PRÉLIMINAIRES

— L’Église.

— Son histoire.

— Sources historiques.

— Livres sacrés.

— Leur authenticité.

— Leur valeur historique.

— Trois systèmes opposés à leur valeur historique.

— Réfutation du premier système.

— Ordre chronologique des faits évangéliques.

— Réfutation du deuxième et du troisième système.

— Le miracle.

— Sa possibilité.

— Sa constatation.

— Le miracle dans les documents ecclésiastiques.

— Règles de critique à l’égard de ces documents.

— Méthode historique.

— Philosophie de l’histoire.

 

I

L’Église est la société des vrais disciples de Jésus-Christ.

Cette société a pour bases : une doctrine positive et une organisation qu’elle a reçues de son divin fondateur.

Elle a succédé à l’Ancienne Alliance que Dieu avait contractée avec Israël. Elle est la Nouvelle Alliance ou le Nouveau Testament, c’est-à-dire le nouveau témoignage rendu par Dieu lui-même à la vérité pour le bien et le progrès religieux de l’humanité.

L’Ancienne Alliance n’avait été contractée qu’avec le peuple d’Israël, parce que son but était de conserver la promesse du Messie qui devait sortir de ce peuple. Elle n’eut donc qu’un caractère local et transitoire.

Le Nouveau Testament a été donné pour tous les peuples; c’est pourquoi son caractère essentiel est l’universalité ou catholicité, non pas en ce sens : que, à telle époque déterminée, l’Eglise doive occuper plus d’espace, ou que ses adhérents doivent être plus nombreux; mais en ce sens : que toutes les nations, sans exception, y sont appelées, et qu’elle sera permanente jusqu’à la fin du monde.

Aussi donnait-on le titre d’universelle ou catholique à la société chrétienne, lorsqu’elle n’avait encore qu’un très-petit nombre de fidèles.

L’Eglise peut être considérée dans son universalité et comme formant un tout homogène, à toutes les époques, depuis son établissement ; et dans les agglomérations locales qui sont comme les membres divers d’un même corps.

On donne le nom d’Eglises à ces agglomérations dont l’ensemble constitue la société chrétienne.

Parmi ces Eglises particulières, il en est qui méritent ce titre d’une manière absolue, parce qu’elles ont conservé dans leur intégrité, la doctrine et l’organisation divines. D’autres ne le méritent que d’une manière relative, parce quelles ont abandonné une partie plus ou moins considérable de cette doctrine, ou renoncé à des institutions qui tiennent à l’organisation essentielle de la société, chrétienne, ou mêlé à l’élément divin dont vit cette société, des éléments humains.

L’histoire de l’Église a pour objet : l’Église dans son universalité, c’est-à-dire telle qu’elle apparaît à l’époque de sa fondation et qu’elle s’est perpétuée à

travers les siècles. Elle suit l’Église à toutes les époques, et chez les nations diverses en constatant son existence identique, immuable. Elle note, en passant, les changements que le dogme a subis chez tel peuple, à tel moment de son existence ; elle indique, par les faits, où se trouvent la doctrine et l’organisation primitives ; quelles sont les églises particulières qui forment les membres du corps de l’Église vraie ; quelles sont celles qui ont modifié le plan divin, et qui n’ont droit que d’une manière relative au titre d’Eglises chrétiennes.

L’histoire de l’Église n’est donc pas seulement le récit des faits qui appartiennent à l’existence extérieure de la société chrétienne, mais encore des faits doctrinaux qui manifestent son existence intime.

De là, deux sources différentes où cette histoire doit puiser : les sources purement historiques et les sources doctrinales.

Sous ce double rapport, les documents sont nombreux.

En première ligne sont les écrits divinement inspirés qui forment le livre auquel on donne le titre de Nouveau Testament : les quatre Évangiles, les Actes des Apôtres, les Lettres de plusieurs Apôtres, les Révélations ou Apocalypse de l’apôtre Jean.

Ces documents nous apparaîtront à l’origine de l’Eglise, comme un élément de sa vie; comme émanant des écrivains inspirés dont ils portent le nom.

Aucun monument historique ne réunit autant de preuves d’authenticité, car aucun n’a pour lui le témoignage permanent d’une société universelle, depuis son

origine jusqu’à nos jours; d’une société qui a vécu depuis sa naissance, de la vie qu’elle y a puisée. Toutes les preuves qui militent en faveur de l’authenticité des autres monuments historiques, le Nouveau Testament les possède ; l’on peut en citer pour lui qu’aucun autre ne peut revendiquer. Il est le seul livre1 qui ait été la raison d’être d’une société composée de peuples divers, et qui a pour lui le témoignage non interrompu de cette société formant, dans sa diversité, comme un être moral vivant depuis dix-huit siècles et attestant aujourd’hui ce qu’il attestait il y a plus de mille huit cents ans.

Les livres sacrés des fausses religions n’ont qu’une origine obscure ; ils sont toujours restés dans le mystère pour tous autres que les castes sacerdotales. Leur authenticité et leur intégrité ne peuvent être clairement constatées.

Les livres sacrés des chrétiens ont une origine connue de tous. Répandus dès le commencement, chez une foule de peuples de mœurs différentes, ils ont été constamment lus, commentés, expliqués au grand jour, le travail intellectuel dont ils furent partout l’objet, n’en altéra nulle part l’intégrité. Traduits dans toutes les langues, on les trouve partout et toujours les mêmes ; c’est à peine si l’on peut y indiquer quelques variantes peu importantes, malgré l’ignorance ou la distraction des copistes.

Les tentatives de l’érudition et de la philosophie antichrétiennes contre l’authenticité du Nouveau Testament,

 

 

1 L’Ancien Testament a été comme la propriété du peuple hébreu ; il n’a ou pour lui que le témoignage permanent de ce seul peuple. Quoique son authenticité soit hors de toute atteinte, celle du Nouveau Testament est encore plus solidement établie.

ne méritent pas d’être prises au sérieux. Il n’est aucune de leurs objections que l’on ne puisse retourner avec avantage contre les documents les plus certains de l’histoire.

Quant aux systèmes dirigés contre sa valeur historique, on peut les ranger en trois catégories :

1° Ceux qui ont pour base le désordre chronologique que l’on y rencontrerait ;

2° Ceux qui sont fondés sur certaines contradictions de détail ;

3° Ceux qui trouvent dans le caractère surnaturel des faits un motif de les considérer comme des mythes ou des symboles1.

Les premiers disparaissent devant la véritable chronologie que nous avons établie par un moyen tellement simple que nous sommes étonné de ne l’avoir rencontré encore dans aucun des nombreux ouvrages que nous avons lus sur ce sujet, du moins d’une manière complète. Ce moyen qui nous a été inspiré par la lecture fréquente et assidue des saints Evangiles, est appuyé sur des données si positives et évidentes que nous le croyons à l’abri de critiques tant soit peu sérieuses.

Voici ces données :

1° Les deux premiers Evangélistes, Mathieu et Marc, n’ont point eu l’intention de classer les faits chronologiquement.

 

1 On nous permettra de ne pas citer les noms des critiques modernes qui ont donné à ces systèmes quelque retentissement. Nous avons pour cela plusieurs motifs. D’abord ces systèmes ne sont pas leur propriété, et nous les avons rencontrés à peu près tous dans d’anciens écrivains ; ensuite, les noms des personnes n’ont, en eux-mêmes, aucune importance. Ceux qui les connaissent n’ont pas besoin de nos indications ; et ceux qui ne les connaissent pas ne peuvent nous demander de faire de la réclame en faveur d’écrivains qui ont renouvelé de nos jours d’anciennes erreurs, et que nous réfutons.

Pour saint Marc, nous avons le témoignage d’un disciple de Jésus-Christ, le prêtre Jean, qui, d’après Papias, s’exprimait ainsi1 :

« Marc étant devenu l’interprète de Pierre, écrivit exactement ce qu’il retenait, mais sans raconter, dans une suite coordonnée, ce qui avait été fait et dit par le Christ ; car lui-même n’avait ni accompagné ni même vu le Maître ; il avait plus tard suivi Pierre qui adaptait ses discours aux besoins qui se présentaient, sans avoir pour but de reproduire historiquement les paroles de Jésus. Marc n’a donc pas été en défaut, en écrivant les choses telles qu’il se les rappelait, car il avait pour unique but de ne rien omettre de ce qu’il avait entendu et de ne rien y mêler qui fût contraire à la vérité. »

Il suffit de rapprocher les récits de Mathieu de ceux de Marc, pour voir qu’entre les deux historiens sacrés, il existe une très-grande analogie, ce qui a fait dire que Marc n’était que l’abréviateur de Mathieu. Le classement des événements est presque le même. De plus, saint Mathieu ne désigne jamais l’époque précise des faits ou des paroles qu’il rapporte. Quand il commence un récit, il se sert comme saint Marc, de ces expressions générales : aussitôt ; alors ; et ; en ce temps; un certain jour ; etc., etc. Un écrivain qui débute ainsi dans ses narrations, n’a évidemment pas l’intention de s’astreindre a l’ordre strictement chronologique. Enfin saint Mathieu comme saint Marc n’ont pas donné une seule indication qui puisse aider à la classification chronologique des faits ; à tel point que l’on pourrait croire que tout ce qu’ils ont ra-

 

1 Euseb., Hist. Eccl., III; 39.

conté se rapporte à la même année. Cela suffit bien pour établir qu’ils n’ont eu, ni l’un ni l’autre, l’intention de classer leurs récits chronologiquement.

2° Saint Luc a voulu écrire l’histoire avec ordre ; il le déclare dès le début de son ouvrage1 :

« Plusieurs ayant entrepris de raconter l’histoire des choses qui se sont accomplies parmi nous, telles que nous les ont transmises ceux qui les ont vues dès le commencement et qui ont été les ministres de la parole, il m’a semblé bon, excellent Théophile, de t’en écrire avec ordre et à partir du commencement, après m’en être exactement informé, afin que tu connaisses la vérité des choses dont tu as été instruit. »

Saint Luc a donc voulu écrire avec ordre. Aussi donne-t-il, autant qu’il lui a été possible de les connaître, les grandes lignes chronologiques. On distingue, dans son travail, des groupes parfaitement distincts, et ce n’est que pour certains détails de ces groupes qu’il se sert d’expressions générales analogues à celles qu’emploient les deux premiers Evangélistes.

