— Constantin, empereur.
— Sa victoire miraculeuse contre Maxence.
— Il renonce à l’idolâtrie.
— Il protège le christianisme.
— Joie des fidèles.
— Restauration et reconstruction des Églises.
— Description de l’Église de Tyr.
— Lois de Constantin en faveur du clergé et des fidèles.
— Mouvement intellectuel dans l’Église.
— Eusèbe de Cæsarée.
— Ses ouvrages historiques.
— Ses ouvrages apologétiques.
— La Préparation, évangélique.
— La Démonstration évangélique.
— Contre Hiérodès.
— Ouvrages exégétiques.
— Ouvrages dogmatiques.
— Lactance.
— Son livre des Institutions divines.
— Rhéticius, évêque d’Autun.
— Ses ouvrages.
— Affaire des Donatistes.
— Conciles de Rome et d’Arles.
— État des Églises orientales.
— Conciles d’Ancyre et de Néocésarée.
— État des Églises occidentales.
— L’Église arménienne restaurée par saint Grégoire l’Illuminateur.

 

 

L’année 312, l’Empire romain était encore partagé entre Maximinus Daia qui dominait en Asie ; Maxentius, fils de Maximianus Herculius qui régnait à Rome ; Constantinus, ou Constantin le Grand qui avait succédé à son père Constantius Chlorus dans le gouvernement de la Gaule et des autres provinces occidentales. Enfin Licinius que Galerius avait associé à l’Empire, gouvernait la Pannonie et la Rhétie. Le vieux Dioclétianus vivait encore dans le mépris et l’obscurité.

Maximinus et Maxentius s’unirent contre Constantin. Celui-ci s’unit à Licinius auquel il donna sa sœur en mariage. Licinius marcha contre Maximinus qu’il vainquit. Ce tyran, frappé de la main de Dieu comme Galerius, l’imita en publiant avant de mourir un édit favorable aux chrétiens, Constantin marcha sur Rome pour y combattre Maxentius. Ce dernier fut vaincu et se noya dans le Tibre. Constantin, proclamé premier Auguste par le sénat, fit abattre les insignes de Maximianus et de Diocletianus. Ce dernier en mourut de chagrin. Constantin et Licinius restèrent seuls maîtres de l’empire. Mais ce dernier, jaloux de Constantin, lui déclara une guerre qui dura jusqu’en 324. Alors Constantin qui lui avait fait grâce de la vie après l’avoir vaincu, ayant appris qu’il continuait ses intrigues et cherchait les moyens de recommencer la guerre, le fit étrangler, et resta unique empereur romain.

Lorsque Constantin marchait sur Rome contre Maxentius, il était encore païen. Mais le souvenir de son père et ses propres dispositions le rendaient favorable aux chrétiens. Un fait miraculeux qui arriva alors prouva que Dieu l’avait choisi pour rendre la paix à l’Eglise et contribuer par sa puissance adonner au christianisme une nouvelle importance dans le monde. Constantin lui-même raconta le fait à Eusèbe de Césarée, et le confirma par serment.

Comprenant que pour vaincre son adversaire, il avait besoin, non-seulement de troupes, mais de l’assistance divine, il songeait en lui-même à quel Dieu il devrait avoir recours. La pensée lui vint que tous les empereurs qui avaient adoré plusieurs Dieux, étaient morts malheureusement, tandis que son Père qui n’en avait adoré qu’un avait toujours été heureux. Il en conclut que, comme son Père, il ne voulait adorer qu’un seul Dieu.

Il commença en conséquence à le prier de se faire connaître à lui, et de le protéger. Comme il était dans ces pensées, vers le milieu de la journée, et le soleil étant déjà un peu sur son déclin, il aperçut dans le ciel une croix lumineuse avec cette inscription : τούτψ νίκα. Les soldats aperçurent la même chose et furent tous très-étonnés.

 

Constantin cherchait en lui-même, ce que pouvait signifier cette vision. Pendant la nuit, le Christ lui apparut en songe avec le même signe lumineux et lui dit d’en faire fabriquer un semblable pour être son égide dans les combats. Dès le matin, il raconta à ses amis ce qui lui était arrivé ; il fit venir des ouvriers sachant travailler l’or et les pierreries et, s’asseyant au milieu d’eux, il leur décrivit exactement ce qu’il avait vu.

Eusèbe vit plus tard cet étendard sacré.

Il était composé d’une hampe assez longue couverte d’or avec une traverse qui lui donnait la forme d’une croix. A l’extrémité de la hampe était une couronne composée d’or et de pierres précieuses et dans laquelle étaient les deux premières lettres grecques du nom du Christ, X. P. de manière que la seconde était placée sur la première. Ce monogramme du Christ devint commun, et Constantin le porta toujours depuis sur son casque.

