Années 58-62

— Séjour de saint Pierre à Antioche.

— Evodius, premier évêque de cette ville.

— Prédications de Pierre eu Asie, dans le Pont, la Galatie, la Cappadoce.

— Sylvanus quitte Paul et s’attache à Pierre.

— Mare rejoint Pierre après avoir fondé l’Eglise d’Alexandrie.

— Détails sur cette Eglise.

— Thérapeutes.

— Anianus, premier évêque d’Alexandrie.

— Marc suit Pierre à Babylone.

— Première Epître de Pierre.

— Paul, avant de quitter Ephèse, écrit aux Galatis.

— Il retourne en Macédoine, puis en Grèce.

— Nouveau séjour à Corinthe.

— Epître aux Romains.

— Origines de l’Eglise romaine.

— Nouveau voyage de Paul à travers la Macédoine.

— Paul à Philippes.

— Il écrit sa seconde Epître aux Corinthiens.

— Départ de Philippes.

— Voyage vers Jérusalem ; Troade, Assos, Mitylène, Chios, Samos, Milet.

— Les pasteurs d’Éphèse viennent le trouver en cette ville.

— Discours qu’il leur adresse.

— Voyage de Paul jusqu’à Jérusalem.

— La visite à Jacques et aux anciens.

— Conseil qui lui est donné.

— Il témoigne de son respect pour les rites judaïques.

— Le peuple ameuté contre lui.

— Le tribun romain l’arrache des mains des Juifs.

— Paul devant le sanhédrin.

— Conjuration contre lui.

— Il est envoyé à Césarée pour y être jugé par le gouverneur Félix.

— Rapports de Paul avec Félix.

— Festus est nommé gouverneur de Judée.

— Nouvelles intrigues des Juifs contre Paul.

— L’apôtre comparaît devant Festus et devant Agrippa.

— Il part pour Rome.

— Détails du voyage.

— Son arrivée à Rome.

 

 

Pierre était resté à Antioche après le départ de Paul, et en avait organisé l’Eglise sur le modèle de celle de Jérusalem. Il y établit un évêque qui s’appelait Evodius1. Puis, il évangélisa la province dont Antioche était la capitale et que l’on désignait sous le nom d’Asie. Il parcourut ensuite le Pont, la Galatie, la Cappadoce et la Bithynie2.

Il se trouva peut-être dans ces provinces en même

 

1 Euseb., Hist. Eccl., lib. III; 21.

2 I Pet. Epist., I; 1; Euseb., Hist. Eccl, III; 1 et 4.

 

temps que Paul, lors de son dernier voyage en Asie, et l’on peut croire que ce fut alors que Sylvanus, qui était venu de Grèce avec Paul, s’attacha à Pierre1. Il le suivit jusqu’en Babylonie où l’Apôtre se rendit après avoir évangélisé les Juifs de l’Asie centrale.

Ce fut aussi pendant ces courses apostoliques que Marc vint le rejoindre2. Cet homme apostolique était allé en Chypre avec Barnabas, son cousin, lorsque Paul était parti avec Silas. Il revint ensuite trouver Pierre à Antioche. Cet Apôtre l’aimait comme un fils3 ; ses relations avec la famille de Marc étaient anciennes, et c’est chez la mère de ce disciple qu’il s’était rendu d’abord, lorsque l’ange l’avait délivré de sa prison. Marc était trop jeune pour avoir pu suivre Jésus-Christ4 ; après son retour de Pamphile, où il avait abandonné Paul et Barnabas, il s’était probablement attaché à Pierre, qui évangélisait alors la Judée. Lorsqu’il fut revenu de Chypre, Pierre l’envoya en Egypte où il fonda l’Eglise d’Alexandrie.

Cette ville était un des centres les plus brillants du mouvement intellectuel. Elle rivalisait sous ce rapport avec Athènes et Rome. Les Juifs y étaient nombreux et c’est de cette école judaïco-hellénique qu’était sortie la fameuse traduction de la Bible, connue sous le titre des Septante. Lorsque Marc arriva dans cette ville pour y prêcher Jésus-Christ, les hommes et les femmes accoururent à l’envi pour l’entendre5. Un grand nombre

 

1 I Pet. Epist., V; 12. — Paul, I Ad Thessal., I; 1 ; — II Ad Thessal., I; 1.

2 Ibid., V; 13.

3 Ibid.

4 Euseb., Hist. Eccl., lib.. III; 39.

5 Euseb., Hist. Eccl., lib. II; 16 et 17. Une antique tradition, admise de tout temps dans l’Eglise entière, fait de saint Mare le premier Apôtre d’Alexandrie et de l’Egypte. Eusèbe s’en est rendu l’écho, et l’on ne peut avoir aucune raison de la contester. Seulement on ne peut offrir que des probabilités sur l’époque de cet apostolat. Dans le second livre d’Eusèbe on le place à la même époque que l’apostolat prétendu de saint Pierre à Rome sous Claudius ; nous avons établi que Pierre n’est pas allé à Rome à cette époque, mais qu’il était à Antioche. Nous en concluons que c’est d’Antioche que Pierre envoya Mare en Egypte et non de Rome. Si, au lieu du mot Rome, on mettait celui d’Antioche dans les chapitres XIV et suivants du second livre d’Eusèbe que nous regardons comme interpolés, on pourrait, sans difficulté, les admettre. Mais, avec le mot Rome, ils contredisent d’autres chapitres d’Eusèbe, les monuments les plus anciens et la Sainte Ecriture elle-même.

 

embrassèrent la foi avec une telle ardeur qu’ils portèrent bientôt jusqu’à la perfection la pratique du christianisme. Il y en eut même parmi eux qui se dépouillèrent de leurs biens, comme les premiers chrétiens de la Judée et qui se retirèrent dans les lieux solitaires pour s’y livrer au travail des mains. On les appela Thérapeutes. Ce titre donnait la double idée de leur piété envers Dieu et des travaux agricoles auxquels ils se livraient.

Il y avait alors à Alexandrie un Juif très-docte nommé Philon. On voit, par ses écrits, qu’il avait fait une étude très-sérieuse de la doctrine chrétienne. Mais, comme les fidèles qui passaient du judaïsme au christianisme conservaient beaucoup d’usages juifs et un grand respect pour la loi de Moïse, Philon ne voulait voir en eux qu’une secte d’Israélites qui tendaient à une perfection plus élevée et qui cherchaient dans les Ecritures des vérités profondes cachées sous les allégories de la lettre. Frappé du genre de vie des Thérapeutes, il crut utile de conserver, dans ses écrits, le souvenir de leurs assemblées, de leurs agapes, de leurs mœurs et de leurs usages1. Comme ils furent le type des solitaires qui peuplèrent plus tard les vastes déserts de l’Égypte et de la Thébaïde, nous devons recueillir quelques-uns des renseignements donnés par Philon2.

Il remarque qu’il y avait des Thérapeutes dans les diverses contrées du monde, mais qu’en Egypte, et surtout aux environs d’Alexandrie, ils étaient plus nombreux qu’ailleurs. Ils étaient partagés en groupes ; et chaque groupe avait un sanctuaire où l’on se réunissait pour les saints Mystères. Tous menaient une vie austère et s’adonnaient à des jeûnes rigoureux. Dès l’origine, l’esprit de pénitence se manifestait, dans l’Eglise chrétienne, par la pratique du jeûne, selon la recommandation et l’exemple de Jésus-Christ. Les Thé-

 

1 Euseb., Hist. Eccl, lib. II; 16, 17, 18. Des historiens n’ont pas admis que les Thérapeutes aient été des chrétiens. Eusèbe n’en doute point.

(V. les chapitres ci-dessus.)

2 Phil., De Vita contemplativa, ap. Euseb., Hist. Eccl., lib. Il; 17. Phil., Opéra. Edit, Lond., 1742.

 

rapeutes partageaient leur temps entre la méditation des saintes Ecritures, le chant d’hymnes pieuses et le travail des champs. Il y avait parmi eux des femmes qui conservaient leur virginité et vivaient dans le célibat le plus austère.

On voit, par ces détails, quelle impulsion les prédications de Marc avaient donnée à l’esprit chrétien. Il organisa l’Eglise d’Alexandrie sur le modèle de celles de Jérusalem et d’Antioche, en y plaçant un évêque. Il choisit pour cette dignité Anianus, homme agréable à Dieu et admirable sous tous les rapports, dit Eusèbe1.

Il gouverna l’Eglise d’Alexandrie jusqu’à la quatrième année du règne de Domitien2.

Marc, après avoir fondé l’Eglise d’Alexandrie, revint trouver Pierre et le suivit dans ses courses apostoliques jusqu’à Babylone3.

Cette ville était un centre judaïque très-fameux depuis la captivité des Israélites sur les bords de l’Euphrate4. Pierre, apôtre des Juifs par une vocation spéciale de Dieu5, ne pouvait négliger ceux qui habitaient en grand nombre dans cette ville, capitale de l’Asie, qui avait conservé jusqu’alors sa splendeur6. Il s’y fixa et y fonda l’Eglise chrétienne7. C’est de là qu’il écrivit sa première Epître aux Juifs convertis du Pont, de la Galatie, de la Cappadoce, de l’Asie ou province d’Antioche, et de la Bithynie. Sylvanus fut le porteur de sa lettre8 ; il appelle cet homme apostolique un frère fidèle.

 

1 Euseb., Hist. Eccl., lib. II; 24. Cet historien ne fait commencer l’épiscopat d’Anianus que la huitième année du règne de Néron, peut-être parte que saint Marc ne mourut qu’à cette époque. On peut penser aussi que Marc ne le choisit pour évêque qu’après être revenu à Alexandrie après la mort de saint Pierre, arrivée l’an 67. Le renseignement important, c’est qu’Anianus a été le premier évêque d’Alexandrie. La date de son épiscopat a une moins grande importance.