3° On a souvent dit que saint Jean, qui a écrit le dernier, avait voulu compléter les autres Evangélistes ; mais on n’a pas remarqué qu’il a eu spécialement pour but de compléter saint Luc, non-seulement par des faits et des paroles de Jésus-Christ, inconnus de cet Évangéliste ou sur lesquels il n’avait pas reçu de témoignages assez authentiques pour les relater ; mais encore pour l’ordre chronologique.

Ce fait est de la plus haute importance ; nous pensons qu’on ne nous le contestera pas, après avoir jeté les yeux sur les tableaux synoptiques suivants :

 

1 Luc, I; 1-4.

De la naissance de Jésus à la première Pâques, qu’il a célébrée après son Baptême.

(Ann.1 à 30.)

LUC. JEAN.
CHAPITRE PREMIER, CHAPITRE PREMIER.
Conception miraculeuse de Jean-le- Baptiste.

Message de l’ange Gabriel vers Marie à Nazareth.

Conception miraculeuse de Jésus.

Visite de Marie à Elisabeth, mère de Jean, et prophétie de Marie.

Naissance de Jean. —Prophétie de Zacharie son père.

Génération éternelle du Verbe; son incarnation.
CHAPITRE II.
Voyage de Marie à Bethléem. Naissance de Jésus à Bethléem. Adoration des bergers.

Circoncision de Jésus.

Demeure fixée à Nazareth.

Voyage de Jésus à Jérusalem, lorsqu’il était âgé de douze ans.

CHAPITRE III.
Mission de Jean-le-Baptiste.
Baptême de Jésus ; témoignage de Jean.

Manifestation du Père et du Saint- Esprit.

Message des prêtres et des lévites vers Jean relativement à sa mission.

Jean à Béthabara. Témoignage qu’il rend de Jésus.

Manifestation du Père et du Saint- Esprit.

Plusieurs disciples s’attachent à Jésus.

CHAPITRE II.

Retour de Béthabara en Galilée.

Jésus à Garni; à Kapernaüm.

Voyage à Jérusalem pour la fête de Pâques.

De la première Pâques célébrée par Jésus après son Baptême, â la seconde.

(Ann. 30 à 31.)

LUC. JEAN.
CHAPITRE IV. CHAPITRE III.
Séjour a Jérusalem ; Nicodème.
Jésus au désert de Judée ; jeûne et tentation. Visite faite à Jean-le-Baptiste à OEnnon, près de Salim ; nouveau témoignage que Jean rend à Jésus.
CHAPITRE IV.
Prison de Jean-le-Baptiste ; retour de Jésus en Galilée. Prison de Jean-le-Baptiste; retour en Galilée (*).
Retour à travers la Samarie. — La Samaritaine.
Jésus à Cana.
Jésus à Kapernaüm. Il se dirige vers Kapernaüm; pendant le chemin, guérison de la fille du gouverneur de la ville.
Guérison du démoniaque impur, et de la belle-mère de Simon- Pierre.
CHAPITRE V.
Pèche miraculeuse sur la mer de Galilée et élection des premiers Apôtres.

Guérison d’un lépreux et d’un paralytique.

Élection de Lévi.

(*) Jésus resta huit mois en Judée. Quand il traversa la Samarie pour revenir en Galilée, il n’y avait plus que quatre mois jusqu’à la moisson (Jean iv, 35), c’est- à-dire jusqu’à Pâques, époque où la moisson commençait. (Levit, xxiii, 10; Deut. XVI, 9-12.)
LUC. JEAN.
CHAPITRE V.

(Suite.)

Murmures des pharisiens il propos des rapports de Jésus avec les pécheurs.

Pourquoi les disciples de Jésus ne jeûnent pas.

chapitre VI.

De l’observation du sabbat (*)

Main desséchée guérie.

Élection des douze Apôtres.

Retraite au désert ; sermon des Béatitudes.

CHAPITRE VII.

Retour à Kapernaüm.

Serviteur du centurion guéri.

Jésus se dirige vers Naïm (**).

Résurrection du fils d’une veuve de cette ville.

Jésus à Béthanie ; repas chez Simonie-Pharisien ; la femme pécheresse.

Message de Jean vers Jésus à son arrivée en Judée.

(*) Cette instruction fut donnée à propos d’épis mûrs que les disciples froissaient dans leurs mains. La moisson ou Pâques était donc proche. Le sens de l’expression de sabbat premier-second, oui a tant exercé les savants, est ainsi déterminé. Il s’agit des grands sabbats qui précédaient Pâques, et c’était au second de ces grands sabbats que les Apôtres froissèrent des épis.

(**) Cette ville était située sur le chemin de Jérusalem. De Naïm, Jésus va à Béthanie, située à quelques stades de Jérusalem.

 

CHAPITRE V.

Arrivée à Jérusalem pour la fête de Pâques.

 

De la deuxième Pâques célébrée par Jésus après son Baptême, à la troisième qu’il n’alla pas célébrer à Jérusalem,

(Ann. 31-32.)

LUC. JEAN.
CHAPITRE VIII. CHAPITRE V.
Parabole du semeur.

Quelle est la vraie famille de Jésus ? Tempête apaisée sur le lac de Tibériade, ou mer de Galilée. Excursion au pays des Gergéséens. Démoniaque guéri.

Retour en Galilée.

Résurrection de la fille de Jaïr. Guérison d’une femme affligée d’une perte de sang.

(Suite.)

Séjour à Jérusalem.

Le Paralytique de la piscine de Siloé. Prédication à Jérusalem.

chapitre VI.

Retour de Jésus en Galilée.

CHAPITRE IX
Mission des douze Apôtres.
Mort de saint Jean-le-Baptiste.
Miracle de la multiplication des pains. Miracle de la multiplication des pains,
Jésus demande à ses disciples ce que l’on pense de lui, et ce qu’ils en pensent eux-mêmes (*).

Profession de foi des Apôtres.

opéré peu de temps avant Pâques, (vi; 4.)

Jésus marche sur les flots de la mer de Galilée.

Sa prédication dans la synagogue de Kapernaüm.

Profession de foi des Apôtres.

Transfiguration.

Guérison d’un démoniaque. Discussion entre les Apôtres à propos de la primauté Voyage en Samarie.

Condamnation du zèle violent. Disciples rejetés, et un autre élu,

(*) Saint Mathieu et saint Marc disent que ce fait eut lieu à Césarée-de-Philippe, ville située au nord de la mer de Galilée.

De la troisième Pâques que Jésus ne célébra pas & Jérusalem, à la quatrième et dernière.

(Ann. 32-33.)

LUC. JEAN.
CHAPITRE X. CHAPITRE VII
Mission des soixante-dix Disciples. Retour en Galilée.
Instructions que Jésus leur donne.

Piège que lui tend un docteur de la loi.

Les parents de Jésus l’engagent à aller à Jérusalem pour la fêle des Tabernacles (*).
Il traverse la Samarie et passe par Jéricho.
Parabole du bon samaritain.
Arrivée à Béthanie. Marthe et Marie. Arrivée à Jérusalem pour la fête des Tabernacles.
Intrigues des ennemis de Jésus.
Prédications dans le temple. Nicodème défend Jésus dans le sanhédrin.
CHAPITRE VIII.
La femme adultère.
Suite des prédications dans le temple.
CHAPITRE IX.
Guérison d’un aveugle-né.
CHAPITRE X.
Suite des prédications dans le temple.
CHAPITRE XI. La haine de ses ennemis force Jésus à se retirer à Béthabara.
Evangélisation des environs. Comment il faut prier.
L’hypocrisie des Scribes et des Pharisiens dévoilés. (*) La mission des soixante-dix Disciples dura de Pâques à la fête des Tabernacles, c’est-à-dire six mois environ.
LUC. JEAN.
CHAPITRE XII. CHAPITRE XI.
Suite des prédications.

Le péché contre le Saint-Esprit. Instructions diverses.

CHAPITRE XIII.
Suite des instructions.

Mauvaise intention d’Hérode à l’égard de Jésus.

Réponse à l’adresse de ce roi.

Jésus, qui s’était écarté de sa route, se dirige de nouveau vers Jérusalem.

CHAPITRE XIV.
Diverses instructions pendant la route.

CHAPITRE XV.

Suite des instructions.

CHAPITRE XVI.
Suite des instructions.
CHAPITRE XVII.
Il parcourt, en évangélisant, l’Iturée, jusqu’au point intermédiaire entre la Samarie et la Galilée, près de la mer.
CHAPITRE XVIII.
Suite des instructions.

Jésus prédit sa passion et prend la route de Jérusalem par Jéricho.

CHAPITRE XIX.
Il arrive à Jéricho. Guérison d’un aveugle. Message de Marthe et de Marie à Jésus.

Arrivée à Béthanie ; résurrection de Lazare.

Jésus se retire à Éphrem en attendant la Pâques.

Jésus arrive à Béthanie. Retour à Béthanie.
CHAPITRE XII.
Entrée triomphale à Jérusalem pour la Pâques. Entrée triomphale à Jérusalem pour la Pâques.

Passion. — Mort. — Résurrection de Jésus.

(Ann. 33.)

LUC. JEAN.
CHAPITRE XIX. CHAPITRE XII.
Jésus chasse les marchands du temple pour la seconde fois. (Suite.)
 

CHAPITRES XX ET XXI.

Ses prédications dans le temple. Prédications de Jésus dans le temple.
CHAPITRE XXII.

Jour des azymes, commençant le soir du jeudi.

Pierre.et Jean chargés de préparer le repas pascal.

CHAPITRE XIII.
Repas pascal.

Premier partage de la coupe, institution de la Cène. Discussion sur la primauté.

Jésus se lève de table et lave les pieds de ses Apôtres.
Jésus prédit que Pierre le renoncera. Puis il se remet à table et il donne à ses Apôtres une leçon sur l’humilité.

Il annonce la trahison de Judas.

Colloque des Apôtres entre eux à ce sujet.

Pendant ce colloque, Jean demande a voix basse à Jésus quel est le traître.

Jésus, après avoir donné une bouchée de pain à Judas, l’envoie accomplir sa trahison.

Derniers adieux de Jésus à ses Apôtres.

Pierre l’interrompt pour l’assurer de sa fidélité inébranlable.

Jésus prédit que Pierre le renoncera.

Abrégé des derniers adieux de Jésus. CHAPITRES XIV, XV, XVI ET XVII.

Continuation des derniers adieux de Jésus.

