— Zèle de Constantin pour l’Eglise.
— Il ordonne de bâtir des églises, surtout en Palæstine ;
— Hélène, sa mère, se rend en celte province pour faire exécuter ses ordres.
— Découverte de la croix de Jésus-Christ.
— Eglises à Jérusalem, â Bethléem, au mont des Oliviers.
— Constantin quitte l’Orient et se rend à Rome.
— L’idolâtrie lui porte un défi.
— Irritation de l’empereur.
— Sa femme Fausta le trompe sur les intentions de Crispus et du fils de Licinius.
— Les deux princes meurent de mort violenté.
— Hélène à Rome.
— Elle éclaire Constantin sur les intrigues de Fausta qui est mise à mort.
— Constantin quitte Rome et se dirige vers l’Orient.
— Projet d’une nouvelle capitale de l’empire.
— Byzance transformée devient Constantinople.
— Mouvement chrétien dans l’empire.
— Etat de l’Eglise d’Orient pendant le séjour de Constantin en Occident.
— Alexandre d’Alexandrie et Meletios.
— Saint Athanase succède à Alexandre.
— Saint Antoine à Alexandrie.
— Recrudescence de l’arianisme.
— Arius rappelé d’exil.
— Rappel d’Eusèbe de Nicomédie et de Theognis.
— Athanase accusé se justifie.
— Emeute à Antioche contre saint Eustathe qui est déposé.
— Eusèbe de Cæsarée refuse de prendre sa place.
— Zèle de Constantin pour la paix et l’unité de l’Eglise.
— Il veut se rendre à Jérusalem.
— La division de l’Eglise l’en détourne.
— Saint Athanase accusé de nouveau.
— Concile de Tyr.
— Arius au concile de Jérusalem.
— Athanase à Constantinople.
— Concile dans cette ville.
— Exil d’Alhanase.
— Déposition de Marcellus d’Ancyre.
— Discussions entre cet évêque et Eusèbe de Cæsarée.
— Arius à Constantinople.
— Sa mort.
— Constantin va à Nicomédie, où il est baptisé.
— Sa mort.
— L’Eglise en dehors de l’empire romain.
— Evangélisation de l’Abyssinie et de l’Ibérie.
— Eglise de Perse.
— Elle est persécutée par Sapor.
— Lettre de Constantin à ce roi.

(Années 326-337)

Après le concile de Nicée, Constantin ressentait une grande joie1 en pensant que toute l’Eglise, unie dans une même foi, allait jouir d’une paix profonde et pourrait travailler plus efficacement à la propagation du christianisme dans toutes les classes de la société. En mémoire du grand événement auquel il avait si largement contribué, il décida qu’une église serait bâtie à Jérusalem sur le Calvaire, où s’était accompli le sacrifice de la rédemption du monde. Π chargea de ce soin Macarius,


1 Euseb., De Vit. Constant., lib. III, c. c. 25 et seq. ; Socrat., Hist. Eccl., lib. I, c. 17 ; Sozomen., Hist. Eccl·., lib. II, c. 1 ; Theodoret., Hist. Eccl.. lib. I, c. c. 16, 17.

évêque de Jérusalem, auquel il écrivit à ce sujet une belle lettre qu’Eusèbe a conservée. Hélène, mère de l’empereur, seconda ce pieux projet et se transporta en Palæstine pour veiller à son exécution. Hélène était une chrétienne fervente. Arrivée à Jérusalem, elle monta au Calvaire et y fit exécuter des fouilles, afin de trouver la croix sur laquelle Jésus-Christ avait été crucifié. Les Juifs étaient dans l’usage d’enterrer l’instrument du supplice à l’endroit même où le condamné avait été mis à mort. C’était là une indication précieuse ; mais depuis que le paganisme avait déclaré la guerre au christianisme, on n’avait rien négligé pour effacer tout souvenir de l’Homme-Dieu. On avait amoncelé des décombres sur le Calvaire, au point de changer entièrement la physionomie des lieux ; on y avait élevé des constructions, et en particulier un temple dédié à Vénus.
Malgré ces précautions, le souvenir du lieu sacré, où le Sauveur était mort et ressuscité, s’était conservé dans le cœur des chrétiens. Dès que Constantin eut donné l’ordre de construire une église en ce lieu, on enleva les décombres accumulés par les païens et l’on découvrit la grotte où le corps du Christ avait été enseveli. A côté, on découvrit trois croix, et un écriteau qui en était séparé et sur lequel on lisait écrites dans les trois langues, hébraïque, grecque et latine, ces paroles : « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs. » Les trois croix étaient semblables, et il était difficile de reconnaître celle de Jésus- Christ, car l’écriteau, qui l’aurait fait distinguer des deux autres, en avait été arraché.
Macarius, évêque de Jérusalem, résolut de s’adresser à Dieu lui-même pour savoir quelle était la croix qu’il faudrait vénérer. Il y avait alors à Jérusalem une femme atteinte d’une maladie mortelle. Macarius fit transporter au domicile de la malade les trois croix. Hélène et ses officiers s’y rendirent avec l’évêque. On fit toucher à la malade deux des croix sans résultat. Dès qu’on lui fit toucher la troisième, elle ouvrit les yeux et sauta de son lit en pleine santé. Ce miracle eut un

immense retentissement dans l’Eglise, et l’on établit, en souvenir de l’invention de la sainte croix, une fête qui a toujours été célébrée avec solennité dans l’Eglise1.
Pendant que l’on construisait, d’après un plan magnifique, la grande église que Constantin avait ordonné d’élever sur le Calvaire2, Hélène en faisait bâtir deux autres : l’une à Bethléem où le Christ était né, et l’autre sur la montagne des Oliviers d’où il était monté au ciel3. Après avoir quitté la Palæstine, elle parcourut l’Orient, faisant du bien aux pauvres et aux Eglises, et donnant l’exemple de toutes les vertus. Pendant ce temps-là, Constantin quittait l’Orient pour se rendre à Rome, où il devait célébrer les fêtes de la vingtième année de son règne.
Au milieu du mouvement qui emportait le monde vers le christianisme, Rome était restée païenne. Sans doute il y existait une Eglise riche et florissante, mais ses membres étaient en minorité dans la ville. Le sénat était resté presque tout entier païen ; l’administration était païenne, et aucun décret n’était venu jusqu’alors mettre un terme à la religion officielle qui était une des branches de l’Etat. L’empereur, malgré tout ce qu’il avait fait en faveur du christianisme, était toujours, officiellement,


1 Cette fête est encore célébrée par l’Eglise catholique orientale et par l’Eglise romaine.
Sous devons faire observer qu’Eusèbe n’a pas mentionné le miracle raconté par Théodoret, Socrate et Sozomène.
2 Sozom., Hist. Eccl., lib. II, c. 2.
3 Eusèbe (De Vit. Constant., lib. III, c. c. 31 et seq.) donne la description de la première église du saint sépulcre à Jérusalem. D’abord la grotte, où le Christ fut déposé après sa mort, fut ornée de belles colonnes et d’autres travaux d’art. Après la grotte était une vaste cour autour de laquelle, sur trois côtés, étaient des galeries. Le quatrième côté de la cour était occupé par la basilique dont la façade était remarquable par ses dimensions et son architecture. A l’intérieur, les murs de la basilique étaient en mosaïque ; à l’extérieur, ils étaient en pierre blanche imitant le marbre. Le toit était en plomb, à l’extérieur ; à l’intérieur, il était couvert de lames d’or d’où s’élançaient des rayons étincelants dans toute la basilique. Sur chaque côté de l’édifice on avait construit des portiques divisés en deux étages, l’un sous terre et l’autre apparent, rehaussés d’ornements d’or. L’édifice était couronné par un dôme reposant sur douze colonnes qui figuraient les douze apôtres. Entre les colonnes était le presbytère ou sanctuaire, dans lequel se plaçaient l’évêque et les prêtres. Ce beau monument fut brûlé par les Perses, en 614. Les chapiteaux de ces colonnes étaient rehaussés d’ornements en argent ciselé. L’édifice était isolé des habitations par un vaste terrain entouré de galeries et sur lequel s’ouvraient les portes qui conduisaient à la cour qui précédait l’église.

le souverain pontife du culte païen, et il figurait, sur les médailles et les inscriptions publiques, comme l’associé des Dieux. Le peuple romain était toujours attaché à ses vieilles superstitions et n’avait pas entendu parler, sans dépit, de la protection que Constantin accordait à un culte qu’il détestait et méprisait sans le connaître.
Constantin arriva à Rome au mois de juillet 326. Il fut reçu d’abord avec froideur ; mais ce sentiment devint de la colère, lorsqu’on vit que l’empereur ne prenait aucune part aux fêtes, où se trouvaient mêlés des rites idolâtriques. Dès lors, il ne put sortir dans les rues sans être l’objet de clameurs violentes et d’insultes. Il songea d’abord à en tirer vengeance, mais, après réflexion, il les méprisa. Cependant il comprit que le paganisme était encore une puissance redoutable et qu’il devait concentrer tous ses efforts pour le détruire. Il craignait qu’après sa mort, un successeur infidèle ne rendît à l’idolâtrie le prestige et la puissance dont elle avait tant abusé, et ne s’attaquât à l’œuvre chrétienne et civilisatrice qu’il avait entreprise.
Il était dominé par ces pensées lorsqu’on lui annonça une conjuration dont le centre était à Rome, et dont les chefs seraient son fils Crispus et son neveu, le jeune fils de Licinius, représenté par sa mère Constantia.
Constantin avait eu deux femmes. De la première, Minervina, il avait eu un fils nommé Crispus. De la seconde, Fausta, fille de Maximianus il avait trois fils. Auprès de lui étaient les trois fils que Constantius Chlorus avait eus d’une autre femme qu’Hélène, mère de Constantin. Dans une famille dont les membres avaient des intérêts si opposés et des antipathies naturelles, on peut croire que les intrigues ne manquaient pas. La religion s’y trouvait mêlée, car tandis que les uns, à l’exemple de Constantin, se prononçaient ouvertement pour le christianisme, les autres conservaient des sympathies secrètes pour l’idolâtrie. Crispus n’aurait pas été à l’abri de tout soupçon sous ce dernier rapport. De plus, Fausta l’avait pris en haine, parce qu’il avait refusé de se rendre à l’amour adultère qu’elle avait conçu pour lui. On peut

croire aussi que le fils de Licinius était initié à la politique antichrétienne de son père, et élevé dans le désir de la vengeance.
Fausta, qui voulait perdre Crispus, imagina, dit-on, une vaste conspiration dont le Cæsar Crispus aurait été l’âme, et dont le but aurait été de détruire l’œuvre chrétienne de Constantin. Celui-ci, sous l’impression des insultes dont il était l’objet de la part des païens de Rome, était trop disposé à croire à une telle conjuration. Il se serait laissé tromper par Fausta, et aurait fait tuer son fils Crispus et le fils de Licinius1. Mais Hélène, revenue d’Orient, aurait ouvert les yeux de son fils sur les mensonges et les débauches de Fausta qui aurait expié ses crimes par une mort violente.
Ces intrigues tragiques sont enveloppées de mystères. Tout ce qu’on peut affirmer, c’est que si Constantin se montra cruel à l’égard de Crispus et du fils de Licinius, il avait été trompé par des intrigues qui les lui avaient fait considérer, soit comme coupables, soit comme dangereux entre les mains des conjurés. Fausta devrait être considérée, plutôt que Constantin, comme coupable de leur mort.
En présence des contradictions dont ces récits sont accompagnés chez les écrivains ennemis de Constantin, et du silence gardé par les autres, le mieux est de suspendre son jugement. Dans toute sa vie, Constantin se montra si grand et si chrétien qu’il nous faudrait des preuves plus positives que celles que l’on possède pour lui reprocher comme des crimes, des actes qui, s’ils sont réels, auraient pu être commandés par la justice.
Pendant son séjour à Rome, Constantin qui avait préféré s’attirer la haine du peuple que de prendre part


1 Il faut remarquer cependant que Julien l’apostat ne lui a pas reproché ces meurtres dans sa satyre des Coesars, où il ne le ménage point. Libanius et Praxagoras, auteurs païens, ne les lui ont point non plus reprochés, quoiqu’ils ne le ménagent pas plus que Julien, sous le rapport de la religion. Ce silence est significatif. Eusèbe ne parle pas non plus du meurtre de Crispus dans sa vie de Constantin. Cependant des historiens affirment que le meurtre de Crispus fut ordonné par Constantin qui reconnut ensuite son innocence et fit mourir Fausta qui l’avait accusé faussement et qui s’était de plus souillée des plus honteuses débauches. (Voy. Zozim. et Aurelius Victor, historiens païens, et Philostorge, historien arien.)

au culte idolâtrique, donna des preuves de sa foi. Il fit élever à Rome plusieurs églises. Si nous en croyons les traditions romaines recueillies dans le Liber pontificalis, les basiliques de saint Jean de Latran, de saint Pierre, de saint Paul, de sainte Croix, de sainte Agnès, de saint Laurent, des martyrs Marcellin et Pierre, furent élevées et enrichies par Constantin. Le même empereur aurait fait construire des églises à Ostie, à Albano, à Capoue, à Naples. Toutes ces basiliques auraient reçu de lui des dotations territoriales. Sans accepter tous les détails donnés par le Liber pontificalis, il nous paraît certain que Constantin ne séjourna pas à Rome sans y faire construire des églises, comme il le faisait dans le reste de l’empire, et qu’il se montra libéral envers les églises, comme c’était son habitude. Les traditions romaines ont donc, en elles-mêmes, une base historique ; quant aux détails de ces traditions, ceux qui peuvent être vrais sont mêlés de beaucoup d’autres qui sont faux, et on ne peut invoquer en leur faveur aucun document historique de quelque valeur1.


