— Etat de l’Eglise de Rome.
— Les trois schismes, leurs assemblées et leurs évêques.
— Damasus fait appel à la puissance impériale contre eux.
— Indifférence de Damasus et des autres évêques occidentaux pour les orthodoxes d’Orient.
— Pierre d’Alexandrie leur fait connaître les maux de son Eglise.
— Atrocités de Valens.
— Saint Basile et les persécuteurs.
—Valens obligé de respecter Basile et Grégoire le Théologien.
— Relations de Basile avec l’Eglise d’Arménie et autres Eglises orientales.
— Il se plaint des Occidentaux.
— Ses lettres à Pierre d’Alexandrie et à Eusèbe de Samosate.
— Sa lettre à Ambroise de Milan.
— Episcopat d’Ambroise.
— Il prend le parti de Damasus.
— Concile de Rome en faveur de Damasus.
— Mort de Valentinianus.
— Les empereurs Valentinianus II et Gratianus.
— Décrets de Gratianus en faveur du siège de Rome.
— Mort de Valens.
—Théodose, empereur d’Orient.
— Lettre de saint Basile à Théodose.
— Mort de Basile.
— Grégoire le Théologien prononce son éloge funèbre.
— Vie de Grégoire dans la solitude.
— Ses lettres.
— Grégoire le Théologien est appelé à Constantinople.
— Ses luttes contre les ariens.
— Maxime le Cynique ordonné irrégulièrement évêque de Constantinople.
— Arrivée de Théodose dans cette ville.
— Grégoire le Théologien acclamé évêque de Constantinople.
— Convocation du deuxième concile œcuménique dans cette ville.
— Grégoire le Théologien au concile.
— Il abandonne son siège.
— Ses adieux.
— Histoire, décrets et canons du deuxième concile œcuménique.
(ANN. 374-381.)
Les démarches d’Athanase et de Basile auprès des Occidentaux n’eurent que peu de résultat. L’évêque de Rome, Damasus, en sa qualité de premier évêque d’Occident, aurait pu profiter de la haute influence que lui donnait son siège pour prendre l’initiative de la grande démonstration orthodoxe sur laquelle Basile comptait pour modérer les fureurs hérétiques de Valens ; mais l’évêque de Rome semble avoir été beaucoup plus préoccupé de se défendre lui-même contre ses adversaires que de défendre l’Eglise.
Les partisans d’Ursinus, malgré les proscriptions dont leurs principaux chefs étaient victimes, se maintenaient toujours. La ville de Rome leur ayant été interdite pour leurs réunions, ils s’assemblèrent en dehors des murs ; alors on leur défendit de se réunir dans un rayon de vingt milles autour de Rome. Ces moyens vio
lents n’eurent pas l’effet qu’on en attendait. Valentinianus lui-même se radoucit au point de permettre à Ursinus et à sept des siens de quitter leur exil et de se fixer où ils voudraient, excepté Rome et les régions suburbicoires, c’est-à-dire, celles qui formaient la préfecture romaine et la circonscription où l’évêque de Rome jouissait d’une certaine autorité.
Les Lucifériens tenaient aussi à Rome leurs assemblées particulières, et avaient un évêque nommé Aurelius auquel succéda Ephesius.
Enfin les Donatistes continuaient aussi à avoir à Rome un évêque et leurs réunions particulières. Ils conservaient avec soin le catalogue de leurs évêques, qu’ils regardaient comme seuls légitimes.
Damasus s’appliquait principalement à combattre ces divers partis et faisait appel à la puissance impériale, pour empêcher les réunions et faire exiler ceux qui y présidaient1. Mais ce fut en vain ; quoique dans ses vers il ait chanté le retour des schismatiques, les schismes durèrent plus longtemps que son pontificat2.
On ne voit pas que Damasus ait fait auprès de Valentinianus une seule démarche pour l’engager à arrêter la persécution de Valéns contre les orthodoxes. Ses relations se bornèrent à l’envoi des décrets des deux conciles romains dont nous avons parlé, et à quelques lettres à Paulinus3 qu’il regardait comme légitime évêque d’Antioche, quoique tout l’Orient fût en communion avec Meletios.
Cependant la fureur de Valens était telle qu’elle ne pouvait être inconnue en Occident, surtout après les lettres de Basile et des autres évêques orientaux.
Lorsque le grand Athanase fut mort, cette persécution sévit en Ægypte. Les orthodoxes avaient nommé, pour lui succéder, un de ses disciples nommé Pierre.
—
1 V. les décrets de Valentinianus dans le Code Théodosien et dans les Annales ecclésiastiques de Baronius ; Libell. Prec. Faustin, et Marcellin.
2 Damas. Carm. 16.
3 Dam. Epist., t. XIII, Patrologiœ Latinœ ; Theodoret., Hist. Eccl., lib. v, c. II.
Mais Valens imposa à l’Eglise d’Alexandrie un arien nommé Lucius qui renouvela toutes les atrocités dont s’étalent rendus coupables les intrus Grégoire et Georges sous le règne de Constantius.
Pierre s’enfuit à Rome et fit connaître à Damasus et aux autres évêques occidentaux les violences dont son Eglise était victime. Ses plaintes éloquentes furent adressées à toutes les Eglises1 ; mais elles n’excitèrent qu’une pitié stérile.
Pierre avait été désigné à l’élection des fidèles par Athanase lui-même2. A peine les ariens eurent-ils appris la mort de leur adversaire, que l’évêque arien d’Antioche Euzoius et le comte Magnus se rendirent à Alexandrie. Ils avaient ordre de Valens de jeter Pierre en prison et de mettre à sa place un certain Lucius. A peine cet intrus fut-il arrivé à Alexandrie qu’il chercha à s’emparer de vive force des Eglises. Le peuple s’y étant opposé, il rendit responsables de l’opposition qu’il rencontrait le clergé et les vierges, et se mit à leur recherche. Les uns furent pris, les autres parvinrent à se cacher ou à s’enfuir. Ceux qui furent emprisonnés eurent à supporter des tourments qui rappelaient les plus atroces persécuteurs païens. Pierre parvint à s’échapper de sa prison et à s’embarquer pour Rome, parce que, dit Sozomène, l’évêque de cette ville professait la même foi que lui. Les ariens, quoique peu nombreux, furent mis en possession de toutes les Eglises, et Valens rendit un décret d’exil contre tous ceux qui professeraient la foi du concile de Nicée. Euzoius présida à toutes les exécutions avant de retourner à Antioche.
Après son départ, Lucius, accompagné du préfet d’Egypte et d’un corps d’armée, marcha contre les moines qui peuplaient les solitudes. Tous avaient en horreur la doctrine d’Arius et le peuple qui avait con-
—
1 Sa lettre a dtd conservée par Theodorei, Hist. Eccl., lib.rv, c. 19.
2 Sur les persécutions de Valens, v. Thcodoret, Hist. Eccl., lib. tv, cc. 1 2 ad 20 ; Socrat., Hist. Eccl., lib. iv, cc. 16 ad 22 etc. 24 ; Sozomen., Hist. Eccl., lib. vi, cc. 14,19 et 20.
fiance en eux écoutait leurs avis et partageait la même foi. Lucius fit déporter dans une île isolée et habitée par des païens, un grand nombre de solitaires qui auraient mieux aimé mourir que de renoncer à la foi de Nicée. A leur arrivée dans l’île, les païens se convertirent en voyant les miracles des hommes de Dieu ; cette conversion et ces miracles firent grand bruit à Alexandrie, et Lucius se hâta de permettre aux solitaires de retourner dans leur désert.
Dans plusieurs Eglises, Valens faisait commettre les mêmes cruautés qu’en Egypte.
Les fidèles de Constantinople choisirent soixante membres du clergé pour lui aller présenter une protestation contre les maux que les ariens leur faisaient souffrir.
Valens était alors à Nicomédie. Il refusa de recevoir les délégués et donna ordre au préfet de les mettre à mort. Celui-ci craignit une sédition s’il les faisait massacrer ; il feignit donc de les envoyer en exil et les fit embarquer. Il avait donné ordre aux marins de mettre le feu au vaisseau et de se mettre eux-mêmes en sûreté sur des barques. Le vent repoussa le vaisseau sur les côtes de Bithynie, mais on y mit le feu auprès du rivage et les soixante délégués périrent dans les flammes.
De Nicomédie, Valens se rendit à Antioche où il persécuta cruellement les orthodoxes. Il alla de là à Edesse. La population entière professa la foi avec une telle énergie que le tyran n’osa exécuter les mauvais desseins qu’il avait conçus. L’évêque Barsès et quelques prêtres seulement furent exilés.
Lorsqu’il alla à la fameuse ville de Tomes, capitale des Scythes qui habitaient la rive gauche de la mer Noire, il voulut aussi persécuter les catholiques1. Vetranion était évêque de Tomes. Valens l’engagea à communiquer avec les ariens ; mais le saint évêque prit avec énergie la défense de la foi de Nicée, et ne voulut même pas entrer dans l’église où l’empereur devait se rendre.
—
1 Sozomen., Hist. Eccl., lib. VI, c. 21.
Le peuple suivit son évêque, et Valons se trouva seul avec sa cour. Il en devint furieux et exila Vetranion. Mais, après réflexion, il pensa qu’il n’était pas de son intérêt de s’aliéner un peuple intrépide qui formait à l’empire romain un puissante barrière contre l’invasion des peuples qui habitaient les mêmes régions. Il rappela donc Vetranion de son exil, et laissa les Scythes professer librement leur foi.
Pendant que tout l’Orient tremblait sous le joug de son tyran arien, Basile et son ami Grégoire le Théologien, soutenaient les orthodoxes et opposaient aux ariens un courage indomptable.
Valens, s’étant rendu à Cæsarée1, résolut de punir Basile de son zèle pour la saine doctrine. Dès qu’il y fut arrivé, il ordonna au préfet de faire comparaître Basile. Celui-ci lui demanda pourquoi il ne suivait pas la foi de l’empereur. Basile exposa en toute liberté que cette foi était erronée, et que la vraie était celle qui avait été proclamée à Nicée. Le préfet l’ayant menacé de mort : « Plaise à Dieu que cela m’arrive, répondit Basile, afin que je sois délivré des liens du corps, pour la défense de 3a vérité ! » Le préfet l’ayant engagé à considérer la chose avec la plus sérieuse attention, Basile lui fit, dit-on, cette réponse : « Pour moi, demain comme aujourd’hui, je serai le même. Quant à toi, puisses-tu ne pas changer ! » A dater de ce jour, Basile fut gardé à vue. Peu de temps après, le fils de Valens, nommé Galatis, tomba malade et les médecins en désespéraient. Sa mère, l’impératrice Domnica, se plaignit en même temps d’un songe horrible qu’elle avait eu, et dans lequel elle avait appris que son fils était malade à cause d’une injure faite à un évêque. Valens songea qu’il s’agissait de Basile. Il le fit venir et, pour lui tendre un piège, lui dit : « Si ta foi est la bonne, prie afin que mon fils ne meure pas. — Empereur,
—
1 Socrat., Hist. Eccl., lib. IV, c. 26 ; Theodoret, Hist. Eccl., lib. IV, c. 16 ; Sozom., Hist. Eccl., lib. VI, c. 16.
Socrate dit que Valens était à Antioche et qu’il y fit venir Basile ; Theodoret et Sozomène disent que ces faits se passèrent à Cæsarée ; saint Grégoire le Théologien le donne à penser, dans son éloge de saint Basile.
répondit Basile, si tu veux adhérer à la même foi que moi et rendre la paix à l’Eglise, ton fils vivra. » Valens n’ayant pas voulu y consentir, Basile lui dit : « Dieu fera de ton fils ce qu’il voudra. » Basile sortit ensuite, et peu de temps après l’enfant mourut.
Valens aurait bien voulu exiler Basile ; mais il n’osa s’attaquer trop directement à un homme pour lequel l’exil et même la mort auraient été des bienfaits. Il craignit sans doute de rencontrer un autre Athanase, et comme il avait laissé mourir en paix l’énergique évêque d’Alexandrie, il ne sévit ni contre Basile ni contre son ami Grégoire qui dirigeait l’Eglise de Nazianze depuis la mort de son père.
Basile put donc se dévouer au bien de l’orthodoxie en Orient. Les orthodoxes qui n’avaient jamais varié dans leur foi, n’avaient vu qu’avec soupçon les démarches qui avaient été faites en Occident par les délégués du concile de Lampsac, composé de semi-ariens. Malgré les lettres de communion qu’ils avaient rapportées d’Occident, ils n’osaient avoir confiance en eux. Basile se montra plus tolérant et entretint, non-seulement des relations de communion avec eux, mais donna à plusieurs, comme à Eustathe de Sébaste, un des délégués, des preuves d’amitié. Il prit même son parti contre le vénérable Théodote, évêque de Nicopolis et métropolitain de la Petite-Arménie, lequel n’avait aucune confiance dans l’évêque de Sébaste. Il ne se trompait pas et Basile en eut plus tard des preuves ; mais il aimait mieux se tromper par charité qu’obéir il des soupçons qu’il ne jugeait pas assez justifiés.
Basile joignait à son zèle pour l’orthodoxie une telle prudence, que Valens lui-même le chargea de réorganiser l’Eglise d’Arménie profondément troublée depuis les discussions ariennes. Le saint évêque s’y rendit d’autant plus volontiers qu’il y retrouvait le vénérable Meletios, exilé d’Antioche dans ce pays, et son intime ami, Eusèbe, évêque de Samosate, avec lesquels il pourrait utilement travailler pour le bien de l’Eglise.
Théodote de Nicopolis, dans son zèle plus ardent
qu’éclairé, lui fit opposition, à cause d’Eustathe de Sébaste ; mais Basile passa outre ; il établit des évêques dans plusieurs villes d’Arménie ; visita Eusèbe à Samsate, et le vénérable Vitus, évêque de Carrhes, en Mésopotamie. D’après ses actes, on doit penser que l’évêque de Cæsarée jouissait, comme d’autres évêques de villes capitales importantes, d’une certaine juridiction sur toutes les Eglises situées dans les provinces de Pont et de Cappadoce ; l’Arménie faisait partie de ces provinces.