Jésus quitte la salle du repas pascal et se rend au mont des Oliviers. CHAPITRE XVIII.
Prière de Jésus à son Père. Détails précis sur l’endroit de la montagne où se rend Jésus.
Judas et sa troupe. Détails précis sur Judas et sa troupe.
Jésus conduit chez le grand-prêtre. Détails précis sur Jésus chez le
grand-prêtre.
LUC. JEAN.
Dès le malin du vendredi, jour de Pâques, Jésus est conduit chez Pilate.

Jésus envoyé à Hérode par Pilate. Jésus renvoyé à Pilate par Hérode. Barabbas lui est préféré.

Jésus livré, aux Juifs.

Il porte sa croix jusqu’au Calvaire, où il est crucifié. Ce qui se passe de la sixième heure à la neuvième (de midi à trois heures). Ténèbres universelles.

Les amis de Jésus assistent de loin au triste spectacle de sa mort.

Joseph d’Arimathie ensevelit Jésus.

La sépulture eut lieu le soir, au moment où le sabbat allait commencer (*).

Les femmes qui avaient accompagné Jésus observent ce qui se passe à la sépulture, et, avant le sabbat, préparent les aromates pour embaumer Jésus dès que le sabbat sera passé.

(*) Le sabbat commençait le vendredi, au coucher du soleil.

 

CHAPITRE XVIII.

(Suite)

Le matin du vendredi, jour de Pâques, Jésus est conduit chez Pilate.

Détails précis sur le prétoire et le tribunal de Pilate.

Barabbas lui est préféré.

CHAPITRE XIX.

Insultes que Jésus eut à supporter chez Pilate de la part des soldats romains.

Interrogatoire de Jésus.

Pilate à son tribunal.

Jésus livré aux Juifs, qui le conduisent au Calvaire, où il est crucifié, vers la sixième heure (midi).

Plusieurs étaient auprès, et en particulier Jean lui-même, témoin oculaire de tout ce qu’il a raconté.

Joseph d’Arimathie est accompagné de Nicodème pour ensevelir Jésus.

 

 

LUC. JEAN.
CHAPITRE XXIV. CHAPITRE XX.
Dès que le sabbat est passé, c’est- à-dire après le coucher du soleil, et lorsqu’il faisait encore nuit, Marie-Magdeleine vient au tombeau et le trouve vide.
Elle va l’annoncer à Pierre et à Jean, qui courent au tombeau et vérifient ce qui leur avait été dit. Magdeleine, revenue avec eux, reste auprès du tombeau. Elle est consolée par les anges et Jésus lui apparaît.
Dès le matin du premier jour après le sabbat, c’est-à-dire le dimanche matin, les saintes femmes qui avaient préparé les aromates vinrent pour embaumer Jésus. Marie- Magdeleine s’y trouva avec elles.
Elles virent le sépulcre ouvert et deux anges leur annoncèrent la résurrection de Jésus. Elles s’en retournent à Jérusalem et se joignent à Marie-Magdeleine, pour annoncer aux Apôtres ce qu’elles avaient vu au tombeau; mais ceux-ci ne croient pas ce qu’elles racontent. Pierre retourne au sépulcre. Jésus lui apparaît, (xxiv; 12-34.)
Dans le courant de la journée, Jésus apparaît à deux disciples allant à Emmaüs.
Ils viennent raconter cette apparition aux Apôtres. Pendant cet entretien, Jésus leur apparaît. Le dimanche, Jésus apparaît aux disciples.

Huit jours après, il leur apparaît de nouveau.

CHAPITRE XXI.
Les Apôtres vont en Galilée, où Jésus leur apparaît sur le luc de Tibériade et mange avec eux.
LUC. JEAN.
CHAPITRE XXIV. CHAPITRE XXI.
(Suite.) (Suite.)
Jésus se trouve à Jérusalem avec ses Apôtres et leur ordonne de ne pas quitter la ville jusqu’à ce qu’ils aient reçu le Saint-Esprit. Il mange avec eux; il les conduit près de Béthanie, et les bénit ; puis il monte au ciel.

Les disciples retournent à Jérusalem.

Triple déclaration d’amour de Pierre.

Prophétie de Jésus sur Pierre et Jean.

 

D’après ces tableaux synoptiques, on peut, sans aucune difficulté et sans combinaisons arbitraires, établir l’ordre strictement chronologique des faits évangéliques1.

Pour quelques faits ou paroles rapportés par saint Mathieu ou par saint Marc, et qui ne se trouveraient pas dans saint Luc et dans saint Jean, il est très-facile de trouver leur véritable place, d’après les renseignements que l’on trouve dans ces Evangélistes eux-mêmes.

Ainsi les systèmes que la critique antichrétienne avait étayés sur le prétendu désordre chronologique des faits évangéliques, n’ont plus de raison d’être.

Ceux qui reposent sur d’apparentes contradictions de détail, seront réfutés dans la suite de nos récits.

Disons seulement, dès maintenant, que les critiques

 

1 Il n’est donc pas besoin, de déclarer, comme l’ont fait un grand nombre d’historiens de Jésus, qu’il est impossible d’établir l’ordre chronologique dans les récits évangéliques, et que ce travail est sans importance ; il n’est pas nécessaire non plus d’avoir recours à des classifications arbitraires dont aucune n’est satisfaisante.

Il n’y a rien d’arbitraire ni de forcé dans la classification que nous avons adoptée, et, grâce à elle, tout s’éclaircit dans les récits évangéliques.

antichrétiens se seraient épargné beaucoup de peine s’ils avaient bien voulu : l° ne pas identifier des faits différents pour se procurer l’occasion de prouver qu’ils diffèrent ; 2° ne pas tronquer les textes, afin de les interpréter dans un sens tout autre que celui qui leur appartient. Il nous a suffi, pour rétablir ce sens de traduire avec exactitude. Nous nous sommes rapprochés le plus possible d’une traduction littérale ; mais, lorsque les textes, traduits littéralement, n’ont pas offert un sens facile à saisir, nous avons pensé qu’il fallait préférer l’esprit à la lettre. Nous prions le lecteur de retenir cette déclaration à laquelle nous attachons beaucoup d’importance.

Restent les systèmes de ceux qui prétendent que les faits évangéliques ne sont que des légendes, des mythes, des symboles ; que ni la science, ni la philosophie ne peuvent les accepter dans leur sens littéral.

Sur quelle base reposent ces systèmes ?

Sur cette raison : que ces récits ont un caractère surnaturel, miraculeux, et que le miracle est impossible.

Les savants et les philosophes qui ont attaché leur nom à ces systèmes, ont-ils démontré l’impossibilité du miracle ?

Jamais.

Cette démonstration serait cependant nécessaire pour qu’ils fussent en droit de prétendre que les récits évangéliques sont, des mythes ou des légendes, à cause de leur caractère miraculeux. Si le miracle est possible, tous les raisonnements basés sur son impossibilité tombent d’eux-mêmes.

Le miracle est-il possible ? dans le cas où il le serait, peut-on le constater ?

Le miracle, dit le rationaliste, est un fait contraire aux lois de la nature. Si Dieu existe, il ne peut contredire des lois qu’il a lui-même établies ; s’il n’existe pas, aucun agent ne peut rien produire au dehors de lois dont la fixité et le développement régulier sont la cause de tout ce qui s’opère dans la nature.

Le chrétien part d’une autre notion du miracle. Il ne l’envisage pas comme un fait contraire aux lois de la nature, mais comme extranaturel.

Pour tout théiste, les lois de la nature sont celles que Dieu a lui-même établies.

Pour l’athée, la réponse est impossible. Il ne peut que nier ces lois et s’égarer en des mots vides de sens ; nous le laissons en dehors de la discussion.

Que le théiste soit rationaliste ou chrétien, Dieu pour lui est l’auteur de la nature. Nous admettons sans difficulté que Dieu ne puisse contredire les lois qu’il a posées, car il se contredirait lui-même ; mais ces lois sont-elles la limite de sa puissance ? ne peut-il pas vouloir que des faits se produisent en dehors de ces lois ? une nature bornée peut-elle être le terme d’une puissance infinie ? On ne prouvera jamais que Dieu ne puisse agir en dehors de l’ordre naturel ; ni que les lois par lui imposées à la nature, soient la limite de sa puissance. On ne peut même le prétendre, sans donner le fini comme la mesure de l’infini, ce qui est nier l’infini, nier Dieu lui-même.

On ne doit pas confondre le miracle, le fait extranaturel, avec le fait simplement extraordinaire ou merveilleux. Ce dernier peut être une énigme pour l’homme, sans présenter pour cela le caractère du fait extranaturel. Il peut avoir pour cause l’application

d’une loi naturelle inconnue au commun des hommes, ou l’action d’un être doué d’une nature supérieure à celle de l’homme, et capable d’agir, non pas en dehors des lois de la nature, mais d’une manière qui surpasse les facultés humaines.

Qui pourra jamais prouver que Dieu n’a pas créé des êtres spirituels supérieurs à l’homme? que ces êtres ne peuvent avoir action sur la nature ?

L’humanité a toujours cru à l’existence de tels êtres ; et Jésus-Christ a confirmé la vérité de cette croyance.

Mais comment distinguer le fait extranaturel du fait extraordinaire ?

Par la manière dont il se présente de lui-même à l’observation.

Le fait extraordinaire ou merveilleux offre toujours quelque chose d’incompréhensible, tandis que le fait extranaturel est facilement saisi et compris.

Qu’une sibylle, s’agitant sur son trépied, annonce un fait qui se passe loin de son sanctuaire, sa perspicacité paraîtra étonnante ; on pensera qu’elle n’a pu connaître ce fait d’une manière ordinaire ; qu’un agent supérieur a été son intermédiaire, qu’elle a pu avoir recours à des moyens ignorés du vulgaire. Le fait apparaîtra comme merveilleux, mais non comme extranaturel.

Que les magiciens de Pharaon opèrent des choses étonnantes ; on pourra être stupéfait, mais il restera toujours ce doute : leurs actes ne peuvent-ils pas être le résultat d’une action supérieure à celle de l’homme, ou une application mystérieuse de certaines lois de la nature, généralement ignorées de leur temps ?

Au contraire, que Jésus-Christ, en présence de nombreux témoins, et d’un seul mot, fasse sortir vivant du

tombeau, Lazare, dont la mort parfaitement connue et constatée, remontait à plusieurs jours ; chacun comprend qu’il y a là un fait extranaturel, un miracle.