2 Euseb., Hist. Eccl., lib. III; 14. La quatrième année de Domitien correspond à l’an 83 de l’ère chrétienne.

3 I Pet. Epist., V; 13.

4 Jos., Antiq. jud., lib XVIII; 12.

5 Paul, Epist. ad Galat., II; 8.

6 Philost., Vit. Apollon. Tyan.

7 I. Pet. Epist., V; 13.

8 Ibid., V; 12. Les partisans de la légende relative à l’épiscopat de saint Pierre à Rome prétendent que par le mot Babylone, dont Pierre se sert dans

 

Dans cette lettre, Pierre ne prend que le titre d’Apôtre de Jésus-Christ1. C’était son plus beau titre ; il n’en désirait point d’autre. Il engage ses chers convertis à ne plus mettre leur confiance dans leur origine, mais en Jésus-Christ, source unique du salut2. Au lieu de se donner lui-même comme la pierre de l’Eglise à cause de son nom de Pierre, il enseigne que la pierre est Jésus-Christ3, et que tous les chrétiens indistinctement sont des pierres vivantes qui, placées sur Jésus-Christ, forment une maison spirituelle. Il cite· à l’appui cette prophétie d’Isaïe : « Voici que je place en Sion la pierre principale de l’angle, choisie, précieuse ; celui qui croira en elle ne sera pas confondu. » Cette pierre, ajoute-t-il, qui est placée pour le salut des croyants, est, pour les autres, un rocher contre lequel ils se briseront.

L’enseignement du saint Apôtre est si précis, que l’on peut bien penser que le Saint-Esprit le lui inspira pour prémunir les vrais fidèles contre une fausse doctrine qui a causé à l’Eglise tant de malheurs, et qui devait reposer tout entière sur cette erreur capitale : que l’apôtre Pierre a été la pierre de l’Eglise.

 

sa première Epître, il a entendu Rome. On n’a jamais pu donner une preuve, à l’appui de cette interprétation. Saint Pierre n’est allé à Rome qu’a la fin de sa vie : Pέτροs δε év llovry χαϊ Γαλατία xai Βιθυνία Καππαίοχία τι y.ai Ασία νεχηρυχέναι τ’,ϊς εν διασπορά Iοοδνίιις εοιζεν » ο; ζαί ΕΓ1Ι ΤΕΛΕΙ εν Ρώιΐί! ενόμενο;, άνεσχολοττίσθιι χατχ ζεοχλός, οΰτω; αυτός αξιώτας ΐτχθεΐν.

(Euseb., Hist. Eccl.,lib. III; 1.)

Saint Grégoire-le-Grand, évêque de Rome au sixième siècle, et qui connaissait parfaitement les vraies traditions de son Eglise pendant les cinq premiers siècles, s’est rendu l’écho de ces traditions en disant que saint Pierre a rendu glorieux le siège de Rome, parce qu’il y est mort ; que le siège d’Alexandrie a été aussi illustré par lui, parce que .Marc, fondateur de cette Eglise, était son disciple; enfin que le vrai siège de Pierre était celui d’Antioche, où il était resté sept ans. « Ipse enim sublimavit sedem in qua etiam quiescere et praesentem vitam finire dignatus est. Ipse decoravit sedem in qua Evangelistam Discipulum misit. Ipse (innavit sedem in qua septem annis, quamvis discessurus, sedit. » (Greg., pap., lib. VII; Epist. XI., ad Eulog. Alexandrin.) Après de tels témoignages peut-on soutenir que le mot Babylone signifie Rome, parce que saint Pierre était à Rome depuis le règne de Claudius, et que c’est de là, par conséquent, qu’il a dû écrire sa première Epître? On donne un fait faux comme preuve à l’appui d’une interprétation. Est-ce sérieux ?

1 l Pet. Epist., I; 1.

2 Ibid., I; l-25.

3 Ibid., II; 4-8.

 

L’Epître de saint Pierre est surtout morale ; il y appelle aux fidèles de toute classe leurs devoirs sociaux et politiques1. Le christianisme n’avait pour but ni de réformer l’état social, ni le régime politique existant, mais de réformer les vices individuels. C’est par la vertu qu’il devait régénérer le monde, et non pas en s’immisçant en des questions qui ne sont pas de son ressort. Tout état social est bon dès que la vertu est pratiquée par tous ceux qui le composent ; le plus parfait théoriquement est détestable dès que le vice règne dans les individus. Aussi saint Pierre recommande-t-il l’obéissance aux souverains et aux magistrats ; il veut que les esclaves obéissent à leurs maîtres, alors même que ces maîtres sont païens.

Il trace les devoirs des époux2, de tous les hommes à l’égard les uns des autres, et rappelle que les chrétiens entrent dans l’Eglise, l’arche sainte du salut, par le baptême qui, fécondé par la résurrection de Jésus- Christ, les engendre à la vie sublime dont il esquisse les principaux traits, et qui doit être calquée sur celle de Jésus-Christ lui-même3.

En terminant4, saint Pierre s’adresse aux pasteurs des Eglises qu’il avait formées : « Je supplie, dit-il, les anciens qui sont parmi vous, moi leur collègue et le témoin des souffrances du Christ et le confident de sa gloire qui sera révélée dans l’avenir : paissez le troupeau de Dieu qui vous est confié, veillant sur lui, non avec contrainte, mais avec un empressement conforme à la volonté de Dieu ; non pour le motif d’un gain honteux, mais avec désintéressement ; non avec esprit de domination, comme sur un héritage qui vous appartiendrait, mais en vous montrant le modèle sincère du troupeau. Lorsque le Prince des pasteurs viendra, vous remporterez une couronne de gloire qui ne se flétrira point. »

Sous l’inspiration de l’esprit prophétique, saint

 

1 I Pet. Epist., Il ; 9-25

2 Ibid. III ; 1-22

3 Ibid. IV ; 1-19

4 Ibid., V; 1-4.

 

Pierre apprenait à l’Eglise qu’il n’était que le collègue des autres pasteurs ; qu’il serait sacrilège d’abriter sous son nom des prétentions à une autorité supérieure, à la domination sur l’Eglise qui est l’héritage de Dieu ; des théories de contrainte et de violence ; de prétendus droits au titre de prince des pasteurs, lequel titre n’appartient qu’à Jésus-Christ ; enfin une autre couronne que celle que Jésus-Christ donnera dans l’éternité aux pasteurs fidèles1.

Tandis que saint Pierre évangélisait la Babylonie, Paul quittait Ephèse pour retourner en Grèce. Avant son départ, il fut témoin d’une sédition excitée par des ouvriers dont le travail consistait à fabriquer des objets superstitieux destinés aux pèlerins qui visitaient le temple de Diane2; ils se soulevèrent au cri de : La grande Diane des Ephésiens! et ils cherchaient à ameuter la ville contre les chrétiens qui mettaient leur commerce en péril. Le magistrat les rassembla et réussit à les calmer.

Les chrétiens étaient nombreux à Ephèse, grâce à la prédication et aux miracles de Paul. Ces miracles lui avaient attiré tant d’admiration3, que les linges dont il s’était servi étaient saisis avec empressement et appliqués sur les malades qui étaient guéris. Sept Juifs, fils d’un chef de prêtres nommé Scéva, pensaient qu’ils seraient aussi puissants que Paul, en se servant de son nom et de celui de Jésus-Christ pour chasser les démons. « Je connais Jésus, leur répondit l’Esprit immonde, et je sais qui est Paul. Mais vous, qui êtes-vous? » Et au même instant, le possédé qu’ils voulaient délivrer, se jeta sur eux, déchira leurs vêtements et leur fit de graves blessures.

Ce fait remplit de crainte les Ephésiens. Parmi eux il y en avait un grand nombre qui s’adonnaient à la magie. Ils y renoncèrent pour embrasser la foi, confessèrent leurs péchés et brûlèrent les livres de leur art

 

1 Nous pensons que la seconde Epître de saint Pierre fut écrite à Rome, lorsqu’il s’y trouva avec saint Paul. Nous l’analyserons quand nous serons arrivé à l’époque où nous présumons qu’elle fut écrite.

2 Act. Apost., XIX ; 23-40.

3 Ibid., 11-20.

coupable. On estima que les livres brûlés montaient à la somme énorme de 50,000 deniers1.

Avant de quitter Ephèse, Paul écrivit aux Galates. Il avait eu de grands succès parmi eux, et de nombreux gentils s’étaient convertis à la foi. Mais, lorsque l’Apôtre les eut quittés, arriva un faux docteur qui leur persuada de se faire circoncire, sous prétexte que cette cérémonie était obligatoire et nécessaire au salut. On a vu que les Apôtres qui montraient le plus de respect pour la loi mosaïque, comme Jacques-le-Juste, Pierre et Jean, ne regardaient pas la circoncision comme obligatoire, et que les gentils en avaient été formellement dispensés au concile de Jérusalem. Mais le fanatisme de certains Juifs convertis était tel, que la décision de la vénérable assemblée n’était pas à leurs yeux une règle sûre, et ils osaient même invoquer en leur faveur l’autorité de Jacques-le-Juste, de Pierre et de Jean, quoique ces Apôtres professassent, au fond, la même doctrine que Paul, et eussent condamné leurs excès au concile de Jérusalem.

Paul rappela ce grand fait au début de son Épître, et s’appliqua à faire comprendre aux Galates que Jésus- Christ est l’unique source de salut ; que la circoncision, permise aux Juifs, comme rite extérieur, n’avait aucune valeur au point de vue chrétien, et que les Galates avaient eu tort de se laisser séduire par un faux docteur qui leur avait fait croire que le salut n’avait pas son principe unique dans la foi en Jésus-Christ2. La lettre entière est l’exposition de cette doctrine. On y trouve des détails historiques très-importants, et que nous avons recueillis comme on l’a vu précédemment.

Lorsque Paul quitta Ephèse, la foi y avait fait des progrès considérables et s’y était solidement établie. Malgré ces succès, l’Apôtre y avait été abreuvé d’amertume à cause de la haine de ses ennemis ; son courage avait faibli au point de lui inspirer le dégoût de la vie3.