De retour dans son Eglise, Basile acquit la preuve qu’Eustathe de Sébaste l’avait trompé par son hypocrisie, et qu’il n’avait jamais été qu’un arien déguisé. Il lui proposa de signer une profession de foi orthodoxe et de se rendre à un concile provincial qu’il avait convoqué. Mais Eustathe jeta le masque, et s’attaqua ouvertement à Basile, auquel il reprochait les erreurs les plus contradictoires. Le saint évêque dédaigna de telles accusations, et continua de prendre soin des Eglises qui lui étaient confiées1.
Il n’espérait plus rien de l’Occident pour arrêter les persécutions de Valens.
Ayant reçu une lettre d’un nommé Evagre, qui était allé à Rome au nom de Paulinus d’Antioche, il lui répondit qu’il ne pouvait s’occuper de la division de l’Eglise d’Antioche, parce qu’il ne pouvait pas en conférer avec Meletios exilé en Arménie, et qu’il n’avait personne à envoyer en Occident pour les affaires de l’Eglise2. Le saint évêque semblait découragé en présence du triste état où se trouvait la chrétienté.
Cependant le prêtre Dorotheos étant retourné en Occident, il le chargea de cette nouvelle lettre pour les évêques d’Italie et de Gaule3 :
—
1 Pour tous les faits que nous venons de raconter, v. les Lettres de saint Basile : 95, 98, 100, 127, 128, 158, 158, 141, 145, 1G2, 106, 167, 237, 239 à Eusèbe de Samosate ; 119, 125 à Eustathe de Sédbaste ; 223 contre Eustathe ; 120, 129 à Meletios d’Antioche ; 121, 130 à Théodote de Nicopolis ; 256 à Vitus de Carrhes.
2 S. Basil., Epist. 156 ad Evag.
3 S. Basil., Epist. 243 ad Episcop. Ital, et Gall.
« A nos frères vraiment religieux et très-chers, à nos collègues unis dans la même foi, les évêques de Gaule et d’Italie, Basile, évêque de Cæsarée de Cappadoce :
« Notre maître Jésus-Christ ayant daigné appeler toute l’Eglise de Dieu son propre corps, il a fait de nous tous ses membres, et il nous a imposé le devoir de pourvoir à ce qui serait nécessaire pour conserver l’harmonie entre ces membres. C’est pourquoi, malgré l’espace qui nous sépare, nous sommes rapprochés par le lien qui nous unit. Vous prendrez donc part à nos souffrances, comme nous, nous prenons part à votre joie. Déjà, nous avons fait appel à votre amour fraternel, mais vous n’êtes pas venus à notre aide, sans doute parce que les maux dont nous devions souffrir n’étaient pas encore arrivés à leur comble. Nous vous prions de porter jusqu’à votre empereur le récit de nos malheurs ; ou si vous trouvez que cela soit trop difficile, envoyez-nous des délégués qui viennent compatir à nos souffrances, et voir, de leurs propres yeux, des choses que le langage humain ne saurait exprimer.
« Frères très-vénérables, nous sommes sous le poids de la persécution la plus cruelle. Les pasteurs sont exilés pour que les troupeaux soient dispersés. Et pour comble’de malheur, on ne regarde pas les persécutés comme des martyrs, parce que nos persécuteurs portent le titre de chrétiens. Il n’y a qu’un crime qui soit rigoureusement puni, la fidélité à conserver les traditions de nos pères. Pour cette raison les hommes pieux sont chassés de leur patrie, et sont transportés en des régions désertes ; la vieillesse ne jouit d’aucun égard auprès des juges d’iniquité ; non plus que la piété, ni une vie entière passée dans la pratique de l’Evangile. Un scélérat n’est pas condamné sans preuves ; mais les évêques sont condamnés sur une déposition calomnieuse, et sont condamnés au supplice sans qu’on prenne soin d’établir leur culpabilité ; plusieurs, qui n’ont même été ni accusés, ni jugés, sont enlevés violemment la nuit, et jetés dans les pays les plus éloignés, où ils sont exposés à mourir de misère. Les prêtres, les diacres, tous les clercs s’en
fuient ; car il faut qu’ils adorent l’idole ou qu’ils soient flagellés. Les villes et les campagnes retentissent de pleurs et de gémissements ; on ne sait plus ce que c’est que la joie spirituelle ; la tristesse est dans toutes les âmes. Les chrétiens ne s’assemblent plus, il n’y a plus d’évêques pour les instruire, pour leur donner des avertissements salutaires ; le chant des hymnes ne retentit plus pendant la nuit ; on ne voit plus cette allégresse spirituelle qu’enfantaient, dans les âmes, les synaxes et la communication des dons spirituels. On peut nous appliquer ces paroles de l’Ecriture : II n’y a plus ni chef, ni prophète, ni guide, ni oblation, ni encensement, ni lieu pour sacrifer au Seigneur et trouver miséricorde.
« Vous connaissez ces maux, car il n’est aucun lieu dans l’univers qui n’en ait entendu parler. Je ne vous en écris donc ni pour vous en donner connaissance, ni pour exciter votre zèle, car nous savons que vous ne nous avez pas oubliés ; mais uniquement pour soulager notre douleur en vous la confiant et en rappelant nos malheurs à votre charité.
« En vrais disciples du Seigneur, considérez nos souffrances comme si elles étaient les vôtres ; ce n’est ni par intérêt, ni par vaine gloire, ni pour tout autre motif temporel que nous soutenons la lutte, mais pour l’héritage commun, pour le trésor de saine doctrine que nos pères nous ont légué. O vous qui aimez vos frères, souffrez de nos souffrances, puisqu’ici les bouches pieuses sont fermées, et qu’on ne laisse la liberté qu’aux langues qui blasphèment. Les colonnes de la vérité sont abattues et leurs débris sont dispersés. Quant à nous, que notre faiblesse a fait juger digne de mépris, nous n’avons pas la liberté de parler. Combattez pour les peuples, et ne vous contentez pas de jouir des jours paisibles que vous traversez maintenant, grâce à la bonté de Dieu qui vous préserve de toute tribulation. Tendez la main aux Eglises qui sont agitées par la tempête, dans la crainte que, si vous les abandonnez, elles ne fassent naufrage. Gémissez sur notre sort, car l’Unique-Engendré est blasphémé, et il n’est personne qui le venge ; l’Esprit-Saint est rejeté,
et ceux qui pourraient prendre sa défense sont en fuite. La divine Trinité est attaquée, dans le Fils et le Saint-Esprit . Qui fera naître dans mes yeux une source de larmes pour pleurer sur tant d’iniquités ! Les oreilles des simples sont séduites et habituées à entendre les impiétés hérétiques ; les enfants de l’Eglise sont nourris de doctrines impies. Que deviendront-ils ? Les baptêmes, les bénédictions des voyageurs, les consolations des affligés, les secours de toute sorte, la participation aux mystères, sont autant de liens qui les unissent aux hérétiques, de sorte que, dans peu de temps, alors même que nous jouirions de quelque liberté, il ne serait plus possible de les ramener à la vérité.
« Vous comprendrez encore mieux nos malheurs lorsque vous saurez que je ne puis même me mettre en route pour aller vous les peindre ; car dans les tristes circonstances où nous sommes, on ne peut abandonner, même pour peu de temps, son troupeau, sans l’exposer au danger. »
Les évêques d’Occident répondirent à Basile et leur lettre lui fut apportée par deux prêtres. Ils promettaient de travailler à apaiser les persécutions dont l’Orient était affligé. On ne connaît cette lettre que par les remerciements adressés par Basile à ceux qui la lui avaient envoyée1.
Dans sa réponse, Basile prévient les Occidentaux contre Eustathe de Sébaste qu’ils avaient reçu à leur communion avec les autres délégués du concile de Lampsac ; contre Apollinaire, dont le zèle anti-arien pouvait faire illusion dans les pays éloignés ; contre Paulinus d’Antioche, qui recevait sans difficulté à sa communion les partisans de Marcel d’Ancyre. Basile regardait Marcel comme un véritable hérétique.
Au sujet de Paulinus, Basile parlait d’autant plus ouvertement que les Occidentaux le regardaient comme l’évêque légitime. Ils étaient si mal renseignés au sujet de Mélétios d’Antioche, qu’ils le considéraient comme
—
1 S. Basil., Epist. 363 ad Occidental.
arien, aussi bien que le vénérable Eusèbe de Samosate, le digne ami de Basile.
Il est probable que la lettre de Basile ne plu ! pas aux Occidentaux, surtout pour ce qu’il disait contre Marcel d’Ancyre et Paulinus. Un fait certain, c’est que l’Occident ne fit à peu près rien pour améliorer la situation des orthodoxes d’Orient1. Basile en rendit surtout responsable Damasus, évêque de Rome. Il écrivait à Pierre d’Alexandrie, qui se trouvait à Rome, que la conduite que tenaient les Occidentaux à l’égard des orthodoxes d’Orient était plus pénible à ces derniers que les persécutions des ariens2. Dorotheos, l’envoyé de Basile, avait assisté à une conférence qui avait eu lieu entre Pierre d’Alexandrie et Damasus, et ce dernier ne craignait pas de ranger parmi les ariens Meletios d’Antioche et Eusèbe de Samosate, deux amis intimes de l’évêque de Cæsarée, et qui étaient exilés par les ariens à cause de leur zèle pour la saine doctrine3.
Dans une lettre à Eusèbe de Samosate, il s’exprimait ainsi4 : « Quant aux affaires d’Occident, le récit que nous en a fait notre frère Dorotheos vous fait comprendre quelles lettres vous devrez lui donner lorsqu’il retour-
—
1 Théodore I., Eist. Eccl, lib. IV, ce. 7 et 8, cite une lettre impériale et une lettre d’un synode d’Iliyrie aux Orientaux, relatives l’une et l’autre à la doctrine de Nicée, laquelle est recommandée comme la vraie. Le nom de Valens étant en tête de la lettre impériale avec les noms de Gratianus et de Valentinianus, on ne saurait en déterminer l’époque. S’agit-il de Valentinianus I ou de son fils qui lui succéda avec son autre fils Gratianus ? Dans les deux cas, comment le nom de Valens se trouve-t-il avec ceux des empereurs orthodoxes pour recommander la foi de Nicée qu’il combattait ouvertement ?
2 S. Basil., Epist. 286 ad Pet. Alexand., § 1.
3 Ibid., § 2. Ce fait incontestable n’a pas empêché les écrivains ultramontains de s’exprimer ainsi :
« Le pape Damase ne croyait pas l’ordination de Paulin illégitime. Dans l’impossibilité de choisir entre deux évêques également recommandables sans exposer une partie de la population à un schisme, le pape décida que Paulin et Mélèce gouverneraient simultanément l’Eglise d’Antioche, avec celte clause formelle qu’à la mort de l’un des deux le survivant demeurerait seul évêque. Cette décision fut applaudie de tout l’Orient. » (Darras, Hist. générale de l’Eglise, t. X, p. 268, édit. 1867.)
C’est ainsi que les ultramontains écrivent l’histoire. Ils se gardent bien de citer textuellement les documents comme nous le faisons nous-même. Un pape qui, au IVe siècle, décide de l’épiscopal d’Antioche, c’est là une de ces fantaisies qui font pitié à l’homme tant soit peu instruit.
4 S. Basil., Epist. 239 ad Euseb. Samosat., § 2.
nera ; car il se joindra peut-être au bon Sanctissimus qui parcourt l’Orient et qui y recueille des lettres et des signatures. Il ne sait quoi écrire et quels conseils donner. Si vous trouvez quelqu’un à nous envoyer, dites-moi ce que vous en pensez, si cela ne vous fatigue pas. Ces paroles de Diomède me sont revenues à l’esprit : que je regrette de l’avoir prié, puisque c’est un homme orgueilleux ! En effet, les orgueilleux, quand on les prie, n’en deviennent que plus insolents. Si le Seigneur s’apaise, de quel autre secours avons-nous besoin ? Si la colère de Dieu continue à nous châtier, quel secours pouvons-nous obtenir de la Prééminence occidentale ? » Basile désignait ainsi l’évêque de Rome et continue ainsi à critiquer Damasus et son entourage :
« Ils ne connaissent pas la vérité et ne veulent pas la connaître ; mais obéissant à de faux soupçons, ils font ce qu’ils ont fait dans la cause de Marcel d’Ancyre, lorsqu’ils disputèrent contre ceux qui leur disaient la vérité, et qu’ils donnèrent leur appui à l’hérésie. J’ai eu la pensée d’écrire à leur coryphée, d’une manière générale et sans entrer dans le détail des affaires de l’Eglise, qu’ils ne savent pas ce qui se passe chez nous, et qu’ils ne prennent pas le moyen de s’en instruire ; qu’il ne faut ni insulter à ceux qui sont persécutés, ni prendre pour de la dignité l’orgueil, qui est un péché capable à lui seul de nous rendre odieux à Dieu.»
Le reste de la lettre de Basile est perdu. On doit le regretter, car le saint évêque y donnait sans doute encore quelques renseignements sur le clergé de Rome et son évêque Damasus ; mais ce qu’il en dit suffit bien pour prouver qu’il avait peu d’estime pour eux, et qu’ils s’étaient conduits à l’égard des orthodoxes d’Orient avec plus d’orgueil que de charité.
Quand on a lu cette lettre de saint Basile, on peut à bon droit s’étonner que les partisans de la papauté l’aient compté parmi les autorités favorables à leur système. L’évêque de Rome n’était, à ses yeux, que le premier évêque d’Occident ; il était orgueilleux et fauteur d’hérésie. Telle était l’opinion du grand Basile de
Cæsarée sur Damasus. Ce que nous avons rapporté précédemment autorise à dire que si Damasus eut des qualités, il se distingua plus par ses manières fastueuses et mondaines que par l’esprit d’humilité. Ses œuvres, qui consistent en quelques poésies fugitives, d’un caractère religieux, il est vrai, mais d’une facture très-légère, autorisent à dire qu’il était plutôt l’évêque des matrones romaines que des hommes sérieux. On éleva des accusations contre ses mœurs. Nous admettons que ses accusateurs furent peu dignes de foi, quoique, à si longue distance, on ne puisse guère contrôler un jugement rendu contre un personnage important par des magistrats qui lui étaient nécessairement favorables. Mais alors, en admettant que ses mœurs aient été pures, on ne peut nier qu’il n’ait été trop ami du monde et fort orgueilleux1.
Vers cette époque, Ambroise, élu évêque de Milan à la place du fameux arien Auxentius, écrivit à saint Basile pour lui demander le corps d’un de ses plus saints prédécesseurs, saint Denys, mort, exilé pour la foi, à Cæsarée.