Plus le miracle est surprenant, plus il est facile de le constater comme tel; il se dégage par lui-même de tous les nuages dont le fait simplement merveilleux est toujours enveloppé ; son évidence intrinsèque est telle qu’il rentre, quant à sa constatation, dans le domaine des faits dont l’homme le moins clairvoyant ne peut douter.

Lorsque M. Renan réclame une commission de savants pour constater le caractère miraculeux d’un fait, il prête à rire à l’homme le plus sérieux, car il suffirait que le fait eût besoin d’une constatation scientifique pour que son caractère miraculeux fût nié à priori. Le miracle ne peut exister qu’à la condition de porter avec lui-même sa démonstration tellement évidente, qu’aucun témoin ne puisse en douter.

Jésus arrive dans la ville de Naïm, au moment où les habitants accompagnent au tombeau un jeune homme dont ils connaissaient tous la mort. Il fait arrêter le cortège, et s’adressant au mort, il lui dit : « Jeune homme, lève-toi. » Le jeune homme se lève et est rendu plein de vie à sa mère.

Qu’est-ce qu’une commission scientifique peut avoir à faire ici ?

Une foule de témoins ont vu le jeune homme mort :

Premier fait d’une constatation facile, sans le concours d’une commission scientifique.

Une foule de témoins entendent dire à Jésus :

« Jeune homme, lève-toi ! »

Second fait qui tombe sous les sens et que chacun

peut constater plus facilement à l’aide de son oreille que par l’intermédiaire d’une commission scientifique.

Une foule de témoins voient vivant celui qu’ils avaient vu mort.

Troisième fait qu’ils constatent par leurs yeux, beaucoup mieux qu’au moyen d’un rapport composé par des savants.

Tout vrai miracle peut être ainsi analysé, et réduit à des faits de l’ordre le plus simple et qui tombent sous les sens.

Il doit en être ainsi, puisque le miracle n’est qu’un moyen dont Dieu se sert pour se manifester, et attester pour tous la vérité des doctrines qu’il veut révéler ; il ne peut exister qu’à la condition d’être évident, pour l’homme le plus simple, comme le fait naturel le moins contestable, et dont personne ne peut douter.

De la notion exacte du miracle, passons à sa possibilité.

Le miracle est-il possible?

Non, dit le rationaliste. Pourquoi? Parce que Dieu a établi des lois générales et constantes et qu’il ne pourrait pas les changer, sans apporter de trouble dans ses œuvres.

Pourquoi encore ?

Parce que la persistance des lois qui régissent le monde physique et le monde moral est pour nous la condition essentielle de toute étude, de toute science.

Pour que ces raisons fussent admissibles, il faudrait

 

que le miracle fût contraire aux lois de la nature et qu’il fût permanent.

Il n’est pas contraire aux lois de la nature. Dieu peut l’opérer sans les contredire, sans les changer, sans les modifier, sans apporter de trouble dans son œuvre. Si un miracle a lieu, qu’y a-t-il de changé dans la nature? rien. Seulement Dieu s’est manifesté par un acte opéré en dehors d’elle. N’en a-t-il ni le droit, ni la puissance?

C’est ce qu’on ne démontrera jamais.

La science est fondée sur la permanence des lois de la nature. Nous l’admettons. Mais Dieu déroge-t-il à la permanence de ces lois par un acte isolé, opéré en dehors de ces lois ? Si l’on soutenait que le miracle a lieu d’une manière permanente par suite de lois nouvelles contraires aux lois primordiales, nous comprendrions l’objection. Mais on affirme tout le contraire. Si le miracle était permanent, il n’existerait plus ; il n’existe qu’à la condition d’être une exception. S’il était permanent, il ne serait plus qu’un fait ordinaire, venant de Dieu, sans doute, comme tous les faits de la création, mais qui n’aurait plus la force probante, qui résulte précisément de son caractère exceptionnel.

Dès que le miracle n’est qu’une exception, il ne fait que confirmer les lois ordinaires sur lesquelles reposent l’étude et la science.

Donc :

L’objection du rationalisme n’est pas fondée et ne prouve rien contre la possibilité du fait extranaturel.

Ce fait peut-il être constaté?

Il peut l’être par ceux qui en sont témoins, aussi facilement que le fait naturel le plus ordinaire.

Nous l’avons prouvé.

Pour ceux qui n’en ont pas été témoins, il rentre dans le domaine des faits historiques.

La raison du fait, c’est le témoignage, que ce fait soit divin ou humain ; car le fait divin a un coté humain, au moyen duquel il apparaît, ainsi que le fait ordinaire, en même temps qu’il se présente avec un caractère particulier qui le distingue, non-seulement des faits ordinaires, mais de ceux qui s’offrent sous un aspect plus ou moins merveilleux.

Lorsqu’un fait se présente dans l’histoire avec ce double caractère, on doit l’admettre ; dès qu’il est possible, son caractère surnaturel ne peut être une raison de le rejeter; dès qu’il réunit toutes les conditions qu’une critique rigoureuse impose aux faits, il n’est pas plus permis de le rejeter que les autres.

L’historien doit peser la valeur des témoignages authentiques qui militent en sa faveur ; si cette valeur est incontestable, il doit l’enregistrer comme un fait vrai. Qu’importe qu’il soit extranaturel ou naturel? il est vrai ; sa place est dans l’histoire vraie.

Dès qu’on admet la révélation, le miracle est nécessaire. Si Dieu n’a pas voulu s’isoler de l’humanité ; s’il a voulu lui donner une institution religieuse, en dehors des vérités naturelles qui constituent la raison de l’homme, qui a pu l’en empêcher? Dans le cas où il

l’a voulu, a-t-il pu soumettre ses révélations au contrôle de la raison qui n’a pas en elle les éléments nécessaires pour les apprécier ? ne devait-il pas les notifier en les appuyant de son témoignage infaillible ? pouvait-il donner son témoignage d’une manière certaine, autrement que par une manifestation de sa puissance, par le miracle ?

L’Eglise étant la société dépositaire des révélations de Dieu, doit être basée sur le miracle et se présenter avec un caractère surnaturel.

Rien d’étonnant, par conséquent, que le miracle s’y manifeste et qu’il apparaisse dans les monuments de son histoire.

Nous l’y rencontrerons ; mais nous devons dire, tout d’abord, qu’il n’y est pas toujours revêtu des conditions nécessaires pour être incontestable. Nous l’avons sévèrement contrôlé ; nous avons refusé l’entrée de notre histoire aux miracles qui ne nous ont pas présenté de garanties suffisantes d’authenticité ; nous n’avons admis que ceux qui nous ont offert le caractère de faits légitimement constatés.

Alors même que nous les avons accepté comme certains, nous ne les avons pas admis au même titre que les miracles évangéliques. En dehors du caractère exceptionnel des écrits inspirés, les miracles de Jésus- Christ et des Apôtres, opérés en face de leurs ennemis, en présence d’innombrables témoins, ont le caractère de faits publics ; ils ont été la cause d’une rénovation sociale, qui a fait passer le monde du paganisme au

christianisme. Les miracles contenus clans les monuments ecclésiastiques n’ont pas ce caractère. Ils ont presque toujours le caractère de faits particuliers, et ils iront pas en leur faveur des témoignages équivalents à ceux que possèdent les miracles des livres inspirés.

Nous avons pensé que, pour admettre un miracle sur le témoignage des historiens, il fallait plus de sévérité que pour un fait ordinaire, puisque ce dernier trouve souvent sa preuve dans l’état social où il s’est produit ; tandis que le miracle est toujours un fait exceptionnel.

Mais, de ce que nous avons rencontré dans certains documents des faits surnaturels douteux, nous n’avons pas pour cela mis en suspicion la bonne foi des narrateurs, lorsqu’ils nous ont offert d’ailleurs tous les caractères de l’honnêteté. Ils ont pu être trompés sur la nature d’un fait qu’ils ont cru surnaturel, sans pour cela vouloir tromper en racontant des choses qu’ils connaissaient parfaitement.

Si tout miracle ne peut être admis pour cette raison : que l’Eglise, surnaturelle dans son origine, doit toujours conserver ce caractère ; on ne doit pas non plus rejeter tout miracle, par cela même qu’il est miracle.

Un historien chrétien ne peut être ni sceptique, ni crédule ; il doit n’avoir en vue que la vérité, persuadé que l’Eglise, dépositaire de la vérité révélée, ne peut rien gagner à l’erreur, de quelque manteau qu’elle se couvre.

Notre critique, sévère sur les détails contenus dans les monuments de l’histoire de l’Église, le sera également dans le choix de ces monuments.

En général, telles ont été nos règles de critique :

1° Nous n’avons admis comme authentiques que les documents acceptés comme tels par les érudits généralement estimés ;

2° Nous n’avons considéré comme preuves d’un fait que dos témoignages contemporains de ce fait, ou tellement rapprochés qu’ils peuvent être considérés comme contemporains ;

3° Nous n’avons accepté d’une manière absolue que des témoignages certains, d’une valeur non contestée,

4° Nous n’avons admis que comme probables ou douteux ceux qui sont, ou d’une authenticité douteuse, ou qui émanent d’écrivains dont la bonne foi ou la sagesse ne sont pas à l’abri du soupçon.

Parmi les monuments ecclésiastiques nous plaçons en première ligne les Actes des conciles œcuméniques et les écrits des saints Pères. Ce sont là des sources abondantes, non-seulement pour les faits doctrinaux, mais encore pour les faits simplement historiques sur lesquels ils jettent les plus vives lumières. Les Actes des conciles particuliers, les documents officiels émanant, soit de l’autorité ecclésiastique, soit de l’autorité civile ; les histoires et chroniques, les biographies, les écrits de toute nature dont la littérature ecclésiastique abonde ; les indications éparses dans les écrits non ecclésiastiques ; nous n’avons rien négligé, nous

 

avons compulsé avec soin tout ce que nous avons ou connaître ; nous n’avons point négligé les écrits des hérétiques et des autres ennemis du christianisme, et nous y avons trouvé des renseignements très-utiles.

 

Tout en s’appuyant sur des témoignages certains, on peut les interpréter d’une manière inexacte, leur attribuer un caractère qu’ils n’ont pas réellement, en les revêtant d’un style qui ne leur convient pas.

Pour éviter ces défauts, nous avons suivi ces règles :

1° Nous avons transcrit ou traduit avec la fidélité la plus scrupuleuse les témoignages les plus importants ;

2° Nous avons fusionné les autres dans notre récit de manière qu’on puisse les lire eux-mêmes en nous lisant.