Lorsqu’il eut fait ses adieux aux frères, il partit pour

 

1 Environ 10,000 francs.

2 Paul, Epist. ad Galat.

3 Paul, II Epist. ad Corinth., I; 8.

la Macédoine1. Après avoir parcouru ce pays, il alla en Grèce où il resta trois mois. Pendant ce temps, il visita Corinthe, et c’est de cette ville qu’il écrivit sa Lettre aux Romains2. Etant en Grèce, il avait reçu des fidèles qui habitaient Rome une lettre dans laquelle ils le priaient de les venir visiter. Ce fut pour leur répondre que Paul leur écrivit. Son épître est importante, non- seulement au point de vue doctrinal, mais encore à titre de document historique, car on y trouve les origines de l’Eglise de Rome.

A l’époque où elle fut écrite, il n’y avait pas encore à Rome d’Èglise proprement dite. Un assez grand nombre de chrétiens, originaires de divers pays et convertis pour la plupart par Paul, y avaient formé plusieurs groupes, et leurs vertus étaient célèbres dans le monde entier3. Ces chrétiens se réunissaient dans des maisons particulières pour prier ensemble ; mais ils n’avaient à leur tête ni évêques, ni prêtres, ni diacres. Aussi Paul, adresse-t-il simplement sa lettre à ceux qui sont à Rome4, sans leur donner aucun des titres qui étaient dès lors en usage pour désigner les pasteurs des sociétés chrétiennes. Ces chrétiens étaient des Juifs Hellènes, c’est pourquoi l’Apôtre s’est principalement appliqué, dans sa lettre, à établir que Dieu, étant le Dieu de tous, les chrétiens de Rome devaient considérer les gentils comme appelés aussi bien qu’eux à l’Evangile ; et il s’excuse d’avoir traité un tel sujet, parce qu’il était l’Apôtre des gentils5.

Il faut remarquer que la lettre de saint Paul n’a été qu’une réponse aux vives sollicitations des chrétiens de Rome, qui sentaient le besoin d’être constitués en Eglise régulière, et qui, dans ce but, s’étaient adressés à Paul, connu du plus grand nombre d’entre eux. La

 

1 Act. Apost., XX ; 1-3. Le premier voyage, commencé en 52, avait, duré jusqu’en 53, comme nous l’avons remarqué. Paul resta à Ephèse trois ans (Act., XX ; 31), c’cst-à-dire jusqu’en 58. Le second voyage en Grèce concorde avec cette année.

2 Origen., Præfat. in Comment. Epist. ad Rom.

3 Epist. ad Rom., I; 8.

4 Ibid., I; 7.

5 Ibid., VII; 1; XV; 15.

réponse de Paul fut portée par Phœbé, diaconnesse de Cenchrée. Cette localité, située près de Corinthe, était considérée comme le port de cette ville. Paul appelle la pieuse Phœbé sa sœur, et la recommande instamment aux Romains1.

Parmi ceux-ci étaient Priscilla, nommée aussi, par abréviation, Prisca, et son mari Aquilas, coopérateurs de Paul en Asie, qui avaient été ses hôtes à Corinthe et à Ephèse, et qui avaient quitté cette dernière ville pour retourner à Rome. Leur maison, à Rome, était un centre de réunion ; Epainetos, le premier Asiatique converti à l’Evangile ; Marie, qui avait beaucoup travaillé pour les chrétiens de Rome ; Andronicus et Junia, parents de Paul, convertis avant lui et qui avaient été prisonniers avec lui ; Amplias, que l’Apôtre appelle son très-cher ; Urbanus, son coopérateur, et Stachys, son ami ; Apellès, un disciple fidèle du Christ.

Ces chrétiens se réunissaient dans la maison de Priscilla et d’Aquilas.

Un autre groupe se réunissait dans la maison d’Aristobulos2. Paul les salue et nomme en particulier son cousin Hérodion.

Un troisième groupe se réunissait dans la maison de Narcisse3. Parmi eux, l’Apôtre nomme Tryphainas et Tryphosas, très-zélés pour le service du Seigneur ; une femme qu’il appelle sa très-chère Persis, laquelle travaillait aussi beaucoup pour Dieu ; Rufus, un élu du Seigneur, et sa mère, que Paul appelle la sienne.

Un quatrième groupe était composé de Asyncritos, Phlégon, Hermas, Patrobas et Hermès4.

Enfin, Paul désigne un cinquième groupe dont les principaux membres étaient : Philologos, Julia, Néréas et sa sœur, et Olympas5.

On peut croire que les premiers chrétiens de Rome se réunissaient ainsi en plusieurs maisons différentes,

 

1 Epist. ad Rom., XVI; 1-2.

2 Ibid., XVI ; 10.

3 Ibid.. XVI; 11.

4 Ibid., XVI; 14.

5 Ibid.. XVI: 15

 

afin de ne pas éveiller les soupçons de leurs ennemis. Ils étaient tellement sur leurs gardes, que les autres Juifs, originaires de Palestine et qui se trouvaient à Rome, ignoraient qu’ils professaient le christianisme1. C’est pourquoi ces derniers n’avaient même pas entendu parler de l’Evangile lorsque, quatre ans après, Paul arriva à Rome.

L’analyse doctrinale de l’Épitre de saint Paul aux Romains nous renseignera parfaitement sur les questions touchant lesquelles ces premiers chrétiens avaient besoin d’enseignement.

Constatons d’abord un fait important : c’est qu’en l’an 58, d’après le témoignage de Paul lui-même, aucun Apôtre n’avait encore évangélisé Rome. « Je désire ardemment, dit-il aux Romains, aller vous voir, afin de vous faire participer à la grâce spirituelle et vous affermir au moyen de l’apostolat qui m’a été confié, pour faire connaître le Christ à tout l’univers2. Je veux en outre me consoler avec vous dans la foi qui nous est commune, remplir à Rome ma mission et y faire quelque récolte comme dans les autres lieux que j’ai évangélisés ; car je suis débiteur envers les Grecs et envers les barbares, et je désire évangéliser à Rome même, car je ne rougis pas de l’Evangile3. »

Paul nous apprend ailleurs4 qu’il n’allait jamais semer la parole évangélique dans les lieux cultivés par d’autres Apôtres5.

 

1 Act. Apost.

2 Paul, Epist. ad Rom., I; 1-6 ; 10-11.

3 Ibid., I; 12-13-15.

4 Ibid., XV; 20.

5 Ainsi tombe, devant le témoignage précis de saint Paul, l’affirmation de quelques historiens qui prétendent que saint Pierre était déjà évêque de Rome depuis le règne de Caligula, c’est-à-dire depuis environ dix-huit ans. Si saint Pierre était déjà évêque de Rome depuis dix huit ans, comment concilier une pareille assertion avec le témoignage positif de saint Paul, qui parle de Rome comme n’ayant pas encore été évangélisée l’an 58; avec le désir dos fidèles de Rome qui appelaient saint Paul pour les instruire et les constituer en Eglise ; avec l’état de la société chrétienne à Rome, divisée en petits groupes de fidèles, et privée de pasteurs? L’assertion louchant l’épiscopat de saint Pierre à Rome est donc positivement contraire à la sainte Ecriture. Le témoignage de l’histoire vient s’ajouter à celui de la sainte Ecriture pour détruire cette erreur. Eusèbe, parlant des pays évangélisés par les Apôtres, s’exprime ainsi, comme nous l’avons vu plus haut : « On pense que Pierre

 

« Je ne rougis pas, continue Paul, d’aller à Rome, malgré sa réputation de sagesse ; et quelle sagesse ! » Il fait alors un tableau affreux de la corruption de cette capitale de l’Empire.

Dans le chapitre deuxième, Paul s’adresse aux Juifs qui faisaient aux païens les graves reproches qu’ils méritaient, et qui se flattaient en même temps d’être sauvés au moyen de la loi mosaïque. Il répond à ce préjugé en disant que ce n’est pas la loi qui sauve, mais son observation. En effet, si les Juifs possédaient la loi de Moïse, les païens possédaient la loi naturelle qui vient également de Dieu. S’ils observaient cette loi, ils étaient sauvés aussi bien que les Israélites qui observaient la loi de Moïse.

Jésus-Christ avait répondu dans le même sens aux Juifs qui s’imaginaient mériter le salut parce qu’ils étaient fils d’Abraham. « Faites les œuvres d’Abraham, avait-il dit, et vous participerez à sa justification. »

De même saint Paul dit aux Israélites qui mettaient leur confiance dans la circoncision : « C’est en vain que vous regardez ce rite extérieur comme moyen de salut, si vous n’observez pas la loi dont il est le signe. Un circoncis est condamné s’il n’est pas fidèle à cette loi, et l’incirconcis est sauvé s’il est fidèle à la loi naturelle.

«Aujourd’hui, ajoute l’Apôtre, l’Evangile est offert

 

prêcha aux Juifs répandus dans le Pont, la Galatie, la Bithynie, la Cappadoce et l’Asie. A la fin, venant à Rome, etc. (Euseb., Hist. Eccl., lib. III, c. 1.) Le même historien, dans un autre endroit (Ibid., c. IV) ne mentionne que les mêmes pays comme ayant, été évangélisés par Pierre, et ne parle pas de Rome. Il est vrai que l’on trouve au livre II de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe deux chapitres (XIV et XV), dans lesquels il est fait mention de la prédication de saint. Pierre à Rome, où il se serait trouvé sous Claudius, et y aurait vu le Juif Philon. Mais ces chapitres nous paraissent avoir été interpolés ou ajoutés aux récits primitifs d’Eusèbe par la main d’un faussaire. Dans le cas où l’on soutiendrait une opinion contraire, il faudrait expliquer la contradiction qui se trouverait dans Eusèbe. Les raisons qui nous portent à croire ces chapitres interpolés, c’est que l’on y trouve un genre de narration et des expressions qui ne sont point habituels à cet historien; que le récit de la prédication de Pierre à Rome est tout à fait un hors-d’œuvre dans l’endroit où il est placé; et qu’Eusèbe n’y donne pas, comme c’est son habitude, les preuves à l’appui de la narration. Si l’on veut absolument qu’Eusèbe. se soit contredit à propos de l’arrivée de saint Pierre à Rome, son témoignage devra être abandonné. Alors les partisans de l’épiscopat de saint Pierre à Rome n’auront plus aucune preuve à l’appui de leur assertion, puisque tous les témoignages qu’ils peuvent invoquer ne sont appuyés que sur le livre II d’Eusèbe. Leur thèse n’en sera donc pas mieux établie.