Basile avait sans doute appris des délégués orientaux Dorotheos et Sanctissimus, qu’Ambroise était un grand et saint évêque, rempli de zèle pour l’orthodoxie ; il lui écrivit2 pour l’engager à persévérer dans cette voie, et lui renvoya le corps de saint Denys, dont les
—
1 L’historien Fleury est fort embarrassé de cette lettre de saint Basile, et il fait cette réflexion pour l’atténuer : « Ce qu’il dit de dur contre le pape ne regarde que la personne de saint Damase qu’il ne connaissait que de loin ; pour l’autorité du saint-siège et la nécessité d’y avoir recours, il la marque assez dans ses lettres à saint Athanase et aux Occidentaux. (Fleury, Hist. Eccl., liv. XVII, § 31.) Le bon Fleury était obligé, de son temps, d’enseigner que le saint-siège était, de droit divin, le centre de la catholicité ; sans cela il se fût attiré des désagréments. Il a donc été obligé de trouver le saint-siège et son autorité, même où ils n’étaient pas ; Nous avons cité les Lettres de saint Basile à saint Athanase et aux Occidentaux ; on n’y a certainement pas vu ce qu’affirme Fleury.
Nous respectons cet historien, et nous n’avons pas intention d’indiquer toutes ses erreurs ; cependant, dans l’intérêt de la vérité, nous pouvons en relever quelques-unes, tout en convenant qu’il a été aussi exact qu’il le pouvait être à l’époque où il écrivait.
Les ultramontains ont transformé les Lettres de saint Basile aux Occidentaux en appel au pape. (Darras, t. X, p. 505.)
2 S. Basil., Epist 197 ad Ambros.
exemples ne pouvaient que l’affermir dans sa résolution de défendre l’orthodoxie.
Ambroise, qui venait d’être élu évêque de Milan, était fils d’un préfet des Gaules du même nom1. Originaire de Rome, il naquit à Trêves, résidence du préfet des Gaules à cette époque. Il eut une sœur, Marcellina, qui embrassa la virginité et était vénérée parmi les matrones romaines ; son frère Satyrus était distingué par sa piété. Après la mort de son père, Ambroise, encore jeune, vécut à Rome avec sa mère et sa sœur. Il y étudia les sciences et la littérature et se familiarisa avec la langue grecque qui était parlée alors à Rome autant que le latin. Il lisait surtout assidûment les ouvrages de saint Basile et de Didymos d’Alexandrie ; et c’est là qu’il puisa des sentiments orthodoxes sur les questions débattues de son temps au sein de l’Eglise. Il s’adonna surtout à l’éloquence et entra dans le barreau. Il fut ensuite nommé gouverneur de la Ligurie et de l’Emilie dont la capitale était Milan. Cette ville était alors de la plus haute importance et avait le titre de métropole de l’Italie. Rome était la métropole de la province suburbicaire, c’est-à-dire du midi de l’Italie et de quelques îles de la Méditerranée. C’est pourquoi l’évêque de Milan ne dépendait pas de celui de Rome. Les empereurs d’Occident résidaient d’ordinaire à Milan. Ils préféraient cette ville à Rome où le sénat prétendait toujours à une prépondérance gênante pour eux.
Ambroise était à peine gouverneur de la province qu’Auxentius mourut (374). Les évêques de la province étaient fort embarrassés pour lui choisir un successeur ; ils s’adressèrent à Valentinianus pour le prier de désigner celui qu’il préférait. Cette démarche est fort extraordinaire. Sans doute les évêques qui connaissaient les sentiments orthodoxes de Valentinianus, espéraient qu’il désignerait un homme digne de l’épiscopat. Comme cet empereur s’était, d’un autre côté, montré
—
1 Paulin., Vit. Ambros.
partisan d’Auxentius, et ennemi très-déclaré des discussions ecclésiastiques, ils craignaient de le froisser en plaçant sur le siège d’une ville qui était la résidence impériale, un évêque qui ne lui serait pas agréable. Valentinianus leur répondit en empereur vraiment orthodoxe. Il refusa d’assumer la responsabilité d’un choix et pria seulement les évêques de rechercher le plus digne1. Alors les évêques firent appel au peuple qui, selon les canons, devait désigner pour l’ordination celui qu’il jugerait le plus recommandable par ses vertus et sa capacité. Or, le peuple de Milan était divisé en deux partis hostiles2, les catholiques et les ariens. Une sédition était sur le point d’éclater lorsque Ambroise, en sa qualité de gouverneur, se rendit dans l’assemblée et lui adressa un discours très-conciliant dans lequel il engageait chacun à laisser de côté tout esprit de parti pour élire tranquillement le plus digne. A peine avait-il cessé de parler que l’assemblée entière se leva et, d’une voix unanime, demanda Ambroise lui-même pour évêque. Il s’en défendit, fit observer qu’il n’était encore que catéchumène, et fit même tout ce qu’il put pour se donner une mauvaise réputation. Ne pouvant tromper le peuple qui savait l’apprécier, il prit par deux fois la fuite, mais dénoncé et pris, il fut amené à l’église où il fut baptisé, puis ordonné évêque. Elevé à cette dignité, il voulut aussitôt en remplir les devoirs aussi parfaitement que possible. Il vendit ses biens et en donna le prix aux pauvres ; s’appliqua à l’étude, et se dévoua à toutes les fonctions de son ministère avec une ardeur qui ne se ralentit pas un seul instant.
L’arianisme rencontra dans le nouvel évêque un antagoniste décidé, et cette hérésie disparut bientôt de la province où, grâce à Auxentius, elle avait eu d’assez nombreux partisans.
Valentinianus mourut peu de temps après l’élection d’Ambroise, mais ses deux fils, Gratianus et Valenti-
—
1 Epist. Valentin., ap. Theod., Hist. Eccl., lib. IV, c. 5.
2 Ruf., Hist. Eccl., lib. II, c. 11.
nianus qui lui succédèrent, héritèrent de son orthodoxie, et secondèrent Ambroise dans ses luttes contre l’arianisme. Le saint évêque de Milan se prononça en faveur de Damasus avec lequel il avait été en relation à Rome, et par les lettres qu’il adressa depuis à ce sujet, on a tout lieu de croire qu’il adhéra au concile de Rome (376), où l’on prit la défense de Damasus contre ceux qui l’accusaient d’avoir commis un adultère lorsqu’il était diacre de Liberius. Le concile adressa aux deux empereurs Gratianus et Valentinianus une lettre dans laquelle il leur rendit compte de ce qui avait été fait1.
Gratianus, aussitôt après son élévation à l’empire, avait pris le parti de Damasus contre son concurrent Ursinus. Les évêques assemblés à Rome l’en remercient dans leur lettre et l’engagent à agir de rigueur envers Ursinus et ses partisans et envers les Novatiens qui venaient d’élire un nouvel évêque, Claudianus, et l’avaient envoyé à Rome. Gratianus avait déjà ordonné à Claudianus de retourner en Afrique, mais celui-ci avait réussi à se soustraire au décret qui le bannissait de Rome.
Damasus avait obtenu de Gratianus un décret qui le constituait juge des autres évêques, sans qu’il pût lui- même être jugé. Malgré ce décret, un juif converti nommé Isaae, et qui avait publié à Rome quelques ouvrages de théologie, avait accusé Damasus d’adultère, de sorte qu’il avait dû soumettre sa conduite à l’examen du concile. Son accusateur fut condamné par le concile et Gratianus l’exila en Espagne. Afin d’en finir avec les schismes de Rome, auxquels adhéraient plusieurs évêques italiens, le concile pria Gratianus d’accorder à l’évêque de Rome le droit de mander ces évêques pour les juger, et les condamner dans le cas où ils refuseraient de comparaître et d’accepter le jugement en première instance du métropolitain.
L’histoire de l’Église ne nous a offert jusqu’à cette époque aucun appel aussi direct au bras séculier.
—
1 On la trouve dans les collections des conciles, en particulier dans celles de Labbe et de Hardoin.V. Sirmond., Append. ad Cod. Theod.
Nous remarquons ce passage, dans la lettre du concile de Rome :
« Il ne faut pas que notre frère Damasus soit de pire condition que ceux au-dessus desquels il est élevé par la prérogative du siège apostolique, quoiqu’il leur soit égal dans le ministère. Dès que vous-même l’avez jugé innocent, il ne doit pas être soumis aux jugements dont vous avez exempté les évêques. S’il a bien voulu se soumettre au jugement des évêques, on ne doit pas trouver là un prétexte de le calomnier. »
Les évêques du concile, tout en admettant la dignité supérieure de l’évêque de Rome, dont le siège était le seul d’Occident qui fût apostolique, reconnaissaient qu’il était, pour les fonctions épiscopales, égal aux autres. On doit remarquer en même temps qu’ils attribuent à Gratianus certaines prérogatives que les papes ont depuis réclamées comme étant attachées à leur siège de droit divin.
On doit en effet considérer les décrets de Gratianus comme la première source des prérogatives attribuées au siège de Rome. Ses successeurs dans l’empire d’Occident suivirent ses traces et s’appliquèrent à faire de Rome un centre pour tous les évêques occidentaux, lesquels y puiseraient une impulsion commune. Les empereurs avaient besoin d’un tel centre à une époque où l’empire d’Occident était menacé de toutes parts par des peuples guerriers qui voulaient l’envahir. Les évêques qui jouissaient d’une grande influence sur les populations, pouvaient être d’un grand secours à l’empire. Mais, pour cela, ils devaient suivre une impulsion commune. Or, l’évêque du siège apostolique d’Occident était bien placé pour l’imprimer ; et les empereurs, d’un autre côté, pouvaient facilement influencer l’évêque de Rome et lui tracer sa conduite à l’égard de l’épiscopat occidental.
Telle est la raison des prérogatives accordées par les empereurs et autres souverains d’Occident aux évêques de Rome, depuis Gratianus, prérogatives qui furent comme les premières assises du pouvoir papal.
Gratianus adressa à Aquilinus, vicaire de l’empereur à Rome, un reserit pour mettre à exécution tout ce que le concile romain lui avait demandé.
L’année précédente, Gratianus avait promulgué des décrets sévères contre les Donatistes et les rebaptisants d’Afrique1.
Valens, empereur d’Orient, étant mort à cette époque (376), Gratianus devint empereur d’Orient et d’Occident. Il fit aussitôt un décret pour rappeler les orthodoxes que Valens avait exilés, chasser les ariens des Églises, et empêcher les assemblées des Manichéens, des Photiniens et des Eunomiens, c’est-à-dire des ariens qui s’attaquaient au Saint-Esprit2.
Gratianus, au moment où Valens mourait, se trouvait à Sirmium. Il marchait au secours de l’empereur d’Orient attaqué par les Goths. Ce peuple vainquit Valens à Andrinople et menaçait l’empire. Gratianus comprit qu’il ne pourrait préserver l’Orient et l’Occident contre les innombrables bandes qui les menaçaient ; il fit donc venir d’Espagne Théodose, l’associa à l’empire et le chargea de l’Orient.
Théodose s’était déjà rendu célèbre par sa valeur et ses hautes qualités. Il était digne de la distinction que lui accordait Gratianus, et sa conduite prouva qu’on n’aurait pu faire un meilleur choix. Le décret de Gratianus en faveur des orthodoxes et le choix de Théodose comme empereur réjouirent l’Orient chrétien et lui firent augurer des jours meilleurs. Le saint évêque de Cæsarée ne fut pas le dernier à s’en réjouir ; on possède de lui une lettre3 dans laquelle il implore Théodose en faveur de sa province éprouvée par de terribles inondations. Basile put voir le commencement du triomphe de l’orthodoxie, car il ne mourut qu’après Valens.
La mort de Basile fut un deuil pour l’Orient tout entier4. Dans ses derniers jours, la ville entière l’entou-
—
1 Cod. Theod., lib. II.
2 Theodorei, Hist. Eccl., lib. V, c. 2 ; Cod. Theod., lib. V.
3 S. Basil., Epist. 365 ad. Theod.
4 Gregor. Theol., Oral, 43 in Laud. Basil.·, Gregor. Nyss., Orat, funeb. in frat. Basil.
rait, pénétrée de la douleur la plus profonde en songeant à la perte qu’elle allait faire. Elle aurait voulu retenir son âme qui aspirait à rejoindre les chœurs des anges qui l’attendaient. Basile attendait tranquillement la mort, en vrai philosophe chrétien. La sentant tout près, il prononça ces dernières paroles : « Seigneur, je remets mon âme entre tes mains ; » et il rendit le dernier soupir. Aussitôt la ville retentit de pleurs et de sanglots. Quoique issu d’une famille riche, Basile ne laissa absolument rien, même pas de quoi lui élever un tombeau. On lui fit cependant des funérailles plus magnifiques que celles des princes ; il fut porté par les mains des saints, et une foule innombrable l’accompagnait ; les uns voulaient enlever quelque chose de ses vêtements ; d’autres voulaient le toucher, le voir, être couverts de son ombre ; les places publiques, les rues étaient encombrées ; les pleurs couvraient le chant des Psaumes. Les païens et les juifs rivalisaient avec les chrétiens dans les hommages qu’ils rendaient au saint évêque ; sa vertu avait été si sincère, si grande, qu’elle avait forcé l’estime même des ennemis de l’Eglise et du christianisme. Après d’incroyables efforts pour percer la foule, ceux qui portaient le corps vénéré purent le déposer dans le tombeau de ses pères, c’est-à-dire, des évêques ses prédécesseurs, parmi lesquels on comptait plusieurs martyrs. Basile était digne d’eux, car il avait été un vrai martyr de la vérité et de la vertu.
Grégoire de Nysse, frère de Basile, était présent à ses funérailles. Grégoire le Théologien était malade à Seleucie lorsqu’il apprit la mort de son ami. Je ne puis me consoler de cette perte, écrivit-il à Grégoire de Nysse, qu’en pensant que Basile revit en toi. Depuis que son ami était mort, il lui semblait qu’il n’avait plus qu’une moitié de vie ; il vivait du reste toujours avec lui, et le voyait sans cesse à ses côtés qui le reprenait ou l’instruisait comme lorsqu’il était encore sur la terre. Il donna un libre cours à ses sentiments dans l’éloge funèbre qu’il prononça à Cæsarée à l’un des premiers anniversaires de la mort de son. ami.