1 D’après les traditions romaines, Constantin n’aurait pas seulement doté les basiliques qu’il avait fondées ; mais il aurait doté le saint siège de la souveraineté sur Home, l’Italie et même sur toutes les provinces occidentales de l’empire. Généralement les érudits, même dans l’Eglise romaine, rejettent comme apocryphe l’acte de cette donation. Mais, aujourd’hui que le parti ultramontain domine dans l’Eglise romaine, on est obligé de traiter certaines questions que l’on ne considérait plus comme sérieuses.
De nos jours, les savants de l’Eglise romaine ont pris à tâche de réhabiliter les apocryphes, et de faire des légendes les plus absurdes autant de documents historiques de la plus haute autorité.
En tête du faux édit de donation, Constantin s’affuble de titres innombrables qu’il n’a jamais pris dans ses autres décrets ; l’évêque de Rome y est appelé père des pères, souverain pontile, pape universel ; ce qui n’était pas île mode, même à Rome, au IVe siècle ; on y cite le symbole de Niche qui ne fut rédigé que douze ans après la date que l’on a donnée au décret. Il est daté de Rome « le trois des calendes d’avril sous le consulat IVe de Notre Seigneur Flavius Constantin Auguste et de Gallicanus. » Constantin fut consul pour la quatrième fois en l’an 313 (Voy. Chrun. puschat. ad hune ann.), non pas avec Gallicanus, mais avec Licinius. D’après les fastes consulaires de Cassiodore, le quatrième consulat de Constantin doit être fixé à l’année 311, avec Licinius. Les deux dates ont précédé évidemment le concile de Nicée cité dans la pièce. Dans le décret, on parle du baptême de Constantin. Or, d’après les Actes de saint Sylvestre, le baptême n’aurait eu lieu qu’en 32t, c’est-à-dire onze ans après la date de cette donation prétendue. Notons en passant que les, Actes de saint Sylvestre n’ont pas plus raison sur ce point que l’édit de donation, comme nous le démontrerons [dus tard. Mais il n’est pas inutile de mettre en contradiction deux pièces que les papistes acceptent comme authentiques. L’auteur du rescrit s’est oublié au point de dire que ce fut Constantin qui donna à l’évêque de Rome l’autorité souveraine sur les quatre patriarches d’Antioche, d’Alexandrie, de Jérusalem et de Constantinople. Ce dernier patriarchat ne

D’après les traditions romaines, Constantin aurait reçu le baptême à Rome des mains du pape saint Sylvestre. Ce fait est absolument faux et contraire aux meil-

fut érigé que par le deuxième concile œcuménique en 381 ; Constantinople n’était encore que Byzance jusqu’en 330 et ne songeait point à être le siège d’un patriarche. Dans son ardeur à mettre en relief l’évêque de Rome, l’auteur oubliait ou ne savait pas que cet évêque prétendait à la suprême autorité de droit divin. Cet oubli du faussaire est un renseignement qui peut fixer la date du prétendu reserit à une époque où la papauté ne faisait encore que tâter le terrain pour asseoir sa future autorité. Cette époque nous paraît être le commencement du VIIIme siècle ou la fin du VIIme. Dans ce fameux édit, Constantin donne à Sylvestre la ville de Rome, toutes les provinces, cités et localités d’Italie, et des régions occidentales. On sait cependant que, par un acte authentique et postérieur, l’Occident avec Rome capitale fut l’apanage désigné par Constantin pour un de ses fils Constantin II. Pouvait-il donner à son fils ce qu’il aurait déjà cédé à l’évêque de Rome ?
D’après la teneur de l’édit, le sénat qui était païen à peu près tout entier, et le peuple romain, dont l’immense majorité était païenne, auraient souscrit au décret de Constantin en faveur de l’évêque de Rome.
Pour échapper à ces contradictions, M. l’abbé Darras a essayé de reculer la date de l’édit. Il change d’abord ainsi la date : « Du 3 des calendes d’avril (30 mars) sous te consulat de Constantin IV et Gallicanus (329). » (Voy. son Histoire, etc., pag. 101.)
Constantin IV, dit Pogonat, ne fut empereur que dans la seconde moitié du VIIe siècle. Le docte historien papiste a-t-il voulu parler du quatrième consulat de Constantin ? Mais ilcorrespond à l’année 313, selon la Chronique paschale et à l’année 311 d’après les fastes de Cassiodorc. A la page 170, M. Darras affirme que sa date s’accorde avec la fête de Pâques, où Constantin aurait été baptisé. Mais, d’après le rescrit, le baptême aurait eu lieu avant 313, et d’après les actes de saint Sylvestre, ce même baptême aurait eu lieu en 324 ; quelle date faut-il accepter ? De quelle pâque M. Darras veut-il parler ?
Le même historien, pour se tirer d’embarras, dit que l’édit fut rendu en 329 sous le quatrième consulat de Constantin le Jeune et de Gallicanus (pag. 175). Par malheur, en 329, Constantin, empereur, était consul pour la dixième fois avec son fils Constantin Cæsar qui l’était pour la cinquième fois (voy. Citron, pasch. ad ann. 329). D’après les fastes de Cassiodore, le quatrième consulat de Constantin jeune eut lieu en 322 et il fut alors consul avec son père qui l’était pour la septième fois. D’après M. Darras, Constantin aurait été baptisé en 329, et ailleurs il a cru démontrer qu’il l’a été en 324 (voy. pag. 72 et suiv.). Nous n’avons qu’à rapprocher ces deux dates et les comparer avec celles des fastes et de la Chronique paschale pour faire apprécier la science de l’historien papiste. Dans une même dissertation, il accepte deux falsifications de la date de l’édit pour se tirer d’affaire : l’une ainsi conçue : sous le consulat de Constantin IV ; et l’autre : sous le quatrième consulat de Constantin le Jeune, c’est-à-dire Constantin II. Mais Constantin II n’était que Cæsar, pendant le règne de son père, et l’édit est daté du quatrième consulat de Flavius Constantin Auguste, qui est bien l’empereur Constantin le Grand.
Du reste, les falsifications de l’abbé Darras ne sont pas plus utiles à sa cause que ses faux raisonnements. Est-il vrai que Constantinople ne fut fondé qu’en 328, et que son patriarchat a été établi en 381 ? Alors comment, dans une pièce, lorsqu’elle serait datée de 329, pouvait-on parler de Constantinople et de son patriarchat ?
Toutes ces observations démontrent que le fameux édit de donation offre tous les caractères intrinsèques d’une pièce apocryphe. Toute l’histoire postérieure, jusqu’au VIIIe siècle, établira que cet édit fut absolument inconnu jusqu’à cette époque, où il fut inventé avec tant d’autres pièces dont la papauté avait besoin pour établir son autorité ;
L’édit fut rédigé en fort mauvais latin, comme on l’écrivait an VIIIe siècle. On en fit une traduction grecque meilleure que l’original, quant au style, parce que, à cette époque, la littérature grecque était encore dans un état florissant. Quelques écrivains, par esprit de parti, ont soutenu que le texte grec était

leurs documents historiques, d’après lesquels il fut baptisé à Nicomédie, peu de temps avant sa mort1.


l’original ; car il est bien évident que Constantin n’aurait pas publié un édit dans le style latin de l’acte de donation. Mais on sait que tous les édits de Constantin étaient publiés en latin. Comment comprendre qu’il y ait eu exception pour un édit, rendu à Rome, de concert avec le sénat et le peuple romain, et ayant pour but une souveraineté transmise à l’évêque romain ? Si le texte latin n’était qu’une traduction du grec, on y trouverait des hellénismes que l’on n’y rencontre point.
On a inséré le texte grec dans plusieurs copies occidentales du Nomocanon de Photius. C’est bien le cas de dire que l’impudence des faussaires n’eut pas de bornes. Elle n’a pour égale que celle des papistes modernes qui concluent, de cette insertion frauduleuse, que c’est Photius lui-même qui avait inséré cette pièce dans son ouvrage. Sur un manuscrit, celui de Vienne, les papistes sont obligés de convenir qu’il existe une note attestant que l’acte de donation n’avait pas été inséré dans le Nomocanon par Photius. Ils traduisent cette note en disant que le texte avait été biffé par Photius. Un texte biffé par un auteur dans un ouvrage collectionné par lui ! Il était plus simple d’avouer qu’il ne l’avait pas inséré ; et cela pour une raison bien simple : il ne le connaissait pas ; et l’eût-il connu, il en aurait démontré la fausseté.
Nous ne ferons pas d’observation à propos d’une souveraineté que Constantin ne possédait pas lui-même. Ceux qui savent l’histoire n’en ont pas besoin ; les papistes, qui ne veulent pas le savoir, rejetteraient a priori tout ce que nous pourrions dire de plus certain.
Nous terminerons cette note, déjà trop longue pour une telle pièce, en faisant observer que les évêques de Rome se sont montrés, non-seulement à l’égard des empereurs romains d’Occident, mais à l’égard des empereurs d’orient qui régnaient sur l’empire entier, sujets soumis et parfois très-obséquieux jusqu’au moment où ils se rallièrent à la monarchie franke au VIIIe siècle. L’histoire nous en fournira des preuves nombreuses qui attesteront surabondamment que les papes eux-mêmes ont ignoré la donation de Constantin, jusqu’à l’époque où elle fut fabriquée.

1 Nous donnerons plus tard le récit qu’a fait Eusèbe de Cæsarée du baptême de Constantin. Mais c’est ici le lieu de réfuter les légendes romaines.
Ces légendes sont contradictoires. D’après l’acte de donation, le baptême aurait eu lieu en 311 ou 313, puisque telle est la date de cet acte, qui aurait été fait quatre jours après le baptême de l’empereur. On a vu, dans la note précédente, les vains efforts tentés pour dénaturer cette date qui suffit pour dévoiler la fausseté de la fameuse donation.
D’après les Actes de saint Sylvestre, tels qu’on les possède aujourd’hui, le baptême aurait ou lieu en 324. Ainsi, alors même que l’acte de donation serait de 329 comme certains papistes l’ont faussement prétendu, la contradiction entre les deux pièces n’en existerait pas moins quant à la date du baptême. De plus, l’histoire atteste que Constantin ne fut à Rome ni en 324 ni en 329. Il ne put donc y être baptisé.
On peut dire que, au moyen âge, il y eut deux légendes contradictoires, quant au baptême de Constantin à Rome.
Ceux qui ne reculent devant aucun moyen pour soutenir leurs préjugés s’appuient, pour prouver le baptême de Constantin à Rome, sur les actes d’un prétendu concile de 284 évêques qui aurait été réuni à Rome en 324. Mais actes et concile ont été rejetés, même par les savants de l’Eglise romaine, comme absolument apocryphes. La preuve n’a donc aucune valeur.
Vers la fin du Ve siècle, les Actes de saint Sylvestre furent reconnus comme authentiques par le pape Gélase, dans un concile romain. Si les actes dont il est fait mention sont les mêmes que ceux que l’on possède aujourd’hui, on devrait en conclure que la tradition romaine sur le baptême de Constantin à Rome remonte au moins au Ve siècle.
Remonte-t-elle plus haut ?
Au Ve siècle, saint Jérôme, dans sa chronique, atteste que Constantin ne fut baptisé qu’à la fin de sa vie. Ce qui est conforme au récit des historiens grecs.
Saint Ambroise, dans son oraison funèbre de Théodose, affirme aussi que

Nous reviendrons sur ce fait.
Constantin quitta Rome bien décidé à n’y plus revenir, et se dirigea vers l’Orient.
Depuis longtemps il songeait à fonder une nouvelle capitale de l’empire. Diocletianus avait compris, avant lui, que l’empire s’étant fort étendu du côté de l’Orient, il était nécessaire d’établir un nouveau centre pour le pouvoir ; et il avait choisi Nicomédie. Constantin avait d’abord choisi, pour y bâtir la nouvelle capitale, l’empla-


le baptême, reçu par Constantin à la fin de sa vie effaça tous les péchés qu’il avait pu commettre.
Il est donc certain qu’en Occident, dans le courant du Ve siècle, on savait que Constantin n’avait pas été baptisé aux époques indiquées depuis dans les légendes romaines.
Si l’on veut que les Actes de saint Sylvestre, approuvés par Gélase à la fin du même siècle, soient ceux que l’on possède aujourd’hui, il faudrait admettre qu’ils étaient composés depuis peu de temps. Mais, de bonne foi, peut-on admettre comme une œuvre du Ve siècle, une compilation qui, de l’aveu même du cardinal Baronius, est remplie des plus dégoûtants mensonges ? L’analyste romain est obligé d’en convenir, mais il veut cependant qu’on y ajoute foi en ce qui concerne le baptême de Constantin. Pour nous, il nous semble que l’on ne peut appuyer aucun fait sur une pièce remplie de mensonges incontestables, et que l’on fait injure à Gélase en affirmant que c’est une telle pièce qu’il a déclarée authentique. 11 est arrivé sans doute aux Actes de saint Sylvestre ce qui est arrivé à beaucoup d’autres écrites du même genre. Ils furent dénaturés au moyen âge, époque où l’on aimait à faire des romans historiques, avec d’anciens écrites, en y insérant des faits et des détails qui n’avaient d’autre source que l’imagination des romanciers, lesquels ne regardaient leurs additions et modifications que comme de pieuses fraudes.
On cite Grégoire de Tours, au VIe siècle, à l’appui de la tradition romaine. Cet historien (Hist. franç., lib. II, c. 15) n’a mentionné ni le lieu, ni le temps du baptême de Constantin ; il affirme seulement que Clovis alla au baptême comme un nouveau Constantin.
Mentionnerons-nous une autre preuve tirée de l’expression Lavacrum Constantinianum, par lequel on désigna de bonne heure un baptistère de Rome ? Ne comprend-on pas que l’on a pu appeler ainsi un baptistère dont l’empereur aurait fait don à l’église ?
Nous n’avons pas à discuter les témoignages d’écrivains qui ont pu accepter la légende romaine à dater des VIIe et VIIIe siècles.
La légende pouvait alors avoir été inventée et s’être propagée.
Ces légendes pénétrèrent jusqu’en Orient. Assémani a prétendu, dans sa Bibliothèque orientale, en retrouver des traces dans plusieurs écrivains orientaux à dater du VIe siècle. On cite quelques chroniques ; mais il serait bon d’être mieux renseigné sur l’authenticité et l’intégrité de ces ouvrages avant d’invoquer leur témoignage. On sait que les chroniques ne nous sont parvenues qu’avec une foule de changements faits aux textes primitifs par des continuateurs, selon les pays où ces ouvrages étaient continués. Du reste, les récits orientaux sont mêlés d’erreurs incontestables ; d’autres, comme celui de la chronique de Jean d’Antioche, ne pourrait servir, s’il était authentique, que pour attester le fait du baptême à Rome, car, pour la date, il ne s’accorde ni avec les actes de saint Sylvestre, ni avec le décret de donation. Il place, en effet, le baptême aussitôt après l’apparition miraculeuse de la croix. On comprend qu’un écrivain, peu renseigné sur le baptême lui-même, l’ait placé à cette date. Il est évident que des écrivains orientaux n’ont pu emprunter qu’à l’Occident les faits qui ont servi de base aux légendes romaines. Ces légendes étant postérieures au Ve siècle, les récits orientaux ne peuvent être antérieurs à cette date.

cernent de l’ancienne ville de Troie ; mais, en passant à Byzance, il fut frappé des avantages que présentait la situation de cette ville, élevée sur les collines qui bordent deux mers et sur les confins de l’Europe et de l’Asie. Il fit commencer les travaux dès 326 ; en 328, il y passa en revenant de Rome et donna son nom à la nouvelle cité qui fut solennellement inaugurée en 330 sous son nouveau nom de Constantinople1.
Le nouveau séjour de Constantin en Orient imprima au mouvement chrétien une nouvelle activité. Il fit bâtir dans la nouvelle capitale et dans ses faubourgs2 un grand nombre d’édifices dédiés aux martyrs. Par là, dit Eusèbe, il honora la mémoire des martyrs, et en même temps il consacra sa ville au Dieu même des martyrs. Il voulut que la nouvelle ville fût toute chrétienne ; qu’on n’y vît aucun temple païen, aucune idole, que jamais elle ne fût souillée ni par des sacrifices idolâtriques, ni par des fêtes païennes. Quelques débris des anciens temples ne furent conservés, dans les édifices civils, qu’à titre d’œuvres d’art, ou pour rappeler que le vieux culte était vaincu3. Au milieu du forum de la nouvelle cité s’élevait une statue chrétienne, celle du Bon Pasteur ; les ciselures et les sculptures des monuments ne représentaient que des sujets chrétiens. Dans l’endroit le plus apparent du palais impérial était une image en or et en pierreries représentant le Sauveur crucifié.


1 L’historien païen Zozime, ennemi déclaré de Constantin, prétend que cet empereur conçut le dessein d’établir une nouvelle capitale, parce qu’il voulut se venger de la mauvaise réception qu’on lui fit à Rome. Cette assertion est ridicule en elle-même, et ne s’accorde pas avec les faits. On sait que Constantin avait fait commencer des travaux sur l’emplacement de Troie pour y fonder une nouvelle capitale ; et que les travaux à Byzance commencèrent avant l’arrivée de Constantin à Rome.
Zozime veut expliquer la conversion de Constantin en disant qu’il cherchait un moyen de purification pour ses crimes, et surtout pour le meurtre de Crispus ; et que, ne le trouvant point dans le culte païen, il s’était adressé aux chrétiens qui possédaient dans le baptême un moyen de purification. D’abord Constantin s’était déclaré chrétien dès 312 et le meurtre de Crispus n’eut lieu qu’en 327. De plus, le paganisme avait fait des dieux d’empereurs autrement coupables que Constantin, et il en eût fait un de Constantin sans difficulté. Quelques historiens modernes se sont abaissés jusqu’il vouloir se servir du récit de Zozime pour en induire que Constantin fut baptisé à Rome. Ce récit ne prouve que la haine de l’historien païen contre l’empereur chrétien.
2 Euseb., De Vit. Constant., lib. III, c. c. 48, 49, 30.
3Ibid.., c. 54.