 

aux uns et aux autres comme complément de l’une et l’autre loi ; et c’est d’après l’Evangile que Juifs et païens seront jugés. »

Saint Paul développe ensuite les motifs qui ont rendu l’Evangile nécessaire1. Les Juifs étaient certainement supérieurs aux gentils, mais ils n’ont pas été plus fidèles à la loi révélée par Moïse que les autres ne l’ont été à la loi naturelle. C’est pourquoi tous ont eu un égal besoin de réhabilitation, laquelle ne peut exister qu’en Jésus-Christ, pour ceux qui embrassent l’Evangile ou la foi nouvelle.

Cette foi détruit-elle les lois mosaïque et naturelle? Non; elle les confirme au contraire. Elle se présente au nom de. Dieu, auteur de ces deux lois, du Dieu des Juifs, du Dieu des gentils, qui veut les sauver les uns et les autres.

C’était un préjugé, chez les Juifs2, que la loi mosaïque justifiait par elle-même sans la foi. C’est une grave erreur ; la loi n’était pas un moyen fatal de justification; ceux-là seulement qui ont eu foi en la pratiquant ont été sauvés.

Ce n’est que par la rédemption de Jésus-Christ3 que l’humanité sera sauvée, car c’est par elle que la masse perdue en Adam sera remplacée par la masse rachetée en Jésus-Christ.

Le moyen d’entrer dans la masse rachetée, c’est le baptême4. Mais le baptême ne sauvera pas plus que la circoncision, si les actions ne sont pas conformes à la foi dont le baptême est le signe ; si on ne s’identifie pas à Jésus-Christ en vivant en chrétien. Le baptême fait le chrétien, comme la circoncision faisait le Juif ; mais il ne sauvera pas plus le chrétien que la circoncision ne sauvait le Juif, si la vie n’est pas sainte.

Saint Paul, s’adressant à des Juifs, s’applique à leur faire bien comprendre la différence qui existe entre les

 

1 Paul, Epist. ad. Rom., III.

2 Ibid.. IV.

3 Ibid., V.

4 Ibid., VI.

deux lois mosaïque et évangélique1; il fait le tableau des opérations de la grâce dans le cœur de ceux qui, étant séparés de la masse de perdition, sont incorporés à Jésus-Christ.

Il regrette2 que les Juifs ses frères n’aient pas répondu au décret d’élection dont ils avaient été l’objet de la part de Dieu. Mais, ayant été infidèles à leur vocation, Dieu, qui est libre, en a choisi d’autres.

Du reste, le choix des gentils avait été prédit3. Le Juif intelligent doit donc comprendre que l’Evangile est pour tous les peuples sans distinction.

Cependant, Dieu n’a pas repoussé son peuple4; s’il appelle les gentils à l’Evangile, à plus forte raison y appelle-t-il les Juifs qui forment son peuple de prédilection.

Ceux auxquels Paul s’adressait ayant répondu à cette vocation, il leur adresse les exhortations les plus pathétiques5, pour qu’ils vivent en vrais chrétiens en ne formant ensemble qu’un seul corps, en s’aimant les uns les autres comme des frères.

C’est dans la pratique des plus purs préceptes de la morale qu’il faut faire consister la vie sainte et non dans les observances de la loi mosaïque, touchant lesquelles on possède une entière liberté6. Toutes les pratiques extérieures ne sont rien si elles ne sont pas vivifiées par la foi.

En terminant son Epître, saint Paul explique aux Romains pour quel motif il leur a donné de tels enseignements. Etant l’Apôtre des gentils7, il doit prendre leur parti contre les Juifs, qui prétendaient qu’ils n’ont pas été appelés a l’Evangile, ou qu’ils doivent être soumis aux observances de la loi mosaïque. Puis, il salue affectueusement les chrétiens de Rome, et en particulier ceux que nous avons nommés ci-dessus.

 

1 Paul, Epist. ad Rom., VII; VIII.

2 Ibid., IX.

3 Ibid., X.

4 Ibid., XI; XII.

5 Ibid., XIII.

6 Ibid., XIV.

7 Ibid., XV.

Outre la doctrine générale qui ressort de cette Epître, on peut y remarquer la profession des vérités fondamentales du christianisme et les institutions qui forment la base de l’Eglise : la divinité de Jésus-Christ1 ; la rédemption de l’humanité par le Christ2 ; le baptême nécessaire à la justification3 ; les bonnes œuvres nécessaires4; les œuvres légales et les rites extérieurs inutiles sans la foi; cette foi a pour objet non-seulement les dogmes, mais les faits divins, et en particulier la résurrection de Jésus-Christ5. Les ordres sont indiqués comme la base de la constitution de l’Eglise, et l’apostolat comme supérieur aux autres dans le ministère6. Enfin la sainte Ecriture doit être lue par tous les fidèles pour leur consolation et leur instruction7.

Saint Paul ne put réaliser son projet d’évangélisation de Rome que quatre ans après avoir écrit sa lettre.

Les Juifs de Corinthe ayant su qu’il devait s’embarquer pour la Syrie, lui tendirent des pièges. Pour -y échapper, il prit une autre route et se dirigea vers la Macédoine8. Il fut accompagné de Sopater, fils de Pyrrhus de Bœrée, et des Thessaloniciens Aristarchos et Secundus ; de Caïus de Derbe, de Timothée et des Asiatiques Tychicos et Trophime.

Il se rendit ensuite seul à Troade. N’y ayant pas trouvé Titus, auquel il avait donné rendez-vous dans cette ville, il en ressentit beaucoup de chagrin et retourna en Macédoine9. Titus alla l’y trouver et partit pour Corinthe avec deux autres compagnons de Paul10.

Arrivé à Philippes, capitale de cette province, Paul écrivit sa seconde Epître aux Corinthiens. Timothée la signa avec lui et elle était destinée non-seulement à l’Eglise de Corinthe, mais à tous les saints qui étaient

 

1 Paul, Epist. ad Rom., 1; 3; IX; 5

2 Ibid., V.

3 Ibid., VI; 3.

4 Ibid., VI.

5 Ibid., I; 4; X; 9.

6 Ibid., I; l-5; XII; 6 et seq.

7 Ibid., XV; 4-5.

8 Act. Apost., XX; 3-4.

9 Paul., II Epist, ad Corinth., II; 12-13.

10 Ibid., VIII ; 6-10-18-22.

 

en Achaïe1. Paul, obligé de quitter Corinthe et d’aller en Macédoine pour échapper aux embûches de ses ennemis, avait l’intention de laisser passer l’orage et de revenir à Corinthe s’embarquer pour la Judée2 ; mais il ne put réaliser ce projet ; c’est pourquoi il prit le parti d’écrire sa lettre.

Il eut pour principal but de répondre aux reproches dont il était l’objet. Cette lettre est empreinte d’une grande tristesse, ce qui donnerait à penser qu’à Corinthe des chrétiens judaïsants le poursuivaient de leurs calomnies, comme ils avaient commencé à le faire à l’époque du concile de Jérusalem, et qu’ils cherchaient à entraver son apostolat; c’est pourquoi il justifie cet apostolat et s’applique à démontrer que c’est par suite d’une obstination aveugle que l’on voulait imposer le joug de la loi mosaïque à ceux que la loi nouvelle avait rendus libres des observances judaïques3.

Pour enseigner leur opinion, ses adversaires ne craignaient pas d’altérer la parole de Dieu4. Quant à lui, il ne prêche point ses opinions, mais Jésus-Christ, sauveur, rédempteur, rénovateur de l’humanité, et il le prêche malgré la persécution dont il est continuellement assailli5.

La première lettre de Paul avait contristé les Corinthiens ; mais il leur avait rappelé leur devoir et ils avaient corrigé les abus qu’il leur avait signalés. L’Apôtre les en félicite et leur donne les témoignages les plus vifs de son amour paternel ; il les engage à venir en aide à leurs frères qui étaient dans la pauvreté6. Il avait en vue les chrétiens de la Judée auxquels il voulait aller porter les secours qu’il avait recueillis dans les diverses Eglises. Celles de la Macédoine, pauvres elles- mêmes et persécutées, lui avaient remis des aumônes

 

1 Paul, II Epist. ad Corinth., I; 1.

2 Ibid., 13-16

3 Ibid., I, II, III, IV.

4 Ibid., III; 17; IV; 2.

5 Ibid., IV, V, VI.

6 Ibid., VI, VII.

 

abondantes, et il le dit aux Corinthiens pour les engager à imiter un si bel exemple1.

L’Eglise de Corinthe étant troublée par de faux apôtres, Paul relève le caractère divin de son apostolat2, et compare hardiment sa vie à celle de ses adversaires. « Ils sont Hébreux, dit Paul, et moi aussi ; ils sont Israélites, et moi aussi ; ils sont de la race d’Abraham, et moi aussi ; ils sont les ministres du Christ, je le dirai au risque de paraître moins sage, je le suis plus qu’eux3. » Ces paroles ne laissent aucun doute sur le caractère de ses adversaires. Il oppose son ministère divin au ministère tout humain de ses adversaires, et il termine sa lettre en conjurant ses chers Corinthiens de lui épargner la peine d’user contre eux de l’autorité divine dont il était investi4.