Il entreprend, dit-il, une œuvre difficile en voulant louer ce grand homme ; mais il espère que Basile, habitué qu’il était, pendant sa vie, à corriger les œuvres de son ami, se montrera comme toujours facile et bon pour lui1.
Si je voulais ajoute-t-il2, jeter les yeux sur les choses de ce monde, je louerais son origine illustre et je ferais la liste des héros qui furent ses ancêtres. Le Pont, patrie de son père, et la Cappadoce, patrie de sa mère, savent que les deux familles ont fourni des généraux, des souverains, des personnages distingués par leur influence, leurs richesses, leurs honneurs, les hautes positions qu’ils ont occupées, leur éloquence. La piété surtout était héréditaire dans ces familles qui fournirent des athlètes courageux pendant la persécution atroce de Maximinus. Le père et la mère de Basile se montrèrent leurs dignes héritiers et furent des modèles de toutes les vertus.
Basile eut son père pour premier précepteur3. Il étudia ensuite successivement à Cæsarée, à Bysance, à Athènes. Ce dernier mot rappelle à Grégoire la vive amitié qui commença dans cette ville à l’unir à Basile. Il l’avait connu auparavant, mais c’est à Athènes que les deux amis se comprirent et se lièrent d’une amitié qui dura autant que leur vie, dans sa première vivacité. Comment, s’écrie Grégoire, pourrai-je me rappeler sans verser des larmes notre séjour à Athènes ! et il retrace leur vie d’étude et de piété4. Les deux amis ne purent réaliser aussitôt qu’ils l’auraient voulu leur projet de vivre en philosophes chrétiens. Basile entreprit plusieurs voyages. Quant à Grégoire, mon amour pour mes parents, dit-il5, et le soin que je devais en prendre dans leur vieillesse, me tinrent éloigné de mon ami. Nous avons raconté pourquoi ils se réunirent et se séparèrent à plusieurs reprises.
—
1 S. Greg. Theol., In Laud. Basil. Magn., §§ 1, 2.
2 Ibid., §§3ad ll.
3 Ibid., §§ 12 ad 19.
4 Ibid., § 20. Nous avons cité précédemment ce passage.
5 Ibid., § 25.
Avant de parler de l’épiscopat de son ami, Grégoire critique les mauvais évêques. On ne suit pas, dit-il1 pour l’épiscopat les règles sagement établies pour la conduite d’un vaisseau, ou pour l’armée, où l’on monte progressivement aux grades. De là n’arrive-t-il pas que l’ordre le plus saint tombe dans le ridicule. Ce n’est pas la vertu, mais le crime qui ouvre la porte de la dignité sacerdotale, et les chaires ne sont pas le partage des plus dignes et des plus capables. Un médecin n’obtient son titre que par l’étude des maladies, tandis qu’on improvise évêque un homme qui ne sait rien, et qui se produit tout à coup, comme une apparition féerique sort de la tête d’un poëte. En un jour nous faisons des saints et nous ordonnons d’être savants et sages à ceux qui n’ont rien appris, et qui n’ont d’autre titre à l’épiscopat que de l’avoir voulu. Tel évêque d’un humble siège, et digne d’en occuper un plus élevé, reste humble et appliqué à l’étude des saintes Écritures. Tel autre, au contraire, qui occupe indignement une chaire importante, se montre orgueilleux et fier, regarde de haut ceux qui valent mieux que lui, et se croit très-profond dans la doctrine, lorsqu’il ne professe que l’hérésie.
Tel ne fut pas, ajoute Grégoire2, le grand et illustre Basile, qui, dans les choses de son ordre, comme dans la pratique des autres vertus, fut pour tous un modèle. Ce fut surtout pendant la persécution qu’il se montra grand, lorsqu’il eut à tenir tête à un empereur qui aimait autant l’or qu’il haïssait Jésus-Christ ; qui, sans être apostat comme Julien, ne fut pas meilleur chrétien que lui ; qui déclara à l’Eglise une guerre dans laquelle il fut secondé par de mauvais évêques.
Basile opposa à la persécution une fermeté dame, une prudence, une sagesse admirables3. Il se porte au secours de tous, apaise les haines, donne de bons conseils, organise son armée, fait disparaître les scandales et les antipathies qui pouvaient fournir des aliments à
—
1 S. Greg. Theol., In Laud. Basil Magn., §26.
2 Ibid., §§ 27 ad 31.
3 Ibid., § 32.
la guerre ; il soutient les uns, reprend ou chasse les autres. Pour ceux-ci, c’est un mur de défense, un rempart ; pour ceux-là, c’est une hache si fortement trempée qu’elle fend la pierre ; c’est, selon l’expression de l’Ecriture, un feu dans les broussailles et qui consume les ennemis de Dieu.
Parmi les preuves qu’il donna de son dévouement à l’Eglise, il faut noter la liberté avec laquelle il parla aux hommes puissants1, et prit la protection des opprimés ; sa charité pour les pauvres auxquels il faisait l’aumône spirituelle en leur distribuant des secours considérables ; son zèle envers les vierges et envers l’ordre monastique auquel il donna des règlements de vive voix et par écrit ; le soin qu’il avait de composer des prières, de régler les fonctions ecclésiastiques, de faire tout ce que l’amour de Dieu, le dévouement à son culte et le bien spirituel du peuple peuvent inspirer.
Grégoire rapporte un détail touchant de l’élection de Basile à l’épiscopat et de son ordination. « Le Saint-Esprit, dit-il2, inspira à des hommes illustres par leur piété et enflammés de zèle, de venir de contrées éloignées pour lui conférer l’onction ; parmi eux était le nouvel Abraham, notre patriarche, mon père, auquel il arriva une chose extraordinaire. Quoique accablé de vieillesse et si malade qu’on l’eût cru près de mourir, il n’hésita pas à se mettre en route pour aider, par son vote, à l’élection ; le Saint-Esprit l’aidait et le guidait. On le plaça sur une voiture, comme un mort que l’on mettrait dans son cercueil, et il revint rajeuni, fort, bien portant, et l’œil très-vif. L’imposition des mains et l’onction, faites sur une tête si sainte, avaient renouvelé ses forces. »
Basile était persuadé que plus la place qu’on occupe est élevée, plus on doit se montrer vertueux, sans quoi on resterait au-dessous de sa dignité3. Sa vertu ne grandit pas après son ordination, mais elle se montra
—
1 S. Greg. Theol., In Laud. Basil. Magn., § 34.
2 Ibid., § 37.
3 Ibid., g 38.
plus qu’auparavant, et tout le monde en était émerveillé.
En présence des maux qui accablaient l’Eglise1, il songea que le devoir de l’évêque n’était pas de garder le silence, mais de porter secours à ceux qui étaient en péril. Il joignit l’action aux écrites pour enseigner la vraie doctrine, combattre les hérétiques et leurs systèmes, frappant de son éloquence comme de traits acérés tous ceux qui voulaient lutter en faveur de l’erreur, et traçant pour tout l’univers les lois de la vérité. Il combattait pour les peuples et les villes ainsi que pour les particuliers ; reprenant, discutant, poursuivant avec vigueur les uns ou les autres, et appliquant à chacun le remède que réclamait sa maladie.
Basile ne fut pas effrayé lorsque Valens, ennemi de Dieu et tyran de la foi arriva dans la Cappadoce2. Cet hérétique marquait partout son passage par des violences. Les bons étaient proscrites, exilés, entourés d’embûches ouvertes ou cachées. Il savait avoir recours aux flatteries quand il pensait par là arriver à ses fins, mais il devenait violent lorsqu’il ne réussissait pas à corrompre par ses belles paroles. Ceux qui professaient la foi orthodoxe étaient chassés des églises qui étaient livrées aux hérétiques ; des prêtres étaient brûlés en pleine mer ; des généraux impies, au lieu de combattre les Perses, les Scythes, et les autres ennemis de l’empire, faisaient la guerre aux Eglises, dansaient sur les autels, souillaient du sang de leurs victimes humaines les sacrifices non sanglants3, et insultaient à la pudeur des vierges.
Après avoir passé par les villes de la province, Valens se dirigea vers l’Eglise de la métropole pour la soumettre, et éteindre ce foyer lumineux qui seul brillait encore4. Mais le trait qu’il voulut lancer contre son évêque rencontra un obstacle contre lequel il se brisa.
—
1S. Greg· Theol., In Laud. Basil. Magn., §§ 42, 43.
2 Ibid., §§ 44 et 45.
3 Ibid., § 46. Ce passage prouve que l’on conservait le pain et le vin consacrés dans les églises.
4 Ibid., § 47.
Valens eut recours contre Basile à toutes les influences, à tous les moyens ; mais ce fut en vain. Valens n’osa lui-même s’attaquer à Basile ; il chargea le préfet d’engager le combat. Ce préfet le fit venir et lui dit : « Dis- moi, pour quelle raison oses-tu faire opposition à un si grand empereur, et te conduire avec arrogance et autrement que les autres ? — Que veux-tu dire, répond Basile ; de quelle arrogance veux-tu parler ? Je ne te comprends pas. — Je veux dire que tu ne veux pas avoir la religion de l’empereur, tandis que tous les autres s’y sont soumis et ont été vaincus. — Mon empereur me le défend ; je ne m’abaisse pas jusqu’à adorer une chose créée, parce que je suis moi-même créature de Dieu et qu’il m’est ordonné d’être Dieu. — Et nous, pour qui nous prends-tu donc ? ne sommes-nous rien, nous qui pouvons ordonner ? Quoi ! tu ne trouves donc pas qu’il est grand et honorable de te mettre avec nous et de nous avoir pour compagnons ? — Vous êtes préfets, et gens très-illustres, incontestablement ; cependant vous n’êtes pas plus que Dieu. Je serais certainement très-honoré et très-flatté de vous avoir pour compagnons (pourquoi non ? puisque, vous aussi, êtes des créatures de Dieu) ; mais je n’en serais pas plus honoré que de la société des autres qui nous sont soumis ; car ce n’est pas la dignité mais la foi qui fait le chrétien. — Quoi ! tu ne crains donc pas le pouvoir dont je suis revêtu ? —Pourquoi le craindrais-je ? que peux-tu faire ? que puis-je souffrir ? — Ce que tu peux souffrir ? Je peux t’infliger beaucoup de peines ; mais je t’en dirai une seulement. — Laquelle ? explique-toi bien. — La confiscation de tes biens, l’exil, les tourments, la mort. — Dis-moi autre chose si tu veux m’effrayer. De tes menaces, aucune ne me touche. Celui qui ne possède rien ne redoute pas la confiscation des biens ; à moins que tu n’aies besoin de ces vieux vêtements déchirés et de quelques livres qui composent toute ma fortune. Je ne connais pas d’exil, car je ne me sens lié à aucun lieu ; je ne regarde pas comme mienne cette terre que j’habite pour le moment, et je regarderai comme mienne toute terre sur laquelle je
serai jeté ; pour parler plus exactement, toute la terre est à Dieu et j’y suis pèlerin et étranger ; que peuvent me faire les tourments ? dès le premier coup, mon corps s’affaiblira ; or tu n’as de pouvoir que sur lui. La mort sera pour moi un bienfait, car elle m’enverra plus vite à Dieu pour lequel je vis, et que je sers ; je suis déjà mort en grande partie, et je serai heureux d’aller plus tôt à lui. — Personne, jusqu’à présent, ne m’a parlé avec cette liberté. — C’est que, sans doute, tu n’as pas encore rencontré d’évêque ; car si tu en avais provoqué un à la même lutte, il t’aurait répondu de la même manière. Sache, préfet, qu’en toute autre chose, nous sommes doux et pacifiques, les derniers de tous, comme cela nous est prescrit par la loi. Non-seulement nous sommes humbles envers un puissant empereur, mais envers un homme du peuple de la plus pauvre condition. Mais dès que Dieu est en péril, nous ne voyons plus que lui, et nous regardons le reste comme rien. Le feu, le glaive, les bêtes, les ongles de fer, loin de nous effrayer, nous réjouissent. Ainsi cesse tes outrages et tes menaces ; fais ce que tu voudras ; jouis de ton pouvoir. Que l’empereur l’entende bien : tu ne nous vaincras pas ; tu ne nous arracherais pas notre assentiment à une doctrine impie, alors même que tu nous ferais des menaces plus terribles. »
Le préfet1 ne put s’empêcher de vénérer un tel homme ; il le laissa partir librement, et dès qu’il vit Valens, il lui dit : « Empereur, nous sommes vaincus par l’évêque de cette Eglise ; il est supérieur aux menaces ; plus fort que tous les discours ; insensible à toutes les flatteries. Il faut nous adresser à de plus lâches. Pour celui-là, il lui faut faire ouvertement violence et ne pas s’attendre à ce qu’il cède aux menaces. »
Valens ne puf s’empêcher d’admirer le grand évêque et défendit de lui faire aucune violence. Il se rendit à l’Eglise pour la fête de l’Epiphanie et se plaça au milieu des fidèles comme s’il eût dû communier avec
—
1 S. Greg. Theol., In Laud. Basil. Magn., § 51.
eux1. Quand il entendit le chant des Psaumes, qu’il vit la foule du peuple, le clergé qui était dans le sanctuaire et aux alentours, et qui formait une troupe plutôt angélique qu’humaine ; quand il vit Basile lui-même, qui se tenait droit devant le peuple, et qui semblait ne s’être même pas aperçu de son entrée dans l’Eglise, et paraissait comme une colonne appuyée sur Dieu et sur son autel ; lorsqu’il vit tous ceux qui l’entouraient, pénétrés d’une crainte respectueuse, il fut comme pris de vertige ; car il n’avait jamais rien vu de semblable. Lorsqu’il voulut approcher pour que l’on déposât sur la table divine le pain que lui-même avait pétri, personne ne le prit de ses mains, car on ne savait pas si Basile voudrait l’accepter ; il en fut si affecté que ses jambes se mirent à trembler et qu’il serait tombé si un des ecclésiastiques qui étaient près du sanctuaire ne l’eût soutenu.
Ces détails de saint Grégoire donnent une idée de la solennité avec laquelle on célébrait les offices de l’Eglise, au IVe siècle. Le saint orateur fait connaître un autre fait, où se rencontrent des détails également intéressants sur le sanctuaire des Eglises. Un jour, dit-il, l’empereur revint, on ne sait pourquoi, à l’Eglise. Il pénétra en dedans du voile2 et eut avec Basile une conversation dont furent témoins plusieurs ecclésiastiques qui entrèrent dans le sanctuaire en même temps que lui. Grégoire était lui-même présent. Basile adressa à Valens des paroles vraiment divines ; Valens en fut frappé et commença dès lors à montrer moins de rigueur envers les orthodoxes.
