— L’empire partagé entre les trois fils de Constantin.
— Constantin le Jeune se déclare pour Athanase.
— Sa lettre à l’Eglise d’Alexandrie.
— Sa mort.
— L’empire partagé entre Constans et Constantius.
— Ce dernier est favorable aux ariens.
— Mort d’Eusèbe de Cæsarée et d’Alexandre de Constantinople.
— Paul élu par les orthodoxes et Macedonius élu par les ariens pour le siège de Constantinople.
— Eusèbe de Nicomédie les supplante l’un et l’autre.
— Athanase à Alexandrie.
— Eusèbe et ses amis cherchent à avoir pour eux l’Occident et l’évêque de Rome.
— Leurs envoyés à Rome.
— Concile d’Antioche dit de la Dédicace.
— Athanase déposé de nouveau et remplacé par Grégoire sur le refus d’Eusèbe d’Emèse.
— Athanase à Rome.
— Mort d’Eusèbe.
— Paul revient à Constantinople.
— Constantius le fait exiler de nouveau.
— Sédition à ce sujet et massacre d’Hermogène.
— Paul à Rome.
— L’évêque de Rome invite les eusébiens au concile de Rome.
— Lettre de l’évêque de Rome en réponse à celle par laquelle les eusébiens avaient refusé de se rendre à son invitation.
— Rétablissement d’Alhanase, de Paul et d’autres évêques déposés en Orient.
— Paul retourne à Constantinople.
— Canstantius le fait exiler et massacrer.
— L’empereur Constans écrit à son frère pour la réunion d’un concile oriento-occidental.
— Ce concile est convoqué à Sardique.
— La plupart des Orientaux refusent de prendre part au concile et se réunissent à Philippopolis.
— Leurs lettres à tous les évêques et leurs excommunications.
— Actes du concile de Sardique.
— Canons de ce concile.
(338-347)
Constantin étant mort, Eusèbe de Nicomédie et Theognis de Nicée pensèrent que l’occasion était favorable pour battre en brèche le mot consubstantiel, et faire accepter dans l’Eglise la doctrine d’Arius1. Malgré l’influence dont ils jouissaient auprès de Constantin, ils n’avaient jamais osé élever de contestations, devant lui, touchant la doctrine du concile de Nicée ; ils n’avaient même conservé leur influence qu’en feignant d’admettre cette doctrine. Ils avaient bien pu donner à Constantin une idée désavantageuse d’Athanase qu’ils présentaient comme un ami du trouble et des divisions2 ; mais ils n’avaient pu ébranler l’attachement de ce pieux empereur à l’orthodoxie. Ils n’avaient même pu parvenir à le
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1 Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 2.
2 Sozom., Hist. Eccl., lib. II, c. 31.
persuader qu’Athanase était indigne de l’épiscopat. Ils avaient essayé de placer sur le siège d’Alexandrie Jean le mélécien ; mais Constantin l’ayant appris, l’exila aussi bien qu’Athanase ; il pensait rétablir la paix à Alexandrie, en éloignant deux hommes qu’il regardait comme également dangereux pour la tranquillité publique.
Mais Constantin-le-jeune, qui habitait Trèves, écrivit à son père en faveur d’Athanase, et lui inspira la pensée de le renvoyer à son Eglise. Constantin mourut avant d’avoir accompli cet acte de justice. L’empire fut partagé entre ses trois fils. Constantin eut la partie occidentale ; Constans l’Italie, l’Afrique et l’Illyrie ; Constantius l’Orient et l’Egypte. Avant de mourir, Constantin avait confié à ses deux neveux, Dalmatius et Hannibalianus, le gouvernement de plusieurs provinces. Dalmatius, avec le titre de Cæsar, gouvernait la Thrace, la Macédoine et l’Achaïe ; Hannibalianus, avec le titre de roi, gouvernait la Cappadoce, le Pont et l’Arménie, et résidait à Cæsarée. Ces deux neveux de Constantin furent tués par les soldats, et leurs provinces furent partagées entre les deux empereurs Constantin-le-jeune et Constantius. Dalmatius avait laissé deux fils qui furent épargnés : Gallus et Julianus. Ce dernier est connu dans l’histoire sous le titre de Julien l’apostat. Il n’avait que huit ans à la mort de son père. Eusèbe de Nicomédie, parent de la mère de Julien, prit soin de la première éducation des deux fils de Dalmatius ; il les fit entrer dans le clergé et ils furent élevés au degré de lecteurs.
Constantin-le-jeune, trahi par ses deux frères Constans et Constantius, fut tué près d’Aquilée (340) et Constans hérita de sa part de l’empire qui fut ainsi partagé en deux parties : l’empire d’Occident avec Rome pour capitale et l’empire d’Orient ayant pour capitale Constantinople.
Pendant son règne de si courte durée, Constantin- le-jeune s’était montré orthodoxe et partisan de saint Athanase. Aussitôt après la mort de son père, il avait
renvoyé Athanase à Alexandrie avec la lettre suivante pour les habitants de celle ville1 :
« Je pense que vous n’ignorez pas qu’Athanase, docteur de la vénérable loi, n’a été envoyé en Gaule que pour un temps, et pour le soustraire à la haine des hommes pervers qui en voulaient à sa vie. Afin de l’arracher à leur cruauté, il reçut l’ordre de demeurer dans la ville que j’habitais moi-même, où il ne devait manquer de rien ; à vrai dire, il n’attache pas beaucoup d’importance aux souffrances qu’il aurait eues à supporter. Mon seigneur et père, Constantin, de pieuse mémoire, avait conçu le projet de le rétablir sur son siège épiscopal et de le rendre à votre piété ; mais il a été prévenu par la mort et n’a pu mettre son désir à exécution. Moi, son héritier, je dois accomplir ses dernières volontés. Votre évêque vous dira lui-même avec quel respect nous l’avons traité. Ne vous en étonnez pas, car je n’ai pu résister à l’attrait d’un homme aussi éminent et qui nous attestait l’attachement que vous aviez pour nous.
« Que la divine Providence vous garde, très-chers frères. »
Les fidèles reçurent Athanase avec joie : mais les ariens se mirent aussitôt à ourdir des complots contre lui et à exciter des troubles. Ils prétendaient qu’il était revenu sans attendre la décision qui devait le décharger de la condamnation portée contre lui au conciliabule de Tyr, comme si cette décision eût été de quelque valeur.
Pendant qu’Athanase se dirigeait vers Alexandrie, Eusèbe de Nicomédie et Theognis de Nicée cherchaient à empêcher son retour qu’ils considéraient comme un échec fort grave pour leur cause2. Ils avaient un appui au palais, le prêtre qui avait déjà obtenu de Constantin le rappel d’Arius. Ce prêtre avait si bien dissimulé ses sentiments hérétiques qu’il avait conservé la confiance de Constantin qui lui avait confié le testament en vertu duquel il accordait à Constantius les provinces orientales de l’empire. Constantius, qui ambitionnait ces
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1 Socrat., Hist. Eccl., lib. I, c. 3 ; Epiphan. Hœres. 68. § 10
2 Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 2.
provinces, montra beaucoup de reconnaissance pour celui qui lui remettait le titre authentique de son autorité ; il lui accorda sa confiance et ses entrées libres au palais. Le prêtre hérétique en profita pour répandre sa mauvaise doctrine parmi les eunuques ; l’impératrice elle-même fut bientôt séduite ; l’empereur n’échappa point à la contagion. Les eunuques et les femmes de service du palais se transformèrent en théologiens et se mirent à discuter sur la foi de Nicée et sur le système d’Arius ; du palais, les discussions gagnèrent la ville ; puis les provinces. Ce fut comme une étincelle qui alluma un vaste incendie. Les discussions étaient souvent mêlées de rixes. Mais l’Occident n’y prit aucune part et resta attaché à la foi promulguée à Nicée.
Eusèbe et ses partisans espéraient, à la faveur des troubles, faire élire un évêque à Alexandrie. Mais le retour d’Athanase déjoua leurs desseins.
Sur ces entrefaites mourut Eusèbe de Cæsarée1. Son disciple Acacius fut mis à sa place. Il était instruit, composa plusieurs ouvrages, et prit la défense de son maître. Mais il se montra peu orthodoxe, comme nous aurons occasion de l’exposer dans la suite.
Eusèbe de Cæsarée fut une perte pour le parti arien, quoiqu’il ne partageât pas réellement les erreurs d’Arius. Son hostilité contre saint Athanase et ses complaisances pour Eusèbe de Nicomédie le rangeaient dans la faction arienne sur laquelle il jetait de l’éclat à cause de sa science incontestable.
L’orthodoxie avait fait peu de temps auparavant une perte considérable dans la personne de saint Alexandre, évêque de Constantinople2. Il mourut à l’âge de quatre- vingt-dix-huit ans, après vingt-trois ans d’épiscopat, et sans avoir désigné de successeur. Il s’était contenté de recommander aux électeurs de porter leurs voix sur son prêtre Paul, quoiqu’il fût jeune encore, s’ils voulaient avoir un évêque vertueux et capable. Si vous voulez seulement un évêque qui ait les apparences de la gravité,
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1 Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 1
2 Ibid., c. 6.
vous nommerez, avait-il ajouté, le diacre Macedonius. Alexandre étant mort, les orthodoxes portèrent leurs voix sur Paul qui fut élu et consacré dans l’église Eirini (de la Paix), située près de l’endroit où l’on bâtit depuis la grande église sous le vocable de la Sagesse divine (Sophia). Les ariens avaient donné leurs voix à Macedonius. Constantin vivait encore alors. Une discussion s’éleva entre Paul et Macedonius à propos de l’élection. Constantin se prononça contre Paul et l’envoya en exil dans la province du Pont. A sa mort, Paul revint ; Macedonius reconnut la légitimité de son concurrent, et vécut en communion avec lui, en conservant seulement le titre de prêtre.
Lorsque Athanase fut rappelé de son exil, il prit le chemin de Constantinople et trouva Paul rétabli sur son siège. Il vit Constantius à Viminacium en Mæsie, à Cæsarée en Cappadoce, enfin à Antioche, d’où il gagna Alexandrie. Dans ces différentes entrevues, Athanase ne fit même pas mention de ses ennemis et ne chercha point à s’emparer de l’esprit de l’empereurl.
Son retour à Alexandrie fut un triomphe2. Le peuple se porta en foule à sa rencontre ; les églises retentissaient de chants d’allégresse ; tous les ministres de l’Eglise, comme les fidèles, manifestaient la plus grande joie Les évêques accoururent de toutes les Eglises d’Egypte, de Thébaïde, de Lybie et de Pentapole. Heureux de se trouver réunis sous la présidence de l’évêque de l’Eglise-mère, ils se crurent obligés de prendre sa défense et rédigèrent une circulaire qui fut envoyée à tous les évêques de l’Eglise catholique3. Ils y réfutent toutes les calomnies élevées contre Athanase au conciliabule de Tyr et à Constantinople, et mettent à nu toutes les intrigues des eusébiens.
Cette apologie fut adressée, non-seulement aux évêques orientaux, mais à ceux d’Occident où Athanase
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1 S. Athan., Apolog. ad Constant., § S.
2 Theodor., Hist. Ecct., lib. II, c. I ; Gregor. Nazianz., Orat. 21, in Laud. Athan.
3 Ap. S. Athan., Apolog. cont. Arian., §§ 3 et seq.
s’était fait beaucoup d’amis pendant son exil, et particulièrement à Julius, évêque de Rome1. Les délégués du concile d’Alexandrie et d’Athanase arrivèrent à Rome, lorsque ceux des eusébiens y étaient déjà ; ceux-ci, comprenant de quelle importance il serait d’avoir l’Occident avec eux, avaient écrit à l’évêque de Rome. Ils avaient envoyé leur lettre par trois délégués, le prêtre Macarius et les deux diacres Martyrius et Hesychius. Ils y avaient joint l’enquête faite en Maréote par ordre du conciliabule de Tyr. Les délégués d’Athanase arrivèrent, de leur côté, avec la lettre du concile d’Alexandrie. Le prêtre Macarius se retira aussitôt, sous prétexte de maladie. Les deux diacres, afin de n’être pas obligés d’entrer en discussion, proposèrent à l’évêque de Rome de réunir un concile, où l’on examinerait toutes les difficultés relatives à Athanase, à Marcellus d’Ancyre et à Asclepas de Gaza, déposé illégalement par les ariens, parce qu’il était partisan d’Athanase2.
Julius consentit et proposa un concile qui aurait lieu dans la ville que les eusébiens choisiraient3, de concert avec leurs adversaires. Aucun lieu n’ayant été indiqué, Julius convoqua le concile à Rome.
Constantius, après son voyage à Antioche où Athanase l’avait vu avant de s’embarquer pour Alexandrie, s’était rendu à Constantinople. Il avait avec lui Eusèbe de Nicomédie qui ambitionnait le siège de la ville impériale, et l’avait mis au courant des discussions élevées entre Paul et Macedonius. Il donnait raison à ce dernier ; aussi Constantius, arrivant à Constantinople, entra-t-il dans une grande colère, en voyant Paul rétabli sur son siège. Il l’exila à Singaris en Mésopotamie et mit à sa place Eusèbe de Nicomédie4.
C’était la seconde fois que cet ambitieux changeait de siège épiscopal ; car il avait été d’abord simple évêque
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1 S. Athan., Apolog. cont. Arian., § 20.
2 S. Athan., Hist. Arian. ad Monach., §§ 9 et seq. ; Apolog. cont. Arian.,
§ 20 ; s. Hilar. Pictav., Fragment. II, § 2 ; Theodor., Hist. Eccl., lib. II, c. 8.
3 S. Athan., Hist. Arian. ad Monach., § 9 ; Apolog. cont. Arian., § 20.
4 S. Athan., Hist. Arian. ad Monach,, § 7 ; Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. c. 7, 8 ; Sozom., Hist. Eccl., lib. III, c. 3.
de Birouth. Constantius ne séjourna pas longtemps à Constantinople ; il retourna à Antioche pour la dédicace d’une église dont Constantin son père avait jeté les fondements (341). Eusèbe l’y suivit, et de nombreux évêques furent convoqués pour cette solennité. Eusèbe avait pris soin d’appeler un grand nombre de ses partisans, en apparence pour être agréable à l’empereur, mais en réalité pour faire proclamer une doctrine contraire au mot consubstantiel. Quatre-vingt-dix évêques se trouvèrent à Antioche1. Maximus de Jérusalem ne s’y rendit pas. Il se souvenait qu’autrefois, à Tyr, il avait été trompé par les intrigues des ennemis d’Athanase, et il ne voulait pas s’exposer au même danger. L’évêque de Rome, Julius, n’assista pas non plus au concile et n’y envoya personne pour le représenter, « quoique, ajoute Socrate, la règle ecclésiastique défende de décréter quelque chose dans l’Eglise, sans le consentement du pontife romain. » En effet, l’Orient n’était pas seul l’Eglise, et la règle ecclésiastique, c’est que, pour une décision qui intéresse toute l’Eglise, l’Eglise entière doit y prendre part. Or, l’évêque de Rome, première Eglise apostolique d’Occident, était le premier représentant des Eglises occidentales et leur intermédiaire naturel avec l’Orient.
Le concile d’Antioche se réunit en présence de l’empereur Constantius (341). Flaccillus était alors évêque d’Antioche ; il présida sans doute l’assemblée. Les orthodoxes y étaient en majorité, et saint Hilaire de Poitiers a appelé cette assemblée un concile de saints2. Il est vrai que de graves écrivains n’en ont pas eu une idée aussi haute, à cause de ce qui fut fait contre saint Athanase3 ; mais, à l’époque où le concile était réuni, on n’identifiait pas la cause de saint Athanase avec celle de l’orthodoxie. De saints évêques pouvaient s’être laissé tromper par les calomnies que les eusébiens répandaient avec
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1 S. Athan., De Synod., §§ 22 et seq. ; Theod., Hist. Eccl., lib. II, c. 3 ; Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. c. 8 et seq. ; Sozom., Hist. Ecct., lib. III, c. c. 5 et seq.
2 S. Hilar. Pictav., De Synod. seu fid. Orient., § 32.
3 V. Pall., Vit. Chrysost., § 8.
beaucoup d’astuce et de persévérance et penser que l’évêque d’Alexandrie, déposé par le concile de Tyr, n’aurait pas dû remonter sur son siège, avant la sentence d’un autre concile. Les eusébiens, en posant ainsi la question, avaient pour eux le droit, dès que l’on accordait au concile de Tyr une certaine autorité.
Eusèbe et ses amis ne se donnaient pas comme ariens, pendant le concile, mais comme partisans de la foi de Nicée. Seulement, ils prétendaient que, pour l’amour de la paix, on pouvait bien sacrifier un mot, dès qu’on ne sacrifiait rien de la foi.
Les évêques orthodoxes tombèrent dans ce piège. Gomme ils ne sacrifièrent pas réellement l’orthodoxie, il n’est point étonnant que leur concile d’Antioche ait été généralement respecté dans l’Eglise, et que le quatrième concile œcuménique (Act. IV) ait cité ses canons comme appartenant aux saints Pères. La cause d’Athanase fut d’abord examinée et sa conduite fut trouvée répréhensible, en ce qu’il n’avait pas attendu la sentence d’un concile pour remonter sur son siège.
Les ennemis d’Athanase avaient préparé l’empereur Constantius à accepter toutes leurs accusations. Ceux qui avaient le plus d’influence sur l’esprit de ce prince étaient Eusèbe, pseudo-évêque de Constantinople, Theognis de Nicée, et Théodore de Perinthe ; ce Théodore était un homme, très-savant, et ses commentaires sur les Évangiles l’avaient rendu célèbre. Il n’approuvait pas le mot consubstantiel qui ne se trouvait pas dans les saintes Écritures, et, comme Eusèbe et Theognis, il cherchait à présenter ce mot comme l’unique source des troubles1.
Le concile d’Antioche, après avoir déposé de nouveau Athanase, proposa son siège à un nommé Eusèbe qui a conservé dans l’histoire le titre d’Eusèbe d’Emèse. Il était originaire d’Edesse en Mésopotamie2, et appartenait à une famille noble. Après avoir été initié, dans sa patrie, à la littérature grecque, il étudia les saintes Écri-
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1 Theodor., Hist. Eccl., lib. II, c. 2.