Après avoir écrit cette lettre, Paul se rendit à Troade avec Luc5. Il avait envoyé d’avance en cette ville ses autres compagnons Sopater, Aristarchos, Secundus, Caïus, Timothée, Tichicos et Trophime ; il partit lui- même de Philippes après Pâques, et, en cinq jours, arriva à Troade où il resta sept jours. La veille de son départ, qui était le dimanche, il engagea une discussion après avoir célébré avec ses compagnons la fraction du pain, c’est-à-dire la cène du Seigneur. Son discours dura jusqu’au milieu de la nuit. Pendant qu’il parlait, un jeune homme nommé Eutichos s’endormit et tomba, du troisième étage, par une fenêtre sur laquelle il était assis. Paulle ressuscita ; puis il prit quelque nourriture, continua à prêcher jusqu’au matin et partit. Il alla par terre à Assos. Ses compagnons s’y rendirent par mer, et tous ensemble ils abordèrent à Mitylène. Le lendemain, ils arrivaient à Chios, un jour après à Samos, et le jour suivant à Milet. Paul n’avait pas voulu passer à Ephèse, de peur de s’arrêter trop longtemps en Asie, car il voulait, s’il était possible, arriver à Jérusalem pour la Pentecôte. De Milet, il en

 

1 Paul, II. Εpist. ad Corinth, VIII, IX.

2 Ibid.., X, XI.

3 Ibid., XI; 22,23.

4 Ibid., XII ; XIII.

5 Act. Apost., XX; 4-38.

voya chercher les pasteurs de cette Eglise. Ceux-ci étant arrivés, Paul leur adressa ces paroles :

« Vous savez comment, depuis le premier jour que je suis entré en Asie, j’ai agi constamment au milieu de vous, servant le Seigneur en toute humilité, dans les larmes et dans les épreuves que me suscitèrent les Juifs ; comment je ne vous ai rien caché de ce qui pouvait vous être utile, vous évangélisant, vous instruisant en public; rendant témoignage en présence des Juifs et des gentils, au repentir qu’ils devaient offrir à Dieu, et à la foi en Notre-Seigneur Jésus-Christ.

« Maintenant, esclave de l’Esprit, je vais à Jérusalem, ignorant ce qui doit m’arriver en cette ville, sachant seulement que le Saint-Esprit me fait annoncer, dans toutes les villes où je passe, que des chaînes et des tribulations m’attendent à Jérusalem. Mais je ne crains rien et je n’estime pas plus ma vie que ma personne, pourvu que j’accomplisse ma course et le ministère de la parole que j’ai reçu du Seigneur Jésus et qui consiste à attester l’Evangile de la grâce de Dieu.

« Maintenant, je sais que vous ne me verrez plus, vous au milieu desquels j’ai passé en prêchant le royaume de Dieu. C’est pourquoi je vous certifie aujourd’hui que je ne suis point responsable du mal qui vous arriverait, car je n’ai point hésité à vous annoncer tout le plan divin. Veillez donc sur vous et sur tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis surveillants1 pour gouverner l’Eglise de Dieu qu’il a acquise par son sang. Je sais qu’après mon départ des loups rapaces viendront parmi vous et n’épargneront pas le troupeau. Quelques-uns d’entre vous enseigneront des choses

1 On lit en cet endroit le mol episkopos, évêques ou surveillants. Le titre d’Evêque est réservé au premier pasteur d’une Eglise ; mais, primitivement, il désignait aussi bien les prêtres ou anciens que les évêques. Ces derniers étaient appelés quelquefois anges, comme on le voit dans l’Apocalypse. Le mot anges signifie messagers et a le même sens que Apôtres, envoyés ; ou Evangélistes, bons messagers. L’Episcopat proprement dit est la continuation de l’apostolat dans l’Eglise. Des théologiens ont cité les paroles de Paul aux pas- leurs d’Ephèse comme une preuve en faveur de l’autorité épiscopale. Ces paroles n’ont pas le sens qu’on leur a attribué. Il n’y avait pas alors d’évêque à Ephèse. Plus tard, Paul chargea son disciple Timothée de donner à cette Eglise une organisation régulière.

perverses et gagneront des disciples. C’est pourquoi je vous recommande de veiller, conservant le souvenir des enseignements que j’ai donnés à chacun de vous, lorsque, pendant trois ans, je vous ai instruits jour et nuit malgré mes tribulations.

« Maintenant, je vous recommande à Dieu et au Verbe de la grâce, qui peut terminer l’édifice de votre institution et vous donner l’héritage avec tous ceux qu’il a sanctifiés. Vous le savez, je n’ai désiré ni l’or, ni l’argent, ni les vêtements d’aucun d’entre vous. Ces mains m’ont fourni le nécessaire à moi et à ceux qui étaient avec moi. Je vous ai montré comment il fallait travailler pour venir en aide aux faibles et se souvenir de cette parole du Seigneur Jésus : « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir. »

Paul, après avoir ainsi parlé, se mit à genoux et pria avec tous ceux qui l’avaient écouté. Les Ephésiens se jetèrent au cou de l’Apôtre et l’embrassèrent en répandant d’abondantes larmes. Ce qui les remplissait de douleur, c’est qu’il leur avait dit qu’ils ne le verraient plus. Ils le conduisirent jusqu’au navire.

Paul et ses compagnons s’arrachèrent avec peine des étreintes des bons pasteurs d’Ephèse1 ; ils arrivèrent le même jour à Cos, le lendemain à Rhodes, puis ils touchèrent le continent à Patare. Ayant trouvé un navire qui appareillait pour la Phénicie, ils y prirent place ; ils passèrent en vue de l’île de Chypre, qu’ils laissèrent sur la gauche, et se dirigèrent en droite ligne sur Tyr, où le vaisseau devait laisser sa cargaison. Ils trouvèrent à Tyr des disciples qui, dans un esprit prophétique, disaient à Paul de ne pas aller à Jérusalem. Après un séjour d’une semaine, Paul se dirigea vers le rivage. Les chrétiens de ; Tyr, avec leurs femmes et leurs enfants, l’accompagnèrent jusqu’au vaisseau. Tous ensemble prièrent sur le rivage, et les Tyriens ne rentrèrent dans la ville qu’après avoir vu l’Apôtre s’embarquer.

De Tyr, il navigua vers Ptolémaïde ; il y salua les

 

1 Act XXI ; 1-10.

 

frères et resta un jour avec eux. Il arriva un jour après à Césarée où demeurait l’évangéliste Philippe, un des sept diacres choisis par les Apôtres. Ce vénérable personnage avait quatre filles qui étaient vierges et auxquelles le Saint-Esprit avait accordé le don de prophétie. Paul et ses compagnons restèrent plusieurs jours chez Philippe. Pendant ce temps arriva de Judée un prophète nommé Agab. Etant entré chez, Philippe, il prit la ceinture de Paul ; s’étant attaché avec cette ceinture les pieds et les mains, il dit : « Voici ce que dit le Saint-Esprit : « L’homme auquel cette ceinture appartient sera lié ainsi à Jérusalem par les Juifs qui le livreront aux gentils. »

En entendant ces paroles, les compagnons de Paul et les chrétiens de Césarée priaient l’Apôtre de ne pas aller à Jérusalem. Paul leur répondit : « Pourquoi pleurer ainsi et m’attendrir ? Je suis prêt, non-seulement à supporter les chaînes, mais à mourir à Jérusalem pour le nom du Seigneur Jésus. » Comme on ne pouvait lui faire changer de résolution, tous dirent : « Que la volonté de Dieu soit faite ! »

La suite de Paul s’augmenta de plusieurs chrétiens de Césarée, qui emmenèrent avec eux un ancien disciple, Cypriote d’origine, nommé Mnason, chez lequel Paul et ses compagnons devaient loger à Jérusalem.

Les frères qui habitaient cette ville reçurent l’Apôtre et sa suite avec empressement. Le lendemain de son arrivée, Paul alla avec ses compagnons dans la maison de Jacques, où tous les anciens s’étaient assemblés. Il leur adressa ses salutations fraternelles et leur raconta en détail ce que Dieu avait fait par son ministère parmi les gentils. Après l’avoir écouté, toute rassemblée rendit grâces à Dieu ; puis on dit à Paul : « Frère, tu vois combien de milliers de Juifs ont embrassé la foi, lesquels, cependant, sont zélés pour la Loi. Ils ont entendu dire que tu enseignais aux Juifs dispersés parmi les gentils qu’ils doivent abandonner Moïse, cesser de circoncire leurs enfants et d’observer les prescriptions légales. Que faut-il faire? Les assembler, car ils sauront que tu es arrivé ; et tu feras ce que nous allons te

dire : Il y a ici quatre hommes qui ont fait un vœu ; joins-toi à eux et observe avec eux les purifications légales ; paye pour eux la rétribution fixée pour qu’ils se rasent la tête, et tous sauront ainsi que ce que l’on a dit de toi est faux, et que toi-même tu continues à observer la Loi. Quant aux gentils qui ont embrassé la foi, nous avons notifié la décision adoptée et qui les oblige seulement à s’abstenir des viandes consacrées aux idoles, du sang et des chairs des animaux étouffés, et de la fornication. »

Paul n’eut aucune peine à se rendre à ce conseil. Il avait lui-même observé la loi en plusieurs circonstances, et il pensait que les Juifs chrétiens pouvaient continuer à en observer les rites. Timothée, qui n’était Juif que par sa mère, avait été circoncis par lui ; dans ses prédications il s’était confirmé aux décisions du concile de Jérusalem. Touchant les observances légales, ses doctrines ne différaient ni de celles des autres Apôtres, ni de celles de l’évêque de Jérusalem, religieux observateur de la loi mosaïque. Seulement, il n’entendait pas que l’on obligeât les gentils à se faire Juifs pour devenir chrétiens, et il pensait que l’on pouvait avoir des rapports de communion avec les gentils devenus chrétiens sans encourir les souillures légales.

Jacques et les Anciens de Jérusalem ne blâmèrent point cette doctrine ; ils traitèrent même en frères, non-seulement les Juifs chrétiens, mais les anciens païens, comme Trophime d’Ephèse, qui avait accompagné Paul à Jérusalem,

Paul ayant pris avec lui les quatre hommes qui avaient un vœu à accomplir, se purifia avec eux, entra dans le temple le jour suivant et indiqua le moment où, la purification étant accomplie, l’offrande serait présentée pour chacun d’eux.