Saint Grégoire raconte d’autres faits de la vie de Basile ; puis il fait l’éloge de ses vertus : de sa douceur, de sa sobriété, de sa chasteté virginale, de sa charité, de son humilité ; il le considère ensuite comme écrivain ; il exalte son éloquence et la profondeur de son génie ;
—
1 S. Greg. Théol., In Laud. Basil. Magn., § 52.
2 On voit que l’usage du voile est fort ancien. Les églises en Orient ont encore un voile qui sépare le sanctuaire du reste de l’église. Il est placé sur la porte principale de la cloison appelée iconostase, et on le ferme à plusieurs reprises, pendant la liturgie.
il trace le caractère de ses principaux ouvrages ; il le compare aux grands hommes de l’Ancien Testament et aux apôtres.
On conçut tant de vénération pour Basile1 que des fidèles voulaient imiter même son extérieur et ses habitudes, sa pâleur, sa barbe, sa manière de marcher et de parler. Ceux qui ne parvenaient pas à l’imiter parfaitement en étaient véritablement affligés. On voulait imiter sa manière de s’habiller, de se coucher et de prendre ses repas. Ceux qui avaient été en relations avec lui et qui pouvaient rappeler quelques-unes de ses paroles en étaient tout fiers. Saint Grégoire finit son éloge funèbre par le récit des funérailles du grand évêque. Puis, s’adressant à Basile, il demande à son ami de prier pour lui et de lui obtenir d’aller un jour louer avec lui la sainte Trinité.
L’invocation des saints a toujours été pratiquée dans l’Eglise.
Avant la mort de Basile, Grégoire avait quitté Nazianze. Il avait consenti à gouverner cette Eglise après la mort de son père, mais â condition que les évêques de la province et les fidèles éliraient bientôt un évêque et lui laisseraient ainsi la liberté de vivre dans la solitude2. Il demanda souvent que l’on fît l’élection ; mais les évêques ne tenaient aucun compte de ses prières, et ses amis étaient heureux de le posséder plus longtemps. Cependant ses infirmités le rendaient, prétendait-il, incapable de remplir les fonctions de l’épiscopat. Voyant qu’on ne tenait aucun compte de ses sollicitations, il abandonna Nazianze dont il n’était pas réellement évêque, et se retira à Seleucie. Il pensa qu’en s’éloignant, il forcerait les fidèles de Nazianze de se choisir un évêque. Ils n’en firent rien, et, depuis l’année 375 jusqu’à son retour de Constantinople, six ans après, l’Eglise de Nazianze n’eut pas d’évêque ; elle espérait sans doute que Grégoire lui reviendrait.
Le saint évêque s’était retiré à Seleucie pour y jouir
—
1 S. Grog. Theol., Orat. 43 in Laud. Basil. Magn.
2 S. Greg. Theol., Carmina de seipso, et Epist. passim.
de la solitude après laquelle il avait toujours soupiré et dont il ne devait jamais jouir. A peine arrivé dans cette ville, il y fut accablé d’affaires, et les persécutions ne lui firent pas défaut, comme on le voit dans sa correspondance avec saint Grégoire de Nysse. Ce vénérable frère du grand Basile, sans avoir le génie de son frère, était cependant un des plus grands évêques de l’Orient. Sa correspondance avec Grégoire le Théologien atteste que ce dernier avait pour lui une tendre amitié et une profonde estime. Nous étudierons bientôt la vie et les ouvrages de Grégoire de Nysse ; il appartient plus spécialement à l’époque qui suivit le deuxième concile œcuménique.
Grégoire le Théologien se consolait des persécutions en écrivant aux vénérables amis qu’il avait en Orient ; mais ceux-ci ne voulaient pas que son génie et sa science fussent ensevelis dans la solitude. Ils pensaient qu’il se devait à l’Eglise et à la bonne doctrine, et l’obligèrent à se rendre à Constantinople pour y combattre les ariens qui y avaient établi comme leur quartier général. Au début de l’arianisme, Constantinople avait été préservée de l’hérésie par son grand et saint évêque Alexandre ; Paul, qui lui succéda, combattit avec une énergie digne d’Athanase l’hérésie et ses protecteurs. Exilé à plusieurs reprises, persécuté de toutes manières, il fut enfin massacré par les hérétiques. Macedonius fut placé sur le siège de Constantinople ; nous avons dit à l’aide de quelles violences il put s’y maintenir ; cet évêque feignit de ne pas s’occuper des discussions ariennes relatives aux Fils, et adhéra aux systèmes d’Eunomius contre le Saint-Esprit. A cause de la haute position qu’il occupait, on le considéra comme chef des eunorniens que l’on appelait souvent macédoniens.
Ses cruautés le firent déposer en 360 ; mais les ariens lui donnèrent pour successeur Eudoxius, digne disciple d’Acacius de Cæsarée en Palestine. Les orthodoxes, ayant à leur tête le prêtre Eustathios, élurent pour évêque Evagrius.
Les ariens, furieux de cette élection, s’abandon-
nèrent à des violences inouïes. Valens crut y mettre un terme en persécutant les catholiques et en substituant à Eudoxius un nommé Demophilos.
Les ariens triomphèrent. Sainte Sophie, la grande église de la ville, pouvait être envisagée, dit Grégoire le Théologien1 comme la citadelle du démon ; il s’y était fortifié et y avait établi ses soldats. C’est là que s’assemblait l’armée du mensonge, les défenseurs de l’erreur, les soutiens de l’enfer, les légions des esprites impurs et des furies, car on peut bien donner ce nom aux femmes ariennes qui défendaient leur secte avec une fureur digne de Jézabel.
Dans ces assemblées, les orthodoxes étaient chargés d’opprobres, d’injures et de menaces ; bientôt on mit ces menaces à exécution ; les orthodoxes étaient l’objet des plus atroces violences ; on les dépouillait de leurs biens, on les exilait ; leurs églises étaient souillées par le meurtre des évêques, des prêtres, des fidèles les plus vénérables.
Le troupeau orthodoxe diminuait ainsi chaque jour à Constantinople, et l’hérésie était triomphante. Les fidèles étaient obligés de se cacher, de se réfugier où ils pouvaient comme des brebis sans pasteur et attaquées par des animaux sauvages.
Tous les évêques orthodoxes déploraient ce triste état de l’Église dans la ville impériale d’Orient. Ils suppliaient Grégoire le Théologien de voler à son secours. Il avait reçu le caractère épiscopal, sans pouvoir s’installer à Sasime, et il n’avait gouverné l’Eglise de Nazianze que comme suppléant de son père et en attendant qu’on eût élu un autre évêque. Sa retraite à Seleucie rendait inutile pour l’Eglise le génie que Dieu lui avait accordé ; à Constantinople, son génie et sa science pourraient obtenir les résultats les plus importants, et son caractère épiscopal donnerait une plus haute autorité à sa polémique contre les ariens. Valens, vaincu par Basile, se montrait
—
1 S. Gregor. Theol., Carmin, de seipso ;\. it. Epi tol. passim ; et Vit. S. Greg., and. Prœsbyt. Greg. ; Sozomen., Hist. Ecct., lib. VII, c. c. 5, 7. ; Theod., Hist. Ecct., lib. V, c. 8 ; Socrat., Hist. Eccl., lib. V, c. 7.
moins favorable aux ariens, et Gratianus, empereur d’Occident, se prononçait encore plus ouvertement en faveur de l’orthodoxie que son père Valentinianus.
Grégoire résista d’abord à toutes les raisons que l’on pouvait lui alléguer pour quitter sa retraite de Seleucie. Il résolut enfin de partir pour Constantinople, préférant mourir en travaillant pour l’Église que de supporter les continuels reproches de ses amis. Les plus grands évêques d’Orient, parmi lesquels Pierre d’Alexandrie, le bénirent de sa résolution. Il partit donc, mais, comme il le dit lui- même, la ville impériale dut être fort étonnée de voir le nouvel athlète dont les vertus et le génie étaient célèbres dans l’univers entier. C’était en effet un petit homme, tout courbé par la vieillesse et la maladie ; il avait la tête chauve et toujours baissée ; son visage n’était pas très-beau ; il était desséché par les austérités et comme sillonné par les larmes. Originaire d’une bicoque, et ayant toujours vécu dans un village, son langage était rude comme celui d’un paysan ; il était mal vêtu et il n’avait, comme il le dit lui-même, pas plus d’argent que d’ailes.
Tel était l’homme qui se dirigeait vers Constantinople pour y défendre la saine doctrine contre tous les hérétiques qui s’y étaient comme donné rendez-vous et qui y jouissaient des plus grandes richesses et de la plus haute influence.
Au moment où Grégoire se rendait à Constantinople, Valens mourait (379) et Gratianus confiait l’Orient à Théodose.
Les catholiques reprirent courage et se groupèrent autour de Grégoire. Il était descendu dans la maison que de pieux parents mirent à sa disposition ; elle devint une église qu’il nomma Anastasia, c’est-à-dire, résurrection, en souvenir de la vie nouvelle que commençait l’orthodoxie. Les fidèles s’y réunirent d’abord secrètement. C’est cette Anastasia, dit Grégoire, qui a comme ressuscité la parole de vérité auparavant si méprisée ; c’est le lieu de notre commune victoire ; c’est la nouvelle Silo où l’Arche, qui avait erré quarante ans dans le désert, trouva enfin un asile fixe et assuré. C’est une nouvelle
Bethléem où la foi a repris naissance ; c’est l’arche de Noé qui sauva du déluge de l’hérésie ceux qui devaient engendrer un nouveau peuple de catholiques.
Cette petite église devint dans la suite une des plus belles et des plus vénérées de Constantinople.
Grégoire n’était pas allé dans cette ville pour en être évêque, mais pour défendre la foi et diriger les fidèles dans le choix d’un premier pasteur lorsque les circonstances permettraient d’en élire un. Son premier soin fut de détourner les fidèles des discussions religieuses que l’hérésie avait mises à la mode et qui retentissaient sans cesse jusque dans les places publiques, au milieu des festins et des fêtes ; les femmes elles-mêmes y prenaient une part active, et les vierges ne pouvaient se retenir de discuter aussi sur les mystères. On faisait de ces discussions comme un art ou un métier ; et c’était à qui s’y montrerait plus habile.
Grégoire fit comprendre aux fidèles que de tels discours ne convenaient pas à tout le monde ; qu’on ne doit les tenir ni en tous lieux, ni en tout temps, ni devant toutes sortes de personnes. Mais afin que l’on ne se méprît pas sur ses intentions, il exposa aux fidèles la doctrine orthodoxe, et répondit à toutes les objections des hérétiques dans les magnifiques Discours théologiques dont nous avons parlé précédemment.
Ses discours ne furent pas seulement pour les fidèles qui les avaient entendus ; les hérétiques les lurent et plusieurs furent frappés de l’éloquence, de la logique qui y brillaient, et surtout de la charité que le •grand orateur montrait pour les personnes en réfutant les erreurs d’une manière invincible.
Parmi les hérétiques, plusieurs étaient de bonne foi, ne péchaient que par ignorance, et se montraient très-religieux. Ils voulurent entendre l’athlète de l’orthodoxie, et professèrent la saine doctrine. D’autres allaient entendre Grégoire par curiosité ; d’autres enfin pour le combattre. Bientôt son auditoire fut, dit-il lui-même, semblable à une mer agitée, où les sentiments les plus contradictoires se manifestaient.
A ses discours, Grégoire joignait l’exemple des plus austères vertus. Il pratiquait la frugalité d’un moine et se tenait éloigné de tous les plaisirs. Presque toujours enfermé chez lui, il semblait toujours triste, et n’était même pas fâché qu’on le trouvât peu aimable en société. On lui reprochait d’avoir une table trop modeste, des habits trop simples, un abord sans majesté. Grégoire n’était pas touché de ces reproches et ne se gênait pas pour critiquer les évêques qui s’imaginaient se rehausser par le faste, la pompe de leurs vêtements et la délicatesse de leur table. Pour lui, il aimait à vivre en vrai philosophe chrétien. Il aimait à passer la nuit à prier et à chanter des Psaumes avec quelques personnes de piété.
Il menait, au milieu de Constantinople, la même vie qu’un cœnobite de la Thébaïde en accomplissant tous les devoirs d’un vrai pasteur.
Les fanatiques de l’hérésie ne lui pardonnèrent pas ses attaques et ses succès. Ils ameutèrent contre lui la populace, qui le poursuivit quelquefois à coups de pierre. Ils me payaient avec ces pierres, dit Grégoire, la saine doctrine que je leur avais apportée, mais ils eurent tort de ne pas les lancer assez adroitement et de ne me blesser qu’en des endroits où les coups n’étaient pas mortels. La veille de Pâques, les hérétiques se ruèrent sur l’église d’Anastasia au moment où l’on y célébrait les saints mystères. Ils y commirent des atrocités et les plus horribles profanations. Grégoire fut saisi et conduit devant le préfet. Mais son innocence était tellement éclatante qu’il sortit glorieusement du tribunal, et sans y avoir subi aucun mauvais traitement.
Les persécutions furent bientôt arrêtées par l’élévation de Théodose à l’empire. Grégoire était depuis un an à Constantinople, lorsque Théodose, baptisé par l’évêque de Thessalonique, rendit l’édit célèbre par lequel il ordonnait que tous ceux qui ne suivaient pas la doctrine enseignée par Damasus de Rome et Pierre d’Alexandrie, seraient poursuivis et condamnés comme hérétiques. Ce décret envoyé spécialement à Constantinople fit entrer dans l’Eglise orthodoxe tous les ambitieux qui n’avaient
pas d’autre foi que celle qu’il leur était utile de professer extérieurement.
Les circonstances obligèrent Grégoire à se montrer tolérant. Presque tous les évêques avaient faibli, été lent entrés en communion avec d’autres évêques suspects, ou avaient apposé leur signature sur des décrets qu’ils avaient été obligés de désavouer. Il n’était pas étonnant qu’un si grand nombre de laïques se fussent laissé surprendre. Comment distinguer ceux qui avaient été de bonne foi et ceux qui ne professaient telle ou telle doctrine que par ambition ou pour d’autres motifs intéressés ?
