— École d’Alexandrie.
— Pantène et Clément.
— Principes de l’enseignement philosophico-chrétien dans l’école d’Alexandrie.
— Ouvrages de Clément.
— Les Stromates.
— Le Pédagogue.
— L’Exhortation aux Grecs.
— Ouvrages divers.
— Sa doctrine.
— Disciples de Clément.
— École d’Alexandrie sous Origène.
— Jeunesse de ce grand homme.
— Son ardeur pour le martyre.
— Il y exhorte Léonidas, son père.
— Son amour pour l’orthodoxie.
— Il rétablit l’école d’Alexandrie, suspendue pendant la persécution.
— Ses disciples.
— Son dévouement envers les martyrs et son esprit de pauvreté.
— Il pousse la vertu jusqu’à l’exagération.
— Démétrius, évêque d’Alexandrie, l’excuse.
— Voyage d’Origène en Palestine.
— Jalousie de Démétrius.
— Retour d’Origène à Alexandrie ; il s’associe Héraclas pour l’enseignement.
— Ses études bibliques.
— Ses connaissances en philosophie.
— Témoignage de Porphyre à ce sujet.
— Premier voyage d’Origène en Arabie.
— Il revient à Alexandrie d’où il se retire secrètement en Palestine.
— Les évêques de cette contrée le reçoivent avec honneur ; reproches que leur fait à ce sujet Démétrius d’Alexandrie.
— Origène retourne à Alexandrie.
— Ambrosius lui donne les moyens de publier ses ouvrages sur la Sainte Écriture.
— Voyage en Achaïe par la Palestine.
— Il est ordonné prêtre dans cette dernière contrée.
— Opposition de Démétrius à cette ordination.
— Retour d’Origène à Alexandrie.
— Il y continue ses travaux bibliques.
— Il cède son école à Héraclas et se retire définitivement en Palestine.
— Démétrius le dépose du sacerdoce.
— La sentence, acceptée en Occident, est rejetée en Orient.
— Héraclas succède à Démétrius.
— Origène honoré dans tout l’Orient par les plus grands évêques.
— Ses relations avec Grégoire-le-Thaumalurge et Africanus.
— Nouveau voyage d’Origène en Arabie ; son autorité ; il combat Beryllos de Bosra.
— Sermons d’Origène ; son livre contre Celse ; ses lettres.
— Sa lettre à Fabianus, évêque de Rome.
— Troisième voyage d’Origène en Arabie ; il combat les Helcésaïtes.
— Persécution de Décius.
— Origène souffre pour la foi.
— Denys, évêque d’Alexandrie, témoigne de sa vénération pour lui.
— Mort d’Origène.
— Études sur ses ouvrages.
Nous avons parlé précédemment dé Pantène fondateur de l’Ecole de philosophie chrétienne qui illustra l’Eglise d’Alexandrie depuis la seconde moitié du deuxième siècle. Cet homme célèbre ayant quitté la vie de professeur pour celle d’apôtre laissa sa chaire à un de ses disciples, Clément, connu sous le titre de Clément d’Alexandrie, et qui commença à professer vers l’an 190.
On a beaucoup discuté au sujet des doctrines de l’école d’Alexandrie. Le seul moyen d’en donner une idée juste et incontestable est d’étudier, sans parti pris, les œuvres qu’elle nous a laissées.
Clément, qui la dirigea après Pantène était parfois surnommé l’Athénien, ce qui donnerait à penser qu’il était né à Athènes. Son nom était romain : Titus Flavius Clemens. On pourrait en inférer qu’il était Latin quoique né en Grèce. Il fut d’abord païen, mais la science le conduisit au christianisme. Il parcourut la Grèce, l’Italie, la Syrie et l’Egypte ; il visita l’Orient et s’avança jusqu’en Assyrie. Partout il se mettait en relation avec les hommes les plus célèbres de ces contrées. Il distingua surtout, en Palestine, un savant qui, comme une abeille industrieuse, tirait des fleurs qui émaillaient la prairie spirituelle des prophètes et des Apôtres, un suc avec lequel il nourrissait ses auditeurs.
Il désignait ainsi son maître Pantène.
Les savants que Clément avait rencontrés dans ses voyages avaient reçu sans intermédiaire la vraie doctrine des apôtres, particulièrement de Pierre, de Jacques, de Jean et de Paul. « Ils étaient parvenus jusqu’à nous, dit Clément, pour nous confier la semence divine, et je sais qu’ils se réjouiront de voir leurs discours non pas expliqués, mais exposés tels qu’ils doivent être transmis. »
Pour Clément, comme pour Irénée, Tertullien et les autres Pères apostoliques, la doctrine était un dépôt qui devait être transmis tel qu’il avait été reçu, et les commentaires philosophiques n’avaient de valeur qu’autant qu’ils n’en altéraient pas la pureté.
Clément eut pour principaux disciples : Alexandre, qui devint évêque de Jérusalem et qui avait étudié aussi sous Patène, et Origène qui dirigea après lui l’école d’Alexandrie.
Pour connaître et apprécier l’enseignement de Clé ment et de son école, nous avons ses écrits qui sont un vrai trésor de piété et d’érudition, et qui méritent de fixer l’attention de l’histoire.
Pour apprécier l’idée fondamentale de son enseignement, il faut se rappeler que, dès l’origine du christianisme, il s’était formé à Alexandrie une école de philosophie qui avait imaginé de mettre en harmonie les doctrines chrétiennes et celles des anciens philosophes grecs, et particulièrement de Platon. Les représentants les plus célèbres de cette tentative de conciliation avaient été, à Alexandrie, Basilidis et Valentin, qui appelaient leur système la science ou gnose.
Nous avons exposé précédemment leurs opinions.
Les orthodoxes furent naturellement obligés de discuter contre les gnostiques et d’exposer leur opinion touchant l’ancienne philosophie.
Il n’en contestèrent point l’importance ; ils reconnurent que les anciens philosophes, et surtout Platon, avaient enseigné des doctrines qui avaient avec celles du christianisme des rapports, des affinités, qu’il serait inutile de contester. Mais un autre fait certain, c’est qu’à ces vérités étaient mêlées beaucoup d’erreurs. On ne devait donc pas mettre l’ancienne philosophie sur la même ligne que la révélation, et prétendre que la science consiste dans une certaine harmonie qui existerait entre elles. La vraie science consiste : à accepter d’abord la doctrine telle qu’elle a été révélée et transmise ; puis à raisonner sa foi, de manière qu’elle ne soit pas une simple adhésion sans valeur subjective ; enfin à observer les affinités qui existent entre la philosophie et la révélation pour apprécier ce que la première a enseigné de juste et de vrai.
Pour le faux savant ou le Gnostique, la philosophie ancienne était comme le critérium de la révélation ; pour le vrai savant, la révélation était le critérium de la philosophie. Basilidis et Valentin subordonnaient, les données positives de la révélation à l’idée philosophique ; Clément et ses disciples jugèrent de l’idée philosophique d’après les doctrines révélées.
En analysant les ouvrages de Clément et d’Origène, nous aurons occasion d’exposer avec plus de détails leurs principes de philosophie chrétienne.
Clément résuma ses lectures et ses expériences philosophiques dans un livre de mélanges qu’il intitula Stromates. Ce mot grec signifie tapisseries, ce qui donne à penser que l’auteur avait eu en vue de broder, comme sur un canevas, les idées variées qui lui venaient à l’esprit, à mesure qu’il lisait, ou qu’il entendait discuter les savants, et de former, de ces mélanges variés, un ensemble qui donnerait une idée juste de la religion dans ses rapports avec la philosophie.
Les Stromates sont divisés en huit livres. Dans le premier l’auteur place la religion révélée et la philosophie en présence, de manière à faire comprendre quels sont leurs rapports. La philosophie, dit-il, a Dieu pour principe aussi bien que la religion, en ce sens que l’intelligence humaine vient de Dieu. Mais, à l’égard de la science divine, la philosophie n’a à remplir que le rôle de servante ; elle la sert, en certaines circonstances, par les raisonnements justes et les donné les scientifiques qu’elle peut fournir. Elle ne lui est pas absolument nécessaire, car il en est qui sont dans l’impossibilité de se démontrer leur foi.
Dans tous les systèmes de philosophie il y a des parcelles de vérité ; d’où viennent-elles ? des peuples primitifs que les Grecs considèrent comme barbares et qui avaient conservé des doctrines révélées dès le commencement. C’est ainsi que les législateurs de la Grèce et Platon ont beaucoup emprunté à Moïse.
Ce premier livre n’est, pour ainsi dire, qu’un préambule. Dans le second, l’auteur a pour but d’exposer la théorie de la foi raisonnée ou philosophique. Il considère la foi dans son objet, au point de vue purement objectif ; il la regarde comme l’ensemble de la croyance ou de la doctrine acceptée par l’intelligence. L’homme ne peut, dit-il’ parvenir à la connaissance de Dieu que par la foi ; elle seule lui fournit les vrais éléments de cette connaissance ; elle est la base de la science, c’est-à-dire de l’adhésion raisonnée et philosophique à la révélation ; mais elle ne laisse pas l’homme dans la région spéculative ; elle l’amène à la pratique des vertus chrétiennes, c’est-à-dire à la perfection relative dont l’homme est capable.
De la foi comme de leur racine sortent toutes les vertus ; elle perfectionne la volonté intime de l’homme ; elle en règle les mouvements et la rapproche de Dieu qui est le type de toute perfection. Elle perfectionne l’homme, non-seulement dans son être, mais dans les rapports que lui crée son état social.
De ces rapports, le plus intime est celui d’où résulte le mariage. Le troisième livre est consacré tout entier à ce sujet. Le mariage a deux sortes d’ennemis : ceux qui considèrent la matière comme émanant d’un mauvais principe et qui condamnent, sous prétexte de continence, toute union conjugale ; et ceux qui, considérant toute loi matrimoniale comme un joug, enseignent les doctrines les plus immorales. Clément réfute ces deux excès et établit que le mariage est licite et que la communauté des femmes est un système détestable.
Le quatrième livre est le tableau des vertus du vrai gnostique, c’est-à-dire du vrai chrétien qui croit scientifiquement et philosophiquement. Il pousse l’abnégation jusqu’au martyre ; il pratique toutes les vertus qui perfectionnent son être, et, dans ses relations sociales, il pratique la patience et la charité, il tend sans cesse au terme de la perfection humaine qui consiste dans l’amour de Dieu et du prochain.
Le vrai gnostique, ouïe chrétien philosophe, a un double but : perfectionner son intelligence par la connaissance de Dieu, qui est la vérité ; perfectionner son cœur par le vrai culte qu’il lui rend.
Clément développe ces deux pensées dans son sixième et son septième livre, après avoir exposé, dans le cinquième, les conditions de la vraie connaissance et du vrai culte divin.
Il établit que la philosophie, malgré les emprunts qu’elle a faits à la révélation, et surtout aux écrivains sacrés des Hébreux, n’est pas parvenue à donner une idée juste de Dieu.
Elle n’a pu donner non plus une notion exacte du culte qu’on devait lui rendre.
L’auteur établit ces deux points au moyen de preuves que lui fournissent sa philosophie et son érudition profonde, et il termine ce chapitre par l’exposition des règles que le philosophe doit suivre pour distinguer le vrai chrétien de l’hérétique, c’est-à-dire le vrai gnostique de celui qui usurpait ce titre.
Le huitième livre est un véritable traité de logique. L’auteur y expose le but que doit se proposer tout homme intelligent, soit philosophe, soit théologien, et les moyens rationnels par lesquels il obtiendra ce but.
Après avoir exposé le plan général des Stromates, nous devons en citer quelques extraits qui offrent de l’intérêt pour l’histoire de l’Eglise.
Il en est qui, abusant de quelques phrases isolées des ouvrages de Clément, ont prétendu que la philosophie était à ses yeux le vrai moyen de trouver la vérité. C’est une erreur. Comme les Pères de son époque, et ceux qui l’avaient précédé, Clément place, dans le témoignage de l’Eglise universelle, le critérium de la vérité religieuse. Il blâme ceux qui s’en réfèrent à l’Ecriture seule, pour se former des convictions, et qui s’exposent ainsi à tomber dans des erreurs d’autant plus graves qu’ils ont plus d’aptitude philosophique. Après avoir développé cette pensée, il ajoute :
« L’homme cesse d’être de Dieu, et fidèle au Maître, dès qu’il se révolte contre la tradition de l’Eglise, et qu’il tombe dans les opinions des hérésies humaines. Mais celui qui, revenu de cette erreur, a obéi aux Ecritures et a consacré sa vie à la vérité, n’est pour ainsi dire plus un homme, c’est un Dieu. Nous avons pour principe de la doctrine le Maître qui, par les prophètes, par l’Evangile et par les bienheureux Apôtres, a exposé^ à plusieurs reprises et de différentes manières, la science, depuis son principe jusqu’à la dernière conséquence. Si quelqu’un pense avoir besoin d’un autre principe, tout principe lui fera bientôt défaut, »
Clément déduit les conséquences de cette haute philosophie et fait voir qu’en partant du principe vrai qui est Dieu, on arrive, de déductions en déductions, jusqu’à la possession complète de la vérité.
Mais, dans ce travail intellectuel, le croyant qui raisonne sa foi, c’est-à-dire le vrai gnostique, ne s’abandonne pas sans guide à ses spéculations. Il doit, dans ses études sur la parole de Dieu, prendre pour guide la tradition de l’Eglise ; autrement, il s’expose à l’hérésie. « Ceux qui ne suivent pas ce guide font violence aux Ecritures, continue Clément : une fois qu’ils ont lancé de faux dogmes au public, ils sont obligés de lutter contre l’existence des Ecritures : et lorsqu’ils sont poursuivis sur ce terrain par nos arguments, ou bien ils rejettent une partie de ces Ecritures, ou ils nous calomnient comme si nous n’avions pas assez de capacité pour les comprendre. »
Les gnostiques d’Alexandrie avaient amené eux-mêmes la lutte sur le terrain scripturaire, en cherchant à appuyer leurs systèmes sur des interprétations qu’ils prétendaient plus élevées et plus justes que celles qu’admettait le vulgaire. La célèbre école d’Alexandrie les suivit sur ce terrain et s’attacha à leur prouver que leur Gnose ou science n’était pas une vraie science, mais un système sans principe sûr et sans déductions logiques.
« Lorsqu’ils sont convaincus, dit Clément, il arrive parfois qu’ils nient leurs dogmes, rougissant d’avouer ouvertement ce qu’ils se glorifient d’enseigner en particulier. C’est ce qu’on peut apercevoir dans toutes les hérésies, dès que l’on met à nu l’iniquité de leurs doctrines. Quand les hérétiques se sont séparés de nous, et que nous leur avons démontré qu’ils sont en opposition avec les Ecritures, ils se réfugient dans l’un ou l’autre de ces expédients. : où ils nient leur doctrine, ou bien ils s’élèvent contre l’Ecriture elle-même. Ils se préoccupent plus de défendre leurs opinions que du véritable sens de la parole prophétique ou évangélique, sens confirmé par le témoignage des Apôtres. Ils ne cherchent pas la vérité, mais le moyen de défendre leurs dogmes. N’ayant point approfondi les mystères de la gnose de l’Eglise, ils n’ont pas aperçu la majesté de la vérité, Ils ne se sont attachés qu’à de vaines discussions sur des textes ; ils se sont tenus à la superficie, et ils ont plutôt eu la prétention de paraître philosophes que de l’être réellement. » Au fond, selon Clément, c’était principalement la vanité qui poussait les hérétiques de son temps dans leurs fausses opinions ; ils tenaient à avoir leurs assemblées particulières et leurs fausses agapes, pour y occuper la première place et être considérés comme de grands docteurs.