De la traverse de la croix pendait un voile de pourpre parsemé de pierres précieuses entremêlées d’or ; le travail en était admirable et les pierres jetaient des feux éblouissants.

Au-dessus du voile, et entre là traverse de la croix et le monogramme du Christ, étaient les figures de l’empereur et de ses deux fils.

Plus tard, l’empereur fit fabriquer des étendards semblables pour toute son armée.

Pendant que l’on faisait le travail, Constantin fit venir les prêtres chrétiens pour leur demander ce que signifiait la vision mystérieuse qu’il avait eue, et quel était le Dieu qui se manifestait à lui. Ils lui répondirent que c’était le Fils unique de Dieu, et que le signe était l’image du trophée de la victoire qu’il avait remportée sur la mort. Ils l’instruisirent des causes de la venue du Fils de Dieu dans le monde et du mystère de l’Incarnation.

Constantin écoutait avidement ces instructions. Il lut les livres saints sous la direction des prêtres et prit dès lors la résolution d’adorer le seul Dieu qui s’était manifesté à lui.

Constantin, assuré de la protection divine, marcha avec confiance contre Maxentius. Maître de Rome, il s’y fit élever une statue par laquelle il professait hautement le christianisme. II était représenté une croix à la main, et sur le piédestal était cette inscription : « Par ce signe salutaire, signe, du vrai courage, j’ai délivré votre ville du joug d’une domination tyrannique ; j’ai rendu au sénat et au peuple romain, la liberté, l’honneur et la splendeur. »

Licinius, après la victoire de Constantin, se rendit en Italie où il épousa la sœur de son collègue, Constantia. Les deux empereurs publièrent aussitôt un édit en faveur des chrétiens. Ils déclarent leur accorder la pleine liberté d’exercer leur culte, et annulent tous les édits qui avaient été publiés contre eux. Ils décident que les biens confisqués aux particuliers leur seront rendus, et que les édifices et les biens possédés par eux en commun seront également restitués, sauf au trésor public à indemniser ceux qui devraient les rendre.

Plusieurs sectes, surtout les Donatistes d’Afrique, prétendirent aux biens appartenant à la communauté des chrétiens ; c’est pourquoi les deux empereurs écrivirent au proconsul Anulinus que les biens devaient être restitués à l’Église catholique. Cette expression est remarquable et prouve que l’on ne confondait point les sectes avec la vraie Eglise qui se distinguait par son titre de catholique, c’est-à-dire qui avait pour elle la perpétuité et l’universalité :

Licinius ne fut pas fidèle à ses sentiments de tolérance et, pendant ses luttes contre Constantin, il persécuta les chrétiens.

Pour Constantin, il leur fut toujours favorable. Sous sa protection, les Eglises se relevèrent de leurs ruines ; il contribuait lui-même à leur restauration ou à leur agrandissement ; il en faisait construire de nouvelles et les dotait. Il avait toujours avec lui des évêques et leur extérieur pauvre ne l’empêchait pas de les recevoir à sa table. Bientôt les évêques tinrent des conciles sur les affaires de l’Eglise. Il les convoquait lui-même lorsqu’il le jugeait nécessaire et paraissait être l’évêque universel établi par Dieu lui-même. Dans toutes les provinces, les fidèles étaient remplis de joie en voyant leurs Eglises se relever plus grandes et plus belles qu’elles n’étaient auparavant ; leurs évêques entourés de plus d’honneurs ; les dons affluer pour des œuvres pieuses. Dans toutes les villes, il y avait des fêtes pour les dédicaces et les consécrations des nouvelles Eglises. Les évêques se réunissaient pour ces cérémonies ; les étrangers y accouraient et tous les fidèles y trouvaient l’occasion de montrer l’unité qui existait entre eux. Le Saint-Esprit se faisait sentir sur tous les membres de l’Eglise ; ils n’avaient qu’une âme et leurs cœurs étaient unis comme leurs voix, lorsqu’ils chantaient les louanges du Seigneur.

Eusèbe, qui nous a transmis ces détails, était donc bien l’interprète de ses frères, lorsqu’il disait :

