Paul expose en détail les qualités de l’homme nouveau1 dans les divers états sociaux. Sa morale a toujours la même sublimité et n’est que l’écho de l’enseignement de Jésus-Christ.

Paul, après deux ans de séjour à Rome, partit de cette ville et se dirigea vers l’Espagne2. Il est probable que, pour se rendre de Rome en ce pays, il passa par les provinces méridionales des Gaules, où ses disciples fondèrent, quelques années plus tard, des Eglises florissantes3

 

1 Epist. ad Ephes., V; 1-33; — VI ; 1-24.

2 Saint Clément, évêque de Rome, et disciple de Pierre et de Paul, affirme que Paul alla jusqu’aux confins de l’Occident. (I Epist. ad Corinth., c. 5) D’un autre côté, saint Paul affirme lui-même qu’il voulait visiter Rome en se rendant en Espagne (Epist. ad Rom , XV; 24, 28), el qu’il était fermement décidé à aller dans cette contrée. Quelques érudits anglais, entre autres Pearson, prétendent que saint Clément a désigné la Grande-Bretagne par les mots confins de l’Occident. Un grand nombre de Pères de l’Eglise ont parlé du voyage de saint Paul en Espagne connue d’un fait certain ; tels sont saint Athanase d’Alexandrie (Ad Drac. ; saint Cyrille, de Jérusalem (Catech., 17); saint Epiphane (Haeres., 27); saint Jean Chrysostome (Homil. 70 in Matth.); le B. Jérôme (ln Isa., XI; 14); Theodoret (In c. 1. Epist. ad Philipp.) ; saint Grégoire-le-Grand (In Job., lib. XXXl; c. 22).

3 Nous raconterons cette mission un peu plus bas.

 

Après avoir visité l’Espagne, Paul retourna en Orient ; il prêcha en particulier en Crète, où il laissa son disciple Titus1, qui eut pour coadjuteur, dans l’établissement de cette Eglise, le jurisconsulte Zénas et Apollo2.

Paul se rendit ensuite en Asie, et particulièrement à Ephèse, où il laissa son disciple Timothée3. De là, il se rendit en Macédoine4, où il visita ses chers Philippiens.

Ce fut de Macédoine qu’il écrivit sa première lettre à Timothée.

« Je t’ai laissé à Ephèse, lui dit-il, afin que tu avertisses certaines personnes de ne pas enseigner une doctrine différente de celle qui leur a été prêchée et de ne pas s’adonner à des fables et à des généalogies interminables, questions qui engendrent toute autre chose que l’édification en Dieu dont la base est la foi. La fin du commandement est la charité qui émane d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sincère. Plusieurs abandonnant ce principe, se sont jetés en de vaines disputes ; se donnant comme docteurs de la loi, et ne comprenant ni ce qu’ils disent, ni ce qu’ils affirment. »

Paul, après ce préambule, expose les motifs qui ont fait établir la loi, et relève l’apostolat pour lequel il avait été choisi par la miséricorde de Dieu.

En rapprochant ces diverses considérations, il est aisé de comprendre que les faux docteurs d’Ephèse étaient des Juifs, ennemis de Paul, parce qu’il ne voulait pas imposer aux gentils le joug de la loi mosaïque, lesquels s’embarrassaient dans une foule de questions ardues auxquelles ils ne comprenaient rien. Paul appelle ces questions généalogies ; ce qui caractérise parfaitement la secte de Simon dont Valentin perfectionna le système par les généalogies interminables au moyen desquelles il prétendait faire émaner tous les êtres de Dieu et former son Pliroma.

 

1 Paul, Epist. ad Tit., I ; 3 ; — Théod., in Psalm., 116

2 Ibid., III; 13.

3 Paul, l. Epist. ad Timoth., I ; 3.

4 Ibid.

 

Nous exposerons bientôt ces doctrines auxquelles Timothée devait s’opposer à Ephèse, et dont les principaux adeptes dans cette ville étaient Hymenœus et Alexandre. Avant son départ d’Ephèse, Paul les avait livrés à Satan pour leur apprendre à ne pas blasphémer1, c’est-à-dire qu’il les avait retranchés de l’Eglise ou du royaume de Dieu.

On voit, par cet exemple et par celui de l’incestueux de Corinthe, que l’excommunication est une peine que l’autorité apostolique avait le droit de prononcer ; mais les effets de la sentence étaient purement spirituels. Paul abandonnait à Satan ceux qui se rendaient indignes d’appartenir à l’Eglise ; mais il ne les livrait ni au bras séculier, ni à la haine des fidèles.

