— Symptômes de persécution générale et cruautés de Maximianus Herculius dans les Gaules.
— Etat de l’Église au moment de la grande persécution de Diocletianus.
— Édits de cet empereur.
— Les martyrs.
— Persécution à Nicomédie.
— En Arménie.
— En Syrie.
— En Afrique.
— En Mauritanie.
— En Thébaïde.
— En Égypte.
— En Phénicie.
— En Phrygie.
— Principaux martyrs dans les différentes Églises.
— Discipline au sujet des Tombés pendant la persécution.
— Canons de saint Pierre d’Alexandrie.
— Conciles de Cirthe et d’Elvire.
— Schisme de Meletios
— Fin de la persécution.
— Constantin le Grand, seul empereur.

 

 

Depuis quelques années, l’Église avait à souffrir des persécutions partielles de la part des collègues de Diocletianus. Lorsque cet empereur publia le sixième édit de persécution générale, il s’était associé trois collègues et avait partagé l’Empire romain en quatre parties, qui avaient chacune leur empereur. Pour lui, sa principale occupation était de satisfaire la plus sordide avarice et il ne reculait pas devant les crimes pour s’emparer des biens qui lui convenaient. Il s’était fixé à Nicomédie dont il voulait faire la rivale de Rome.

Son collègue Maximianus Herculius était digne de lui. C’était le type de la barbarie et de l’immoralité. Il régnait sur l’Italie, l’Afrique et l’Espagne, riches provinces qu’il épuisait par ses injustes extorsions.

Diocletianus et Maximianus avaient le titre d’Auguste. Ils donnèrent celui de César à Constantius et à Maximianus surnommé Galerius. Ce dernier était peut-être encore plus méchant que les deux empereurs ; Constantius, au contraire, était doux et juste. Il eut à gouverner les Gaules et toute la partie septentrionale de l’Empire. Galerius eut sous son despotisme l’Hyrie et les provinces danubiennes jusqu’au Pont-Euxin.

 

Avant que les Gaules eussent été confiées à Constantius, Maximianus Herculius y avait fait des martyrs. On cite toute une légion appelée Thébéenne qui souffrit la mort auprès d’Agaune dans les Alpes. Cette légion était composée tout entière de chrétiens et avait refusé d’exécuter des ordres sanguinaires de l’empereur. A Nantes, les deux frères Donatianus et Rogatianus ; à Amiens, l’évêque Firminus ; à Marseille, l’illustre soldat Victor, et un grand nombre d’autres en diverses parties des Gaules, supportèrent courageusement la mort pour la foi.

Des gouverneurs de province appliquaient aussi les anciens édits de persécution ; mais les violences et les atrocités devinrent générales, excepté dans le gouvernement de Constantius, lorsque Diocletianus eut publié en 302 un nouvel édit.

Malgré les persécutions dont elle avait été l’objet, l’Eglise, pendant les trois premiers siècles, avait fait d’immenses progrès. Si des empereurs l’avaient persécutée, d’autres lui avaient laissé toute liberté. Aussi le nombre des chrétiens était-il devenu très-considérable. Dans les villes, les Eglises étaient nombreuses ; les fidèles y accouraient en foule. Les édifices anciens dans lesquels on se réunissait, étant devenus trop petits, on en construisait de nouveaux sur de plus vastes proportions. Rien ne put arrêter ces progrès et cette prospérité tant que Dieu jugea son peuple digne de sa protection. Mais lorsque l’on abusa de la liberté que l’on possédait, pour oublier les vertus chrétiennes et que l’on vit des luttes s’élever entre les évêques et entre les Eglises, alors Dieu jugea que son peuple méritait d’être puni. Il lui envoya d’abord des persécutions moins violentes comme celles d’Aurelianus et de Valerianus ; mais il vit que ces leçons étaient inutiles. Le peuple continua ses dissensions et ne songea pas à apaiser la colère divine ; les pasteurs eux-mêmes oublièrent les plus saintes règles et exercèrent leur autorité, comme si elle était un pouvoir mondain. Ainsi parle Eusèbe.

Alors, continue cet historien, le Seigneur, dans sa colère, punit le peuple chrétien, comme il avait puni autrefois le peuple d’Israël. Nous vîmes les édifices sacrés rasés jusqu’au sol ; les saints livres brûlés sur les places publiques ; les pasteurs de l’Eglise se cachant honteusement, tantôt ici, tantôt là ; les autres pris et exposés aux huées de la populace.

D’abord Diocletianus avait ordonné de démolir les églises, de brûler les Ecritures et de réduire en esclavage tous ceux qui persisteraient à se dire chrétiens. Bientôt après, il publia un second édit par lequel il ordonnait de jeter les évêques en prison et de les obliger, par tous les moyens, à sacrifier aux Dieux.

Alors d’innombrables pasteurs de l’Eglise souffrirent avec courage les plus affreux tourments pour la foi. D’autres, frappés d’effroi, succombèrent au premier choc. Ceux qui souffrirent furent soumis à des tourments divers. Les uns étaient flagellés, les autres déchirés avec des ongles de fer, et supportaient les tourments les plus intolérables. Plusieurs expirèrent au milieu de ces supplices. Parmi ceux qu’on amenait aux temples pour sacrifier aux Dieux, les uns ne sacrifiaient pas, et étaient renvoyés comme s’ils se fussent soumis à la loi ; d’autres laissaient dire qu’ils avaient sacrifié, quoique, en effet, ils ne l’eussent pas fait. D’autres étaient portés à moitié morts aux temples et tombaient en y arrivant comme s’ils eussent été morts. D’autres étaient tramés par les pieds jusqu’au lieu du sacrifice et étaient comptés parmi ceux qui avaient obéi à la loi ; mais il s’en trouvait qui, à haute voix, attestaient qu’ils n’avaient pas sacrifié ; qui protestaient qu’ils étaient chrétiens ; qu’ils n’avaient pas sacrifié et qu’ils ne sacrifieraient jamais. Les soldats les frappaient sur la bouche pour les obliger à se taire. On voulait faire croire que les ordres impériaux étaient exécutés avec empressement.

 

 

On ne saurait dire combien de martyrs, dans tout l’empire, souffrirent pour Jésus-Christ h

L’édit de Diocletianus fut d’abord publié à Nicomédie où cet empereur résidait alors avec Galerius. Un notable de la ville, dont Eusèbe n’a pu dire le nom, arracha cet édit du mur où il était affiché et le déchira avec indignation. Il fut soumis aux plus atroces tourments et littéralement cuit, dit Lactance. Mais son courage ne se démentit pas.

On commença la persécution par la destruction de l’Eglise, vaste édifice que l’on voyait des fenêtres du palais. Galerius voulait qu’on y mît le feu. Diocletianus craignant que l’incendie ne se communiquât à la ville, préféra qu’elle fût démolie.