Clément expose clairement que la source de toute hérésie consiste dans l’opposition de l’esprit humain à la doctrine divine, reçue et conservée. « C’est par orgueil, dit-il, que certains éludent par leurs arguties, la doctrine transmise par les bienheureux Apôtres et par les docteurs. Ils résistent ainsi, au profit de doctrines humaines, à la tradition divine, et c’est ainsi qu’ils établissent l’hérésie. Après ces hommes qui avaient tant approfondi la gnose de l’Église, qu’avaient à dire Marcion, Prodicus ou les autres qui n’ont pas suivi le droit chemin ? Ils ne pouvaient pas surpasser en sagesse ceux qui les avaient précédés ; ils ne pouvaient rien ajouter à ce qu’ils avaient dit de vrai ; ils auraient mieux fait d’en apprendre ce qui avait été enseigné dès le commencement. Donc, le seul vrai gnostique, en vieillissant dans l’étude des Ecritures, et en conservant avec fidélité les dogmes tels que les Apôtres et l’Eglise les ont enseignés, possède une vie conforme à l’Evangile, et une philosophie telle qu’on la trouve réellement dans la parole du Maître, dans la loi et les prophètes. »
Au chapitre précédent, Clément avait répondu à une objection de ceux qui prétendaient ne pouvoir prendre l’Eglise pour guide à cause des opinions diverses qui y étaient enseignées. Le docte écrivain avait répliqué qu’il ne fallait point confondre les sectes avec l’Eglise ancienne qui ne variait pas dans les dogmes et qui n’avait pas une origine humaine comme les hérésies. De même que lrénée, Tertullien et les autres pères de l’âge apostolique, Clément enseignait qu’une seule Eglise était vraie, l’Eglise primitive, se perpétuant sur les bases anciennes et apostoliques, et il rejetait de l’Eglise toutes les autres associations chrétiennes.
Telle était la forte et saine notion de l’Eglise qui avait été transmise depuis le commencement. C’était dans le témoignage permanent de cette Eglise que le vrai gnostique, ou le philosophe chrétien, trouvait le sens exact des Ecritures, et le guide deses spéculations philosophico-religieuses.
Clément s’étend spécialement sur ce sujet dans un de ses chapitres, où il s’applique à établir que les sociétés hérétiques ne devaient pas être confondues avec l’Eglise :
« Il n’est pas besoin de longs discours, dit-il, pour prouver que les associations des hérétiques sont postérieures à l’Eglise catholique. Le Seigneur a prêché la doctrine sous les règnes d’Auguste pt de Tibère.
L’enseignement des Apôtres y compris le ministère de Paul, finit sous Néron. Les auteurs des hérésies qui existent de nos jours, ne sont venus qu’après ; ils ont existé depuis le règne d’Adrien jusqu’à celui d’Antonin l’Ancien. C’est alors que vécut Basilidis quoiqu’il se soit vanté d’avoir eu pour maître Glaucias, interprète de Pierre. Il en est de même de Valentin, quoiqu’il se soit glorifié d’avoir été disciple de Théodore, ami de Paul. Marcion est du même temps. Les choses étant ainsi, il est évident que ces hérésies et celles qui leur sont postérieures sont des nouveautés, eu égard à la plus vraie et à la plus ancienne Eglise. Il en conclut qu’il n’y a qu’une seule Eglise vraie, celle qui est vraiment ancienne, et qui a tous les justes pour membres. Il n’y a qu’un Dieu et qu’un Seigneur ; c’est pourquoi il doit y avoir unité dans ce qui est l’œuvre du principe unique, et ce qui participe, en quelque sorte, à sa nature, c’est-à-dire l’Eglise qui est une et que les hérétiques cherchent vainement à diviser. Par son principe, comme par son essence et son excellence, l’Eglise catholique est la seule vraie Eglise, embrassant tous les justes que Dieu a prédestinés depuis le commencement du monde. »
A cette Eglise qui vient de Dieu et se manifeste dans son unité, à toutes les époques, Clément oppose les hérésies qui sont nées de circonstances particulières, et qui n’ont ainsi rien de commun avec l’œuvre de Dieu.
Nous ne pouvons-nous étendre plus longuement sur les Stromales malgré l’intérêt qui s’attache à ces fragments de haute philosophie chrétienne. Nous sortirions des bornes assignées à l’histoire. Nous avons voulu seulement en traduire quelques extraits qui démontrent avec évidence que le critérium philosophique de l’école d’Alexandrie n’était autre que la règle catholique de la doctrine reçue depuis le commencement, et transmise dans son intégrité par l’Eglise catholique ; en d’autres termes : que le témoignage permanent de l’Eglise, dans son universalité, est le guide doctrinal de tout philosophe chrétien.
Le Maître de cette école de haute philosophie est le Verbe de Dieu incarné qui a vécu en ce monde sous le nom de Jésus-Christ. Son enseignement ne fut pas seulement théorique mais pratique. Clément s’appliqua à le prouver dans l’ouvrage intitulé : Le Maître ou Pédagogue. Cet ouvrage est divisé en trois livres dans lesquels l’auteur esquisse les principaux traits de la vie que doit mener un vrai disciple de Jésus-Christ. La gravité, la moralité la plus sévère, l’éloignement de toutes les délicatesses mondaines, la frugalité, forment les principaux traits de la vie d’un vrai chrétien.
Dans son Exhortation aux Grecs Clément revient sur cette idée que le Verbe incarné est le Maître par excellence de l’humanité. A l’aide de ses connaissances profondes sur les théogonies païennes et sur les œuvres philosophiques des anciennes écoles, il put établir ces deux points : que les préjugés vulgaires touchant la Divinité allaient jusqu’à l’absurde, et que les philosophes avaient emprunté aux traditions de l’humanité des notions qui rendaient hommage à la vérité que le Verbe de Dieu avait apportée au monde dans son état complet et parfait.
Il engage donc les Grecs à renoncer à leurs théogonies ridicules et fabuleuses pour embrasser la vraie doctrine.
On possède encore de Clément d’Alexandrie un excellent traité de morale chrétienne intitulé : Quel riche sera sauvé ? Il y explique avec beaucoup de profondeur la doctrine évangélique sur la richesse et la pauvreté et conclut que le riche qui détache son cœur des choses de ce monde, est réellement pauvre dans le sens de l’Evangile, et que les richesses pourront être pour lui un moyen de salut s’il en fait un bon usage.
Clément avait publié d’autres ouvrages qui sont perdus. Un de Ceux que l’histoire doit le plus regretter est celui qui était intitulé : Hypotyposes, et dans lequel il exposait les traditions qu’il avait reçues des hommes apostoliques qu’il avait visités. Cet ouvrage, divisé en huit livres, contenait de nombreux renseignements sur les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament. Eusèbe fait observer qu’il déterminait ainsi l’époque où les Evangiles avaient été écrits. Les deux premiers étaient ceux de Mathieu et de Luc’. Le troisième était celui de Marc, écrit à Rome à l’époque où saint Pierre y prêchait. Enfin celui de saint Jean écrit pour compléter les trois autres. En parlant de cet ouvrage, Eusèbe n’y relève aucune erreur. Photius au contraire en indique un grand nombre et des plus grossières, surtout par rapport à la nature du Verbe divin, à celle de l’âme humaine, à l’éternité de la création. On peut conclure, de ce rapprochement, que l’ouvrage de Clément fut corrompu par les hérétiques, du quatrième au huitième siècle ; car il est évident que les erreurs relevées par Photius ne peuvent être attribuées à Clément lui-même, puisqu’elles sont contraires à la doctrine qu’il a exposée dans les ouvrages authentiques qui nous sont parvenu s.
Nous verrons plus tard que l’école d’Alexandrie eut des ennemis ardents, des amis trop peu éclairés, qui dénaturèrent les ouvrages de plusieurs de ses docteurs, en particulier d’Origène. La similitude entre les erreurs reprochées à Origène et celles que Photius indique dans les huit livres des Hypotyposes, tels qu’il les avait sous les yeux, prouve que cet ouvrage a été interpolé par ceux qui altérèrent plusieurs livres d’Origène.
Clément avait encore écrit d’autres ouvrages ; un livre de Pâque. « Dans ce livre, dit Eusèbe, il affirme qu’il a été forcé par ses amis à exposer les traditions qu’il avait reçues des plus anciens prêtres, afin de les transmettre à la postérité. »
On trouve un fragment de cet ouvrage dans la Chronique alexandrine où on lit : « Le très-saint Clément, prêtre de l’Eglise d’Alexandrie, homme très-ancien et qui n’était pas éloigné des temps apostoliques, a écrit ceci dans son livre de la Pâque. » Puis on cite un passage relatif au jour où Jésus-Christ célébra la pâque avec ses disciples.
Eusèbe, après avoir parlé de l’ouvrage de Méliton de Sardis sur la Pâque ajoute : « Clément d’Alexandrie a fait mention de ce livre dans son ouvrage sur la Pâque, et il y dit que ce fut le livre de Méliton qui lui fournit l’occasion d’écrire le sien. »
Ces renseignements établissent clairement que Clément se prononça contre la coutume asiatique. Il avait été en Asie et il connaissait parfaitement la question agitée dans les Eglises de ces contrées, et les arguments sur lesquels on l’appuyait. Sa discussion scientifique et la haute influence des Eglises de Jérusalem et d’Alexandrie contribuèrent plus à faire abandonner cette opinion que les menaces de Victor, évêque de Rome.
Eusèbe cite encore comme étant de Clément d’Alexandrie les ouvrages suivants : Exhortation à la Patience, écrite en faveur des néophytes ; Règle ecclésiastique, ouvrage dirigé contre ceux qui suivaient les erreurs des Juifs. Clément dédia ce dernier livre à Alexandre, évêque de Jérusalem. Ce pieux évêque, son ami, lui avait sans doute demandé cet-ouvrage pour éclairer les Nazaréens qui habitaient la Palestine, et qui, tout en croyant en Jésus-Christ, observaient la loi mosaïque, comme les Juifs.
On trouve encore d’autres ouvrages de Clément, mentionnés dans quelques anciens écrivains. Ceux qui nous sont restés suffisent pour affirmer que ce docte philosophé chrétien fut un des écrivains les plus remarquables de l’Eglise. Il avait connu les disciples immédiats des apôtres. Cette haute antiquité, jointe à sa science aussi profonde que variée, donne à son témoignage une valeur exceptionnelle. D’après la nature de ses ouvrages, on comprend que l’on n’y puisse trouver, comme dans ceux de plusieurs autres Pères, des témoignages nombreux sur certains dogmes de l’Eglise ; cependant, on en rencontre plusieurs que l’histoire doit recueillir.
Nous avons déjà cité un passage fort important qui établit de la manière la plus évidente que, touchant la règle de foi, Clément, comme Irénée, Tertullien et les Pères les plus anciens, admettait la tradition primitive constante et universelle de l’Eglise. C’est à cette tradition qu’il en appelle contre les hérésies qui n’étaient, à ses yeux, que des sectes, séparées de la seule vraie Eglise apostolique^ visible, dans tout l’univers, par le témoignage identique qu’elle rendait à l’enseignement apostolique.
C’est dans cette tradition que Clément voyait la base de la philosophie chrétienne.
La source de la vérité, transmise par l’enseignement apostolique, et conservée dans l’Eglise universelle, était le Verbe de Dieu. Dieu est l’être essentiel ; son Verbe, expression de ce qui est, communique la vérité, et ce Verbe, un en essence avec le principe, s’est incarné dans la personne de Jésus-Christ. Platon avait une idée confuse de ce Verbe divin ; il l’avait empruntée aux livres antiques de la Religion ; mais ce n’est que dans le christianisme que l’on possède l’idée complète de ce Verbe, source de vérité. Ce n’est pas Vidée primordiale dont tous les êtres ne seraient que l’expression diversifiée ; mais le Verbe par lequel Dieu a exercé sa puissance en créant ce qui existe.
Clément, en tout ce qu’il a écrit touchant la nature divine, une en essence et triple en personne, et principalement touchant le Verbe, a eu surtout en vue de réfuter l’ancien platonisme d’abord ; puis le Néoplatonisme de Valentin et des autres Gnostiques qui étaient, pour la plupart, sortis de l’Eglise d’Alexandrie, et qui avaient sans doute eu beaucoup d’influence en Egypte.
On n’a pas assez remarqué ce fait important qui donne la clef de toute la doctrine des docteurs alexandrins sur le Verbe de Dieu. Des écrivains, abusant de quelques expressions isolées de Clément et d’Origène^ n’ont voulu voir en eux que des disciples de Platon, s’appliquant à introduire la doctrine de ce philosophe dans l’Eglise, en la revêtant d’un vernis chrétien il suffit de considérer leur doctrine dans son ensemble pourvoir que tel ne fut pas leur but. Clément, Origène et tous les vrais représentants de l’Ecole catholique d’Alexandrie, n’ont enseigné, touchant le Verbe, que la doctrine révélée dans l’Evangile de saint Jean. Ils ont aperçu comme un éclair de cette doctrine dans Platon, mais, en le constatant, ils ont établi deux choses : que Platon n’avait pas eu une idée complète de la doctrine du Verbe ; et ensuite, que les Néoplatoniciens, c’est-à-dire les Gnostiques, étaient tombés dans une foule d’erreurs en développant plutôt la doctrine de Platon que celle de Jésus-Christ.
La pensée fondamentale qui se détache des écrits de Clément, c’est que, dans toutes les anciennes Théogonies et philosophies, on découvre des parcelles de vérité, dont la source est le Verbe qui a parlé à l’humanité dès le commencement ; mais ces parcelles de vérités sont enfouies dans une foule d’erreurs. Il faut les en tirer, afin de prouver que les philosophies ont, pour ainsi dire, préparé le règne de la vérité ; comme elles ont rendu nécessaire l’avénement du Verbe, par les erreurs nombreuses qu’elles ont enseignées. A côté de cette école qui trouvait la philosophie utile, il y avait celle de Carthage qui, par la rude voix de Tertullien la condamnait comme inutile et blâmait les alexandrins, mais les critiques n’arrêtèrent pas Clément qui prouva, par ses écrits que la philosophie elle-même donnait des armes contre elle.
La discussion fut vive surtout entre les Néoplatoniciens et les Alexandrins catholiques ; comme il arrive toujours, plusieurs essayèrent des systèmes de conciliation entre les uns et les autres. C’est à ces médiateurs, sans doute, que l’on doit les interpolations qui furent faites dans plusieurs des ouvrages de Clément et d’Ori-gène. Nous entendrons Origène s’en plaindre hautement. Ces interpolations étaient d’autant plus faciles, qu’elles ne dépendaient que de quelques copistes faussaires qui répandaient à dessein leurs manuscrits erronés.