Constantin fit aussi élever de magnifiques églises à Nicomédie et à Antioche. Il voulait surtout que la terre sacrée de la Palæstine fût purifiée de tout culte païen. Les idolâtres s’étaient appliqués à profaner par des temples les lieux les plus vénérés ; c’est ainsi qu’ils en avaient élevé un à Mambré, où Dieu s’était révélé à Abraham. Constantin écrivit une fort belle lettre1 à Macarius de Jérusalem et aux autres évêques de Palæstine pour exciter leur zèle et les charger de remplacer les temples païens par des églises chrétiennes.
De toutes parts2 il fit démolir les temples ; il dévoilait les secrets des prêtres des idoles, et les statues les plus vénérées devenaient alors l’objet de la risée et du mépris. Les lieux infâmes où, sous prétexte du culte, on se livrait à l’immoralité, furent renversés de fond en comble. Un grand nombre de païens, comprenant les mystères que l’on avait jusqu’alors dérobés soigneusement à leurs regards, renoncèrent à l’idolâtrie et embrassèrent le christianisme.
Pendant le séjour de Constantin en Occident, l’arianisme, vaincu à Nicée, avait repris de l’audace.
A Alexandrie, saint Alexandre, de retour de Nicée, avait obtenu de Meletios le catalogue des évêques et des prêtres qui avaient suivi son parti. On aurait cru que le schisme allait finir ; mais il n’en fut pas ainsi. Meletios, retiré à Lycopolis, y mourut, mais après avoir désigné pour son successeur un évêque Jean, son principal disciple. Les dissidents se groupèrent autour de lui et adressèrent des députés à l’empereur qui, après les avoir écoutés, les renvoya en les engageant à vivre en paix.
L’évêque d’Alexandrie mourut peu de temps après et le diacre Athanase3 lui fut donné pour successeur (328). Ce choix déplut aux ariens qui se rappelaient avec quelle force il avait réfuté leurs erreurs à Nicée. Ils n’osèrent cependant élever alors la voix. Constantin, ayant quitté Rome, vit en Orient sa sœur Constantia,


1 Euseb., De Vit. Constant., lib. IV, c. c. 51 et seq.
2 Ibid.., c. c. 54et seq.
3 Socrat., Hist. Eccl., lib. I, c. 13.

épouse de Licinius, et lui témoigna beaucoup d’affection. Constantia1 avait auprès d’elle un prêtre qui favorisait secrètement l’arianisme et avait des relations avec Eusèbe de Nicomédie et les autres défenseurs d’Arius. Étant sur le point de mourir, Constantia recommanda à son frère le prêtre qui avait sa confiance. Celui-ci, sur cette recommandation, devint bientôt très-influent auprès de l’empereur. Il profita de cette position pour insinuer qu’Arius n’était pas, comme on le disait, opposé aux décrets de Nicée. Constantin, qui désirait ardemment la paix, pensa que l’adhésion d’Arius à la doctrine du concile était un des moyens les plus certains de l’obtenir. Il répondit donc au prêtre : « Si Arius signe les décrets du concile et croit comme le concile, je lui donnerai volontiers audience et je le renverrai avec honneur à Alexandrie. Arius, averti, ne se hâtait pas de se présenter devant l’empereur, qui lui écrivit cette lettre :
« Constantin, victorieux, très-grand, auguste, à Arius.
« On a déjà averti Ta Révérence devenir à notre cornet de te présenter devant Notre Majesté. Je ne puis assez m’étonner que tu ne sois pas encore venu. Presse-toi donc de prendre la voiture publique et de venir à ma cour, afin qu’après avoir éprouvé notre clémence et notre bienfaisance, tu puisses retourner dans ta patrie. Que la divinité te conserve, très-cher frère. »
Après avoir reçu cette lettre, Arius partit pour Constantinople accompagné du diacre Euzoius que saint Alexandre avait déposé. S’étant présentés l’un et l’autre devant l’empereur, celui-ci leur demanda s’ils consentaient à souscrire à la foi du concile. Ils répondirent affirmativement et remirent même à l’empereur, sur son ordre, cette attestation écrite :
« Au très-religieux et très-aimé de Dieu Notre Seigneur l’empereur Constantin, Arius et Euzoius :
« Comme nous l’a ordonné Votre Piété très-aimée de Dieu, Seigneur empereur, nous avons exposé notre foi,


1 Socrat., Hist. Eccl., lib. I, c. c. 25, 26 ; Sozom., lib. II, c. 27.

et par cet écrit nous professons devant Dieu, nous et ceux qui sont avec nous, que nous croyons ainsi que nous allons le déclarer :
« Nous croyons en Dieu un, Père Tout-Puissant, et dans le Seigneur Jésus-Christ son Fils, qui a été produit de lui avant tous les siècles ; Dieu Verbe par lequel toutes choses ont été faites, les choses célestes comme les choses terrestres ; lequel est descendu et s’est incarné ; qui a souffert, est ressuscité et est monté aux cieux ; qui, de nouveau, viendra juger les vivants et les morts.
« Nous croyons aussi au Saint-Esprit ; à la résurrection de la chair ; à la vie du siècle futur, au royaume des cieux et à l’Eglise de Dieu une et catholique, laquelle s’étend sur tout l’univers.
« Nous avons reçu cette foi des saints Évangiles, le Seigneur ayant dit à ses disciples : « Allez et enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » Si nous ne croyons pas ainsi, et si nous ne croyons pas véritablement au Père, au Fils et au Saint-Esprit, comme y croit l’Eglise catholique et selon l’enseignement des Écritures, Dieu est notre juge, maintenant et au jugement futur. C’est pourquoi, empereur très-aimé de Dieu, nous demandons à Votre Piété de permettre qu’étant ecclésiastiques et professant la foi de l’Eglise et des saintes Écritures, nous soyons unis à l’Eglise qui est notre mère, après avoir laissé de côté les discussions et les questions inutiles ; afin que nous et l’Eglise, conservant une paix mutuelle, nous adressions à Dieu de solennelles actions de grâces pour l’empire que vous avez pacifié, pour Votre Majesté et pour sa famille. »
Cette profession de foi d’Arius était conforme aux anciens symboles catholiques ; mais suffisait-il de se servir, pour exposer la filiation éternelle du Verbe, d’une expression générale, lorsqu’il avait prouvé par ses explications antérieures qu’il attachait à cette expres-

sion un sens hérétique, et qu’il en abusait au point de placer le Verbe parmi les créatures. Arius ne voulait pas voir qu’il était en contradiction avec lui-même, lorsqu’il faisait du Verbe une créature, et qu’il le disait produit avant les siècles ; car, dès qu’une créature a existé, le temps lui-même a existé, puisqu’il n’est que la mesure de l’existence successive des êtres contingents, et que l’éternité ne correspond qu’à l’être infini sans commencement et sans fin.
Constantin, sous l’inspiration du prêtre arien que Constantia lui avait légué comme confident, crut à la sincérité d’Arius ; il pensa qu’il était simplement offusqué par le mot consubstantiel qui ne se trouvait pas dans les anciens symboles, mais, qu’au fond, sa foi était celle de l’Eglise catholique, comme il l’affirmait. Il lui permit de retourner à Alexandrie1.
Eusèbe de Nicomédie et Theognis de Nicée, ayant appris le rappel d’Arius, espérèrent obtenir la même faveur. Ils adressèrent donc aux principaux évêques un écrit ainsi conçu2.
« Ayant été condamnés par votre piété, sans que nous ayons pu nous défendre, nous devons supporter patiemment et en silence la sentence de Votre Sainteté. Mais, comme il est insensé de fournir contre soi un argument à la calomnie, en gardant le silence, nous vous faisons connaître que nous sommes absolument d’accord avec vous sur la foi, et qu’après avoir examiné avec soin le sens du mot consubstantiel, nous nous sommes décidés à l’admettre par amour pouf la paix, n’ayant jamais suivi aucune hérésie. Lorsque, pour la paix et la tranquillité des Eglises, nous avons exposé ce que nous pensions, et satisfait ceux qui avaient droit à nos explications, nous avons signé la profession de foi, mais nous n’avons pas voulu adhérer à l’anathème qui la suivait. Nous ne voulions pas en contester l’exactitude, mais nous pensions que celui que l’on voulait frapper n’était pas tel que l’on pensait ; notre opinion était fondée


1 Socrat., Hist. Eccl., lib. I, c. 27.
2 Ibid., lib. I, c. 14.

en partie sur les lettres que nous avions reçues de lui, en partie sur les explications qu’il avait données en notre présence. Mais, puisqu’il a plu à votre saint concile d’agir ainsi, nous n’y faisons aucune opposition ; nous donnons même notre consentement et nous vous l’adressons par écrit. Ce n’est pas l’ennui de l’exil qui nous fait agir ainsi ; mais la crainte d’être suspect d’hérésie. Si vous permettez que nous nous présentions devant vous, vous nous trouverez entièrement d’accord avec vous, et attachés fortement à vos décrets. Puisque vous avez usé d’indulgence envers celui qui était accusé et l’avez rappelé de l’exil, il serait insensé de fournir contre nous un argument par notre silence, et de paraître coupable, lorsque celui qui paraissait coupable a été rappelé et s’est justifié des accusations élevées contre lui. Donc, comme il convient à Votre Révérence très-aimée de Dieu, daignez avertir notre empereur chéri de Dieu, lui présenter notre supplique, et décider à notre égard ce que vous jugerez à propos. »
Constantin crut, d’après cet écrit, qù’Eusèbe et Théognis avaient’ été victimes d’une erreur, et qu’ils étaient orthodoxes. Il les rappela de leur exil. Ceux-ci coururent à leurs églises et en chassèrent ceux qui les avaient remplacés : Amphion à Nicomédie et Chrestus à Nicée1.
Constantin, qui croyait avoir commis une injustice envers les deux évêques exilés, s’appliqua à leur donner des marques exceptionnelles de bienveillance2. Eusèbe et Theognis en abusèrent pour remplir l’Eglise de troubles. Outre les erreurs d’Arius qu’ils cherchaient à répandre d’une manière dissimulée et hypocrite, ils poursuivaient de leur haine Athanase qui s’était montré leur antagoniste intrépide dans le concile de Nicée. Ils commencèrent par incriminer l’ordination de ce grand évêque, prétendant qu’il était indigne de l’épiscopat et qu’il avait été choisi par des électeurs peu capables. Mais bientôt il fallut renoncer à ces moyens. Eusèbe le com-


1 Socrat., Hist. Eccl., lib. I, c. 14.
2 Ibid., lib. I, c. 25.

prit et ourdit contre Athanase d’autres intrigues, et hâta le retour d’Arius à Alexandrie.
L’hérétique s’était sans doute rendu de Constantinople à Nicomédie pour s’entendre avec son protecteur. Il fut convenu entre eux que le mot seul de consubstantiel serait mis en avant, et qu’ils cacheraient leurs véritables sentiments sous les apparences d’une guerre à un mot que les anciens symboles ne contenaient pas.
Ce fut sous ces dehors hypocrites que se présenta dès lors, la lutte contre la divinité de Jésus-Christ.
Eusèbe de Nicomédie écrivit une lettre dans laquelle il plaidait la cause d’Arius et priait Athanase de recevoir dans l’Eglise l’hérétique et ses amis. Eusèbe n’adressait qu’une supplique ; mais, fier de la faveur qu’il avait recouvrée auprès de Constantin, il se permettait des menaces, même en public, pour le cas où l’évêque d’Alexandrie ne se rendrait pas à ses prières. Athanase ne pouvait recevoir à la communion un prêtre condamné par un concile œcuménique ; il fallait qu’il fût réhabilité canoniquement. L’empereur pouvait le rappeler de son exil, mais non juger de son orthodoxie. Eusèbe échoua dans ses démarches auprès d’Athanase qui ne croyait pas à la sincérité d’Arius.
Du reste, les discussions avaient continué après le concile de Nicée ; elles étaient vives surtout en Egypte et en Asie. Eustathe, évêque d’Antioche, soutenait une polémique contre Eusèbe de Cæsarée auquel il reprochait de ne pas admettre la foi de Nicée ; Eusèbe lui répondait qu’il professait cette foi et reprochait à Eustathe d’attacher au mot consubstantiel le même sens que Sabellius. On se jetait ainsi à la tête, de part et d’autre, le reproche d’hérésie.
A Alexandrie, la polémique n’était pas moins ardente ; mais les ariens y rencontrèrent un antagoniste redoutable sur lequel ils ne comptaient point : C’était le fameux anachorète Antoine1. Étant descendu de la montagne, où il avait passé la plus grande partie de sa vie, Antoine


1 S. Athan., Vit. Anton., § 24.

excommunia les ariens et enseigna la vraie doctrine catholique. Il faisait de nombreux miracles et convertissait beaucoup de païens en même temps qu’il affermissait les fidèles dans l’orthodoxie.
Mais Athanase avait contre lui un puissant adversaire dans Eusèbe de Nicomédie. Constantin étant venu dans cette ville, Eusèbe l’indisposa contre Athanase qui refusait toujours de recevoir Aldus dans sa communion ; il écrivit en même temps aux Méléciens avec lesquels il s’était mis en rapport, pour les engager à élever des accusations contre l’évêque d’Alexandrie1. Trois évêques schismatiques se rendirent à Nicomédie et accusèrent Athanase d’avoir imposé à l’Egypte un nouveau tribut de tuniques de lin pour l’Eglise d’Alexandrie et d’avoir commencé par eux à l’exiger. Deux prêtres d’Alexandrie qui se trouvaient alors à Nicomédie prirent la défense de leur évêque ; mais ils furent eux-mêmes chargés aussitôt d’accusations calomnieuses. Athanase fut mandé à Nicomédie. Dans sa lettre, Constantin lui disait :
« Quand tu recevras cette preuve de ma volonté, fais en sorte que l’église soit ouverte à tous ceux qui voudront y entrer ; car, si j’apprends qu’une personne ait été empêchée par toi d’être unie l’Eglise, malgré le désir qu’elle en exprimerait, j’enverrai quelqu’un qui fera exécuter mes volontés, te déposera et t’enverra en exil. »
Athanase ne se laissa point effrayer ; n’admit point Arius à l’Eglise et partit pour Nicomédie. Il se justifia si bien que l’empereur le renvoya avec cette lettre pour le peuple d’Alexandrie : « Très-chers frères, je vous salue en invoquant le Dieu très-grand, témoin de ma volonté, unique créateur de la loi qui nous guide, souverain maître de notre vie, et qui hait la discorde. Que vous dirai-je ? Que je suis en bonne santé ? Mais je jouirais d’une santé bien préférable si tous, vous abandonniez vos rancunes et vous aviez les uns et les autres cet amour dont vous avez abandonné le port, pour vous livrer aux


1 S. Athan., Apolog. cont. Arian., §§ 59, 60, 61, 62 ; Socrat., Hist. Eccl., lib. I, c. 27.

tempêtes des hommes de discussion. Gomme cette conduite est insensée ! Comme l’envie excite chaque jour des querelles ! C’est ainsi que le peuple de Dieu est tombé dans le mépris. »
Après un tableau véhément des maux que les Méléciens et les ariens faisaient à l’Eglise par leurs discussions, Constantin ajoute : « Ces hommes coupables n’ont pu aboutir à rien contre votre évêque… J’ai reçu votre évêque Athanase avec la plus grande distinction, et je me suis entretenu avec lui comme avec un homme de Dieu. C’est à vous de comprendre les choses, et il ne m’appartient pas d’en porter un jugement. J’ai jugé à propos de vous envoyer mes salutations par le très-vénérable Athanase dont j’ai connu la justice, l’esprit pacifique et l’orthodoxie. »
Il est probable qu’Athanase avait parlé à l’empereur du témoignage que saint Antoine avait rendu contre les ariens ; et ce fut sans doute alors que Constantin écrivit au vénérable anachorète1.
L’arrivée de la lettre impériale au fond du désert mit en émoi tous les solitaires. Antoine seul se montrait fort indifférent. « Pourquoi vous étonner, disait-il aux moines, que l’empereur m’écrive ? Ce n’est qu’un homme. Étonnez- vous plutôt que Dieu nous ait écrit une loi et nous l’ait envoyée par son Fils. » Il ne savait même s’il devait recevoir la lettre, car, disait-il, je ne saurais comment y répondre. Cependant, sur les instances des moines, il reçut la lettre et y répondit. Il engagea l’empereur et ses fils à ne pas faire grand cas des choses présentes ; à penser plutôt au jugement futur et à considérer Jésus- Christ comme le seul souverain véritable et éternel. Il les engageait ensuite à être humains, à prendre soin des pauvres, et à se conduire selon la justice.
Constantin et ses fils reçurent avec joie et vénération la lettre du saint anachorète.
Tandis que Constantin était à Nicomédie, Eusèbe, pour le flatter, manifesta un vif désir d’aller visiter la