Parmi les eunuques du palais un grand nombre étaient chrétiens et Galerius les détestait. Cet homme horrible fit mettre le feu au palais et en accusa les eunuques pour lesquels Diocletianus avait beaucoup d’affection. Le vieil empereur crut à la calomnie et fit mettre ses eunuques à la question pour découvrir le coupable, et il les força, en même temps, à renoncer au christianisme. Parmi eux il y en avait un nommé Pierre, vraiment digne de ce nom pour la fermeté de sa foi. On lui fit supporter les tourments les plus atroces ; son corps, déchiré en lambeaux, fut couvert de sel et de vinaigre ; enfin on l’exposa à un feu ardent, et il mourut sans avoir faibli dans sa foi. Parmi ces eunuques, Eusèbe nomme encore Dorotheus et Gorgonius.

Galerius pour exciter la fureur de Diocletianus avait fait mettre une seconde fois le feu au palais et s’était enfui en plein hiver, disant qu’il ne voulait pas être brûlé. Diocletianus, devenu furieux, fit saisir les gens de sa maison et ordonna de les brûler en masse en les entourant d’un feu immense. Sa femme Prisca et sa fille Valeria qui étaient chrétiennes furent obligées de se souiller par un sacrifice idolâtrique. Bientôt, la persécution s’étendit à toutes les classes. Hommes, femmes, enfants étaient tramés aux temples ou aux tribunaux dans lesquels on avait placé des autels, afin que tous ceux qui y entraient fussent regardés comme apostats de la religion.

Maximianus Herculius publia en Italie l’édit de son collègue et le mit à exécution. Constantius se contenta d’ordonner la démolition des églises.

L’évêque de Nicomédie, Anthimos, fut un des premiers martyrs. Il eut la tête tranchée et il ouvrit ainsi la voie à une foule immense de fidèles qui souffrirent la mort après lui. Des familles entières étaient tuées à coups d’épée, ou jetées dans des bûchers. Le courage était tel parmi les chrétiens que l’on vit des hommes et même des femmes sauter avec joie sur le bûcher. D’autres, en nombre considérable, étaient chargés de chaînes et conduits sur la mer dans laquelle on les précipitait.

La persécution s’étendit bientôt dans les autres provinces de l’empire, en Arménie d’abord et en Syrie.

Alors Diocletianus rendit un troisième édit en vertu duquel tous les pasteurs de l’Eglise devaient être mis en prison. Tous les cachots furent donc remplis d’évêques, de prêtres, de diacres, de lecteurs et d’exorcistes. Il ne resta plus de place pour les criminels. Par un nouvel édit, Diocletianus donna ordre de mettre en liberté tous ceux qui sacrifieraient, et d’infliger les plus horribles tortures à ceux qui s’y refuseraient.

Il serait impossible, ajoute Eusèbe, de dire le nombre de ceux qui alors furent martyrisés, particulièrement en Afrique, en Mauritanie, en Thébaïde et en Egypte.

Plusieurs, de ce dernier pays, furent amenés en Phénicie, à Tyr et d’autres en Palestine, où ils furent exposés aux bêtes. Eusèbe fut témoin de leur martyre et il constate qu’aucun des animaux sauvages n’osa toucher aux corps des athlètes de Jésus-Christ. On fut obligé de tuer les martyrs à coups d’épée.

 

 

 

Les Egyptiens, qui souffrirent dans leur pays, ne furent pas moins courageux. Des pères de famille étaient mis à mort avec leurs femmes et leurs enfants. Aux uns on déchirait le corps avec des ongles de fer ; on jetait les autres à la mer ; à d’autres on tranchait la tête. Plusieurs furent crucifiés ayant la tête en bas attachée avec un clou ; et on les laissait mourir dans ce supplice.

Les tourments soufferts par les martyrs de la Thébaïde étaient plus atroces encore. On se servait, pour leur déchirer le corps, de têts de pots cassés, qui faisaient plus souffrir que les ongles de fer. Les femmes nues étaient pendues par un pied, la tête en bas, et offraient ainsi à la populace un spectacle aussi honteux que féroce. D’autres étaient attachés par les bras et les jambes à des branches d’arbres rapprochées de force et qu’on lâchait ensuite, de sorte que les corps des martyrs étaient horriblement écartelés. On faisait ainsi souffrir jusqu’à cent personnes par jour et ces atrocités durèrent plusieurs années. Les glaives des bourreaux étaient émoussés, et eux-mêmes n’avaient plus la force de tuer. Au lieu d’être effrayés, les chrétiens couraient à la mort comme à une fête. Eusèbe qui en fut témoin oculaire nous a conservé tous ces détails. Les fidèles allaient au tribunal avec joie, entendaient en riant leur sentence de mort, et chantaient des psaumes et des hymnes jusqu’à leur dernier soupir. Parmi eux on distinguait des hommes riches, nobles, savants, distingués par leur éloquence et leur philosophie, et qui sacrifiaient tout à Jésus-Christ. Parmi eux on distinguait Philoromos qui occupait une haute charge à Alexandrie, et Phileas, évêque de Thèbes, qui avait rempli les fonctions les plus importantes dans sa patrie et qui était distingué par sa philosophie.

Lorsqu’il était à Alexandrie, Phileas avait écrit aux fidèles de Thèbes pour les encourager au martyre qu’il alla bientôt souffrir au milieu d’eux.

 

 

 

A Alexandrie, les tourments infligés aux chrétiens étaient aussi atroces que ceux de la Thébaïde. L’imagination humaine ne pourrait rien inventer de plus horrible.

En Phrygie, une ville entière, composée de chrétiens, fut entourée par des soldats qui y mirent le feu. Hommes, femmes et enfants furent consumés dans les flammes. A la tête de cette ville était un noble citoyen romain, nommé Adauctus, qui mourut courageusement avec les habitants.

Chaque province de l’empire avait son supplice de prédilection. En Arabie, on tuait les fidèles à coups de hache ; en Cappadoce, on leur brisait les os ; en Mésopotamie, on les suspendait au-dessus d’un feu dans lequel on jetait du soufre. A Alexandrie, on aimait à les mutiler, à leur couper le nez, les oreilles, les mains et les autres parties du corps. A Antioche, on les brûlait à petit feu. Les soldats amenèrent dans cette ville une femme noble et ses deux filles d’une beauté remarquable. La mère fit comprendre à ses filles ce qui les attendait et ce qu’elles auraient à souffrir des outrages de leurs bourreaux. Lorsqu’elles approchèrent du fleuve, elles prièrent leurs bourreaux de leur permettre de s’éloigner un peu, et se jetèrent dans le fleuve. Deux autres femmes aussi belles que nobles et riches, furent jetées à la mer, comme si la terre, dit Eusèbe, n’eut pas été digne de l’honneur de les porter.