2 Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 9.
tures sous Patrophile de Scythopolis et sous Eusèbe de Cæsarée. Il se trouvait à Antioche, lorsque saint Eustathe y fut déposé comme partisan de l’hérésie de Sabellius. Il resta en communion avec Euphronius, évêque d’Antioche. Comme on voulut alors le faire prêtre, il s’enfuit à Alexandrie et s’y adonna à l’étude de la philosophie. De retour à Antioche, il vécut dans l’intimité de Flaccillus, successeur d’Euphronius. Il y était pour les fêtes de la dédicace et pour le concile réuni à cette occasion. Le concile le choisit pour succéder à Athanase sur le siège d’Alexandrie ; mais il refusa de s’y rendre, et préféra le siège d’Emèse. Il fallut l’intervention active de Georges de Laodicée, de Flaccillus d’Antioche et de Narcissus de Néroniade, pour qu’il pût occuper son siège.
Constantius avait en lui beaucoup de confiance. Il émit depuis, dans ses ouvrages, des doctrines contraires au système arien, ce qui le fit accuser de sabellianisme.
Eusèbe d’Emèse ayant refusé le siège d’Alexandrie1, le concile choisit à sa place un nommé Grégoire2.
Les évêques s’occupèrent ensuite de la doctrine. Ils n’attaquèrent pas la foi de Nicée ; mais ils s’appliquèrent à exposer la doctrine de manière à rendre inutile le mot consubstantiel. Les eusébiens parvinrent à persuader aux orthodoxes que ce mot n’était qu’une occasion de trouble, et, afin de mieux les tromper, ils feignirent d’abandonner Arius :
« Nous n’avons jamais été, dirent-ils, sectateurs d’Arius. Comment nous évêques, aurions-nous été sectateurs d’un prêtre ? Nous n’avons jamais embrassé d’autre foi que celle qui a été enseignée dès le commencement. Établis juges de la foi d’Arius, nous avons écouté ses explications, et nous l’avons reçu plutôt que suivi. Vous le comprendrez facilement d’après ce que nous allons dire3.
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1 Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 10.
2 Un certain Pistos s’y était installé auparavant de sa propre autorité, et avait été ordonné par Secundus. Le concile d’Antioche ne jugea pas à propos de prendre parti pour lui.
3 Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 10 ; Sozom., Hist. Eccl., lib. III, c. 5.
« Nous avons appris des anciens à croire en Dieu, un, créateur et conservateur de toutes les choses spirituelles et corporelles ; et en son Fils unique, seul engendré, existant avant tous les siècles, et demeurant avec le Père qui l’a engendré ; par lequel toutes les choses visibles et invisibles ont été faites ; qui, dans ces derniers temps, selon la volonté du Père, est descendu, et a pris un corps de la sainte Vierge ; lequel, après avoir accompli entièrement la volonté de son Père, a souffert, est ressuscité, est retourné au ciel, et siège à la droite du Père. Il viendra un jour pour juger les vivants et les morts ; et il est roi et Dieu pour l’éternité.
« Nous croyons aussi au Saint-Esprit ; et, s’il est nécessaire de le déclarer, nous croyons aussi à la résurrection de la chair et à la vie éternelle. »
Les Pères du concile adressèrent cette profession de foi à tous les évêques. Mais plusieurs l’ayant trouvée insuffisante, parce qu’on n’y faisait mention ni de la coéternité ni de la consubstantialité du Père et du Fils, on en adopta une seconde plus détaillée que les eusébiens attribuèrent au martyr Lucianus. Comme on l’a vu précédemment, Lucianus avait laissé en Orient une grande réputation de science ; Eusèbe de Nicomédie et Arius avaient été ses disciples. On ignore si la profession de foi était bien de lui ; elle eût été certainement d’une rigoureuse orthodoxie, avant l’hérésie d’Arius ; mais les subterfuges de cet hérésiarque ne pouvaient être combattus que par le mot consubstantiel, et ce mot ne se trouve pas plus dans le second symbole d’Antioche que dans le premier. Ce second symbole était ainsi conçu1 :
« Nous croyons, selon la tradition évangélique et apostolique, en Dieu, un, Père Tout-Puissant, auteur, créateur et conservateur de toutes choses ;
« Et en un Seigneur Jésus-Christ son Fils, Dieu, seul engendré, par lequel tout a été fait ; engendré du Père
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1 S. Athan., De Synod., § 23 ; s. Hilar. Pictav., De Synod., § 29 ; Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 10.
avant les siècles, Dieu de Dieu, Tout de Tout, seul de seul, parfait du parfait, roi de roi, Seigneur de Seigneur, Verbe vivant, sagesse vivante, vraie lumière, voie, vérité, résurrection, pasteur, porte, non soumis au changement et aux vicissitudes, image absolument semblable de la divinité du Père, de sa substance, de sa sagesse, de sa puissance et de sa gloire ; premier-né de toute créature, qui était en Dieu au commencement ; Dieu Verbe, selon cette parole de l’Evangile : et le Verbe était Dieu ; par lequel toutes choses ont été faites ; dans lequel toutes choses subsistent ; lequel, dans ces derniers temps, est descendu des cieux, est né de la Vierge selon les Ecritures, et a été fait homme ; médiateur de Dieu et des hommes, apôtre de notre foi et auteur de la vie, comme il l’a dit lui-même : Je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ; qui a souffert pour nous, et est ressuscité le troisième jour ; puis est monté au ciel et est assis à la droite du Père ; et, de nouveau, viendra, avec gloire et puissance, juger les vivants et les morts.
« Nous croyons au Saint-Esprit qui a été donné aux croyants comme consolation, sanctification et initiation, selon que Notre Seigneur Jésus-Christ l’a prescrit à ses apôtres : Allez, instruisez tous les peuples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; c’est-à-dire du Père qui est véritablement Père, du Fils qui est véritablement Fils, du Saint-Esprit qui est véritablement Saint-Esprit. Ces noms n’ont pas été placés ainsi sans raison et sans but, mais pour signifier la personne, l’ordre et la gloire de ceux qui sont nommés ; de sorte que, quant à la personnalité, ils sont trois ; et, quant à l’union, un seul.
« Professant cette foi, et la conservant du commencement à la fin en présence de Dieu et du Christ, nous frappons d’anathème toute doctrine perverse et hérétique. Et si quelqu’un, contrairement à la foi saine et droite des Ecritures, dit qu’il fut un temps, une époque, un siècle qui existait avant que le Fils fut engendré, qu’il soit anathème ! Si quelqu’un dit que le Fils a été créature, ou une des créatures, ou une des choses engen-
drées, ou un ouvrage, ou un des ouvrages, et ne professe pas tout ce qui a été exposé ci-dessus conformément aux saintes Ecritures ; s’il enseigne ou prêche quelque chose, autre que ce qui a été reçu, qu’il soit anathème ! car nous croyons et nous suivons tout ce qui est enseigné dans les Ecritures, tant par les prophètes que par les apôtres. »
Cette profession de foi était certainement très-orthodoxe. Elle était opposée, non-seulement aux erreurs d’Arius, mais à celles de Sabellius dont les partisans relevaient alors la tête1. Ils abusaient du mot consubstantiel, confondaient la substance et la personne2, soutenaient qu’en Dieu il n’y avait qu’une substance, et que le Fils et le Saint-Esprit n’étaient, comme le Père, que des expressions diverses signifiant la même substance unique, celle du Dieu un. Le concile devait éviter de tomber dans cet unitarisme en combattant Arius. On peut croire que les eusébiens décidèrent le concile à supprimer le mot consubstantiel, en lui exagérant le danger de prêter ainsi un prétexte aux sabelliens.
Un évêque, Théophronios de Thyane3, ne trouva pas irréprochable la profession de foi ci-dessus mentionnée ; et il pria le concile d’en signer une autre qu’il lui proposa. Le concile se rendit à son désir sans difficulté, car elle était orthodoxe et conforme à celle qui avait été admise, quoique plus abrégée. Nous n’y remarquons que cette différence : En parlant du Fils, il est dit : « Dieu parfait, de Dieu parfait, et étant en Dieu en hypostase, » c’est-à-dire substance. Cette profession de foi se termine ainsi : « Que celui qui croit comme Marcellus d’Ancyre, ou Sabellius, ou Paul de Samosate, soit anathème, ainsi que ceux qui communiquent avec eux. »
Plusieurs évêques présents au concile s’étant portés garants de l’orthodoxie d’Arius, Théophronios ne voulut pas le nommer ; mais il nomma Paul de Samosate qui
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1 S. Hilar. Pictav. De Synod., §§ 51, 52, 55.
2 La confusion était d’autant plus facile que le mot grec Ύποστασίς (hypostase) signifie substance et personne. Ou a beaucoup abusé de ce mot dans les discussions qui eurent lieu pendant les IVe et Ve siècles.
3 S. Athan., De Synod., § 24.
ne croyait pas à la divinité de Jésus-Christ, erreur attribuée à Arius.
Les eusébiens n’avaient signé toutes ces formules de foi que malgré eux et pour ne pas paraître professer une foi contraire à celle de Nicée. Ils laissèrent le concile se terminer en paix ; mais, une fois, les membres orthodoxes retournés à leurs Eglises, et quelques mois après leur départ, ils rédigèrent une quatrième formule de foi, moins explicite que les autres, et qui était ainsi conçue1 :
« Nous croyons en Dieu, un, Père Tout-Puissant, créateur de toutes choses, et duquel toute paternité provient au ciel et sur la terre ;
« Et dans son Fils unique, Notre Seigneur Jésus- Christ, né du Père avant tous les siècles ; Dieu de Dieu, lumière de lumière ; par lequel toutes choses ont été- faites dans les deux et sur la terre, les choses visibles et les choses invisibles ; qui est Verbe, sagesse, puissance, vie et vraie lumière ; qui, dans ces derniers temps, a été fait homme à cause de nous, est né de la sainte Vierge, a été crucifié, est mort, a été enseveli ; qui est ressuscité des morts le troisième jour, est monté au ciel, et est assis à la droite du Père. A la fin du temps, il viendra juger les vivants et les morts, et rendre à chacun selon ses œuvres ; et son règne restera sans fin dans les siècles infinis ; car il sera assis à la droite du Père, non-seulement pendant ce temps, mais dans le temps futur.
« Nous croyons aussi au Saint-Esprit, c’est-à-dire au Paraclet qu’il avait promis à ses apôtres, et qu’il leur envoya après son ascension au ciel pour les instruire et leur révéler toutes choses ; par cet Esprit sont sanctifiées les âmes de ceux qui ont cru sincèrement au Fils.
« Quant à ceux qui disent que le Fils est venu de choses non existantes, ou d’une autre substance, et non de Dieu, l’Eglise catholique les reconnaît comme des étrangers. »
Les eusébiens changèrent de nouveau leur formule
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1 S. Athan., De Synod., § 25.
de foi, trois ans après, comme nous le verrons dans la suite1.
La dernière profession de foi fut envoyée en Occident à l’empereur Constans par les évêques Narcissus, Maris, Théodore et Marcus. Ils trouvèrent Constans dans les Gaules, et ils reçurent de lui un accueil peu flatteur2, et qui leur fit comprendre qu’ils ne pouvaient pas compter sur l’Occident.
Après avoir traité de la foi, le concile promulgua des canons3. Puis il se sépara. Grégoire partit aussitôt pour Alexandrie avec des soldats et un délégué de l’empereur Constantius. Une grave émeute éclata à son arrivée ; les fidèles rejetaient unanimement le faux pasteur qu’on voulait leur imposer, mais le gouverneur de la province, Philagrius, se déclara pour l’intrus. Il ameuta la populace juive et païenne contre les fidèles. Cette populace souilla les églises, outragea le clergé et les vierges. La ville d’Alexandrie fut remplie de rixes sanglantes et de meurtres. L’intrus voulut soumettre à son autorité la province entière. Il parcourut toutes les églises dépendantes d’Alexandrie et organisa une véritable persécution contre les évêques, les prêtres et les fidèles qui refusaient de le reconnaître pour pasteur légitime4.
Athanase, ayant prévu ce qui allait arriver5, s’embarqua pour Rome, où l’évêque Julius avait convoqué, comme nous l’avons dit, un concile pour examiner les accusations des ennemis d’Athanase et décider si l’Occident devait être en communion avec eux ou avec l’évêque d’Alexandrie.
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1 S. Athan., De Synod., § 26.
2 S. Athan., Hist. Arian. ad Monach., §9 De Synod., § 25.
3 On a de ce concile vingt-cinq canons. Nous n’y trouvons rien qui mérite une mention spéciale ; ils renouvellent, pour la plupart, d’anciennes dispositions déjà connues.
On a beaucoup disserté sur ces canons. Des érudits n’ont voulu voir dans le concile d’Antioche qu’un conciliabule arien et ont prétendu, sans preuves, que les canons étaient d’un autre concile. D’autres érudits ont prétendu que le concile était d’abord orthodoxe, mais que les évêques orthodoxes se retirèrent après la confection des canons, et que le concile fut dès lors arien.
Nous croyons avoir donné du concile une idée exacte qui rend inutiles toutes les hypothèses.
4 S. Athan., Hist, Arian. ad Monach., §§ 10 et seq. ; Epist. ad Orthodox. ; Jul., Epist. ad Antioch.
5 S. Athan., Hist. Arian. ad Monach., § 11.
Ce fut de Rome sans doute qu’il écrivit aux orthodoxes pour leur dénoncer l’intrusion de Grégoire. Quand il y fut arrivé, les envoyés de Julius, Elpidius et Philoxenus, partirent pour Antioche avec une lettre dans laquelle l’évêque de Rome priait les accusateurs d’Athanase de se rendre au concile qu’ils avaient eux-mêmes sollicité par leurs délégués.
Cette invitation ne s’adressait qu’aux eusébiens qui avaient accusé Athanase. Ils comprirent que le jugement à Rome serait purement ecclésiastique1, qu’ils n’auraient là ni délégués impériaux ni soldats pour leur donner raison. Ils firent attendre leur réponse plus que de raison aux délégués de l’évêque de Rome. Enfin ils leur remirent une lettre qui ne contenait en réalité que cette excuse : « Nous ne pouvons, disaient-ils, répondre à votre invitation, à cause de la guerre de Perse. » Constantius avait en effet décidé alors de faire la guerre aux Perses, « mais en quoi cette guerre pouvait-elle, dit Athanase, intéresser des évêques ? Comment une guerre avec la Perse pouvait-elle les empêcher de se rendre en Occident au delà de la mer, et loin des combats ? Ils n’avaient pas peur de s’en rapprocher pour y rechercher leurs adversaires, afin de les calomnier. »
Les délégués romains furent obligés de se retirer avec une réponse aussi ridicule. Ce fut après leur départ que les eusébiens se hâtèrent d’envoyer à Alexandrie leur évêque Grégoire, afin de rendre inutiles les décrets que l’on pourrait promulguer en Occident, et rendre leur exécution impossible en présence du fait accompli.
Plus de cinquante évêques répondirent à l’invitation de l’évêque de Rome. Ils se réunirent dans l’Eglise à la tête de laquelle était le prêtre Viton, sans doute celui qui avait été délégué de l’évêque de Rome au concile de Nicée. Athanase ayant présenté tout d’abord sa défense fut admis, avec ses adhérents, à la communion et aux agapes. Le concile, outré des calomnies des eusébiens, composa une réponse qu’il pria Julius de leur envoyer.
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1 S. Athan., Hist. Ariaadn. Monach., § 11.
Le comte Gabianus en fut porteur1. C’est la première fois que l’Occident se trouvait en face de l’Orient, et que l’évêque de Rome était appelé comme arbitre dans un différend, par des adversaires qui, tous, étaient orientaux. Julius était digne de cet arbitrage ; c’était un grand et saint évêque, qui n’avait en vue que la pacification de l’Eglise et le triomphe de la saine doctrine.
Les faits relatifs au concile de Rome sont contenus dans la lettre que le concile écrivit aux eusébiens et que Julius fut chargé de leur transmettre. Ce document historique important, nous le donnerons à peu près intégralement, tel que saint Athanase l’a inséré dans son Apologie contre les ariens2. Non-seulement il contient l’exposé des faits alors en discussion, mais l’évêque de Rome y apparaît tel qu’il était alors, c’est-à-dire simple évêque sans juridiction universelle et sans aucune de ces prérogatives réclamées depuis par ses successeurs comme des droits leur venant de Dieu.
Voici cette lettre :
« Julius à Danius, Flaccillus, Narcissus, Eusèbe, Maris, Macedonius, Théodore et leurs amis qui nous ont écrit d’Antioche, nos frères bien-aimés, salut dans le Seigneur.
« J’ai lu la lettre que mes prêtres Elpidius et Philoxenus m’ont apportée, et j’ai été étonné qu’après vous avoir écrit avec affection et amour de la vérité, vous m’ayez répondu d’une manière peu respectueuse et avec amertume. L’orgueil et l’arrogance de ceux qui ont écrit éclatent dans toute la lettre ; ce sont là des sentiments fort éloignés de la foi chrétienne.
« Il convenait de répondre affectueusement et non avec amertume à ce qui était écrit avec affection. N’est-ce pas une preuve d’affection d’avoir envoyé des prêtres pour consoler les affligés et engager ceux qui nous avaient écrit à se rendre à notre invitation, afin que, toutes discussions étant pacifiées, il n’y eût plus lieu, ni pour les uns ni pour les autres, aux persécutions ni
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1 S. Athan., Apolng. cont. Arian., § 20.
2 Ibid., §§ 21 et seq.
aux calomnies ? Je ne sais pourquoi vous avez manifesté des sentiments qui nous ont induits à penser que vous n’avez dit qu’avec dissimulation ce qui paraissait être dit pour nous honorer. Les prêtres que j’avais envoyés, et qui devaient revenir joyeux, sont revenus tristes à cause de ce qu’ils ont vu. Quant à moi, après avoir lu votre lettre, je ne l’ai communiquée à personne, espérant que l’arrivée de quelques-uns d’entre vous la rendrait inutile. Je ne pouvais en effet la faire connaître sans causer à plusieurs une douleur profonde. Mais lorsqu’il fut nécessaire de la communiquer, personne d’entre vous n’étant venu, je vous avoue que tout le monde a été étonné que de telles choses eussent été écrites par vous. L’esprit de dispute y éclatait en effet au lieu de l’esprit de charité. Si celui qui a écrit cette lettre n’a voulu que donner une preuve de son éloquence, il aurait pu réserver cette éloquence pour d’autres occasions. Dans les choses ecclésiastiques, ce n’est pas l’éloquence qu’il faut rechercher, mais on doit suivre les canons apostoliques ; et l’on doit particulièrement veiller à ne pas scandaliser même un des plus petits d’entre les enfants de l’Eglise ; il vaut mieux, selon la sentence ecclésiastique, se mettre une meule au cou et se jeter à l’eau, que de scandaliser un des plus petits. S’il a plu à quelques-uns d’entre vous d’écouter la colère et d’écrire une telle lettre (je ne pense pas que tous vous y ayez consenti), le soleil ne devait pas se coucher sur cette colère ou, du moins, on ne devait pas la consigner par écrit.