« Chantez au Seigneur un cantique nouveau, parce qu’il a fait des choses admirables, et qu’il a manifesté sa justice en présence des nations. Nous pouvons bien répéter ces paroles des saintes Ecritures ; car, par la grâce de Dieu, après les cruelles épreuves dont nous avons été témoins, il nous est donné de voir et d’entendre des choses que bien des justes et de saints martyrs de Dieu, malgré leurs désirs, n’ont ni vues ni entendues. Enlevés à la terre, ils jouissent maintenant d’un bonheur divin dans le ciel ; mais nous aussi, nous possédons aujourd’hui un bonheur supérieur à tout ce que nous pouvions désirer en ce monde. En contemplant, étonnés, les merveilles de la magnificence de Dieu, nous pouvons dire avec le prophète : « Venez et voyez les œuvres du Seigneur qui a couvert la terre de prodiges, qui a fait cesser « la guerre jusqu’aux extrémités du monde, qui a brisé « l’arc et toutes les armes, et brûlé les boucliers. » Nous voyons avec bonheur ces paroles accomplies parmi nous. La race des impies a disparu du monde avec une rapidité qui nous rappelle encore cet autre oracle : « J’ai vu « l’impie orgueilleux et élevé au-dessus des cèdres du « Liban, et j’ai passé, et il n’était plus, et je l’ai cherché, « et je n’ai pu trouver la place qu’il occupait. » Sur l’Eglise du Christ, dans tout l’univers, nous voyons luire un jour serein dont aucun nuage n’obscurcit l’éclat, et Dieu n’a pas voulu que notre triomphe excitât la jalousie des gentils, il les a fait participer à tous les biens que sa bonté a répandus sur nous.

« Que nous sommes heureux de voir ces lieux, dévastés naguère, désolés comme après un long pillage, reprendre une vie nouvelle ! de voir les temples du Seigneur sortir de leurs ruines, se relever plus grands et décorés avec plus de magnificence.

« Les consécrations de ces nouvelles églises, les assemblées fréquentes des évêques, le concours des pèlerins qui viennent des régions les plus éloignées, l’amour qui règne entre les peuples divers, la sainte harmonie qui existe entre tous les membres du corps du Christ, qui vivent du même esprit, possèdent le même zèle pour la foi, et chantent au Seigneur les mêmes louanges : tel est le spectacle magnifique que nous avons sous les yeux. Les chefs de l’Eglise et les fidèles rivalisent de zèle, les uns pour s’acquitter parfaitement de leur ministère, administrer les mystères divins ; pour unir le chant des psaumes et des hymnes qui nous ont été divinement transmis aux rites mystiques, aux mystérieux symboles de la passion du Sauveur ; les autres louant Dieu, et, de tout leur cœur lui rendant grâces comme à l’auteur de tout bien. »

Parmi les Eglises qui furent alors consacrées, Eusèbe a mentionné spécialement celle de Tyr et nous a conservé le discours qu’il prononça en cette circonstance en présence de Paulinus, évêque de cette ville, et la description de l’Eglise elle-même.

C’est la première Eglise dont nous ayons trouvé la description dans les documents des trois premiers siècles. L’histoire doit la recueillir avec d’autant plus de soin que, d’après les détails que l’on rencontre dans les divers écrits du quatrième siècle, on a tout lieu de penser que la plupart des Eglises étaient construites sur un plan uniforme dont celui de l’Eglise de Tyr nous offre un spécimen complet.

La nouvelle Eglise fut élevée sur l’emplacement que l’ancienne occupait, mais avec de plus vastes proportions. Un mur d’enceinte l’isolait de toutes les autres constructions environnantes. A l’Orient s’élevait un vestibule spacieux ; il était si élevé qu’on l’apercevait de très-loin et qu’il semblait inviter les païens à se diriger vers l’Eglise. Sortant du vestibule, on n’entrait pas dans l’Eglise, mais dans un espace carré entouré de colonnes. Entre chaque colonne était une cloison en bois découpé à jour ; le centre du carré était découvert, et on y trouvait, en face de la porte de l’Eglise, une fontaine où l’on pouvait se laver. Les fidèles pouvaient s’y préparer à entrer dans l’enceinte sacrée, et les catéchumènes y demeurer convenablement. A la suite du péristyle, on rencontrait l’Eglise dans laquelle on entrait par trois portes ouvertes à côté l’une de l’autre et situées vers l’Orient, comme la porte du vestibule. Celle du milieu était plus élevée et plus large que les deux autres ; elle était en airain rehaussée d’ornements de fer et de ciselures. Chacune des portes latérales conduisait dans une galerie au-dessus de laquelle étaient pratiquées des fenêtres en bois sculpté, qui répandaient une vive clarté dans l’intérieur de l’édifice. Cet intérieur Ou nef correspondait à la grande porte du milieu. Elle était richement ornée, et soutenue sur des colonnes très-élevées. Elle était couverte avec des planches de cèdre du Liban.

Au fond de l’édifice étaient des sièges élevés pour les présidents, c’est-à-dire, pour l’évêque, les prêtres et les diacres, et dans le reste de l’espace, on avait placé des bancs pour les fidèles. Le saint des saints, c’est-à-dire, l’autel, était au milieu, c’est-à-dire, entre les sièges des présidents et ceux des fidèles. Mais, pour que ce lieu sacré fût inaccessible aux simples fidèles, il était entouré d’une cloison en bois artistement travaillé.