Paul trace ensuite à Timothée les règles de discipline qu’il devra appliquer2.

On doit prier pour tous les hommes sans exception. Donc, pas de haine, même contre ceux qui n’ont pas la foi, mais charité universelle. Il faut prier particulièrement pour les représentants de l’autorité. L’esprit de rébellion n’est pas chrétien. Les hommes doivent élever vers Dieu des mains pures, des cœurs sans colère et sans rancune ; les femmes doivent prier avec modestie et ne se point permettre d’enseigner.

Paul trace ensuite3 le caractère du pasteur et du diacre, afin que Timothée, qui devait organiser les Eglises limitrophes d’Ephèse, ne fût pas exposé à faire des choix défectueux. Il est à remarquer que l’Apôtre n’indique que deux degrés hiérarchiques : l’évêque ou surveillant et le diacre. Nous avons fait observer déjà que le titre d‘évêque n’était pas exclusivement donné aux pasteurs du premier ordre, mais à tous ceux qui exerçaient le sacerdoce. A l’époque apostolique, les évêques proprement dits étaient rares ; ceux qui possédaient la plénitude de l’autorité apostolique, ne se fixaient pas dans une église particulière ; ils parcou-

 

1 Paul, I. ad Timoth.. 1; 20.

2 Ibid., II; l-15.

3 Ibid., III; 1-16.

 

raient le monde, établissant partout des pasteurs secondaires qui exerçaient les devoirs du sacerdoce sous leur direction.

« L’évêque, dit saint Paul, doit être irrépréhensible, n’avoir épousé qu’une femme, être sobre, sage, grave, chaste, hospitalier, instruit ; il ne doit être ni ivrogne ni violent, mais modeste ; non querelleur, non cupide ; il faut qu’il gouverne bien sa maison et que ses enfants soient soumis et purs. « Si quelqu’un, dit l’Apôtre, ne sait pas gouverner sa maison, comment aura-t-il soin de l’Église de Dieu ? » Il ne faut pas choisir un néophyte, de peur de lui donner de l’orgueil, et celui que l’on choisira doit jouir de l’estime, même de ceux qui n’appartiennent pas à l’Eglise. »

Tel doit être le pasteur chrétien.

Les qualités du diacre sont : la chasteté, la franchise, la sobriété, le désintéressement, une foi et une conscience pures.

Les femmes des diacres doivent être également chastes, charitables, sobres, fidèles en toutes choses.

Comme les pasteurs supérieurs, les diacres ne doivent avoir épousé qu’une femme et gouverner sagement leurs enfants et toute leur maison.

Ces règles de discipline sont encore celles de la vraie Eglise, qui ne veut avoir d’autres prêtres et d’autres diacres que des pères de famille, donnant le bon exemple au troupeau et n’ayant épousé qu’une seule femme1. L’Apôtre, sans imposer le mariage à tous, et en estimant le célibat libre et pieusement observé dans un but de perfection, s’élevait contre toute loi prescrivant le célibat : « L’Esprit, écrit-il2, m’a dit clairement que, dans les derniers temps, certains s’éloigneront de la foi, écouteront les Esprits d’erreur et les doctrines des démons, mentant avec hypocrisie, ayant une conscience inaccessible au bien, prohibant le mariage et des nour-

 

1 L’Eglise romaine a cru mieux faire en imposant le célibat aux prêtres et aux diacres. L’histoire démontrera qu’il est dangereux de vouloir établir des règles plus parfaites que celles des Apôtres.

2 Paul, I. Epist. ad Timoth., IV; 1-16.

ritures que Dieu a créées pour être prises avec action de grâces par ceux qui ont connu la vérité. »

Paul ne veut pas que Ton condamne telle ou telle nourriture, puisque toutes viennent de Dieu. Cependant il ne s’oppose pas aux privations que l’on s’impose par esprit de pénitence, comme on le voit en plusieurs endroits de ses épîtres. Rien de ce qui existe dans l’œuvre de Dieu ne doit être condamné par l’homme ; c’est à lui à en user selon l’esprit chrétien, qui est un esprit de sobriété et de pénitence.

Après ces prescriptions de discipline générale, l’Apôtre recommande à son disciple d’en donner l’exemple, en préférant la piété aux discussions oiseuses qu’il nomme dédaigneusement : contes de vieilles femmes. Il l’exhorte à correspondre à la grâce qu’il avait reçue, lorsque, selon les prophéties faites à son sujet, il avait été élevé à la dignité apostolique, par l’imposition des mains du corps des pasteurs.