Il nous a semblé que les faits apparaîtraient ainsi avec leur véritable physionomie ; que chaque époque vivrait, dans nos récits, de sa véritable vie ; que nous ne nous exposerions pas à donner aux siècles anciens, les allures du temps où nous vivons. Le mérite de l’histoire vraie est de transporter le lecteur à l’époque qu’il veut étudier, de le mettre à même de s’identifier avec elle. Pour obtenir ce résultat, il ne suffit pas de jeter çà et là quelques phrases à effet, sous prétexte de couleur locale, mais de fondre les documents dans les récits, de manière que les siècles apparaissent ce qu’ils ont été réellement.

Croit-on, par exemple, que, pour donner à un livre sur Jésus-Christ le caractère oriental qui lui convient, il suffise d’appeler Abraham Patriarche Betloin ; le peuple hébreu : Beni-Israël; de choisir çà et là

quelques textes évangéliques ; de les tronquer, de les présenter à contre-sens au profit d’un système, et d’encadrer le tout dans quelques notes d’un voyage en Palestine ?

Tel a été le procédé de M. Renan ; tel ne sera pas le nôtre.

Pour donner le sens vrai d’un document, il faut, non pas choisir ce qui peut convenir à un système préconçu, mais tenir compte de tout ce qu’il contient, contrôler le sens des textes en. les rapprochant les uns des autres ; ne point isoler un texte du contexte ; coordonner les textes différents qui s’expliquent les uns parles autres, afin d’en faire jaillir l’idée qu’ils contiennent.

En agissant autrement, on s’expose à citer dans un sens, tel document qu’un autre citera, avec une égale raison, dans un sens différent.

C’est ce qui est souvent arrivé, surtout à propos des livres sacrés. La lutte que l’on s’est livrée, sur ce terrain, dans tous les temps et qui continue encore aussi vive que jamais, est venue surtout de l’oubli volontaire ou involontaire, de la règle d’interprétation que nous venons d’exposer. Chacun a essayé d’étayer sur ces divins monuments, ses idées particulières. Pour y réussir, on s’est emparé d’un ou plusieurs textes isolés dont on a presque toujours forcé le sens, en passant sons silence d’autres textes qui jetaient la lumière sur ceux dont on abusait.

Des critiques ont eu aussi recours à des classifications systématiques.

On comprendra, d’après ce que nous avons établi précédemment, que nous ne puissions admettre la classification qui est presque passée en usage par rapport aux Evangiles. On les divise généralement en deux groupes : l’un composé des trois premiers que l’on appelle synoptiques, et l’autre de l’Evangile de saint Jean. Il est plus juste de faire un groupe des deux premiers Evangiles, en les appelant, si l’on veut, non chronologiques. On réserverait alors pour les deux derniers le titre de synoptiques, puisqu’en les mettant en parallèle, comme nous l’avons fait, on démontre qu’ils se correspondent et se complètent l’un par l’autre.

Les classifications arbitraires ont donné lieu à de nombreuses erreurs sur le but que les Evangélistes se sont proposé ; et ces erreurs en ont engendré beaucoup d’autres.

Nous ne voulons pas nous étendre ici sur le caractère des Evangiles et sur l’époque où ils ont été composés. Ces questions appartiennent au corps même de l’histoire dont nous entreprenons la publication.

Quant a notre manière de les interpréter, on en jugera par la suite.

C’est surtout dans nos récits qui ont eu pour base les livres saints, que nous avons voulu être absolument fidèles. Outre la règle que nous avons exposée, nous en avions une autre : c’était de tenir compte du sens que, dès l’origine de l’Eglise, les plus doctes écrivains ont attribué aux textes évangéliques.

On devait mieux les comprendre à l’origine qu’aujourd’hui. La langue était mieux connue, les mœurs avaient plus d’analogie. Lorsqu’une interprétation

réunit en sa faveur la majorité des écrivains chrétiens les plus érudits des premiers siècles, il serait fort imprudent de s’éloigner de leur opinion.

En ceci, la raison s’accorde avec la foi orthodoxe, d’après laquelle le sentiment unanime ou presque unanime des Pères de l’Eglise est le criterium de l’interprétation exacte des saintes Ecritures.

Des historiens en écrivant leurs ouvrages n’ont accepté pour guides que les documents qui pouvaient favoriser tel ou tel système théologique ; ils les ont mis en évidence et leur ont attribué une valeur qu’ils n’ont pas ; ils en ont passé sous silence ou rabaissé, d’autres qui ne méritaient pas ce dédain.

Ce procédé conduit, aussi directement que les falsifications ou les interprétations erronées, au mensonge historique.

Selon nous, tout document mérite d’être connu, et la tâche de l’historien véridique est de lui donner sa véritable physionomie. S’il rencontre sur sa route les champions d’une lutte ardente, passionnée, son devoir est de les écouter avec calme, de peser les raisons qu’ils donnent de part et d’autre, de faire comme l’anatomie de leurs assertions diverses, de les apprécier avec justice.

C’est dans ce travail d’appréciation qu’apparaissent surtout la bonne foi, la conscience, la rectitude de jugement, l’impartialité de l’historien.

Nous avons placé cette impartialité parmi nos premiers devoirs. Si Voltaire a dit un mot vrai, c’est celui- ci : Que l’on ne doit aux morts que la vérité. Nous

avons voulu mettre cette sentence en pratique. Pourquoi ménager les hommes aux dépens de la vérité? pourquoi les calomnier lorsqu’ils méritent des éloges ?

Chacun dans l’histoire doit porter la responsabilité de ses œuvres. Autant nous sommes ennemi de la calomnie, autant nous le sommes des faux ménagements. Il est toujours nuisible de mentir, même lorsque l’on couvre le mensonge des apparences de la prudence et de la sagesse ; il n’est jamais nuisible de dire la vérité. Il faut la dire aux amis pour qu’ils en profitent ; aux ennemis pour les confondre, s’ils ne veulent pas en profiter.

Le caractère essentiel de l’histoire est d’être vraie ; celui de l’historien d’être sincère.

Pour mettre en pratique cette sincérité, tels sont les principes qui nous ont servi de guides :

1° Lorsque nous avons eu à juger un personnage sur lequel les opinions ont été diverses, nous avons regardé comme également suspects les récits composés par ses ennemis et par ses amis ;

2° Si, à la même époque, nous avons rencontré des témoignages indépendants et impartiaux, nous les avons acceptés comme vrais ;

3° Si de tels témoignages n’existent pas, nous avons formulé notre opinion d’après les pièces officielles du procès, si elles existent encore, en les interprétant avec autant d’exactitude qu’il est possible de le faire aujourd’hui ;

4° Si ces pièces n’existent plus, et si nous n’avons rencontré aucun témoignage indépendant, nous avons mentionné les opinions contradictoires avec les raisons sur lesquelles elles sont appuyées.

De cette manière, nous avons dit la vérité, autant qu’il a été en notre pouvoir ; et nous n’avons calomnié personne.

Un mot sur notre philosophie.

Nous ne considérons la philosophie de l’histoire que comme le corollaire de l’érudition. Elle est à l’histoire ce que l’âme est au corps, elle en est le principe de vie, l’esprit, la raison; mais, de même que l’âme se manifeste par les organes et que ces organes sont les instruments de son action, ainsi les faits sont les organes de la philosophie de l’histoire. On connaît des écrivains qui ont d’abord accepté en histoire un système quelconque, et dont tous les efforts consistent à plier les faits, à interpréter les documents, de façon à donner toujours raison à ce système.

Il est triste de voir ces écrivains, quelquefois sérieux et honnêtes, lutter contre l’évidence, se débattre contre les faits qui les condamnent, se heurter contre des preuves accablantes et les tourner d’une façon fort peu consciencieuse ; s’épuiser en efforts pour falsifier les événements, leurs causes, leurs résultats.

Nous n’avons pas édifié de système a priori. Notre philosophie est sortie du sein des faits, et, lorsque nous l’exposerons, tout lecteur sérieux nous préviendra dans nos déductions philosophiques qui découleront d’elles- mêmes de récits composés avec conscience et bonne foi.

Nous n’avons donc point à exposer de théorie philosophique.

Nous ne dirons rien non plus de la classification que nous avons adoptée pour les faits. Il suffira de lire l’ouvrage lui-même pour l’apercevoir.

Les libres penseurs, qui sont, quoiqu’ils en disent, beaucoup moins libres de préjugés que beaucoup d’autres qui exaltent avec moins d’emphase leur liberté de penser, nous condamneront sans nous lire, uniquement parce que nous avons fait une histoire chrétienne de l’Eglise chrétienne, et que nous n’y avons pas joué avec le scandale.

Les membres fanatiques de l’Église romaine nous condamneront également sans nous lire, préjugeant, avec raison du reste, que notre ouvrage n’a pas été composé comme plusieurs autres, dans l’unique but de faire l’apologie de la papauté, et que nous y avons mis en relief l’Église orthodoxe qui est la seule vraie Eglise.

Il en sera de même des fanatiques du protestantisme ; car, par une étrange anomalie, le protestantisme a ses fanatiques aussi bien que le romanisme, quoiqu’il proclame la liberté d’interprétation, même pour la parole de Dieu.

Nous ne nous adressons point aux fanatiques, à quelque Eglise ou à quelque parti qu’ils appartiennent; mais seulement aux hommes sensés et honnêtes, aux amis de la vérité, à ceux qui voudront nous lire avec l’impartialité que nous avons nous-mêmes prise pour règle. Nous les prions d’examiner consciencieusement nos récits, de contrôler nos citations, d’analyser nos déductions.

Nous ne craignons pas la critique. Si l’on peut nous convaincre d’une erreur quelconque, nous le reconnaîtrons loyalement, car nous ne croyons pas à notre infaillibilité. Si l’on prétend à tort que nous nous sommes trompé, nous discuterons, sans amertume, les preuves que l’on nous opposera. Si, sans prendre la peine de nous discuter sérieusement, on nous insulte, comme il est déjà arrivé quelquefois, nous dédaignerons l’injure, priant Dieu de pardonner à nos insulteurs, comme nous leur pardonnons nous-mêmes.

Que Dieu bénisse cette œuvre que nous n’avons entreprise que pour la gloire de sa sainte Eglise ! qu’il la rende utile à ceux qui, méconnaissant le christianisme, haïssent ce qu’ils ignorent ; à ceux qui ayant reçu, par leur naissance, leur éducation, par des études trop superficielles, défaussés notions sur l’Eglise chrétienne, la voient où elle n’est pas !