1 S. Athan., Vit. Ant., § 81.

belle église du saint sépulcre qui venait d’être terminée L’empereur mit à sa disposition les voitures publiques. Eusèbe voyagea en grande pompe et arriva à Antioche, où il fut reçu très-honorablement par l’évêque Eustathe. Eusèbe de Nicomédie le détestait ; mais il dissimulait ses mauvais sentiments. Il était parti avec Theognis de Nicée. Ils rencontrèrent à Jérusalem Eusèbe de Cæsarée, Patrophilos de Scythopolis ; Aetius de Lydda, Théodote de Laodicée, et plusieurs autres qui partageaient leur manière de voir au sujet d’Arius. Tous accompagnèrent Eusèbe, au retour, jusqu’à Antioche. On continua à témoigner beaucoup de respect à Eustathe, afin de l’attirer dans un piège qui lui avait été tendu. Plusieurs évêques orthodoxes se trouvaient aussi alors à Antioche. On proposa de tenir un concile et tous y consentirent.
Au moment où les évêques étaient assemblés, une femme se présenta, tenant un enfant à la mamelle, et criant après Eustathe qu’elle accusait d’être le père de son enfant. Sans s’émouvoir, le saint évêque d’Antioche demanda qu’elle produisît des témoins et donnât des preuves. Elle répondit qu’elle n’avait pas de témoins, et les évêques ariens décidèrent que son témoignage confirmé par serment suffisait. Les évêques orthodoxes rappelèrent la règle antique portant que, pour accuser un prêtre, il fallait au moins deux ou trois témoins, et ils s’opposèrent à la sentence de déposition que les ariens voulaient rendre. Mais Eusèbe de Nicomédie se hâta de retourner auprès de l’empereur, le trompa indignement et lui fit signer un décret d’exil contre Eustathe qu’il qualifiait de tyran et d’adultère, lui qui était, dit Théodoret, l’athlète de la piété, et de la continence.
Plusieurs évêques ariens se succédèrent en peu de temps sur le siège d’Antioche ; mais un grand nombre de fidèles refusaient de communiquer avec eux et formaient des assemblées particulières. Les hérétiques les appelèrent Eustathiens, comme s’ils avaient le droit de donner un nom de sectaires à ceux qui restaient fidèles à la


1 Theodor., Hist. Eccl., lib. I, c. c. 20,21.

saine doctrine défendue par leur pasteur légitime. La haine que se portaient les deux partis était telle que l’on était sur le point d’en venir aux armes1. Constantin écrivit lettres sur lettres aux habitants d’Antioche et leur envoya un de ses plus fidèles amis pour les apaiser. Il leur affirmait, dit Eusèbe qu’il avait fait comparaître devant lui celui qui était l’auteur de tous ces troubles. Eusèbe voulait sans doute désigner saint Eustathe avec lequel il avait eu de vives polémiques. En réalité, Constantin ne jugea point l’évêque d’Antioche, qui alla finir en silence sa vie à Philippes en Macédoine.
Bientôt, la femme immorale qui avait calomnié le saint évêque fut atteinte d’une maladie mortelle. Elle avoua alors qu’on lui avait payé son mensonge ; que son enfant avait bien pour père un Eustathe, mais qui était ouvrier ; que ce n’était point, l’évêque2.
Les principaux évêques de la province d’Antioche avaient songé à élire Eusèbe de Cæsarée, après le premier évêque arien qui avait, remplacé Eustathe. Constantin écrivit d’abord aux habitants d’Antioche d’en élire un autre, quoique Eusèbe fût digne de leur choix3. Il pensait sans doute que l’ancien antagoniste d’Eustathe n’était pas l’homme qu’il fallait pour rétablir la paix. Du reste, Eusèbe lui-même refusa et en informa l’empereur qui lui écrivit pour le féliciter j et qui engagea le synode provincial à en élire un autre.
Ce synode était surtout composé de Théodote, de Théodore, de Narcisse, d’Aetius et d’Alphœus. Il choisit Paulinus de Tyr qui mourut peu de temps après et fut remplacé par d’autres ariens.
Socrate4 affirme que, d’après certains écrivains, saint Eustathe fut déposé comme hérétique, partisan de Sabellius ; mais il croit qu’il fut déposé pour d’autres motifs, sans entrer dans les détails donnés par Théodoret, et qu’il ne connaissait pas. On peut croire que, après le


1 Euseb., De Vit. Constant., lib. III, c. 59.
2 Theod., Loc. cit.
3 Euseb., De Vit. Constant., lib, III, c. c. 60, 01, 62.
4 Socrat., Hist. Eccl., lib. I. c. 21.

scandale qui dut résulter de l’aveu de la femme coupable, les ariens cherchèrent à étouffer une histoire qui ne pouvait que les couvrir d’ignominie. Il n’est donc pas étonnant que Socrate, qui écrivait surtout d’après Eusèbe de Gæsarée, ne l’ait pas connue. Quant à Eusèbe, il s’est montré injuste envers saint Eustathe ; sans le nommer, il le désigne assez ouvertement comme auteur des troubles. L’évêque de Cæsarée n’admettait pas certainement la doctrine d’Arius ; il avait souscrit au mot consubstantiel en ayant soin d’éloigner de ce mot toute interprétation sabellienne ou paulianiste ; mais il est probable qu’il eût désiré qu’on ne fît pas autant de bruit autour de ce mot, et il était porté à voir des sabelliens dans ceux qui s’en montraient les fervents défenseurs.
Par goût et par caractère, Eusèbe de Cæsarée eut une conduite indécise dans les questions qui regardaient plus directement les personnes. Il était trop ami d’Eusèbe de Nicomédie pour ne pas subir l’influence de ce personnage aussi rusé qu’habile ; mais ce n’était qu’à regret qu’il quittait ses chères études pour se mêler aux luttes. Il les abandonna une seule fois pour aller réciter devant l’empereur, à Constantinople, un discours sur le sépulcre du Sauveur1. La découverte du tombeau sacré avait retenti, comme un grand événement, dans le monde entier et avait excité une nouvelle ferveur parmi les chrétiens. L’empereur voulut écouter debout le discours d’Eusèbe, et obligea l’auteur à ne pas s’interrompre, quoique le discours fût très-long. Il avait une grande confiance dans la science du docte évêque de Cæsarée. Celui-ci lui ayant envoyé un ouvrage dans lequel il exposait l’histoire des discussions sur la Pâque et il répondait aux difficultés qui avaient été élevées, Constantin lui écrivit pour le remercier, le féliciter et l’encourager à continuer ses savants travaux. Il s’adressa aussi à Eusèbe pour le charger de faire choix des passages de l’Écriture qui devaient être lus à l’église. Voici la lettre qu’il lui adressa à ce sujet :


1 Euseb., De Vit. Constant., lib. IV, 23 ad 27.

« Constantin, victorieux, très-grand, Auguste, à Eusèbe :
« Dans la ville qui a reçu de nous son nom, grâce à la Providence divine de notre Sauveur, une très-grande multitude d’hommes s’est unie à la très-sainte Eglise. Comme tout ici prend des accroissements considérables, il est nécessaire d’y construire plusieurs églises. Accueillez donc avec bienveillance ce que j’ai décidé. Il m’a semblé bon de confiera votre prudence de faire écrire par d’habiles écrivains et sur clés membranes artistement préparées cinquante livres des saintes Écritures que vous trouverez les plus nécessaires pour servir aux assemblées ecclésiastiques. Il est nécessaire qu’on puisse les lire facilement et que Ton puisse les porter pour tous les besoins du service religieux. J’ai écrit à l’administration du diocèse d’avoir soin de fournir tout ce qui serait nécessaire pour la confection de ces livres. Je m’en rapporte à votre diligence pour qu’ils soient promptement terminés. Sur le vu de cette lettre, on mettra à votre usage deux voitures publiques pour faire transporter jusqu’ici, par un des diacres de votre église, les volumes, quand ils seront terminés. Dès qu’il sera arrivé, il recevra des marques de notre bienveillance.
« Que la divinité te conserve, très-cher frère. »
Eusèbe se mit aussitôt à l’œuvre. Nous avons rapporté que le martyr Pamphile avait fondé à Cæsarée une bibliothèque précieuse dans laquelle il avait réuni les manuscrites des saints livres, et les commentaires les plus savants, particulièrement ceux d’Origène ; il avait aussi fondé une école de copistes auxquels il donnait l’exemple. Il était donc naturel que Constantin s’adressât à Eusèbe de Cæsarée, plutôt qu’à tout autre évêque, à cause de la réputation que la bibliothèque et l’école de copistes avaient faite à son Eglise, et aussi à cause de la science de l’évêque, digne disciple de Pamphile.
Constantin, zélé pour l’Eglise, se montrait très-rigoureux contre les hérétiques. Tous ses actes prouvent qu’il voulait à tout prix obtenir l’unité de l’Eglise. Il comprenait que sans unité l’Eglise ne pourrait, jamais exercer

dans la société une influence salutaire. Depuis qu’il avait connu le christianisme, il travaillait à l’établir sur les ruines de l’idolâtrie ; mais il était entravé dans cette grande œuvre par les discussions qui agitaient la société chrétienne. Sa haine de toute division l’entraîna parfois jusqu’à l’injustice comme dans l’exil de saint Eustathe, ou jusqu’à une tolérance excessive, comme dans le rappel d’Arius, d’Eusèbe de Nicomédie et de Theognis de Nicée. Mais quel est l’homme qui n’a jamais failli ? Si Constantin fut trompé dans quelques circonstances, on doit plutôt en rendre responsables ceux qui abusèrent de sa confiance plutôt que lui-même ; car il n’est guère possible de rencontrer dans l’histoire un souverain qui ait agi avec des intentions plus pures et plus chrétiennes.
Par le but élevé qu’il s’était proposé, on comprend la sévérité avec laquelle il s’exprime dans sa constitution contre les hérétiques :
« Novatiens, dit-il, marcionistes, paulianistes, cataphryges de toute espèce, et vous tous qui, dans vos réunions privées, enseignez des hérésies, reconnaissez aujourd’hui combien vos doctrines sont mensongères, et que vous portez la mort dans les âmes par vos paroles empoisonnées. O ennemis de la vérité ! adversaires de la vie ! conseillers de la mort ! Tout chez vous est contraire à la vérité ; vos mœurs sont au niveau de vos intelligences ; vous abusez de l’innocence par vos mensonges, et vous refusez la lumière à ceux qui croient en vous… Je n’aurais pas le temps d’exposer toutes vos erreurs et tous vos crimes ; le tableau que j’en pourrais faire ternirait ma conscience, souillerait mes yeux et mes oreilles. Pourquoi tolérer plus longtemps de tels maux, surtout lorsqu’ils sont un germe empesté pour ceux qui sont encore sains ! Pourquoi n’arracherions-nous pas la racine de tels désordres ?
« Par la présente constitution, j’interdis vos réunions ; j’ordonne que l’on confisque les lieux où vous les teniez, et que non-seulement vous n’ayez pas d’assemblées

publiques, mais de réunions privées, pour vous y livrer à vos folles superstitions ; rapprochez-vous tous de l’Eglise catholique au sein de laquelle vous pourrez parvenir à la vérité. Je ne puis tolérer, à une époque prospère comme la nôtre, aucun schisme, aucune hérésie ; et mon devoir est de favoriser pour tous la connaissance de la vérité. C’est pourquoi nous ordonnons que tous vos oratoires (si l’on peut leur donner ce nom) soient mis sans délai à la disposition de l’Eglise catholique, et vos autres bien vendus aux enchères publiques. »
Cette constitution impériale dispersa tous les ennemis de l’Eglise. Les chefs prirent la fuite ; les autres entrèrent dans l’Eglise ; mais plusieurs le firent sans sincérité et seulement par crainte. Les évêques refusèrent d’admettre ceux qui n’agissaient pas de bonne foi ; ils acceptaient les autres après les épreuves canoniques. Quant à ceux qui n’avaient pas erré en matière de foi, et avaient été simplement schismatiques, on les admettait sans difficulté, et ils manifestaient une joie d’autant plus vive qu’ils avaient été plus longtemps éloignés d’une Eglise qui était leur vraie patrie. Grâce aux mesures prises par l’empereur, les divisions cessèrent ; l’Eglise catholique apparut dans son unité.
Il donnait lui-même l’exemple de la piété à tous les chrétiens. Il ordonna de changer son effigie sur les monnaies et voulut y paraître dans l’attitude de la prière il défendit de placer ses statues dans les temples païens ; dans son palais, il présidait aux prières qui étaient faites en commun, et à la lecture des saintes Ecritures. Par une loi spéciale, il ordonna l’observation du dimanche et du vendredi, à cause des mystères chrétiens accomplis en ces jours ; il laissait à ses soldats le loisir de les sanctifier ; les soldats païens étaient aussi obligés de prier le dimanche, et il composa lui-même la prière qu’ils devaient réciter à haute voix. Elle était ainsi conçue :
« Nous ne reconnaissons que toi seul pour Dieu ;


1 Euseb., De Vit. Constant., lib. IV, a c. 15 ad 53.

nous te proclamons notre Roi ; nous t’invoquons comme notre protecteur. C’est grâce à toi que nous avons remporté des victoires, et que nous avons vaincu nos ennemis. Nous te rendons grâce pour les biens que nous avons reçus de toi et nous en espérons d’autres dans l’avenir. Nous te prions et supplions de nous conserver longtemps en bonne santé et victorieux notre empereur Constantin et ses pieux enfants. »
Il remplaça les anciens étendards de l’armée romaine par des croix.
Il s’enfermait souvent dans les chambres les plus secrètes de son palais, et là, à genoux, il adressait à Dieu de longues et ferventes prières. Les jours de fête, il donnait l’exemple d’une piété encore plus vive ; pour la célébration des Vigiles de Pâques, il faisait illuminer la ville entière où il se trouvait ; et le jour de la fête, on distribuait en son nom des aumônes dans l’empire entier.
Les gouverneurs de province, à l’exemple de l’empereur, veillaient à ce que le dimanche fût sanctifié ; ces jours-là, les temples des idoles devaient rester fermés. Les fêtes des martyrs étaient également célébrées avec solennité. La pratique sociale du christianisme était la grande préoccupation de Constantin, et il se croyait chargé par Dieu de cette grande œuvre. Un jour qu’il avait autour de lui des évêques, du nombre desquels était Eusèbe de Cæsarée, il leur dit : « Vous, vous êtes évêques pour tout ce qui se passe à l’intérieur de l’Eglise ; mais moi, j’ai été établi, de Dieu, évêque pour les choses extérieures. » En effet, ajoute Eusèbe, il avait une sollicitude vraiment épiscopale pour favoriser le développement de l’esprit religieux.
Son attention se porta sur les initiations et toutes les immoralités que les païens couvraient d’un vernis religieux, sous le titre de mystères. Un prince comme Constantin ne devait pas hésiter à purger la société de ces infamies et des spectacles sanglants dans lesquels des hommes s’immolaient pour distraire des spectateurs, atroces jusque dans leurs plaisirs.
Il favorisa le célibat chrétien en abolissant les lois

injustes que le paganisme avait promulguées contre ceux qui n’avaient pas d’enfants, comme si la nature elle- même n’en refusait pas parfois aux hommes les plus moraux. Il interdit à tout juif d’avoir un chrétien pour esclave ; car, disait-il, il n’est pas permis que les rachetés du Seigneur soient esclaves de ceux qui l’ont tué.
Non content d’encourager et de soutenir toutes les institutions chrétiennes qui pouvaient régénérer la société, Constantin travaillait directement à faire de sa maison comme le modèle de toutes les autres. Après avoir donné ses journées aux soins du gouvernement, il passait une partie des nuits à prier et à composer des discours qu’il aimait à réciter en public. Il savait que la curiosité et la flatterie lui attireraient plus d’auditeurs que le désir de l’instruction ; mais il savait aussi que ses discours porteraient leurs fruits, que d’autres voudraient l’imiter et qu’en définitive il résulterait de là quelque bien pour la société. Quand on l’applaudissait, il avertissait ses auditeurs qu’il fallait seulement penser au souverain monarque qui était au ciel. Il s’attachait d’abord, dans ses allocutions, à réfuter les erreurs païennes ; il passait de là à la Providence qui gouverne tout, au Dieu unique qui devait demander compte à chacun de ses actions. Il arrivait ainsi à de sévères avertissements qui s’adressaient parfois directement à des personnes de la cour ; celles-ci, se reconnaissant aux tableaux qu’il traçait, baissaient les yeux et songeaient à se corriger. Il aimait à composer des prières. Des interprètes les traduisaient aussitôt du latin en grec, et on les répandait dans l’empire.
Tel est le tableau général qu’a présenté Eusèbe de la vie de Constantin pendant le temps qui s’écoula, de la fondation de Constantinople, à la trentième année de son règne (335). L’église du Saint-Sépulcre venait d’être terminée et Constantin conçut la pensée d’aller célébrer le troisième décennal de son règne à Jérusalem, avec ses trois enfants, Constantin, Constantius et Constans, qu’il venait d’associer à l’empire1.