Pendant les sept jours de purification prescrits par la Loi, des Juifs d’Asie arrivèrent à Jérusalem. Ayant aperçu Paul dans le temple, ils ameutèrent le peuple et saisirent l’apôtre en criant : « Au secours, Israélites ! C’est là l’homme qui déclame partout contre le peuple

juif contre la loi et contre le temple Il a osé conduire ici des gentils et profaner ce saint lieu. »

Ils faisaient allusion à Trophime d’Ephèse, qu’ils avaient aperçu dans la ville. Ils pensaient qu’ils l’avaient amené au temple. La ville entière se souleva, et le peuple accourut en fouie. Paul fut traîné en dehors du temple dont on ferma les portes. Quelques personnes coururent annoncer au tribun qui commandait la cohorte de garde que l’on voulait tuer Paul et que toute la ville était en émoi. Cet officier courut aussitôt avec des soldats et des centurions au lieu du tumulte. A la vue du tribun et des soldats, on cessa de frapper Paul. Le tribun, s’approchant de lui, ordonna de le lier à double chaîne ; puis, il lui demanda qui il était et ce qu’il avait fait. La foule jetait des cris confus. Le tribun, ne pouvant rien entendre dans un pareil tumulte, ordonna de conduire Paul à la forteresse. La foule se précipita sur lui avec un tel acharnement que les soldats furent obligés de le porter pour l’arracher à la violence de la populace ; une foule immense Le suivait en criant : « Tue-le ! » Paul, entré dans la forteresse, dit au tribun : « Veux-tu me permettre de te dire un mot ? — Sais-tu le grec ? répondit le tribun. N’es-tu pas cet Egyptius qui a causé du trouble ici il y a quelques jours, et qui a emmené avec lui au désert quatre mille brigands1 ? — Non, lui répondit Paul ; je suis Juif, il est vrai; mais citoyen de Tarse, ville assez importante de la Cilicie. Permets-moi j je t’en prie, de parler au peuple. » Ayant obtenu cette permission, Paul se tint debout sur les degrés de la forteresse, fit signe au peuple qu’il voulait parler, et, ayant obtenu le silence, parla ainsi en langue hébraïque :

« Mes frères et mes pères, écoutez ma justification. »

En entendant qu’il parlait hébreu, la foule fit un silence plus profond encore. Paul continua ainsi :

« Je suis Juif, natif de Tarse, en Cilicie; mais, élevé

 

1 Josephe (Antiquit. Jud , lib. XX; c. VI) rapporte qu’un individu nommé Egyptius ou l’Egyptien, fanatisa une foule d’ignorants, aux yeux desquels il se faisait passer pour un prophète. Félix tua un grand nombre de ces malheureux, mais leur chef s’était échappé.

 

en cette ville, et instruit dans la vérité de la loi de mes pères par Gamaliel ; j’étais aussi zélé pour cette loi que vous pouvez l’être aujourd’hui, car j’ai poursuivi jusqu’à la mort ceux qui avaient suivi une autre voie, les chargeant de chaînes, hommes et femmes, et les jetant en prison. Le grand prêtre et les Anciens peuvent l’attester, eux qui m’avaient remis des lettres pour aller à Damas, et en ramener à Jérusalem, chargés de chaînes, ceux que je jugeais dignes de punition. Lorsque je me rendais à Damas pour remplir cette mission, je fus environné tout à coup, en plein jour, d’une lumière éclatante qui venait du ciel. Je tombai à terre et j’entendis une voix qui me disait : « Saul ! Saul ! pourquoi me persécutes-tu? » Je répondis : « Maître, qui es-tu ? » La voix me répondit : « Je suis Jésus de Nazareth, que tu persécutes. » Ceux qui étaient avec moi virent la lumière, mais n’entendirent pas la voix qui me parlait. Je répondis : « Qu’ai-je à faire, Seigneur ? » Le Seigneur me dit : « Lève-toi; va à Damas, et là, on t’apprendra ce que tu devras faire. » La lumière m’avait tellement ébloui que je ne voyais plus rien. Mes compagnons me conduisirent par la main jusqu’à Damas.

« Un certain Ananias, un homme dont le respect pour la loi était connu de tous les Juifs qui habitaient la ville, vint à moi et me dit : « Saul, mon frère, regarde- moi ; » et aussitôt je vis, et il m’adressa ces paroles : « Le Dieu de nos pères t’a prédestiné pour te taire connaître sa volonté, voirie Juste et entendre sa parole ; car tu dois être, auprès de tous les hommes, témoin de ce que tu as vu et entendu. Maintenant, qu’attends-tu? Lève-toi, reçois le baptême et lave tes péchés en invoquant son nom. »

« Etant revenu depuis à Jérusalem, lorsque je priais dans le temple, je fus ravi en extase et j’entendis Jésus qui me disait : « Hâte-toi de sortir de Jérusalem ; car on ne recevra pas le témoignage que tu me rendras. » Je lui répondis : « Seigneur, ils savent que je faisais mettre en prison et frapper de verges ceux qui croyaient en toi ; et qu’au moment où l’on répandait le sang d’Etienne, ton témoin, j’étais là, applaudis-

sant à la mort et gardant les vêtements de ceux qui le tuaient. » Il me répondit : « Va, car je t’enverrai loin parmi les gentils. »

Jusqu’à ces derniers mots, la foule l’avait écouté ; mais, en entendant parler des gentils, elle poussa ces clameurs : « Tue cet homme ! il est indigne de vivre. » Ils vociféraient, jetaient leurs habits à terre et lançaient de la poussière en l’air. Le tribun fit rentrer Paul dans la forteresse et ordonna de le flageller pour lui faire avouer la vraie cause des clameurs poussées contre lui. Lorsqu’on l’eut attaché avec des courroies, Paul dit au centurion qui se trouvait auprès de lui : « Vous est-il permis de flageller un citoyen romain qui n’a point été frappé d’une condamnation ? » A ces paroles, le centurion courut dire au tribun : « Que vas-tu faire ? Cet homme est citoyen romain. » Le tribun aussitôt vint à Paul et lui demanda : « Es-tu citoyen romain ? — Oui, répondit Paul. — Ce titre, reprit le tribun, m’a coûté fort cher. — Et moi, repartit Paul, je le tiens de ma naissance. » A l’instant, ceux qui devaient le fouetter se retirèrent et le tribun, qui avait fait lier un citoyen romain, eut peur. Le lendemain, il s’informa avec plus de soin du motif des accusations portées contre lui par les Juifs ; il lui fit ôter ses chaînes, appela les prêtres et tout le sanhédrin, et fit comparaître Paul devant eux.

Paul regardant hardiment tous les membres du conseil, s’exprima ainsi :

« Mes frères, jusqu’à ce jour, ma conduite a été conforme aux bonnes inspirations de ma conscience ; Dieu m’en est témoin. »

Le grand prêtre Ananias l’interrompit pour ordonner de le frapper sur la bouche.

« Dieu te frappera toi-même, muraille blanchie, répondit Paul ; n’es-tu pas assis pour me juger selon la loi? Et tu violes la loi en ordonnant de me frapper. » Ceux qui étaient présents dirent : « Oses-tu maudire

 

1 Act., XXIII ; 1-35

 

le grand prêtre de Dieu? — Je ne savais-pas, répondit Paul, que cet homme fût grand prêtre ; il est dit, en effet, dans la loi : « Tu ne maudiras pas le prince de ton peuple1. » Puis, pour se débarrasser de ses juges iniques, il les mit en lutte les uns contre les autres. Comme il savait que, parmi eux, plusieurs étaient saducéens : « Je suis pharisien, s’écria-t-il, et fils de pharisien ; si je suis accusé, c’est que je crois et espère dans la résurrection des morts. » A peine eut-il ainsi parlé qu’une vive discussion s’éleva entre les pharisiens et les saducéens, et l’assemblée fut divisée à son sujet. Les saducéens ne croyaient pas à la résurrection ; ils n’admettaient ni ange ni esprit, tandis que les pharisiens admettaient ces deux êtres spirituels. Les pharisiens prenaient la défense de Paul et disaient : « Nous ne trouvons point de mal en cet homme ; qui sait si un ange ou un esprit ne lui ont pas parlé ? » La discussion s’animait à tel point que le tribun craignit que Paul ne fût mis en pièces. Il ordonna aux soldats de le faire sortir de la salle et de le reconduire dans la forteresse.

La nuit suivante, le Seigneur se fit voir à Paul : « Prends courage, lui dit-il ; il faut que tu me rendes témoignage à Rome comme tu l’as fait à Jérusalem. » Le jour suivant, plus de quarante Juifs firent ce pacte : « Nous ne mangerons et ne boirons, dirent-ils, jusqu’à ce que Paul soit tué. » Ils se rendirent après ce serment vers les chefs des prêtres et les anciens et leur dirent : « Nous avons juré de ne goûter à rien jusqu’à ce que nous ayons tué Paul. Demandez donc au tribun de le faire comparaître devant vous comme si vous aviez à vous assurer de quelque chose qui le concerne. Avant qu’il soit arrivé, nous le tuerons. » Le fils de la sœur de Paul connut cette conspiration et courut à la forteresse l’annoncer à l’Apôtre, qui demanda aussitôt un des centurions auquel il dit : « Conduis ce jeune homme au tribun ; il a une communication à lui faire. » Celui-ci conduisit le jeune homme et dit au tribun : « Le prison

 

1 Exod., XXII; 21.

 

nier Paul m’a prié de t’amener ce jeune homme qui a quelque chose à te dire. Le tribun prit le jeune homme par la main, le conduisit en un lieu secret : « Qu’as-tu à me dire? » Celui-ci répondit : « Les Juifs sont convenus que demain ils te demanderont de conduire Paul au sanhédrin, sous prétexte qu’ils ont à s’assurer de quelque chose qui le concerne. Ne les crois pas, car plus de quarante d’entre eux ont fait vœu de ne prendre aucune nourriture jusqu’à ce qu’ils l’aient tué. Ils sont préparés, comptant que tu accéderas à leur demande. » Le tribun congédia le jeune homme en lui recommandant de ne dire à personne qu’il lui eût fait cette communication. Il fit venir deux centurions et leur dit : « Tenez prêts, pour la troisième heure de la nuit, deux cents soldats, soixante-dix cavaliers et deux cents archers, afin de partir pour Césarée. Préparez également des chevaux pour Paul et ayez soin de le conduire sain et sauf au gouverneur Félix. Il craignait que les Juifs ne l’enlevassent pendant la route, ne le missent à mort, ce qui l’eût rendu suspect d’avoir été corrompu à prix d’argent. Il adressa en même temps cette lettre à Félix :

« Claudius Lysias, à l’excellent gouverneur Félix, salut :

« L’homme que je vous envoie avait été pris par les Juifs et était sur le point d’être tué, lorsque je suis survenu avec des soldats pour l’arracher de leurs mains, car j’avais appris qu’il était citoyen romain. Voulant savoir le motif de leurs accusations, je l’ai fait comparaître devant leur Conseil. J’ai vu qu’ils l’accusaient sur des questions relatives à leur loi, mais qu’il n’avait commis aucun crime qui lui méritât la mort ou la prison. Ayant appris qu’ils préparaient des embûches contre lui, je te l’ai envoyé, et j’ai fait dire à ses accusateurs qu’ils auraient à porter devant toi leurs accusations.