L’Eglise entière était pavée en marbre. En dehors, sur les côtés, étaient de grandes salles qui communiquaient, par des portes, avec l’Eglise elle-même. Ces salles étaient destinées surtout à ceux qui devaient recevoir le baptême.

Le commencement du discours prononcé par Eusèbe à la dédicace de cette magnifique Eglise, a un grand intérêt historique, en ce qu’il y fait allusion aux vêtements sacrés.

« Amis et prêtres de Dieu, dit-il, vous qui êtes revêtus de la tunique longue et qui portez la couronne céleste de gloire, signes de l’onction que vous avez reçue, et de la robe sacerdotale dont le Saint-Esprit vous a gratifiés. »

Ces paroles prouvent que les pasteurs de l’Eglise portaient à l’Eglise des vêtements spéciaux et des ornements parmi lesquels on remarquait surtout une couronne. Il est parlé de cette couronne dans un grand nombre de documents postérieurs. C’est dans Eusèbe que nous en rencontrons la première mention. Il en parle évidemment comme d’un usage ancien.

Constantin avait sans doute concouru aux frais de l’immense édifice construit par Paulinus, car il prescrivait d’aider les évêques au moyen des finances de l’Etat. C’est ainsi qu’il envoya l’évêque Osius de Cordoue en Afrique, en Numidie et en Mauritanie, afin de distribuer aux Eglises des sommes d’argent que le receveur Ursus devait mettre à sa disposition. Il déchargeait en même temps les évêques de toutes les charges de l’Etat, afin qu’ils pussent remplir avec plus d’exactitude leur ministère sacré.

 

Constantin publia de nombreuses lois en faveur de l’Eglise. Nous devons en donner l’analyse.

Ceux qui avaient été exilés pour avoir refusé de sacrifier aux idoles, furent rappelés de l’exil ; ceux qui avaient été condamnés aux mines ou à la prison furent mis en liberté, et leurs biens leur furent restitués. Les militaires, dégradés à cause de leur foi, furent réintégrés dans leurs grades, ou libérés de toute charge publique s’ils ne voulaient plus servir.

Les biens des martyrs furent rendus à leurs légitimes héritiers ; ou, faute d’héritiers, attribués aux Eglises. Tous les biens confisqués furent également restitués à leurs propriétaires légitimes.

Constantin résuma toutes ses lois dans une circulaire adressée dans toutes les provinces et qui dut servir de règle pour tous les cas qui devraient se présenter. Nous y remarquons surtout le paragraphe relatif aux biens des Eglises. « Ces lieux, dit-il, qui ont été honorés par les corps des martyrs, peut-on douter qu’ils n’appartiennent aux Eglises ? Bien plus, qui pourrait ne pas ordonner qu’ils leur appartiennent ?» Il décida donc que ces lieux injustement et violemment enlevés aux Eglises leur seraient restitués.

Ces lois furent mises immédiatement à exécution.

Constantin choisit des chrétiens pour gouverneurs de provinces ; les quelques païens qui restèrent en fonctions eurent ordre de ne pas offrir de sacrifices aux idoles. La même obligation fut imposée à ceux qui étaient investis des plus hautes fonctions. Ceux des fonctionnaires qui étaient chrétiens avaient toute liberté pour pratiquer leur religion ; les autres devaient s’en abstenir.

Constantin promulgua ensemble deux autres lois. Par la première, il était interdit d’élever de nouveaux temples païens ou de nouvelles statues des Dieux ; de tuer des victimes, et d’offrir les sacrifices détestables usités dans la plupart des villes et dans quelques villages, et auxquels on mêlait la magie. Par sa seconde loi, Constantin ordonnait d’élever des Eglises chrétiennes plus grandes que les anciennes, comme si tous les hommes devaient quitter l’idolâtrie pour embrasser le christianisme.

Il chargea spécialement les évêques de ce soin, et mit les fonds publics à leur disposition. Il adressa à cet effet aux premiers évêques des provinces une circulaire dans laquelle il disait :

« Je pense, très-cher frère, que tous comprendront que la puissance de Dieu s’est manifestée et que ceux qui ont failli, soit par crainte, soit par incrédulité, adopteront une manière de vivre conforme à la vérité et au bien. C’est pourquoi, dans les Eglises auxquelles tu présides, et dans les autres où tu sais que sont des évêques, des prêtres ou des diacres, aie soin que l’on s’occupe des Eglises d’une manière spéciale ; que l’on répare celles qui existent encore, ou qu’on les agrandisse ; ou qu’on en construise de nouvelles si cela est utile. Quant aux frais, on s’adressera, par ton entremise, aux gouverneurs des provinces qui ont reçu ordre d’obéir aux ordres de Ta Sainteté. Que Dieu te garde, très-cher frère. »