On regardait la grâce comme attachée à cette imposition des mains, qui devenait ainsi un signe extérieur des dons spirituels qui étaient communiqués. Dans un autre endroit1, Paul dit que c’est lui qui avait imposé les mains à Timothée, ce qui prouve qu’il était à la tête du corps pastoral qui lui avait conféré l’ordination.

A côté des ministres du sacerdoce, il y avait, dès les temps apostoliques, dans chaque Eglise, une corporation pieuse, composée de veuves ; les membres étaient élus par la communauté et se consacraient au célibat et aux bonnes œuvres. Saint Paul prescrit à Timothée les règles qu’il doit suivre à ce sujet ; il veut que l’on n’élise que des veuves de soixante ans2. Les plus jeunes doivent se marier afin d’avoir des enfants. Il ne parle pas de corporations de vierges.

Quant au corps sacerdotal3, les précautions les plus sévères devaient être prises dans le choix de ceux qui devaient en faire partie. Timothée, élevé à la dignité apostolique, avait le pouvoir de leur conférer la grâce

 

1 Paul, II. ad Timoth., I; 6.

2 Paul, I. Epist. ad Timoth., V; 9-10.

3 Ibid., 17-22

 

de l’ordination par l’imposition des mains, mais il ne devait la conférer qu’après un examen approfondi des qualités de ceux qui étaient choisis. Une fois ordonnés, les pasteurs à résidence fixe avaient le droit de recevoir de leur troupeau une rétribution suffisante.

En terminant sa lettre Paul recommande aux serviteurs l’obéissance ; aux riches le détachement des richesses ; à Timothée la fidélité dans la garde du dépôt doctrinal qui lui avait été confié. La doctrine chrétienne, révélée une fois pour tous les temps, est un dépôt que le pasteur de l’Eglise, quel qu’il soit, ne doit ni changer ni modifier ; son devoir est de le transmettre tel qu’il l’a reçu.

Paul avait l’intention de séjourner peu de temps en Macédoine et de retourner à Ephèse2, après avoir passé l’hiver à Nicopolis3. Il écrivit à son disciple Titus de se rendre auprès de lui dans cette ville h On voit par sa lettre qu’il avait avec lui, en Macédoine, plusieurs compagnons parmi lesquels il nomme Tychikos et Artemas, et qu’il avait l’intention d’envoyer en Crète l’un de ces deux disciples pour remplacer Titus dans la direction de l’Eglise de cette île.

L’épître à Titus, comme celles adressées à Timothée, est un monument de la plu s haute importance en ce qui touche la hiérarchie ecclésiastique :

« Je t’ai laissé en Crète, lui dit-il5, pour corriger les choses défectueuses et établir des prêtres dans les cités, selon le pouvoir que je t’en ai donné. »

On voit là en action l’autorité apostolique établissant des pasteurs inférieurs. Par le mot Prêtres ou Anciens, on peut entendre de simples prêtres ou des évêques que les hommes apostoliques commençaient à établir dans les cités, sur le modèle de ceux de Jérusalem, d’Antioche et d’Alexandrie. Paul, après s’être servi du mot prêtres,

 

1 Paul, I. Epist. ad Timoth., VI ; 1-21.

2 Ibid., III; 14; – IV; 13.

3 II y avait, deux villes de ce nom : l’une, en Thrace, sur les frontières de la Macédoine, et l’autre en Epire. On ne sait dans laquelle des deux saint Paul voulait passer l’hiver.

4 Paul, Epist. ad Tit., III ; 12.

5 Ibid., I ; 5-16.

 

se sert de celui d’évêques lorsqu’il expose, comme dans la première épître à Timothée, les qualités qu’ils devaient avoir. Il avertit son disciple de se défier surtout des Juifs, qui n’offraient pas les garanties suffisantes pour le ministère pastoral ; il l’engage à les traiter durement et à ne pas se laisser surprendre par les fables qu’ils mêlaient à la doctrine.

Paul voyait un immense danger pour l’Eglise dans les chrétiens judaïsants, et c’est en effet de leur sein que les premières hérésies sont sorties. Il engage son disciple, après lui avoir tracé les principales règles de conduite à l’égard des fidèles1, d’éviter de discuter avec les judaïsants2 et de s’occuper de leurs disputes légales et de leurs généalogies. « Après deux avertissements, dit-il, évite l’hérétique, sachant qu’un tel homme pèche et se condamne par son propre jugement. « Celui, en effet, qui veut opposer ses opinions à la doctrine révélée, se sépare de l’Eglise et se condamne lui-même.