Mais les ouvrages authentiques des docteurs alexandrins sont fort clairs touchant les vérités fondamentales du christianisme ; par exemple : Dieu créateur des êtres ; la Trinité ; l’Incarnation du Verbe ; la Personne de Jésus-Christ, Dieu et homme : la Divinité du Saint-Esprit ; la Rédemption du monde par le sacrifice du Verbe incarné. Il nous semble impossible d’élever sérieusement le plus léger doute à cet égard. Il faudrait citer une grande partie de leurs ouvrages, si l’on voulait recueillir tous les textes qui établissent ce fait. Nous en traduirons seulement quelques-uns :
« Le Verbe qui est apparu aux hommes, est en même temps Dieu et homme. Celui qui est en Dieu et qui est, s’est manifesté, puisque le Verbe qui était en Dieu, s’est montré comme docteur ; et c’est par lui que tout a été créé. Le Verbe qui, autrefois, avait donné la vie à la création qui était son ouvrage, s’est manifesté comme Maître afin d’enseigner à bien vivre, et d’obtenir de Dieu la vie éternelle. »
Ces paroles résument l’enseignement alexandrin sur le Verbe. Cette illustre école copiait saint Jean et non pas Platon. Le Verbe était fils de Dieu et fils de David ; c’est par lui que le monde a été Créé, éclairé, sauvé.
« Le Verbe, dit encore Clément, est tout pour son enfant, c’est-à-dire pour le chrétien ; il est son père, sa mère, son maître et son nourricier. « Mangez, a-t-il dit, « ma chair, et buvez mon sang. » Le Seigneur nous fournit ainsi les aliments qui nous conviennent ; il nous donne sa chair, il répand son sang pour nous, et rien ne manque ainsi pour faire grandir les enfants. O admirable mystère ! II nous ordonne de déposer notre ancienne et charnelle corruption ; de renoncer à notre ancienne nourriture afin d’être participants de la nouvelle nourriture du Christ, à le recevoir lui-même en nous, si cela est possible, et à contenir le Sauveur en nous-mêmes, afin que nous rendions les affections de notre chair pures et parfaites. »
Si, comme certains érudits, on ne veut pas voir dans ces paroles, une allusion à la participation réelle de la chair du Christ dans la communion, on ne peut nier qu’elles ne contiennent une admirable doctrine sur l’union spirituelle de l’homme avec le Verbe de Dieu, et qu’elles ne supposent pas une doctrine clairement orthodoxe sur le Verbe divin, qui était le Christ, Dieu-homme, nourrissant le chrétien de sa chair et de son sang pour le diviniser : Clément expose ainsi cette haute vérité dans un autre chapitre du même ouvrage.
« Il y a un double sang du Seigneur : l’un est charnel, et c’est par lui que nous avons été rachetés de la mort ; l’autre est spirituel, et c’est par lui que nous recevons l’onction ; c’est là ce qu’on appelle boire le sang du Seigneur, c’est-à-dire être participant delà pureté du Seigneur. En effet, la vertu du Verbe, c’est l’Esprit, comme le sang est la vertu de la chair. De même que l’eau est mêlée au vin, ainsi l’Esprit est mêlé à l’homme. Le vin mêlé d’eau donne la foi à ceux qui y participent ; mais c’est l’esprit qui leur communique la pureté. Le mélange des deux, c’est-à-dire du breuvage et du Verbe, est appelé Eucharistie, c’est-à-dire louange et action de grâce ; et ceux qui y participent sont sanctifiés de corps et d’âme. Ce mélange divin, l’homme, participe encore, par la volonté divine, au mélange du Verbe et de l’Esprit. »
La haute spiritualité que Clément apercevait dans l’Eucharistie, n’excluait pas la réalité. L’Eucharistie était à ses yeux la participation de l’homme au Verbe aussi bien qu’à l’Esprit, et cette participation avait lieu au moyen d’un mystère extérieur qui, sous certain rapport, figure de l’union divine, était cependant le moyen divin de Cette union.
Nous devons encore attirer l’attention sur un texte de Clément relatif aux trois ordres sacrés qui forment la hase de la constitution de l’Eglise. En parlant des divers préceptes donnés aux membres de l’Eglise, il répond ainsi : « Plusieurs autres préceptes ont été donnés, dans les livres saints, pour les personnes choisies ; les uns sont pour les prêtres ; d’autres pour les évêques., d’autres pour les diacres ; d’autres enfin pour les veuves. » Clément reconnaissait ainsi que, dans les livres saints, ceux qu’on appelle prêtres, évêques, diacres, formaient une hiérarchie de personnes choisies, en dehors du reste du troupeau ; il nous apprend que, de son temps, ces trois ordres existaient à leur état primitif. Aussi haut que l’on remonte dans les monuments de l’histoire de l’Eglise, on rencontre ces trois ordres de l’épiscopat, du presbytérat et du diaconat, formant une hiérarchie de droit divin pour servir l’Eglise.
Dans les Stromates, Clément s’exprime d’une manière si claire, en plusieurs endroits, sur la hiérarchie divinement instituée dans l’Eglise, qu’on ne peut élever aucun doute sérieux sur la doctrine qu’il donnait comme celle de son temps et de l’Eglise entière depuis les Apôtres. Il place les hommes revêtus des ordres dans un état exceptionnel qu’il compare à celui des anges dans le monde invisible. S’il ne mentionne parfois que deux ordres, le presbytérat et le diaconat, il en désigne ailleurs tr ois, en nommant expressément l’épiscopat. Nous avons tu précédemment que, par le titre de prêtre ou presbyter, on désigna souvent Le sacerdoce lui-même, lequel est possédé par le prêtre aussi bien que par l’évêque, quoique à un degré plus élevé par ce dernier. Clément a donc pu ne mentionner en certains endroits que le sacerdoce et le diaconat sans se contredire avec lui-même et sans rejeter les deux degrés reconnus, de toute antiquité, dans le sacerdoce.
Nous pourrions nous étendre davantage sur la doc trine de Clément ; mais ce que nous en avons noté suffira pour établir qu’il fut un docteur d’une parfaite orthodoxie et que ses ouvrages fournissent des témoignages précieux en faveur de la saine doctrine de l’Eglise.
Parmi ses disciples, Alexandre de Jérusalem fut un des plus saints et des plus illustres. En 202, Clément quitta Alexandrie pour se retirer en Cappadoce. Son école resta fermée quelque temps à cause de la persécution qui eut lieu alors en Egypte ; mais bientôt Origène, quoique fort jeune alors, et qui sans doute avait suivi les leçons du savant docteur, fut choisi pour lui succéder.
Il faudrait des volumes, dit Eusèbe, pour retracer dans tous ses détails la vie d’Origène. Le docte historien n’a pu en entreprendre qu’un abrégé en puisant dans les lettres et les discours des disciples du grand homme ; il avait ces documents sous les yeux. Son récit mérite donc toute créance.
Origène était encore fort jeune lorsque Léonidis, son père, souffrit le martyre. La dixième année de l’empire de Sévérus, l’Egypte avait pour gouverneur Loetus, et Démétrius avait succédé depuis peu à Julianus sur le siège épiscopal d’Alexandrie. Les chrétiens supportèrent alors en Egypte une cruelle persécution ; d’innombrables fidèles souffrirent la mort pour la foi. Origène, encore enfant, avait un tel désir du martyre qu’il s’exposait aux plus grands périls et qu’il se jetait pour ainsi dire dans le combat. Il eût certainement souffert la mort si la Providence, qui voulait le conserver pour le bien général, n’eût confié à sa mère le soin de modérer son ardeur. Cette pieuse femme eut recours d’abord aux paroles les plus affectueuses pour le toucher ; voyant que l’amour du martyre ne faisait que devenir plus vif dans l’âme de son fils, surtout depuis qu’il avait appris l’emprisonnement de Léonidis, elle agit de ruse et cacha tous ses vêtements pour l’empêcher de sortir. Ne pouvant suivre l’impulsion de son cœur, Origène voulut du moins exciter son père à soutenir la lutte avec courage, et il lui écrivit une lettre dans laquelle il lui disait : « Prends garde, mon père, de changer de sentiment à cause de nous. » Quoique encore très-jeune, Origène avait une connaissance approfondie de la doctrine chrétienne ; il l’avait puisée dans les Saintes Ecritures qu’il avait déjà étudiées avec soin. Ses études classiques ne le détournaient pas de ses travaux scripturaires ; chaque jour son père lui faisait apprendre par cœur et réciter quelque passage des saints livres. Le pieux enfant aimait ce travail ; il ne se contentait pas, dès lors, du premier sens que les textes delà Sainte Ecriture lui offraient ; il cherchait à les approfondir davantage, à découvrir des sens mystérieux, et il faisait à son père une foule de questions à ce sujet. Léonidis le reprenait, en apparence, de sa curiosité et lui disait de ne pas chercher des interprétations au-dessus de son âge ; mais, au fond de son cœur, il était heureux de telles dispositions ; il remerciait Dieu de l’avoir fait père d’un tel fils ; souvent, pendant la nuit, il s’approchait de lui, lui découvrait la poitrine et la baisait avec respect comme étant le temple de l’Esprit divin.
Lorsque son père mourut, Origène avait dix-sept ans. Il resta avec sa mère et six frères plus jeunes que lui. Les biens de son père ayant été confisqués, la famille resta dans le dénûment. La Providence vint en aide à Origène par l’entremise d’une, dame très-riche ; mais cette dame avait adopté pour son fils un homme fort célèbre alors, nommé Paul, qui, d’Antioche sa patrie, était venu se fixer à Alexandrie et prenait parti pour tous les hérétiques qui étaient alors en cette ville. Origène avait nécessairement des relations avec cet homme ; mais il eut occasion, dès cette époque, de donner une preuve éclatante de la pureté de sà foi. Non-seulement un grand, nombre d’hérétiques, mais des fidèles se rendaient auprès de Paul pour admirer son éloquence ; quant à Origène, on ne put jamais le décider à prier avec lui, et il suivit avec fermeté la règle de l’Eglise, qui défendait la communion de prières avec les hérétiques. Il travailla avec tant d’ardeur à se perfectionner dans ses études littéraires, que, peu de temps après la mort de son père, il put donner des leçons et gagner ce qui était’ nécessaire à sa subsistance.
Alexandrie ne possédait plus alors cette école théologique qu’avaient illustrée Pantène et Clément. La persécution avait dispersé professeurs et auditeurs. Origène ne professait que les belles-lettres ; mais plusieurs, même d’entre les païens, ‘le prièrent d’aborder d’autres sujets et de les instruire de la parole de Dieu. Parmi eux était Plutarque, qui, après une vie sainte, fut couronné du martyre. Plutarque avait pour frère Héraclas qui vécut aussi en vrai philosophe chrétien et mérita d’être choisi pour évêque d’Alexandrie après la mort de Démétrius.
Origène Se trouva ainsi amené à ressusciter la glorieuse école des catéchumènes, dirigée par Pantène et Clément. Il avait alors dix-huit ans ; il obtint de grands succès, même au milieu des persécutions dont les chrétiens eurent à souffrir sous Aquila, successeur de Lœtus. Il obtint alors une grande renommée à cause des services multipliés qu’il rendit à tous les martyrs, aussi bien à ceux qu’il ne connaissait pas qu’à ceux qu’il connaissait. Sa charité ne faisait aucune différence entre les uns et les autres. Non-seulement il les accompagnait lorsqu’ils étaient arrêtés ou traduits devant les tribunaux, mais encore lorsqu’on les conduisait au supplice, tant était intrépide le courage qui lui faisait affronter les plus grands dangers ! Il s’approchait sans crainte des martyrs et les embrassait avec vénération en présence de la foule qui souvent lui jetait des pierres qui auraient voulu lui venir en aide, étaient profondément affligés en le voyant refuser obstinément les secours qu’ils lui offraient. Pendant plusieurs années, il marcha nu-pieds et ne porta aucune espèce de chaussures ; il n’usa ni devin ni d’autres choses qu’il ne regardait pas comme nécessaires à la vie, au point qu’il contracta une très-grave maladie d’estomac. Ses exemples portèrent des fruits. Il gagna des disciples même parmi les païens et devint comme le chef d’une école de philosophie chrétienne. Plusieurs de ses disciples montrèrent un courage héroïque dans les persécutions et souffrirent, courageusement le martyre.
Outre Plutarque dont nous avons parlé, les principaux disciples d’Origène qui moururent pour la foi furent Sérénus, Héraclidis, Héron ; un autre nommé aussi Sérénus ; une femme encore catéchumène, nommée Irais, qui fut livrée aux flammes et reçut ainsi le baptême du feu ; enfin, Basilidis, qui, encore païen, avait cependant retenu de l’enseignement d’Origène des sentiments élevés qu’il manifesta lors du martyre de l’illustre vierge Potamiéna.
Cette généreuse chrétienne était aussi belle que vertueuse ; elle souffrit les tortures les plus cruelles pour conserver sa pureté et sa foi et elle fut brûlée vive avec sa mère Marcella.
Basilidis fut un des soldats qui la conduisirent au supplice ; mais il la défendit, contre les outrages que d’autres voulaient lui faire endurer. Il en fut récompensé par une foi vive qui lui fit confesser Jésus-Christ avec courage et lui mérita un martyre glorieux.
Vers l’âge de trente ans, lorsque Zéphyrin était évêque de Rome, Origène voulut visiter cette église.
Il n’y fit qu’un court séjour et il revint à Alexandrie reprendre ses travaux.
Dans sa jeunesse, Origène avait poussé trop loin la vertu dont il donnait l’exemple à ses disciples jamais, comme le fait remarquer le grave historien Eusèbe, si le fait dont il se rendit coupable alors atteste chez lui une exaltation juvénile, il témoigne en même temps de sa foi et de son amour pour la continence. Ayant lu dans l’Evangile ces paroles du Sauveur : « Il y a des eunuques qui, se sont mutilés pour le royaume des cieux, » il n’interpréta pas cette sentence avec sagesse. Soit pour obéir à la maxime évangélique, soit pour se délivrer de toute pensée charnelle et se mettre à l’abri de toute calomnie, car il avait parmi ses disciples des femmes aussi bien que des hommes, il se mutila. Il voulut tenir cette action secrète ; mais, malgré ses efforts, on l’apprit, et l’évêque Démétriuè en fut informé. D’abord, il l’engagea à ne pas se troubler de ce qu’il avait fait, l’excusant à cause des motifs de foi qui l’avaient guidé, et il l’exhorta à continuer ses leçons aux catéchumènes. Cependant, quelques années après, l’évêque d’Alexandrie, malgré ses vertus., ressentit dans son cœur quelque jalousie en voyant que les succès d’Origène lui attiraient une renommée si brillante, que sa dignité épiscopale elle-même semblait éclipsée par tant de gloire. Nous le verrons écrire, en conséquence, à tous les évêques de l’univers pour attaquer comme tout à fait déraisonnable l’action dont Origène s’était rendu coupable, afin d’incriminer son élévation au sacerdoce. Il ne songea à le dénoncer qu’au moment où il vit que la sagesse et les vertus du digne prêtre lui avaient mérité une renommée universelle, et il enveloppa dans son accusation les évêques qui l’avaient ordonné. Jusqu’à cette époque, Origène continua son enseignement à Alexandrie avec l’approbation de Démétrius. On le surnomma alors Adamantios (diamant) à cause de son infatigable assiduité au travail et des éclairs de génie qui s’échappaient de ses leçons.
Comme il ne pouvait suffire à l’enseignement et aux études approfondies qu’il avait entreprises sur la Sainte Ecriture, il s’associa un de ses disciples, nommé Héraclas, qu’il chargea des cours élémentaires, se réservant seulement les disciples les plus avancés.