Mais, avant de célébrer la dédicace du saint temple, il voulut que toute discussion fut apaisée dans l’Eglise. Or, en Egypte, les ariens et les méléciens continuaient à faire opposition à Athanase et répandaient des calomnies contre le saint évêque. Les accusations étaient rapportées à l’empereur par Eusèbe de Nicomédie ou les partisans qu’il avait à la cour, et l’on s’attachait surtout à présenter Athanase comme la cause de tous les troubles.
Afin d’y mettre un terme, Constantin convoqua à Tyrles évêques d’Egypte et de Lybie, d’Asie et d’Europe1. On avait d’abord songé à assembler le concile à Cæsarée. Les ariens pensaient que le jugement contre Athanase serait plus grave, si le tribunal était présidé par un évêque dont la science et les vertus n’étaient point contestées. Mais Athanase et les évêques orthodoxes d’Egypte refusèrent de s’y rendre. Eusèbe leur était à bon droit suspect à cause de ses complaisances pour l’évêque de Nicomédie et les autres évêques qui avaient pris le parti d’Arius. Lorsqu’on eut décidé que le concile aurait lieu à Tyr, Athanase et les évêques d’Egypte refusèrent encore de s’y rendre, car ils apprirent que les évêques qui s’y trouvaient étaient presque tous des adversaires.
Constantin en fut averti. Il écrivit aussitôt au concile2 qu’il le chargeait spécialement du soin de rétablir la concorde et que, si celui qui devait être jugé refusait de comparaître, il enverrait un de ses officiers qui l’y forcerait.
Athanase comprit que son refus ne ferait qu’irriter l’empereur et donner occasion à ses ennemis de le calomnier. Il partit donc pour Tyr avec les évêques orthodoxes d’Egypte au nombre de quarante-neuf et parmi lesquels étaient deux vénérables confesseurs de la foi, Paphnuce et Potamon, qui portaient les traces du martyre qu’ils avaient supporté pendant la dernière persécution3.


1 Euseb., De Vit. Constant., lib. IV, c. 41 ; s. Athan., Apoi. cont. Arian., §63 ad § 82.
2 Euseb., De Vit. Constant., lib. IV, c. 42.
3 S. Athan., Apot. cont. Arian., §§ 6 et seq ; Rufiin, Hist.Eccl., lib. I, cc. 16,17 ; Sozomen., Hist. Eccl.. lib. II, c. 25 ; Socrat., Hist. Eccl, lib. I, c.28 ad 32 ; Theodor·., Hist. Eccl., lib. I, c. 28 ; Epiphan., Hœres., 68.

Lorsque Athanase parut dans le concile, on lui ordonna de se tenir debout pour répondre aux accusations dont il était chargé ; on le traita avant le jugement comme s’il était coupable. Potamon s’éleva énergiquement eontre cette injustice et, s’adressant à Eusèbe de Cæsarée, qui paraît avoir présidé le concile, il lui dit : « Quoi, Eusèbe, c’est toi qui es assis ici pour juger Athanase qui est innocent ? est-ce possible ? dis-moi, n’étais-tu pas en prison avec moi pendant la persécution ? Pour moi, j’y perdis un œil ; quant à toi, tu es sain et sauf ? es-tu sorti de là ainsi sans rien faire contre ta conscience ? » — Eusèbe se leva aussitôt et se retira en disant : « Si vous avez la hardiesse de nous traiter ainsi en ce lieu, peut-on douter que vos accusateurs ne disent vrai ? si vous exercez ici une telle tyrannie, que ne faites-vous pas chez vous ? » On peut croire qu’Eusèbe eut assez de la leçon qu’il avait reçue et qu’il renonça au siège de la présidence. Les paroles de Potamon ont sans doute donné lieu à l’accusation qui fut élevée contre Eusèbe de n’avoir échappé au martyre qu’en sacrifiant aux idoles. Tandis que, sous l’impression de la terrible apostrophe adressée au président, l’assemblée se séparait, Paphnuce s’adressa à Maximus qui venait de succéder à Macarius sur le siège de Jérusalem et lui dit : « Je porte les mêmes stigmates que vous, et nous avons perdu chacun un œil pour Jésus-Christ ; je ne puis donc supporter que vous preniez séance dans l’assemblée des méchants. » Maximus le suivit dehors ; Paphnuce lui raconta les détails de la conjuration ourdie contre Athanase, et le gagna à la cause de la justice. Tous les évêques d’Egypte récusèrent, les membres du concile qui étaient ouvertement déclarés contre Athanase ; Eusèbe de Nicomédie et Eusèbe de Cæsarée ; Flaccillus, Narcissus, Theognis, Maris, Théodore, Patrophile, Théophile, Macedonius, Georges, Ursace et Valens. Ces deux derniers auront dans l’histoire un trop long retentissement.
On passa outre. On reçut comme accusateurs contre Athanase les schismatiques et les hérétiques. Des cent

évêques qui reconnaissaient Alexandrie comme église- mère, aucun n’élevait, de plaintes ; ou ne pouvait citer un seul catholique parmi les accusateurs. Les hérétiques et les schismatiques reprochaient à Athanase des violences qu’il aurait exercées contre eux. On faisait surtout grand bruit d’un certain Ischyras, qui avait été invalidement ordonné par le prêtre Colluthus, un des ecclésiastiques insurgés autrefois contre saint Alexandre, et qui avait été placé comme prêtre dans un village. Déjà Athanase avait prouvé à Constantin, lors de son voyage à Nicomédie, que cet Ischyras n’était pas prêtre ; qu’il n’avait pas d’église dans le village où il habitait ; qu’on lui avait interdit le service religieux, mais que l’on n’avait ni renversé son autel, ni brisé son calice, comme les accusateurs le prétendaient.
Quoique cette accusation eût été réduite à néant, on la renouvela au concile de Tyr, et, malgré les éclaircissements donnés, 1’assemblée choisit une commission, composée des plus grands ennemis d’Athanase, pour aller vérifier sur les lieux ce qui s’était passé. Comme on voulait trouver Athanase coupable, on refusa d’admettre d’autres témoins que ceux qui l’accusaient, et l’on s’obstina à fermer les yeux à l’évidence qui ressortait même de leurs dépositions hostiles, à cause des aveux et des contradictions qui s’y rencontraient.
Tandis que la commission faisait son enquête en Egypte, on élevait à Tyr une accusation d’immoralité contre Athanase. Une vierge se présenta devant le concile, déplorant son malheur d’avoir été violée par l’évêque d’Alexandrie. Athanase, sans s’émouvoir, fit signe à son prêtre Timothée qui s’avança gravement en présence de cette femme et lui dit : « Comment pouvez- vous prétendre que j’ai logé chez vous et que je vous ai déshonorée ? — Oui, s’écria la femme, en élevant la main, c’est bien vous qui m’avez déshonorée ! et elle se mit à raconter les circonstances de l’attentat dont elle prétendait avoir été victime.
Voyant que cette malheureuse ne connaissait même pas Athanase qu’elle prétendait accuser, plusieurs des

pères se mirent à rire ; mais ceux qui l’avaient, mise en avant, honteux de leur intrigue infâme, la firent chasser de l’assemblée. En vain, Athanase demandait-il qu’elle fût arrêtée et mise à même de déclarer ses complices ; on n’écouta point cette juste réclamation, et l’on prit soin que l’accusation ne parût pas au procès-verbal de la séance.
Un nouvel échec attendait les hérétiques. Les méléciens avaient accusé Athanase d’avoir tué Arsenius, un de leurs évêques et de lui avoir coupé une main dont il se serait servi pour des opérations magiques. Ils avaient fini, disaient-ils, par s’emparer de cette main, et la montraient comme une preuve contre Athanase. Lorsque cette accusation avait été portée devant Constantin à Nicomédie, Athanase était parvenu à prouver l’existence d’Arsenius, et l’empereur n’avait plus attaché d’importance à l’accusation. Mais les méléciens et les ariens s’étaient emparés de nouveau d’Arsenius et l’avaient séquestré. C’est pourquoi ils soulevèrent contre Athanase l’ancienne accusation de meurtre ; ils montraient la fameuse main qui avait servi aux maléfices.
Mais Arsenius s’était lassé du rôle qu’on lui faisait jouer. S’étant esquivé du lieu, où on l’avait enfermé, il était venu secrètement à Tyr ; le représentant de l’empereur, Archelaüs, en ayant été informé, le fit mettre sous bonne garde et en donna avis à Athanase.
Lorsque les ariens exhibèrent la main magique et articulèrent l’accusation de meurtre, Athanase s’informa si, dans l’assemblée, il y avait des membres qui eussent connu Arsenius. Plusieurs déclarèrent qu’ils l’avaient parfaitement connu. Alors le prétendu mort fut introduit devant l’assemblée et fut parfaitement reconnu par ceux qui l’avaient vu autrefois. Athanase leva successivement les deux côtés du manteau d’Arsenius et dit : « Voilà bien Arsenius avec ses deux mains ; Dieu ne lui en avait pas sans doute donné davantage ; que mes accusateurs veuillent bien dire où pouvait être placée la troisième qu’ils ont en leur possession ; ou bien que l’assemblée fasse rechercher d’où elle peut venir. »

Quelques membres s’écrièrent : Athanase est un magicien ; il trompe les yeux par ses prestiges. Le chef des méléciens, nommé Jean, successeur de Meletios, profita du tumulte pour s’esquiver ; il ne tenait pas à être interrogé sur la main dont il connaissait sans doute la provenance.
Au lieu de se rendre à l’évidence, les ennemis d’Athanase résolurent de le perdre. Mais Archelaüs le tira de leurs mains et le fit embarquer sur un vaisseau qui se rendait à Constantinople.
Les commissaires, chargés de vérifier l’accusation relative à Ischyras, refusèrent d’entendre les catholiques qui protestèrent avec unanimité contre leurs actes et prouvèrent qu’ils n’avaient été préoccupés que de l’idée de trouver Athanase coupable. Lorsque les commissaires furent dé retour à Tyr, le concile accepta leur enquête comme véridique, déposa Athanase et informa l’empereur de cette déposition. La plupart des évêques orthodoxes s’étaient retirés après le départ d’Athanase. Ceux qui étaient restés refusèrent d’acquiescer à la sentence. Parmi eux était Marcellus, évêque d’Ancyre, qui s’attira la haine des ariens par son zèle à défendre l’évêque d’Alexandrie.
Déjà il était entré en lutte avec eux par un ouvrage dirigé contre un philosophe partisan des idées d’Arius. Eusèbe de Cæsarée avait attaqué la doctrine de cet ouvrage comme hétérodoxe1. Ces premières polémiques, jointes à son dévouement à la cause d’Athanase pendant le concile de Tyr, signalèrent Marcellus comme un ennemi dangereux pour le parti.
Constantin n’avait encore, ni vu Athanase, ni reçu les procès-verbaux du conciliabule de Tyr, lorsqu’il envoya aux évêques l’ordre de se rendre à Jérusalem pour la dédicace de l’église du Saint-Sépulcre. En présence des divisions qui persistaient entre les évêques, il renonça à son projet d’aller lui-même à Jérusalem ; comme il avait refusé, au début des discussions, d’aller à


1 Nous exposerons plus loin celte polémique.

Alexandrie, pour ne pas être témoin des troubles qui agitaient cette Eglise.
Les évêques partirent de Tyr pour Jérusalem où beaucoup d’autres évêques étaient déjà réunis1. La Macédoine y avait envoyé l’évêque de son premier siège ; la Pannonie et la Mæsie étaient représentées par leur jeunesse la plus illustre ; on y voyait un saint évêque de Perse qui était l’ornement de cette Eglise et qui se distinguait par sa science comme par ses vertus ; les évêques les plus illustres de Gilicié et de Cappadoce y étaient. La Syrie, la Mésopotamie, la Phænicie, l’Arabie, la Palæstine, l’Egypte, la Lybie et la Thébaïde avaient envoyé un grand nombre de leurs évêques. Une multitude innombrable de fidèles était accourue de toutes les provinces. L’empereur avait envoyé des officiers pour subvenir aux besoins des pèlerins, et ces officiers avaient pour chef Mariànus, un chrétien fervent qui avait confessé Jésus- Christ pendant la persécution. Parmi les évêques, les uns célébraient des prières publiques, les autres adressaient des discours aux fidèles, soit en l’honneur du Sauveur dont ils exaltaient la mort et la résurrection, soit sur les questions théologiques qui préoccupaient les esprites. Quelques-uns interprétaient les saintes Ecritures dont ils expliquaient le sens mystérieux ; d’autres, qui n’étaient ni éloquents ni savants, se contentaient d’offrir à Dieu des sacrifices mystiques et non sanglants pour la paix commune, pour l’Eglise de Dieu, pour l’empereur, auteur de tant de biens, et pour ses très-pieux enfants.
Parmi les orateurs, on distinguait surtout Eusèbe de Cæsarée dont la science était connue de toute l’Eglise. Il expliqua les mystères chrétiens que rappelait la dédicace du superbe monument élevé par Constantin, et il en trouvait des figures dans les livres de l’Ancien Testament. Le docte écrivain jugea que l’Eglise du Saint-Sépulcre était digne d’un ouvrage spécial ; il le composa et l’offrit à l’empereur avec le panégyrique qu’il pro-


1 Euseb.. De Vit. Constant., lib. IV, ce. 43, 44, 45, 46.

nonça en son honneur à l’occasion des tricennales de son règne.
La dédicace de l’église du Saint-Sépulcre devint, une fête solennelle pour l’Eglise de Jérusalem1 ; ou la célébrait chaque année, et une grande multitude de pèlerins se rendaient dans la ville sainte pour y assister.
Les évêques ariens, réunis à Jérusalem, se formèrent en concile, et ils reçurent solennellement à la communion Arius et le diacre Euzoius, prétendant se conformer en cela aux ordres de l’empereur2. Mais, pendant qu’ils donnaient ainsi un gage à l’hérésie, Athanase arrivait à Constantinople et dénonçait les intrigues dont il avait été victime. Après la dédicace de l’église du Saint- Sépulcre ; plusieurs évêques étaient retournés à leurs Eglises. Arius et Euzoius s’étaient rendus à Alexandrie, mais les orthodoxes n’avaient pas voulu communiquer avec eux. Les évêques, qui avaient prolongé leur séjour à Jérusalem, y reçurent une lettre de l’empereur qui mandait à Constantinople ceux qui avaient formé le concile de Tyr. Voici le résumé de cette lettre :
« Constantin, victorieux, très-grand, Auguste, aux évêques qui se sont réunis à Tyr :
« J’ignore ce qui a été fait à votre concile, au milieu du bruit et des discussions ; il me semble cependant que, dans ces controverses, la vérité a eu beaucoup à souffrir ; que vous n’avez pas assez tenu compte de la vérité ; que vous n’avez pas assez considéré ce qui pouvait être agréable à Dieu. Mais la Providence divine fera découvrir tout le mal de cette discussion pour le dissiper, et nous mettra à même de savoir si vous n’avez agi que pour la vérité ou si vos jugements ont été rendus en haine de quelqu’un. Vous devrez donc vous rendre auprès de nous le plus vite possible, afin de nous expliquer vous-mêmes ce que vous avez fait. Vous comprendrez pourquoi je vous écris ainsi et pourquoi je vous mande