Dans la province du Pont, on infligeait aux fidèles des supplices horribles, on leur enfonçait des roseaux dans les bras, depuis le bout des doigts jusqu’en haut. A d’autres, on versait du plomb fondu sur le dos, et l’on brûlait ainsi les principales parties du corps. A d’autres, on infligeait des tourments sur le ventre et les parties secrètes ; il y avait, entre les bourreaux, comme une lutte pour inventer des supplices nouveaux et plus cruels.

Mais ils se fatiguèrent, et l’odeur du sang ne pouvait plus les surexciter. Alors ils osèrent parler de clémence impériale. Ne pouvant tuer tous les chrétiens beaucoup trop nombreux, ils se contentèrent, par bonté, de les estropier ou de leur arracher les yeux. Aux uns, on arrachait l’œil droit ; aux autres on brûlait la paupière, et, en cet état, on les envoyait aux mines.

Parmi les pasteurs de l’Eglise, ceux qui se distinguèrent.le plus par leur courage furent Anthimos, évêque de Nicomédie ; Lucianus, prêtre d’Antioche, homme de la plus éminente sainteté, et qui fit l’apologie de la religion à Nicomédie, en face de l’empereur lui-même ; Tyrannion, évêque de Tyr ; Zynovios, prêtre de Sidon ; Silvanus, évêque d’Émèse ; Silvanus, évêque de Gaza, qui eut la tête tranchée dans les mines avec quarante autres chrétiens ; deux prêtres d’Égypte, Pileos et Nilos qui furent brûlés avec plusieurs autres ; le prêtre Pamphilos à Césarée, en Palestine.

Parmi les martyrs d’Alexandrie, il faut placer au premier rang l’évêque Pierre, qu’Eusèbe surnomme excellent docteur de la religion chrétienne. Pendant les douze ans de son épiscopat, dit encore cet historien, il acquit beaucoup.de gloire. Cet épiscopat avait commencé trois ans avant la persécution, c’est-à-dire en 299. Toute sâ vie était très-sainte et il se préoccupait avec zèle des besoins de toute l’Église. C’est dans ce but qu’il rédigea sa lettre canonique qui a toujours été très-respectée d’ans l’Église. Nous la ferons connaître, lorsque nous exposerons les règles de discipline adoptées pour ceux qui faiblirent pendant la persécution.

Plusieurs prêtres d’Alexandrie se montrèrent dignes de leur évêque. Parmi eux se distinguèrent comme parfaits martyrs du Christ, Faustus, Dius et Ammonius. Les évêques de diverses églises d’Égypte, comme Hesychius, Pachymius et Théodore, outre Phileas dont nous avons déjà parlé, souffrirent aussi la mort pour la foi. On comptait jusqu’à six cents martyrs illustres dans ces églises.

 

 

Excepté les Gaules, toutes les provinces de l’empire étaient comme ravagées par trois animaux sauvages, dit Lactance, qui ajoute cette citation d’un poëte :

« Quand j’aurais cent langues, cent bouches et une voix de fer, je ne pourrais exprimer tous leurs crimes, et appeler par leurs noms les cruautés que dans toutes les provinces on infligea aux justes et aux innocents. »

Parmi les gouverneurs de province qui persécutèrent avec rage, Lactance nomme Hiéroclès, un philosophe qui n’attaquait le christianisme qu’en donnant aux chrétiens des conseils hypocrites et en les engageant, dans leur intérêt, à rejeter leurs superstitions. Hiéroclès était un de ces sophistes humanitaires qui savent au besoin répandre le sang de ceux qui ne partagent pas leurs opinions.

La persécution durait depuis trois ans, lorsque Diocletianus, malade et à demi-fou, fut obligé par Galerius de renoncer à l’empire. Maximianus Herculius en fit autant ; mais bientôt après reprit la pourpre. L’empire fut donc ravagé par un plus grand nombre de bêtes sauvages sous les titres d’empereur ou d’Auguste et de César : Galerius, Maximinus Daia, Maxentius, Licinius, Severus. Seuls, Constantius et son fils, connu dans l’histoire de l’Église sous le nom de Constantin le Grand, se montrèrent dignes de l’empire. Tous les autres étaient plutôt des bêtes féroces que des hommes.

Aussi la persécution continua-t-elle partout avec fureur.

Eusèbe nous a conservé, dans un ouvrage spécial, les combats des martyrs de la Palestine, dont il fut témoin oculaire.

Le premier martyr de cette province fut Procopius. Comme on l’engageait à faire des libations en l’honneur des quatre empereurs, il répondit en riant et en citant ce vers d’Homère :

« C’est une mauvaise chose d’avoir plusieurs maîtres ; un seul maître et un seul chef, c’est assez. »

Sur-le-champ on lui trancha la tête. Ce martyre eut lieu à Césarée. On amena dans la même ville métropole les évêques des autres églises de la province, qui y souffrirent avec courage d’affreux supplices. Les bourreaux ne tenaient pas à constater leur désobéissance aux lois, aussi se contentaient-ils souvent d’amener de force au temple ou aux tribunaux ceux qui refusaient de sacrifier ; ils proclamaient qu’ils avaient obéi aux édits, et si les chrétiens réclamaient contre ce mensonge, ils les frappaient sur la bouche pour les empêcher de parler. Parmi les évêques amenés à Césarée, il n’y eut donc qu’Alphée et Zachée qui furent mis à mort, après avoir souffert les plus épouvantables tourments.

On doit une mention spéciale au martyr Romanus qui souffrit à Antioche. II était originaire de Palestine, diacre et exorciste de l’Église de Césarée. Il arriva à Antioche comme on y exécutait l’édit en vertu duquel les églises devaient être démolies. Ayant vu des hommes, des femmes et des enfants qui se rendaient au temple pour sacrifier, il fut saisi d’un saint zèle et les apostropha avec véhémence. Aussitôt on s’empara de lui et on le condamna au feu. Romanus entendit la sentence avec joie. Lorsqu’il fut attaché au poteau et qu’on eut formé un bûcher autour de lui : « Où est le feu ? s’écria-t-il. » On attendait, pour le mettre, un dernier ordre de l’empereur qui se trouvait à Antioche. Le tyran pensa que le supplice du feu, seul, serait trop doux ; il se fit amener le martyr pour qu’on lui coupât la langue en sa présence. Romanus présenta lui-même sa langue aux bourreaux, et le supplice ne lui causa pas la moindre émotion. On le conduisit en prison où il mourut des tortures qui lui furent infligées.