Afin d’étudier les Saintes Ecritures d’une manière plus approfondie, il apprit la langue hébraïque et se procura toutes les versions qui en avaient été faites, comme celles des Septante, d’Aquila, de Symmaque et de Théodotion. Il découvrit encore plusieurs autres versions de certaines parties des Ecritures et particulièrement des Psaumes. Il plaça toutes ces versions en regard les unes des autres et du texte hébraïque, et il en composa ses Hexaples, c’est-à-dire la Sainte Ecriture sur six colonnes. Il composa ensuite ses Tétraples, c’est-à-dire l’édition en quatre colonnes, où se trouvait seulement la version des Septante avec celles d’Aquila, de Symmaque et de Théodotion.
Origène copiait lui-même ces versions, les annotait, en signalait les différences. On peut dire que son travail fut un des plus doctes qui aient jamais été faits sur les saints livres.
La connaissance de la parole de Dieu était le but que se proposait le savant pretre dans son enseignement ; il ne donnait à ses disciples des leçons de philosophie que comme une introduction à la science de la Sainte Ecriture. Il était, du reste, très-instruit de tous les systèmes des philosophes. Porphyre lui-même, philosophe ennemi du christianisme, lui rend justice sous ce rapport. Ses paroles méritent d’être citées. « Il y en a, dit-il, qui, préférant interpréter les mauvaises Ecritures des Juifs que de les abandonner, ont eu recours à des commentaires incohérents, qui ne s’accordent pas avec ces Ecritures elles-mêmes, et dans lesquels ils ont eu moins pour but de défendre la secte judaïque que d’exposer leur propre doctrine. C’est pourquoi ils imaginent des figures et des images pour voiler ce que Moïse a dit d’une manière fort claire ; ils envisagent ses paroles comme des oracles mystérieux et vénérables, et ils en donnent des explications qui ne servent qu’à démontrer leurs préjugés. Je citerai comme exemple de cette folie un homme que j’ai connu dans ma jeunesse qui jouissait alors d’une grande renommée et qui a laissé des ouvrages dignes de sa réputation. Je veux parler d’Origène qui se distingua parmi les plus doctes maîtres de la doctrine chrétienne ; Il avait été disciple d’Ammonius, qui, à cette époque, professait avec éclat la philosophie. Origène profita beaucoup à son école, sous le rapport de la science, mais non en ce qui concerne la conduite ; car Ammonius, d’abord chrétien et élevé par des parents chrétiens, embrassa le culte légal dès qu’il fut capable de penser ; tandis qu’Origène, d’abord gentil et élevé par des gentils, tomba dans la témérité barbare et altéra tellement la philosophie qu’il vécut en chrétien et contrairement aux lois. Quant à ses opinions sur la Divinité, il chercha à accommoder les enseignements des Grecs aux fables qu’il avait adoptées. Il lisait continuellement Platon. Il avait toujours dans les mains les ouvrages de Nüménius, de Cronius, d’Apollophanis, de Longinus, de Modératus, de Nicomaehus et d’autres qui étaient regardés comme les plus célèbres entre les Péripatéticiens. Il se servait aussi des livres du stoïcien Chérémon et de Cornutus. Il appliquait aux Ecritures judaïques la méthode à l’aide de laquelle ces philosophes expliquaient les Mystères des Grecs. »
Ainsi, Porphyre lui-même ne pouvait contester la science d’Origène. Quelques fidèles peu intelligents la lui reprochaient comme indigne d’un chrétien. Origène daigna se justifier dans une lettre remarquable, où il dit : « Lorsque je m’étais dévoué à la parole de Dieu et que j’avais obtenu une grande renommée pour mon érudition, je vis accourir à moi une foule d’hérétiques, d’hommes instruits dans les sciences des Grecs et spécialement des philosophes. Alors j’ai décidé d’approfondir les dogmes des hérétiques et toutes les opinions des philosophes touchant la vérité. J’en ai agi ainsi à l’exemple de Pantène qui, avant nous, a été utile à un grand nombre et qui était fort initié à cette sorte de science, et aussi à l’exemple d’Héraclas qui siège maintenant parmi les prêtres de l’église d’Alexandrie et qui étudiait depuis cinq ans chez un maître de philosophie lorsque je commençai à suivre les mêmes leçons. Héraclas quitta même les vêtements ordinaires pour le manteau de philosophe qu’il porte encore aujourd’hui. »
Le manteau de philosophé était en grand honneur à cette époque. Justin l’avait porté après avoir embrassé le christianisme, et Héraclas, selon le témoignage d’Origène, le portait même étant prêtre de l’église d’Alexandrie.
Vers le même temps et alors qu’Origène habitait encore Alexandrie, un officier du souverain d’Arabie apporta à l’évêque Démétrius et au préfet d’Egypte des lettres dans lesquelles le chef arabe les priait de lui envoyer Origène dont il désirait recevoir des leçons. Origène partit avec l’autorisation de l’évêque et du préfet. Il accomplit en peu de temps l’oeuvre pour laquelle il avait été appelé et retourna à Alexandrie. Mais de graves luttes s’étant élevées dans cette ville et le séjour même de l’Egypte étant devenu peu sûr, Origène s’enfuit secrètement en Palestine et se fixa à Césarée. Les évêques de cette contrée le prièrent de prêcher et d’expliquer publiquement les Ecritures dans l’église, quoiqu’il ne fût pas encore prêtre.
Démétrius, évêque d’Alexandrie, se plaignit à Alexandre de Jérusalem et à Théoctiste de Césarée de la fuite d’Origène. Il reprochait même, dans sa lettre, à ces évêques d’avoir permis à un laïc d’expliquer les Ecritures dans l’église et en leur présence, ce qui, selon lui, était contraire aux règles. Les deux évêques lui répondirent : « Pour ce que tu as ajouté dans tes lettres que jamais on n’a entendu dire qu’un laïc eût prêché devant des évêques, tu t’es singulièrement trompé ; car de saints évêques ont engagé à prêcher ceux qu’ils jugeaient pouvoir le faire d’une manière utile. C’est ainsi, qu’à Larande, Evelpis en a été prié par Néon ; à Icone, Paulinus par Celsus ; à Synnade, Théodoros par Atticus. Ce qui a été fait par ces bienheureux frères a sans doute été imité par d’autres. »
Après avoir écrit ses lettres, Démétrius envoya en Palestine les diacres de son église pour presser Origène de retourner à Alexandrie. Il ne crut pas devoir résister plus longtemps.
Il trouva à Alexandrie un riche chrétien nommé Ambrosius, lequel avait été son disciple et qui le pressa vivement de publier les doctes travaux qu’il avait composés sur les Ecritures. Il lui fournit sept écrivains annotateurs pour écrire à tour de rôle sous sa dictée et autant de copistes et de jeunes filles qui avaient une belle écriture, afin de mettre au net ses manuscrits. Ambrosius subvenait à tous les frais ; il donnait l’exemple d’un zèle ardent pour ces travaux et il stimulait Origène lui-même.
Ceci se passait, dit Eusèbe, lorsque Pontianus occupait le siège épiscopal de Rôme et Zebinus celui d’Antioche, ce qui correspond à l’année 228 de l’ère chrétienne. Origène était alors âgé de quarante-trois ans.
A cette époque, il fut, appelé en Achaïe où plusieurs hérétiques troublaient l’Eglise. Il n’était pas encore prêtre, et déjà, dans tout l’univers chrétien, on le regardait comme le défenseur de l’orthodoxie. Pour se rendre en Achaïe, il passa par la Palestine et s’arrêta à Césarée. Théoctiste, évêque de cette ville métropole, et Alexandre de Jérusalem voulurent honorer le ‘mérite d’Origène et l’élevèrent à la prêtrise.
Cette ordination fut la cause de graves discussions. Démétrius, blessé sans, doute de ce que les évêques de Palestine avaient procédé à cette ordination sans l’avoir consulté, écrivit à tous les évêques de l’univers chrétien pour en contester la légalité, s’appuyant sur ce motif qu’Origène s’était mutilé.
Origène retourna à Alexandrie après son voyage en Achaïe et il y continua ses travaux bibliques. Non content de publier les textes et versions des livres saints, il composa des commentaires pour en expliquer le sens et en résoudre les difficultés. Il publia à Alexandrie son Exposition de l’Evangile de Jean, ses Commentaires sur la Genèse, sur les Psaumes et sur les Lamentations de Jérémie. Dans la même ville, il publia les ouvrages intitulés : De la Résurrection, Des Principes et ses Stromales. Il voulut, dans ce dernier livre, imiter Clément d’Alexandrie.
Quant à l’Ancien Testament, Origène n’admettait comme inspirés que les livres contenus dans le canon des Hébreux. Pour le Nouveau Testament, il admettait les quatre Evangiles ; il mentionne en général les épîtres de saint Paul ; il ne regarde comme absolument authentique que la première de saint Pierre, sans toutefois rejeter la seconde ; il reconnaît saint Jean l’Evangéliste comme l’auteur de l’Apocalypse et de la première épître qui porte son nom. Il ne conteste pas absolument l’authenticité des deux autres. Il pensait que l’épître aux Hébreux avait été écrite, sous la dictée de Paul, par un de ses disciples, soit Lue, soit Clément de Rome. Il regarde Luc comme l’auteur des actes des Apôtres.
A l’époque où vivait Origène, l’Eglise n’avait pas encore déterminé officiellement le canon des Ecritures du Nouveau Testament ; mais on voit, parle témoignage de ce grand docteur, qu’il n’y avait de discussion que sur quelques épîtres.
Origène ne resta guère que deux ans à Alexandrie depuis son retour d’Achaïe. En 231, étant âgé de quarante-six ans, il quitta l’Egypte et alla se fixer à Césarée en Palestine, laissant l’école des catéchumènes à son disciple Héraclas. Démétrius l’avait troublé dans ses travaux par les attaques dirigées contre son ordination. Il nous apprend lui-même que la miséricorde de Dieu le tira de l’Egypte, comme il en avait retiré son peuple, et qu’après son départ l’ennemi le poursuivit et déchaîna contre lui tous les vents et toutes les tempêtes de l’Egypte. Démétrius assembla, en effet., en concile les évêques de cette contrée, et il fut décidé qu’Origène sortirait d’Alexandrie, qu’il n’aurait pas le droit d’y enseigner ; mais qu’il ne serait pas cependant déposé du sacerdoce. Démétrius ne fut point satisfait de cette sentence ; c’est pourquoi il réunit un nouveau concile composé seulement des évêques qui partageaient ses sentiments et qui déposa Origène du sacerdoce. Démétrius écrivit à toutes les églises des lettres qu’Origène regarda comme contraires à l’Evangile et dans lesquelles l’évêque d’Alexandrie le déclarait excommunié. Cette sentence fut acceptée, sans examen contradictoire, par un grand nombre d’églises et en particulier par celle de Rome. Mais celles de Palestine, d’Arabie, de Phénicie et plusieurs autres d’Asie n’admirent pas la condamnation de Démétrius et continuèrent à regarder Origène comme un docte et saint prêtre.
Après avoir satisfait sa haine contre Origène, Démétrius mourut, et Héraclas fut mis à sa place.
Origène, fixé à Césarée, fut chargé de nouveau par Théoctiste et par saint Alexandre de Jérusalem de l’interprétation des Ecritures et de la prédication dans leurs églises. Ces grands évêques le regardaient comme leur maître. Le saint évêque de Cappadoce, Firmilien, avait pour lui les mêmes sentiments. Il se rendit en Palestine pour le consulter et l’inviter à se rendre en Asie pour l’utilité des églises de cette contrée. Il est probable qu’il accomplit la mission dont Firmilien l’avait chargé. Les témoignages de respect que lui rendaient les plus saints évêques durent le consoler des persécutions de Démétrius.
Origène était de retour à Césarée en 235, lorsque Maximinus tua l’empereur Alexandre et se plaça sur le trône. La plupart des membres de la famille d’Alexandre étaient chrétiens. Ce fut pour Maximinus un motif de persécuter l’Eglise ; mais il recommanda de faire mourir seulement les chefs, c’est-à-dire les évêques, les prêtres et les diacres. Ambrosius, l’ami et le soutien d’Origène, avait été élevé au diaconat. Sa fortune avait sans doute attiré sur lui l’attention. Il se trouvait à Césarée lorsque la persécution commença. Il eut beaucoup à souffrir, ainsi qu’un prêtre de cette église nommé Protoctitos. Origène, pour les encourager, leur dédia son livre Ou Martyre. Les deux athlètes de Jésus-Christ ne furent pas condamnés à mort, mais ils conquirent beaucoup de gloire par le courage qu’ils montrèrent au milieu des tourments. Origène fait mention de la persécution de Maximinus dans s’on vingt-unième livre de son Exposition sur l’Evangile de saint Jean, ‘ce qui prouverait qu’il continua à Césarée cet ouvrage commencé à Alexandrie. Il la mentionne aussi dans plusieurs de ses lettres.
Maximinus ne fut empereur que trois ans et eut pour successeur Gordianus. Alors Fabianus occupait le siège de Rome, Babylas celui d’Antioche et Héraclas celui d’Alexandrie.
Origène, après la mort de son ennemi et l’élévation de son disciple, ne jugea pas à propos de retourner à Alexandrie. Il avait continué à Césarée la vie studieuse qu’il menait en Egypte, et sa réputation s’était étendue si loin que des disciples lui venaient des lieux les plus éloignés. On cite parmi eux Théodore et son frère Athénodore. Le premier est plus connu sous le nom de Grégoire, et ses miracles le firent surnommer Thaumaturge. Lorsqu’il arriva avec son frère à Césarée pour entendre Origène, ils étaient l’un et l’autre enthousiastes des sciences grecques et romaines. L’illustre maître leur inspira l’amour de la philosophie et les enflamma de zèle pour les études religieuses. Après avoir suivi cinq ans ses leçons, ils avaient fait de tels progrès qu’ils furent tous deux élus évêques dans la province de Pont.
Pendant son séjour à Césarée, Origène eut des relations avec un écrivain fort célèbre nommé Africanus, lequel résidait à Emmaüs en Palestine. Eusèbe lui attribue un ouvrage intitulé : Cestes. Ce que d’anciens auteurs en ont dit donnerait à penser qu’Africanus était païen lorsqu’il l’aurait composé. Ses livres qu’il écrivit étant chrétien lui acquirent la réputation d’un savant et d’un philosophe de premier mérite. Il était sans doute prêtre et plus ancien qu’Origène, puisque, dans une lettre qu’il lui adressa, il l’appelle son fils. En lui répondant, Origène lui donne le titre de frère, sans doute à cause de la dignité sacerdotale qui leur était commune.
Africanus écrivit à Origène au sujet de l’histoire de Susanne rapportée dans le livre de Daniel et qu’il considérait comme apocryphe. Origène s’était servi de cette histoire dans une discussion verbale qu’il avait eue avec un certain Bassus et à laquelle Africanus avait assisté. Celui-ci lui écrivit une lettre pour lui exposer les raisons qui l’engageaient à regarder ce fait comme apocryphe et lui demander à ce sujet des éclaircissements. Origène lui répondit de Nicomédie qu’il avait visitée sans doute lors de son voyage en Asie, et il développa les preuves qui militent en faveur de l’authenticité de l’histoire de Susanne.