« Qu’avez-vous trouvé dans ma lettre qui pût légitimer un tel emportement ? Est-ce parce que nous vous avons engagé à venir à un concile ? Vous auriez dû, au contraire, accueillir cette invitation avec joie. En effet, ceux qui n’ont aucun doute au sujet de leurs actes ou, comme ils disent, de leurs jugements, ne peuvent se montrer mécontents que ces jugements soient contrôlés ; ils sont persuadés que ce qu’ils ont jugé avec justice ne peut être trouvé injuste. C’est pour cela que les évêques réunis au grand concile de Nicée, avec la permission de Dieu, ont permis de discuter les actes d’un concile dans
un concile postérieur, afin que les juges ayant devant les yeux l’autre jugement qui pourrait intervenir, fussent plus attentifs dans leurs décisions ; et que pour ceux qui étaient jugés, la sentence ne fût pas considérée comme un effet de la haine ou de l’inimitié des premiers juges. Si vous n’acceptez pas pour vous une coutume, antique certainement, mentionnée et adoptée dans un grand concile, cela ne peut vous faire honneur. Une coutume établie dans l’Eglise et confirmée par les conciles ne peut être abrogée par quelques particuliers. »
L’évêque de Rome ne songeait pas alors à mettre en avant une autorité qu’il n’avait pas, et se plaçait, avec raison, sur le terrain général de la loi, faite pour tous, et que tous devaient observer. Il est remarquable que Julius n’admettait pas comme définitif le jugement d’un concile, quel qu’il fût, en première instance, et qu’il ne considère l’appel comme légitime que devant un autre concile. Les considérations générales dans lesquelles entre l’évêque de Rome prouvent que les eusébiens regardaient comme définitives les sentences qu’ils avaient rendues contre leurs adversaires, et qu’ils n’acceptaient aucune révision. C’était là un orgueil insupportable, contraire à toutes les lois ecclésiastiques. Les eusébiens pouvaient d’autant moins refuser la révision de leurs sentences qu’ils l’avaient eux-mêmes demandée par leurs délégués. C’est ce que l’évêque de Rome leur dit dans la suite de la lettre :
« Vous devez d’autant moins vous affecter que vous tous qui vous groupez autour d’Eusèbe, vous nous avez envoyé une lettre avec trois délégués : le prêtre Macarius et les diacres Martyrius et Hesychius. Ils trouvèrent ici les prêtres d’Athanase auxquels ils ne purent répondre. Se voyant réfutés sur tous les points, ils demandèrent que l’on réunît un concile, et que l’on adressât des lettres de convocation à Athanase d’Alexandrie et à tous ceux qui étaient d’accord avec Eusèbe, afin que, en présence de tous, on rendît un jugement équitable. Ils promirent alors que l’on prouverait tous les crimes reprochés à Athanase. Martyrius et Hesychius eurent avec nous une
conférence publique, en présence des prêtres d’Athanase qui gardèrent le silence, pleins de confiance dans la bonté de leur cause. Je dois dire que vos délégués ont été réfutés sur tous les points, et c’est ainsi qu’ils ont été amenés à demander un concile. Si Martyrius et Hesychius n’avaient pas demandé de concile, j’en aurais moi-même pris l’initiative pour décharger ceux qui m’avaient écrit, et en faveur de nos frères qui se prétendaient injustement condamnés ; mon invitation, dans ce cas, aurait encore été juste et équitable, conforme à la doctrine de l’Eglise et agréable à Dieu. A plus forte raison l’est-elle lorsque ceux que vous tous qui êtes avec Eusèbe avez jugés dignes de votre confiance, ont demandé un concile ; nous ne pouvions rejeter une telle demande, et notre devoir était de l’accueillir avec empressement. Ceux qui en montrent de l’indignation nous paraissent bien hardis, et les reproches de ceux qui n’ont pas voulu se rendre à notre invitation nous semblent suspects et peu honnêtes. A-t-on le droit de se plaindre lorsque d’autres font ce que l’on a fait soi-même ? Si, comme vous l’écrivez, chaque synode a une autorité qui doit être respectée, et si l’on agit avec mépris envers un juge lorsqu’on contrôle sa sentence, considérez, mes bien-aimés, je vous en prie, qui sont ceux qui déshonorent un synode, et qui cassent les jugements prononcés. Je ne vous en citerai qu’un exemple, afin de ne pas paraître y mettre de la passion ; cet exemple est si horrible qu’il suppléera à tout ce qu’on pourrait ajouter. »
L’évêque de. Rome, dans ce remarquable passage, ne prétendait pas à cette autorité supérieure que ses successeurs se sont attribuée à dater du VIIIme siècle. Il ne se donnait pas comme juge suprême des causes ecclésiastiques, et ne mentionnait pas les appels à son siège, lesquels n’existaient pas encore. Le seul tribunal ecclésiastique, dans chaque province, était le concile, et l’appel régulier d’une sentence devait être adressé à un autre concile qui avait le droit de faire un nouvel examen de l’affaire. Aucun évêque en particulier n’était juge ; à plus forte raison aucun n’était juge universel. Ce n’était
point en vertu d’un droit appartenant à son siège que Julius et son concile de Rome se trouvaient investis du droit de porter une sentence dans les discussions orientales, mais parce que les adversaires, de part et d’autre, avaient pris l’évêque de Rome pour arbitre ; et cet évêque savait que cet arbitrage ne pouvait être exercé par lui que de concert avec les évêques occidentaux ; c’est pourquoi il les avait convoqués au concile de Rome.
Tous les faits, même ceux qui se passaient à Rome, prouvent que la constitution de l’Eglise, au IVme siècle, continuait à être conciliaire, comme dans les siècles précédents.
Julius continue ainsi sa lettre, et cite l’exemple qu’il avait mentionné :
« Les ariens, rejetés autrefois à cause de leur impiété par Alexandre, évêque d’Alexandrie, de bienheureuse mémoire, ne furent pas seulement expulsés de toutes les villes, mais furent frappés d’anathème par tous ceux qui avaient assisté au grand concile de Nicée. Leur crime, en effet, n’était pas léger, car ils avaient péché non-seulement contre un homme, mais contre Notre Seigneur Jésus-Christ lui-même, Fils du Dieu vivant. Cependant, ceux qui avaient été rejetés de tout l’univers, que l’Eglise entière avait réprouvés, sont admis maintenant ; vous ne pourrez, je pense, entendre cela qu’avec peine. Quels sont donc ceux qui ont méprisé le synode ? Ne sont-ce pas ceux qui regardent comme nuis les suffrages de trois cents évêques, et préfèrent l’impiété à la piété ? En effet, l’hérésie des ariens a été examinée et condamnée partout et par tous les évêques. Il n’en est pas de même d’Athanase et de Marcellus d’Ancyre, évêques qui comptent un grand nombre de défenseurs, lesquels se sont prononcés en leur faveur verbalement ou par écrit. Quant à Marcellus, on nous a attesté qu’au concile de Nicée il a résisté aux ariens. Pour Athanase, on dit qu’il n’a point été convaincu à Tyr, et qu’il n’était pas présent dans la Maréote lorsqu’on fit une enquête contre lui. Or vous savez, mes bien-aimés, que ce qui est fait par une seule partie, en l’absence de l’autre, est nul de plein droit et
suspect. Cependant, nous avons voulu garder la neutralité entre eux et entre ceux qui les ont accusés ; nous avons invité tous ceux qui nous ont écrit à se rendre au concile que nous avons convoqué, afin que les choses soient examinées avec soin, que l’innocent ne soit pas condamné, que le coupable ne soit pas absous. Le synode n’est pas méprisé par nous, mais il l’est par ceux qui, avec légèreté et témérité, admettent les ariens malgré la sentence qui les a frappés. Quelques-uns des juges sont maintenant allés à Jésus-Christ ; mais il en reste, et ils supportent avec peine qu’on ait méprisé leur jugement. »
L’evêque de Rome entre ensuite dans les détails des démarches qui avaient été faites auprès de lui par les deux parties :
« En ce qui concerne Alexandrie, un certain Carponis, condamné comme arien par Alexandre, vint, ici avec quelques autres également condamnés comme hérétiques. Ils étaient envoyés par un certain Grégoire. Nous l’avons appris du prêtre Macarius et des diacres Martyrius et Hesychius, lesquels, avant l’arrivée des prêtres d’Athanase, nous engageaient à envoyer des lettres de communion à un certain Pistos, alors que Athanase était évêque d’Alexandrie1. Les prêtres d’Athanase, étant arrivés, nous apprirent que ce Pistos était un arien, expulsé par Alexandre et par le concile de Nicée, puis ordonné par un certain Secundus, que le concile de Nicée avait condamné comme arien. Martyrius et ses compagnons ne contestaient ni la condamnation de Pistos ni son ordination par Secundus. Veuillez, je vous prie, me dire quels sont les coupables : est-ce nous qui n’avons pas consenti à écrire à l’arien Pistos, ou bien ceux qui nous engageaient à mépriser un grand concile, et à envoyer des lettres à des impies, comme s’ils eussent été pieux ? Le prêtre Macarius, qui avait été envoyé avec Martyrius et Hesychius, ayant appris que les prêtres
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1 Ceci prouve que Macarius, Martyrius et Hesychius avaient été envoyés à Rome par les eusébiens avant le concile d’Antioche, où Grégoire fut choisi pour évêque d’Alexandrie, et lorsque l’arien Pistos se prétendait encore évêque de cette Eglise.
d’Athanase étaient arrivés, et que nous voulions le confronter avec eux, partit pendant la nuit, quoiqu’il fût malade. Nous sommes convaincu qu’il a agi ainsi parce qu’il avait honte d’entendre les preuves qui condamnaient Pistos et qui invalidaient l’ordination faite par Secundus, ordination qui ne pouvait être acceptée par l’Eglise. En effet, l’accepter comme valide eût été regarder comme non avenue une décision qu’un synode et les évêques avaient prise avec tant de sagesse et de prudence, et comme en présence de Dieu.
« Si, comme vous l’écrivez, les exemples de Novatianus et de Paul de Samosate prouvent que les sentences des conciles doivent rester en vigueur, il était encore plus convenable que les décrets de trois cents évêques fussent respectés, et qu’un concile universel ne fût pas méprisé par quelques individus ; car les ariens sont hérétiques comme ceux que vous avez nommés, et des décrets analogues ont été rendus contre les uns et les autres. A la vue de telles entreprises, quels sont ceux qui ont allumé la flamme de la discorde ? Vous nous en accusez dans votre lettre. Peut-on cependant nous reprocher d’avoir excité la discorde, lorsque nous avons seulement pris le parti de nos frères affligés, et que nous observons les canons ? Ceux-là ne doivent-ils pas plutôt en être accusés qui ont violé les décrets des trois cents, et qui ont méprisé toutes les résolutions du concile ? Non-seulement on a admis les ariens, mais des évêques ont été transférés d’un lieu à un autre. Si vous considérez l’honneur épiscopal comme égal et le même, et si, comme vous l’écrivez, vous ne mesurez pas la dignité des évêques à la grandeur des villes, il eût fallu que celui auquel on avait confié une petite ville y restât ; il n’aurait dû ni mépriser celle qui lui avait été confiée pour passer à une autre qui ne lui appartenait pas, ni dédaigner celle que Dieu lui avait donnée, pour courir après une vaine gloire humaine. »
Julius faisait ici allusion à Eusèbe, transféré de Birouth à Nicomédie, et de ce dernier siège à Constantinople.
Il est à remarquer que les eusébiens avaient écrit clans leur lettre que l’évêque de Rome n’avait pas une dignité épiscopale supérieure, malgré la grandeur de la ville où était son siège ; et que Julius admet cette doctrine orthodoxe ; que la dignité épiscopale est la même et pareille chez tous les évêques, sans exception. Si la papauté eût existé alors, Julius aurait certainement profité de cette occasion pour affirmer ses droits divins et condamner les eusébiens comme hérétiques. Il suffira de comparer la doctrine de Julius au IVme siècle avec celle des papes à dater du VIIIme siècle, pour apercevoir l’abîme qui sépare l’ancien épiscopat romain de ce qu’on a appelé depuis la papauté.
L’évêque de Rome continue ainsi :
« Il aurait fallu, mes bien-aimés, venir ici, et ne pas refuser, afin que l’affaire fût terminée. La raison le voulait ainsi. Mais peut-être le délai qui vous était fixé était-il trop court pour que cela vous fût possible ; vous vous plaignez en effet dans votre lettre que le temps aurait manqué pour assembler un concile. Ce n’est là, mes bien- aimés, qu’un prétexte. Si vous étiez partis et que vous ne fussiez pas arrivés à temps, on eût pu dire que le terme fixé aurait été trop court ; mais vous n’êtes pas partis et vous avez retenu nos prêtres jusqu’au mois de janvier ; cela suffit pour démontrer que, en parlant de temps, vous n’avez recours qu’à un prétexte digne d’hommes qui se défient de leur cause. Ceux qui sont en cause seraient bien venus, s’ils avaient pu espérer une décision favorable ; ils n’auraient calculé ni l’espace ni le terme fixé, s’ils avaient confié leur cause à l’équité et à la justice. Peut-être ne sont-ils pas venus à cause des circonstances, car vous dites dans votre lettre que si nous avions considéré l’état des choses en Orient, nous ne vous aurions pas engagé à venir à Rome. Si c’est à cause des circonstances que vous n’êtes pas partis, comme vous le dites, vous auriez bien dû d’abord, à cause de ces circonstances, ne pas donner lieu, dans les Eglises, à tant de schismes, de gémissements et de larmes. Une telle conduite prouve bien que ce ne sont pas les circon-
stances qui vous ont touchés, mais que vous n’avez pas voulu vous conduire avec sagesse.
« Je suis étonné que, dans votre lettre, vous vous plaigniez de ce que j’aie écrit seulement à ceux qui sont avec Eusèbe et non à vous tous. Je trouve, dans ce reproche, plus de légèreté que de sincérité, l’ayant reçu Gontre Athanase que la lettre qui m’a été remise par Martyrius et Hesychius, je n’ai pu répondre qu’à ceux qui m’avaient écrit contre lui. Vous ne deviez pas permettre aux amis d’Eusèbe de nous écrire isolément ; l’ayant permis, vous n’avez aucun droit de vous plaindre de ce que nous ayons répondu à ceux qui nous avaient écrit. S’il était convenable que la réponse fût pour vous tous, il l’était aussi que la lettre fût écrite au nom de tous. La convenance nous obligeait à répondre à ceux qui nous avaient écrit pour nous faire partager leur conviction. Si vous êtes étonnés que je vous écrive seul, veuillez considérer qu’ils ne m’ont pas écrit non plus comme formant un concile. J’ai donc eu, mes bien-aimés, une bonne et légitime raison d’écrire ainsi. »
Dans les affaires de l’Eglise, l’évêque n’écrivait point en son nom personnel. La constitution de l’Eglise étant conciliaire, tout se faisait en concile, et le premier membre de l’assemblée écrivait en nom collectif, et comme organe du concile. Julius écrivit à la demande du concile de Rome, comme l’atteste saint Athanase ; mais la lettre des eusébiens n’ayant pas été adressée au nom d’un concile, mais par des individus, Julius devait répondre de la même manière, pour ne pas reconnaître de caractère canonique à une pièce qui n’en avait pas. Mais il a bien soin de déclarer qu’il ne faut pas considérer sa lettre comme contenant seulement ses appréciations personnelles, ce qui lui eût enlevé tout caractère canonique.
« Je dois vous déclarer, continue-t-il, que, quoique je vous aie écrit seul, les sentiments ne m’appartiennent pas à moi seul, qu’ils sont ceux de tous les évêques d’Italie et des autres évêques de nos contrées1. Je n’ai
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1 C’est-à-dire de l’Occident.
pas voulu les engager tous à vous écrire, de peur d’être importun pour un grand nombre d’entre eux ; mais des évêques se sont rendus ici à l’époque qui avait été fixée, et leur opinion a été celle que je vous notifie dans cette lettre. Ainsi, mes bien-aimés, quoique je vous écrive seul, considérez les sentiments exprimés comme ceux de tous1. C’en est assez pour faire voir que plusieurs d’entre vous n’ont allégué que d’injustes et vaines chicanes.
« Ce que je viens de vous dire suffit pour établir que sans témérité et sans injustice, nous avons pu admettre à notre communion nos collègues Athanase et Marcellus2. Il ne sera pas inutile cependant de nous étendre un peu sur ce sujet. D’abord Eusèbe seul avait écrit contre Athanase ; plusieurs d’entre vous nous ont ensuite écrit. En même temps, plusieurs évêques d’Egypte et d’autres provinces nous écrivirent en faveur d’Athanase. J’ai observé d’abord que vos lettres ne s’accordaient pas entre elles ; sur plus d’un point, la seconde réfute la première, et la première convainc la seconde de fausseté. Quand des lettres sont ainsi en contradiction, on ne peut avoir confiance en elles. Si vous voulez que nous croyions à vos lettres, vous devez convenir que nous devons croire aussi à celles qui ont été écrites dans un but contraire ; et, à plus forte raison, puisqu’elles viennent des lieux où les choses se sont passées, tandis que les autres viennent de pays éloignés. On a dit que l’évêque Arsenius avait été tué par Athanase ; or nous avons appris qu’il vit et qu’il est l’ami d’Atha-
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1 L’évêque de Rome reconnaît ici que l’assentiment des évêques donne à son opinion de la valeur. Aujourd’hui, les papes prétendent donner, en vertu de leur prétendue infaillibilité, au témoignage épiscopal toute sa valeur. Deux doctrines ne peuvent être plus contradictoires entre elles.