1 Sozomen., Hist. Eccl., lib. II, e. 26.
2 S. Athanas., Apol. cont. Arian.. §§ 84, 85,86 ; Sozom., lib. II, cc. 27, 28 ; Socrat., Hist. Eccl., lib. I, cc. 33, 54 ; Theodor., Hist. Eccl., lib. I, c. 29.

auprès de moi, lorsque vous saurez ce qui est arrivé. Lorsque je me promenais à cheval clans ma chère patrie qui a pris de moi son nom de Constantinople, l’évêque Athanase se présenta tout à coup devant moi, accompagné d’autres ecclésiastiques, et d’une manière si inattendue que j’en ai éprouvé une espèce de stupeur. Dieu m’est témoin que je ne l’ai pas d’abord reconnu, et que j’ai eu besoin de me faire dire qui il était et quelle injure il affirmait avoir soufferte. Je n’eus alors avec lui aucune explication et je ne le reçus pas. Lorsqu’il demandait à être entendu, que je m’y refusais, et que j’étais sur le point de le faire chasser de ma présence, il demanda qu’au moins vous soyez mandés ici ; il fit cette demande avec une grande assurance, et dans le but, dit-il, d’exposer en votre présence ce qu’il a eu à souffrir de votre part. Je n’ai pu refuser une chose aussi juste, et je vous ai écrit aussitôt, afin que tous les évêques, qui ont tenu le concile de Tyr, se présentent devant nous sans délai, afin de prouver que la sentence que vous avez prononcée est équitable. La divinité s’est servie de moi pour établir la paix dans l’empire, et porter son nom chez des barbares qui n’en avaient point entendu parler jusqu’alors. Ces barbares pourraient bien nous servir de modèles, à nous qui avons la prétention de professer la loi de Dieu, mais qui ne l’observons pas. Venez donc à moi en toute hâte, et soyez certains que je n’aurai pas d’autre but que de faire observer la loi de Dieu. »
Cette lettre causa beaucoup d’inquiétudes aux membres du concile de Tyr1. La plupart ne jugèrent pas à propos de partir pour Constantinople. Mais Eusèbe de Nicomédie, Eusèbe de Cæsarée, Theognis, Maris, Patrophile, Ursace et Valens s’y rendirent. Sachant bien que, en présence de l’empereur, ils ne pourraient soulever les accusations, ni du calice et de l’autel d’Ischyras, ni du meurtre d’Arsenius, puisque Constantin lui-même s’était prononcé en faveur d’Athanase sur ces questions, lors de son séjour à Nicomédie, ils inventèrent une autre


1 Socrat., Hist. Eccl., lib. 1, c. 35.

accusation. Arrivés à Constantinople, ils se présentèrent devant l’empereur et accusèrent Athanase d’avoir menacé d’empêcher le transport des blés d’Egypte à Constantinople. Nous avons, disaient-ils, pour preuve le témoignage de cinq évêques : Adamantius, Anubio, Arbæthio, Agathammon et Pierre.
L’accusation était d’autant plus grave que Constantinople ne comptait que sur les blés d’Egypte pour sa subsistance, et que déjà le retard des vaisseaux avait donné lieu à des émeutes. L’accusation lancée contre Athanase1 reposait sur un fait qui était tout à son honneur. Il avait distribué aux pauvres du blé que Constantin avait acheté pour eux, et il en avait été seulement pour sa peine. Sa charité fournit à ses ennemis le prétexte d’en faire un accapareur des blés destinés à Constantinople. Athanase demanda comment lui, pauvre et sans pouvoir, il aurait le moyen de commettre le délit qu’on lui reprochait. Mais Eusèbe de Nicomédie prétendit qu’Athanase était assez riche et assez influent pour faire à Alexandrie ce qu’il voudrait. Constantin ne crut sans doute pas à l’accusation lancée contre Athanase ; mais il jugea que, pour rétablir la paix, il fallait l’éloigner non-seulement d’Alexandrie, mais de l’Orient. Il le relégua donc à Trèves, dans la Gaule-Belgique. Les ariens auraient voulu que leur sentence de déposition fût confirmée, et que l’Eglise d’Alexandrie élût un nouvel évêque. Mais Constantin résista à toutes leurs sollicitations et ne permit pas que l’on donnât un successeur à Athanase. La sentence du concile de Tyr était ainsi considérée comme non avenue et l’exil d’Athanase n’était qu’une mesure de simple précaution contre les troubles qui agitaient l’Orient. L’intention de Constantin était, une fois les troubles apaisés, de rendre Athanase à son Eglise2.
Athanase trouva à Trèves un saint évêque, Maximinus, qui le reçut comme un martyr de la vérité. Son séjour en Occident devait naturellement y attirer l’atten-


1 S. Athanas., Apol. cont. Arian., § 18.
2 S. Athanas., Apol. cont. Arian., §§ 86, 87, 88.

tion d’une manière plus particulière sur les erreurs ariennes, et c’est à dater de cette époque que les Eglises occidentales prirent une part plus directe dans les discussions. Osius, les délégués de l’évêque de Rome au concile de Nicée, et les évêques occidentaux qui avaient assisté à cette grande assemblée, avaient fait sans doute connaître à ces Eglises la nature de ces discussions ; mais on n’avait pas eu occasion de s’en préoccuper, puisqu’on apprenait en même temps quelle était l’hérésie et sa condamnation. Mais lorsqu’on sut qu’en Orient Arius avait trouvé des défenseurs, malgré l’anathème qui l’avait frappé, on comprit que l’Occident devait faire entendre sa voix et se prononcer en faveur d’Athanase, le défenseur de l’orthodoxie.
Dans les Gaules surtout, on se déclara orthodoxe, et nous verrons bientôt de grands évêques de cette Eglise, comme Phæbadius d’Agen et Hilaire de Poitiers, consacrer leur éloquence et leur activité à la défense de la saine doctrine.
L’exil d’Athanase fut une victoire pour Eusèbe de Nicomédie et ses amis. Cet évêque se crut assez puissant pour obliger saint Alexandre de Constantinople de recevoir Arius à sa communion.
Après le concile de Jérusalem, l’hérétique était allé à Alexandrie, où il avait excité de grands troubles. Constantin le manda à Constantinople, afin de rendre compte de sa conduite1. Arius s’y rendit et y trouva Eusèbe de Nicomédie et ses autres partisans. Dès qu’il fut arrivé, l’Eglise fut divisée en deux partis : l’un défendant la foi de Nicée, l’autre se déclarant pour Arius. L’évêque, saint Alexandre, était fort inquiet de ce qui se passait, surtout en entendant Eusèbe le menacer de déposition s’il ne communiquait pas avec Arius. C’était moins cette menace qui le préoccupait, que le danger où la saine doctrine se trouvait. Il avait assisté au concile de Nicée et il s’était déclaré ouvertement fidèle à la doctrine qu’on y avait promulguée. Au lieu d’avoir recours à la dialec-


1 Socrat., Hist. Eccl., lib. I, cc. 37, 38.

Lique pour la défendre, il s’adressa à Dieu, et entreprit de le fléchir par ses jeûnes et ses prières. Il s’enferma donc dans l’église appelée Eirini (la paix), s’approcha du sanctuaire et se coucha sous la table sacrée, priant Dieu avec larmes, de prendre en main la cause de la foi. Il resta là plusieurs jours et plusieurs nuits, disant à Dieu : « Si la doctrine d’Arius doit l’emporter et être reconnue comme vraie, retirez-moi du monde ; mais si la foi que je professe est vraie, qu’Arius soit puni de son impiété. »
Tandis qu’Alexandre priait, on s’agitait à la cour. L’empereur fit venir Arius et lui demanda s’il admettait les décrets de Nicée. Il répondit sans hésiter qu’il les admettait et signa cette déclaration avec empressement. L’empereur lui ayant demandé s’il n’y avait pas quelque dissimulation dans ses déclarations, il fit serment qu’il n’y en avait aucune. Alors Constantin fit venir Alexandre et lui ordonna de recevoir Arius en communion. C’était un samedi, et Arius espérait entrer le lendemain à l’église avec tous les fidèles.
Lorsqu’il était sorti du palais, ses partisans l’avaient conduit comme en triomphe par toute la ville. En arrivant au forum de Constantin, il se sentit atteint de coliques horribles et demanda s’il n’y avait pas de lieux d’aisances dans les environs. On lui en indiqua, derrière le forum, et il y entra. Saisi d’un mal subit, il perdit une grande quantité de sang, et quelque temps après on le trouva mort.
Cette mort fut considérée comme une punition de Dieu. On s’en émut, non-seulement à Constantinople, mais dans le monde entier. Les amis d’Eusèbe de Nicomédie en furent comme frappés de stupeur, et Constantin y vit un nouveau motif de s’attacher fortement à la foi de Nicée.
Les évêques eusébiens ne restèrent pas longtemps à Constantinople après la mort d’Arius. Ils y avaient formé comme un concile dans lequel ils déposèrent Marcellus, évêque d’Ancyre.
Cet évêque1 s’était trouvé au concile de Jérusalem


1 Social.. Hist. Eccl., lib. 1, c. 36.

et on lui avait alors reproché de très-graves erreurs. Il avait publié un livre contre un certain rhéteur nommé Asterius qui parcourait les villes de Syrie, lisant partout un livre dans lequel il enseignait la doctrine d’Arius. Asterius se croyait un grand théologien et se prétendait digne de l’épiscopat ; mais, comme il avait sacrifié aux Dieux pendant la persécution, il ne put y parvenir. Marcellus d’Ancyre composa un livre contre Asterius ; mais, dit Socrate, en voulant le réfuter, il tomba dans l’erreur contraire, et ne craignit pas d’affirmer que le Christ était un homme comme les autres.
Les évêques du concile de Jérusalem ne se préoccupèrent point d’Asterius qui n’appartenait pas à l’ordre sacerdotal ; mais ils demandèrent à Marcellus raison du livre qu’il avait écrit.
Il est probable que ce fut principalement Eusèbe de Cæsarée qui souleva cette question ; car l’ouvrage de Marcellus lui avait paru si erroné qu’il avait composé deux ouvrages pour le réfuter. L’évêque d’Ancyre fut convaincu d’avoir enseigné la doctrine de Paul de Samosate et il promit de brûler son livre. Mais, avant d’exécuter sa promesse, il profita du trouble où le concile se trouva en recevant la lettre de l’empereur qui le mandait à Constantinople, et il s’esquiva.
A Constantinople, les évêques eusébiens reprirent cette cause ; condamnèrent l’évêque d’Ancyre, le déposèrent et ordonnèrent Basilius à sa place.
Marcellus avait-il réellement enseigné la doctrine qui lui était reprochée ? Il le nia depuis et fut réhabilité ; mais si l’on juge de son livre par la réfutation qu’en fit Eusèbe de Cæsarée, il ne fut pas irréprochable. Le docte évêque reproche d’abord à Marcellus des sentiments de jalousie et des procédés de polémique fort inconvenants1. Il expose ensuite avec beaucoup d’exactitude la doctrine orthodoxe sur la Trinité, et réfute l’erreur de Sabelli us qui ne voulait voir dans la Trinité qu’une même hypostase se manifestant successivement sous les


1 Euseb. Cæsar., lib. I, ami. Marculi., c 1.

noms de Père, de Fils et de Saint-Esprit. Si Sabellius avait raison, Jésus-Christ aurait été la même personne que le Père ; or, comme l’Evangile le distingue parfaitement du Père, il s’ensuit qu’il n’était qu’un pur homme. C’est, ainsi que cette dernière hérésie de Paul de Samosate était une déduction logique de celle de Sabellius.
Eusèbe reproche ces hérésies à Marcellus. Avant de le prouver, il établit que son adversaire avait commis des fautes grossières en citant les Ecritures1 ; qu’il avait cédé à la vanité de paraître savant en citant les auteurs profanes qui ne pouvaient apporter aucune lumière dans les doctrines qu’il voulait exposer2.
Un autre reproche d’Eusèbe, c’est que Marcellus s’était attaqué non-seulement à Asterius, mais aux plus dignes évêques, comme le Grand Eusèbe (de Nicomédie), Paulinus de Tyr, devenu évêque d’Antioche ; à Origène qui ne pouvait se défendre puisqu’il était mort depuis longtemps, à Narcissus de Néroniade, enfin à un autre Eusèbe. C’est ainsi que l’évêque de Cæsarée se désigne lui- même3. Il prouve, par des textes empruntés au livre de Marcellus, qu’il ne parla qu’avec passion de ses adversaires et qu’il imputa à Origène des doctrines que ce grand homme n’avait pas enseignées. On remarque, dans un de ces textes, que Marcellus ne regardait pas Origène comme suffisamment instruit des saintes Ecritures, lorsqu’il écrivit son livre des Principes. On est obligé de convenir que le reproche d’ignorance adressé à Origène par l’évêque d’Ancyre est au moins très-singulier.
Eusèbe reproche à son adversaire d’avoir cité avec mauvaise foi quelques-unes de ses paroles, et celles d’Eusèbe de Nicomédie, de Paulinus et de Narcissus, pour leur attribuer une doctrine qu’ils ne professaient pas.
Il est certain que, dans les passages cités par Eusèbe, on remarque beaucoup de fiel et d’exagération.
Dans son second livre, Eusèbe expose la doctrine


1 Euseb. Cæsar., lib. I, cont. Marcell., c. 2.
2 Ibid., c. 3.
3 Ibid., c. 4.

de Marcellus, qu’il résume dans ces quatre erreurs 1° Il a enseigné que le Fils de Dieu, avant la naissance qu’il reçut de la vierge Marie, n’était rien, et qu’il n’avait pas préexisté à cette naissance1 ;
2° Touchant le Verbe de Dieu, il le confond avec le Père et le Saint-Esprit, et n’admet qu’une substance en Dieu, sans distinction des personnes2.
3° En ce qui concerne la chair du Christ que prit le Verbe, il enseigne qu’elle doit être tellement séparée du Verbe lui-même qu’en Jésus-Christ il y avait une véritable personne humaine3 ;
4° Touchant la fin du règne et de la chair du Christ, il enseigne que le règne du Christ ne sera pas éternel, qu’il finira quand il aura obtenu le résultat pour lequel il a été établi ; que la chair du Christ ne restera pas unie au Verbe dans l’éternité, et qu’elle sera anéantie
Eusèbe établit ces quatre points par des extraits textuels du livre de Marcellus. On a fait de grands efforts pour donner à ces extraits un sens orthodoxe ; mais il nous paraît certain que Marcellus a réellement enseigné les erreurs que Eusèbe lui a reprochées. En cela nous sommes d’accord avec de graves personnages, comme saint Basile de Cæsarée, saint Jean Chrysostôme et saint Hilaire de Poitiers, et même saint Athanase dont Marcellus se montrait cependant partisan très-décidé.
Eusèbe de Cæsarée dirigea encore contre Marcellus d’Ancyre ses trois livres De la théologie ecclésiastique. Après avoir reproché à son adversaire d’enseigner la même doctrine que Sabellius, il expose la vraie doctrine de l’Eglise. Voici comment il s’exprime au sujet du Fils : L’Eglise enseigne qu’il n’y a qu’un Dieu Tout-Puissant, lequel est en même temps Père ; Père d’un seul Christ ; mais Seigneur et créateur de toutes choses, et Dieu. De la même manière elle reconnaît comme Fils unique de Dieu Celui (fui a été engendré du Père avant