Titus se rendit auprès de Paul et passa en Dalmatie lorsque l’Apôtre quitta la Macédoine3. Paul, s’étant embarqué pour l’Asie, alla sans doute à Ephèse, visita Troade, où il logea chez Carpos4 ; il passa à Milet ; il y laissa Trophime malade5, et il aborda à Corinthe, où il laissa Eraste6, lorsqu’il partit pour Rome.

Paul étant à Corinthe, saint Pierre y arriva après avoir évangélisé les Juifs d’Asie. Les deux Apôtres unirent leurs efforts pour instruire et affermir l’Eglise de Corinthe ; puis, ils partirent ensemble pour l’Italie7.

A son arrivée à Rome, Paul commença à prêcher même à la cour de l’empereur Néron, et, selon une ancienne tradition, convertit sa concubine favorite. Cette conversion faillit lui coûter la vie. Mis en jugement, il ne trouva aucun appui dans les chrétiens de la maison de César, qu’il avait convertis pendant son

 

1 Paul, Epist. ad Tit., II; 1-15.

2 Ibid., III : 9-11.

3 Paul, II. Epist. ad Timoth., IV; 10.

4 Ibid., 13.

5 Ibid., 20.

6 Ibid.

7 S. Dionys, Corinth., Epist. ad Rom. ap. Eusèb., Hist. Eccl., lib. II; 25.

 

premier séjour à Rome. Mais Dieu le protégea et l’arracha pour lors à la griffe du lion1.

Il trouva à Rome, Alexandre, qu’il avait abandonné à Satan lorsqu’il était à Ephèse ; cet ouvrier en métaux, transformé en docteur, s’appliquait à contredire constamment l’enseignement de l’Apôtre2. De ses compagnons ordinaires, Paul n’avait avec lui que Luc, son fidèle historien. Dimas l’avait abandonné par amour du monde3; Crescent, qui l’avait accompagné à Rome, l’avait quitté pour aller évangéliser la Gaule4.

C’est par ce disciple de Paul, auquel vinrent se joindre bientôt après Luc et Trophime, autres disciples du même Apôtre, que l’Eglise de France se rattache au corps apostolique primitif.

Paul avait envoyé à Ephèse Tychikos pour remplacer Timothée qu’il désirait posséder auprès de lui à Rome. Il avait envoyé en Crète Artemas pour remplacer Titus5. Il écrivit à son cher Timothée de hâter son départ pour Rome et d’y amener avec lui Marc, qui lui serait utile pour le ministère6. Le second et le troisième évangéliste Marc et Luc se trouvèrent ainsi à Rome à l’époque où Pierre et Paul y travaillèrent ensemble à l’œuvre évangélique.

Parmi les fidèles les plus illustres de cette Eglise, Paul nomme Eubulus, Pudens, Linus et Claudia, qui étaient particulièrement connus de Timothée7. Linus reçut l’ordination épiscopale de Paul, et c’est par lui que la succession épiscopale de l’Eglise de Rome remonte aux Apôtres8. Le second évêque de cette Eglise,

 

1 Paul., II. Epist. ad Timoth., IV; 16-17.

2 Ibid., IV; 14-15.

3 Ibid., 9.

4 Ibid., 10. Le mot de Galatie signifie la Gaule, appelée depuis la France, selon Eusèbe. (Hist. Eccl., lib. III ; 4.) Théodoret (Comment. in II. Epist. ad Timoth., IV; 10) et saint Epiphane. (Hæres., 51.) Ces auteurs grecs sont incontestablement fort compétents dans l’interprétation du texte grec de saint Paul, et leur sentiment est appuyé de la tradition antique de l’Eglise de France, comme nous le verrons bientôt.

5 Paul, Epist. ad Tit., III ; 12.

6 Paul, II. Epist. ad Timoth., IV; 11.

7 Ibid., 21.

8 Saint Irénée, en parlant de Linus, ne dit pas qu’il fut consacré par Pierre ; et en mentionnant qu’il a été disciple de Paul, il donne à entendre qu’il reçut l’ordination de cet Apôtre. (Cont. Hæres., lib. III; c. 3; § 3)

 

Cletus, appartient aussi à la ligne de Paul, et ce n’est que par Clément, son troisième évêque, que l’Eglise de Rome se rattache à saint Pierre.