2 Nous avons eu déjà plusieurs fois occasion de remarquer que les évêques, pour être considérés comme légitimes, devaient être en communion avec les autres évêques. C’est pour cela qu’ils s’adressaient mutuellement des lettres de communion après leur ordination. Lorsque des discussions s’élevaient, les évêques légitimes envoyaient aux autres évêques leur défense, afin de prouver qu’ils étaient dignes d’être reçus eu communion. On agissait ainsi, non-seulement à l’égard de l’évêque de Rome, mais de tous les autres. Cependant, il arrivait que la communion de l’évêque de Rome avait une grande importance, parce que cet évêque entraînait ordinairement avec lui le reste de l’Occident et que, par lui, un évêque se trouvait en communion avec une grande partie de l’Eglise.
nase. On allègue l’enquête faite dans la Maréote ; et Athanase affirme qu’elle n’a été faite qu’en présence d’une des deux parties ; que le prêtre Macarius qui était, accusé, et l’évêque Athanase n’y ont assisté ni l’un ni l’autre. Nous savons cela, non-seulement par le témoignage d’Athanase lui-même, mais par les pièces de l’enquête, lesquelles nous ont été remises par Martyrius et Hesychius. En lisant ces pièces, nous avons bien vu que Ischyras, l’accusateur, assistait à l’enquête, mais que Macarius et l’évêque Athanase n’y étaient pas ; que les prêtres d’Athanase ayant demandé qu’il fût présent, cela leur fut refusé. Il eût fallu, mes bien-aimés, que l’accusé fût présent aussi bien que l’accusateur, si l’on avait voulu prononcer une sentence équitable. A Tyr, Macarius se trouvait en même temps qu’Ischyras, et l’on n’a pu rien établir. On devait procéder de même, dans la Maréote, et mettre L’accusé en présence de l’accusateur, afin de le convaincre, ou de rendre la calomnie évidente. Gela n’ayant pas été fait et l’accusateur ayant assisté seul à l’enquête avec ceux qu’Athanase avait récusés, tout ce qui a été fait est suspect.
« Athanase se plaint de ce qu’on n’ait envoyé dans la Maréote, pour faire l’enquête, que ceux qu’il avait récusés, et qui lui étaient suspects, c’est-à-dire Theognis, Maris, Théodore, Ursace, Valens et Macedonius. Nous le savons, non-seulement par son témoignage, mais par une lettre d’Alexandre, autrefois évêque de Thessalonique. Cette lettre a été produite par Athanase ; elle était écrite à Denys, qui avait le titre de comte1 dans le concile. Alexandre y dénonçait le complot qui existait évidemment contre Athanase. Celui-ci a produit aussi un document écrit tout entier de la main d’Ischyras, et dans lequel il déclare que son calice et son autel n’ont été ni brisés ni renversés, et qu’il avait été gagné par certaines personnes qui l’avaient engagé à élever ces accusations calomnieuses. Des prêtres de la Maréote sont ensuite venus, attestant que Ischyras n’avait jamais été prêtre de
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1 Ce titre était donné aux délégués qui appartenaient à l’entourage impérial, et représentaient l’empereur lui-même dans certaines missions.
l’Eglise catholique, et que Macarius n’était pas coupable des violences sacrilèges qui lui étaient reprochées. Des prêtres et des diacres, qui sont venus ici, ont fourni des témoignages nombreux en faveur de l’innocence d’Athanase, ayant affirmé qu’aucune des accusations élevées contre lui n’était vraie, et qu’elles ne sont que l’effet d’un complot ourdi contre lui. En outre, tous les évêques d’Egypte et de Lybie ont attesté que son ordination avait été libre et conforme aux règles de l’Eglise ; que toutes vos accusations sont fausses ; qu’il n’avait commis aucun meurtre ; que personne n’avait été tué à son occasion ; qu’aucun calice n’avait été brisé ; que toutes ces accusations étaient contraires à la vérité. »
L’évêque de Rome mentionne ensuite les contradictions qui existaient dans l’enquête de la Maréote, et qui en démontraient la fausseté. Puis, il continue :
« En présence de tant de témoignages et de preuves en faveur de l’innocence d’Athanase, je vous le demande, que devions-nous faire ? qu’exigeait de nous la règle ecclésiastique, sinon que nous ne condamnions pas un tel homme, que nous l’admettions au contraire, et que nous le regardions comme un véritable évêque, ce que nous avons fait. Il est resté ici un an et demi, attendant ceux qui voudraient venir l’accuser. Tout le monde comprenait qu’il n’aurait jamais eu cette hardiesse, s’il n’avait eu une confiance absolue dans la bonté de sa cause. Ce n’est pas de son propre mouvement qu’il s’est rendu ici, mais il s’y est décidé après avoir reçu de nous une lettre analogue à celle que nous vous avons adressée à vous-même. C’est après tant et de si minutieuses précautions que nous sommes accusé par vous d’avoir agi contre les canons Examinez qui sont ceux qui violent 1
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1 L’évêque de Rome reconnaissait alors qu’il était obligé de suivre les canons, c’est-à-dire des lois faites par les évêques, qu’il n’avait pas le droit de s’y soustraire. Aujourd’hui, les papes se prétendent au-dessus des canons ; affirment qu’aucune loi ne peut leur être imposée par les évêques ; qu’eux seuls donnent aux canons leur valeur en vertu de leur souveraine et divine autorité. Sur ce point, comme sur tant d’autres, les évêques actuels de Rome ont une doctrine contraire à celle des anciens évêques de cette ville. L’histoire dira à quelle époque ces changements ont commencé, et comment ils se sont développés.
les canons : Est-ce nous qui avons admis à notre communion un homme qui nous a fourni de si nombreuses preuves de son innocence ; ou bien est-ce vous qui, à Antioche, c’est-à-dire à trente-six étapes d’Alexandrie, avez choisi un évêque pour cette ville et l’y avez envoyé avec une troupe de soldats ? Vous n’avez pas ordonné d’évêque, lorsque Athanase était exilé dans les Gaules ; c’est alors cependant qu’il eût fallu le faire, si Athanase avait été reconnu coupable ; mais, au retour de son exil, il trouva son Eglise vacante et qui l’attendait.
« En vertu de quel droit a-t-on envoyé un évêque à sa place ? D’abord, il n’appartenait pas à quelques individus de devancer la décision d’un concile, puisqu’on savait, par nos lettres, qu’un concile devait être assemblé. En outre, il n’était pas permis de prendre une nouvelle décision contre une Eglise ; car de quel canon ecclésiastique, de quelle tradition apostolique a-t-on pu s’autoriser pour envoyer, dans une Eglise qui était en paix, et à la place d’Athanase qui était en communion avec tant d’évêques, Grégoire, un étranger, qui n’a même pas été baptisé à Alexandrie, qui y est à peu près inconnu, qui n’a été demandé ni par les prêtres, ni par les évêques, ni par le peuple ? De quel droit l’a-t-on ordonné à Antioche, et l’a-t-on envoyé à Alexandrie, non avec des prêtres et des diacres, non avec les évêques d’Egypte, mais avec des soldats ? Ceux qui sont venus ici nous ont raconté ces choses et s’en sont plaints. C’était avec raison, car alors même que Athanase aurait été reconnu coupable dans un concile, ce n’était pas un motif d’ordonner un individu contre le droit et contre la règle ecclésiastique ; il aurait fallu en choisir un dans l’Eglise même ; dans l’ordre sacerdotal et dans le clergé de cette Eglise ; celui qui aurait été ainsi choisi, aurait dû être institué par les évêques de la province ; et on n’aurait pas dû violer tous les canons apostoliques. Si on avait agi à l’égard de l’un d’entre vous comme on l’a fait contre Athanase, n’auriez- Vous pas réclamé, n’en auriez-vous pas appelé à l’observation exacte des canons ? Bien-aimés, nous vous le disons, en présence de Dieu et en toute sincérité, ce que
vous avez fait n’est ni pieux, ni légitime, ni conforme au droit de l’Eglise. Ce que Grégoire a fait au début de son administration témoigne bien de ce qu’a été son ordination. Ceux qui sont venus ici d’Alexandrie nous ont raconté, et les évêques du pays nous ont écrit que, dès le début de Grégoire, une église a été brûlée, que des vierges ont été dépouillées de leurs vêtements ; que des moines ont été foulés aux pieds ; que des prêtres et de nombreux fidèles ont été déchirés de coups ; que des évêques ont été jetés en prison ou dispersés ; que les saints mystères, que l’on accusait si haut le prêtre Macarius d’avoir violés, ont été pris et jetés à terre par des païens. Or tout cela a eu lieu pour arriver à faire reconnaître par quelques personnes l’ordination de Grégoire, mais ne sert qu’à faire voir quels sont ceux qui violent les canons. Si son ordination eût été légitime, Grégoire n’aurait pas eu besoin d’employer des moyens violents contre ceux qui refusaient de lui obéir. C’est en présence de tels faits que vous nous écrivez que la paix règne à Alexandrie et en Egypte. Alors la notion de la paix est changée, et vous appelez paix les faits que nous avons mentionnés. »
Julius revient sur l’enquête faite dans la Maréote à propos du calice et de l’autel d’Ischyras ; il fait remarquer aux eusébiens qu’ils auraient dû répondre aux reproches élevés par Athanase contre cette enquête, faite d’une manière anticanonique, devant des juges séculiers et en présence des Juifs et des païens qui avaient été témoins des interrogations faites touchant le sang et le corps du Christ1. On sait qu’il était défendu de livrer le secret du grand mystère chrétien à ceux qui n’appartenaient pas à l’Eglise. Ce secret est une preuve de la haute importance du mystère et témoigne de la foi de l’Eglise en la réalité ; car pour quelle raison aurait-on tenu si fermement au secret, si l’eucharistie n’eût été considérée que comme un symbole, une figure de manducation mystique ? Les païens et les Juifs auraient par-
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1 Voy. ap. Athan., Apolog. cont. Arian., § 31.
faitement compris un tel symbole ; mais on ne voulait pas livrer à leurs blasphèmes la foi dans la participation réelle au corps et au sang du Christ.
Après avoir exposé la cause d’Athanase et légitimé la décision du concile de Rome à son sujet, Julius passe à Marcellus d’Ancyre et s’exprime ainsi :
« Comme vous m’avez écrit que Marcellus était impie envers le Christ, j’ai pensé que je devais vous notifier qu’il a déclaré calomnieuses les imputations élevées contre sa doctrine. Lui ayant demandé de faire l’exposition de sa foi, il l’a faite avec une telle exactitude que nous avons été convaincu que l’on n’avait pas de reproche il lui faire1. Il a confessé qu’il croyait sur le Seigneur et Sauveur Jésus-Christ ce que croit la sainte Eglise catholique ; qu’il n’avait pas seulement maintenant cette foi, mais qu’il l’avait toujours eue. Nos prêtres qui étaient au concile de Nicée ont confirmé par leur témoignage ce qu’il affirmait de sa foi et de la profession qu’il en avait faite alors contre l’hérésie d’Arius. J’ai cru devoir vous avertir qu’il n’adhère à aucune hérésie, et qu’il abhorre toute hérésie contraire à la saine doctrine. Comme sa foi était pure, et qu’il la professait, qu’avions-nous à faire, je vous le demande, sinon de le regarder comme évêque, comme nous l’avons regardé en effet, et de ne pas le rejeter de notre communion ?
« Je ne vous écris point pour défendre auprès de vous la cause de ces évêques, mais pour vous assurer que nous avons agi légalement et conformément aux canons en les admettant à notre communion, et que vos accusations sont vaines. Il est juste que vous, maintenant, corrigiez ce qui a été fait illégalement, et cherchiez, par tous les moyens, à rendre la paix à l’Eglise ; afin que la paix que le Seigneur nous a donnée subsiste ;
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1 Saint Epiphane (Hœrcs., 72) a donné la déclaration faite par Marcellus d’Ancyre au concile de Rome. Elle contient les expressions amphibologiques que Eusèbe de Cæsarée avait relevées dans l’ouvrage du même évêque. On peut certainement entendre dans un sens orthodoxe ces expressions ; maison peut aussi les interpréter dans un sens favorable aux hérésies de Sabellius et de Paul de Samosate.
que les Eglises ne soient pas divisées, et que l’on ne vous accuse pas d’avoir causé des schismes. Car, je vous l’avoue, ce que vous avez fait conduit plutôt au schisme qu’à la paix.
« Athanase et Marcellus ne sont pas les seuls qui soient venus ici apporter leurs plaintes ; de nombreux évêques et beaucoup de prêtres y sont venus de Thrace, de Cœlesyrie, de Phénicie et de Palæstine. Il en est qui sont venus d’Alexandrie ou d’autres provinces, lesquels, outre les faits déjà relatés, ont affirmé, en présence des évêques, que les Eglises souffraient violence, et qu’il s’y passait des choses analogues à celles qui avaient lieu à Alexandrie. Ils ont cité des faits pour appuyer leurs affirmations. Des prêtres, arrivés récemment d’Egypte et d’Alexandrie avec des lettres, ont attesté en pleurant que beaucoup d’évêques et de prêtres qui voulaient se rendre au concile en avaient été empêchés. Ils disent qu’après le départ d’Athanase et jusqu’aujourd’hui, les évêques étaient frappés avec violence et jetés en prison ; que des évêques, vieillis dans le ministère, étaient livrés à des tribunaux civils ; que la plupart des prêtres et des fidèles souffraient persécution ; que l’unique motif de ces violences était de forcer à reconnaître Grégoire et à communiquer avec les ariens, ses partisans.
« A Ancyre en Galatie, on a eu recours à des procédés analogues à ceux d’Alexandrie, comme Marcellus lui-même l’a attesté. Ceux qui sont venus ici ont attribué ces crimes à plusieurs d’entre vous ; je ne veux pas les nommer, mais vous pourrez les connaître par une autre voie. Je n’ai pour but, dans ma lettre, que de vous exhorter à vous rendre au concile, afin que vous y entendiez ces accusations, et que vous compreniez qu’en n’y venant pas, vous restez suspects au sujet de tout ce que l’on vous reproche. »
Après avoir insisté de nouveau sur ce qu’il n’était pas auteur des troubles par le jugement nouveau qu’il avait cru nécessaire, Julius ajoute :
« J’ai appris qu’un petit nombre d’entre vous étaient auteurs du mal. Ayez donc assez de charité pour cor-
riger ce qui a été fait contre les canons, et réparer le mal que l’on a commis. Ne m’écrivez pas : Vous avez préféré la communion de Marcellus et d’Athanase à la nôtre ; car ce serait là un subterfuge inspiré par la haine et l’esprit de contention, et non un argument de paix. Dans tout ce que je vous ai écrit, j’ai eu pour but de vous démontrer que nous avions bien agi en cette circonstance, et que vous n’aviez pas de reproche à nous faire. Vous auriez pu nous reprocher de les avoir admis à notre communion, si nous n’avions pas examiné leur cause et s’ils ne s’étaient pas justifiés ; mais, dès que nous ne les avons admis que conformément aux canons, nous vous en prions au nom du Christ, ne divisez pas les membres de l’Eglise, et préférez la paix du Seigneur aux renseignements infidèles qui vous sont donnés. Il n’est pas juste de sacrifier aux préjugés de quelques-uns ceux qui n’ont point été convaincus des crimes qui leur étaient reprochés, et de contrister ainsi l’Esprit. Si vous pensez encore qu’on peut les convaincre, venez, puisque plusieurs nous ont écrit qu’ils avaient de quoi les confondre.
« Donnez-nous, nos bien-aimés, une assurance à ce sujet, afin que nous puissions en avertir les inculpés et les évêques qui doivent se rendre au concile ; que les coupables soient condamnés, et que la paix soit enfin rétablie dans l’Eglise. C’est déjà bien assez de ce qui a été fait jusqu’ici, et que des évêques, en présence d’autres évêques, aient été envoyés en exil. Je ne veux pas envenimer la discussion, mais, pour dire la vérité, on a déjà été trop loin dans les discussions et les violences. Admettons que Athanase et Marcellus aient été justement déposés de leurs sièges, mais que direz-vous des autres évêques et prêtres qui sont venus ici de divers lieux, comme je vous l’ai dit ; car ils se plaignent des mêmes injustices et des mêmes violences. O bien-aimés ! les jugements de l’Eglise ne seront donc plus rendus à l’avenir selon l’Evangile, mais pour prononcer des sentences d’exil et de mort ? Si, comme vous le dites, ceux que vous avez condamnés étaient coupables, il fallait les
juger, non pas comme vous l’avez fait, mais selon la règle ecclésiastique ; il fallait nous écrire à tous, afin que ce qui était juste fût décidé par tous. C’étaient, en effet, des évêques qui souffraient, et les Eglises qui étaient troublées n’étaient pas des Eglises ordinaires, mais des Eglises qui ont été gouvernées par des apôtres. Pourquoi ne nous a-t-on pas écrit, surtout à propos de l’Eglise d’Alexandrie ? Ne connaissez-vous pas la coutume qui est de nous écrire d’abord, et, ensuite, de décider ce qui est juste. Si donc l’évêque de cette Eglise d’Alexandrie donnait lieu à des soupçons, il fallait d’abord en écrire à notre Eglise. »
On a beaucoup abusé de ce passage de la lettre de Julius en faveur de l’institution papale. Cependant, les paroles du saint évêque de Rome condamnent cette institution. En effet, il confond d’abord l’évêque de Rome avec tous les autres évêques, et affirme que la décision devait être collective. Il s’en réfère ensuite à une simple coutume, pour dire que l’on aurait dû s’adresser d’abord à son Eglise, dès qu’il s’agissait d’une affaire grave qui concernait des Eglises apostoliques ; enfin, il affirme que c’était à son Eglise et non à sa personne qu’il fallait s’adresser. Ces diverses affirmations se réduisent à ceci : que, dans les causes qui regardaient l’Eglise entière, il fallait s’adresser à tous les évêques ; que, d’après la coutume et non d’après un droit, ni divin, ni même ecclésiastique, on devait s’adresser d’abord à l’Eglise de Rome, reconnue justement comme la première, à cause de son importance, et parce que, par elle, on obtenait l’assentiment de l’Occident sans lequel rien de catholique ne pouvait être décidé. Cette doctrine est catholique, et basée sur la constitution épiscopale et conciliaire de l’Eglise ; elle est par conséquent la négation de l’institution papale d’après laquelle l’évêque de Rome aurait, de droit divin, une autorité absolue et universelle sur toute l’Eglise.
Les partisans de la papauté sont dans l’usage, comme nous l’avons déjà remarqué, de donner comme preuves à l’appui de cette institution des textes qui la réfutent et la confondent, dès qu’on veut bien les examiner sans
préjugés, et les accepter dans leur véritable sens.