Africanus se fit surtout connaître par sa Chronographie, ouvrage fort estimé de toute l’antiquité chrétienne et dont profitèrent largement Eusèbe et tous les chroniqueurs qui écrivirent après lui sur l’histoire de la religion. Il raconte, dans cet ouvrage, qu’il fit le voyage d’Alexandrie pour voir Héraclas dont la réputation était grande dans toute l’Eglise.
Africanus écrivit encore une lettre à Aristide. Il y raconte qu’il avait consulté les parents de Jésus-Christ pour savoir comment il était possible de concilier les deux généalogies de saint Mathieu et de saint Luc. La solution qu’il en apprit lève toute difficulté. Le témoignage de ce savant est d’autant plus grave qu’il vécut pendant une partie du second siècle, qu’il vit les disciples immédiats des Apôtres, qu’il habita les lieux sanctifiés par les pas du Christ lui-même et qu’il fut en relation avec ses parents.
La manière dont il écrivit à Origène prouve de quelle estime jouissait en Palestine le docte prêtre d’Alexandrie, non-seulement auprès des évêques les plus saints, mais des hommes les plus savants. Il le méritait par les ouvrages qu’il continuait d’écrire sur les Saintes Ecritures. A Césarée, il publia les commentaires sur Isaïe et Ezéchiel. Il termina ce commentaire pendant un séjour qu’il fit à Athènes, et il y commença son commentaire sur le Cantique des Cantiques, qu’il acheva après son retour à Césarée. Il composa encore d’autres ouvrages pour l’énumération desquels Eusèbe renvoie à sa Vie du prêtre et martyr Pamphile, ouvrage malheureusement perdu. Eusèbe y avait recueilli des notes qui seraient fort intéressantes pour l’exégèse biblique, en parlant de tous les ouvrages collectionnés par le martyr Pamphile, prêtre fort érudit et grand collectionneur de tous les ouvrages relatifs aux Saintes Ecritures.
Origène fut distrait de ses travaux par un nouveau voyage qu’il fit en Arabie. Il y avait alors en ce pays un évêque du nom de Beryllos, dont le siège épiscopal était à Bosra. Sans tenir compte de la règle de l’Eglise opposée à toute innovation doctrinale, Beryllos enseigna que notre Maître et Sauveur n’avait point existé personnellement avant de venir en ce monde, et que la Divinité qui avait résidé en lui n’était autre que celle du Père. Le novateur rejetait ainsi la trinité des personnes en Dieu. Il niait aussi indirectement la divinité de Jésus-Christ, qui n’aurait été personnellement qu’un homme dans lequel la Divinité se serait manifestée d’une manière particulière.
L’évêque arabe avait résumé dans ces deux erreurs les théories des hérétiques précédents en rejetant les détails de leurs systèmes. Il peut être ainsi considéré comme le père des grandes hérésies qui agitèrent si profondément l’Eglise pendant les siècles suivants et qui eurent toutes pour objet la personnalité et la divinité de Jésus-Christ.
Dès que la nouvelle erreur fut connue, plusieurs savants engagèrent des discussions avec Beryllos. On fit appel à Origène comme à l’homme le plus capable de le confondre. Il se rendit en Arabie et conféra d’abord amicalement et en particulier avec Beryllos, afin de connaître parfaitement ses opinions. Après avoir acquis la connaissance parfaite de son erreur, il le réfuta. Conduisant son adversaire, comme par la main, d’arguments en arguments, il l’amena à reconnaître ses erreurs et à professer l’antique et saine doctrine.
Du temps d’Eusèbe existaient encore les actes du concile, qui fut alors assemblé. On y lisait les conférences qui eurent lieu dans l’église entre Origène et Beryllos et le récit des faits qui se passèrent alors. Le savant historien avait également entendu les récits des prêtres les plus anciens de son temps et qui avaient assisté à ce concile. Ils racontaient sur Origène d’intéressants détails que l’historien n’a pas jugé nécessaire d’enregistrer, ne se doutant pas combien ils auraient été précieux pour la postérité. Les actes du concile de Bosra sont perdus. Mais on sait qu’il a été, tenu, et ce fait fournit une nouvelle preuve que la constitution de l’Eglise primitive était conciliaire et qu’il appartenait aux évêques d’un pays de prendre l’initiative de la réunion du concile, lorsqu’une erreur naissait dans leurs églises.
Eusèbe avait recueilli ce qu’il regardait comme plus important, relativement à Origène, dans l’Apologie de ce grand homme, qu’il avait écrite en collaboration avec le prêtre-martyr Pamphile, afin de répondre aux accusations dont Origène fut l’objet dans le courant des troisième et quatrième siècles.
Pendant l’épiscopat d’Héraclas, Origène n’avait eu aucun démêlé avec l’Eglise d’Alexandrie. Ce savant évêque mourut la troisième année de l’empire de Philippe, c’est-à-dire en 247 ; il eut pour successeur Denys, qui l’avait déjà remplacé pour l’enseignement des catéchumènes. Origène avait alors soixante-deux ans. Ce fut seulement alors qu’il permit de prendre en notes les discours qu’il prononçait dans l’église pour l’instruction du peuple chrétien. Vers le même temps, il composa son ouvrage contre un philosophe de l’école d’Epicure nommé Celse, un des plus ardents adversaires du christianisme. Celse avait intitulé son livre : Discours de vérité. Origène lui démontra que la vérité n’était point dans la philosophie païenne, mais dans la doctrine de Jésus-Christ. Ce travail ne le détourna point de ses études exégétiqùes, et à la même époque il publia ses commentaires sur saint Mathieu et sur les douze petits prophètes.
Ce fut alors qu’il écrivit deux lettres à l’empereur Philippe et à l’impératrice Severa.
Philippe était chrétien. On raconte que, la veille de Pâques, cet empereur se rendit à l’église pour y prier avec le peuple fidèle ; mais l’évêque d’Antioche, Babylas, lui en interdit l’entrée jusqu’à ce qu’il se fût confessé et eût fait pénitence de ses crimes. Tout chrétien qu’il était., Philippe avait commis bien des crimes, et l’évêque ne l’aurait jamais admis à l’église s’il n’en eût fait pénitence. On rapporte que l’empereur se soumit humblement et racheta, par sa piété, les crimes qu’il avait commis. On peut présumer qu’Origène écrivit à Philippe et à Severa pour exciter leur zèle en faveur de la religion. Il adressa encore un grand nombre de lettres en particulier à Fabianus, évêque de Rome, et à beaucoup d’autres chefs des Eglises pour répondre aux attaques dirigées contre son orthodoxie
Tandis que des hommes jaloux cherchaient à jeter des nuages sur la foi du grand docteur, les évêques d’Asie et d’Arabie le considéraient comme le défenseur le plus habile de la saine doctrine. Il fut appelé de nouveau en Arabie pour assister à un grand concile convoqué pour condamner une erreur qui faisait des progrès en ce pays. Plusieurs soutenaient que l’âme de l’homme mourait et se corrompait avec le corps et qu’elle ressusciterait avec lui. Origène réfuta avec tant de force et de clarté cette erreur, que ceux qui l’avaient soutenue y renoncèrent. Il réfuta encore d’autres hérésies et particulièrement celle des Helcésaïtes, qui, outre plusieurs erreurs, excusaient la faiblesse de ceux qui reniaient Jésus-Christ pendant la persécution.
Origène ne pouvait tolérer une telle lâcheté, lui qui, dès sa jeunesse et pendant toute sa vie, avait montré un courage héroïque pendant les persécutions.
Ce courage ne se démentit pas dans sa vieillesse.
Décius, ayant remplacé Philippe sur le trône, excita une persécution contre l’Eglise. C’est la troisième que Lactance compte comme ayant été générale et ordonnée par décret impérial. Elle commença l’année 251. Fabianus, évêque de Rome, y souffrit le martyre et fut remplacé par Cornélius. Alexandre de Jérusalem, qui avait déjà précédemment confessé la foi, eut à souffrir d’horribles tourments et fut emprisonné à Césarée, où il mourut. Mazabane lui succéda. L’évêque d’Antioche, Babylas, mourut dans les chaînes après avoir confessé la foi ; il eut pour successeur Fabius.
Toute la fureur des persécuteurs se porta contre Origène, et l’on pourrait dire que le plus cruel des démons déchaîna contre lui tous ses suppôts et eut recours à tous les moyens qu’il put inventer pour le vaincre. Chargé de chaînes, il fut soumis à d’horribles tourments. On l’enferma dans un noir cachot et on lui mit un collier de fer. Pendant plusieurs jours, il eut les pieds dans des ceps écartés jusqu’au quatrième trou. On le menaça de le brûler vif ; mais les menaces ne le faisaient pas plus faiblir que les tourments. Ses persécuteurs tenaient à le vaincre plutôt qu’à le tuer. Leurs désirs furent trompés, et la mort de Décius rendit Origène à la liberté.
Ce grand homme écrivit lui-même à ses amis tous les détails des souffrances qu’il avait supportées. Le grand évêque d’Alexandrie, Denys, lui adressa un livre Du Martyre, comme il en avait adressé un lui-même à son ami Ambrosius. Denys, dans cet ouvrage et dans une lettre à Théoctiste, évêque de Césarée, donnait les plus grands éloges au savant docteur, au chrétien intrépide, qui avait courageusement souffert pour la foi après l’avoir si doctement prêchée et enseignée.
Origène mourut deux ans environ après avoir souffert pour la foi. Il était dans sa soixante-neuvième année (253).
Nous allons étudier ceux de ses ouvrages qui nous sont estés, afin de connaître la doctrine et les détails qu’ils contiennent sur la constitution et la discipline de l’Eglise de son temps.
Un célèbre écrivain latin du cinquième siècle, Vincent de Lérins, disait qu’aucun mortel n’avait écrit autant qu’Qrigène ; avant lui, Jérôme demandait : « Qui peut lire autant d’ouvrages qu’Origène en a écrit ? Il publia plus de mille traités qu’il avait prêchés dans l’Eglise, et d’innombrables commentaires qu’il appelle lui-même des tomes. » Le savant Jérôme le comparait à Varron, le plus fécond des écrivains latins, et se demandait de nouveau : « Qui peut en lire autant qu’il en a écrit ? »
On peut diviser les ouvrages qui nous sont restés en deux séries : les traités théologiques, les textes et les commentaires des Saintes Ecritures.
Dans la première série, nous plaçons les livres : De la Résurrection, Des Stromales, Des Principes, Contre Celse, De la Prière, Exhortation au Martyre.
Dans la deuxième, la Lettre à Africanus sur l’authenticité de l’histoire de Susanne ; la Lettre à Grégoire sur l’utilité de la philosophie pour l’interprétation des Saintes Ecritures ; ses Commentaires et Homélies sur les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament ; ses ouvrages bibliographiques intitulés : Heæaples et Tétraples.
La plupart des ouvrages d’Origène ne nous sont parvenus qu’en extraits ; plusieurs ont été interpolés, particulièrement celui qui est intitulé : Des Principes’, lequel a servi de base principale aux accusations d’hétérodoxie lancées contre le saint et savant écrivain. Nous aurons plus tard à raconter la polémique qui eut lieu au sujet de ces accusations. Pour le moment, nous devons nous borner à ces deux observations : qu’Ori-gène, attaqué de son vivant, défendit si bien son orthodoxie, que les évêques les plus saints de Palestine e d’Asie, comme Alexandre, de Jérusalem ; Théoctiste de Coesarée en Palestine ; Firmilien, de Coesarée en Cappadoce ; Grégoire-le-Thaumaturge et beaucoup d’autres, lui conservèrent jusqu’à la fin de sa vie, non-seulement leur estime, mais leur vénération ; de plus, dans toutes les attaques soulevées contre la doctrine orthodoxe, les évêques en appelèrent à la science d’Origène, qui se montra, en toutes circonstances, le savant et éloquent défenseur de la saine doctrine. Devant ces deux faits incontestables, il nous semble superflu de nous appliquer à défendre l’orthodoxie d’Origène. Nous croyons être dans le vrai en imputant aux interpolateurs de ses œuvres ce que l’on pourrait y rencontrer d’opposé à l’enseignement des autres Pères de l’Eglise. Ajoutons pourtant qu’Origène n’était pas et ne s’est jamais prétendu infaillible ; qu’il a pu se tromper de bonne foi sur certains points ; enfin, qu’un homme aussi profond que lui ne s’exprime pas toujours de manière à être compris de tous ses lecteurs indistinctement. Tout ce que l’historien impartial est en droit d’admettre, c’est qu’Origène fut un des hommes les plus savants et les plus vertueux que l’Eglise ait produits, et que, s’il se trompa, il n’eut jamais l’intention d’enseigner une erreur contraire à la doctrine de l’Eglise, qu’il ne fut jamais hérétique et encore moins chef d’un parti hérétique.
Nous ne pouvons-nous occuper des deux ouvrages d’Origène, De la Résurrection et des Stromates. Les quelques fragments qui nous en restent ne contiennent rien qui intéresse l’histoire. Le traité Des Principes nous est parvenu dans une traduction latine de Rufin, prêtre d’Aquilée. Le traducteur avoue que ce livre avait été déjà corrompu par les hérétiques, et que lui-même lui a fait subir quelques changements. Nous ne pouvons donc qu’accepter le fond de l’ouvrage, sans être en droit d’en attribuer à l’auteur tel ou tel détail en particulier qui pourrait bien appartenir soit à son interpolateur, soit au traducteur.
Au début du premier livre, Origène expose la règle de foi. La doctrine révélée doit être seule admise dans l’Eglise, et cela doit être regardé comme révélé qui s’est perpétué dans l’Eglise depuis la prédication apostolique, sans interruption. Les Apôtres ont enseigné le dogme même, laissant aux hommes studieux le soin de l’entourer de lumières et de démonstrations. Or, les dogmes principaux enseignés par les Apôtres sont ceux-ci : un l)ieu unique, vrai créateur de toutes choses ; ce Dieu s’est révélé par les Justes et les Prophètes de l’Ancien Testament, et enfin par Notre Seigneur Jésus-Christ. C’est ce Dieu juste et bon, Père de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous a donné la Loi, les Prophètes et les Evangiles ; il est le Dieu des Apôtres aussi bien que des Prophètes, le Dieu de l’Ancien comme du Nouveau Testament.
Cette exposition d’Origène est évidemment opposée à tous les hérétiques qui avaient dogmatisé jusqu’à son temps, et principalement aux gnostiques. Il continue ainsi de réfuter ces hérétiques en exposant la doctrine apostolique :
« Jésus-Christ, qui est venu dans le monde, est sorti du Père avant toute créature ; c’est par lui que tout a été créé. Il s’est fait homme et s’est incarné, quoiqu’il fût Dieu, et resta Dieu, quoiqu’il fût homme. Il prit un corps semblable au nôtre, avec cette différence qu’il le prit d’une vierge par le Saint-Esprit. Ce Jésus est réellement né ; il a réellement souffert, et il n’a pas souffert la mort seulement en apparence. Véritablement mort, il est véritablement ressuscité, et, après avoir vécu avec ses disciples, après sa résurrection, il est monté au ciel.