« Salut. »

Conformément à l’ordre qu’ils avaient reçu, les soldats conduisirent Paul, pendant la nuit, jusqu’à Antipatris. Le lendemain, ils le confièrent aux cavaliers et

retournèrent à Jérusalem. A leur arrivée à Césarée, les cavaliers remirent à Félix la lettre dont ils étaient porteurs et lui amenèrent Paul. Après avoir lu la lettre et appris que Paul était de Cilicie : « Je t’entendrai, lui dit-il, lorsque tes accusateurs seront arrivés. » Et il ordonna de le garder dans le prétoire d’Hérode.

Cinq jours après1, le grand-prêtre Ananias et les Anciens, accompagnés d’un avocat, nommé Tertullus, se rendirent à Césarée. Félix fit comparaître Paul, contre lequel Tertullus prononça ce discours :

« Grâce à toi, excellent Félix, nous jouissons d’une profonde paix ; et grâce à ta prévoyance, beaucoup d’excès ont été réprimés. Nous l’avouons partout et en toute rencontre, et nous en sommes pénétrés de reconnaissance. Comme je ne veux pas te retenir longtemps, je te prie d’écouter avec ta bienveillance ordinaire les quelques mots que j’ai à t’adresser. Nous avons rencontré cet homme dangereux qui excite des troubles parmi les Juifs, dans le monde entier, et qui est le chef de la secte séditieuse des Nazaréens. Il a tenté de profaner le temple, et l’ayant saisi, nous avons voulu le juger selon notre loi. Le tribun Lysias, étant survenu, nous l’a arraché des mains avec beaucoup de violence, ordonnant à ses accusateurs de se rendre devant toi. Tu pourras toi-même, en l’interrogeant, apprendre toutes les choses dont nous l’accusons. »

Les Juifs adhérèrent aux paroles de leur avocat et en certifièrent la vérité.

Sur un signe du président, Paul répondit ainsi à ses accusateurs :

« Je me justifierai d’autant plus volontiers devant toi que je sais que tu gouvernes cette province depuis plusieurs années. Tu peux savoir qu’il n’y a pas plus de douze jours que je suis venu à Jérusalem adorer Dieu ; qu’ils ne m’ont point surpris dans le temple à discuter sur quoi que ce soit ; que je n’ai attroupé le peuple ni dans le temple, ni dans les synagogues, ni dans la ville ; et ils ne pourront point prouver les choses dont ils

 

1 Act., XXIV; 1-27.

m’accusent. Toutefois, je te fais cet aveu : que, selon la doctrine d’une secte qu’ils appellent hérésie, je sers le Dieu de mes pères, croyant à tout ce qui a été écrit dans la Loi et les Prophètes ; espérant en Dieu, comme ils l’espèrent eux-mêmes, que tous les hommes, bons ou méchants, ressusciteront. C’est pourquoi je cherche à conserver toujours ma conscience pure devant Dieu et devant les hommes. Après plusieurs années d’absence, je suis revenu apporter des aumônes à ma nation et accomplir mes offrandes et mes vœux. Lorsque je me purifiais dans le temple, sans réunir le peuple autour de moi, sans faire de tumulte, je fus rencontré par quelques Juifs d’Asie qui devraient se trouver ici pour m’accuser, s’ils avaient quelque chose à dire contre moi. Que ceux-ci déclarent eux-mêmes si, ayant comparu devant leur Conseil, ils ont pu me trouver coupable d’un autre crime que celui d’avoir dit hautement, qu’ils voulaient me condamner parce que je croyais à la résurrection des morts. »

Félix comprit très-bien ce dont il s’agissait ; il les renvoya à une autre audience en disant : « Lorsque le tribun Lysias sera venu, je vous entendrai de nouveau. » Il confia Paul à un centurion avec la recommandation de le traiter avec douceur et de laisser pénétrer auprès de lui tous ceux qui voudraient le visiter et le servir. Quelques jours après, Félix vint à la prison avec son épouse, nommée Drusilla, qui était Juive. Il fit venir Paul, qui lui exposa la doctrine de Jésus- Christ. L’enseignement de Paul sur la justice, la chasteté et le jugement futur effraya Félix, qui lui dit : « C’est assez pour aujourd’hui ; retire-toi. Je te rappellerai quand j’aurai le temps. » Comme il espérait que Paul lui donnerait de l’argent pour acheter sa liberté, il le faisait venir souvent pour s’entretenir avec lui.

Deux ans s’écoulèrent ainsi ; après quoi Félix eut pour successeur Portius Festus. Pour être agréable aux Juifs, Félix, en se retirant, laissa Paul prisonnier1.

 

1 Josèphe (Antiq. Jud., lib. XX; c. VII) rapporte que les Juifs de Césarée allèrent à Rome pour accuser Félix des exactions dont il les avait accablés ; que Néron ne l’épargna qu’à la prière de son favori tout-puissant nommé

 

Trois-jours après son arrivée dans la province, Festus se rendit de Césarée à Jérusalem1. Aussitôt les Juifs recommencèrent leurs intrigues contre Paul ; ils demandèrent au nouveau gouverneur de le, faire partir pour Jérusalem, espérant bien pouvoir tuer leur adversaire pendant le voyage. Festus déclara que Paul resterait à Césarée ; mais que, si quelques-uns des principaux Juifs voulaient aller en cette ville et se porter accusateurs contre lui, ils le pouvaient. Festus ne resta à Jérusalem que huit à dix jours. Le lendemain de son retour à Césarée, il fit comparaître Paul devant son tribunal. Les Juifs étaient accourus à Césarée pour l’accuser. Mais ils ne purent rien prouver de ce qu’ils avançaient : « Je n’ai commis aucun crime, disait Paul, ni contre la loi des Juifs, ni contre le temple, ni contre César. » Festus, pour être agréable à Paul lui dit : « Veux-tu aller à Jérusalem, et y être jugé en ma présence? » Paul répondit : « Je suis devant le tribunal de César ; il faut m’y juger ; je n’ai point nui aux Juifs, comme tu le sais très-bien. Si je suis coupable et si j’ai commis un crime digne de mort, je ne refuse pas de mourir ; mais si je ne suis pas coupable des choses dont ceux-ci m’accusent, personne n’a le droit de me livrer à eux. J’en appelle à César. »

Après s’être consulté avec le conseil, Festus répondit : ce Tu en as appelé à César, tu iras à César. »

Paul échappa ainsi aux mauvais desseins des Juifs. Quelques jours après cette audience, le roi Agrippa2 et sa sœur Bérénice se rendirent à Césarée pour saluer Festus ; pendant leur séjour dans cette ville, le gouverneur eut occasion de leur parler de Paul que Félix avait laissé prisonnier ; des entreprises des Juifs de Jérusalem pour obtenir sa condamnation, et de l’audience

Pallas, qui était frère de Félix. Pallas était, donc encore en laveur lorsque Félix fut remplacé par Festus. Or, la disgrâce de ce favori de Néron arriva l’an 62. C’est donc vers l’an 61 que Feslus remplaça Félix ; et comme ce dernier retint Paul prisonnier pendant deux ans (Act., XXIV; 27), Paul arriva à Jérusalem l’an 59. Ayant été envoyé à Rome la première année du gouvernement de Festus, ce voyage coïncide avec l’année 62.

 

1 Act., XXV; 1-27.

2 Agrippa, II était fils de Hérode-Agrippa ; il fut le dernier roi des Juifs.

 

dans laquelle il les avait entendus contradictoirement avec l’accusé, selon le droit romain : « Ils discutèrent, disait Festus, au sujet de la superstition de Paul et d’un certain Jésus qu’ils disent mort et que Paul prétend être vivant. L’accusé en a appelé à César, ajouta Festus, et il est ici jusqu’à ce que je le fasse partir. — Je désirerais bien le voir, dit Agrippa. — Demain, tu l’entendras, répondit Festus. »

En effet, le lendemain Agrippa et Bérénice arrivèrent en grande pompe, accompagnés d’officiers et des principaux citoyens de la ville. Paul fut amené devant eux, et Festus s’exprima ainsi : « Roi Agrippa, et vous tous ici présents, vous voyez devant vous un homme que les Juifs m’ont demandé d’envoyer à Jérusalem et qu’ils regardent comme digne de mort. Je n’ai point trouvé en lui de crime qui mérite la mort. Comme il en a appelé à l’empereur, j’ai résolu de l’y envoyer ; mais qu’écrirai-je au souverain ? Je l’ignore. C’est pourquoi je l’ai fait comparaître devant vous, et particulièrement devant toi, roi Agrippa, afin que tu l’interroges et que je sache ce que je dois écrire ; car il me paraît déraisonnable d’envoyer un prisonnier sans indiquer les motifs qui l’ont fait mettre dans les chaînes. »

Agrippa1 s’adressant à Paul : « Il t’est permis, lui dit-il, de parler pour ta défense. »

L’Apôtre, ayant étendu la main, prit la parole en ces termes : « Je suis heureux, roi Agrippa, d’avoir à me défendre devant toi, car tu connais parfaitement les coutumes juives et l’objet du débat. Ecoute-moi donc avec patience.