Julius termine ainsi sa lettre :
« Ceux qui ne nous ont point fait connaître ce qu’ils ont fait, et qui ont agi comme ils l’ont voulu, veulent que nous y consentions sans connaissance de cause. Telles ne sont pas les règles établies par Paul ; telle n’est pas la tradition des Pères. C’est une règle et une institution nouvelles. Je vous en prie, prenez en bonne part ce que je vous écris, car je n’ai en vue que le bien commun. Je vous notifie ce que nous avons reçu du bienheureux apôtre Pierre ; et je le crois si connu de tout le monde que je ne vous en aurais pas écrit, si nous n’avions pas été si émus de ce qui est arrivé. Des évêques sont arrachés de leurs sièges ; on en établit d’autres à leur place et l’on oblige les fidèles à reconnaître ceux dont ils ne veulent pas. Je vous en prie, qu’il n’en soit plus ainsi, et écrivez plutôt contre ceux qui agissent de la sorte, afin que les Eglises ne soient plus troublées ; que les évêques et les prêtres n’aient plus de violences à supporter ; que les fidèles ne soient plus obligés d’agir contre leur conscience. Ne prêtons pas à rire aux païens, et n’attirons pas sur nous le courroux de Dieu ! Chacun de nous, au jour du jugement, aura à rendre compte de ce qu’il aura fait en cette vie.
« Que tous aient des sentiments agréables à Dieu, afin que les Eglises, ayant reçu leurs évêques, se réjouissent en Notre Seigneur Jésus-Christ, par lequel gloire soit au Père dans les siècles des siècles. Amen.
« Je désire, très-aimés frères, que vous vous portiez bien dans le Seigneur. »
Malgré la lettre du concile de Rome1, les eusébiens continuèrent à se conduire avec orgueil, à troubler les Eglises et à ourdir des intrigues. Quant à leur chef, Eusèbe, évêque intrus de Constantinople, il ne put connaître la décision du concile romain, qu’il avait lui-même demandée dans une lettre adressée à l’évêque de Rome 2.
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1 S. Athan., Apolog. cont. Arian., § 56.
2 Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. c. 11 et 12.
Il mourut avant que d’avoir reçu la réponse. L’Eglise de Constantinople rappela alors Paul, son évêque légitime. Mais les évêques ariens qui avaient formé le parti d’Eusèbe se prononcèrent de nouveau en faveur de Macedonius. De là des émeutes qui troublèrent la ville entière.
Constantius, qui était à Antioche, ordonna à Hermogène, son lieutenant en Thrace, de se rendre à Constantinople et d’en chasser Paul1. Hermogène voulut remplir son mandat en toute rigueur ; mais, dès qu’il entreprit d’exercer des violences contre le saint évêque, la ville entière se souleva. Il voulut comprimer l’émeute ; mais à peine avait-il donné des ordres aux troupes que sa maison fut envahie par le peuple ; on y mit le feu ; on le traîna lui-même dehors par les pieds et on le massacra. Constantius accourut en toute hâte à Constantinople ; punit la ville en lui ôtant la moitié du blé qui était distribué gratuitement chaque année, comme l’avait ordonné Constantin, et chassa de nouveau Paul de Constantinople, sans toutefois reconnaître Macedonius pour évêque.
Après cette expédition, il retourna à Antioche.
Paul se rendit à Rome, où il se trouva avec les autres évêques orientaux qui en avaient appelé à l’Occident des persécutions que les ariens leur avaient fait supporter. Outre Athanase et Marcellus, Paul trouva, à Rome, Asclépas de Gaza et Lucius d’Adrianopolis2.
La lettre de Julius aux eusébiens n’avait produit aucun effet en Orient. Les orthodoxes étaient trop timides pour se prononcer en faveur des persécutés contre des évêques qui jouissaient de la confiance de l’empereur. Ils n’osaient pas non plus se rendre à Rome pour examiner sérieusement les accusations des ennemis d’Athanase.
Après le concile de Rome, Julius avait donné à tous les orientaux qui s’y étaient trouvés, des lettres de communion, dans lesquelles il décidait qu’ils étaient évêques
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1 Socrat., c. 13 ; Sozom., Hist. Eccl, lib. III, c. 7.
2 Ibid., Hist. Eccl., lib. II, c. c. 14 et 15 ; Sozom., Hist. Eccl, lib. III, c. 8.
légitimes et condamnait ceux qui leur feraient opposition. Forts de ces lettres qui avaient une haute autorité les évêques déposés retournèrent à leurs sièges. Mais les orientaux refusèrent de reconnaître cette sentence. Ils avaient écrit à l’évêque de Rome avec trop d’aigreur pour qu’il en fût autrement. L’exemple de Novatianus qu’ils avaient opposé à Julius n’était pas très-bien choisi, car Novatianus fut d’abord accepté par l’Orient, comme légitime évêque de Rome, et il ne fut abandonné que quand sa cause eut été examinée en Orient. Les orientaux, en prétendant que l’Occident n’avait point à s’occuper de ce qui se passait en Orient, scindaient l’Eglise qui était partout la même et devait vivre d’unité. Les évêques orthodoxes le savaient ; c’est pourquoi la sentence de l’Occident, rendue par le concile de Rome et notifiée par l’êvêque Julius, avait une si haute importance. Les évêques eusébiens avaient été blessés des procédés de l’évêque de Rome. « Nous savons bien, lui avaient-ils écrit3, que l’Eglise des Romains s’est toujours glorifiée de son importance, et prétend avoir été, dès l’origine, la demeure des apôtres, la source et la métropole de la piété ; cependant, les docteurs de la foi lui sont venus d’Orient. Mais, alors que nous serions vaincus en nombre et en magnificence, nous n’en serions pas moins supérieurs en vertu. En communiquant avec Athanase, disaient-ils à Julius, vous avez méprisé notre concile et votre procédé est aussi injuste que contraire aux règles ecclésiastiques. Cependant nous ne refusons pas d’être en communion avec vous, mais à condition que vous ne prendrez pas le parti des expulsés, que vous reconnaîtrez ceux qui ont été mis à leur place, et reconnaîtrez la légalité de nos décisions. »
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1 Socrate (c. 15) dit que c’était en vertu d’une prérogative de l’Eglise romaine que Julius avait rétabli les évêques qui avaient été jugés au concile de Rome. Cet historien se trompe de date, car ce ne fut que quatre ans après, au concile de Sardique, que l’on proposa d’accorder le droit d’appel à Julius, dans les causes épiscopales. L’erreur de Socrate a causé celle de Sozomène (lib. III, c. 8) qui affirme que l’évêque romain avait, à cause de la dignité de son siège, une surveillance générale pour les causes épiscopales. Nous verrons l’établissement de cette prérogative du siège de Rome que les deux historiens ont mentionnée par anticipation dans leurs récits.
2 Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 15.
3 Sozom., Hist. Eccl., lib. III, c. 8.
On a vu comment Julius avait répondu à cette lettre.
En arrivant à Alexandrie, Athanase fut reçu avec enthousiasme par les orthodoxes. Grégoire et la populace l’attaquèrent ; les orthodoxes le défendirent et il s’ensuivit des rixes dans lesquelles quelques personnes auraient été tuées. Les ariens rejetèrent sur Athanase tout ce qui arriva. Mais, comme dit Socrate, on sait quelles sont les suites des émeutes populaires, et on calomnie Athanase en lui faisant porter la responsabilité des violences qui eurent lieu. Parmi ses calomniateurs se distinguait Sabinus, évêque de Macédoine. Si cet évêque, ajoute l’honnête historien, avait bien voulu faire attention aux maux que les ariens et Macedonius causèrent à l’Eglise, il aurait eu la pudeur de garder le silence, s’il n’avait pu se décider à donner à Athanase les éloges qui lui sont dus. Mais il affecte de dissimuler le mal que les ariens et Macedonius ont fait.
Ce Sabinus était un partisan fanatique du pseudoévêque Macedonius.
Paul crut aussi pouvoir, après la décision romaine, retourner à son siège1. Aussitôt Constantius, qui était toujours à Antioche, écrivit à Philippe, préfet du prétoire, de chasser de nouveau le saint évêque et de mettre à sa place Macedonius. L’exemple de Hermogène était peu encourageant pour Philippe. Il eut donc recours à la ruse, fit dire à Paul qu’il avait besoin de l’entretenir des affaires publiques, et lui donna rendez-vous aux bains dits de Zeuxippe. Paul s’y rendit. Philippe alors lui montra les ordres de l’empereur. De nombreux fidèles qui avaient appris la démarche imposée à Paul, soupçonnant quelque piège, s’étaient rendus devant les bains. Philippe, craignant une émeute, fit entrer Paul, des bains dans le palais, et de là sur un vaisseau préparé pour cette expédition. Il voguait déjà pour Thessalonique, en Macédoine, lorsque le peuple ne se doutait pas encore de son départ. Tout à coup, Philippe parut sur un char ayant à ses côtés Mace-
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1 Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 16 ; Sozom., Hist. Eccl, lib. III, c. 9.
donius, précédé et suivi d’une véritable armée. Le peuple courut en foule vers l’église pour savoir ce qui allait se passer. Orthodoxes et ariens étaient confondus. La place de l’Eglise était trop étroite pour contenir la foule. Bientôt le char du préfet ne put ni avancer ni reculer ; les soldats prirent pour de la résistance l’obstacle purement matériel qu’ils rencontraient ; ils dégainèrent et se jetèrent comme des furieux sur un peuple inoffensif. Trois mille cent cinquante personnes furent massacrées ou étouffées. Tel fut l’exploit qui ouvrit à Macedonius les portes de l’église. Il y entra d’un air placide, comme si les environs n’étaient pas couverts de sang et de cadavres. L’église où il entrait était celle de la Paix. Constantius faisait alors construire à côté celle de la Sagesse (Sophia) ; les deux églises communiquant ensemble n’en firent qu’une, laquelle fut appelée église de la Sagesse divine ou Sainte-Sophie.
Paul, relégué à Thessalonique, sa ville natale, eut la permission de voyager en Macédoine, mais l’Orient lui fut absolument interdit.
L’autre victime de l’arianisme, Athanase, ressentit, peu de temps après son retour, les effets de la haine atroce que lui portaient ses ennemis. Ils l’accusèrent d’accaparer les blés qui devaient, d’après les fondations de Constantin, être donnés aux pauvres par l’Eglise d’Alexandrie1. Constantius ajouta foi à ces calomnies et condamna Athanase à mort. Cet empereur était toujours, à Antioche, entouré de ses évêques ariens, et ce fut là qu’il rendit cette cruelle sentence.
Athanase, prévenu à temps des ordres donnés par l’empereur, s’enfuit de nouveau à Rome2. Paul, de son côté, feignit d’aller à Corinthe et s’embarqua aussi pour
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1 Socrat., Hist., Eccl., lib. II, c. 17.
2 II y a de la confusion dans les récits de Socrate et de Sozomène qui ont confondu les derniers faits relatifs à Paul et à Athanase avec ceux qui s’étaient passés avant le concile de Rome. Avant le concile de Rome, Athanase s’enfuit pour échapper aux violences de Grégoire ; de retour après le concile, il s’enfuit de nouveau à Rome à cause de la condamnation de Constantius. Paul avait été exilé, pour la seconde fois, après le meurtre de Hermogène ; de retour à Constantinople, après le concile de Rome, il fut exilé par Philippe en Macédoine, et gagna de nouveau Rome.
Rome. L’un et l’autre, soutenus de l’évêque de Rome, adressèrent une requête à Constans, empereur d’Occident, qui prit en main leur cause1.
Constans s’était montré plein de déférence et de respect pour Athanase, et l’avait chargé de lui procurer des livres des saintes Ecritures. Athanase n’avait jamais eu avec lui d’autres relations ; il fut donc très-surpris, lorsqu’il était à Rome, de recevoir une lettre de Constans qui le mandait à Milan2. Il s’y rendit et ce fut là qu’il apprit que Constantius, à la demande de son frère, avait consenti à la réunion d’un concile, où les évêques orientaux et occidentaux réunis pourraient mettre fin à toutes les divisions.
Mais, avant d’en arriver à cette proposition, Constans avait demandé à son frère de lui envoyer trois évêques pour l’instruire des circonstances de la déposition de Paul et d’Athanase. C’était alors que les ariens, restés à Antioche après le concile, avaient envoyé Narcissus, de Néroniade ; Théodore, de Héraclée ; Maris, de Chalcé- doine ; et Marc, d’Arethuse en Syrie. Ils s’étaient rendus à Trèves, où Constans se trouvait alors. On leur avait proposé une conférence avec Athanase ; mais ils l’avaient refusée, prétendant qu’on devait admettre purement et simplement les décisions de leurs conciles. C’est alors aussi qu’ils avaient présenté à l’empereur la dernière profession de foi qui avait été rédigée à Antioche après le départ des orthodoxes. Ce voyage ne put éclairer Constans ; et Maximinus, évêque de Trèves, ami d’Athanase, refusa de communiquer avec les quatre évêques orientaux. L’Orient et l’Occident, après comme avant le concile de Rome, étaient toujours divisés.
La profession de foi, envoyée d’Antioche, fut sans doute l’objet de discussions et de commentaires en Occident ; c’est, pourquoi ceux qui l’avaient composée, guidés comme par un sentiment de repentir3, se réunirent
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1 Ruffin, Hist. Eccl, lib. I,c. 19 ; Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 18 ; Sozom., Hist. Eccl., lib. III, c. 10.
2 S. Athan., Apolog. ad Constant., § 4.
3 S. Athan., De Synod., §§ 20 et seq. ; Socrat., Hist. Eccl, lib. II, c. c. 19 et 20 ; Sozomen., Hist. Eccl, lib. III, c. 11.
trois ans après à Antioche (345), et composèrent une nouvelle exposition de foi, d’une longueur démesurée, et qui peut plutôt passer pour un traité théologique sur la Trinité. Ce traité était exact, également éloigné des erreurs d’Arius et de Sabellius ; mais on n’y avait pas inséré le mot consubstantiel. Cette pièce ne contient rien au fond qui ne soit dans celles que nous avons données précédemment ; nous ne croyons donc pas utile de la transcrire. On doit remarquer cependant qu’on y condamne Photinos que l’on nomme Scotinos par antiphrase (Photinos signifie lumineux et Scotinos, ténébreux). Ce Photinos avait été disciple de Marcellus d’Ancyre, et professait incontestablement les hérésies de Sabellius et de Paul de Samosate, hérésies reprochées à Marcellus lui-même. Ils envoyèrent leur écrit aux évêques d’Italie par Eudoxius, évêque de Germanicie, Macedonius, évêque de Mopsueste en Cilicie, Martyrius, et plusieurs autres. Ce dernier était le même sans doute qui avait apporté les premières lettres des évêques eusébiens à Julius de Rome. Les évêques occidentaux refusèrent de s’occuper de cette nouvelle exposition de foi et répondirent que le symbole rédigé à Nicée leur suffisait.
Tandis que des évêques orientaux faisaient cette démarche à l’égard de l’Occident, les deux empereurs Constans et Constantius s’entendaient pour la réunion d’un grand concile oriento-occidental. Constans avait été encouragé dans ses bonnes intentions par les évêques Athanase et Paul1. Ce dernier ne vécut pas jusqu’à la réunion du concile. Confiant dans les dispositions de Constantius qui consentait à faire reviser sa cause, il retourna à Constantinople en attendant le jugement qui serait rendu ; mais son retour fut l’occasion d’une émeute dont on le rendit responsable. Il fut pris et emmené à Cucuse, petite ville de Cappadoce, où il fut tué2.
Le concile oriento-occidental fut convoqué à Sardique en Illyrie. Les évêques s’y trouvèrent réunis à
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1 Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 20 ; Sozomen., Hist. Eccl., lib. III, c. 11.
2 Theodor., Hist. Eccl.., lib. II, c. 4.
l’époque indiquée, au nombre de cent soixante-dix environ1. Selon Sabinus de Macédoine, il y avait sur ce nombre soixante-seize orientaux, au nombre desquels était Ischyras dont les ariens avaient fait un évêque, quoiqu’il n’eût pas été légitimement ordonné prêtre, et qu’il n’eût pas de siège épiscopal.
Les occidentaux avaient à leur tête le vénérable Osius et n’étaient accompagnés d’aucun officier civil. Les orientaux avaient amené avec eux le comte Musonianus, et Hesychius qui avait à la cour le titre de Castrensis. Les ariens comptaient toujours sur l’autorité impériale pour avoir raison. Parmi les évêques orientaux, les uns s’étaient excusés de ne pouvoir se rendre au concile à cause de leurs infirmités, d’autres prétendaient que le délai laissé pour s’y rendre n’était pas suffisant, et ils en faisaient porter toute la responsabilité sur Julius, évêque de Rome. Cependant, Athanase attendait à Rome le concile depuis dix-huit mois. Les orientaux avaient fixé pour rendez-vous Philippopolis en Thrace. Quand ils y furent arrivés, ils écrivirent aux occidentaux réunis à Sardique, qu’ils ne se rendraient pas au concile, s’ils restaient en communion avec Athanase qui était déposé2. Ils se décidèrent cependant à se rendre à Sardique, mais, en arrivant, ils protestèrent qu’ils ne mettraient pas le pied dans l’église, si l’on n’acceptait pas leurs conditions. Les évêques occidentaux, à la tête desquels étaient Protogènes de Sardique et Osius de Cordoue, répondirent qu’ils ne pouvaient rompre la communion avec un évêque qui n’était déposé qu’en vertu d’une sentence regardée comme invalide par Julius, évêque de Rome. Les orientaux insistèrent et les deux partis entretinrent alors une correspondance qui ne fit qu’aggraver leur hostilité réciproque.
Lés eusébiens espéraient que l’autorité de Constantius
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1 S. Athan., Hist. Arian. ad Monach.,§15·, Apol. cont. Arian., §§36 et seq. ; Theodor., Hist. Eccl., lib. II, c. 3 ; Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 20 ; Sozom., Hist. Eccl.. lib. III, c. 11.
2 Socrate joint le nom de Paul à celui d’Athanase ; mais c’est une erreur ; Paul avait été tué alors, comme l’affirme Théodoret ; et la lettre du concile de Sardique, citée plus bas, prouve que le saint évêque de Constantinople n’était pas au concile. Sozomène a évité cette faute de Socrate, son devancier.
imposerait à leurs adversaires ; mais lorsqu’ils virent que la procédure serait purement ecclésiastique1 ; que de toutes les Eglises arrivaient des témoins contre eux. avec des documents en bonne forme ; que deux vénérables évêques, Arius, appelé aussi Macarius, de Petra en Palæstine, et Asterius, de Petra en Arabie, les avaient quittés pour s’unir aux occidentaux et aux persécutés, et racontaient leurs mauvais desseins et leurs secrets, ils craignirent que le jugement, au lieu de frapper leurs victimes, ne retombât sur eux. En voyant surtout Athanase manifester une grande confiance dans le résultat des procédures, ils tinrent des conférences secrètes dans le palais, où on leur avait fait préparer des logements. Ils se disaient l’un à l’autre : nous avions un but en venant ici, mais nous en obtiendrons un tout contraire ; nous comptions sur l’appui des comtes, et il nous fera défaut ; nous serons certainement condamnés. Vous savez tous ce qui a été fait ; Athanase a entre les mains l’enquête de la Maréote qui suffit pour le justifier et nous couvrir de déshonneur. Pourquoi rester ici ? Trouvons un prétexte pour nous retirer ; mieux vaut fuir, quoique ce soit, peu honorable, que d’être convaincus de calomnie ; si nous fuyons, nous pourrons encore soutenir notre parti ; s’ils nous condamnent, nous aurons pour nous l’empereur qui ne permettra pas au peuple de nous chasser de nos sièges.