Nous avons semé la vérité. Dieu seul peut la faire fructifier dans les âmes.

II

— Origine des religions.

— Place du christianisme dans l’histoire religieuse du monde.

— Les notions morales et les vérités fondamentales qui forment l’essence de la conscience et de la raison humaine, n’ont jamais formé seules une religion.

— Toutes les religions ont toujours été basées sur des dogmes positifs.

— Elles ne viennent ni de l’intelligence humaine ni de l’imagination.

— Doctrines fondamentales de toutes les religions.

— Doctrines locales.

— La révélation, source des premières.

— Origine des secondes.

— La révélation conservée dans sa pureté par le peuple hébreu. Le christianisme n’a point été une révolution religieuse.

— Il n’est contraire ni à la révélation antérieure, ni aux vérités naturelles.

— Il en a été le développement et le perfectionnement.

— État du peuple hébreu et du monde païen à l’époque de l’avènement de Jésus-Christ.

Il n’y eut jamais qu’une religion dans le monde ; la source de cette religion est Dieu.

Tous les systèmes religieux se rattachent par leur origine et par leurs doctrines fondamentales à cette religion unique et révélée.

L’homme a certainement en lui-même des notions très-positives sur Dieu, et sur la différence du bien et du mal. Ces notions sont les éléments de sa nature morale et essentiellement religieuse ; mais ils n’ont formé chez aucun peuple, d’une manière absolue, ce que l’on a appelé la religion.

Aussi haut que l’on remonte dans les annales de l’humanité, on trouve les divers peuples en possession d’un ensemble de doctrines religieuses, distinctes des notions naturelles, et ayant pour but l’honneur rendu à un ou plusieurs êtres supérieurs à la nature.

Quelle est l’origine de ces doctrines ?

Dieu n’a pas jeté l’homme dans le monde en l’abandonnant à ses -facultés naturelles et à ses instincts. Pour peu qu’on étudie ces instincts de l’homme, on comprend qu’ils ne lui ont été donnés comme aux animaux, que dans un but de conservation. Quant à ses facultés intellectuelles, elles sont bornées aux questions individuelles ou sociales dans l’ordre moral et aux questions physiques dans l’ordre extérieur. La religion étant d’un ordre supérieur, Dieu a dû donner à l’homme en le créant des notions positives qu’il ne pouvait trouver en lui-même.

Des philosophes, s’isolant de l’histoire de l’humanité, ont cherché à établir que toute idée religieuse est venue de l’intelligence humaine systématisant certaines notions qu’elle puisait, soit dans la nature, soit dans des traditions locales. Ils ne se sont pas aperçus qu’en se plaçant dans la sphère des abstractions, ils ne pouvaient donner la solution raisonnable d‘un fait qui de sa nature est historique, et ne peut être expliqué par des théories plus ou moins ingénieuses. Ils ne seraient point entrés dans cette voie antiphilosophique, s’ils avaient sérieusement examiné les doctrines qui ont toujours et partout formé la base de la religion, et s’ils avaient distingué les doctrines fondamentales des doctrines purement locales.

Ces dernières varient selon les climats, les traditions particulières et mille autres circonstances. Nous acceptons en ce qui les concerne, toutes les solutions raisonnables que l’on voudra proposer. Nous convenons sans peine que l’imagination, frappée du spectacle merveilleux des phénomènes de la nature, ou imbue de grandes

traditions nationales, ait mêlé des doctrines accessoires au fond primitif de la religion. Mais il faut reconnaître que cet accessoire varie autant que les traditions et les phénomènes naturels, c’est-à-dire, selon les divers peuples et les diverses latitudes, tandis que ce qui forme comme la base de la religion est partout identique.

Des philosophes, frappés de cette identité et oubliant que les formes religieuses accessoires ont souvent comme absorbé le fonds, ont édifié sur leur système incomplet une théorie religieuse aboutissant à cette conséquence pratique : toutes les religions sont également bonnes et vraies. Cette conséquence est aussi fausse que celle des philosophes de l’école opposée et qui se résume ainsi : toutes les religions nées de l’imagination humaine n’ont d’autre valeur que cette imagination d’où elles ont tiré leur origine.

Au fond les deux philosophies contradictoires aboutissent au même point :

L’indifférentisme religieux.

En les complétant l’une par l’autre, on arrive à une solution tout autre, la seule vraie :

Si l’on tient compte des doctrines identiques et universelles, on ne peut leur donner comme raison d’être des circonstances locales ;

Si l’on tient compte des doctrines locales, on ne peut identifier les religions les unes avec les autres, et les considérer comme une seule et même religion.

La conséquence nécessaire de ces deux faits, c’est qu’il y a eu, au berceau de l’humanité, une religion identique, qui, après la dispersion des peuples, s’est

modifiée selon des circonstances soit historiques, soit naturelles.

Comment expliquer ce fonds de doctrines identiques et universelles qui forme comme la base de toutes les religions? Pour l’expliquer, il faut en considérer la nature. Ce n’est qu’à cette condition que l’on pourra établir, ou qu’elles ont leur source dans l’esprit humain, ou qu’elles sortent d’une autre source.

Quelles sont donc les doctrines fondamentales que l’on rencontre dans toutes les religions ?

 

Toutes, sans exception, reposent sur le dogme d’une révélation, divine. Dans l’histoire des peuples, on retrouve toujours et partout ce fait primordial : Dieu se révélant à l’humanité et l’initiant à certaines doctrines. On peut dire que le fait des rapports de Dieu avec l’humanité est comme le point de départ des annales de toutes les nations.

Ce fait repose sur l’idée d’un Dieu personnel, d’un être distinct de la nature. Ce Dieu personnel est en même temps considéré comme un et multiple ; il se révèle en s’incarnant, c’est-à-dire, en se revêtant de la nature humaine.

Cette notion de Dieu se trouve aussi bien en Chine qu’en Egypte, dans l’Inde aussi bien que dans les régions polaires. Que ce Dieu un et multiple s’appelle Brahma, Chiven et Vichenou et forme la Trimourti des Indous ; qu’il s’appelle Fô ou Boudha, se manifestant sous deux ou trois formes ; qu’il soit le Dieu des Perses, lequel enfante le Verbe qui donne lui-même naissance aux deux principes du bien et du

mal : Ormuzd et Ahriman ; qu’il soit le Tay-ki des Chinois, principe primordial contenant en lui-même trois choses qui n’en sont qu’une ; qu’il soit le premier principe engendrant Kneph ou le Verbe, principe de Phta ou lumière, qui engendre une trinité composée de Isis, Osiris et Aroueris, comme le voulaient les anciens Égyptiens ; qu’il soit le Chronos des Grecs ou l’Inconnu enfantant Saturne, qui donne lui-même naissance à une trinité qui gouverne les mondes : Jupiter, Neptune et Pluton ; qu’il soit, comme chez les races galliques, Teutatès, principe d’autres divinités ; ou comme chez les Scandinaves, le père d’une trinité composée d’Odin, de Vile et de Vé; ou Odin lui-même, enfantant, de sa fille Frega, Thor, et formant avec ces deux êtres, une trinité devant laquelle la nature s’incline avec respect ; qu’il soit le Pachacamac des Péruviens, principe suprême de deux êtres figurés par le soleil et la lune ; qu’il soit le Vitzliputzli des Mexicains, enfantant également d’autres dieux ; ou, comme le disaient les Canadiens, le Kitchi-Manitou, Dieu Père formant une trinité avec le Dieu-Mère et le Dieu- Fils ; au fond de toutes ces théogonies, et au-dessus de toute forme locale, se dessine la grande idée de Dieu, un, triple, créateur et révélateur.

Au-dessous de ce Dieu, un et multiple dans son essence, on trouve dans toutes les religions, plusieurs catégories d’êtres intermédiaires entre Dieu et la nature, de génies bons ou malfaisants, qui exercent leur influence sur l’homme et sur toute la nature.

L’influence des génies malfaisants fut prédominante et le monde déchut de l’état dans lequel Dieu l’avait

créé. Cette doctrine de la déchéance est une de celles que l’on rencontre dans toutes les anciennes religions, et à côté d’elle, celle de la rédemption par une personnalité divine.

Dans le Brahmanisme, c’est Chiven, la seconde personne de la Trimourti qui absorbe tout le poison répandu dans le monde par le serpent Chéien et qui le sauve. Dans le Boudhisme, c’est Fô qui est le Dieu sauveur. Dans la religion des Persans, Ormuzd, principe du bien, sauve le monde perdu par Ahriman, principe du mal ; Confucius enseigne également la chute de l’humanité. La déchéance et la rédemption par un Dieu incarné se trouvent dans l’antique religion de l’Égypte.

Les Grecs admettaient aussi un âge de fer, succédant pour le monde aux âges d’argent et d’or, et la chute de l’humanité, due à Prométhée qui ravit au ciel la science.

Dans toutes les religions, le culte avait pour centre le sacrifice sanglant, qui était considéré comme l’unique moyen d’apaiser le courroux divin et de régénérer l’homme.

La doctrine de la chute et de la régénération par le sacrifice est si universellement enseignée dans toutes les anciennes théologies, que des philosophes l’ont indiquée comme l’idée fondamentale qui avait donné naissance à toutes les religions. C’est donner une partie comme cause et principe du tout.

Nous pourrions faire une étude plus approfondie des anciennes religions et indiquer d’autres doctrines qui leur étaient communes. On nous permettra de renvoyer aux ouvrages spéciaux qui ont été publiés sur ce sujet.

Ce que nous avons dit suffît à la thèse que nous voulons établir.

Les doctrines d’un Dieu un et triple, créateur, révélateur et rédempteur ; d’êtres inférieurs à Dieu et supérieurs à l’humanité, exerçant leur influence sur la nature entière ; d’un monde créé heureux, déchu et racheté par un Dieu incarné au moyen du sacrifice ; de telles doctrines peuvent-elles être un produit tellement naturel de l’esprit humain qu’on doive les rencontrer chez les peuples les plus divers, depuis les temps les plus reculés ?

De telles doctrines ne sont pas des notions naturelles à l’esprit humain. L’homme n’a pu les puiser ni dans les phénomènes de la nature ni dans les traditions nationales. Il n’y a aucun rapport entre ces traditions, les phénomènes de la nature, les idées primordiales qui forment comme le fonds de l’esprit humain, et les doctrines que nous avons indiquées, Il faut donc admettre que l’humanité les a puisées en dehors d’elle-même et dans une source commune.