Ainsi, avant le martyre des Apôtres, les quatre sièges qui furent depuis patriarcaux avaient leurs évêques dans la personne de Siméon, successeur de Jacques-le- Juste à Jérusalem, Evodius à Antioche, Anianus à Alexandrie, et Linus à Rome.

Paul, tout en ayant échappé à la mort, était retenu à Rome comme prisonnier1, Onésiphore, d’Ephèse, qui s’était rendu alors à Rome, lui prodigua les témoignages de son pieux dévouement2 ; mais tous les Asiatiques ne partageaient pas les mêmes sentiments, et deux d’entre eux, Phighellos et Hermogène, firent de l’opposition à l’apôtre3.

En de telles circonstances, Paul avait besoin d’avoir auprès de lui un ami comme Timothée ; c’est pourquoi il lui écrivit sa deuxième épître. Il l’y engage surtout à combattre fortement, comme un brave soldat de la foi, contre toutes les doctrines nouvelles par lesquelles certains hommes téméraires voulaient ternir la pureté de la vérité révélée4. Parmi les docteurs d’erreur qui habitaient l’Asie, l’Apôtre nomme Hymeneus et Philetus, qui troublaient la foi des fidèles en interprétant d’une manière mystique la grande doctrine de la résurrection des morts, pour arriver à la nier5. Tout en signalant les errants, Paul ne veut pas qu’on les persécute. « Le serviteur de Dieu, dit-il, doit reprendre avec modestie ceux qui résistent à la vérité, dans l’espérance que Dieu leur inspirera le repentir, leur fera connaître

 

Tertullien (De Prœscript,, c. 32) dit positivement que Clément, troisième évêque, de Rome, est l’anneau par lequel cette Eglise se rattache à Pierre : « .. . Sicut Romanorum (Ecclesia) Clementem a Petro ordinatum edit. » Eusèbe (Hist. Eccl., lib. III; 2) dit que le premier évêque de Rome fut Linus : Πρώτο; κλκρούται επισχοηνν Λίνος. Il affirme ensuite que le second fut Anaclet ; le troisième, Clément, etc.

1 Paul, II. ad Timoth., I; 8.

2 Ibid., 16.

3 Ibid., 15.

4 Ibid., I; II.

5 Ibid., II; 17.

 

la vérité et les arrachera aux liens du diable dont ils sont les esclaves1. »

Le zèle amer et les violences contre les hérétiques n’ont jamais pu former le caractère d’une vraie Eglise chrétienne.

Comme dans sa première épître, Paul prophétise que des hypocrites s’élèveront dans l’Eglise de Dieu, et il en fait le portrait suivant2.

« Il y aura des hommes, amateurs d’eux-mêmes, cupides, orgueilleux, suffisants, blasphémateurs, sans respect pour leur famille, ingrats, criminels, sans affection, perturbateurs, accusateurs, intolérants, vindicatifs et cruels ; traîtres, insolents, donnant à la volupté la préférence sur Dieu ; ayant l’apparence de la piété, mais la détruisant en réalité. »

On a vu là avec raison le portrait frappant d’une secte qui est apparue dans ces derniers siècles et qui a causé aux Eglises occidentales des maux affreux. Leurs prédécesseurs étaient à l’origine ces pharisiens qui poursuivaient Paul de leur haine. Ils se mettaient sous le patronage de Pierre, qui les désavouait, et tous leurs efforts tendaient à faire du christianisme un formalisme où la vertu sincère serait remplacée par l’hypocrisie.

« Evite ces hommes, écrit Paul à Timothée3 ; il en est parmi eux qui s’insinuent dans les maisons et captivent des femmelettes couvertes de péchés et qui s’abandonnent à l’inconstance de leurs désirs ; ils apprennent toujours et ne parviennent jamais à la science de la vérité ; comme Jannès et Mambré résistèrent à Moïse, ils résistent à la vérité ; leur esprit est pervers ; ils sont réprouvés en ce qui touche à la foi, mais ils ne remporteront pas ; leur folie deviendra évidente pour tout le monde. »

Le moyen indiqué par saint Paul pour se préserver des atteintes de ces ennemis du Christ est de s’attacher fermement à la doctrine reçue, malgré les persé-

 

1 Paul, II. Epist. ad Timoth., II: 25-26.

2 Ibid., III; 2-5.

3 Ibid., 5-9,

 

cutions qui pourraient être la conséquence de cette fermeté1.