Telles sont les conversations qu’avaient entre eux les eusébiens, au rapport de saint Athanase.
Osius et les occidentaux les pressaient de prendre un parti. Athanase et les autres sont là, disaient-ils, qui se chargent de prouver que vous êtes calomniateurs. Si vous craignez le jugement, pourquoi êtes-vous venus ici ? Il fallait ne pas venir ; une fois arrivés, il faut rester. Ils étaient fort embarrassés, lorsque Constantius leur donna avis d’une victoire qu’il venait de remporter sur les Perses. Il faut partir, dirent-ils aussitôt. L’empereur ne pouvait pas sans doute célébrer sa victoire sans eux.
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1 S. Athan., Hist. Arian. ad Monach., §§ 15 et seq.
Personne ne fut dupe d’un tel prétexte qu’ils communiquèrent au concile par l’intermédiaire d’Eustathe, prêtre de l’Eglise de Sardique. Osius, au nom du concile qu’il présidait, leur répondit aussitôt : « Venez vous purger des accusations élevées contre vous, des calomnies qui vous sont reprochées, ou, sachez que le concile vous condamnera comme coupables, et déclarera innocents Athanase et ceux qui sont avec lui. « Mais en conscience, se sentant coupables, ils étaient effrayés, et plus disposés à fuir sans retard qu’à obéir à la lettre qui leur était adressée.
Ils s’enfuirent donc honteusement et retournèrent à Philippopolis, où ils se constituèrent en concile.
Ils commencèrent par condamner le mot consubstantiel1 et affectèrent de le remplacer par un mot qui exprimait une idée toute contraire ( άνομοίος ) ; puis ils confirmèrent leurs premières sentences contre Athanase, Paul, Marcellus et Asclépas, et déposèrent Julius de Rome pour avoir communiqué le premier avec les évêques condamnés ; Osius, fut déposé pour le même motif, et parce qu’il avait été l’ami de Paulinus et d’Eusthate d’Antioche ; Maximinus, évêque de Trèves, parce qu’il avait communiqué le premier avec Paul de Constantinople et lui avait facilité les moyens de retourner à son église, et de plus, parce qu’il n’avait pas voulu communiquer avec les orientaux qui étaient allés dans les Gaules. Ils déposèrent encore Protogènes de Sardique et Gaudentius. Le premier, parce qu’il était en communion avec Marcellus qu’il avait d’abord condamné ; le second, parce qu’il n’avait pas suivi la même ligne de conduite que son prédécesseur Cyriacus, et avait rétabli ceux qu’il avait déposés.
Ils notifièrent leurs décisions dans une lettre qu’ils adressèrent à tous les évêques de la catholicité2. Ils y renouvelèrent toutes leurs accusations contre leurs adversaires, même celles sur lesquelles on ne pouvait se faire
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1 Socrat. et Sozom., Loc. cit.
2 Ap. Labb., Concit., t. II ; S. Hilar. Pictav., De Synod., §§33 et seq. ; Fragment. III.
aucune illusion ; et ils joignirent à cette circulaire la dernière des professions de foi rédigées au concile d’Antioche. Cette communication fut faite au nom du concile convoqué à Sardique, quoique les signataires fussent réunis à Philippopolis. Ils prétendaient à eux seuls former le concile, sous prétexte, sans doute, que les autres étaient excommuniés ou communiquaient avec ceux qui l’étaient.
Parmi les évêques réunis à Philippopolis, tous n’étaient pas ariens ; la plupart étaient très-orthodoxes ; mais ils s’étaient laissés tromper par ceux des évêques qui avaient assisté au concile de Tyr et qui avaient voué à Athanase une haine aveugle. On peut croire aussi que plusieurs, se trouvant pour la première fois en présence de l’Occident qu’ils regardaient comme barbare, se trouvaient humiliés d’être placés sur le pied d’égalité avec lui. La lettre de l’évêque de Rome, et sa prétention de réviser, au nom de l’Occident, les jugements qu’ils avaient rendus, les avaient profondément blessés. Cependant, ils devaient bien voir que la décision du concile romain n’était pas considérée comme une sentence suprême, puisqu’un concile était convoqué à Sardique pour la contrôler et juger eu dernier ressort.
Mais, dans ce concile, les occidentaux étaient nombreux ; plusieurs orientaux leur étaient unis et s’entendaient avec eux pour juger à nouveau et d’une manière définitive toutes les questions qui troublaient l’Eglise. La plupart des évêques, réunis à Philippopolis, s’étaient prononcés trop ouvertement dans ces questions pour ne pas considérer comme une désapprobation la seule pensée de les examiner de nouveau. De là une scission qui ne leur fait pas honneur, et qui a laissé planer des soupçons sur leur bonne foi. Les conciles orientaux ou occidentaux ne pouvaient être considérés ni les uns ni les autres comme des tribunaux suprêmes. C’est pourquoi on avait convoqué à Sardique un concile oriento-occidental qui devait représenter la catholicité et juger en dernier ressort.
Les évêques réunis à Sardique1 examinèrent de nouveau les causes d’Athanase, de Marcellus d’Ancyre et d’Asclépas de Gaza. Athanase fut reconnu innocent et les procédures du concile de Tyr contre lui furent considérées comme des machinations et des calomnies inspirées par la haine. Marcellus d’Ancyre ayant fait une profession de foi orthodoxe, on déclara qu’il était innocent des erreurs qu’on lui avait reprochées. Asclépas de Gaza présenta la procédure d’Eusèbe de Cæsarée son métropolitain et de plusieurs autres évêques, ses juges, qui l’avaient rétabli sur son siège.
Lucius d’Adrianopolis, poursuivi également par les ariens, avait porté sa cause au concile ; il fut considéré comme innocent, dès que ses accusateurs s’étaient enfuis.
Le concile excommunia et déposa ensuite les évêques intrus d’Alexandrie, d’Ancyre et de Gaza ; puis ceux qui avaient montré le plus de passion dans les intrigues ariennes, c’est-à-dire Théodore de Héraclée en Thrace, Narcissus de Néroniade, Étienne d’Antioche, George de Laodicée, Acacius de Cæsarée en Palæstine, Ménophantis d’Ephèse, Ursace de Singidunum et Valens de Mursia. Le concile ne crut pas utile de rédiger une nouvelle profession de foi ; le symbole de Nicée fut regardé comme suffisant.
Les décisions du concile furent communiquées aux Eglises qu’elles intéressaient d’une manière particulière ; aux empereurs, à Julius, évêque de Rome, et à tous les évêques de la catholicité. On possède encore cette dernière lettre, ainsi que celles qui furent adressées à Julius et à l’Eglise d’Alexandrie. Ces documents méritent une attention particulière.
Avant de les citer, nous devons faire connaître les canons qui furent adoptés par le concile. Ils sont au nombre de vingt et fort importants2.
Osius, évêque de la ville de Cordoue, dit : « Il
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1 S. Athanas., Hist. Arian. ad Monach., § 17 ; Apol. cont. Arian., § 36 ; S. Hilar. Pictav., Fragment. II ; Theodor., Hist. Eccl., lib. II, c. 6 ; Socrat., Hist. Eccl., lib. II, c. 20 ; Sozom., Hist. Eccl., lib. III, c. 12 ; Labb., Concit., t. II.
2 V. Balsam., Comment, et les diverses collections de canons ou de conciles.
existe une mauvaise coutume, source de graves abus et qu’il faut absolument extirper ; c’est celle qui consiste en ce qu’un évêque peut être transféré d’une petite ville dans une autre plus importante. La cause de ces translations est évidente, car on n’a pas encore rencontré d’évêque qui ait cherché à passer d’une grande église dans une petite. Il est donc évident que ceux qui changent de siège se laissent séduire par la cupidité, l’orgueil et le désir de paraître posséder un plus grand pouvoir. Vous plaît-il que cet abus soit plus énergiquement condamné ? Pour moi, je pense que l’évêque coupable ne doit même pas obtenir la communion laïque. »
Tous les évêques répondirent : « Nous sommes du même avis. »
Dans ce canon, le concile refuse la communion, même à la mort, aux évêques qui auraient soudoyé des fidèles pour se faire acclamer et élire dans l’Eglise.
Le concile de Nicée avait décidé que, à la mort, la communion ne devait être refusée à personne1.
Osius, reprenant la parole, dit : « Il est nécessaire d’ajouter qu’aucun évêque ne peut passer dans une autre province pour y exercer le ministère ; je n’admettrais qu’une exception pour le cas où ses frères l’appelleraient, car il ne faut pas empêcher que les évêques se rendent service mutuellement. Il faut également pourvoir au cas où un évêque aurait une discussion contre un de ses collègues, et décider qu’il ne pourra remettre le jugement aux évêques d’une autre province. S’il pense que sa cause est bonne, et que le jugement doit être révisé, si cela paraît bon à Votre Dilection, honorons la mémoire de l’apôtre Pierre, et que ceux qui auront jugé écrivent à Julius, évêque des Romains, et que le jugement soit révisé, si cela est nécessaire, par les évêques de la province voisine, que l’évêque romain choisira. Mais si l’on ne peut établir que la cause doive être révisée, que le premier jugement soit purement et simplement confirmé. »
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1 Dans le deuxième canon on prive même de la communion laïque ceux qui avaient acheté des suffrages pour se faire élire évêques.
Avant le concile de Sardique, il était arrivé que ceux qui étaient condamnés dans une Eglise, cherchaient un refuge dans d’autres Eglises, où ils cherchaient à prouver leur innocence et à être admis en communion. Mais il n’y avait pas là d’appel judiciaire d’un juge à un juge supérieur. Le concile de Sardique voulut attribuer à l’évêque de Rome un droit d’appel d’après lequel cet évêque devait décider si le premier jugement méritait d’être confirmé ou s’il devait être révisé par un second tribunal composé des évêques de la province la plus rapprochée de celle où le premier jugement avait été rendu.
Les évêques de Rome se sont autorisés de ce canon pour s’attribuer le droit d’appel dans les causes ecclésiastiques.
De leur côté, les partisans de la papauté ont cherché à élever sur ce même canon des théories favorables à leur système. Ils n’ont pas remarqué que le concile, en accordant à l’évêque de Rome le droit d’appel, a prouvé que cet évêque était inférieur au concile, puisque ce dernier lui accordait une prérogative ; de plus, que le concile ne connaissait pas les prétendus droits auxquels la papauté a voulu donner une base divine, puisqu’il lui accordait un de ces droits, dans le but unique d’honorer la mémoire de saint Pierre, c’est-à-dire un des apôtres fondateurs de l’Eglise de Rome.
Le canon du concile de Sardique prouve avec évidence que, dans l’Eglise, vers le milieu du IVme siècle, on n’avait pas la moindre idée de ce pouvoir que l’on a appelé depuis la papauté.
Le droit d’appel fut-il donné à l’évêque de Rome, en général, ou seulement à Julius, à cause des circonstances difficiles où l’on se trouvait alors et des vives discussions soulevées par l’arianisme ? Il semble que le concile, en nommant Julius, n’avait l’intention d’attribuer le droit d’appel qu’à cet évêque personnellement. Alors qu’on admettrait qu’il fût donné à l’évêque de Rome d’une manière générale, on ne pourrait tirer de là aucune preuve en faveur de la papauté. En effet, si cette insti-
tution eût été reconnue telle qu’elle s’est présentée depuis à la foi de ses fidèles, comment un concile aurait-il eu l’idée de conférer à l’évêque de Rome une autorité qu’il eût possédée d’une manière plus complète et de droit divin ?
Le canon de Sardique est une preuve évidente et incontestable que l’on ne reconnaissait même pas à l’évêque de Rome l’autorité nécessaire pour réviser les jugements épiscopaux ; à plus forte raison ne lui reconnaissait-on pas de pouvoirs plus étendus.
On doit remarquer le motif invoqué par Osius en faveur de la prérogative qu’il proposait d’accorder à l’évêque de Rome. C’était, dit-il, pour honorer la mémoire de saint Pierre. Ce motif accuse dans les évêques occidentaux une disposition à relever l’Eglise de Rome en lui donnant pour fondateur le premier des apôtres, c’est-à- dire que, à cause de saint Pierre, l’évêque de Rome devait être le premier évêque de l’Eglise. Peut-être croyait-on relever ainsi l’Occident qui aurait possédé la première Eglise apostolique. Personne n’avait certainement alors idée des prétentions papales qui n’existaient pas encore ; mais, lorsqu’il s’agit d’une institution qui a acquis une si grande importance dans la société chrétienne, il faut indiquer à l’avance les faits qui en ont été comme les germes. Parmi ces faits, on doit signaler d’abord l’affectation de donner à l’Eglise de Rome saint Pierre pour fondateur, quoique saint Paul mérite beaucoup mieux ce titre ; puis, l’orgueil de plusieurs évêques romains qui se considéraient comme les premiers des évêques, parce que leur siège était dans la capitale de l’empire. Ces deux faits servirent de base, d’abord à quelques prérogatives purement honorifiques qui furent accordées aux évêques de Rome, et à certains droits que leur conférèrent les évêques occidentaux.
On s’habitua, à dater du IVme siècle, à considérer les évêques de Rome comme les successeurs de saint Pierre. A cette époque, on commença à appliquer à l’Eglise l’organisation de l’empire. Dès lors, l’évêque de Rome fut reconnu comme le premier, parce qu’il était celui de la
première capitale. De la combinaison de ces deux idées : de la succession de saint Pierre et de la primauté épiscopale, sortit la théorie de la papauté.
Ce travail de transformation dura trois siècles. Il ne fallait pas moins pour passer, de prérogatives purement ecclésiastiques, à un pouvoir prétendu divin. Puis ce pouvoir prétendu divin mit dix siècles à se développer et à arriver au point où nous le voyons aujourd’hui.
Des premières prétentions des évêques de Rome à l’absolutisme et à l’infaillibilité, il y avait une longue distance à parcourir. Si l’on n’avait pas voulu à Rome outrepasser le canon de Sardique, l’Orient, orthodoxe n’eût pas fait d’objection. Il avait accepté ce canon comme on l’a vu par les témoignages de Socrate et de Sozomène cités précédemment.
Gaudentius, évêque de Naïssos, en Dacie, prit la parole après Osius et dit : « Si cela vous semble bon, on devrait ajouter à la dernière décision que si un évêque a été déposé par des évêques voisins, mais qu’il ait l’intention de faire réviser sa cause, on ne mette personne à sa place avant que l’évêque romain n’ait rendu sa sentence en cette affaire. »
Ce canon était le complément du précédent et une suite du droit d’appel conféré à l’évêque de Rome. Osius développa encore ce droit dans le canon suivant.
L’évêque Osius dit : « Dans le cas où un évêque aurait été jugé et déposé par tous les évêques de la province, si le condamné en appelle au bienheureux évêque de l’Église romaine, et si cet évêque juge qu’il soit juste de revenir sur les causes, qu’il daigne écrire aux évêques de la province et à ceux de la province limitrophe d’examiner de nouveau la cause et de juger en toute sincérité. Si celui qui demande la révision de sa cause y intéresse tellement l’évêque romain qu’il l’engage à envoyer des prêtres de son entourage1 ; cet évêque jugera ce qu’il devra faire en cette circonstance, et s’il juge à propos d’envoyer des prêtres qui assistent au
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1 On se sert dans le texte latin des mots de latere qui ont été conservés dans la langue papale pour désigner des envoyés ou légats représentant le pape d’une manière plus directe et plus complète.
jugement avec les évêques et qui représentent l’autorité de celui qui les aura envoyés. S’il pense au contraire qu’il suffit que les évêques comprovinciaux terminent l’affaire, il fera ce qu’il jugera bon dans sa sagesse. »
Avant le concile de Sardique, on n’avait pas jugé utile, même en Occident, d’accorder à l’évêque de Rome les prérogatives mentionnées dans les canons précédents1. Le concile était l’autorité supérieure de l’Église. Celui de Sardique lui-même en était une preuve évidente, puisqu’il était Convoqué pour juger en dernier ressort des causes ecclésiastiques déjà révisées par l’évêque de Rome, dans un concile. On avait eu l’intention de réunir à Sardique un concile œcuménique, qui formait la seule autorité souveraine dans l’Église. Mais, par suite de la retraite ou de l’absence d’un grand nombre d’évêques orientaux, le concile ne put avoir ce caractère.
1 Des savants ont prétendu que l’appel à Rome était antérieur au concile de Sardique ; mais leurs preuves ne sont pas solides. M. Héfelé renvoie à Noël- Alexandre comme à l’historien qui a établi d’une manière irréfutable que le droit d’appel n’avait pas été établi par le concile de Sardique, et que les papes en jouissaient auparavant. (Héfelé, Histoire des Conciles. T. 1, p. 559. Édit. 1869). Or quels sont les arguments de Noël-Alexandre ? (Nat. Alexand. Histoire Eccl. 4.Sœcul. Dissertat. 28.) Le droit d’appel, dit-il, est la conséquence de la primauté de droit divin, donc il est primitif dans l’Église et d’institution divine. Il est bien évident que la primauté de droit divin n’existant pas, comme nous l’avons amplement démontré par toute l’histoire qui précède, la conséquence qu’en tire Noël-Alexandre n’existe pas non plus. Cet historien ne pouvait avoir raison que contre les gallicans, comme P. de Marca, qui admettaient là primauté, tout en entendant le canon de Sardique dans son véritable sens. Les gallicans pouvaient être illogiques, mais l’argumentation de Noël-Alexandre ne peut avoir de valeur contre ceux qui, d’accord avec toute l’histoire des premiers siècles, nient toute primauté papale de droit divin. Si Noël-Alexandre avait voulu démontrer sa thèse, il eût dû citer des faits, des appels antérieurs au concile de Sardique. Mais il n’a même pas tenté de le faire, et le premier fait qu’il a cité avec plus ou moins de raison (proposit. III) est postérieur au concile de Sardique. M. Héfelé n’est donc pas difficile en fait de preuves lorsqu’il regarde comme irréfutable la démonstration prétendue de Noël-Alexandre. Marca (de Concordat, sacerdot. et imp., lib. VII), Richer (Hist. Concil. general., lib. I), du Pin (de antiq. Eccl. discipl. Dissert. II), et les vrais gallicans ont parfaitement compris le canon de Sardique, et Noël-Alexandre l’a faussé par suite de ses préjugés papistes. L’Église orthodoxe a entendu le canon de Sardique comme les gallicans que nous venons de citer. (V. Balsam. et Zonar. Comment.)