« Les Apôtres nous ont transmis que le Saint-Esprit est associé au Père et au Fils en honneur et en dignité. »
Après cette exposition de foi si nettement orthodoxe, qui n’est, au fond, que le symbole qui fut promulgué postérieurement à Nicée et que l’on trouve dans les Pères antérieurs à Origène, le docte théologien affirme qu’il est laissé à l’intelligence humaine le soin d’approfondir de hautes questions relatives à la nature divine du Fils et du Saint-Esprit. Ce passage est rendu d’une manière obscure et contradictoire par les divers interprètes d’Origène. On peut croire qu’il a été interpolé et que l’auteur voulait dire seulement qu’en dehors du dogme précis enseigné par les Apôtres on pouvait soulever des questions dont le but serait de jeter des lumières sur ces augustes vérités.
Origène expose ensuite la doctrine révélée sur l’âme humaine. L’âme jouit de la volonté et du libre arbitre, de sorte que nos actes ne nous sont pas imposés par üne nécessité quelconque. Le démon et ses anges cherchent à nous entraîner au mal ; mais nous avons la liberté de les écouter ou de rejeter leurs suggestions.
Quant à l’origine de l’âme, ajoute-t-il, commence-t-elle avec le corps et conjointement avec lui, ou a-t-elle une existence antérieure et est-elle jointe au corps au moment de sa production ? L’enseignement apostolique ne nous apprend-rien sur ce point.
Touchant le démon et ses anges, la prédication apostolique nous a appris qu’ils existent. Mais elle ne nous apprend rien sur leur nature et leur manière d’être. L’opinion la plus commune, c’est qu’ils sont des anges déchus.
En ce qui concerne le monde, l’enseignement apostolique est : qu’il a été créé, qu’il a commencé à une certaine époque et qu’il finira ; mais il ne nous dit point ce qui a existé avant ce monde et ce qui existera après.
On croit, dans l’Eglise, que la Sainte Ecriture, inspirée par le Saint-Esprit, possède, outre son sens littéral qui est clair, un sens plus profond que les plus habiles peuvent seuls saisir et déterminer clairement
On y croit aussi qu’il existe des anges et des puissances créées pour le service de Dieu et pour nous aider à faire notre salut. Mais à quelle époque ont-ils été créés ? quelle est leur nature ? L’enseignement apostolique n’est pas précis.
Origène a indiqué, de cette manière, les diverses matières qu’il voulait traiter dans son livre. Il a clairement indiqué la ligne de démarcation qui existe entre les dogmes et les questions que pouvait soulever la théologie. Ces questions, il ne les donne pas comme un objet de foi, mais comme des éclaircissements purement humains et qui pouvaient être plus ou moins justes.
Π ne faut pas perdre de vue ce point de départ du célèbre écrivain, afin de n’en pas faire un dogmatiseur, lorsqu’il voulait seulement être théologien et traiter les questions qui pouvaient être soulevées relativement aux dogmes, mais en dehors de ces dogmes eux-mêmes.
L’ouvrage Des Principes est divisé en quatre livres. Dans le premier, l’auteur traite de Dieu, du Christ, de l’Esprit-Saint, des natures douées de raison, de la fin dernière, des choses corporelles et incorporelles.
Dans le second, il traite du monde corporel, de l’action de Dieu dans ce monde par la création, par la révélation, par l’incarnation du Christ et par le Saint-Esprit ; du monde incorporel ou de l’âme, de son origine, de sa fin, de son avenir.
Dans le troisième livre, il étudie l’âme au point de vue moral et termine par des réflexions sur la fin du monde.
Le quatrième livre est consacré à l’inspiration des Saintes Ecritures.
Après avoir exposé le sens de différentes expressions dont on se sert dans l’Ecriture pour désigner Dieu, Origène établit qu’il est une intelligence pure, simple, complète, l’unité parfaite.
Le Christ est la sagesse de Dieu, sagesse substantielle qui a toujours été en Dieu ; autrement, il faudrait dire que Dieu a été d’abord sans sagesse. Elle a été en lui sans commencement, et cette sagesse exprimée est le Verbe, dont saint Jean a dit : « Le Verbe était Dieu, et, au commencement, il était en Dieu. Il est le Fils unique de Dieu, la vérité et la lumière. Mais il émane de Dieu le Père, et c’est ainsi qu’il est appelé Fils, et splendeur de l’éternelle lumière. Mais, de ce qu’il émane du Père, il ne faudrait pas en conclure que la nature divine est divisible et que le Fils n’a pas la même nature que le Père.
Origène développe cette doctrine en expliquant les passages de l’Ecriture dans lesquels il trouve une mention de la sagesse éternelle.
L’existence et les opérations du Saint-Esprit sont formellement indiquées dans les Ecritures, et son action, dans le monde, est une avec celles du Père et du Fils ; seulement, on peut indiquer un but’ direct de chaque opération. Celle du Père a pour but l’Etre celle du Fils ou du Verbe, la Raison ; celle du Saint-Esprit, la Sanctification. Quant à sa nature, elle est celle de Dieu lui-même ; autrement, il n’y aurait pas unité dans la Trinité.
Tel est le résumé des recherches théologiques d’Origène sur chacune des trois personnes de la Trinité. Sa doctrine est incontestablement très-orthodoxe.
Après avoir disserté, dit-il, sur le Père, le Fils et le Saint-Esprit, nous allons parler des natures douées de raison, des bonnes, des mauvaises et de celles qui tiennent comme l’intermédiaire. Il distingue ainsi les trois personnes divines des êtres créés ; et, dans l’échelle des êtres créés, il donne le premier rang aux natures raisonnables parmi lesquelles il distingue trois degrés qui correspondent aux anges, aux démons, aux âmes humaines.
Selon sa méthode ordinaire, il passe en revue tous les textes scripturaires relatifs aux sujets qu’il traite, et il le fait avec une érudition étonnante et une admirable profondeur. Il énumère les divers ordres des anges et des démons et se pose, à leur sujet, une foule de questions qu’il cherche à résoudre, surtout à l’aide des écritures. On conçoit que, sur ce point, il avait libre carrière, car l’Eglise n’a ni reçu ni enseigné, sur ces divers points, de doctrine déterminée d’une manière certaine. Origène ne donne pas ses opinions comme des articles de foi, mais seulement comme des systèmes qui lui semblaient plausibles. La conclusion de ses recherches, c’est que, en dehors des trois personnes divines, aucun être n’a la sainteté par essence ; c’est pourquoi les démons sont tombés de la sainteté dans laquelle ils avaient été créés, et les bons anges ne la conservent que par la grâce de Dieu et le bon usage de leurs facultés.
Sur ce sujet encore, la doctrine d’Origène est incontestablement aussi orthodoxe que raisonnable.
Mais il pousse plus loin ses investigations et Se demande si les natures douées de raison et déchues, comme les démons, persévéreront indéfiniment dans leur malice ; ou si, dans un temps indéterminé, elles feront un bon usage de leur libre arbitre pour rentrer dans l’ordre. Il admet cette seconde opinion. Il ne croyait pas pécher contre l’orthodoxie en donnant comme une opinion probable que les anges déchus n’étaient pas condamnés d’une manière irrévocable et qu’ils se réhabiliteraient aux yeux de Dieu.
Il ne faut pas oubli et qu’il déclarait, sur ce sujet, n’émettre qu’une opinion personnelle.
Passant à la nature des êtres doués de raison, Origène affirme qu’ils sont incorporels. Mais ils n’en ont pas moins été créés par Dieu. Quant à leurs fonctions, il croit pouvoir affirmer que les divers ordres des anges sont préposés aux corps célestes dont ils sont comme les âmes. En vertu des mérites qu’ils ont acquis avant l’établissement du monde, ils ont reçu des missions diverses, soit dans le monde céleste, soit dans l’humanité. Les êtres spirituels n’ayant pas de sainteté qui leur fût propre, ont pu pécher. Dieu seul, dans ses trois personnalités, est la sainteté par essence. Les mérites des autres êtres spirituels sont donc proportionnés au degré de bien qu’ils ont pratiqué. De là les diverses missions qui leur ont été confiées, selon leurs mérites.
De même, les démons exercent différentes fonctions mauvaises, en raison de l’espèce de mal qu’ils ont fait.
Les âmes humaines obtiennent également divers degrés de mérite aux yeux de Dieu, selon le bien qu’elles font. Mais, ajoute Origène, nous rejetons comme absurde et contraire à la foi l’opinion de ceux qui affirment qu’elles peuvent passer dans le corps de certains animaux, en raison des péchés qu’elles auraient commis.
Tel est le résumé du premier livre du fameux ouvrage des Principes. Nous l’avons analysé avec la plus scrupuleuse exactitude ; nous en concluons qu’on a attribué à Origène beaucoup d’opinions qu’il n’y a pas émises, et qu’il en professe qui leur sont diamétralement opposées.
Dans le second livre, il se pose ces questions : Qu’est-ce qui existait avant la création du monde ; qu’est-ce qui existera lorsqu’il, sera détruit ? Il pense que, avant le monde actuel, il en existait un autre dont les êtres, par leurs actes libres et variés, ont donné naissance au monde actuel, dont les êtres, variés à l’in-, fini, engendreront ceux qui devront composer le monde futur. Origène a soin de placer au-dessus de ces transformations successives l’action de Dieu, premier créateur de tous les êtres, sans distinction, et qui a posé la loi des transformations résultant du libre arbitre dont tous les êtres raisonnables sont doués. Les êtres matériels eux-mêmes se transforment sans cesse en substances nouvelles. La matière a Dieu pour auteur, et il est absurde de dire qu’elle est coéternelle à Dieu et qu’elle a
en elle-même son principe. Mais Dieu qui l’a créée a mis en elle des qualités qui font qu’elle se transforme de diverses manières. Les êtres raisonnables sont sujets à des transformations analogues.
Mais les êtres raisonnables, c’est-à-dire spirituels, peuvent-ils exister sans être unis à la matière ? Dieu n’est-il pas le seul qui soit, dans sa triple personnalité, une intelligence pure ? Origène le pense ~. Nous avons vu précédemment qu’il considère les astres comme les corps des différents esprits célestes.
De même que le monde primitif a donné naissance au monde actuel ce dernier donnera-t-il naissance à un monde futur dans lequel entreront les hommes saints pour y être plus heureux, et les hommes coupables après avoir expié leurs péchés par des châtiments en rapport avec leur gravité ? Origène le croit. D’où l’on peut conclure qu’il ne regardait l’éternité des peines que comme une durée indéfinie, mais qui aurait cependant un terme. D’après lui, tous les êtres spirituels seront de nouveau revêtus de leurs corps, car le corps est une condition essentielle de leur existence. Dieu seul, dans sa triple personnalité, est exempt de cette nécessité. Seulement, les corps ressuscités seront comme spiritualisés et au-dessus des atteintes d’une nouvelle mort.
Dieu étant l’auteur des mondes, ceux-là se sont trompés qui ont prétendu qu’il n’était pas l’auteur de l’Ancien Testament. Origène répond, sur ce point, aux objections des gnostiques. Il continue cette réfutation en dissertant d’une manière très-profonde sur le bien et sur le juste, distinction dont les hérétiques abusaient. Puis, il arrive à parler de l’Incarnation, principe de régénération pour le monde. Origène traite ce sujet avec une admirable éloquence et beaucoup de profondeur. Il admet en Jésus-Christ la double nature divine et humaine, et s’attache à la partie spirituelle de l’humanité, c’est-à-dire à l’âme de Jésus-Christ. Cette âme, capable théoriquement de bien et de mal, puisqu’elle avait le libre arbitre, fut portée vers Dieu avec une telle perfection qu’elle fut incapable de péché. Unie au Verbe, elle était semblable à un fer qui serait constamment soumis à un feu ardent, et qui resterait par conséquent dans un état d’incandescence. « Cette âme, comme le fer dans le feu, fut toujours dans le Verbe, toujours dans la sagesse, toujours en Dieu ; tous ses actes, tous ses sentiments, toutes ses pensées, c’était Dieu. Elle ne pouvait pas changer, car elle possédait l’immutabilité dans l’unité enflammée du Verbe de Dieu. »
Toutes les réflexions d’Origène ont ce but : Jésus-Christ fut homme mais ce qu’il y avait en lui d’humanité a été sous l’influence de la Divinité, de sorte qu’il fut homme-Dieu, et que sa personne était divine.
Après avoir considéré le Verbe incarné relativement au monde, Origène considère, sous le même rapport, le Saint-Esprit, dont il a établi précédemment la Divinité. Cet Esprit fut le même dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament ; c’est lui qui a inspiré les Prophètes aussi bien que les Apôtres. Sous l’Ancien Testament, ses communications étaient restreintes et pour ainsi dire individuelles ; sous le Nouvéau, son action est générale. Cette action générale se diversifie selon les individus auxquels il accorde tel ou tel don, selon qu’ils le méritent. Il est appelé Paraclet ou Consolateur, parce que ceux qui méritent de le recevoir en éprouvent une grande consolation intérieure. Les hérétiques qui ont voulu distinguer entre le Paraclet et le Saint-Esprit, sont tombés en de nombreuses erreurs ; le Paraclet et l’Esprit-Saint, personne de la Trinité, est la même chose.
Origène traite ensuite de l’âme. Par ce mot, il entend d’abord le principe vital qui se trouve en tout ce qui vit, même dans les animaux, dont l’organisme est le plus simple et qui vivent dans l’eau ’. Dans ce sens général, l’âme est le principe de la sensation et du mouvement. L’homme est doué, comme les animaux, de cette âme. La source de cette âme est dans le sang pour les êtres qui en possèdent, ou dans le liquide qui le remplace chez certains animaux ; mais elle possède un développement plus élevé dans l’homme. Les anges ont-ils un principe vital ? Il est certain qu’il existe en eux un principe de sentiment et de mouvement. Au point de vue mystique, le principe de vie et de mouvement, l’âme, peut devenir Esprit par le développement que lui donne la chaleur divine et l’esprit peut tomber à l’état simple d’âme, s’il se refroidit, en s’éloignant de Dieu. De là, deux sortes d’hommes : l’homme animal et l’homme spirituel.
On peut rapprocher ce que dit ici Origène, de la doctrine de Tertullien sur l’âme. Il en est qui ont conclu, des théories de ces deux écrivains, qu’ils étaient matérialistes. Cette, conséquence n’est pas juste. L’un et l’autre croyaient à l’âme distincte du corps, à sa spiritualité, à son immortalité. Seulement, voulant exposer en quoi consiste la spiritualité, ils imaginaient une substance qui n’avait pas la spiritualité véritable, laquelle serait, d’après eux, un attribut appartenant exclusivement à Dieu, et qui, d’un autre côté, n’avait pas la nature du corps lui-même. Ils lui donnaient toutefois le nom de substance corporelle en ce sens qu’elle était circonscrite par l’espace.
Ils peuvent avoir enseigné, sur la nature et l’origine de l’âme, des théories inexactes ou fausses sans que l’on soit en droit de leur reprocher de n’avoir pas distingué l’âme de l’organisme. Ils l’en distinguaient si bien qu’ils en font le principe même du mouvement et du sentiment. Ils admettaient donc un principe en dehors de la sensation elle-même et du mouvement. De plus, Origène, comme Tertullien, admettait la vie future avec ses-récompenses ou ses peines et la vie immortelle après la résurrection du corps. On peut donc reprocher à leurs théories sur l’âme certaines inexactitudes philosophiques ; mais ils n’enseignèrent pas le matérialisme.
Origène se demande ensuite qu’elle a été l’origine du monde et la raison que Dieu a eue de le créer. ^
Dieu fit d’abord les créatures intellectuelles ou raisonnables, quelque soit le nom qu’on leur donne.. Il ne leur donne pas le titre de spirituelles ; nous avons expliqué pourquoi. Dieu a créé les êtres intellectuels en nombre déterminé ; ce qu’il a fait également pour les êtres matériels.