On a tout lieu de penser que Timothée accourut à Rome rejoindre son cher maître qui lui annonçait clairement sa fin prochaine, et que Trophime, aussitôt après sa guérison, se dirigea aussi vers Rome. On ignore les actes de saint Pierre pendant le court séjour qu’il fit à Rome depuis son arrivée jusqu’à son martyre. Nous ne doutons point que l’entente la plus intime n’ait régné entre lui et Paul pour l’organisation définitive de l’Eglise de Rome. Il consentit au choix de Linus pour premier évêque2, et nous considérons la publication de sa seconde épître, à la même époque que celle de Paul aux Hébreux, comme le fruit d’une résolution arrêtée de concert entre les deux Apôtres.

Nous avons vu que la doctrine de Paul lui avait suscité des ennemis parmi les Juifs, qui le considéraient comme un ennemi de l’Ancienne-Alliance. Pierre, au contraire, était cher aux Juifs, dont il avait toujours été l’Apôtre spécial. Il devait se déclarer pour Paul, afin d’imposer silence aux judaïsants, et Paul devait exposer clairement sa doctrine touchant l’Ancienne- Alliance. C’est pourquoi Pierre écrivit sa seconde épître aux Juifs qu’il avait évangélisés3, et Paul sa lettre aux Hébreux.

Ces deux documents sont comme les testaments des deux Apôtres et empruntent une importance toute particulière des circonstances où ils furent publiés. Tel est le début de l’épître de saint Pierre4 :

« Simon-Pierre, serviteur et Apôtre de Jésus-Christ à ceux qui ont été gratifies de la même foi que nous dans la justice de notre Dieu et du Sauveur Jésus- Christ. »

D’après son propre témoignage, Pierre n’avait d’au-

 

1 Paul, II. Epist. ad Thimoth., III; 10-17; IV; 1-3.

2 Iren. Cont. haeras., lib. III; c. 3; § 2 et 3. « A gloriosissimis duobus apostolis Petro et Paulo Romae fundatæ et constitutae Ecclesiae… » Θερελιώ- σα.τες ουν χαί όιχοδομχ.σαντες oc μακάριοι απόστολοι τin éxxhjaixy, Λιοω τin τίs ε’πίσζοπί; λειτουγίαn ενεγείρισζν.

3 II. Pet. Epist., III; 1.

4 Ibid., I; 1.

 

tres titres que ceux de serviteur et d’Apôtre de Jésus- Christ. Ce n’est pas sans motif qu’il prenait avec modestie ces deux titres qui convenaient à tous les autres Apôtres ; car les Juifs affectaient de l’exalter comme ayant reçu de Jésus-Christ des privilèges exceptionnels. Ils le plaçaient avec Jacques de Jérusalem au-dessus des autres Apôtres, principalement pour rabaisser saint Paul et tous ceux qui montraient moins de ménagement pour les traditions judaïques1.

Saint Pierre savait qu’il devait bientôt mourir ; Dieu le lui avait fait connaître2 ; c’est pourquoi il veut prémunir les chrétiens contre les fausses doctrines et leur rappeler qu’ils doivent s’attacher indissolublement à celle qui a été enseignée par Jésus-Christ et dont les Apôtres ont été les échos3. Il s’élève avec énergie contre les inventeurs de nouvelles doctrines et contre les mauvais chrétiens qui, après avoir fait profession d’une vie pure, retournent aux excès du paganisme4. Plusieurs faux docteurs annonçaient comme prochain le deuxième avènement de Jésus-Christ ; Pierre avertit que l’époque n’en est pas déterminée et que mille ans sont comme un jour aux yeux du Seigneur. On doit cependant toujours être prêt pour ce grand jour5, et s’en tenir à la saine doctrine telle qu’elle a été enseignée par les Apôtres et particulièrement par Paul.

« Songez, très-chers, ajoute Pierre6, à vous conserver purs, et sachez que la patience de Dieu est pour votre salut comme notre très-cher Paul vous l’a écrit avec cette sagesse qui lui a été donnée, et comme il l’a enseigné dans toutes ses épîtres dans lesquelles il y a des choses difficiles à comprendre que des ignorants et des hommes légers détournent en mauvais sens, aussi bien que les autres écritures, pour leur ruine. »

 

1 Nous exposerons plus lard les idées des chrétiens judaïsants qui ont été acceptées depuis par les évêques de Rome, et qui ont été la première source d’où la théorie papale est sortie.

2 II Pet. Epist., I; 14.

3 Ibid., 15-21.

4 Ibid., II; 1-22

5 Ibid., III, 8.

6 Ibid., 15.

 

Nous voyons là une allusion à l’épître que Paul envoya, à la même époque, aux Hébreux.