Constantin, devenu chrétien, professait hautement sa foi, non-seulement en favorisant le christianisme, mais en engageant les idolâtres à rejeter leurs erreurs. Il se croyait appelé, avec raison, à exercer un apostolat que sa haute position pouvait rendre plus efficace, par la grâce du Saint-Esprit. En suivant avec attention les annales de l’Eglise, on ne peut nier que Dieu n’ait confié à plusieurs souverains une haute mission pour la conversion des peuples. Certainement Dieu n’a pas plus besoin des rois que des hommes de génie pour l’exécution de ses desseins. Jésus-Christ l’a bien fait comprendre en choisissant douze pauvres travailleurs, simples et ignorants, pour être les colonnes du temple universel qu’il voulait élever au sein de l’humanité. Mais il n’a rejeté de son royaume ni les pauvres ni les rois, et il a su, dans toutes les conditions sociales, trouver les élus auxquels il devait confier une mission providentielle. Constantin fut le premier empereur romain chargé par Dieu de travailler à l’établissement de l’Eglise. Dans la suite de cette histoire, nous rencontrerons d’autres souverains qui reçurent des missions analogues et qui entraînèrent après eux vers le christianisme les peuples qu’ils gouvernaient.

Quelques écrivains systématiques, partisans exagérés et absolus de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, ont voulu attribuer à leurs idées une valeur rétroactive et universelle. Partout où ils rencontrent un souverain protégeant l’Eglise, ils le blâment comme s’il portait une main sacrilège sur le dépôt sacré. Cette disposition malveillante à l’égard des souverains chrétiens atteste, chez ceux qui en sont possédés, un jugement peu sûr et une connaissance trop peu sérieuse de la vraie doctrine chrétienne. L’Eglise peut vivre à l’état libre, comme elle le peut sous le régime de la protection ou de la persécution. Dieu lui a fait traverser toutes ces phases diverses, et, dans sa Providence, a jugé que la persécution lui était parfois nécessaire, comme moyen de préservation ou de purification. Il jugea aussi que, dans certaines circonstances et dans certains pays, la protection des souverains était utile ; c’est pourquoi, non-seulement il le permit, mais il l’approuva en manifestant sa volonté d’une manière miraculeuse, comme il le fit en appelant Constantin le Grand au christianisme.

Mais ce souverain vraiment chrétien, tout en professant noblement sa foi, et en remplissant avec zèle la mission apostolique à laquelle Dieu l’avait appelé, se montra, à l’exemple de Jésus-Christ, tolérant envers ceux qui n’étaient pas éclairés de la vérité. Nous en trouvons la preuve dans la circulaire qu’il adressa dans toutes les provinces de l’Empire contre l’idolâtrie. Il y rappelle que seul, parmi les empereurs, son père Constantius fut tolérant et adorateur du vrai Dieu ; que les autres s’abandonnèrent contre les chrétiens à des violences qui firent frémir la nature entière. Parmi les chrétiens, un grand nombre s’enfuirent chez les Barbares qui les reçurent avec bonté et profitèrent de leur séjour parmi eux. Après une invocation au Dieu qui avait manifesté sa puissance à son égard et qui avait sa foi, Constantin engage tout le peuple à embrasser le christianisme ; mais il ne veut pas que l’on emploie la violence pour y amener les gentils ; c’est par la persuasion qu’il faut vaincre les préjugés. Il entre dans quelques détails pour convaincre de la vérité de la religion. Elle n’est pas nouvelle, dit-il, elle est aussi ancienne que le monde ; mais les erreurs s’étant répandues sur la terre, Dieu, envoya son Fils pour la purifier et y répandre la vérité. Du reste, la nature entière rend hommage au Dieu suprême et unique, et celui qui ne le -voit pas refuse obstinément d’ouvrir les yeux à la lumière.

A la fin de sa circulaire, Constantin exhorte tout le peuple à la tolérance réciproque et aux bons procédés les uns à l’égard des autres.

Le grand et pieux empereur regardait comme indigne d’un prince chrétien d’avoir recours contre les païens aux violences que ses prédécesseurs avaient exercées contre l’Eglise. Il était dans son droit en travaillant à l’extension du christianisme dans la société qu’il était appelé à gouverner ; mais il savait que Jésus-Christ avait condamné tout acte violent, même inspiré par un motif religieux.

Le mouvement intellectuel devait nécessairement se développer dans l’Eglise sous le règne du premier empereur chrétien.

Parmi les écrivains célèbres qui alors travaillèrent pour la religion, la première place appartient à Eusèbe, évêque de Cæsarée, métropole de la province de Palestine.