Quelle est cette source ? La révélation de Dieu.

Il est un peuple qui possède une histoire plus certaine que tous les autres peuples ; une histoire continue à l’aide de laquelle il remonte jusqu’à l’origine du monde, et qui a conservé la révélation, type de toutes les religions. C’est le peuple hébreu. Ses livres sacrés, à part toute croyance à leur inspiration, sont incontestablement le monument le plus digne de foi que l’on possède pour l’histoire primitive du monde, et le seul où l’on trouve l’explication du grand fait de

l’identité de croyances extranaturelles au sein de l’humanité.

D’après les livres sacrés du peuple hébreu, Dieu est un et triple en son essence ; il a créé le monde par son Verbe, et son Esprit couvre le monde entier de son influence. Il a créé des êtres intermédiaires entre lui et le monde. Parmi ces êtres purement spirituels, les uns restèrent bons, les autres abusèrent de leur liberté et devinrent méchants. Les uns et les autres exercent sur le monde une influence bonne ou mauvaise, selon leur nature.

L’homme créé heureux subit l’influence pernicieuse du mauvais Esprit. Il déchut de son état primitif et le monde dégénéré eut besoin d’un Rédempteur.

Dieu le lui promit. La croyance à ce Rédempteur futur fut le point central de toute la religion. Le peuple hébreu lui-même en était le symbole. Le culte le figurait dans tous ses rites, et des prophètes venaient de temps à autre annoncer la date de sa venue, sa naissance, son caractère, les diverses circonstances de sa vie et de son sacrifice rédempteur.

Les divers peuples, issus d’une souche commune, emportèrent avec eux, lors de leur dispersion, ces doctrines. Elles se conservèrent plus clairement qu’ailleurs1, à part la Judée, dans l’Asie centrale, point de départ des peuples qui se dispersèrent en trois groupes distincts, dans les différentes contrées du globe. Mais bientôt la nature offrit à l’imagination des phénomènes nouveaux, selon les climats ; puis, chaque peuple eut

 

1 Le peuple hébreu, pendant sa captivité sur les bords de l’Euphrate, contribua aussi à conserver en ce pays les notions de la révélation primitive.

ses traditions nationales ; des éléments hétérogènes se mêlèrent ainsi aux notions de la religion primitive et les défigurèrent plus ou moins.

De là les formes si diverses que l’on rencontre dans les religions, à côté d’un fonds identique que l’on retrouve partout.

 

Lorsque Jésus-Christ, Homme-Dieu rédempteur, parut dans le monde, il ne pouvait avoir pour but de détruire la révélation primitive qui, émanant de Dieu, est vérité et doit demeurer éternellement. Dans sa doctrine, on doit donc nécessairement retrouver les dogmes fondamentaux de toutes les religions, mais débarrassés de toutes les erreurs locales.

De plus, Dieu a mis dans l’homme, comme bases de sa nature morale : la conscience, c’est-à-dire des notions primordiales du bien ; l’intelligence, c’est-à-dire un esprit éclairé de vérités premières. Ces notions essentielles ont Dieu pour auteur ; elles furent développées par la philosophie qui, au milieu de mille erreurs, a professé et admirablement développé ce qu’elle apercevait dans l’homme moral et intelligent. Jésus-Christ ne pouvait pas plus détruire cette révélation naturelle que la révélation positive. De là les rapports frappants que l’on rencontre entre l’Évangile et les religions anciennes, d’une part, et, de l’autre, les philosophies les plus élevées.

Doit-on, de ces rapports, conclure que l’Evangile ne soit qu’un système composé d’éléments puisés, soit dans les religions antiques, soit dans les philosophies ?

Des philosophes l’ont prétendu. Leur déduction n’est

pas fondée. Pour quiconque comprend la mission de Jésus-Christ, ces rapports ont une toute autre source. De plus, si l’on ôte à Jésus-Christ son auréole divine, il ne reste en lui qu’un homme simple, sans instruction, aussi peu initié aux anciennes religions qu’aux philosophies. Il restera alors à expliquer comment cet homme a pu composer un système de doctrines auquel les génies de la philosophie n’ont jamais pu atteindre.

L’objection que l’on a voulu tirer contre l’Évangile, de ses rapports avec les religions et les philosophies antiques n’a plus de sens, lorsque l’on comprend la vraie place qu’occupe le christianisme dans l’histoire de l’humanité. Dès qu’il ne devait être que le perfectionnement de la nature humaine, il ne pouvait qu’en affirmer et en développer les éléments divins, dès qu’il ne devait être que le perfectionnement de la révélation primitive, il ne pouvait qu’en affirmer et en développer les doctrines.

Ce que Jésus-Christ devait détruire : c’était, dans l’homme, le vice et l’erreur; dans les religions dénaturées, les superstitions et les doctrines locales; dans la révélation primitive, ce qu’elle avait de purement figuratif, puisque la figure disparaît d’elle-même devant la réalité.

Jésus-Christ a si explicitement indiqué ce caractère général de sa mission divine, qu’il est bien étonnant que tant d’hommes, qui se donnent comme graves, savants et intelligents, n’en aient point tenu compte.

Nous essayerons de le faire comprendre à tous dans cet ouvrage, qui n’est que l’exposition et l’histoire de l’œuvre de Jésus-Christ.

Avant de le commencer, il est nécessaire d’esquisser le tableau du monde tel qu’il était à l’époque où parut Jésus-Christ. On se rendra mieux compte, et des luttes que l’Eglise eut à engager dès le commencement, et des causes qui amenèrent son triomphe dans le monde græco-romain.

De quelque point de vue qu’on l’envisage, l’établissement du christianisme a été un événement capital de l’histoire du monde ; mais, comme nous l’avons exposé, il ne fut pas une révolution. On ne peut l’isoler du passé sous peine de ne le pas comprendre. L’essence de la révolution est de renverser ce qui existe pour y substituer quelque chose de nouveau. Le christianisme n’eut pas ce caractère : il fut une rénovation, car Jésus-Christ n’eut pour but que de conserver ce qui était bon, de le développer, de le purifier de ce que le temps y avait mêlé de mauvais ; il ne voulut pas opposer une religion nouvelle aux religions anciennes, mais rappeler le monde à la révélation primitive, augmentée de révélations nouvelles qui devaient la faire correspondre à tous les progrès possibles de l’humanité.

Quoique conservée avec plus de soin par le peuple hébreu que par les autres nations, la révélation primitive était défigurée, en Judée, par une foule de superstitions et de systèmes, à fi époque où naquit Jésus- Christ. Les sacrifices avaient lieu comme autrefois dans le temple de Jérusalem ; mais, de toutes parts, on avait élevé des synagogues où la prière et la lecture de l’Écriture étaient souvent interrompues par des luttes vives et opiniâtres ; Deux sectes principales étaient en

présence : les pharisiens et les sadducéens. Les premiers se donnaient comme les rigides observateurs de la religion et les défenseurs d’Israël contre l’étranger. Ils avaient pour principaux adversaires politiques les Hérodiens, qui, à l’exemple d’Hérode, sympathisaient avec l’étranger et avaient accepté le joug romain. Dans l’Évangile, on voit les pharisiens en opposition constante avec les publicains ou péagers. On appelait ainsi des Juifs qui avaient pris à ferme les impositions publiques et les exigeaient avec rigueur. Ils s’entendaient pour cela avec les nobles romains qui versaient au trésor de l’État une somme convenue, à la condition qu’ils pourraient la recouvrer au moyen de la perception des impôts. Pour cette perception, ces nobles s’entendaient avec des Juifs, qui leur versaient une somme supérieure à celle qu’ils avaient versée eux-mêmes au trésor, et qui employaient ensuite tous les moyens pour rentrer dans leurs déboursés avec bénéfice. Les péagers étaient donc la personnification de la domination romaine dans ce qu’elle avait de plus tyrannique.

Les sadducéens formaient comme une secte de sophistes qui dissimulaient leurs erreurs sous une exégèse complaisante des textes bibliques.

Les luttes, dont le peuple, réuni dans les synagogues, était continuellement le témoin, n’avaient pu que nuire à la foi générale. L’autorité du grand conseil ou sanhédrin était nulle en présence de ces débats. Les prêtres n’en faisaient pas seules parties. Des rabbi, scribes ou docteurs de la loi, appartenant aux sectes ennemies, y étaient assis à côté des prêtres. Le grand prêtre qui présidait n’avait pas d’autorité doctrinale et ne pouvait mettre fin à des luttes qui passaient, des

synagogues, au sein de la suprême autorité elle-même.

La vraie religion avait également souffert du formalisme pharisaïque et de l’incrédulité sadducéenne ; cependant, au-dessus des erreurs surnageait l’espérance messianique, qui était la raison de tout le culte ; mais cette espérance elle-même était défigurée. Au lieu d’apercevoir dans les Ecritures le vrai Christ, tel que l’avaient dépeint les prophètes, on s’était emparé de quelques expressions symboliques qui flattaient l’ambition populaire, et le Messie était devenu, dans l’imagination de la plupart des Israélites, un conquérant fameux qui devait faire du peuple hébreu le dominateur du monde.

A l’époque où parut Jésus-Christ, on attendait ce grand conquérant. Les oracles sibyllins, qui étaient comme l’écho affaibli des traditions primitives de l’humanité, avaient répandu cette croyance, même au sein de l’idolâtrie. Virgile1 y puisait ses chants à l’honneur d’un enfant merveilleux qui devait régénérer le monde vieilli. En Orient, surtout, cette opinion préoccupait depuis longtemps les esprits2, et Tacite affirme que c’était une croyance générale parmi les Juifs3.

Cette attente suscita en Judée de faux Christs, qui essayèrent de soulever les Israélites contre les Romains, leurs dominateurs. Parmi eux, on cite un certain Judas le Galiléen ou le Graulonite. Il forma le parti des Zelotes, c’est-à-dire des insurgés contre la domination des Césars.

 

1 Virgil., Egloij. 4.

2 Suéton. In Vespas., c. XIV.

3 Tacite, Hist., IV; 13.

Imbus de fausses idées sur le règne universel et perpétuel du Messie, les Israélites ne purent le reconnaître dans la personne de Jésus-Christ. Leur aveuglement était prédit.