Cependant si Grégoire était tolérant envers ceux qui avaient erré, il se montrait rigoureux à l’égard des mauvais évêques qui s’étaient substitués à la place des évêques légitimes sous Constantius et Valens ; qui ne montraient aucune vertu épiscopale ; dont la vie se passait dans le faste et la bonne chère.
Nous reviendrons sur ces critiques de Grégoire, et nous les rapprocherons de celles de Jérôme et de Jean Chrysostôme, lorsque nous aurons à indiquer les défauts intérieurs qui affligèrent l’Eglise à la fin du quatrième siècle et au commencement du cinquième.
Tandis que Grégoire travaillait à ressusciter l’Eglise orthodoxe de Constantinople, il se laissa tromper par un philosophe de la secte des cyniques appelé Maximus. Quoique chrétien, Maximus affectait de porter l’habit blanc et le bâton des sectateurs de Diogène. Il était fort impudent et très-immoral ; mais il n’était pas moins hypocrite, et il sut si bien se contrefaire à Constantinople que Grégoire l’admit dans son intimité et le loua même en pleine église.
Maximus n’était venu à Constantinople que pour tromper les fidèles et se faire élire évêque. Il noua des intrigues avec des évêques égyptiens, et Pierre d’Alexandrie, qui avait fait à saint Grégoire de si pompeux éloges, se prononça contre lui et entra dans le complot. Des évêques égyptiens arrivèrent à Constantinople et profitèrent d’une maladie de Grégoire pour s’emparer secrètement de l’église pendant la nuit. Là, en présence de
quelques marins appartenant au vaisseau qui les avait amenés, ils ordonnèrent Maximus, évêque de Constantinople.
Les cérémonies n’étaient pas encore terminées lorsque les prêtres de Grégoire entrèrent dans l’église. Bientôt toute la ville sut ce qui se passait ; on accourut à l’église d’Anastasia ; les fidèles étaient profondément affligés ; les hérétiques et les indifférents riaient de l’extérieur de Maximus, qui avait conservé sa chevelure rousse, qu’il avait laissé pousser pour se donner l’air d’un vrai Cynique.
Interrompus dans leur œuvre, les évêques égyptiens allèrent continuer leur ordination dans la maison d’un joueur de flûte en présence de quelques individus malfamés. Ils coupèrent enfin la fameuse chevelure de Maximus, et Grégoire lui-même se raille de lui à ce sujet et lui dit qu’après un si grand malheur il n’avait plus qu’à se pendre.
Ce qui affligea surtout Grégoire fut l’abandon d’un prêtre et de quelques fidèles qui se rallièrent à l’intrus Maximus. Mais le nombre n’en fut pas grand, et les orthodoxes furent si indignés de leur conduite et de celle des évêques égyptiens qu’ils voulurent obliger Grégoire à accepter le titre d’évêque de Constantinople usurpé par Maximus. Grégoire déploya toute son éloquence, et adressa au peuple les supplications les plus vives, afin d’éviter le titre qu’on voulait lui donner. Il songea même à s’enfuir ; mais les fidèles obtinrent qu’il resterait, en promettant de ne le pas forcer à accepter le titre d’évêque de Constantinople jusqu’à l’arrivée de plusieurs évêques qui étaient en route pour cette ville.
Maximus et les évêques égyptiens chassés de Constantinople se rendirent à Thessalonique pour implorer l’appui de Théodose. Mais ce prince les chassa avec mépris. Alors ils retournèrent à Alexandrie, et Maximus se conduisit à l’égard de l’évêque Pierre avec une telle impudence, que le préfet le chassa de la ville et que Pierre comprit la faute qu’il avait commise en favorisant l’usurpation d’un tel homme contre Grégoire. Il en fit des
excuses au saint évêque, et Grégoire ne se souvint plus que des vertus dont Pierre avait donné des preuves éclatantes.
Les choses étaient en cet état à Constantinople lorsque Théodose y arriva le 24 novembre 480. Grégoire se présenta devant lui, l’empereur l’embrassa, lui parla avec bonté et l’avertit que le peuple de Constantinople avait fait auprès de lui de telles instances, qu’il ne pouvait s’empêcher de l’engager à accepter le titre d’évêque de cette ville. Grégoire n’osa refuser, quoiqu’il entrevît les difficultés qu’il aurait à surmonter.
Théodose ayant demandé à l’évêque arien Demophilos s’il voulait adhérer à la foi de Nicée, celui-ci répondit qu’il n’y consentirait à aucun prix. Alors l’empereur lui ordonna de laisser toutes les églises aux orthodoxes. Cette nouvelle émut vivement les ariens, habitués depuis si longtemps à la domination. Hommes, femmes, enfants, se répandirent dans les rues en pleurant et en demandant à grands cris leurs églises. Pour maintenir l’ordre, Théodose plaça des soldats autour des églises, et bientôt il parut avec Grégoire assis à côté de lui. Le saint évêque était si faible qu’il pouvait à peine respirer. Lorsqu’il entra dans l’église, la foule l’acclama, le demandant pour évêque. N’ayant pas la force de se faire entendre, un de ses prêtres dit en son nom qu’il ne fallait pour le moment que rendre grâces à Dieu, et que le reste viendrait en son temps. Théodose ne put qu’admirer une telle modestie, et tout le peuple ne songea plus, pour ce jour-là, qu’à louer. Dieu du triomphe qu’il accordait à la vérité.
Malgré leur fureur, les ariens n’osèrent se révolter, et les églises furent livrées aux orthodoxes sans qu’une goutte de sang eût été répandue. Pour eux, ils s’en étaient emparés autrefois en tuant plusieurs milliers de fidèles.
Les instances continuèrent auprès de Grégoire pour l’engager à accepter enfin le titre d’évêque de Constantinople ; on le lui donnait même, mais il regardait ce titre comme illégal tant que les évêques ne le lui auraient pas accordé.
Nous avons vu qu’il voulait attendre l’arrivée d’évêques qui se rendaient à Constantinople. Ils y allaient pour le grand concile qui devait s’y tenir en 481. Théodose, dès son avènement à l’empire, avait conçu le projet de réunir un concile afin de mettre un terme à toutes les discussions dont l’Orient était agité.
En 480, il envoya les lettres de convocation et les évêques se mirent aussitôt en route pour Constantinople1. Les évêques ariens furent convoqués aussi bien que les orthodoxes. Ils se trouvèrent au concile au nombre de trente-six ; les orthodoxes y furent au nombre de cent cinquante.
Tous se rendirent d’abord au palais de Théodose, qui leur adressa les paroles les plus gracieuses2 et les pria, avec les sentiments d’un fils pour ses pères dans la foi, de s’occuper activement des choses qui seraient soumises à leurs délibérations.
Les premières sessions du concile furent présidées par Meletios d’Antioche3. On s’occupa d’abord d’élever un
—
1 Theodoret. ; Hist. Eccl., lib. V, c. 6 ; Socrat., Hist. Eccl., lib. V, c. 8 ; Sozom., Hist. Eccl., lib. VIII, c. 5.
2 Théodoret (lib. V, c. c. 6 et 7) relate un fait extraordinaire se rapportant à saint Meletios d’Antioche. Théodose l’aurait vu en songe lui annonçant l’empire d’Orient. Il n’avait jamais vu l’évêque d’Antioche, mais les traits de celui qu’il avait vu en songe lui étaient restés gravés dans l’imagination. Lorsque les évêques se présentèrent au palais, il défendit de lui désigner Meletios ; mais il le reconnut aussitôt, et après l’avoir regardé avec vénération, l’embrassa suries yeux, la bouche, la poitrine, la tête et sur la main droite qui l’avait couronné empereur.
3 On sait que Meletios n’était pas en communion avec l’évêque de Rome, qui ne reconnaissait que Paulinus pour évêque orthodoxe d’Antioche.
Des théologiens latins ont prétendu que Damasus, évêque de Rome, avait convoqué le concile, mais cette assertion est tellement fausse que d’autres théologiens plus instruits et plus sincères ont avoué que Damasus n’avait été pour rien dans la convocation. Parmi ces derniers, nous citerons Tillemont (Mém. Eccl., t. IX. Vie de saint Grég., art. G9) ; Héfelé (Histoire des conciles, lib. Vil, § 95). Afin de faire croire que l’évêque de Rome avait convoqué le concile et qu’il l’avait présidé par ses légats, des faussaires latins ont donné comme étant du concile œcuménique de 481, une lettre d’un autre concile de Constantinople où il est dit que ce concile s’était réuni à la prière de Damasus. Nous donnerons plus tard cette lettre d’après Theodoret (Eist. Eccl., lib. V, c. 9). On trouve dans les actes du sixième concile œcuménique que l’empereur Théodose et Damasus s’opposèrent au macédonianisme, et que Grégoire le Théologien et Noctarius, son successeur, convoquèrent contre eux le concile de Constantinople ; mais ce texte ne prouve rien en faveur de la convocation
évêque sur le siège de Constantinople. L’ordination illégitime de Maximus fut annulée, et Grégoire fut prié d’accepter le titre que la ville entière lui offrait. Il avait bien été nommé évêque de Sasime ; et le droit canonique défendait la translation d’un siège à un autre. Mais il n’avait pu prendre possession du siège pour lequel saint Basile l’avait ordonné et qui fut occupé par un autre évêque ordonné par Anthimos. On ne pouvait donc dire que réellement il changeait de siège. De plus, la loi était parement ecclésiastique, et un concile œcuménique pouvait, dans une circonstance particulière, ne pas l’appliquer.
Grégoire céda aux prières des évêques et fut dès lors évêque légitime de Constantinople.
Meletios, qui le bénit le jour où il monta sur la chaire de la ville impériale d’Orient, mourut peu de temps après. Sa mort fut un deuil, surtout pour Grégoire qui avait hérité des sentiments du grand Basile pour le saint évêque d’Antioche. Le corps de saint Meletios fut embaumé, enveloppé de lin et de soie et déposé dans l’église des saints apôtres en attendant qu’on le transportât à Constantinople. On lui fit de magnifiques funérailles ; une foule immense y assista, et des chœurs y chantèrent des Psaumes en plusieurs langues. Les évêques les plus éloquents du concile prononcèrent son éloge funèbre1. Pendant les cérémonies, on appliquait des linges sur la figure du saint évêque et on les distribuait au peuple qui les conservait respectueusement, en mémoire d’un saint qui, disait Grégoire de Nysse, était au ciel, priant pour l’Eglise et pour les ignorances du peuple de Dieu.
—
par Damasus, au contraire. Grégoire et Nectarius ne convoquèrent pas le concile, mais le présidèrent ; c’est ce que voulait dire le sixième concile.
Pour prouver que le concile fut présidé par les légats de Damasus, on a fabriqué des actes dans lesquels on a désigné comme légats Paschasinus, Lucentius et Bonifacius. Le faussaire n’a pas été habile, car ces trois personnages ne furent les légats de l’évêque de Rome que soixante-dix ans plus tard, au quatrième concile œcuménique.
Damasus savait que le concile était convoqué ; mais il n’en parle que comme d’une assemblée dans laquelle il n’était pour rien (Damasus, Epist. V, ad Ascliot.).
1 On ne possède plus que le discours de saint Grégoire de Nysse. V. ce discours et S. Greg. Théol., Carm. 1 de seipso, a vers. 1572 ad vers. 1582.
On pouvait croire que la mort de Meletios mettrait fin au schisme d’Antioche. En effet, Paulinus était orthodoxe comme Meletios, et tout le monde le vénérait à cause de sa haute vertu. Les plus intimes amis de Meletios, et particulièrement Grégoire le Théologien, respectaient Paulinus et auraient voulu qu’il fût reconnu universellement comme légitime évêque de tous les orthodoxes.
Quelque temps avant le concile, Paulinus1 avait refusé de s’entendre avec Meletios, sous prétexte qu’il avait été ordonné par des ariens, et Meletios lui-même avait condamné Paulinus. De là des luttes très-vives à la suite desquelles cet accord aurait été fait entre les prêtres des deux partis : qu’à la mort de l’un des deux évêques, tous les orthodoxes reconnaîtraient le survivant comme évêque légitime. Les prêtres s’engageaient même à refuser l’épiscopat s’il leur était offert. Parmi eux était Flavianus. Quelques lucifériens seulement, attachés à Paulinus, refusèrent d’acquiescer à ce compromis.
Plusieurs évêques du concile de Constantinople ne reconnurent pas la légitimité d’un tel traité. Grégoire les caractérise en les appelant turbulents et méchants2.
Grégoire, en sa qualité d’évêque de Constantinople, présidait le concile après la mort de Meletios. Il laissa la discussion s’agiter librement entre ceux qui s’opposaient à Paulinus et ceux qui étaient guidés par l’amour de la paix. Il prit enfin la parole, se prononça en faveur de Paulinus et s’exprima en ces termes3 : « Mes amis, vous ne me paraissez pas considérer la chose de la même manière, et vous ne jugez pas raisonnable de parler du vrai motif qui doit diriger nos délibérations. En effet, vous ne tenez compte que d’une ville ; c’est là ce qui donne à la lutte plus d’ardeur, et c’est pour la continuation de cette lutte que vous comptez sur l’imposition des mains que je donnerais au nouvel élu. J’ai des pensées plus élevées et que vous ne pourrez trouver défectueuses. Jetez les yeux sur ce vaste univers arrosé par
—
1 Social., Hist. Eccl., lib. V, c. 5 ; Sozom., Hist. Eccl., lib. VII, c. 3.
2 S. Greg. Theol., Carm. I de scipso, vers. 1581.
3 S. Greg. Theol., Carm. I, vers. 1591 el seq.
les ruisseaux du sang précieux de Dieu, qui a souffert sous la forme humaine, qui s’est offert pour être le prix de notre liberté ; arrosé encore du sang d’autres victimes. Supposons qu’il soit divisé à cause de deux anges. Ceux dont il est question (je le dis avec regret) ne sont pas dignes de ce nom ; mais quand ils seraient deux anges, il ne faudrait pas qu’ils fussent l’occasion d’une lutte aussi déplorable.