Paul y place en parallèle l’Ancien et le Nouveau Testament. Ce dernier est supérieur au premier parce qu’il a pour fondateur le Fils de Dieu lui-même, tandis que l’Ancien n’eut pour fondateur que les anges ou envoyés de Dieu1. Or, si l’Ancienne-Alliance fut obligatoire, à plus forte raison la Nouvelle l’est-elle, puisqu’elle repose, non sur un pontificat humain, mais sur le pontificat divin du Fils de Dieu2. Jésus est infiniment élevé au-dessus de Moïse, car ce dernier n’était que le serviteur de Dieu, tandis que Jésus est son Fils. Les Juifs ne doivent donc pas s’obstiner à préférer Moïse à Jésus3. La Nouvelle-Alliance est véritablement le repos définitif dans lequel la nation hébraïque doit entrer, puisqu’elle se trouvera ainsi unie à Dieu dans la personne d’un pontife divin qui la réconciliera avec Dieu4. Ce., pontificat n’est pas, comme celui des Juifs, un pontificat humain ; il peut réellement nous servir d’intermédiaire auprès de Dieu, et il est la réalité des anciens pontificats figuratifs 5.

Paul s’applique à démontrer l’excellence de la Nouvelle-Alliance et de son pontificat, sur l’Alliance- Ancienne et son sacerdoce6; il tire la même doctrine des faits de l’Ancien Testament, qui n’étaient que la figure de ceux du Nouveau, et il établit que ce n’est que par la foi dans le Messie futur que les anciens justes ont trouvé le salut7. C’est ce Messie que les Hébreux ont devant les yeux dans la personne de Jésus, et c’est à lui qu’ils doivent s’attacher, pour être fidèles aux espérances de leurs pères8.

Paul termine sa lettre en donnant aux Hébreux

 

1 Paul, Epist. ad Hœb., I; 1-14.

2 Ibid., II; 1-18.

3 Ibid., III; 1-19.

4 Ibid., IV; 1-16.

5 Ibid., V; 1-14.

6 Ibid., VI, VII, VIII, IX, X.

7 Ibid., XI.

8 Ibid., XII.

 

quelques conseils de morale chrétienne1. Il leur annonce que leur frère commun Timothée est en route pour le venir voir à Rome, et que, dans sa personne, il les verra tous2. Il leur nommait ce disciple pour leur rappeler qu’il l’avait autrefois circoncis, afin de prouver que, s’il ne voulait pas imposer la circoncision aux gentils, il ne trouvait pas mauvais qu’elle fût conservée pour les Juifs.

Marc, envoyé d’Ephèse par Timothée, arriva à Rome, et il y publia alors son Evangile3. Au moment où les grandes voix apostoliques allaient se taire, il était nécessaire que l’enseignement divin fût mis par écrit. Marc, comme nous l’avons vu, avait suivi Pierre et Paul dans leurs courses apostoliques ; il avait retenu la doctrine qu’ils avaient enseignée, et il en écrivit l’abrégé sous leurs yeux. Au moment où Marc terminait son travail, Pierre était déjà en prison. Les fidèles de Rome prièrent Marc4 de leur mettre par écrit, comme un abrégé des prédications de l’Apôtre. Pierre apprit, par la révélation du Saint-Esprit, que son disciple avait fait ce travail, et il l’approuva pour qu’il fût lu dans les Eglises. Papias, évêque d’Hiérapolis, avait reçu, sur l’Evangile de Marc, ces renseignements de la bouche du prêtre Jean, un des disciples qui avaient vu le Seigneur, et qui était ainsi contemporain de Marc lui- même5 :

« Marc étant devenu l’interprète de Pierre, écrivit

 

1 Epist. ad Hœb., XIII.

2 Ibid., 23.

3 Saint Irénée, comme nous l’avons déjà observé, dit (Lib. III, Cont. Hœres., 1) que saint Mathieu écrivit son Evangile lorsque Pierre et Paul fondaient l’Eglise de Rome ; que Marc écrivit le sien après la mort de ces Apôtres. Il ne fixe pas de date pour les Evangiles de saint Luc et de saint Jean. Nous pensons que le texte aura été vicié par les copistes, et qu’à la place du mot Mathieu, dont l’Evangile fut écrit trente et un ans avant le séjour de Pierre et de Paul à Rome, il faut mettre celui de Marc, qui publia son Evangile à Rome du vivant des Apôtres, comme on le voit dans Eusèbe.