« Tous les Juifs ont connu ma jeunesse, que j’ai passée au milieu d’eux à Jérusalem. Ils savent bien, et ils le diraient s’ils le voulaient, que j’ai vécu selon les règles de la secte la plus rigoureuse de notre religion, que j’ai été pharisien. Aujourd’hui, on m’appelle en jugement parce que j’ai espéré dans la promesse faite par Dieu à nos pères, promesse dont nos douze tribus attendent, nuit et jour, l’accomplissement. Cette espé-

 

1 Act., XXVI; 1-32.

rance, ô roi, c’est le crime dont les Juifs m’accusent. Vous semble-t-il incroyable que Dieu ressuscite les morts ? J’avais cru d’abord devoir m’élever de toutes mes forces contre le nom de Jésus de Nazareth ; et j’ai fait cette opposition à Jérusalem même où j’ai mis en prison plusieurs fidèles, avec la permission des chefs des prêtres ; et j’ai consenti à leur mort. Souvent, dans les synagogues, je les ai forcés à blasphémer, en usant contre eux de violence. Possédé d’une véritable rage contre eux, je les poursuivais jusque dans les villes étrangères, et entre autres à Damas, où je me rendis avec des pouvoirs que les chefs des prêtres m’avaient confiés. »

Paul raconta ensuite, comme il l’avait fait devant Félix, sa conversion sur le chemin de Damas. Puis il ajouta :

« Obéissant à cette apparition, j’ai prêché, d’abord à Damas, puis à Jérusalem, dans toute la Judée et parmi les nations, qu’il fallait se repentir, se convertir à Dieu et faire de dignes fruits de pénitence. C’est pour cela que les Juifs m’ont saisi lorsque j’étais dans le temple et qu’ils ont voulu me tuer. Avec le secours de Dieu, je vis jusqu’à présent, rendant devant les petits et les grands un témoignage conforme à ce qu’ont enseigné Moïse et les prophètes, lesquels ont dit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait le premier d’entre les morts, qu’il annoncerait la lumière au peuple juif et aux gentils. »

Festus, en entendant cette doctrine, s’écria : « Paul, tu es fou ; tes études exagérées t’ont fait perdre la raison. » Paul répondit : « Non, excellent Festus, je ne suis pas fou ; je parle au contraire selon la vérité et avec sagesse. Le roi auquel je me suis adressé est bien informé de ce que je dis ; je pense qu’il sait tout ce que j’affirme ; car rien de tout cela ne s’est passé en secret. Roi Agrippa ! crois-tu aux prophètes ? Tu y crois, je le sais. »

Agrippa feignit de ne pas prendre l’interrogation au sérieux. « Un pou plus, dit-il à Paul, tu me persuaderais d’être chrétien. — Je voudrais, reprit Paul, et de

tout cœur, qu’il ne s’en fallût rien, et que vous tous, qui êtes ici, fussiez comme moi, à part les chaînes, bien entendu. »

Le roi, le gouverneur, Bérénice et tous les officiers se levèrent ; ils se disaient entre eux : « Cet homme n’a rien fait qui mérite la mort et même les chaînes. » Agrippa dit à Festus : « Il aurait pu être mis en liberté, s’il n’eût pas appelé à César. »

Paul partit pour l’Italie1 avec les autres prisonniers sur un vaisseau d’Adrumète, sous la garde de Julius, centurion de la cohorte Augusta. Il fut accompagné de Luc et d’Aristarchos de Thessalonique. Arrivé à Sidon, il eut la permission de voir ses amis et de recevoir leurs soins. Des vents contraires le poussèrent vers Chypre et de là dans la mer de Cilicie et de Pamphylie. Il aborda à Myre, en Lycie2. Le centurion trouva là un navire d’Alexandrie qui faisait route pour l’Italie. Il y embarqua Paul et ses compagnons. La navigation fut difficile jusqu’à Cnide. Les vents contraires poussèrent le navire jusqu’en Crète. On toucha le cap Salmone et Bonport, localité très-rapprochée de la ville de Thalassa. On avait mis beaucoup de temps à arriver en ce lieu. Le temps du jeûne était passé3 et la navigation n’était pas sûre. Paul consolait ses compagnons de voyage ; mais il émettait l’avis que la navigation allait devenir dangereuse, non-seulement pour le vaisseau et sa cargaison, mais pour les gens. Le centurion préféra s’en rapporter au capitaine et au pilote qu’à Paul. Comme Bonport était une mauvaise localité pour hiverner, il résolut de se mettre en mer et de chercher à gagner Phénice, port de la même île de Crète, qui recevait les vents du nord-ouest et du sud-ouest. Le vent du midi soufflait. Le vaisseau côtoya la Crète et on pensait arriver à destination, lorsque tout à coup un vent impétueux venant du nord-est empêcha toute ma

 

1 Act., XXVII; 1-4.

2 La Vulgate a traduit Myre pur Lystres, qui n’était ni en Lycie ni port de mer.

3 II s’agit ici du grand jeûne judaïque du septième mois, lequel mois répond à septembre-octobre.

nœuvre. Le vaisseau fut poussé vers la petite île de Cauda. On put à grande peine éviter de s’y échouer. Les matelots coupèrent le mât et s’abandonnèrent aux flots. Le lendemain, ils jetèrent la cargaison à la mer. Le troisième jour, ils y jetèrent l’armature. Le soleil et les étoiles ne se firent pas voir pendant plusieurs jours et tous perdaient l’espoir de se sauver. Ils jeûnèrent pour apaiser le courroux divin, et Paul, debout au milieu de ses compagnons d’infortune, leur dit : « Amis, il ne fallait pas partir de Crète, comme je vous le disais, et vous épargner tant de pertes et de peines. Pour le moment, prenez courage ; aucun d’entre vous ne périra ; le vaisseau seul sera perdu. Un ange de Dieu, dont je suis le protégé et que je sers, m’est apparu cette nuit et m’a dit : « Paul, ne crains point ; il faut que tu « comparaisses devant César ; Dieu t’a donné tous ceux « qui naviguent avec toi. » Donc, amis, prenez courage ; j’ai confiance en Dieu, et les choses arriveront comme il m’a été dit. Nous devons aborder à une certaine île. »

La quatorzième nuit, les vents portèrent le vaisseau vers la mer Adriatique. Au milieu de la nuit, les matelots crurent apercevoir quelque terre. Saisissant la sonde, ils trouvèrent qu’il n’y avait que vingt pas d’eau ; un peu plus loin, ils n’en trouvèrent plus que quinze. Craignant de donner contre un écueil, ils jetèrent quatre ancres afin d’attendre le jour. Les matelots voulaient quitter le vaisseau ; mais, sur l’avis de Paul, on les y retint de force. Lorsque le jour fut venu, Paul exhorta ses compagnons à prendre quelque nourriture : « Voici, leur dit-il, le quatorzième jour que vous jeûnez et que vous ne mangez pas à cause de la tempête ; mangez maintenant et prenez des forces afin de pouvoir vous sauver ; je vous assure que pas un cheveu de vos têtes ne périra. » Après avoir ainsi parlé, il prit du pain, rendit grâces à Dieu devant l’équipage tout entier, le rompit et se mit à manger. Chacun reprit courage et l’imita. Il y avait sur le vaisseau deux cent soixante-seize personnes. Après s’être rassasiés, ils allégèrent le vaisseau en jetant le blé à la

mer. Lorsque le jour fut venu, ils ne reconnurent pas la terre qui était proche ; mais, ayant aperçu un golfe, ils résolurent d’y faire échouer le navire s’ils pouvaient. On leva les ancres ; l’on s’abandonna aux flots sans faire usage du gouvernail, et l’on déploya seulement la voile d’artimon, au moyen de laquelle le vent poussait le vaisseau au rivage. Il s’échoua contre une petite île. La proue s’y enfonça ; la poupe fut brisée par la violence des vagues et le vaisseau resta immobile. Les soldats étaient d’avis de tuer tous les prisonniers, de peur que quelqu’un d’eux ne s’enfuît à la nage. Le centurion, qui voulait sauver Paul, empêcha cette résolution cruelle et ordonna à ceux qui pouvaient se sauver à la nage, de se jeter à l’eau et de gagner la terre. Les autres se placèrent sur des planches et sur les débris du vaisseau ; tous purent gagner la terre.

En y arrivant, on reconnut qu’on était dans l’île de Malte1. Les habitants du pays étaient barbares, c’est-à- dire ni Grecs ni Romains. Ils se montrèrent très-charitables envers les passagers et les logèrent en leurs maisons. Paul, toujours actif, avait lui-même allumé du feu aussitôt qu’il eut touché le rivage. Une vipère sortit tout à coup du bois qu’il prenait pour alimenter le feu et s’attacha à sa main. Il secoua la main sans s’émouvoir et fit tomber le reptile dans le feu. Les habitants se disaient : « Cet homme doit être un meurtrier, puisque, à peine échappé du naufrage, la vengeance divine le poursuit encore ! » Ils s’attendaient à voir sa main enfler et à le voir lui-même tomber mort. Comme il n’arriva rien de semblable, ils changèrent de sentiment et prirent Paul pour un Dieu.

L’homme le plus considérable de l’île, Publius, le logea chez lui avec ses compagnons pendant trois jours. Paul paya son hospitalité en guérissant le père de Publius d’une grave maladie. Le bruit de ce miracle se répandit dans le pays. Tous ceux qui avaient des malades les amenèrent à Paul qui les guérit. Pendant trois mois qu’il

 

1 Act., XXVIII; 1-15.

 

resta à Malte, l’apôtre et ses compagnons furent l’objet d’une grande vénération.

Après ce séjour, un vaisseau d’Alexandrie, appelé Castor et Pollux, les conduisit à Syracuse où ils restèrent trois jours. Ils côtoyèrent la Sicile, abordèrent à Rhegium, traversèrent le détroit et, en deux jours, grâce à un vent favorable, arrivèrent à Pouzzoles. Ils y furent reçus par des chrétiens avec lesquels ils passèrent sept jours, et ils prirent ensuite, par terre, la route de Rome. Des fidèles de cette ville allèrent à leur rencontre jusqu’au Marché d’Appius et aux Trois- Hôtelleries. Paul, en les voyant, fut rempli d’un nouveau courage et de reconnaissance envers Dieu.