Cependant il y avait parmi les Juifs des cœurs droits, des esprits sincères et éclairés qui reconnurent le Messie promis et qui abandonnèrent l’Ancienne Alliance, laquelle n’avait plus de raison d’être, pour entrer dans la Nouvelle ou le Royaume de Dieu. Jean-le-Baptiste avait contribué puissamment à préparer les âmes droites à l’avènement de l’Envoyé de Dieu. On peut croire que ce fut surtout parmi les Esséniens que Jésus-Christ rencontra le plus grand nombre de disciples. En effet, s’il y avait entre la doctrine des Esséniens et celle de Jésus-Christ des différences notables, il y avait aussi des rapports qui pouvaient disposer plusieurs d’entre eux à s’attacher au Christ. Ces hommes vertueux, opposés à toute dispute philosophique et sans ambition, se contentaient de pratiquer la vertu ; ils vivaient, pour la plupart, dans les solitudes, comme Jean-le-Baptiste et Jésus, et ils attendaient, dans la prière et la pénitence, l’accomplissement des promesses faites à leurs pères.

Il y avait donc, chez les Israélites, de bons éléments pour le christianisme ; mais les éléments contraires étaient, et plus puissants et plus nombreux.

Dans le reste du monde, la révélation primitive était tellement obscurcie, qu’à peine on pouvait en apercevoir quelques lueurs sous l’épaisse couche d’erreurs,

de rites bizarres ou immoraux, que le temps avait amoncelée.

Les doctrines de la triple unité divine et de l’incarnation s’étaient modifiées jusqu’à une multiplication indéfinie de Dieux et à des incarnations successives dont le but était la consécration de nouvelles erreurs ; les êtres spirituels étaient devenus des demi-dieux, des génies de toute sorte ; la régénération de l’humanité par le sacrifice était défigurée au point que l’on pensait se purifier et plaire à Dieu par des sacrifices sanglants dans lesquels l’homme lui-même était souvent immolé. Les prêtres des diverses religions avaient recours aux plus infâmes et aux plus cruelles pratiques pour frapper les peuples de stupeur, nourrir le fanatisme, entretenir la superstition. Un fétichisme abrutissant, des rites où l’immoralité et la férocité se mêlaient à la sottise, formaient le caractère de toutes les idolâtries ; elles ne s’offraient au peuple que sous cet aspect.

Pour les hommes plus civilisés, la religion disparaissait sous un symbolisme souvent puéril, plus souvent sceptique, qu’ils avaient soin de dissimuler pour ne pas paraître hostiles au culte populaire.

Lorsque Rome eut soumis la plus grande partie du monde alors connu, elle se montra respectueuse pour toutes les religions, et elle réunit tous les dieux dans son Panthéon. Ce mélange incohérent porta un coup mortel à l’idolâtrie, du moins dans les classes éclairées. Les philosophes se moquèrent de ces divinités hostiles qui, réunies sous le même toit, prêchaient ainsi leur impuissance. Le peuple lui-même subit bien vite la contagion du mépris des dieux ; mais l’incrédulité ne détruisit pas la superstition. Quand la foi abandonne

l’âme humaine, la plus absurde crédulité la remplace d’ordinaire. La magie et les sortilèges eurent donc à Rome plus d’adeptes que jamais ; on s’y abandonna avec une telle fureur, que Porphyre lui-même, un philosophe ennemi du christianisme, proclamait que la divinité avait abandonné le monde et que la nature entière était sous l’empire des démons1.

Sous ce rapport, le philosophe antichrétien s’accordait avec Jésus-Christ qui était venu pour détruire l’empire de Satan, et y substituer le règne de Dieu.

Ce fut moins contre les religions que l’Evangile eut à lutter que contre l’état social qu’elles avaient engendré.

La morale avait fléchi sous l’influence de cultes féroces et sensuels, au point que des actes immoraux étaient considérés comme des rites religieux. Nul doute que, même au sein de cette nuit épaisse, la conscience humaine n’ait exercé ses droits et n’ait rendu témoignage contre la perversion générale et les erreurs qui offensaient la raison. Mais les manifestations d’une honnêteté individuelle et les hautes idées d’une philosophie morale et religieuse avaient peu d’écho dans une masse abrutie.

Les arts, la littérature, le luxe ne s’étaient jamais élevés plus haut dans la société græco-romaine qu’au début de l’ère chrétienne ; mais, en même temps, l’esprit public n’était jamais tombé aussi bas. Le riche dominait l’esclave et avait sur lui, comme sur l’animal,

 

1 V. un curieux chapitre de ce philosophe dans la Préparation évangélique d’Eusèbe de Césarée, liv. IV, ch. 22.

 

droit de vie et de mort. Injuste et cruel vis-à-vis du pauvre, il s’humiliait devant l’empereur qu’il proclamait dieu. On dégradait l’humanité dans l’esclave auquel on ne reconnaissait aucun des droits de la nature ; on la déifiait dans un homme qui n’avait trop souvent que les caractères de la brute. Les hontes de la vie de famille étaient à leur comble. La femme n’était plus pour l’homme que l’esclave passagère de viles passions, et elle en tirait vanité. L’enfant qui gênait était jeté à la rue comme une immondice ; toute la vie sociale se résumait dans le sang et la débauche. L’infamie circulait dans toutes les veines de la société. Laissons à Juvénal le soin de peindre ce tableau de corruption ; une plume chrétienne s’y refuse.

C’est à ce monde, possédé de Satan, que Jésus-Christ vint annoncer le règne de Dieu ; à ce monde féroce et sanguinaire qu’il vint annoncer la douceur et l’amour de la paix ; à ce monde scindé en deux castes ennemies : le libre et l’esclave, qu’il est venu annoncer l’amour de l’esclave et la fraternité universelle ; à ce monde plongé dans les enchantements des richesses et du luxe, qu’il est venu annoncer le désintéressement et la pénitence ; à ce monde perdu de vices et d’immoralité, qu’il est venu annoncer la fidélité conjugale et l’incorporation spirituelle de l’homme chaste et de la femme pure ; à ce monde imbu d’un formalisme superstitieux, qu’il est venu annoncer le culte vrai et spirituel ; à ce monde qui se prosternait sans foi devant toutes les idoles, qu’il est venu annoncer le Dieu unique, le Dieu parfait, type de la perfection indéfinie vers laquelle l’homme doit aspirer.

Ce n’est pas ce Dieu que le monde idolâtre cher-

chait au milieu de toutes ces divinités que Rome avait attachées à son char de triomphe avec les nations qui les adoraient ; cependant, c’est devant ce Dieu qu’il s’est prosterné.

 

Des hommes qui s’imaginent être doués d’une perspicacité profonde et de l’esprit philosophique, prétendent expliquer ce grand fait historique, au moyen de petites observations, de combinaisons qui ne sont pas toujours ingénieuses. Pour nous, nous l’acceptons tel que l’histoire véridique nous le présente, c’est-à-dire comme le résultat de l’action divine et un miracle de la providence.

Ce miracle se perpétuera jusqu’à la fin des siècles.

Le christianisme est destiné à projeter ses rayons divins sur toutes les nations ; mais partout il aura à lutter, et contre Satan qui, sans y dominer comme autrefois, y exerce toujours son influence ; et contre les mauvais instincts de l’homme déchu, qui luttera toujours contre la vérité et le bien.

Cette lutte est un mystère insondable, mais elle est aussi un fait évident. La nier, c’est se condamner à ne rien comprendre à l’histoire du monde, c’est nier l’erreur et le mal, la vérité, la vertu, le droit ; c’est réduire l’homme au rôle de la brute et ne voir, dans tous ces antagonismes qui forment l’histoire de l’humanité, que des accidents également légitimes, le résultat d’instincts invincibles ; c’est proclamer que l’unique droit, au point de vue individuel, comme au point de vue social, est le droit du plus fort.

Ce matérialisme pratique qui excuse toutes les im-

moralités et toutes les violences, est le dernier degré d’abaissement où puisse tomber l’esprit humain ; mais plus il est avilissant, plus il a d’attraits pour l’homme que ses mauvais instincts mettent en opposition avec la vertu. Il voudrait que le bien n’existât pas.

D’autres l’aiment d’un amour platonique, mais ils ne le pratiquent point. Son joug est trop pesant pour leurs âmes sans énergie ; ils luttent donc aussi contre le christianisme qui appelle tout homme, non pas à une perfection théorique, à un progrès vague et non défini, mais à la pratique constante de la vertu.

Il en est qui s’admirent et s’adorent dans leurs pensées. Simples échos des orgueilleux de tous les temps, ils s’imaginent que leur génie s’épanouit sans cesse en une philosophie nouvelle et transcendante, devant laquelle le commun des mortels doit s’incliner. La vérité chrétienne, promulguée une fois, pour toutes les générations et pour tous les individus, leur apparaît comme une entrave à la libre expansion de leur intelligence.

A côté de ces luttes, qui naissent du cœur et de l’esprit de l’homme, apparaissent les luttes sociales qui ont leur source dans des systèmes politiques nés de circonstances où l’élément mauvais prédominait sur le bon ; dans lesquels se sont incarnés les vices de la nature humaine, et que le temps a, pour ainsi dire, consacrés.

Le christianisme se trouve naturellement en lutte, et contre ces états sociaux, et contre les vices de l’esprit ou du cœur de l’homme. Son histoire est donc, en grande partie, l’histoire des luttes qu’il a soutenues ; des combats qu’il a livrés.

Pour les comprendre, il faut savoir qu’il est fondé sur le respect de la liberté humaine. Jésus-Christ a déposé dans l’humanité le principe de sa régénération, en rendant à l’homme, au moyen de son sacrifice rédempteur, le pouvoir d’exercer la liberté que Dieu, en le créant, lui avait donnée comme le signe de sa dignité. Cette liberté frappée à mort, depuis la déchéance, ne pouvait guère s’exercer que pour le mal. Ainsi s’explique le triste état du monde avant l’avènement du christianisme. Mais si l’homme possède le moyen de reconquérir sa liberté et d’échapper à l’action de Satan, il a conservé en lui le principe du mal ; la régénération n’est pas la destruction de la nature déchue, mais sa rénovation par la direction chrétienne du libre arbitre. Si l’homme, au lieu de suivre les inspirations de l’influence divine, subit celles du mal et se courbe sous le joug de Satan, il lutte contre le bien dont le christianisme est la plus pure expression.

Toute lutte contre le christianisme est donc : la lutte de l’erreur contre la vérité ; du mal contre le bien.

Ces principes contradictoires doivent toujours coexister sur la terre. La lutte durera autant que le monde, et l’histoire future du christianisme sera, comme son histoire passée, celle de ses combats.