4 Eusèbe (Hist. Eccl., lib. II; 15) rapporte ce fait d’après des témoins apostoliques : Clément, évêque de Rome (Lib. VI, Institut ), et Papias, évêque d’Hiérapolis, qui avait écrit sur les renseignements donnés par les Apôtres ou leurs contemporains.

5 Ap. Eusèb., Hist. Eccl., III ; 39.

exactement ce qu’il retenait, mais sans raconter, dans une suite coordonnée, ce qui avait été fait et dit par le Christ ; car lui-même n’avait ni accompagné ni même vu le Maître ; il avait plus tard suivi Pierre qui adaptait ses discours aux besoins qui se présentaient, sans avoir pour but de reproduire historiquement les paroles de Jésus. Marc n’a donc pas été en défaut, en écrivant les choses telles qu’il se les rappelait, car il avait pour unique but de ne rien omettre de ce qu’il avait entendu et de ne rien y mêler qui fût contraire à la vérité. »

Luc travailla peu de temps après à son Evangile. Comme il avait parcouru toutes les Eglises d’Asie et d’Europe, il avait consulté, touchant les faits de la vie de Jésus-Christ et ses doctrines, ceux qui avaient connu et entendu le Sauveur. Il vit que Marc ne s’était point attaché à l’ordre chronologique, et il entreprit d’écrire un ouvrage où cet ordre serait suivi plus soigneusement.

Son Evangile ne fut publié qu’après le martyre de Pierre et de Paul1.

 

1 Des érudits ont pensé qu’il avait été composé auparavant, et que saint Paul en l’ait mention dans ses Epîtres. Nous pensons que saint Paul, par le mot Evangile dont il s’est servi plusieurs fois, a entendu la prédication de la doctrine chrétienne et non le livre de saint Luc. On convient que saint Luc n’a écrit qu’après saint Marc, et que ce dernier a écrit son livre à Rome peu de temps avant le martyre de saint Pierre. Saint Luc n’a donc écrit le sien qu’après ce martyre. Luc écrivit sans doute à peu près à la même époque que son Evangile le livre des Actes des Apôtres.

Quoiqu’on ne puisse établir d’une manière positive la date précise où les Evangiles furent composés, on ne peut pas pour cela douter de leur authenticité. En effet, les quatre Evangiles (nous parlerons bientôt de celui de saint Jean) étaient admis comme authentiques dès le second siècle, par des hommes presque contemporains des auteurs de ces divins livres. Tels sont en particulier Justin, Irénée, Tertullien, Clément d’Alexandrie, Théophile d’Antioche, etc., etc. Les études que nous ferons sur les ouvrages des Pères de l’Eglise du second siècle convaincront du fait que nous signalons. Nous verrons, en outre, les adversaires du christianisme et les hérétiques prouver le même fait par leurs attaques mêmes et leurs contestations. C’est donc un fait certain que les quatre Evangiles ont été composés au premier siècle par les écrivains dont ils portent le nom, et qu’ils furent reconnus comme authentiques par les écrivains qui naquirent au premier siècle ou au commencement du second, c’est-à-dire à une époque où vivaient encore les disciples immédiats des Apôtres,

S’il y eut des difficultés au sujet de quelques-unes des Epîtres de saint Paul, c’est que les Eglises qui les avaient reçues ne les communiquèrent pas immédiatement à toutes les autres Eglises. Il fallut un certain temps pour que ces Epîtres fussent connues et acceptées universellement. Nous parlerons ailleurs de la formation du canon des Ecritures du Nouveau Testament.

 

Ce martyre eut lieu l’an 67, sous le règne de Néron1. Pierre fut crucifié, et Paul eut la tête tranchée. Au second siècle de l’ère chrétienne, un prêtre célèbre de Rome, Caius, s’exprimait ainsi au sujet des deux Apôtres2 : « Je puis te montrer les trophées des Apôtres · car, si tu veux aller sur le mont Vatican ou sur le chemin d’Ostie, tu rencontreras les trophées de ceux qui ont fondé cette Eglise (de Rome). » Denys, de Corinthe, à la même époque écrivait aux Romains3 : « Les deux Apôtres, partis ensemble pour l’Italie, souffrirent le martyre dans le même temps, après avoir constitué votre Eglise. »

 

1 Eusèb., Hist. Eccl., lib. II; 23. —Tertull., De Prœscrpt., c. 36; adv. Marc., IV; 5.

2 Caii, adv. Procl., αρ. Eusèb., Loc supra cit.

3 Ap. Eusèb., Loc. supra cit. V. et. Clément. Rom., I Epist. ad Corinth., c. 5.