En lisant avec bonne foi el sans préjugés les canons de Sardique, il est évident : 1° que le concile accorde à l’évêque de Rome une prérogative nouvelle ; 2° que cette prérogative n’a pour objet que les causes des évêques ; 3° que le concile ne lui défère pas le droit de juger, mais de provoquer une révision du premier jugement de la part des évêques voisins de la province où le procès avait eu lieu, et d’y prendre part par ses délégués. L’évêque de Rome n’était pas établi juge en appel ; l’appel n’avait d’autre résultat que de provoquer un nouveau jugement ou la confirmation de l’ancien par les évêques.
On ne peut voir autre chose dans les canons de Sardique ; et c’est en vain que les papistes ont voulu y découvrir une prérogative d’où on pourrait déduire leur système.
Le sixième canon règle ce qui concernait les élections et ordinations épiscopales ; on y défend d’ordonner un évêque pour un village ou pour une petite ville, où un prêtre suffisait. Il ne faut pas, dit-on, y placer un évêque de peur que le titre et l’autorité d’évêque ne soient rabaissés.
Chaque Église avait à sa tête un évêque jusqu’au moment où le christianisme dépassa les limites des villes importantes et s’établit dans les villages. Quand il en fut ainsi, des prêtres suppléèrent l’évêque dans les Églises de moindre importance, dans certaines circonscriptions déterminées que l’on appela depuis diocèses ou éparchies. L’évêque resta seul à la tête du diocèse qui ne forma qu’une Église composée de plusieurs membres ou paroisses.
Par le septième canon, le concile, sur la proposition d’Osius, décida que les évêques ne devaient point, se charger de sollicitations auprès des empereurs, et qu’ils ne pouvaient, aller au palais que pour y prendre le parti des malheureux, ou sur l’ordre de l’empereur. L’évêque de Carthage, Gratus, qui assistait au concile, s’était plaint de ce que les évêques d’Afrique recouraient trop souvent à l’empereur.
Depuis que les empereurs étaient chrétiens, beaucoup d’évêques se montraient trop courtisans. Le concile de Sardique vit là un inconvénient grave. Le devoir des évêques comme de tous les fidèles est d’être soumis aux puissances légitimement établies, et de donner l’exemple de l’obéissance légale et du respect. Mais les évêques serviles qui voudraient abuser de leur titre pour satisfaire leur propre ambition ou celle de leurs créatures, manqueraient gravement à leur devoir, comme l’a décidé le concile de Sardique. Osius qui proposa le canon pouvait, sous ce rapport, servir d’exemple. Il n’avait point abusé en sa faveur ou en faveur des autres, de la confiance que le grand Constantin avait eue en lui. Toutes les actions connues de ce saint évêque ont un caractère exclusivement religieux ; et il se montra, en toutes circonstances, un véritable évêque chrétien.
Osius proposa d’ajouter au canon précédent cette addition (can. 8) : que si un évêque devait s’adresser à la cour impériale en faveur des malheureux, il ne devait pas s’y rendre lui-même, mais y envoyer son diacre.
Ce canon fut adopté. Le concile se montrait fort préoccupé d’éloigner les évêques de la cour. On peut croire que la conduite d’Eusèbe et de ses amis avait motivé ces dispositions. Le concile craignait une nouvelle influence épiscopale auprès des empereurs, influence qui avait encore de si mauvais résultats auprès de Constantius.
Sur la proposition d’Osius, on ajouta un nouveau canon sur le même sujet (can. 9). D’après cette disposition, les évêques devaient employer, de préférence, pour s’adresser à la cour, l’intermédiaire soit de l’évêque de la ville où résidait l’empereur, soit des évêques qui se trouvaient auprès du souverain, pour le service religieux ; ceux qui venaient à Rome devaient employer l’intermédiaire de l’évêque de cette ville, lequel, avant de transmettre les demandes à l’empereur, devait examiner si elles étaient fondées.
Alypius, évêque de Mégaris, en Achaïe, fit observer que l’on ne devait pas blâmer les évêques qui supportaient les fatigues d’un voyage à la cour pour y plaider la cause des malheureux, mais que les évêques ne devaient pas entreprendre un tel voyage pour d’autres motifs.
Osius proposa encore le canon suivant (can. 10) : « Je crois qu’il est nécessaire de décider que si un homme riche ou un jurisconsulte est élu pour évêque, il ne doit pas être ordonné avant d’avoir exercé les fonctions de lecteur, de diacre et de prêtre, et d’avoir prouvé, en les accomplissant bien, qu’il est digne de l’épiscopat. » L’apôtre des Gentils, ajouta Osius, défendit positivement d’ordonner évêque un néophyte. Le concile, à l’unanimité, adopta ce canon.
Il arrivait parfois qu’un évêque quittait son Église et même sa province pour aller prêcher en d’autres localités. Il pouvait y avoir à cette pratique des avantages ;
mais il arrivait aussi que l’évêque du lieu, moins savant et moins éloquent, se trouvait humilié, ce qui nuisait à sa légitime influence. On pouvait croire aussi que l’évêque prédicateur n’était pas guidé par son zèle seulement, mais qu’il avait le désir d’usurper l’Église d’un autre. Osius adressa ces observations au concile qui décida (can. 11) que les évêques ne pourraient pas, a moins de motifs fort graves, être absents de leurs églises plus de trois semaines.
Cette règle existait déjà pour les fidèles ; il ne leur était pas permis, à moins d’une absence justifiée, de s’absenter de leur église plus de trois dimanches consécutifs. Cette antique loi a été la base de la règle d’après laquelle, en Occident, les fidèles étaient obligés d’assister le dimanche à la messe paroissiale et ne pouvaient y manquer, sans faute grave, plusieurs dimanches de suite1.
On admit un adoucissement (can. 12) à la règle précédente en faveur des évêques qui ne pouvaient pas recueillir dans leur Église ce qui leur était nécessaire à eux et à leur clergé, et qui possédaient des ressources dans une autre localité. Il leur était permis de se rendre dans cette localité, d’y résider plus de trois semaines si cela était nécessaire, et même d’y officier dans l’église à la tête de laquelle serait un simple prêtre. Car il n’y avait pas à cette résidence les mêmes inconvénients que s’il s’agissait d’une église épiscopale.
Osius proposa un autre décret (can. 13) en vertu duquel un évêque ne pouvait recevoir un prêtre, un diacre ou un clerc, excommuniés par leur propre évêque. S’il agissait autrement, il devrait être traduit au synode pour rendre compte de sa conduite. Le concile vit là une règle excellente, très-propre à conserver la paix et la concorde dans l’épiscopat.
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1 Cette règle était encore en pleine vigueur en France, il y a un demi- siècle. Elle est tombée, comme beaucoup d’autres institutions excellentes, sous les efforts des congrégations ecclésiastiques et surtout des jésuites, qui ont détruit, à leur profit, les agrégations paroissiales, et ont cherché à grouper les fidèles autour de leurs chapelles et de leurs confessionnaux ; leurs motifs sont assez clairs pour qu’il soit inutile d’y insister.
Je ne puis, continua Osius (can. 14), faire taire en moi ce sentiment qui m’anime : « Si un évêque s’abandonne à la colère et condamne injustement un prêtre ou un diacre, il ne faut pas qu’un innocent soit condamné et excommunié. » Tous les Pères répondirent : « Le condamné doit s’adresser aux voisins1 afin de faire juger sa cause. Il ne faut pas que l’évêque trouve mauvais que ses sentences soient revisées, et les juges ne doivent pas permettre aux inculpés de manquer de respect à l’évêque qui les aurait condamnés. C’est un devoir pour l’évêque d’être bon pour ses subordonnés, et ces derniers lui doivent respect et obéissance. »
Dans le 15me canon2, le concile décréta que l’ordination conférée par un évêque au clerc d’un autre évêque, sans le consentement de ce dernier, ne serait pas ratifiée.
Aëtius, évêque de Thessalonique, se plaignit au concile de ce que des prêtres et des diacres étrangers se rendaient fréquemment dans sa ville épiscopale et y résidaient fort longtemps. Le concile décida (can. 16) qu’on appliquerait aux prêtres et aux diacres la même règle que l’on avait établie pour les évêques dans le 11me canon.
Olympius, évêque d’Aénus en Thrace, fit observer que l’on devait permettre un long séjour dans les églises aux évêques qui étaient persécutés et obligés d’abandonner la leur devant les violences dont ils étaient l’objet. Osius se fit l’interprète d’Olympius auprès du concile qui reconnut (can. 17) la justesse de l’observation. L’exemple d’Athanase et des autres évêques persé-
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1 Lorsque les provinces ecclésiastiques furent mieux délimitées, l’appel dut être adressé au premier évêque de la province ou métropolitain. Depuis le concile de Nicée, l’Eglise tendait à s’appliquer à elle-même les circonscriptions de l’empire ; mais, à l’époque du concile de Sardique, cette division n’était pas encore parfaitement établie. C’est pourquoi on ne mentionne pas les métropolitains dans les canons de cette assemblée, mais seulement les évêques voisins ou limitrophes.
2 Dans les collections latines, le canon 15me est précédé d’une disposition dans le même sens, prise sur la proposition de Januarius, évêque de Bénévent, et d’après laquelle un évêque ne devait point attirer le clerc d’un autre évêque et l’ordonner pour sa propre Eglise.
Dans son I6me canon, le concile de Nicée avait adopté une décision analogue.
cutés par les eusébiens était trop vivant pour qu’on ne fît pas droit à la demande d’Olympius.
Le concile de Sardique eut à s’occuper des troubles qui avaient existé dans l’Église de Thessalonique, et dut prendre une décision à ce sujet. Après la mort de l’évêque Alexandre, qui avait écrit en faveur d’Athanase, après le concile de Tyrl, l’Église de Thessalonique avait été troublée, et plusieurs évêques avaient été élus par les divers partis. On connaît, par les actes de Sardique (can. 18 et 19) Museus, Eutychianus et Aëtius, lequel fut enfin reconnu à peu près unanimement, et condamna, non-seulement Museus et Eutychianus, mais les clercs qu’ils avaient ordonnés. Il est probable que ces évêques avaient été réellement ordonnés, et que leurs clercs avaient reçu d’eux validement les ordres. Si l’on en croit les évêques orientaux réunis à Philippopolis2, Aëtius aurait été accusé de plusieurs crimes par Protogènes lui-même, évêque de Sardique. Mais il est probable que ces accusations avaient été soulevées par ses concurrents, et que l’évêque de Sardique fut convaincu de leur fausseté, puisqu’il reconnut Aëtius, au concile, comme évêque légitime.
Aëtius s’était montré rigoureux envers Museus, Eutychianus et leurs clercs. C’est pourquoi Gaudentius, évêque de Naïssos en Dacie, en appela à la concorde : « Frère Aëtius, dit-il (can. 18), tu sais que la paix règne dans ton Eglise depuis que tu es évêque. Afin qu’il ne reste aucune trace de discorde, il me paraîtrait raisonnable d’accueillir tous les clercs ordonnés par Museus et Eutychianus, car ils ne sont coupables d’aucune faute. »
Osius prit alors la parole. « Je pense, dit-il (can. 19), que nous devons être modérés, patients et miséricordieux à l’égard de tous. Cependant les clercs qui ont été ordonnés par quelques-uns de nos frères, et qui refusent de retourner aux Eglises pour lesquelles ils ont été
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1 Nous avons vu cette lettre mentionnée dans celle de Julius citée précédemment.
2 V. leur lettre dans saint Hilaire de Poitiers, Fragment. III. §20.
ordonnés, ne doivent plus être admis. Quant à Museus et Eutycliianus, on ne peut les considérer comme des évêques ; mais on doit les admettre à la communion laïque, s’ils le demandent. »
Toute l’assemblée fut de cet avis.
L’évêque Gaudentius jugea qu’il fallait une sanction aux décrets qui venaient d’être promulgués (can. 20). Il proposa donc que l’évêque qui ne les observerait pas perdrait sa dignité épiscopale, s’il ne prouvait qu’il a eu des excuses légitimes.
Quant aux évêques qui iraient à la cour malgré les canons adoptés à ce sujet, il proposa que les évêques qui se trouveraient sur la route leur refuseraient leur communion, s’ils ne prouvaient qu’ils n’y allaient que sur l’ordre formel de l’empereur, ou pour des motifs jugés légitimes par le concile.
Ces pénalités furent admises1.
Le concile fit part de ses décisions à tous les évêques de l’Eglise catholique par une lettre qui est un monument historique très-important. Elle était ainsi conçue2 : « Le saint concile réuni à Sardique, par la grâce de Dieu, de la ville de Rome, d’Espagne, de Gaule, d’Italie, de Campanie, de Calabre, d’Afrique, de Sardaigne, de Pannonie, de Mœsie, de Dacie, de Dardanie, de l’autre Dacie, de Macédoine, de Thessalie, d’Achaïe, d’Epire, de Thrace, de Rhodope, d’Asie, de Carie, de Bythinie, de Hellespont, de Phrygie, de Pisidie, de Cappadoce, de Pont, de l’autre Phrygie, de Cilicie, de Pamphylie, de Lydie, des îles Cyclades, d’Egypte, de Thébaïde, de Lybie, de Galatie, de Palæstine, d’Arabie, aux évêques de toutes les Eglises, nos collègues de l’Eglise catholique et apostolique, nos frères bien-aimés, salut dans le Seigneur.
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1 Dans les collections latines (can. 12), on trouve une proposition d’Osius qui adoucit un peu la décision prise dans le vingtième canon. L’évêque de Cordoue fit observer que des évêques pourraient se mettre en route pour la cour, n’ayant pas connaissance des canons adoptés. Dans ce cas, l’évêque qui se trouverait sur la route devrait les en instruire et les engager à retourner à leur Eglise, et à envoyer seulement leur diacre à la cour.
Il est évident que ce n’était là qu’une disposition provisoire.
2 Aρ. Athanas. Apolog. cont. Arian., §§ 44 et seq.
Hilar. Pictav., Fragment. II ; Theodor. Hist. Eccl., lib. II, c. 6.
« Les hérétiques partisans d’Arius ont commis de nombreux attentats contre les serviteurs de Dieu, fidèles à la vraie foi. Pour répandre leur mauvaise doctrine, ils ont essayé de chasser les orthodoxes. Ils se sont élevés avec tant de violence contre la foi, que les empereurs eux-mêmes n’ont pu ignorer plus longtemps leurs actions. C’est pourquoi, avec le secours de la grâce de Dieu, ces très-religieux empereurs nous ont eux-mêmes réunis1 des diverses provinces et cités, et nous ont accordé de tenir ce saint synode dans la ville de Sardique, dans le but de mettre fin à toute discussion, de condamner toute mauvaise doctrine, et de faire régner partout la piété envers le Christ. Obéissant aux exhortations des pieux empereurs, des évêques se sont rendus aussi en cette ville dans le but d’examiner, comme ils l’avaient eux-mêmes si souvent demandé, leurs accusations contre nos frères et collègues bien-aimés Athanase, évêque d’Alexandrie, et Marcellus, évêque d’Ancyre en Galatie. Leurs calomnies sont peut-être parvenues jusqu’à vous ; peut-être ont-ils cherché à vous tromper par ces calomnies, afin de détourner votre attention de leurs mauvaises doctrines. Mais cette manière d’agir ne peut durer plus longtemps, car le Seigneur protège les Eglises, lui qui est mort pour elles et pour nous tous, et nous a ouvert par ses mérites l’entrée du ciel.
« Lorsque ceux qui adhéraient à Eusèbe eussent écrit à notre collègue Julius, évêque de Rome, contre nos collègues Athanase, Marcellus et Asclépas, d’autres évêques de diverses contrées écrivirent également pour prouver l’innocence d’Athanase, affirmant que les accusations d’Eusèbe et de ses partisans étaient calomnieuses et mensongères. Eusèbe et ceux qui étaient avec lui prouvèrent eux-mêmes qu’il en était ainsi en refusant de se rendre à l’invitation de notre bien-aimé et collègue Julius, comme cela est prouvé par la lettre de Julius lui- même. Ils se fussent rendus en effet à cette invitation,
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1 Le concile reconnaît ainsi qu’il avait été convoqué par les empereurs eux-mêmes : καί αυτοί ευσεβέστατοι Βασιλεία συνήγαγον ή|Αασ…
s’ils avaient cru fondés les reproches qu’ils adressaient à nos collègues.
« Mais leur conduite pendant ce saint et grand synode a mieux prouvé encore leur mauvaise foi. En arrivant à Sardique, ayant vu que nos frères Athanase, Marcellus et Asclépas s’y trouvaient, ils n’osèrent affronter la discussion et refusèrent de se rendre aux invitations nombreuses qui leur furent adressées par nous tous, évêques assemblés, et par Osius, ce vieillard vénérable, confesseur de la foi pendant la persécution, et qui, par son âge et ses grandes actions, est digne de respect.