Nous avons souvent cité les ouvrages historiques de ce savant évêque, surtout son Histoire de l’Église, dans laquelle il a conservé à la postérité de nombreux fragments d’ouvrages des premiers siècles aujourd’hui perdus. L’auteur avait entrepris de faire l’histoire des trois premiers siècles avec les documents historiques appartenant à chacun de ces siècles, et principalement avec les ouvrages des docteurs les plus illustres. Cette méthode vraiment historique est aussi la nôtre, et nous nous glorifions d’avoir pour maître, sous le rapport historique, un homme aussi savant que l’évêque de Cæsarée. Nous avons trop cité l’Histoire de l’Eglise pour que nous ayons besoin de nous étendre sur le mérite et l’importance de cet ouvrage. Nous en dirons autant de son livre Des martyrs de la Palestine que nous avons analysé dans nos récits.

Avant de parler de ses autres ouvrages, nous devons faire connaître l’auteur. Eusèbe naquit vers l’an 264, probablement en Palestine ou à Antioche. Il suivit, dans cette dernière ville, les leçons du prêtre Dorotheos. D’Antioche, il se rendit à Cæsarée et se lia avec le docte prêtre Pamphilos d’une telle amitié qu’il en adopta le nom, lorsque le saint prêtre eut souffert le martyre. Agapius était alors évêque de Cæsarée ; il est probable qu’il admit Eusèbe dans son clergé avec le titre de prêtre, et qu’il le chargea de l’enseignement de la religion dans l’école fondée par saint Pamphilos sur le modèle de celle d’Alexandrie. Lorsque la persécution eut éclaté, Pamphilos et son ami Eusèbe furent mis dans la même prison ; ils y travaillèrent ensemble à l’Apologie d’Origène. Après le martyre de saint Pamphilos, il put sortir de prison, et il visita plusieurs villes, en particulier Tyr et Antioche, où il fut témoin des combats de plusieurs martyrs. Il visita aussi la Thébaïde où il vit les cruautés horribles exercées contre les chrétiens. Après la persécution, il retourna à Cæsarée et il en fut élu évêque. Ses actes épiscopaux appartiennent à l’histoire du temps et nous aurons occasion de les faire connaître dans la suite.

Il est probable que ce fut après son retour à Cæsarée et avant son épiscopat, qu’il composa les ouvrages connus sous les titres de : Préparation évangélique et Démonstration évangélique. L’antiquité chrétienne n’a rien produit de plus savant.

Dans la Préparation, l’auteur a eu pour but d’établir l’antiquité de la religion, donnée par Dieu, dès le commencement, à l’humanité, et qui, par des progrès continus, arriva à l’Évangile qui est le plus complet développement de la révélation. Il s’est attaché à établir par des témoignages innombrables de tous les écrivains de l’antiquité, que le souvenir de la religion primitive s’était conservé dans l’humanité, malgré les erreurs nombreuses dont il était enveloppé, et que ce souvenir, transmis de génération en génération, chez tous les peuples, était une préparation à l’avénement du christianisme.

La Préparation évangélique est divisée en quinze livres. Dans les six premiers, l’auteur suit le développement des erreurs païennes qui ont obscurci la vérité révélée, et réfute ces erreurs. Le reste de l’ouvrage est consacré à la révélation hébraïque qui devait aboutir nécessairement au christianisme.

L’ouvrage est dédié à Théodote, évêque de Laodicée en Syrie,  Très-saint et très-aimé de Dieu, l’honneur et l’ornement des évêques. Théodote avait engagé Eusèbe à entreprendre cette œuvre. On sentait le besoin, au moment où l’Évangile brillait aux yeux de tous, de faire comprendre aux païens quels avantages il apportait au monde des intelligences ; de quelles splendeurs il couvrait ce monde de l’avenir qui avait toujours été pour les païens un insoluble problème.

Qui êtes-vous, demandaient les païens aux chrétiens ? êtes-vous grecs, êtes-vous barbares ? Ne voulez-vous pas aux pieds les traditions de vos pères, et n’avez-vous pas apporté dans le monde une religion nouvelle ? Vous semblez admettre le Dieu des Hébreux, et cependant vous n’en suivez pas les lois ; vous vous isolez de toutes les traditions.

Eusèbe conçut le projet de répondre à cette objection en démontrant que l’Évangile était le centre vers lequel convergeaient toutes les bonnes traditions, et qu’il ne rejetait que les erreurs ajoutées à ces traditions et qui étaient diverses chez les différentes nations.

Les chrétiens faisaient preuve de sagesse, en rejetant ces erreurs, afin de posséder la pure vérité.