A Gaza, Timothée fut brûlé à petit feu ; Agapius et Thecla furent condamnés aux bêtes. Le bruit s’étant répandu dans la ville qu’aux prochaines fêtes les deux martyrs seraient exposés aux bêtes, six jeunes chrétiens ambitionnèrent le même honneur : Timolaus, natif du Pont ; Denys, natif de Tripoli de Phénicie ; Romulus, sous-diacre de l’église de Diospolis ; deux Égyptiens nommés Pausis et Alexandre ; un autre Alexandre, natif de Gaza. Ces six jeunes gens se prirent par la main et coururent à l’amphithéâtre où se trouvait Urbanus. Ils se déclarèrent chrétiens. Leur courage frappa le gouverneur et tout le peuple. On ne voulut pas les livrer aux bêtes et ils furent envoyés en prison. Quelques jours après, deux autres jeunes gens suivirent l’exemple des six premiers ; l’un s’appelait Agapius et l’autre Denys. Ces huit jeunes gens eurent la tête tranchée à Césarée de Palestine.

Pour Agapius, il confessa plusieurs fois Jésus-Christ, fut déchiré par une bête sauvage et enfin jeté à la mer.

Peu de temps après, dans la même ville, un autre jeune homme âgé de vingt ans à peine, et nommé Apphianos, souffrit la mort pour la foi. Il appartenait à une famille riche de Pagas en Lycie, et il habita Byroute où ses parents l’avaient envoyé pour faire ses études. Au lieu de s’abandonner à ses passions comme les autres jeunes gens, il avait des mœurs pures et’tout à fait chrétiennes. De retour dans son pays, il ne trouva pas sa famille assez chrétienne, quitta sa patrie et se dirigea vers la ville de Césarée, où il entra en relation avec le célèbre Eusèbe. Alors le César Maximinus Daia arriva à Césarée ; les chrétiens furent traqués comme des bêtes fauves et tramés devant les tribunaux et aux temples. Pendant que tout le monde était dans la stupeur, Apphianos se rendit au temple où Maximinus était sur le point de sacrifier, lui prit la main pour l’en empêcher et l’exhorta à abandonner ses erreurs, à cesser ses violences, à adorer le seul vrai Dieu. Les soldats se jetèrent sur l’intrépide jeune homme, l’accablèrent de coups et le jetèrent dans un cachot où il resta un jour et une nuit les pieds dans des entraves. Il parut ensuite devant Maximinus qui assouvit lâchement sa cruauté contre le jeune martyr.

En sa présence on le frappa sur le visage avec tant de violence qu’il en devint méconnaissable même pour ses amis, et on lui déchira les chairs à trois reprises différentes, de sorte que ses os et ses entrailles étaient à découvert. Son courage ne se démentit pas un seul instant ; il refusa constamment de sacrifier. Alors on lui enveloppa les pieds d’étoupe trempée dans de l’huile et on y mit le feu. On ne pourrait décrire les souffrances que le saint martyr éprouva alors. Le feu consuma les chairs et pénétra jusqu’aux os. Le corps se liquéfiait peu à peu et produisait l’effet de la cire tombant sur le feu. Il ne céda pas à ces tortures et on le jeta de nouveau dans son cachot. Le troisième jour il montra la même constance et on le jeta dans la mer n’étant qu’à moitié mort.

Alors eut lieu un miracle dont Eusèbe, qui le rapporte, fut témoin oculaire, et en faveur duquel il en appelle au témoignage de la ville de Césarée tout entière. Au moment où le martyr était jeté à la mer, une tempête effroyable se déclara tout à coup ; la ville entière fut agitée comme par un tremblement de terre, et les flots ramenèrent le corps jusqu’aux portes de la ville. Telle fut, dit Eusèbe, la mort de l’admirable Ap-phianos.

Presque le même jour souffrit le martyre un jeune homme de Tyr, nommé Ulpianus, qui fut jeté à la mer enfermé dans un sac de cuir avec un chien et un aspic. Quelque temps après, Aidesios, frère d’Apphianos, souffrit également le martyre. Plus ancien que son frère, il avait fait des études plus approfondies et il portait le manteau de philosophe. Il avait d’abord été condamné aux mines de Palestine. Lorsqu’il en sortit, il se dirigea vers Alexandrie, où il fut témoin des cruelles sentences rendues par le gouverneur contre des hommes respectables et contre des vierges qu’il livrait à des marchands d’esclaves. Il osa, comme son frère, reprocher à ce gouverneur ses injustices en plein tribunal. Après avoir souffert d’horribles tortures, il fut jeté à la mer et mourut ainsi du même supplice que son frère.

Les tourments supportés à Cæsarée par les martyrs n’effrayaient pas les vrais fidèles. Pendant que ceux qui confessaient Jésus-Christ étaient au tribunal du gouverneur, une jeune-fille âgée à peine de dix-huit ans et nommée Theodosia, s’approcha d’eux pour les saluer et leur demander de se souvenir d’elle lorsqu’ils seraient auprès de Dieu. Saisie par les soldats comme si elle eût commis un crime, elle fut amenée au juge qui entra en fureur comme une bête sauvage et fit jeter à la mer la jeune vierge, après lui avoir fait déchirer tout le corps d’une manière horrible. Alors souffrirent à Cæsarée Sylvanus ; d’abord prêtre et confesseur, il fut martyrisé lorsqu’il venait d’être élevé à l’épiscopat. Domninus, connu dans toute la Palestine pour sa franchise et son éloquence, fut brûlé vif. Ce fut aussi alors, que le prêtre Pamphilos fut amené au gouverneur Urbanus, qui désirait voir un homme si connu pour son éloquence et sa philosophie. Il espérait l’amener à l’apostasie du christianisme ; mais ses tentatives furent vaines et il fit jeter l’illustre prêtre en prison.

A cette époque, Urbanus fut disgracié et remplacé par Firmilianus. On amena au nouveau gouverneur un grand nombre de chrétiens condamnés aux mines de porphyre en Thébaïde. Il y avait parmi eux des femmes et des enfants. Il leur fit à tous brûler un pied et arracher un œil, et les envoya aux mines de Palestine. Des chrétiens de cette province furent également tourmentés par ce gouverneur. Des chrétiens surpris à Gaza au moment où ils étaient réunis pour lire la sainte Ecriture, furent traités comme ceux de la Thébaïde et envoyés aux mines. Parmi eux était une vierge qui avait pris l’engagement de conserver sa virginité. Les menaces infâmes ou cruelles du gouverneur n’ayant produit sur elle aucun effet, il la livra aux bourreaux qui la torturèrent. Une autre vierge chrétienne, native de Cæsarée et nommée Valentina, témoin de ces atrocités, s’écria :

« Jusques à quand tourmenterez-vous ainsi ma sœur ? » On la saisit aussitôt, et le président chercha, par des flatteries et des menaces, à la faire sacrifier. N’y pouvant réussir, il lui fit déchirer tout le corps, puis la fit brûler vive avec la vierge de Gaza qu’elle appelait sa sœur.