1 Euseb., Cont. Marcell., lib. II. c. 1.
2 Ibid., c. 2.
3 Ibid., c. 5.
4 Ibid., c. 4.

tous les siècles. Elle ne confond pas son existence avec celle du Père, mais elle croit qu’il subsiste en lui-même et qu’il vit, vrai Fils, avec le Père, étant Dieu de Dieu, lumière de lumière, vie de vie ; engendré du Père d’une manière inénarrable, ineffable, absolument inconnue, insondable, pour donner le salut à tous. Sa subsistance n’est pas semblable à celle des autres ; il ne vit pas de la même vie que les êtres créés par lui. Il est seul engendré du Père seul ; il est la vie même existante1. »
On voit avec quel soin Eusèbe évite de tomber dans l’erreur de Sabellius, qui confondait l’existence du Fils avec celle du Père ; ce qui le conduisait à une personnalité unique en Dieu, et à nier la Trinité. On comprend que des hommes superficiels aient confondu facilement l’existence avec l’essence, et qu’en luttant pour l’unité d’essence du Père et du Fils, exprimée par le mot consubstantiel, ils se soient servis d’expressions imprudentes qui leur ont fait attribuer l’hérésie de Sabellius.
Eusèbe n’a pas employé le mot consubstantiel, dans son exposition de la foi de l’Eglise, mais il est évident qu’il ne fournit aucun prétexte de lui attribuer l’erreur d’Arius. Doctrinalement, il fut orthodoxe ; il n’eut que le tort de se trouver du côté d’Eusèbe de Nicomédie dans les discussions, et de s’être laissé tromper par les réponses captieuses d’Arius. Eh le lisant, on sent qu’il craignait avant tout de porter la plus légère atteinte au dogme de la Trinité, sur lequel repose le christianisme.
Quand il s’agissait pour lui de répondre à ceux qui demandaient l’explication de la génération éternelle du Fils, il répondait que c’était là un mystère incompréhensible pour notre intelligence bornée2.
Dans les trois livres De la théologie ecclésiastique, Eusèbe complète ses deux livres contre Marcellus. Il cite une foule de passages à l’appui des erreurs qu’il reproche à son adversaire et qui se résument dans les deux hérésies de Sabellius et de Paul de Samosate, lesquelles


1 Euseb., Theol. Eccl., lib. I, c. 8.
2 Euseb., Ibid., v. 12.

découlent l’une de l’autre, comme nous l’avons expliqué, malgré leur contrariété apparente.
Nous n’avons point à entrer dans les détails de cette discussion. Nous dirons seulement que Eusèbe y démontre d’une manière encore plus lumineuse que dans son premier ouvrage que Marcellus se servit d’expressions qui favorisaient les plus graves hérésies. Le docte évêque de Cæsarée s’y montre très-préoccupé du sabellianisme qui lui paraissait être alors le grand danger de l’Eglise. C’est sous cette préoccupation qu’il écrivit son ouvrage, De la foi, contre Sabellius, et plusieurs autres ouvrages sur Dieu considéré dans son essence spirituelle et invisible. Il craignait que l’on n’abusât des discussions sur la génération éternelle du Fils, pour considérer cette génération comme une émanation d’une partie de l’essence divine.
Ce n’était que par occasion que de vieilles amitiés pouvaient arracher Eusèbe de Cæsarée à ses savants travaux, et l’entraîner dans les discussions qui agitaient si malheureusement l’Eglise.
En présence des erreurs reprochées à Marcellus, et des attaques assez passionnées élevées par lui contre les principaux protecteurs d’Arius, on comprend que ces évêques l’aient incriminé au concile de Jérusalem, et l’aient déposé dans le concile de Constantinople. Il fut tour à tour réhabilité et déposé, comme on le verra dans la suite.
Constantin quitta Constantinople, peu de temps après les évêques qui y avaient tenu le concile (336). Il régnait depuis trente-deux ans et il en avait vécu soixante, toujours en bonne santé et si vigoureux qu’il s’était livré jusqu’alors à tous les exercices militaires1.
A l’âge de soixante ans, il se sentit malade, et n’ayant pas trouvé de soulagement dans les eaux thermales de


1 Euseb., De Vit. Constant., lib. IV, c. 55.
Les légendes romaines prétendent qu’il avait eu la lèpre et qu’il en fut guéri parle baptême. Eusèbe qui connaissait intimement Constantin n’aurait-il pas su ce fait s’il eût été vrai ?

Constantinople, il se fit transporter à Hélénopolis1. Eli y arrivant, il resta longtemps en prières dans le temple des martyrs. Sentant que son dernier jour approchait, il pensa qu’il était temps d’effacer tous les péchés de sa vie, car, dit Eusèbe, il croyait fermement que toute faute où l’humanité avait failli en lui, serait effacée par l’efficacité des paroles mystérieuses et le bain salutaire. Pénétré de ces pensées, il se prosterna devant Dieu, confessa ses péchés dans l’église même, et en demanda humblement pardon à Dieu. Ce fut là qu’il mérita de recevoir d’abord l’imposition des mains qui fut faite dans un office solennel.
Il se dirigea de là dans le faubourg de Nicomédie, et, ayant, réuni les évêques, il leur adressa ces paroles :
« Voici arrivé le temps après lequel j’aspirais, et où mes vœux les plus ardents, mes plus vifs désirs seront satisfaits, en recevant le salut en Dieu. Voici le temps où je dois, moi aussi, recevoir le signe qui donne l’immortalité et le salut. J’avais conçu autrefois le projet de le recevoir dans le Jourdain où le Sauveur, pour nous servir d’exemple, a voulu être baptisé ; mais Dieu, (pii connaît très-bien ce qui m’est utile, daigne m’accorder que ce soit ici. Donc, je n’hésite plus ; si Dieu, arbitre de la vie et de la mort, veut que je vive plus longtemps, j’en prends la résolution, je ferai partie du peuple de Dieu ; je participerai aux prières communes dans l’Eglise, et je promets de m’imposer des règles de vie qui soient dignes de Dieu. »
Quand il eut ainsi parlé, les évêques procédèrent solennellement à l’accomplissement des rites divins après lesquels Constantin participa aux saints mystères. C’est ainsi, dit Eusèbe, que le premier de tous les empereurs romains fut régénéré dans les témoignages du Christ. Gratifié du signe divin, il sentit une grande joie spirituelle et fut rempli de lumière. La foi qui s’était développée en lui était pour son âme une source de consolation, et il ne pouvait trop s’étonner des effets de la puissance


1 Euseb., De Vit. Constant., c. c. 61, 62.

di vine qu’il ressentait. Quand tous les rites eurent été accomplis, Constantin fut revêtu d’habits d’une blancheur éclatante et fut couché dans un lit blanc. Il ne voulut plus dès lors toucher à la pourpre impériale.
Après avoir prié Dieu à haute voix1, il ajouta : « Maintenant, je suis réellement heureux, digne de la vie immortelle, et en possession de la divine lumière. » Il déplorait le malheur de ceux qui étaient privés des biens spirituels. Ses officiers l’entouraient en pleurant et lui souhaitaient une plus longue existence. Mais il leur répondait qu’il était temps pour lui d’aller à Dieu, et qu’il y allait avec bonheur. Il mourut le jour de la Pentecôte, vers midi. A peine la nouvelle de sa mort s’était- elle répandue, que les officiers du palais, l’armée et le peuple entier donnèrent les marques de la plus vive douleur. Tout le monde comprenait la perte que faisait l’empire. Le corps de Constantin, déposé dans un coffre d’or et recouvert de la pourpre impériale, fut porté par des soldats, de Nicomédie à Constantinople, et exposé dans le palais, couvert des insignes de la dignité impériale, et entouré d’un cercle éblouissant de lumières. Pendant plusieurs jours, les officiers supérieurs venaient tour à tour lui rendre les honneurs militaires comme s’il eût été vivant, et les hauts dignitaires de l’empire se faisaient un devoir de lui témoigner leur respect. En souvenir du grand empereur, tous les corps d’armée proclamèrent ses trois fils Augustes et jurèrent de ne pas reconnaître d’autres souverains.
Rome, comme le reste de l’empire, fut dans le deuil ; les monuments publics et les théâtres furent fermés ; il n’y avait qu’une voix pour rendre justice au grand homme que l’on venait de perdre ; on demandait que son corps fût apporté à Rome, et on proclama d’une voix, unanime ses enfants Augustes.


1 Euseb., De Vit. Constant., lib. IV, c. c. 63 et seq.
Socrate affirme, comme Eusèbe, que Constantin fut baptisé à Nicomédie, pendant sa dernière maladie, et peu avant sa mort. (Socrat., Hist. Eccl., lib. I, c. 39.) Sozomène (Hist. Eccl., lib. II, c. 34) affirme la môme chose, ainsi que Theodoret. (Hist. Eccl., lib. I, c. 30.)
Aucun document authentique ne contredit l’affirmation précise de ces historiens.

Constantin arriva le premier auprès des dépouilles mortelles de son père, et il le fit inhumer avec pompe dans l’église des Apôtres du Sauveur, à Constantinople. Le clergé et le peuple mêlaient leurs larmes, priaient Dieu pour l’âme de l’empereur, et l’on offrit pour lui la liturgie mystique1.
L’Eglise orthodoxe a placé l’empereur Constantin parmi les saints dignes d’un culte public, et a reconnu en lui, avec raison, un véritable apôtre du Christ. En effet, grâce à ses exemples et à son zèle, de nombreux païens abandonnèrent le culte des idoles et embrassèrent le christianisme. Il ne persécuta point les partisans de l’idolâtrie ; mais, parmi les mystères de ce culte, ceux qui n’étaient que des écoles d’immoralité ne devaient pas être respectés. Il devait à son amour de la vertu et du bien général de les détruire. Persuadé que le christianisme serait pour le monde un principe de régénération, il devait travailler, comme il l’a fait, à sa propagation. Il n’identifia pas l’Eglise avec l’Etat, mais il favorisa l’Eglise comme une institution sociale capable de moraliser les peuples et de répandre les saines notions de la vérité et du bien2.
Constantin ne travailla pas seulement à la propagation du christianisme dans l’empire romain, et ce fut par son entremise que fut organisée l’Eglise de Géorgie. Ce royaume, situé entre l’Arménie supérieure au midi et les montagnes du Caucase au nord, était habité par une colonie d’Ibères, peuple originaire d’Espagne3. Dieu permit qu’une femme vertueuse et chrétienne fut prise par ce peuple et emmenée en captivité. Elle continua la sainte vie qu’elle avait menée jusqu’alors, joignant à une grande chasteté des jeûnes et des prières conti-


1 On voit par ces paroles d’Eusèbe (c.71) qu’au commencement du IVe siècle on était dans l’usage de prier pour les morts et de célébrer pour eux la liturgie. Nous avons déjà cité plusieurs témoignages plus anciens encore qui établissent que la primitive Eglise croyait, comme l’Eglise orthodoxe actuelle, que l’on devait prier pour les morts.
2 Voy. sur l’influence de Constantin dans les affaires religieuses, des réflexions générales dans l’Introduction placée en tête de ce volume.
3 Ruffin, Hist. Eccl., lib. I, c. 10 ; Socrat., Hist. Eccl., lib. I, c. 20 ; Sozom., Hist. Eccl., lib. II, c. 7.

nuelles. C’était pour les Ibères un sujet d’étonnement, et ils demandaient à la femme chrétienne l’explication de ses actions : « J’adore ainsi, répondait-elle, le Christ qui est mon Dieu. » Ce nom leur était absolument inconnu.
Dieu avait résolu d’amener, par l’esclave chrétienne, tout un peuple à l’Evangile, et il lui accorda le don des miracles.
Un enfant étant tombé malade, on le porta, selon l’usage du pays, chez différentes femmes, afin de voir si elles connaîtraient des moyens de guérison. On apporta l’enfant à l’esclave chrétienne que le prit et le plaça sur une natte qui lui servait de lit. « Je ne connais, dit-elle, aucun remède humain ; mais Jésus-Christ, le Dieu que j’adore, a guéri beaucoup de malades et peut encore guérir celui-ci. Elle se mit en prières et rendit l’enfant parfaitement guéri.
Ce miracle fit grand bruit et parvint à la connaissance de la reine qui elle-même devint malade quelque temps après. Elle demanda l’esclave chrétienne qui, par modestie, refusa d’aller au palais. Alors la reine se fit porter à la demeure de la pieuse femme qui pria pour elle et obtint sa guérison immédiate : « C’est Jésus-Christ qui vous a guérie, lui dit-elle ; invoquez-le ; c’est le vrai Dieu qui donne aux rois la puissance et la vie à tous les hommes. »
La reine engagea son mari à renoncer aux idoles pour adorer le vrai Dieu qui l’avait guérie. Celui-ci hésitait, lorsqu’un jour il se trouva enveloppé de ténèbres si profondes qu’il ne pouvait retrouver le chemin de la ville. Il songea alors au Christ dont on lui avait parlé, et promit que, s’il était délivré du péril où il se trouvait, il le reconnaîtrait pour Dieu. Aussitôt la lumière brilla. Rentré dans sa ville, le roi fit venir la femme chrétienne qui l’instruisit de son mieux et engagea le roi à bâtir une Eglise semblable à celles que l’on élevait chez les Romains.
La construction fut aussitôt commencée ; mais lorsqu’on voulut placer les colonnes, il fut impossible de remuer la troisième. La pieuse femme passa la nuit en

prière. Le matin, quand le roi se rendit auprès de la colonne, il la trouva debout, suspendue en l’air, et la vit se poser d’elle-même sur sa base. Ce nouveau miracle fit grand bruit dans le peuple qui demandait à connaître le vrai Dieu. Le roi se fit l’apôtre des hommes ; la reine instruisit les femmes, et, par le conseil de l’esclave, on envoya une députation à Constantin pour lui demander un évêque et des prêtres, afin de former et constituer la nouvelle Eglise. Constantin en envoya aussitôt et lut plus heureux de la conversion des Ibères que s’il eût ajouté un nouveau peuple à son empire
A la même époque, l’Abyssinie fut éclairée des lumières de la foi. Ce pays appartenait à ces vastes régions méridionales que les Grecs et les Romains appelaient les Indes, et qui étaient habitées par des races aussi diverses par l’origine que par le langage. Plusieurs apôtres, comme Matthieu, Thomas et Barthélemy, avaient annoncé l’Evangile à plusieurs tribus indiennes, et Pantène y avait retrouvé les traces de cette évangélisation primitive ; mais les peuplades abyssiniennes n’avaient pas encore entendu parler de Jésus-Christ au commencement du IVme siècle. Quelques relations avaient existé entre eux et les Romains ; mais elles avaient cessé d’exister lorsqu’un philosophe de Tyr, nommé Meropius, entreprit de visiter leur pays. Il emmena avec lui deux jeunes gens de sa famille, et dont il faisait l’éducation. Ils se nommaient Edesius et Frumentius2. Après avoir visité le pays, Meropius s’embarqua pour retourner à Tyr. Le vaisseau aborda, pour se ravitailler, à une ville inhospitalière. L’équipage fut attaqué et tous les passagers furent tués, excepté Edesius et Frumentius que l’on trouva sous un arbre étudiant leurs leçons. On eut pitié


1 L’Eglise de Géorgie resta isolée de toutes les autres, par suite des événements politiques et des guerres qui désolèrent les contrées d’alentour. Au commencement de ce siècle, la Géorgie étant devenue une province de l’empire de Russie, on put étudier son Eglise qui se trouva en tout semblable à l’Eglise catholique orientale ou græco-russe. Celte coïncidence est une preuve de la fidélité des deux Eglises à conserver la foi et les institutions apostoliques des trois premiers siècles.
2 Ruffin, Hist. Eccl., lib. I c. 9 ; Socrat., Hist. Eccl., lib. I, c. 19 ; Sozom.. Hist. Eccl., lib. II, c. 21.

de leur jeunesse et on les conduisit au roi qui les prit à son service. Edesius devint son échanson et Frumentius, son secrétaire.
Ce roi mourut quelques années après, laissant un fils en bas âge. Avant de mourir, il avait rendu la liberté à Edesius et à Frumentius, mais la reine les supplia de rester au service de son fils, jusqu’à ce qu’il fût en âge de régner par lui-même. Ils y consentirent et acquirent une grande autorité pendant cette régence. Le roi étant arrivé à l’âge où il pouvait gouverner, ils obtinrent la permission de retourner dans leur pays. Edesius se rendit à Tyr, mais Frumentius se dirigea vers Alexandrie, afin d’apprendre à l’évêque qu’il serait possible d’amener les Abyssins à la connaissance de l’Evangile.
Pendant son séjour en Abyssinie, Frumentius s’était préoccupé de l’évangélisation de ce pays. Il avait recherché des chrétiens parmi les Romains que le commerce amenait, dans ces contrées lointaines ; il les avait groupés ; avait enseigné les doctrines évangéliques à quelques indigènes et avait formé plusieurs petites communautés dont les membres se réunissaient pour prier ensemble.
Il trouva à Alexandrie le grand évêque Athanase. Il lui raconta ce qu’il avait fait en Abyssinie et le pria de choisir un évêque capable de poursuivre son œuvre, et de former une véritable Eglise des groupes chrétiens qu’il avait réunis. Athanase assembla plusieurs évêques pour entendre les récits de Frumentius. Après l’avoir écouté attentivement, il se leva et lui dit : « Quel autre pourrions-nous trouver qui ait l’esprit de Dieu comme vous, et qui puisse exécuter de si grandes choses ? » L’ayant ordonné évêque, il lui dit de retourner au pays d’où il venait avec la grâce de Dieu. Frumentius obéit et retourna en Abyssinie ; il convertit un grand nombre de païens par ses prédications et ses miracles, construisit des églises et fut regardé comme l’apôtre du pays1.