« Pendant que le divin évêque Meletios était au milieu de nous, et que l’on ne savait pas comment amener les Occidentaux à le reconnaître, à cause de leur vieille irritation, on pouvait paraître ignorer leurs torts, d’autant plus qu’ils se prétendaient les défenseurs des canons. Un homme doux est un remède contre la colère, et on obtient la confiance de quelqu’un en paraissant ignorer ses torts. Mais aujourd’hui, que la tempête est apaisée et que Dieu nous a donné la paix, que faut-il faire ? Ecoutez mes paroles ; elles sont prudentes et valent mieux que celles de certains jeunes évêques. Je pense que celui que nous devons laisser sur la chaire d’Antioche est celui qui l’occupe maintenant. Quel mal y aura-t-il si nous pleurons un peu plus longtemps celui que nous avons perdu ? La vieillesse de l’autre mettra bientôt un terme à la lutte ; c’est la meilleure issue que nous puissions désirer. Paulinus mourra bientôt, et, selon ses désirs, son esprit retournera à celui qui le lui a donné. Alors, d’un commun consentement du peuple et des évêques, et sous l’inspiration du Saint-Esprit, nous donnerons un évêque à cet illustre siège.
« Par ce moyen nous nous attacherons les étrangers ; car je vois que l’on considère l’Occident comme étranger ; et nous rendrons la paix à une grande ville, à un grand peuple. »
Grégoire fit ensuite appel à la concorde et finit en disant que si l’on pouvait supposer qu’il parlait ainsi dans son propre intérêt, il serait heureux de quitter sa chaire épiscopale pour se retirer dans la solitude, objet de ses constants désirs.
Lorsqu’il eut fini de parler, les jeunes évêques qui
avaient soulevé la discussion se mirent à jaser comme des geais et à bourdonner comme des guêpes. Les vénérables vieillards qui formaient l’assemblée, au lieu de les châtier, se laissèrent entraîner à leur opinion. Leur grand argument était que l’Orient devait l’emporter sur l’Occident. L’Eglise occidentale avait reconnu Paulinus ; l’Orient ne devait donc pas le reconnaître.
Saint Grégoire blâme avec raison ce motif ridicule et s’étonne que les meilleurs évêques aient cédé à quelques jeunes écervelés dans cette question. Le concile nomma évêque d’Antioche, Flavianus, et toute la ville, excepté le petit troupeau de Paulinus, adhéra à ce choix. Grégoire quitta alors l’assemblée et annonça qu’il allait renoncer à son siège. On le priait d’y rester dans l’intérêt de la foi, lorsque les évêques égyptiens et macédoniens arrivèrent au concile1. Grégoire fut heureux de voir arriver des adversaires aux dents de sanglier, au visage fauve et aux yeux étincelants. Il espéra qu’ils le délivreraient d’une chaire qu’il n’avait acceptée qu’à regret.
Parmi les Egyptiens se trouvaient sans doute les évêques qui étaient venus à Constantinople ordonner Maximus le Cynique. Ils n’avaient pas, comme l’évêque Pierre, changé d’opinion au sujet de cet intrigant ; l’évêque d’Alexandrie, qui était à leur tête, Timothée, frère de Pierre, était partisan déclaré de Maximus et apollinariste2 ; il n’était donc pas disposé à se séparer de ses suffragants pour une question personnelle. Les macédoniens avaient été prévenus contre Grégoire par Damasus, évêque de Rome, qui cachait son antipathie contre ce grand homme sous les beaux dehors de la légalité. D’après lui3, il n’était pas permis de transférer un évêque d’un siège à un autre. Mais son vrai motif était qu’il n’aimait pas l’ami intime de ce Basile qui avait flagellé l’orgueil et le faste de l’évêque de Rome. Grégoire se permettait les mêmes critiques que son ami.
Le concile fut fort agité à propos de la démission de
—
1 S. Greg. Theol., Carm. 1, vers. 1800 et seq.
2 Theod., Hist. Eccl., lib. V, c. 8 ; Dam., Epist. VII, ad oriental episcop.
3 Damas., Epist. V et VI ad Aschol.
Grégoire. La colère y eut plus de part que la raison ; on fit appel à des lois qui ne regardaient guère le grand évêque ; on ne savait même encore qui l’on mettrait à sa place ; mais on voulait être désagréable à ceux qui l’avaient choisi et qui formaient la partie la plus vénérable de l’assembléel. Parmi eux2 on comptait Helladios, successeur de Basile le Grand sur le siège de Cæsarée ; Grégoire de Nysse et Pierre de Sébaste, frères du même Basile ; Amphilochios d’icône ; Optimus d’Antioche de Pisidie ; Diodore de Tarse ; Pélagius de Laodicée ; Eulo- gius d’Edesse ; Acacius de Bérée en Syrie ; Isidore de Gyr ; Cyrille de Jérusalem et son neveu Gélase de Cæsarée en Palestine. La plupart de ces évêques sont vénérés comme saints par les Eglises d’Orient et d’Occident. Ils se tenaient éloignés des Egyptiens, ennemis déclarés de Grégoire, et se réunissaient sous la présidence de ce vénérable évêque.
Mais Grégoire ne tenait pas assez à son siège pour être ainsi un sujet de division. Il engagea donc même ses amis à l’abandonner et à s’entendre avec les autres évêques pour lui choisir comme successeur un homme recommandable par ses vertus. En présence de tous les évêques il prononça ce discours3 : « O vous que Dieu a assemblés pour travailler à sa gloire, ne tenez pas grand compte de ce qui me regarde et occupez-vous de choses beaucoup plus importantes. Je serai Jonas ; jetez-moi à la mer pour sauver le vaisseau. Quoique, en réalité, je ne puisse être cause de la tempête, jetez-moi dehors, je trouverai bien l’hospitalité quelque part. Soyez d’accord au moins sur ce point. C’est contre ma volonté qu’on m’a placé sur ce siège ; je serai heureux de le quitter. Mais, ô ma Trinité, c’est de toi seulement que je me préoccupe ! Que je voie sur ce siège une langue consacrée à ta défense ! Pour vous, membres de cette assemblée, recevez mes adieux, et souvenez-vous de mes travaux. »
—
1 S. Greg. Theol., loc. cit.
2 Theodoret., Hist. Eccl., lib. V, c. 8.
3 S. Greg. Theol., Carm. 1, vers. 1828 el seq.
Grégoire ayant quitté le concile, se présenta devant l’empereur pour le prier de ne pas s’opposer à sa retraite. Il y consentit avec peine, mais si le grand évêque était joyeux de retrouver sa liberté, il était inquiet pour son troupeau qui pourrait être gouverné par un ennemi de la foi. Il se confia dans la Providence et, après avoir obtenu le consentement de l’empereur, il résolut de quitter Constantinople. Il voulut auparavant faire ses adieux à son peuple, et il prononça dans la grande église de la ville, en présence de tous les membres du concile, un discours éloquent dont nous donnerons l’analyse1 :
Chers pasteurs et collègues, je prends la parole, avant de quitter cette chaire, pour vous rendre compte de ma conduite ; car je ne rougis point de me soumettre à votre jugement, disposé à accepter vos louanges si j’ai bien agi, ou votre blâme si je l’ai mérité. Ce troupeau qui’ est aujourd’hui sous vos yeux était petit, ce n’était même qu’un petit reste de troupeau. Ses membres n’avaient pas de pasteurs ; ils se réunissaient où ils pouvaient, jusque dans les cavernes des montagnes, poursuivis par des ennemis qui osent encore aujourd’hui avoir de l’impudence ; qu’étaient-ils lorsque la paix ne nous avait pas été rendue et qu’ils étaient tout-puissants ?
C’est vers ce petit troupeau, pauvre et désolé que je suis venu, et le Saint-Esprit en a fait ce troupeau nombreux et brillant qui est sous vos yeux. Il a rapproché les uns des autres les os desséchés, et il a donné à son peuple une nouvelle vie. Il avait été humilié à cause de ses péchés ; il est ressuscité parce qu’il a adoré la Trinité. Si ce que j’ai fait vous paraît peu de chose, je demanderai comment j’aurais pu en faire davantage. N’ai-je pas contribué à ressusciter la foi dans cette ville, l’œil du monde, assise avec majesté sur la terre et sur la mer ; nœud et lien de l’Orient et de l’Occident, vers laquelle on se donne rendez-vous, de tous les confins du monde, pour y acheter la foi.
—
1 S. Greg. Theol., Orat. 42.
Qui que tu sois qui voudrais t’établir le censeur de ma doctrine, jette les yeux autour de toi et vois cette couronne glorieuse que j’ai tressée ; vois cette assemblée de prêtres que leurs cheveux blancs et leur sagesse rendent vénérables ; vois la modestie de ces diacres et de ces clercs, le zèle de ce peuple, hommes et femmes, qui rivalisent d’ardeur pour s’instruire ; vois ces philosophes et ces hommes simples ; ces nobles et ces ouvriers ; ces vieillards et ces jeunes gens ; ces femmes mariées et ces vierges qui sont également initiés à la doctrine divine. Je le dirai, quoique peut-être je ne devrais pas le dire : j’ai aidé à tresser cette couronne, et, pour toute récompense, je vous demande seulement de professer la Vraie foi sur la Trinité.
Si j’ai des ennemis, c’est à mon enseignement que je le dois, et je m’en applaudis, car ma doctrine était exacte, et je ne prêchais pas sans discernement pour être agréable à tous. Je devais donc rencontrer des contradicteurs du côté de Sabellius comme du côté d’Arius. J’ai enseigné l’unité d’essence et la Trinité des hypostases ou des personnes1 ; qu’ils cessent donc de débiter leurs inepties ceux qui se sont attachés à quelques mots et non pas au fond de notre doctrine, pour nous incriminer. Que dites-vous lorsque vous enseignez trois hypostases ? Voulez-vous enseigner trois essences ? Vous vous récrieriez et avec raison, si on le prétendait. Et vous qui enseignez qu’il y a trois personnes ou trois visages, voulez-vous dire qu’il n’y a en Dieu qu’une essence qui aurait une figure humaine ? Non certainement. Tous, vous admettez une essence unique dans une Trinité.
C’est aussi ce que j’ai enseigné.
—
1 S. Grégoire se sert ici de deux mots différents pour expliquer le mot personne et ne laisser aucune amphibologie : τά’δέ τρία, ταΐς ΰποστάσεσιν, εί’τουν προσώποια, δ’ τισι φίλον. Tria autem quantum ad hypostases sive per- sonnas ut nonnulli malunt. Les Occidentaux préféraient le mot προσωπαν (personne, visage) à celui δποστασισ (hypostase) qui pouvait être traduit en latin par substantia, et prêter à l’amphibologie. On peut croire que saint Grégoire, faisant cette concession aux Occidentaux, avait été incriminé en Occident pour quelques mots qui n’y auraient pas été compris.
Maintenant que vous dirai-je ? Donnez-moi la récompense de mes travaux, laissez-moi partir. Que mes cheveux blancs ne vous touchent pas ! Donnez-moi un successeur qui ait les mains pures, qui soit instruit, qui puisse remplir dignement tous ses devoirs sacerdotaux, tel que les circonstances le demandent. Vous le voyez, je suis vieux, malade, accablé par le travail. Vous n’avez pas besoin d’un vieillard qui ne peut plus rien faire et n’a plus d’énergie. De plus, je suis fatigué de la lutte que j’ai soutenue contre la jalousie et contre des ennemis qui sont les vôtres aussi bien que les miens.
Voulez-vous examiner maintenant nos fautes ? Que de persécutions, de violences nous avons souffertes, ou dont nous avons été témoins ! En ai-je tiré vengeance ?
On m’a reproché ma simplicité, la pauvreté de mes habits, ma frugalité. Je ne savais pas que le faste, la bonne chère et le luxe fussent des vertus épiscopales. Si vous voulez un évêque magnifique, qui ait des équipages splendides, et qui promène un luxe digne d’une si grande ville, cherchez-en un autre. Je ne suis pas l’homme qu’il faut. Donnez-moi mon congé, comme les empereurs l’accordent aux vieux soldats invalides. Alors je vous adresserai ces adieux :
Adieu, ô Eglise Anastasia, nom que la piété t’a donné, parce que tu as ressuscité la foi qui était alors méprisée. Adieu, siège de notre commune victoire ; nouvelle Silo, où nous avons placé l’arche qui avait voyagé pendant quarante ans dans le désert, sans lieu fixe où elle pût être placée ! Adieu à toi aussi, grand et noble temple, nouvel héritage, qui as reçu ta splendeur du Verbe, qui après avoir été Jébus, est devenu Jérusalem ! Adieu, à vous aussi, temples sacrés qui remplissez la ville et l’entourez comme une chaîne sacrée ! Adieu, apôtres, colonnes précieuses, mes maîtres dans les combats ; j’ai trop peu célébré vos fêtes dans le temple qui vous est consacré, mais le Satan que Dieu m’a donné, sans doute pour mon bien, comme à Paul, me force de vous quitter. Adieu, siège épiscopal, honneur si périlleux et qui engendre tant d’envie ! Adieu concile d’évêques, prêtres
ornés de majesté et de vieillesse ! Adieu, vous tous qui servez à la table du Seigneur et qui vous approchez du Dieu qui s’approche de vous ! Adieu, chœurs d’hommes purs, psalmodies sacrées, nuits pieuses, communautés de vierges, de pieuses femmes, de veuves, d’orphelins. Adieu, maisons amies du Christ où l’on exerce la charité et qui m’ont soutenu dans mes infirmités. Adieu, vous tous qui aimiez mes discours et qui vous pressiez pour m’entendre ! Adieu, empereurs, palais et vous tous qui les habitez, fidèles à l’empereur, je le crois, mais trop peu fidèles à Dieu ! Applaudissez ; la langue qui vous lançait des traits va se taire. Le rhéteur n’aura plus que la main et l’encre pour vous corriger.
Adieu, grande ville aimée de Dieu ! vous tous qui l’habitez, venez à la vérité, faites plus de bien. Adorez Dieu mieux que vous ne l’avez fait. Adieu, Orient et Occident, pour lesquels j’ai combattu, et qui me combattent ! Adieu, anges protecteurs de cette église ! Adieu, Trinité, ma pensée et mon honneur ! que mon peuple garde ta foi, et garde-le de l’erreur ; et que j’apprenne dans ma solitude que ta foi fait de continuels progrès.
Mes petits enfants, conservez le dépôt, je vous en prie ; souvenez-vous des épreuves que j’ai souffertes, et que la grâce de notre maître Jésus-Christ soit avec tous. Amen.
Grégoire quitta aùssitôt Constantinople, et se retira dans sa maison d’Arianze qu’il avait héritée de son père, et de là à Nazianze. Nous raconterons plus tard les dernières actions de ce grand évêque.