Afin d’établir sa thèse par des faits, Eusèbe expose les théologies primitives des Phéniciens, des Egyptiens et des Grecs. Dans cet exposé, il s’appuie sur des textes des principaux philosophes, savants et historiens dont les ouvrages seraient entièrement perdus sans les extraits qu’il en a conservés.

Après avoir donné une idée exacte du paganisme primitif, il prouve, dans le second livre, que les Egyptiens ont d’abord altéré ces notions premières. Les Grecs acceptèrent les systèmes égyptiens et les léguèrent aux Romains.

Des philosophes avaient entrepris d’expliquer d’une manière allégorique les superstitions païennes, et d’attribuer à la nature et à ses divers éléments, ce que les théologiens personnifiaient dans certains individus.

Eusèbe s’attacha à démontrer que le système des allégories était contraire aux faits ; qu’alors même qu’il serait vrai, le paganisme n’en serait ni moins absurde dans ses doctrines, ni moins immoral dans ses mystères. Si le paganisme se ‘ réduisait au panthéisme, comme le prétendaient les philosophes, ou à l’adoration de la nature, il serait impossible d’expliquer les oracles. Les Dieux du paganisme étaient donc des êtres pensants, et ces êtres n’étaient autres que les démons.

Les oracles du paganisme étaient réels, et les sacrifices offerts aux Dieux étaient cruels. Les philosophes ne pouvaient le nier ; pour résoudre les objections qui en ressortaient contre le paganisme, ils eurent recours à des distinctions. Porphyre, en particulier, admit qu’il y avait de bons et de mauvais génies au-dessus desquels existait un Dieu unique et souverain. Ce Dieu ne se préoccupait point du culte des hommes ; et tout ce qui, dans ce culte, était cruel ou immoral, devait être attribué aux mauvais génies ou démons. Eusèbe réfuta ce système dans son quatrième livre et prouva que les Dieux du paganisme portaient la responsabilité de ce que Porphyre attribuait aux mauvais démons, et que le monde n’était délivré des horreurs du paganisme que par Jésus-Christ.

Dans le cinquième livre, Eusèbe s’attache au même sujet des oracles qui avaient une haute importance dans la vie païenne. Il en explique le vrai caractère, et il entre en des détails bien propres à leur enlever tout crédit dans l’esprit des hommes sensés.

La conséquence de toutes les erreurs païennes, c’était que l’humanité était soumise au fatum ou destin, être sans réalité, mais mystérieux et puissant dont la volonté s’imposait d’une manière tellement invincible que toute liberté disparaissait des actes humains, et avec elle toute moralité.

Cette doctrine était profondément entrée dans les mœurs de la société’ païenne. Eusèbe consacra son sixième livre à la réfutation de cette erreur, et en appela en faveur du libre arbitre, à l’autorité des meilleurs philosophes païens, et aux philosophes chrétiens. Parmi ces derniers, il cite spécialement Origène.

 

Après avoir ainsi réfuté le paganisme, l’auteur arrive à la religion hébraïque. Il la fait remonter aux temps antédiluviens, et avec raison, car la révélation mosaïque ne fut que le développement de la révélation patriarchale ou primitive que Dieu avait donnée à l’homme dès le commencement. Afin d’établir que c’est avec raison que les chrétiens avaient préféré la religion patriarchale et mosaïque aux systèmes païens, Eusèbe expose la doctrine des Hébreux sur Dieu, premier principe de l’être ; le Verbe, second principe ou cause créatrice de la matière ; sur les créatures intelligentes et sur les êtres matériels

Eusèbe cite ensuite des documents importants relatifs à la doctrine et à l’histoire hébraïques.

Il groupe ensuite tous les témoignages des écrivains païens sur les Hébreux. Ce livre est un des plus intéressants du docte ouvrage d’Eusèbe ; il a fourni d’amples renseignements aux érudits qui sont venus après lui.

Il était d’usage, parmi les Grecs, de mépriser les Barbares, c’est-à-dire, tous ceux qui n’étaient pas Grecs. Eusèbe leur démontre, dans son dixième livre, qu’ils n’ont été, dans leurs systèmes, que les plagiaires des Barbares. Il le prouve par les témoignages des écrivains les plus érudits du paganisme, du mosaïsme et du christianisme. Parmi ces derniers, il cite Africanus, Tatianus et Clément d’Alexandrie.

Après avoir prouvé cette thèse par des documents historiques, il la démontre par les points de rapprochement qui existent entre la philosophie grecque et la doctrine hébraïque. Le onzième livre est consacré à la comparaison entre les doctrines hébraïques et celles de l’école platonicienne sur Dieu, le principe créateur, le bien, les idées, les natures contraires, l’immortalité de l’âme ; le monde, son origine et sa fin ; la résurrection, le jugement et le monde futur.