Le même juge condamna à la peine capitale Paul de Cæsarée. Avant d’abandonner sa tête au bourreau, Paul demanda quelques instants. Les ayant obtenus, il pria Dieu pour les nations chrétiennes, afin que la paix leur fut rendue ; il pria ensuite pour la conversion des Juifs, puis pour les Samaritains ; enfin, pour la conversion des gentils. Il n’oublia ni la foule qui l’entourait, ni le juge qui l’avait condamné, ni les empereurs, ni le bourreau qui allait lui trancher la tête, et supplia Dieu de leur pardonner leur crime. La foule était émue et pleurait. Pour lui, avec le plus grand calme, il se découvrit la tête et la présenta au bourreau qui la fit tomber. Très-peu de temps après arrivèrent d’Égypte à Cæsarée, cent trente athlètes qui avaient eu un pied coupé et un œil arraché. On les envoya, partie aux mines de Palestine, partie à celles de Cilicie.

La persécution sembla alors se ralentir un peu. Galerius, frappé d’une maladie extraordinaire, pensa que Dieu vengait sur lui les martyrs des chrétiens, et publia un édit ainsi conçu :

« Parmi les moyens auxquels nous avons eu recours pour le bien et l’utilité de la république et pour ramener les mœurs des Romains à la sagesse des lois anciennes, nous avions résolu de-ramener les chrétiens à de meilleurs sentiments et aux traditions de leurs pères. En effet, les’ chrétiens étaient pris d’une telle folie qu’ils s’opiniâtraient à ne pas suivre la voie que leurs ancêtres leur avaient tracée, et à se donner des lois nouvelles selon leur fantaisie, et formaient des assemblées populaires en divers lieux pour les mettre en pratique. Lorsque nous leur avons ordonné de revenir aux coutumes anciennes, ils ont été exposés à des dangers dans lesquels plusieurs ont péri. Voyant que la plupart persévéraient dans leurs sentiments, refusant d’adorer les dieux et ne pouvant non plus adorer le Dieu des chrétiens, nous avons résolu, fidèle à cette clémence et à cette douceur qui nous sont habituelles envers tous les hommes, de leur en donner aussi une preuve à eux, en leur permettant d’être chrétiens comme auparavant et de se réunir, à condition de ne rien faire contre les lois. Par une autre lettre, nous dirons aux juges ce qu’ils auront à faire. Donc, profitant de cette permission, les chrétiens prieront leur Dieu pour nous, pour la république et pour eux-mêmes, afin que la république soit en sûreté et qu’ils puissent eux-mêmes vivre en paix dans leurs maisons. »

Lorsque cet édit fut publié, on ouvrit les prisons et les martyrs furent mis en liberté. Mais bientôt Galerius mourut et Maximinus Daia recommença la persécution, ordonnant de mutiler tous les chrétiens qui refuseraient de sacrifier, en leur coupant aux uns les mains, aux autres les pieds, le nez ou les oreilles ; en arrachant à d’autres les yeux.

Les ordres de Maximinus furent publiés dans toutes les provinces de l’empire soumises à sa domination. Mais cette recrudescence de persécution ne fit qu’enflammer le courage des chrétiens. A Cæsarée de Palestine, lorsque le gouverneur allait sacrifier aux dieux, trois chrétiens se précipitèrent vers lui, et l’exhortèrent à adorer le seul vrai Dieu. Qui êtes-vous, leur demanda Firmilianus. Nous sommes chrétiens, répondirent-ils. Le gouverneur fut effrayé, et fit trancher la tête aux trois héros, sans les soumettre préalablement’ à la torture. Le premier d’entre eux était le prêtre Antoninus ; le second, natif d’Eleutheropolis, s’appelait Zebinas ; le nom du troisième était Germanus. Le même jour souffrit une femme de Scythopolis, nommée Ennathas, et décorée des insignes de la virginité. Un tribun de son voisinage, nommé Maxis, homme brutal et immoral, la conduisit, nue jusqu’à la ceinture, dans toute la ville, en la frappant avec des lanières, et la ramena au tribunal, où elle fut condamnée à être brûlée vive.

Firmilianus fit un grand nombre d’autres martyrs et défendit d’enterrer leurs corps. Il les avait fait porter tous en un endroit où les animaux carnassiers venaient les dévorer. Les chiens allaient disputer les corps aux oiseaux de proie et apportaient jusqu’à l’intérieur de la ville des membres ou des entrailles.

Dans le reste de la Palestine, les mêmes cruautés avaient lieu. A Ascalon, trois martyrs se distinguèrent par leur courage. L’un d’eux, nommé Aris, fut brûlé ; les deux autres, Probus et Elias, eurent la tête tranchée. Un ascète, du nom de Pierre et surnommé Apselamos, fut amené à Cæsarée du pays d’Eleutheropolis. On l’engageait à avoir pitié de lui et à ne pas s’exposer à mourir si jeune. Mais il resta ferme et fut brûlé vif. Avec lui fut brûlé un certain Asclepius qui se disait évêque des Marcionites, guidé, dit Eusèbe, par un zèle qu’il croyait pieux, mais qui n’était pas selon la science.

Sa mort courageuse pour Jésus-Christ fut l’acte le plus sublime de la charité, et la charité efface toutes les fautes, à plus forte raison une erreur de bonne foi.

Eusèbe, après avoir raconté les martyres dont il fut témoin à Cæsarée et que nous avons mentionnés d’après lui, s’exprime ainsi :

 

« Il est temps maintenant de donner à la postérité le grand et illustre spectacle de ceux qui souffrirent le martyre avec Pamphilos, dont le nom m’est si doux. Ils étaient douze doués de la grâce des prophètes ou plutôt des apôtres dont ils rappelaient le nombre. Leur chef était Pamphilos, le seul d’entre eux qui fût décoré de l’honneur du sacerdoce à Cæsarée. Cet homme s’était distingué, pendant sa vie entière, par la pratique de toutes les vertus, son mépris du monde, sa charité envers les pauvres, son mépris de tous les honneurs mondains auxquels il aurait pu prétendre, sa conduite sévère et vraiment digne d’un philosophe. Il se distingua parmi tous les hommes de notre temps par son étude opiniâtre des saintes Ecritures, et par son infatigable travail pour atteindre le but qu’il s’était proposé. »

Après Pamphilos se distinguait Valens, diacre de la ville d’Ælia, c’est-à-dire, de Jérusalem, beau vieillard dont la chevelure blanche et l’air vénérable inspiraient le respect. Il avait fait une étude si approfondie des Ecritures qu’il les récitait de mémoire aussi correctement que s’il avait eu le livre sous les yeux. Le troisième était Paul, natif de la ville de Jamnia ; il avait déjà confessé la foi et supporté la torture du fer rouge.