Le concile, d’accord avec les fidèles, choisit pour succéder à Grégoire, Nectariusl, préteur de Constantinople qui n’était pas encore baptisé et qui ne savait rien du ministère épiscopal. Il était de grande noblesse et vertueux, mais sans instruction ecclésiastique. Il fut ordonné évêque aussitôt après avoir été baptisé. Sozomène affirme que ce fut surtout l’empereur qui choisit Nectarius ; que des évêques s’opposaient à ce choix, et
—
1 Theodoret., Hist. Eccl., lib. V, c. 8 ; Socrat., Hist. Eccl., lib. V, c. 8 ; Sozom., Hist. Eccl., lib. VII, c. 8.
que ce fut l’autorité impériale qui les y fit enfin consentir.
Les questions de personnes étant épuisées, le concile put s’occuper de la doctrine.
L’empereur assistait au concile, et ce fut en sa présence que la discussion s’engagea entre les orthodoxes et les semi-ariens. Parmi eux, on distinguait principalement Eleusius de Gyzique et Marcianus de Lampsac1. L’empereur et les pères orthodoxes leur rappelèrent la démarche qu’ils avaient faite auprès des Occidentaux, par les députés qu’ils avaient envoyés à Liberius, évêque de Rome ; ils étaient entrés en communion avec ceux qui professaient la doctrine de Nicée, et ils n’agissaient pas bien en attaquant une doctrine qu’ils avaient professée, mais ils ne se laissèrent toucher ni par les exhortations, ni par les arguments qu’on leur opposait, et ils aimèrent mieux soutenir la doctrine arienne que d’admettre le consubstantiel.
Ils le déclarèrent ouvertement, quittèrent Constantinople, et écrivirent à tous leurs partisans qu’ils ne devaient jamais consentir à admettre la doctrine de Nicée. Les pères du concile, ayant à leur tête Nectarius, décidèrent qu’il fallait confirmer cette doctrine, et condamner toutes les hérésies2. On rédigea en conséquence une exposition de foi3, dans laquelle on exposa avec détail la saine doctrine promulguée à Nicée, et on condamna toutes les hérésies qui s’étaient attaquées à la Trinité, y compris celle d’Apollinaire4.
On peut considérer comme le résumé de cette exposition de foi le symbole qui fut adopté. Il n’est autre que celui de Nicée avec quelques additions dirigées contre les nouvelles hérésies, et toutes les Eglises grecques et latines l’ont conservé tel qu’il fut alors rédigé, tel qu’il fut admis par les quatrième et sixième conciles œcuméniques5.
—
1 Socrat., Hist. Eccl, lib. V, c. 8.
2 Sozomen., Hist. Eccl., lib. VII, c. 9.
3 Epist. Synod ad Occident, ap. Theodorei., Hist. Eccl., lib. V, c. 9.
4 V. Act. Concit. Chalcedon.
5 V. Act. Concit. Chalcedon, et 4i Constantinopol. œcum. 6i.
Nous devons mettre en regard les deux symboles de Niçée et de Constantinople, pour que l’on se rende compte des additions faites par ce dernier concile ; nous mettons en italiques les additions du concile de Constantinople et les suppressions faites dans le symbole de Nicée.
SYMBOLE DE NICÉE
« Nous croyons en Dieu, un, Père Tout-Puissant créateur de toutes choses visibles et invisibles ; et en un Seigneur Jésus- Christ, fils de Dieu, seul engendré du Père et étant de la substance du Père, Pieu de Pieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré, non créé, consubstantiel au Père, par lequel toutes choses ont été faites, celles qui sont au ciel comme celles qui sont sur la terre.
« Pour nous hommes, et pour notre salut, il est venu, s’est incarné et s’est fait homme. Il a souffert, il est ressuscité le troisième jour, il est monté aux cieux, et reviendra juger les vivants et les morts.
« Nous croyons aussi au Saint-Esprit . »
SYMBOLE DE CONSTANTINOPLE
« Nous croyons en Dieu, un, Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, de toutes choses visibles et invisibles ; et en un Seigneur Jésus-Christ, fils unique de Dieu, et né du Père avant tous les siècles, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu ; engendré, non créé, consubstantiel au Père par lequel toutes choses ont été faites ;
« Qui, à cause de nous, hommes, et à cause de notre salut, est descendu des cieux et a été incarné par le Saint-Esprit, de la vierge Marie et s’est fait homme ; qui aussi a été crucifié pour nous sous Ponce-Pilate, a souffert, et a été enseveli, et qui est ressuscité le troisième jour, selon les Ecritures ; et qui est monté au ciel, est assis à la droite du Père, et qui de nouveau viendra juger les vivants et les morts, et dont le règne ri aura- pas de fin ;
« Et au Saint-Esprit, Maître et Vivifiant qui procède du Père ; qui, avec le Père et le Fils est simultanément adoré et conglorifié ; qui a parlé par les prophètes ;
« Et en une Eglise sainte, catholique apostolique ;
« Je confesse qu’il n’y a qu’un baptême pour la rémission des péchés ;
« Et j’attends la résurrection des morts et la vie du monde futur. »
Les additions du symbole relatives à l’Incarnation étaient dirigées contré les apollinaristes et contre Marcel d’Ancyre ; les additions relatives au Saint-Esprit l’étaient contre les eunomiens ou macédoniens.
Les derniers articles de foi étaient dirigés contre les diverses erreurs qui avaient le plus d’importance dans l’Eglise.
En comparant les anciens symboles1 avec celui de Constantinople, on acquiert la preuve que les pères du deuxième concile œcuménique s’inspirèrent, même quant aux expressions, des traditions des églises apostoliques dans ce qu’ils jugèrent à propos d’ajouter au symbole de Nicée pour attester la foi contre les hérésies.
Après s’être occupé de la foi, le concile détermina les limites de la juridiction épiscopale dans les diverses Eglises d’Orient.
Le concile de Nicée avait déjà posé les bases d’une juridiction spéciale en admettant comme légale celle des évêques d’Alexandrie et de Rome sur certaines Eglises, filles de la leur. Peu à peu, on avait appliqué à l’Eglise les divisions politiques de l’empire, en provinces et diocèses. Le concile voulut déterminer d’une manière claire les différentes juridictions. Nectarius, évêque de la grande ville2, eut juridiction sur la Thrace ; Helladios de Cæsarée, sur le Pont ; Grégoire de Nysse, sur la Cappadoce ; Otriios de Mélitine, sur l’Arménie ; Amphilochios d’icône, sur l’Asie ; Optimus d’Antioche de Pisidie, sur la province de ce nom ; Timothée d’Alexandrie, sur l’Egypte. L’Orient proprement dit fut divisé en deux provinces : celles de Laodicée et de Tarse, sans préjudice des prérogatives de l’évêque d’Antioche.
Après avoir ainsi partagé les Eglises asiatiques, le concile décida que toutes les discussions qui pourraient s’élever seraient jugées par le concile provincial. L’empereur confirma ces dispositions3.
—
1 V. le symbole de Jérusalem dans les catéchèses de saint Cyrille de Jérusalem, et celui de l’antique Eglise de Chypre dans l’Ancoratus de saint Epiphane.
2 Socrat., Hist. Eccl., lib. V, c. 8.
3 Socrat., toc. cit. ; Sozomène (Hist. Eccl.,lib. VII, c.9) ajoute aux évêques
On décida en outre1 que l’évêque de Constantinople jouirait des plus grands honneurs après l’évêque de Rome, comme étant évêque de la nouvelle Rome. En effet, non-seulement Constantinople avait mérité ce titre, mais elle possédait, comme l’ancienne Rome, un sénat, des ordres de citoyens et des magistrats ; ses citoyens étaient aussi soumis aux mêmes lois que les Italiens, et elle avait des privilèges égaux à ceux de l’ancienne Rome.
On possède sept canons du concile œcuménique de Constantinople2.
Dans le premier, on confirme la foi de Nicée et l’on prononce anathème contre toutes les sectes ariennes, Sabellius, les partisans de Marcel d’Ancyre, les photiniens et les apollinaristes.
Le second concerne la juridiction des évêques des diverses provinces qui ne devaient point exercer leurs fonctions en dehors de leurs diocèses, et qui devaient porteries discussions au concile provincial.
Le canon troisième est ainsi conçu : « L’évêque de Constantinople aura la prééminence d’honneur après l’évêque de Rome, parce que sa ville est la nouvelle Rome. »
On regardait l’évêque de Rome comme le premier en honneur, parce qu’il était évêque de la première capitale de l’empire.
Le quatrième canon annule l’ordination de Maximus le Cynique.
Avant de se séparer, les évêques prièrent Théodose de promulguer leurs décrets : « Conformément à ta lettre,
—
nommés par Socrate, Terentius, évêque des Scythes et Marlyrius, évêque de Marcianopolis pour la Scythie et la Thrace. Il ne mentionne que Constantinople pour Nectarius.
1 Sozomen., loc. cit.
2 Zonare et Balsamon citent ces sept canons. Dans les collections occidentales, on n’en compte que quatre. Nous pensons que les canons 5,6 et 7 appartiennent au concile de Constantinople de 482, lequel ne fut que le complément de celui de 481. Les anciennes collections grecques traduites en latin ne comprenaient que les quatre premiers canons, et les historiens de l’Eglise ne mentionnent que les sujets qui y sont traités, comme ayant occupé le concile.
Nous ferons connaître les trois autres canons en faisant l’historique du concile de 482.
disent-ils1, nous nous sommes réunis à Constantinople, et, après avoir renouvelé l’union entre nous, nous avons, dans de courts articles, confirmé la foi de Nicée et anathématisé les hérésies qui s’étaient élevées contre elle. En outre, nous avons décrété quelques règlements relatifs au bon gouvernement de l’Eglise ; nous avons joint le tout à cette lettre.
« Nous réclamons maintenant de ta bonté de vouloir bien confirmer, par une lettre de Ta Piété, les décisions de notre synode, après avoir honoré l’Eglise en le convoquant. »
Théodose y consentit et, le 30 juillet 481, il rendit le décret suivant2 daté d’Héraclée :
« Toutes les Eglises devront être immédiatement remises aux évêques qui croient à l’égale divinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et qui se trouvent en communion avec Nectarius de Constantinople ; avec Timothée d’Alexandrie pour l’Egypte ; avec Pelagius de Laodicée et Diodore de Tarse pour l’Orient ; avec Amphilochios d’icône et Optimus d’Antioche (de Pisidie) pour l’Asie proconsulaire et le diocèse3 d’Asie ; avec Helladios de Cæsarée (de Cappadoce), Otriios de Mélitine et Grégoire de Nysse, pour le diocèse du Pont ; avec Terentius, évêque des Scythes et Martyrius de Marcianopolis (Preslaw en Bulgarie) pour la Mysie et la Scythie. Tous ceux qui ne seront pas en communion avec ces évêques seront considérés comme hérétiques, et, comme tels, chassés des Eglises. »
Il ne faut pas oublier que les hérétiques s’étaient violemment emparés des Eglises et propriétés ecclésiastiques sous Constantius et Valens. Théodose, par son décret, réparait une flagrante injustice et rendait les biens à leurs légitimes propriétaires.
On doit remarquer que l’évêque d’Antioche, Flavianus, n’est pas placé parmi ceux auxquels on devait être
—
1 V. Collect. Concil. Labb. vel Harduin.
2 Cod. Theod., lib. III de fid. cath.
3 Dans le style du droit romain, diocèse signifiait une circonscription contenant plusieurs provinces et métropoles.
uni de communion. On voulut ménager le saint vieillard Paulinus et le laisser mourir en paix dans sa petite Eglise orthodoxe qui lui était attachée, plutôt à cause de ses vertus, que par sentiment orthodoxe, puisque Meletios et son successeur Flavianus étaient aussi orthodoxes que lui.
On doit croire que ce fut le concile lui-même qui indiqua à Théodose les noms des évêques qui devaient être considérés comme centres d’orthodoxie et comme patriarches1. Ce titre n’était pas encore alors attaché aux grands sièges qui en furent investis depuis.
Il n’y eut jamais de discussion dans l’Eglise catholique touchant le symbole du concile de Constantinople et son canon doctrinal. Au quatrième concile œcuménique, on promulgua de nouveau ce symbole et le concile de Constantinople y fut considéré comme œcuménique. En Occident, il fut également vénéré, et l’évêque de Rome, Grégoire le Grand, plaçait ce concile parmi les quatre grandes assemblées œcuméniques de l’Eglise qui s’étaient tenues jusqu’à son temps, et qu’il vénérait comme les quatre Evangiles.
Quant aux canons disciplinaires qui furent promulgués au concile de Constantinople, et surtout celui qui concernait le rang accordé à l’évêque de Constantinople, l’Occident y fit opposition, comme nous aurons occasion de le raconter.
Mais il faut remarquer qu’un concile peut être œcuménique, par l’assentiment de toutes les Eglises, sans que les canons disciplinaires soient universellement acceptés ; car ces canons, comme ceux du concile de Constantinople, peuvent être faits pour des circonstances de lieu, de temps et de personnes. L’opposition faite à un des canons du concile de Constantinople par l’Occident, et surtout par l’évêque de Rome, n’empêcha donc pas que ce concile ne fût considéré comme œcuménique,
—
1 Socrate (Hist. Eccl., lib. V. c. 8) dit en effet que ce fut le concile qui les nomma. Il leur donne le titre de patriarches, mais on ne peut le considérer que comme un titre personnel, et non pas comme un titre attaché à leur siège, comme cela eut lieu postérieurement pour les grands patriarchats orthodoxes.
même à Rome, quoiqu’il n’ait été ni convoqué, ni présidé, ni confirmé par l’autorité papale, autorité qui n’existait pas alors.
On doit même remarquer que les trois présidents successifs du concile, Meletios, Grégoire le Théologien, et Nectarius, n’étaient pas en communion avec Rome. Le premier y était à tort considéré comme fauteur de l’arianisme et concurrent illégitime de Paulinus à Antioche ; le second fut élu malgré Damasus, et Rome protesta contre l’ordination de Nectarius.
Mais, au IVe siècle, on ne songeait pas encore, même à Rome, qu’un concile ne pouvait être œcuménique et légitime que s’il était convoqué par l’évêque de Rome, présidé par lui ou en son nom, et confirmé par lui.
L’histoire du deuxième concile et son canon relatif a l’évêque de Constantinople sont la réfutation la plus évidente et la plus incontestable du système papal qui a prévalu en Occident.