Le ciel et la terre, lesquels d’après Moïse furent créés au commencement, n’étaient pas le firmament et l’élément aride auxquels on donna depuis les noms de ciel et de terre. Le ciel primitif et la terre primitive formaient comme un premier monde où se trouvaient des éléments raisonnables et corporels. Ce monde jouissait de la liberté, et Dieu avait posé cette loi : que l’abus du libre arbitre ou le mal, comme son usage légitime ou le bien, donneraient naissance à des variétés d’êtres qui se développeraient dans le monde. De là les variétés qui existent aujourd’hui dans les mondes invisible et visible, et dans chacun de ces mondes des êtres avec leurs caractères divers et leurs natures différentes.
Tout ayant été créé par le Christ qui est Verbe et Sagesse de Dieu, tous les êtres ont été nécessairement créés dans la justice. Comment donc expliquer la diversité qui existe aujourd’hui ? Origène réfute les erreurs de Marcion, de Valentin et de Basilidis sur l’origine du mal ; il affirme que tout a été créé par Dieu pour lui-même, c’est-à-dire pour sa bonté. Mais il a doué les créatures raisonnables du libre arbitre, et l’abus du libre arbitre suffit pour expliquer le mal qui existe dans le monde, et qui ne peut être attribué à Dieu.
A la fin de ce monde auront lieu la résurrection et le jugement. Ce qui meurt dans l’homme, c’est le corps. C’est le corps qui ressuscitera. Les corps des saints sont comparés par l’Apôtre aux corps célestes ; ceux des pécheurs, aux corps des plus vils animaux. Il y aura entre les uns et les autres une grave différence au moment de la résurrection. Mais les uns et les autres jouiront d’une nature indestructible, de sorte que les pécheurs eux-mêmes, condamnés au feu éternel, ne seront pas détruits par ce feu.
Mais que signifie cette menace du feu éternel ? Origène n’y voit qu’une métaphore pour peindre la peine du pécheur ressuscité brûlé du remords du mal qu’il a commis pendant sa vie mortelle.
Quant aux promesses du monde futur qui succédera au monde présent, que doit-on en penser ? Origène réfute ceux qui se faisaient du monde futur, une idée toute matérielle, et qui espéraient y trouver toutes les jouissances corporelles. Le bonheur y sera tout spirituel, dit Origène, et il s’étend principalement sur les lumières dont on sera doué.
Dans le troisième livre, Origène revient sur plusieurs questions qu’il avait traitées afin de leur donner plus de développement. Il s’étend longuement sur le libre arbitre comme cause du mal par l’abus que la créature raisonnable en a fait. Il établit ensuite que des puissances contraires, les anges et les démons, exercent sur l’homme de l’influence pour le conduire, soit au bien soit au mal. Il explique la distinction qui existe entre la sagesse du monde, celle des Princes de ce monde, et celle de Dieu.Il donne les raisons des tentations humaines ; revient sur l’origine du monde et sur sa fin.
Nous avons exposé suffisamment sa doctrine sur ces divers points.
Le quatrième livre Des Principes, est consacré à la Sainte Ecriture. L’auteur explique que les Saintes Ecritures ont été inspirées et comment il faut les interpréter.
Il termine par un résumé général de tout son ouvrage. Il s’exprime d’une manière remarquable sur la génération éternelle du Verbe. Le Père ne l’a pas engendré d’une partie de sa substance, ni en dehors de sa substance. Son Verbe a eu de toute éternité la même substance que lui, comme la volonté a la même substance que l’âme.
Nous avons déjà indiqué, dans les Pères antérieurs et spécialement dans saint Justin la doctrine de la con substantialité du Verbe clairement enseignée.
« Comment peut-on affirmer, dit Origène, qu’il y eut un temps où le Fils n’était pas ? C’est comme si l’on disait qu’il fut un temps où la Sagesse n’était pas, où la Vérité n’était pas, où la Vie n’était pas, quoiqu’elles forment la substance du Père lui-même, et qu’elles ne peuvent être séparées de sa substance. »
Toute idée de temps doit disparaître dès qu’il s’agit de la Trinité. Elle est éternelle : le temps n’est venu que pour mesurer l’existence des êtres contingents ou créés.
La doctrine d’Origène sur la Divinité de la personne du Christ et sur son humanité est exposée d’une manière aussi orthodoxe que sur la Trinité.
Nous nous sommes étendu assez longuement sur l’ouvrage Dés Principes afin d’établir qu’Origène y a été très-orthodoxe en ce qui concerne les bases fondamentales de la foi ; et que l’on n’y trouve pas toutes ces opinions erronées que des adversaires passionnés lui ont attribuées. Si Ruffin, son traducteur, a modifié quelques passages dans un sens orthodoxe, ce n’était point pour corriger l’œuvre du savant docteur d’Alexandrie, mais pour faire disparaître les interpolations dont les hérétiques l’avaient souillé. L’auteur s’y était proposé un double but : d’abord, réfuter les hérétiques qui avaient attaqué la doctrine orthodoxe, en leur opposant cette doctrine telle que l’Eglise l’enseignait ; puis répondre à leurs objections, en se plaçant comme eux sur le double terrain de la philosophie et de l’exégèse biblique.
Sur quelques détails, Origène peut avoir émis des opinions contestables. Mais son ouvrage renferme de si belles choses et tant de vraie philosophie chrétienne qu’il mérite d’être approfondi par les théologiens les plus savants. Ils y puiseront certainement beaucoup de lumières, et le trouveront digne d’être placé à côté du bel ouvrage Contre Celse.
Ce dernier ouvrage nous est parvenu en entier. C’est une des plus doctes apologies du christianisme qui aient été écrites. Il est divisé en huit livres. Il contient la démonstration de la divinité du christianisme, et des réponses à toutes les objections que les adversaires de la religion ont élevées contre elle, dans tous les temps.
Celse avait vécu sous l’empereur Adrien, c’est-à-dire dans la première moitié du deuxième siècle. Par son âge, il était donc très-rapproché des temps apostoliques, ce qui donne à ses objections contre le christianisme une très-grande importance historique. Il n’y conteste ni la vie, ni les miracles, ni les prédications, ni la mort, ni la résurrection de Jésus-Christ. Il accepte l’authenticité des Evangiles, et s’appuie sur eux comme sur des documents historiques. Seulement, il cherche à expliquer les miracles et la résurrection de Jésus-Christ d’une manière naturelle, ou au moyen de procédés magiques, et il cherche à le trouver en défaut sur la doctrine.
Origène le suit pas à pas et répond à toutes ses objections soit contre les actions, soit contre les doctrines de Jésus-Christ.
Dans ce beau livre, le christianisme apparaît comme une religion divine ; annoncée et figurée dans les prophéties de l’Ancien Testament ; appuyée sur le miracle, c’est-à-dire sur le fait divin qui en prouve l’origine surnaturelle. Toutes les actions de Jésus-Christ y sont présentées comme ayant le caractère positif que relate si clairement l’Evangile, et non pas comme des mythes et des symboles. Jésus-Christ y apparaît comme le vrai Fils de Dieu, le Verbe incarné, opérant de vrais miracles pour prouver la divinité de sa mission.
On peut dire que, au commencement du troisième siècle, Origène a répondu d’avance à tous les systèmes anti ou pseudo-chrétiens qui ont été soulevés jusqu’à nos jours. On peut ajouter que Celse lui-même y avait répondu, un siècle auparavant, et alors que retentissait encore la voix apostolique ; car ses objections prouvent que le christianisme prêché par les apôtres était bien ce christianisme positif qu’Origène défendait contre lui un siècle plus tard, et que les chrétiens orthodoxes admettent encore aujourd’hui.
Les adversaires d’Origène n’ont jamais pu indiquer la moindre tache dans son grand ouvrage Contre Celse. La raison en est simple : c’est qu’il nous est parvenu dans sa pureté primitive, et non pas simplement traduit ou interpolé par les hérétiques. Cet ouvrage ne peut être analysé dans une histoire. Il suffira d’en avoir indiqué le caractère général et de dire que le savant, aussi bien que le théologien, y trouvera les renseignements les plus précieux.
Dans la première série des œuvres d’Origène, nous avons placé le livre de la Prière et l’Exhortation au martyre.
Le premier ouvrage a un caractère tout théologique et apologétique. Il contient quelques détails intéressants pour l’histoire. C’est ainsi qu’Origène mentionne les Psaumes et les poésies dont on se servait dans l’Eglise pour prier Dieu. Il réfute les hérétiques qui rejetaient tout culte extérieur, et qui, sous prétexte de prière intérieure, allaient jusqu’à rejeter le Baptême et l’Eucharistie. Il dit que nos prières sont portées à Dieu par le Christ, notre pontife et notre médiateur, mais que les saints aussi prient pour nous, et il s’étend sur la charité fraternelle, laquelle ne les abandonne pas lorsqu’ils sont dans un monde meilleur et les porte à prier pour ceux qui combattent encore dans le monde actuel.
La belle et consolante doctrine de la communion des saints survivant à la mort elle-même, n’est donc pas une nouveauté dans l’Eglise, comme quelques-uns l’ont prétendu ; et les saints ne sont point étrangers à ce qui se passe en ce monde, dans l’ordre du salut. C’est là un dogme éminemment chrétien et la conséquence nécessaire des doctrines de l’Eglise sur le monde invisible, sur la vie au-delà du tombeau, et sur la communion des fidèles ou des saints. Cette communion, la mort ne peut l’interrompre, puisque, pour le chrétien, la mort n’est que le commencement d’une nouvelle vie ; vie provisoire, pour ainsi dire, jusqu’à la résurrection, mais qui sera parfaite lorsque le corps, revêtu d’immortalité, sera de nouveau uni à l’âme, son principe de vie. Les âmes survivant a leur séparation d’avec le corps, pourquoi une communion spirituelle ne subsisterait-elle pas entre elles ? Comment, le corps n’y étant pour rien, ce corps par sa dissolution pourrait-il être un obstacle aux communications spirituelles ? « Je pense, dit Origène, que la prière toute spirituelle des saints à la’ puissance de détourner de ceux qui ne prient pas sans cesse le poison que les Puissances ennemies cherchent à infiltrer dans les âmes. La science, la raison et la foi nous présentent l’âme du saint comme envoyant un trait qui blesse à mort les esprits ennemis de Dieu qui essayent de nous enlacer dans les liens du péché. »
Cette doctrine est celle de l’Eglise orthodoxe qui ne fait point des saints comme des médiateurs entre Dieu et l’humanité, mais des amis qui prient pour leurs frères, dans l’autre monde comme en celui-ci.
Origène envisage la prière au point de vue philosophique comme au point de vue chrétien ; il en établit la raison, la nécessité, l’efficacité par le mérite de Jésus-Christ, grand Pontife des chrétiens. La doctrine orthodoxe est exposée d’une manière complète. Comme toujours, le savant exégète groupe les témoignages scripturaires relatifs à son sujet, et il en tire toutes les conséquences avec une admirable pénétration. Il distingue parfaitement la vraie prière des sollicitations ou demandes que l’on peut s’adresser mutuellement. La vraie prière est un acte d’adoration ; on ne peut s’adresser qu’à Dieu, c’est-à-dire à l’essence divine, de sorte qu’on ne peut prier le Fils sans prier le Père. Il paraît que de son temps déjà, quelques chrétiens voulaient prier le Fils comme une Divinité séparée du Père ; il s’élève contre cette pratique très-absurde ; la prière ne doit être adressée, qu’à Dieu ou à l’essence divine, et par la médiation de Jésus-Christ, Dieu-homme et médiateur. Le Christ, Dieu-homme est notre Pontife et notre frère ; il est chargé de transmettre nos prières. Comme Fils de Dieu et Verbe, il ne fait qu’un avec le’ Père, et ne peut recevoir, en dehors du Père, aucun acte d’adoration.
Origène termine son livre sur la prière par un admirable commentaire de l’Oraison dominicale, laquelle, comme toute prière doit être adressée à Dieu, par Jésus-Christ et dans le Saint-Esprit.
Ce traité est dédié à Ambrosius, ce riche ami qui avait tant contribué à la publication des ouvrages d’Origène, et à Tatiana qui, sans doute, était la femme d’Ambrosius, laquelle se serait appelée Marcella Tatiana.
C’est aussi à Ambrosius qu’Origène dédia son Exhortation au martyre, ouvrage où la science se joint au zèle pour exposer les vraies conditions du martyre chrétien. Nous avons dit en quelles circonstances il composa cet ouvrage.
La réponse à Africanus sur l’authenticité de l’histoire de Susanne racontée dans les Prophéties de Daniel, appartient, selon nous, à la série des travaux d’Origène sur les Saintes Ecritures. Viennent ensuite les textes et traductions qu’il vérifia et mit en regard dans ses Octaples, ses Hexaples et ses Tétraples ; enfin ses Homélies et Commentaires sur les divers livres de l’Ecriture.
La plupart de ces ouvrages ne nous sont parvenus que par fragments. C’est un malheur sans doute irréparable, car il n’y a guère lieu d’espérer que l’on trouve jamais des manuscrits complets. Mais les fragments que l’on possède sont précieux pour établir la saine doctrine enseignée du temps du savant théologien, et fixer le sens d’un grand nombre de textes bibliques. Ils se rapportent à la Genèse, à l’Exode, au Lévitique, aux Nombres, au Deutéronome ; aux Livres de Josué, des Juges, de Job ; aux Psaumes ; aux Proverbes de Salomon, au Cantique des Cantiques ; aux prophéties d’Isaïe, de Jérémie, d’Ezéchiel et d’Osée ; aux Evangiles de saint Mathieu, de saint Luc et de saint Jean ; aux Actes des Apôtres ; aux épîtres de saint Paul aux Romains, aux Galates, aux Ephésiens, aux Colossiens, première aux Thessaloniciens, à Titus ; aux épîtres, à Philémon et aux Hébreux.
On trouve, dans les œuvres d’Origène, plusieurs passages relatifs aux rites de l’Eglise, en usage de son temps. En expliquant le texte évangélique relatif aux clefs transmises à saint Pierre et confiées à l’Eglise, le savant docteur entend, par les clefs, la rémission des péchés. D’autres pères de l’Eglise, en particulier saint Ambroise, ont donné le même enseignement. Origène affirme donc que tout fidèle a reçu les clefs aussi bien que saint Pierre, puisqu’il peut obtenir de Dieu rémission de ses propres péchés, et remettre aux autres les offenses qu’il en aurait reçues. Mais on aurait tort d’en conclure qu’il n’admettait pas, dans l’Eglise, le ministère de la rémission des péchés, exercé par les prêtres.
D’abord il reconnaît dans l’Eglise les ordres ecclésiastiques et principalement les plus élevés : l’épiscopat, la prêtrise et le diaconat, chargés de gouverner l’Eglise sous son unique chef qui est Jésus-Christ. Parmi les ministères confiés aux pasteurs de l’Eglise, il indique la rémission des péchés, et, à ce propos, il s’exprime touchant la confession, d’une manière très-remarquable.