Ces trois confesseurs étaient en prison depuis deux ans, lorsque l’arrivée à Cæsarée de cinq Egyptiens fut cause de leur martyre. Ces Egyptiens avaient accompagné par honneur, en Cilicie, des chrétiens condamnés aux mines de ce pays. En retournant en Egypte, ils arrivèrent à Cæsarée où on leur demanda d’où ils venaient et où ils allaient. Ils répondirent sans avoir recours à aucun subterfuge, ce qui était la vérité. Conduits devant Firmilianus, ils confessèrent leur foi et furent mis en prison. Le surlendemain ils furent amenés au tribunal avec Pamphilos et ses compagnons dont nous avons parlé. Les Egyptiens furent d’abord interrogés. Firmilien leur ayant demandé leurs noms, ils ne donnèrent pas ceux que leurs parents païens leur avaient donnés, et prirent ceux des prophètes Élie, Jérémie, Isaïe, Samuel et Daniel. Firmilianus n’y attacha aucune importance et ne comprit pas leurs motifs. De quel pays êtes-vous, ajouta-t-il ? Le premier d’entre eux, prenant la parole, répondit : « Nous sommes de la Jérusalem spirituelle dont Paul a dit : « La Jérusalem d’en haut est libre et « notre métropole à tous. Vous êtes venus à la Jérusalem céleste, à la montagne de Sion, à la cité du Dieu « vivant. » — Qu’est-ce que cette ville, répondit stupidement le gouverneur, et en quel pays est-elle située ? »

Pour obliger le confesseur à lui donner le renseignement qu’il demandait, Firmilianus lui fit endurer des tortures avec des machines nouvelles dont il était l’inventeur. Le courageux chrétien ne semblait pas en être même impressionné et continuait à donner des renseignements mystiques sur la cité des élus. Firmilianus se croyait sur la voie d’une découverte importance et s’imaginait que les chrétiens possédaient une ville, émule et ennemie de Rome ; aussi faisait-il d’incroyables efforts pour obtenir des renseignements plus précis sur la capitale des chrétiens. Voyant qu’il ne pouvait rien savoir de plus, il condamna le martyr à avoir la tête tranchée. Il se fatigua à interroger les autres Egyptiens, et n’en pouvant tirer rien de précis sur la fameuse ville, il les condamna aussi à être décapités.

Il interrogea ensuite Pamphilos et ses compagnons. Sachant que les tortures ne leur feraient point apostasier la foi, il leur demanda seulement s’ils voulaient obéir aux ordres des empereurs. Ne pouvant en obtenir que la profession de leur foi, il les condamna à avoir la tête tranchée. En entendant cette sentence, un jeune homme, nommé Porphyre, appartenant à la famille de Pamphilos, et qui avait reçu les leçons de ce grand homme, éleva hardiment la voix du milieu de la foule, pour demander l’autorisation d’ensevelir les corps des condamnés. A ces mots, le gouverneur entra dans une fureur digne d’une bête sauvage, et demanda au courageux jeune homme s’il était chrétien. Sur sa réponse affirmative, il ordonna aux bourreaux de le soumettre aux plus cruelles tortures, sans aucune considération pour son âge. Le jeune chrétien refusant toujours de sacrifier, il lui fit mettre les chairs en lambeaux, au point que l’on voyait ses os et ses entrailles. Toutes les tortures furent inutiles et Porphyre fut condamné à être brûlé vif séance tenante. Il entendit la sentence en souriant ; mit sur ses épaules son manteau de philosophe et se dirigea vers le bûcher. En voyant les flammes étinceler, il invoqua le Seigneur Jésus et souffrit la mort avec un calme héroïque, et sans prononcer une seule parole.

Un ancien officier, nommé Seleucus, vint annoncer à Pamphilos le martyre de son jeune parent. A peine avait-il fait connaître la nouvelle et embrassé un des martyrs qu’il fut saisi par les soldats et amené au gouverneur qui le condamna à être décapité. Seleucus était originaire de Cappadoce. Sa tournure martiale et son aptitude pour les exercices militaires lui avaient fait obtenir un grade assez élevé. Il avait quitté l’armée au début de la persécution, après avoir confessé sa foi et avoir été pour cela frappé de verges, Débarrassé du service militaire, il ne s’occupait qu’à faire du bien aux faibles et aux malheureux.

Un vénérable vieillard du nom de Théodulos fut arrêté pour les mêmes motifs que Seleucus. Il était de la famille du gouverneur Firmilianus et jouissait du respect de tous. Le gouverneur lui témoigna une haine particulière et le condamna à être crucifié. Il souffrit ainsi le même martyre que le Sauveur lui-même.

Au moment où les martyrs souffraient la mort, un nommé Julianus arrivait de fort loin à Cæsarée. Ayant appris ce qui se passait, il courut au lieu du supplice et ayant vu les corps des martyrs étendus à terre, il les embrassa avec vénération. Surpris lorsqu’il commettait cet énorme forfait, il fut conduit sur-le-champ à Firmilianus qui ordonna d’allumer un bûcher et de l’y brûler vif. Julianus, en entendant la sentence, remercia Dieu qui l’avait appelé à un si grand honneur. Il était de Cappadoce, remarquable par la sincérité de sa foi, fort instruit et rempli de l’Esprit-Saint.

Tels furent les compagnons du martyr Pamphilos, le plus illustre d’entre eux. Tout le monde parlait encore de leur mort à Cæsarée, lorsque deux hommes du pays de Manganea arrivèrent dans cette ville pour y visiter les confesseurs de la foi. Ils se nommaient Adrianus et Eubulos. Interrogés sur ce qu’ils venaient faire à Cæsarée, ils l’avouèrent ingénument et furent condamnés à mort. On les égorgea après les avoir exposés aux bêtes.

Firmilianus qui avait condamné à mort tant d’innocents fut disgracié et décapité ; trop doux supplice pour cet atroce persécuteur !

Vers la fin de la septième année (309), la persécution s’était un peu ralentie et, pendant la huitième, vers l’époque où Galerius s’était montré plus tolérant, les chrétiens de la Palestine, condamnés aux mines, jouissaient d’une telle liberté qu’ils avaient construit des Eglises. Mais le féroce gouverneur eut bientôt pris des mesures pour faire cesser cette liberté. Les chrétiens condamnés furent donc envoyés les uns en Chypre, les autres dans le Liban, ou dispersés dans les différentes mines de Palestine. Ils furent tourmentés de toutes les manières. Pour les effrayer, on en choisit quatre d’entre eux, Peleos et Nilos, évêques égyptiens, un prêtre et un notable nommé Patermuthius, et on les condamna à être brûlés, lorsqu’ils eurent refusé de renier leur foi.