1 L’Eglise d’Abyssinie subsiste encore et a conservé, d’une manière assez pure, les doctrines et lus institutions des premiers siècles. Elle ne diffère que par des détails de peu d’importance de l’Eglise catholique orientale ou orthodoxe græco-russe.

Nous avons raconté comment l’Evangile avait été de nouveau annoncé aux Arméniens. On a tout lieu de croire que ce fut d’Arménie que le christianisme pénétra en Perse1. Il y fit des progrès rapides et l’on vit bientôt en ces contrées des Eglises organisées hiérarchiquement2. Les mages, qui formaient en Perse une caste sacerdotale, s’émurent des progrès de la nouvelle religion et se coalisèrent avec les Juifs, ennemis-nés de l’Evangile, et qui étaient en Perse nombreux et influents.
A la tête de l’Eglise chrétienne était Siméon qui avait le titre d’évêque de Seleucie et Ctésiphont. Les mages et les Juifs le dénoncèrent à Sapor qui était alors roi des Perses, et lui persuadèrent que l’évêque chrétien, ami de l’empereur des Romains, lui livrait les secrets de son pays.
Sapor fut trompé par ces calomnies et commença par charger les chrétiens d’énormes impôts que la plupart ne pouvaient pas payer, car ils avaient renoncé à leurs biens pour vivre dans la pauvreté. Les percepteurs avaient ordre d’employer contre eux les plus mauvais traitements, afin de les détacher de la religion. Ces violences n’obtenant pas de succès, Sapor ordonna de couper la tête à tous les membres du clergé, de démolir les églises, et de confisquer au profit de l’Etat les vases et tous les objets qui servaient au culte. Il cita Siméon à comparaître devant lui, l’accusant de trahir son pays et la religion de ses ancêtres.
Les mages, aidés des Juifs, se ruèrent alors sur les églises, saisirent Siméon, le chargèrent de chaînes et l’amenèrent au roi. Il résista à toutes les promesses, comme à toutes les menaces, et fut jeté en prison. En sortant du palais, le saint évêque aperçut son ancien ami Usthazades qui le saluait, mais il détourna les yeux avec mépris. Usthazades, intendant du palais et ancien précepteur de Sapor, avait manqué de courage en face de la persécution et avait trahi sa foi. Siméon le savait,


1 Sozom., Hist. Eccl., lib. Il, c. 8.
2 Ibid., c. c. 9 et seq.

c’est pourquoi il avait manifesté de l’horreur en apercevant l’apostat. Usthazades en fut si frappé qu’il s’écria : « Malheureux que je suis ! qu’aurai-je à supporter de la part du Dieu que j’ai trahi, lorsque Siméon, mon ancien ami, me traite de la sorte, et s’est éloigné de moi sans même m’adresser une parole ! » Il pleurait et s’abandonnait à la plus profonde douleur. Le roi en fut averti et lui en demanda la cause. Usthazades ne la dissimula point, et rendit courageusement témoignage à la foi qu’il avait apostasiée en apparence. Sapor chercha à le gagner par la douceur ; mais, voyant ses efforts inutiles, il ordonna de trancher la tête au vénérable vieillard. Usthazades demanda comme dernier service qu’un héraut le précédât pendant qu’il irait au supplice et criât à haute voix qu’il était condamné, non pas parce qu’il avait manqué à ses devoirs envers le roi, mais parce qu’il était chrétien. Sa demande fut accueillie ; il marcha au supplice avec courage et mourut pour sa foi.
Siméon l’apprit dans sa prison et en rendit grâces à Dieu.
Le tour du saint évêque arriva. Il fut conduit au supplice avec cent autres chrétiens. Il les exhorta tous à mourir courageusement ; puis il eut lui-même la tête tranchée. Parmi ces martyrs, on distinguait Abedekhalaas et Ananias, deux prêtres d’un âge avancé et qui secondaient Siméon dans le gouvernement de ses églises.
Comme Ananias tremblait en présence de la mort, Pousikis, le chef des artistes du roi, lui dit : « Vieillard, ferme les yeux pour un moment et prends courage ; un instant après tu verras la lumière du Christ. » Un espion ayant entendu ces paroles, on conduisit Pousikis au roi. Le courageux chrétien parla au tyran avec une telle énergie qu’il fut condamné à un supplice plus cruel que les autres. Les bourreaux lui percèrent la gorge et lui arrachèrent la langue par cette ouverture. Sa fille, vierge consacrée à Dieu, fut dénoncée dans le même temps et souffrit courageusement le martyre comme son père.
Un an après, Sapor promulgua un édit de persécution générale par tout son royaume. Tous ceux qui

s’avoueraient chrétiens devaient être mis à mort. Les mages et les Juifs se mirent à la recherche de ceux qui se cachaient, et se firent leurs délateurs. Des chrétiens, en grand nombre, donnèrent leur vie pour la foi. Le palais du roi fut lui-même ensanglanté, et son eunuque chéri, Azadas, fut conduit au supplice. Cette mort lui fut sensible et il ordonna qu’à l’avenir on ne punirait de mort que les docteurs de la loi chrétienne.
Nous avons déjà rencontré, dans l’histoire, les Juifs parmi les persécuteurs acharnés des chrétiens. Partout où ils se sentaient soutenus, ils se transformaient en délateurs et en bourreaux de leurs adversaires. C’est un fait grave que l’histoire sérieuse doit prendre en grande considération. Il expliquera des faits postérieurs.
La femme de Sapor étant alors tombée malade, les Juifs eurent la bassesse et la cruauté d’accuser plusieurs femmes chrétiennes d’avoir causé sa maladie par leurs maléfices. Parmi les accusées étaient la vierge Tarbula, sœur de l’évêque Siméon ; la servante de Tarbula qui était vierge comme elle, et sa sœur qui avait été mariée, mais qui, après la mort de son mari, observait le célibat religieux. Les Juifs prétendaient que, pour venger la mort de Siméon, elles avaient ensorcelé la reine. Celle-ci était juive ; elle crut ce que ses docteurs lui disaient la vérité. En conséquence, les mages firent le procès aux saintes femmes ; on les attacha à des poteaux par la tête et par les pieds, après quoi on les scia en deux. La reine dut passer entre les cadavres coupés en deux pour être délivrée du maléfice dont elle souffrait.
Avant le supplice, un mage, épris de la beauté de Tarbula, lui fit proposer d’être à lui ; il promettait de la sauver, elle et ses compagnes. La pieuse vierge rejeta ces propositions avec mépris et préféra mourir pour la virginité et la foi. Sapor ayant ordonné de ne poursuivre que les pasteurs des chrétiens, les mages se mirent à la recherche des évêques et des prêtres, dans tout le pays, mais surtout dans la province d’Adiabène qui était remplie de chrétiens.
Cette province était limitrophe de l’empire romain.

Parmi les évêques qui furent martyrisés, on cite principalement Acepsimas, Barbasimas, Paul, Gaddiabis, Sabinus, Maréas, Mocius, Jean, Hormisdas, Papas, Jacques, Romas, Maaris, Agus, Bokris, Abdas, Abdii- sous, Jean, Abram, Agdelas, Saboris, Isaac, Dausas. Ce dernier était évêque de la province de Zabdée que les Romains avaient enlevée aux Perses. Sapor y fit une irruption et en enleva une partie des habitants, parmi lesquels étaient, outre l’évêque Dausas, le chorévêque Mareabdis et deux cent cinquante clercs qui tous furent martyrisés1.
Parmi les évêques martyrs de la Perse, on cite particulièrement Millis qui avait d’abord été militaire, mais échangea cette profession pour celle d’apôtre de l’Evangile2. Ordonné évêque d’une certaine ville de Perse, il ne recueillit que de mauvais traitements pour son zèle à annoncer Jésus-Christ. Il secoua la poussière de ses pieds et se dirigea vers une autre ville. Celle qui avait résisté à ses prédications s’étant attiré peu de temps après la colère du roi, elle fut détruite et la charrue passa sur le lieu qu’elle avait occupé. Millis, ne portant avec lui qu’un sac dans lequel était le livre des Evangiles, se dirigea vers Jérusalem pour y prier, et passa de là en Egypte pour y visiter les moines, et se fixa en Syrie qu’il remplit du bruit de ses admirables actions. Il y mourut martyr.
D’après le témoignage de Sozomène, on évalua à seize mille le nombre des nobles qui furent martyrisés


1 Sozomène place la persécution de Sapor avant la mort de Constantin et la lettre écrite par cet empereur au roi de Perse, lettre que nous citerons tout à l’heure. Des érudits prétendent que la persécution n’eut lieu que sept ans après la mort de Constantin, sous le règne de Constantius, parce qu’alors il y eut en effet des excursions des Perses dans l’empire romain. La chronique de saint Jerôme est favorable à cette opinion, contredite formellement par le récit de Sozomène.
Un fait certain c’est que Constantin, un peu avant de mourir, voulait faire la guerre aux Perses. Ces derniers lui en avaient donc fourni l’occasion. Nous pensons que Sapor persécuta les chrétiens pendant le règne de Constantin ; que cet empereur lui écrivit pour faire l’apologie du christianisme ; que Sapor n’ayant pas tenu compte de ses avis, et ayant fait quelques agressions contre l’empire, Constantin résolut de lui faire la guerre. Nous croyons donc, devoir suivre l’ordre du récit de Sozomène qui paraît avoir parfaitement connu les faits de la persécution de Sapor.
2 Sozomen., Hist.,Eccl., lib. II, c. 14.

par Sapor. Le nombre des autres n’a pu être fixé même approximativement, par leurs compatriotes de Syrie, de Perse et d’Arménie.
L’empereur Constantin, ayant appris les cruautés dont les chrétiens avaient à souffrir, en éprouva un profond chagrin1. Il songeait aux moyens qu’il pourrait prendre pour les secourir, lorsque des ambassadeurs du roi de Perse arrivèrent à sa cour. Il leur accorda ce qu’ils demandaient et profita de cette occasion favorable pour écrire à Sapor une lettre dans laquelle il lui disait qu’il lui aurait beaucoup de reconnaissance, s’il cessait de les persécuter. Eusèbe nous a conservé cette lettre que nous devons analyser2 :
« Je garde la foi divine, je suis initié à la vérité, je l’ai prise pour guide et elle m’a conduit à la foi divine, c’est-à-dire à la religion sainte que je professe. C’est cette religion qui m’a conduit à la connaissance du Dieu très-saint. Avec le secours de ce Dieu, j’ai amené à l’espérance du salut tous les peuples, à partir des extrêmes limites de l’Océan, je les ai délivrés des tyrans qui les opprimaient et je les ai régénérés. C’est là l’œuvre de Dieu, dont l’étendard est brodé sur l’épaule de tous mes soldats, et qui m’a donné les plus éclatantes victoires. Ce Dieu, je professe ouvertement que je l’adore et que sa pensée nourrit et fortifie mon esprit.
« Ce Dieu, je l’invoque à genoux ; il m’inspire l’horreur du sang3, et de ces vanités qui sont pour les peuples une cause de si profonds désastres. Le Dieu que j’adore ne veut pas que l’on emploie pour la satisfaction de ses passions ce qu’il a créé, dans sa bonté, pour être utile à tous. Il ne demande à l’homme qu’un cœur pur et de bonnes intentions. Il aime la douceur, et ceux qui prati-


1 Sozom., Hist. Eccl., lib. II, c. 15.
2 Euseb., De Vit. Constant., lib. IV, c. 9 et seq.
Eusèbe ne dit pas que cette lettre fut écrite à l’occasion de la persécution, mais parce que Constantin apprit qu’il y avait en Perse de nombreuses églises. (Ibid., c. 8.) Le même historien mentionne une ambassade qui fut envoyée à Constantin par les Perses et la distingue d’une autre qui lui fut adressée vers la fin de sa vie, lorsqu’il apprit que les Perses voulaient attaquer l’empire, et qu’il se préparait à leur faire la guerre. (Ibid., c. c. 56-57.)
3 On peut voir ici une allusion à la persécution de Sapor.

quent la bonté ; il hait ceux qui aiment le trouble. Il aime la foi, et punit l’infidélité ; il est l’ennemi du despotisme et punit l’orgueil et l’arrogance ; il renverse les superbes et exalte les humbles et ceux qui ont souffert la violence.
« Je ne crois pas me tromper, mon frère, en adorant ce Dieu, père et créateur de tout ce qui existe. Ceux qui ont gouverné l’empire avant nous, ont voulu, pour la plupart, le nier ; mais ils ont eu une fin tellement déplorable, qu’elle doit servir d’exemple à ceux qui voudraient les imiter. Il en est un surtout que, dans sa vengeance, Dieu a transporté de notre pays dans le vôtre pour être, par son déshonneur et son ignominie, comme un exemple pour vous1.
« De nos jours, il en a été ainsi, et j’ai vu moi- même la fin malheureuse de ceux qui ont voulu persécuter le peuple de Dieu. C’est pourquoi je rends grâce à Dieu de ce que, aujourd’hui, tous les peuples de l’empire observent la loi divine et se réjouissent de la paix qui leur a été rendue. Je suis intimement persuadé que tout est en prospérité, lorsque tous les hommes se groupent autour du même Dieu et professent la même religion.
« Vous pouvez penser, d’après cela, combien j’ai appris avec plaisir que les chrétiens (car c’est d’eux que je parle) sont devenus très-nombreux dans les provinces de Perse. Je m’en réjouis, parce que je désire que votre empire soit prospère, et que les chrétiens soient heureux sous votre règne ; car c’est ainsi que vous pourrez jouir de la protection de Dieu souverain maître et père de toutes les créatures. Je les recommande donc à votre bonté ; en les traitant avec douceur, vous en retirerez de grands avantages et je vous en serai reconnaissant. »
Constantin avait les yeux sur toutes les nations, afin d’y faire régner la religion et la paix2. Cette réflexion d’Eusèbe peut donner à penser que la lettre de Constantin ne fut pas sans influence pour arrêter, du moins pendant quelque temps, la persécution de Sapor.


1 Cet exemple de Valérien n’a pu être cité qu’à Sapor persécuteur ; les considérations de Constantin n’auraient eu aucune raison, si le roi de Perse n’eût pas imité alors les empereurs romains persécuteurs.
2 Euseb., De Vit. Constant., lib. IV, c. 14.