Plusieurs expressions d’Origène prouvent que, au commencement du troisième siècle, la confession particulière était en usage, et que la confession publique ne devait être faite qu’en certaines circonstances. On conçoit que, dans les temps apostoliques, où la plupart des fidèles étaient des saints, la confession publique ait été d’un usage ordinaire. Mais, à mesure que les membres de l’Eglise devinrent plus nombreux, il y en eut un certain nombre qui n’avaient guère de chrétien que le nom et qui avaient conservé des mœurs païennes.
Pour ceux-là, leur confession publique fût devenue un scandale pour les autres fidèles. L’usage s’établit donc qu’avant la confession publique, aurait lieu la confession particulière.
Pour les pécheurs scandaleux et publics, on les chassait de l’Eglise, dès que leurs mauvaises mœurs étaient un fait notoire, mais il y avait d’autres pécheurs aussi criminels, mais dont les vices étaient cachés. Bien qu’ils aient la foi, dit Origène, ils ne se préoccupent pas de corriger leurs mœurs. Ils viennent à l’Eglise, s’inclinent devant les prêtres, se montrent dévoués pour les serviteurs de Dieu, font l’aumône pour l’autel ou l’Eglise, mais sans quitter leur ancienne vie, et en demeurant dans les souillures et les vices. C’est ainsi que l’Eglise ne peut être absolument pure sur la terre et que l’ivraie s’y trouve mêlée au bon grain.
On comprend que la confession publique n’ait pu être maintenue pour de tels chrétiens. Par la force même des choses, l’institution primitive et apostolique de la confession dut être modifiée dans sa forme, et selon les circonstances, en conservant la pensée primitive. Nous citerons plus bas un texte remarquable sur la confession, comme moyen de purification des péchés.
Origène donne des détails intéressants sur le Baptême tel qu’il était administré de son temps. « Toi, dit-il, qui aspire à sortir de l’idolâtrie, pour être instruit de la loi de Dieu, tu commences à quitter l’Egypte. Tu as passé la mer Rouge lorsque, déjà catéchumène, tu commences à observer les lois de l’Eglise. Tu sors du désert et tapasses le Jourdain pour entrer dans la terre promise sous la conduite de Jésus, lorsque tu viens à la fontaine mystique du baptême et qu’en présence de l’Ordre sacerdotal et lévitique, tu es initié à ces mystères vénérables que connaissent ceux-là seulement qui sont initiés. »
Ailleurs, il parle ainsi du rite baptismal : « Lorsque, nous venons à la grâce du Baptême, nous confessons un seul Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. Chaque fidèle renonce au diable, à ses pompes, à ses œuvres, à toutes les voluptés qui nous rendent ses esclaves. » Il fait allusion aux vêtements dont les catéchumènes étaient revêtus après avoir été baptisés. Enfin, il mentionne le Baptême des enfants, qui étaient baptisés parce qu’ils étaient impurs au moment de leur naissance.
Ce passage est très-remarquable et prouve que, dès le commencement du troisième siècle, l’Eglise était déjà dans l’usage de baptiser les enfants.
L’effet du Baptême est, selon Origène, la rémission des péchés ; dans la fontaine baptismale l’inscription du péché est clouée à la croix du Christ et effacée. A ce propos, il nous semble très-important de traduire un magnifique passage touchant la rémission des péchés et les moyens de l’obtenir. Après avoir parlé des divers sacrifices de l’ancienne loi, il ajoute : « Mes auditeurs qui appartiennent à l’Eglise diront peut-être : La condition des anciens était meilleure que la nôtre, puisqu’il leur était si facile, au moyen de certains sacrifices, d’obtenir la rémission des péchés, tandis que nous, nous n’avons qu’un moyen de l’obtenir, la grâce du baptême, qui nous est donnée au début de la vie chrétienne. Après elle, nous n’avons plus aucun moyen d’obtenir le pardon. Pour eux, on immolait des béliers ou des boucs ; pour toi, le Christ lui-même est mort, et il te plairait encore de pécher ? Tu sais quels étaient les moyens expiatoires de l’ancienne loi ; écoute quels sont ceux dont tu jouis sous l’Evangile. Le premier, c’est le baptême ; le second, le martyre ; le troisième, l’aumône ; le quatrième, le pardon des offenses ; le Cinquième, la conversion du cœur ; le sixième, l’amour de Dieu. Il en est encore un septième, dur et laborieux, la pénitence, lorsque le pécheur lave ses fautes dans ses larmes ; lorsque ses larmes deviennent son pain nuit et jour et qu’il n’a pas honte de venir accuser Son péché au prêtre du Seigneur et lui demander le remède, comme celui qui a prononcé ces paroles : « J’ai dit : Je dénoncerai contre moi mon injustice au Seigneur, et tu m’as pardonné l’iniquité de mon cœur. » (Psalm. xxxi.) Alors, aussi, est accompli ce qu’a dit l’apôtre Jacques : « Si quelqu’un est malade, qu’il appelle les prêtres de l’Eglise, qui lui imposeront les mains et lu feront l’onction au nom du Seigneur ; et la prière de foi sauvera le malade, et, s’il a des péchés, ils lui seront remis. »
Origène indique ainsi deux moyens d’obtenir la rémission des péchés par le ministère sacerdotal. Mais ce ministère ne peut être efficace que si le pénitent y joint le repentir et des œuvres de pénitence, parmi lesquels Origène indique les larmes, les mortifications de la chair et le jeûne.
Telle était, au commencement du troisième siècle, la doctrine de l’Eglise sur les moyens de justification, Origène l’expose évidemment comme une doctrine antique et non contestée. Elle venait donc des temps apostoliques, si rapprochés de celui où il la prêchait aux fidèles dans l’Eglise, avec l’approbation des plus anciens et des plus saints évêques.
La doctrine d’Origène sur l’Eucharistie a été le sujet d’une vive discussion entre les savants. Si la passion et l’esprit de parti avaient été écartés de la discussion, il eût été facile de s’entendre. Origène distingue, dans l’Eucharistie, la partie spirituelle et vraiment sanctifiante, c’est-à-dire la communication avec le Verbe divin ; et la partie, pour ainsi dire, matérielle, qui consiste dans les éléments visibles, c’est-à-dire le pain et le vin sanctifiés par la prière. Faisant abstraction de la communication du Verbe, Origène affirme que le pain et le vin ne sont en eux-mêmes que des éléments matériels, participant à la nature sensible du pain et du vin ordinaire, et que ce n’est point dans la participation à ces éléments que consiste véritablement la communion, abstraction faite de la communication spirituelle avec le Verbe.
Des théologiens modernes n’ont voulu apercevoir, dans les œuvres d’Origène, que cette doctrine, et ils ont donné au mot spirituel un sens qu’il n’a pas dans les ouvrages du saint docteur d’Alexandrie et qui exclurait la réalité.
S’ils avaient mieux étudié les ouvrages de ce grand homme, ils ne lui auraient pas attribué cette doctrine. Car il affirme, en plusieurs endroits, que la communication avec le Verbe est réelle, par le moyen de la communion sensible, c’est-à-dire la participation au pain et au vin sanctifiés par la prière.
Il distingue parfaitement deux communions : l’une, purement spirituelle, qui consiste dans la foi à la parole du Christ, et la seconde, qui a lieu par le rit des sacrements. Comment communie-t-on au Christ par le rit des sacrements ? Origène répond, dans son ouvrage contre Celse : « Nous qui nous appliquons, dit-il, à plaire au Créateur de toutes choses en le priant et en lui rendant grâces pour les bienfaits que nous en avons reçus, nous mangeons des pains qui, par la prière, sont devenus son corps et qui, étant une chose sainte, sanctifient ceux qui y participent avec de bonnes intentions. »
Voici un autre texte, plus clair encore, si cela est possible : « Vous qui avez l’habitude, dit-il, d’assister aux divins Mystères, vous savez, lorsque vous recevez le corps du Seigneur, avec quel soin, avec quelle vénération vous le conservez, et vous veillez à ce qu’aucune partie ne tombe ou ne se perde. Vous vous croyez coupables, et avec raison, si, par votre faute, quelque partie tombe à terre. Si vous avez tant de soin pour conserver son corps, comment pouvez-vous penser être moins coupable en négligeant sa parole ? »
Enfin, pour ne laisser aucun doute, il oppose la réalité du Nouveau Testament aux figures de l’Ancien. « Autrefois, dit-il, le baptême était en figure dans la nue et dans la mer. Maintenant, il consiste dans la régénération par l’eau et le Saint-Esprit. La manne était une nourriture figurative ; maintenant, la chair du Verbe de Dieu est une vraie nourriture, comme il l’a dit lui-même : Ma chair est vraiment une nourriture et mon sang est vraiment un breuvage. »
On ne peut donc se tromper sur la vraie doctrine d’Origène, lorsqu’on a soin de rapprocher les uns des autres les textes qui ont trait au même sujet, qui s’expliquent parfaitement les uns par les autres, et qui offrent ainsi un moyen sûr de connaître ses véritables sentiments.
D’après l’étude approfondie que nous avons faite des œuvres d’Origène, telle est notre opinion sur ce grand homme :
Il n’a élaboré aucun système particulier de doctrine.
Les dogmes qu’il admettait étaient ceux que Tertullien, Irénée, Justin, Théophile d’Antioche, Clément de Rome avaient enseignés avant lui.
Il essaya une philosophie du christianisme, c’est-à-dire qu’il tenta de tirer, à l’aide de la logique et des textes comparés de la Bible, certaines déductions des dogmes de foi, sans contester ni expliquer ces dogmes eux-mêmes. Non-seulement il ne doutait pas de la sainte Ecriture, mais il la prenait pour guide dans sa philosophie, en subordonnant toujours son exégèse particulière à la foi traditionnelle qu’il avait reçue comme un dépôt sacré des Apôtres et des Pères. Parce qu’il a voulu approfondir toutes les questions qui pouvaient découler de la doctrine révélée, on a voulu quelquefois faire de lui un génie libre, volant de ses propres ailes et posant la liberté comme base de ses opinions. Les écrivains qui ont donné cette idée d’Origène ont obéi à un système qui pouvait leur sourire ; mais ils se sont placés en dehors du vrai, et ils ont prouvé qu’ils n’avaient fait qu’une étude très-superficielle des œuvres du docteur d’Alexandrie.
Après l’analyse que nous avons faite du fameux livre Des Principes, nous n’avons pas à nous étendre sur la doctrine qu’il a exposée sur Dieu un en essence et triple en personne ; sur son action, qui s’est toujours exercée, mais qui n’a pas toujours eu pour effet l’être créé en dehors de lui. S’il donne le libre arbitre comme cause du bien et du mal dans la créature créée libre et intelligente, par le bon usage ou l’abus qu’elle a fait de cette liberté, le savant écrivain n’ôte rien à l’influence de Dieu qui, par ses anges, soutient l’homme qui veut faire le bien et le protège contre les atteintes de l’Esprit du mal. La haute importance qu’il attribue à la rédemption par le Verbe incarné dit assez combien il regardait la liberté de l’homme comme blessée par la déchéance et comme ayant besoin de remède pour opérer le bien.
On peut certainement, en choisissant quelques membres de phrases isolées, attribuer à Origène, comme à tous les écrivains philosophes, des systèmes que l’on voudrait lui voir soutenir, lorsqu’on a accepté telle ou telle doctrine a priori. Un grand nombre d’auteurs sont tombés dans ces fausses interprétations. C’est pour éviter ce grave inconvénient que nous nous sommes attaché à analyser, chapitre par chapitre, le fameux livre Des Principes, parce que c’est l’ouvrage qu’on a le plus discuté.
Quelques écrivains ont aussi abusé de propositions isolées d’Origène pour lui imputer leurs propres systèmes sur l’Eglise, la hiérarchie, les sacrements. Mais ces écrivains se sont bien gardés de rapprocher des textes qu’ils citaient ceux qui servaient à en déterminer le sens exact. Ils se sont ainsi donné le rôle de faussaires.
Pour établir quelle a été la croyance d’Origène sur ces divers points, nous l’avons cité avec exactitude. C’était la meilleure apologie que nous pouvions faire d’un homme dont personne n’a jamais contesté ni les vertus éminentes ni le génie.
Vincent de Lérins qui croyait à la chute d’Origène dans l’hérésie, a fait de ce grand homme un éloge que ses partisans les plus décidés n’ont jamais surpassé.
« On trouverait difficilement, dit-il, un homme que l’on pourrait comparer à Origène. Il avait des qualités si brillantes, si exceptionnelles, si admirables que naturellement on se trouverait porté à le croire toujours sur parole. Si la vie fait autorité, la sienne fut pleine de sagesse, de pureté, de patience, de charité. Si l’on a confiance dans la race, dans la science, quoi de plus noble que sa famille, illustrée par le martyre ? Il s’en montra digne, car, privé de son père et de sa fortune, il ne s’attacha qu’à Jésus-Christ, supporta la pauvreté la plus absolue, et ne craignit pas de rendre témoignage plusieurs fois au Seigneur pendant la persécution. Quant à la science, il était doué d’un génie si profond, si pénétrant, si élégant, qu’il est bien supérieur à presque tous les autres écrivains. Sa science et son érudition étaient si étendues, qu’il connaissait à fond toutes les questions de la théologie et de la philosophie. La science des Grecs ne lui suffisant pas, il y ajouta la science hébraïque. Mentionnerai-je son éloquence si élégante, si séduisante ? Son discours est si doux qu’en le lisant il me semble que l’on a dans la bouche du miel plutôt que des mots. Quelles sont les questions difficiles qu’il n’a pas éclaircies ? Quelles sont les actions pénibles qu’il n’a rendues faciles par ses exemples ? S’est-il perdu dans les détours tortueux d’une logique obscure ? Non, jamais aucun Maître n’a fait un plus fréquent usage des Saintes Ecritures. Peut-être a-t-il publié peu d’ouvrages ? Aucun homme n’en a écrit un plus grand nombre. Non-seulement je ne les ai pas lu tous, mais je n’ai même pu le§ trouver ; l’âge même ne lui a pas manqué pour que sa science arrivât à sa perfection. Aurait-il été peu heureux en disciples ? Qui a jamais été plus heureux ? De son école sont sortis d’innombrables docteurs, d’innombrables prêtres, des confesseurs, des martyrs. Qui pourrait avoir une juste idée de l’admiration qu’ils professaient pour lui, de la gloire dont ils l’environnaient, de la faveur dont il jouissait auprès d’eux ? On venait à lui des extrémités du monde, et personne ne le quittait sans se sentir plus religieux. Quel chrétien ne le regardait pas presque comme un prophète ? Quel philosophe ne le considérait pas comme son Maître ?…
« Je ne pourrais jamais en finir si je voulais mentionner tous ses mérites. En présence d’un tel génie, d’une si haute science, d’une grâce si séduisante, on serait porté à préférer se tromper avec Origène que d’être dans le vrai avec un autre. »
Quand on rencontre dans l’histoire un homme comme Origène, et que l’on vit à une époque où les passions soulevées à son sujet sont complètement apaisées, on ne peut que s’incliner devant une personnification aussi haute de l’intelligence humaine éclairée de la lumière divine »
Il est certainement permis de critiquer et de condamner quelques-uns de ses écrits. Plusieurs des opinions qu’on lui a attribuées sont condamnables ; mais il est bien permis de croire qu’il ne les aurait pas soutenues contre le jugement de l’Eglise, et même que ceux de ses ouvrages où on les rencontre ont été altérés. Lui-même s’est plaint de ces altérations commencées de son vivant, et en convainquit deux hérétiques de la manière la plus authentique.