Π y avait parmi les confesseurs des vieux et des infirmes qui ne pouvaient pas travailler. A leur tête était l’évêque Silvanus, natif de Gaza et plusieurs Egyptiens entre lesquels on distinguait surtout un nommé Jean. Il était déjà aveugle, lorsque la persécution commença, ce qui n’empêcha pas de lui brûler un œil dont il ne voyait pas et de lui mutiler un pied avant de l’envoyer aux mines. Ce vénérable vieillard connaissait si bien l’Ecriture sainte qu’il la récitait textuellement, comme s’il eût eu le livre sous les yeux. Eusèbe l’entendit, dans les assemblées des fidèles, réciter ainsi à haute voix les livres de l’Ancien comme du Nouveau Testament, et ne put s’apercevoir qu’en approchant très-près de lui qu’en réalité il ne lisait pas. L’évêque Silvanus avait souffert beaucoup depuis le commencement de la persécution.

Lorsque Galerius fut mort, Maximinus ayant ordonné de nouvelles rigueurs contre les chrétiens, tous les vieillards qui ne pouvaient travailler aux mines, au nombre de trente-neuf, avec Silvanus et Jean, furent décapités le même jour.

Ainsi finit, dit Eusèbe, la persécution en Palestine, après huit années de violences. Elle avait commencé par la démolition des églises ; puis elle s’étendit aux personnes qui souffrirent avec courage. Les martyrs furent innombrables, dans toutes les provinces, ajoute Eusèbe, surtout en Lybie, en Egypte, en Syrie, dans tout l’Orient jusqu’à l’Illyrie. Les provinces situées au-delà, c’est-à-dire, l’Italie et la Sicile, la Gaule et les autres provinces occidentales, comme l’Espagne, la Mauritanie et l’Afrique, ne souffrirent guère de la persécution que pendant les deux premières années. Dieu voulut épargner de trop fortes épreuves à la simplicité et à la foi de ces hommes. C’est la réflexion de l’évêque de Cæsarée. Il est certain en effet que, depuis les apôtres, la foi et la vie intellectuelle étaient plus répandues et plus développées dans les Eglises d’Orient que dans celles d’Occident. Les Eglises de l’Italie elle-même jetèrent fort peu d’éclat, quoique si rapprochées de la capitale de l’empire et de l’Eglise de Rome, la seule qui fût incontestablement d’origine apostolique en Occident. Il est a remarquer que les hommes qui, depuis les apôtres, jusqu’à la fin du troisième siècle, écrivirent en Occident pour la défense du christianisme ou de ses doctrines, appartenaient à l’Orient ou à l’Afrique. L’Eglise romaine ne peut revendiquer qu’un très-petit nombre d’écrivains dignes d’être comptés parmi les Pères de l’Eglise. Saint Clément lui-même, un de ses premiers évêques, malgré son nom d’origine latine, semble avoir appartenu à l’Orient ainsi que Saint Hippolyte.

Bien que la persécution n’eut été ni aussi cruelle ni aussi continue en Occident qu’en Orient, il ne faudrait pas en conclure que les martyrs n’y aient pas été nombreux.

Nous avons déjà mentionné la persécution qui eut lieu dans les Gaules sous Maximianus Herculius avant la publication de l’édit général de Diocletianus.

Lorsque ce vieil empereur, après avoir déposé la pourpre, l’eut reprise (307), il marcha contre Constantin qui avait été déclaré Auguste après la mort de son père Constantius Chlorus. Son passage dans les Gaules fut marqué par des violences contre les chrétiens.

Les principaux martyrs occidentaux pendant la persécution de Diocletianus furent : l’évêque Sabinus à Assise en Italie, avec ses deux diacres, Marcellus et Exuperantius ; l’évêque Félix, de Tibiure dans l’Afrique pro-consulaire. Dans cette partie de l’Eglise, les persécuteurs exigeaient surtout qu’on leur livrât les saintes Ecritures pour les brûler, et les vases sacrés. Dans la même province, à Abétine, un grand nombre de martyrs, à la tête desquels était le prêtre Saturninus, donnèrent leur vie pour la foi. L’Espagne a conservé la mémoire des martyrs Vincentius, Eulalia, Justus et Pastor. En Sicile souffrit le diacre Euplius ; à Arles, dans les Gaules, Genesius. L’illustre martyr George souffrit alors, probablement en Orient quoiqu’il ait été également célèbre en Occident. Cyprien évêque d’Antioche ; Methodius évêque de Tyr ; les deux frères Cosmas et Domianus de Cilicie donnèrent à la même époque leur vie pour la foi. Alors aussi souffrirent à Rome les illustres vierges Soteris et Agnès ; le jeune Pancratius ; Sebastianus dont le martyre est resté célèbre dans tout l’Occident ; le prêtre Marcellinus ; l’exorciste Pierre.

Dans le reste de l’Italie, les martyrs principaux furent à Bologne : Agricola et Vital ; à Milan : Nazarius,

 

 

Celsus, Nabor, Félix, Gervasius et Protasius. Ces deux derniers surtout sont restés célèbres. A Aquilée, souffrirent Cantius, Cantianus, leur sœur Cantianilla, et leur gouverneur Protus.

Les autres martyrs les plus illustres furent Afra d’Augsbourg en Rhétie ; Irænæus, évêque de Sirmium en Pannonie et Serenus, jardinier dans la même ville ; Montanus, prêtre de Singidum dans la même province ; Pullio, lecteur de l’Eglise de Sirmium ; Philippe, évêque d’Héraclée en Thrace ; à Thessalonique : Agatho, Agapius, Chionia, Irène, Casia, Philippa, Eutychia, Anysia, Demetrius ; à Tarse en Cilicie, Tharacus, Probus et Andronicus ; Julitta et son jeune fils Cyricus. A Amasias, dans le Pont, Théodore ; à Siscia, en haute Pannonie, l’évêque Quirinus.

Dans toutes les Eglises, on a honoré la mémoire de quelque martyr dont les souffrances et le courage avaient mérité l’admiration des fidèles. On possède des actes très-édifiants et authentiques de plusieurs ; d’autres ne sont connus que par de pieuses et respectables traditions.

De tous les faits et de toutes les traditions des Eglises, il résulte que, pendant dix ans environ, le sang chrétien coula à flots dans la plus grande partie de l’Empire romain, et que le paganisme, armé de toute la puissance impériale, essaya de détruire le christianisme, en tuant les chrétiens.

Vains efforts. Le sang des martyrs était resté, comme du temps de Tertullien, une semence de nouveaux chrétiens, et lorsque la persécution cessa, le christianisme apparut radieux, comme le soleil après l’orage.

Pendant les dernières années de la persécution sous la tyrannie de Maximinus, on ajouta aux violences, les calomnies et les accusations infâmes contre le Christ et les chrétiens. On répandait ces accusations partout ; on les gravait sur l’airain ; on les faisait apprendre aux enfants dans les écoles. Les gouverneurs des villes secondaient les fureurs du tyran ; et il ne manquait pas d’idolâtres fanatiques pour leur servir d’instruments.