« En refusant la discussion, ils prouvèrent qu’ils étaient calomniateurs. Mais ce n’était pas seulement l’impossibilité de prouver leurs mensonges qui les empêcha de se rendre au concile ; ils craignaient les révélations qui seraient faites sur leurs propres crimes. On voyait au concile un grand nombre de leurs victimes, et en particulier un évêque qui montrait la chaîne dont on l’avait chargé. On leur reprochait même des meurtres. Ils en étaient venus à cet excès de démence qu’ils voulaient tuer les évêques qui leur résistaient ; ils les auraient tués en effet si ceux-ci ne s’étaient soustraits par la fuite à leur fureur. Us sont certainement coupables de la mort du bienheureux évêque Théodulos1, qui fut tué lorsqu’il s’enfuyait pour échapper à une sentence capitale qu’ils avaient obtenue contre lui. Parmi leurs victimes présentes à Sardique, les uns montraient les cicatrices des coups d’épée qu’ils avaient reçus ; les autres se plaignaient d’avoir été privés de nourriture, par suite de leurs persécutions. Les accusateurs n’étaient pas des hommes sans notoriété, mais des Eglises entières ou leurs délégués qui nous faisaient connaître leurs victimes. On nous a lu des lettres que Theognis avait écrites aux empereurs pour les exciter contre nos collègues Athanase, Marcellus et Asclépas, et l’authenticité de ces écrites nous a été certifiée par ceux qui alors étaient diacres de Theognis. Il faut ajouter à ces violences des
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1 II y avait un évêque de ce nom à Trajanopolis.
vierges violées, des églises incendiées, des ecclésiastiques jetés en prison, et toutes les abominations habituelles à l’hérésie arienne. Ne voulant ni avouer ces crimes, ni essayer de prouver leurs calomnies, ils prirent le parti de quitter Sardique ; mais leur fuite elle-même est un aveu des crimes qui leur étaient reprochés. »
Le concile ne crut pas que cette fuite fût une raison de ne pas examiner les causes qui lui étaient soumises, il résume le procès d’Athanase et de Marcellus, puis il continue ainsi :
« Les principaux chefs du parti, après Eusèbe, sont : Théodore, de Héraclée ; Narcissus, de Néroniade, en Cilicie ; Etienne, d’Antioche ; Georges, de Laodicée ; Aeacius, de Cæsarée, en Palæstine ; Ménophantis, d’Ephèse, en Asie ; Ursace, de Singidunum, en Mæsie ; Valens, de Mursia, en Pannonie. Ce sont eux qui ont empêché les évêques qui étaient venus d’Orient avec eux de se rendre au saint concile et de s’unir à l’Eglise de Dieu. En se rendant à Sardique, ils tenaient çà et là des assemblées, et ils s’engageaient à ne point permettre de jugement lorsqu’ils seraient arrivés à Sardique, de ne point s’unir au saint concile et de se retirer aussitôt après avoir signifié leur arrivée. Nous avons appris ces détails de nos collègues Macarius, évêque en Palæstine, et Aste- rius, évêque en Arabie, lesquels, après être venus avec eux, s’en séparèrent à cause de leur mauvaise foi. S’étant présentés au concile, ils se sont plaints de la violence qu’on leur avait faite et attestèrent que les évêques nommés ci-dessus n’agissaient point sincèrement ; qu’ils avaient empêché les évêques orthodoxes de se rendre au concile, et avaient fait des menaces à ceux qui voulaient les abandonner. C’est pour cela qu’ils avaient pris leurs mesures pour que tous les orientaux demeurassent ensemble et qu’aucun d’eux ne pût échapper à leur continuelle surveillance. »
Le concile ajoute qu’il a déclaré innocents Athana.se, Marcellus et Asclépas, et écrit à leurs Eglises1 de les
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1 On possède la lettre adressée à l’Eglise d’Alexandrie ; nous la ferons connaître tout à l’heure.
reconnaître pour pasteurs légitimes, et de regarder comme des loups ceux qui les avaient remplacés : Grégoire à Alexandrie, Basilios à Ancyre, Quintianus à Gaza. Il annonce qu’il a déposé de l’épiscopat Théodore, Narcissus, Aeacius, Etienne, Ursace, Valens, Ménophantis et Georges, quoique ce dernier ne se fût pas rendu à Sardique, parce qu’il avait été déposé autrefois par Alexandre, de bienheureuse mémoire, évêque d’Alexandrie. Non-seulement le concile les déposa de l’épiscopat, mais il les excommunia à cause de leur hérésie contre le fils de Dieu, hérésie qui les rendait indignes du nom chrétien.
« Bien-aimés, dit le concile en terminant, gardez- vous bien de leur écrire et de recevoir leurs lettres. Veuillez au contraire, frères et collègues, être présents en esprit à notre concile, et ajouter votre suffrage en signant nos actes, afin que la concorde soit conservée par tous nos collègues en tous lieux. Que la divine Providence vous garde dans la sainteté et la joie, frères bien- aimés1.
« Osius, évêque, j’ai signé. »
Tous les évêques signèrent de la même manière et dans l’ordre suivant :
Osius, d’Espagne ; Julius, de Rome, représenté par les prêtres Archidamus et Philoxenus ; Protogènes, de Sardique. Saint Athanase nomme ensuite soixante-quinze évêques sans désigner leurs sièges. Parmi eux sont Athanase lui-même, Marcellus, d’Ancyre, et Asclépas, de Gaza. Il en compte trentre-quatre de la Gaule ; trente-six de l’Afrique ; quatre-vingt-quatorze d’Egypte ; quinze d’Italie ; douze de Chypre ; quinze de Palæstine.
Soixante-trois évêques de Phrygie et d’Isaurie envoyèrent leur adhésion pendant le concile, de sorte que cette assemblée, composée au début de cent soixante- dix évêques seulement, en y comprenant les orientaux dissidents, fut, en réalité, composée de deux cent quatre-
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1 Théodoret a ajouté à la lettre une exposition de foi que, en Orient, ou attribuait au concile de Sardique, mais qui a été reconnue apocryphe.
vingt-quatre membres présents, auxquels soixante-trois autres adhérèrent1.
On doit remarquer que ce concile fut présidé par Osius, et que Julius, de Rome, ne signa qu’après lui, par les deux prêtres qui le représentaient2. Le concile qui avait confirmé le jugement du concile de Rome dans les affaires d’Athanase, de Marcellus et d’Asclépas, crut devoir en donner avis à Julius par la lettre suivante :
« Ce que nous croyons nous le sentons, car le sentiment intime prouve et confirme ce qui nous vient par les sens. C’est ce qu’a voulu dire le bienheureux apôtre Paul, le maître des nations, qui s’est exprimé ainsi : Cherchez-vous à sentir que le Christ a parlé par moi ? On savait, sans aucun doute, que le Seigneur Christ avait habité en lui, que le Saint-Esprit avait parlé par son âme et s’était fait entendre par sa bouche.
« C’est ainsi que toi, très-cher frère, absent de corps, tu as été d’esprit avec nous et tu as senti ce qui a été fait dans notre assemblée. Tu t’es excusé de n’avoir pu te rendre au concile ; ton motif a été bon et basé sur la nécessité ; tu n’as pas voulu que ton absence fournît l’occasion aux loups du schisme de déchirer tes brebis, aux chiens de l’hérésie d’aboyer et de se livrer à leur rage insensée, au serpent diabolique de répandre le venin de ses blasphèmes.
« Il paraîtra très-bon et très-convenable3 que les prêtres du Seigneur, assemblés de toutes les provinces,
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1 Voy. S. Athan. Hist. Arian. ad monach., § 15, et Apolog. cont. Arian., § 30. Saint Hilaire de Poitiers (Fragment. II) désigne les sièges d’un grand nombre des membres du concile.
2 On a prétendu, sans preuve, qu’Osius était délégué de l’évêque de Rome. On doit d’abord remarquer que l’évêque, au concile, représentait sa propre Eglise, et non pas l’évêque d’une Eglise à laquelle il était étranger. Osius ne pouvait donc représenter l’évêque de Rome. De plus, dans la lettre du concile à Julius, on verra que l’évêque de Rome n’était représenté que par deux prêtres et un diacre. Osius fut choisi par l’assemblée comme président, à cause de sa vieillesse, du respect dont il jouissait dans toute l’Eglise, à cause de ses vertus et du courage qu’il avait montré pendant la dernière persécution où il avait confessé la foi.
3 Le concile ne dit pas que ce fût obligatoire.
s’adressent à leur tête, c’est-à-dire au siège du bienheureux apôtre Pierre1.
« Comme tout ce qui a été fait et décrété a été mis par écrit, et que tu pourras l’apprendre par les récits que te feront de vive voix nos très-chers frères et collègues dans le sacerdoce Archidamus et Philoxenus et notre très-cher fils le diacre Léon2, il est inutile de l’insérer dans cette lettre.
« Il a été évident pour tout le monde que des orientaux qui s’intitulent évêques, quoique plusieurs d’entre eux soient souillés du venin de l’hérésie d’Arius, n’ont pas voulu affronter le jugement qui devait être prononcé dans le concile, et qu’ils ont préféré se séparer de ta communion et de la nôtre, quoiqu’ils n’aient aucun reproche à nous faire. Ils ont craint le témoignage des soixante évêques qui ont attesté l’innocence d’Athanase, aussi bien que celui des prêtres que tu leur as envoyés et de la lettre que tu leur as adressée pour les inviter au concile de Rome et prouver qu’ils ne pouvaient refuser leur communion à Athanase et à Marcellus.
« Nous avons eu à traiter de trois affaires. Les très-pieux empereurs nous ont permis de nous occuper d’abord, de la sainte foi et de la vérité que l’hérésie a violée ; puis d’examiner les causes de ceux qui se prétendaient injustement condamnés ; enfin de juger ceux qui ont fait tant de maux aux Eglises, en faisant exiler des évêques, des prêtres, des diacres et d’autres clercs, dont plusieurs sont morts de faim, de soif et de privations de toutes sortes ; en jetant les autres en prison, où on les chargeait de chaînes, où on leur faisait supporter d’affreux supplices. Plusieurs sont encore prisonniers aujourd’hui et tout leur crime a été de condamner l’hérésie d’Arius et d’Eusèbe et de refuser leur communion
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1 Ces paroles signifient que l’évêque de Rome occupait la première place dans l’épiscopat, comme saint Pierre l’occupait dans le collège apostolique. Mais, de même que saint Pierre n’était que primus inter pares dans le collège apostolique, l’évêque de Rome n’était que primus inter pares dans l’épiscopat. Le concile de Sardique n’a pas voulu dire autre chose.
2 Si Osius eût été délégué de l’évêque de Rome au concile, on l’eût mentionné avant les deux prêtres et le diacre, comme devant renseigner Julius sur ce qui s’était fait.
à ceux qui en étaient coupables, et qui ont été choisis, en récompense de leur erreur, pour être élevés aux dignités de l’Eglise.
« Voici, très-bienheureux frère, ce qui a été décidé à propos d’Ursace et de Valens, deux jeunes gens impies et dénués de sagesse. Il était évident qu’ils ne cessaient de répandre la semence de la mauvaise doctrine ; de plus, Valens a cherché à abandonner son Eglise pour en usurper une autre ; il excita pour cela à Aquilée une émeute dans laquelle notre frère Victor, n’ayant pu fuir, fut foulé aux pieds avec tant de cruauté qu’il en mourut trois jours après. La vraie cause de cette mort fut Valens, qui causa l’émeute en cherchant à se faire élire. Par les lettres que nous avons adressées aux empereurs, vous verrez que nous n’avons rien négligé de ce qu’il était utile de faire. Nous y avons rapporté sommairement les crimes qui ont été commis.
« Ta haute sagesse avisera aux moyens de faire connaître à nos frères de Sicile, de Sardaigne et d’Italie1 ce qui a été fait et décidé, afin qu’ils sachent qu’ils ne doivent pas recevoir les lettres de ceux qui ont été condamnés et que Marcellus, Athanase et Asclépas continuent à être dans notre communion. Il est évident en effet que le jugement injuste, la fuite et les subterfuges de ceux qui ont refusé de venir et de se soumettre au jugement de tous les évêques, ne pouvaient porter préjudice à ceux qu’ils accusaient.
« Du reste, comme nous l’avons dit, la relation complète que te feront les frères que Ta Charité a envoyés2 te donnera connaissance de tout ce qui a été fait. Nous avons seulement eu soin de t’envoyer les noms de ceux qui ont été déposés, afin que Ta Gravité sache ceux qui
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1 Les évêques de Rome avaient autorité sur les Eglises de ces provinces suburbicaires, comme ceux d’Alexandrie sur la Lybie et la Thébaïde, ainsi que nous l’avons exposé en parlant des canons du concile de Nicée. il est à remarquer que le concile ne s’adresse pas à l’évêque de Rome pour lui demander une promulgation universelle ; qu’il ne demande pas la confirmation de ses décrets ; qu’il s’exprime au contraire de manière à prouver que l’autorité résidait en lui. Ces divers points sont incontestables, excepté pour ceux qui, de parti pris, se déclarent aveuglément pour la papauté.
2 Comme on voit, le concile ne mentionne comme, envoyés par l’évêque de Rome que les deux prêtres et le diacre mentionnés ci-dessus.
sont excommuniés, et que tu puisses en avertir, par tes lettres, tous nos frères et collègues que nous avons désignés précédemment. »
La lettre écrite par le concile aux empereurs est perdue.
Dans celle qui fut adressée pour l’Eglise d’Alexandrie aux évêques d’Egypte et de Lybie, les Pères s’exprimaient ainsi au sujet d’Athanase1 :
Les défenseurs de l’hérésie exécrable d’Arius « ont essayé de ternir l’innocence de notre frère et coévêque Athanase ; ils ont eu recours pour cela à la violence et à la tyrannie, et dans le jugement qu’ils ont prétendu rendre, ils n’ont eu ni sagesse, ni foi, ni équité. Nous nous sommes défiés, et des fables qu’ils avaient inventées, et des bruits qu’ils avaient répandus ; nous avons même eu la conviction qu’ils ne pouvaient prouver les choses qu’ils affirmaient être vraies. Quoiqu’ils fussent dans la ville de Sardique, ils refusèrent de se rendre dans l’assemblée de tous les saints évêques. Par là nous avons eu la preuve de l’équité du jugement rendu par notre frère et coévêque Julius qui n’a pas rendu son jugement d’une manière téméraire, mais après avoir soigneusement examiné l’affaire ; de sorte qu’il ne peut plus rester aucun doute au sujet de la communion qu’il faut accorder à notre frère Athanase, qui a pour lui le témoignage véridique de soixante évêques. »
Le concile expose ensuite les preuves qu’Athanase avait données de son innocence et de la culpabilité de ses premiers juges. En exigeant que le concile le reconnût d’abord comme coupable, les eusébiens demandaient que sa condamnation fût considérée comme juste, lorsque le concile avait entre les mains la preuve qu’elle était imméritée par l’enquête faite par ses ennemis eux- mêmes dans la Maréote. Après l’exposition abrégée des points de nullité qui ressortaient de cette enquête, les Pères du concile s’adressent en ces termes aux Eglises dépendantes d’Alexandrie :
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1 Ap. S. Athan., Apolog. cont. Arian., §§ 40 et seq.
« Très-chers frères, nous vous avertissons et nous vous exhortons de conserver avant tout la saine doctrine de l’Eglise catholique. Vous avez eu, il est vrai, de graves et nombreuses violences à supporter ; l’Eglise catholique a souffert des affronts et des injures ; mais celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé. Si vous avez encore des tribulations à supporter, considérez-les comme un sujet de joie, car ces afflictions sont une sorte de martyre, et les violences que vous aurez à subir seront récompensées par Dieu qui vous couronnera, lorsque vous aurez combattu. Combattez donc pour la saine doctrine et pour l’innocence de notre frère et collègue Athanase. »
Le concile dit ensuite qu’il s’était adressé aux empereurs en faveur de ceux qui étaient persécutés, et pour leur demander qu’à l’avenir les ecclésiastiques ne fussent plus soumis à des juges qui n’avaient à s’occuper que des choses temporelles ; que, sous de faux prétextes, on ne les troublât plus dans l’accomplissement de leurs devoirs et dans la profession de la foi catholique et apostolique.
Par ces détails on connaît le sens de la lettre adressée par le concile aux empereurs Constans et Constantius.
Les Pères disent ensuite que Grégoire, pseudo-évêque d’Alexandrie, avait été condamné et déposé par le concile ; qu’il ne devait plus être considéré comme évêque ; que le seul évêque légitime d’Alexandrie était Athanase et que ceux qui avaient adhéré à Grégoire devaient se hâter de rentrer dans le sein de l’Eglise catholique1.
1 Des faits relatés par nous sur les pièces authentiques, il résulte : 1° que Eusèbe de Nicomédie et ses partisans, craignant que l’Occident ne se déclarât pour Athanase, avaient envoyé à l’évêque de Rome leurs prétendues procédures contre l’évêque d’Alexandrie, espérant que cela suffirait pour le rattacher à leur parti ; 2° que Athanase, en présence de cette démarche, dut prouver que ces procédures étaient calomnieuses ; 3° que Julius, en présence des assertions contradictoires, fut amené à inviter les, parties à convenir entre elles du lieu, où l’on assemblerait un concile pour examiner leurs assertions contradictoires ; 4° que les eusébiens n’ayant pas indiqué de concile, Julius les invita à celui qu’il convoqua à Rome ; 5° que les eusébiens refusèrent par une lettre, où l’évêque de Rome était assez maltraité ; 6° que ce dernier leur répondit, en les engageant de nouveau à se rendre au concile pour donner les preuves à l’appui de leurs procédures ; 7° que ces évêques ne s’étant pas rendus à son invitation, Athanase et les autres ennemis des eusébiens furent reconnus orthodoxes.
Pour faire apprécier de nouveau la manière dont on traite les questions
A cette lettre, le concile avait joint les décrets rendus contre les principaux chefs du parti arien.
dans l’Eglise romaine, voici ce que dit son dernier historien, l’abbé Darras : « Le souverain pontife ( ?) annonça l’intention d’évoquer le jugement de cette affaire (de saint Athanase) à son tribunal. A cet effet, il indiqua, pour l’an 342, un concile à Rome même et il envoya deux prêtres, Elpidius et Philoxène aux eusébiens pour leur donner l’ordre de s’y rendre. (Histoire générale de l’Eglise, par l’abbé J. E. Darras, t. IX, p. 349.)
L’auteur a trouvé dans la lettre de Julius des preuves : que les eusébiens avaient attesté leur dévouement pour le saint siège (d’une manière suspecte, il est vrai) ; que les actes de Nicée avaient eu besoin de la confirmation du saint siège. (Page 350.)
Comment l’historien papiste a-t-il pu apercevoir de tels faits ? Voici son procédé : Pour faire son histoire, il a lu quelques récits des écrivains antérieurs ; puis il les a façonnés à sa manière, en ayant soin de faire toujours dominer la note papiste, sans se préoccuper des documents historiques dont il n’a jamais rien lu, qu’il indique rarement en note, ou qu’il n’indique que d’après des écrivains modernes copiés par lui.
Il nous parait utile d’attirer de temps à autre l’attention de nos lecteurs sur les procédés historiques employés par des écrivains que l’on exalte très-haut dans l’Eglise romaine, surtout lorsqu’on s’adresse à des personnes incapables d’en contrôler la qualité et la science.