Mais le mensonge et la perfidie n’obtinrent pas plus de succès que la cruauté ; les tyrans disparurent les uns après les autres, laissant l’Eglise purifiée et prospère.

Pendant que les persécuteurs s’abandonnaient aux inspirations de leur rage contre Jésus-Christ, les pasteurs de l’Eglise se préoccupaient de maintenir la discipline dans toute sa pureté. Si les martyrs furent nombreux, les chrétiens qui faiblirent le furent également. Le degré de leur culpabilité était différent selon les circonstances. Les pasteurs de l’Eglise ne voulaient pas être trop rigoureux envers les Tombés, et cependant ils ne pouvaient admettre qu’à certaines conditions leur réintégration dans la société des fidèles.

La quatrième année de la persécution, le grand évêque Pierre d’Alexandrie crut devoir notifier à son troupeau les règles à suivre, et fit des canons qui ont toujours été respectés par l’Eglise.

Nous devons analyser ce respectable monument de la discipline de l’Eglise.

Ceux qui ont souffert pour la foi, n’ont été vaincus que par la faiblesse de la chair, et se repentent, depuis trois ans, de leur faiblesse, sans avoir pu être réintégrés dans l’Eglise, jeûneront pendant quarante jours très-rigoureusement à l’exemple de Notre Seigneur Jésus-Christ, et seront réconciliés à Pâques.

Ceux qui ont été seulement mis en prison ; qui ont fait pénitence depuis trois ans, la feront encore pendant un an.

Pour ceux qui n’ont rien souffert, qui ont seulement cédé à la crainte, et veulent faire pénitence, on attendra encore un an comme pour le figuier stérile ; et si, au bout de ce temps, ils produisent des fruits de pénitence, on avisera à leur réintégration.

 

Ceux qui ne changent pas de peau, comme l’Ethiopien, ou en changent trop souvent comme le léopard, on les abandonnera à leur malheureux sort.

Ceux qui ont usé d’artifice pour se soustraire aux épreuves, ne peuvent être absolument condamnés, puisqu’ils n’ont pas apostasié en réalité ; on ne leur imposera donc que six mois de pénitence.

Les esclaves qui ont été emprisonnés pour leurs maîtres et ont apostasié, seront condamnés à un an de pénitence ; mais les maîtres, qui ont été cause de cette apostasie, feront pénitence pendant trois ans.

Ceux qui après avoir succombé se sont repentis et ont souffert la prison et les tourments pour la foi, doivent être considérés comme absous et l’on devra communiquer avec eux dans la participation au corps et au sang du Seigneur et dans les prières.

On doit communiquer avec ceux qui se sont livrés eux-mêmes et qui ont pu ainsi exciter la persécution contre leurs frères, car ils ont agi ainsi par zèle, quoique leur zèle n’ait pas été éclairé. A l’exemple des apôtres et des hommes apostoliques, il faut attendre la persécution et non pas la rechercher.

Mais les clercs qui ont faibli après s’être présentés aux persécuteurs, et qui ont réparé ensuite leur faute en confessant la foi, ne doivent plus exercer leur ministère ; il suffit de les recevoir à la communion.

Il est permis de prier pour ceux qui sont morts avant d’avoir été réintégrés dans l’Eglise, lorsqu’ils n’ont faibli qu’après avoir supporté des tourments pour la foi. On peut s’unir à la douleur de leurs parents, car la prière peut opérer des miracles en leur faveur et leur mériter que l’avocat que nous avons auprès du Père, Notre Seigneur Jésus-Christ, leur obtienne le pardon de leurs péchés.

On ne peut pas blâmer ceux qui, à prix d’argent, se sont soustraits au péril ; car, s’ils n’ont pas souffert dans leur corps, ils ont souffert dans leurs biens.

Il ne faut pas non plus incriminer ceux qui ont pris la fuite.

On ne peut imputer clos actes extérieurs d’apostasie, à ceux qui ont été bâillonnés et qui ont eu les mains brûlées, afin de les forcer à faire acte d’idolâtrie, sans pouvoir protester. Il faut, au contraire, considérer ces fidèles comme des confesseurs de la foi.

Après ces canons de pénitence, saint Pierre d’Alexandrie condamne ceux qui blâmaient l’abstinence en usage dans l’Eglise le mercredi et le vendredi ; et il affirme que cet usage était venu des siècles précédents. Le motif de l’abstinence du mercredi était le souvenir du conseil dans lequel les Juifs prirent la résolution de trahir Jésus-Christ ; et celui de l’abstinence du vendredi était la mort du Seigneur. Le dimanche, ajoute saint Pierre, nous nous réjouissons à cause de la résurrection du Seigneur et, ce jour-là, nous ne fléchissons pas le genou.

Les règles de saint Pierre d’Alexandrie avaient surtout un grand caractère de douceur et de clémence. L’évêque de la Thébaïde, Meletios, qui était le second évêque de l’Egypte, ne les approuva point ; il envoûtait de plus rigoureuses. La plus grande partie des évêques et des clercs furent de l’avis de Meletios, et ainsi commença un schisme déplorable. Cependant, Meletios ne devint point hérétique, comme Novatianus de Rome ; sa foi resta pure ; il se montra très-courageux pendant la persécution, et fut condamné aux mines. Dans tous les pays où il allait travailler, il instituait des évêques, des prêtres, des diacres, qui ne communiquaient pas avec les autres. C’est ainsi qu’il en établit en Palestine, et particulièrement à Eleutheropolis, Gaza et Ælia, c’est-à-dire Jérusalem. Les partisans de Pierre d’Alexandrie s’intitulaient l’Église catholique, parce qu’ils étaient en possession dé l’ancienne succession ; les partisans de Meletios s’intitulaient Église des martyrs.

Saint Pierre d’Alexandrie ayant été martyrisé, eut pour successeur, Achillas, auquel succéda Alexandre. Meletios vécut en bons termes avec lui et il fut le pre-prêtres et aux diacres de s’abstenir de leurs femmes, sous peine d’être privés du ministère.

On peut croire, d’après ce canon, que c’est d’Espagne qu’est venue en Occident la première idée du célibat ecclésiastique forcé.

On mentionne, au canon vingt-sixième, le jeûne du samedi. Déjà, sur ce point, la coutume de l’Occident n’était pas la même que celle de l’Orient. Le canon trente-sixième interdit les peintures sur les murailles de l’Eglise, de peur que ce qui est adoré ne fut représenté. On sait que le culte chrétien était resté secret jusqu’alors, dans la crainte de l’exposer aux insultes des profanes.

Le concile d’Elvire ne fut jamais considéré que comme un concile local, et ses canons n’ont jamais fait partie du Droit ecclésiastique généralement adopté dans toute l’Eglise.