 

 

 

 

 

Dans le douzième livré, Eusèbe continue le même sujet et fait les rapprochements les plus curieux entre les doctrines et même les expressions de Platon et celles de Moïse

Platon, initié aux doctrines hébraïques, condamna les excès et les superstitions du paganisme. Cependant, il n’accepta pas toutes les doctrines de Moïse, c’est pourquoi il tomba en plusieurs erreurs graves. Tel est le sujet traité dans le treizième livre. Ce que Platon a dit de vrai donne raison aux Hébreux et aux chrétiens ; ce qu’il a dit de faux ne peut ni leur nuire ni être utile aux païens.

Son école, comme toutes les autres de la philosophie grecque sont pleines de contradictions. Eusèbe les expose avec une prodigieuse érudition, et place, en regard de ces contradictions, la doctrine une du peuple hébreu avec laquelle s’accorde tout ce qui a été enseigné de plus élevé par les écoles philosophiques. Non-seulement sur les questions religieuses et métaphysiques, mais sur celles qui ont trait à la nature, les philosophes n’ont rien dit de vrai qui n’ait été enseigné par les Hébreux.

L’idée générale qui domine dans ce magnifique ouvrage, c’est que la révélation primitive et mosaïque a été le foyer lumineux d’où sont sortis tous les rayons de vérité qui ont éclairé le monde ; que les erreurs ne sont que le fait de l’esprit humain ; que les chrétiens, se trouvant, en présence de la vérité hébraïque et des erreurs païennes, devaient opter pour la première ; qu’il n’était pas honteux pour eux d’emprunter la vérité à des Barbares, puisque les plus grands philosophes païens eux-mêmes leur avaient emprunté tout ce qu’ils avaient enseigné de beau et de vrai.

L’Hébraïsme était ainsi le moyen d’arriver à la vérité complète, c’est-à-dire, à l’Évangile qui n’était que l’épanouissement plus complet de la vérité révélée.

 

 

 

C’est ainsi qu’Eusèbe passe de la Préparation à la Démonstration évangélique.

Ce second ouvrage, suite nécessaire du premier, était divisé en vingt livres. Malheureusement, on n’en possède plus que dix.

Dans le premier, Eusèbe établit que le Mosaïsme n’avait pas un caractère d’universalité, que Jésus-Christ, sans le détruire, lui avait enlevé son caractère national et restreint qui n’était qu’accidentel et provisoire, pour lui imprimer une forme nouvelle, et instituer une religion universelle.

La destinée restreinte et provisoire du Mosaïsme et son remplacement par l’Évangile étaient connus des Hébreux et les prophètes l’avaient annoncé. Pour le prouver, Eusèbe groupe, sous divers titres, les prophéties relatives au Nouveau Testament.

H démontre ensuite que les prophéties, dont Jésus-Christ était l’objet, ont été accomplies en sa personne ; qu’il remplit par conséquent une mission divine et ne fut pas un imposteur.

Loin d’être un imposteur, il fut Dieu, c’est-à-dire Verbe, Dieu de Dieu et Sagesse éternelle. Le monde étant tombé dans l’erreur, il se fit homme et vint en ce monde pour l’éclairer, et le diriger vers ses immortelles destinées. Eusèbe expose ces vérités dans son quatrième livre, et y explique les termes de l’Écriture relatifs à la mission temporelle du Verbe de Dieu.

Π expose ensuite toutes les prophéties relatives à la personne et aux actions du Sauveur. Les livres cinquième et suivants sont consacrés à ce sujet ; et il le poursuivait dans les livres qui sont perdus, comme le prouve un fragment du livre quinzième qui a été conservé.

 

 

 

Le double ouvrage d’Eusèbe en faveur du christianisme n’a jamais été surpassé, surtout quant à l’érudition. On ne peut le lire sans être persuadé que le monde savant n’a pas possédé beaucoup d’hommes aussi profondément initiés aux questions qu’ils ont entrepris de traiter. Eusèbe n’avait pas l’esprit philosophique d’Origène, mais, pour la science, il mérite d’être placé à côté de lui et de Clément d’Alexandrie.

La Préparation et la Démonstration évangéliques étaient dirigées, en général, contre toutes les erreurs opposées au christianisme. L’auteur composa en outre des ouvrages spéciaux pour combattre Porphyre et Hiéroclès. Le premier, qui était le plus considérable, est perdu. Le second renferme un parallèle entre les miracles de Jésus-Christ et ceux d’Apollonius de Thyanes. Hiéroclès avait prétendu, dans son livre, intitulé Philalèthe, qu’Apollonius avait fait des miracles aussi nombreux et aussi éclatants que Jésus-Christ. Eusèbe prouva que les prétendus miracles d’Apollonius, n’étaient que des prestiges dont la magie et le démon étaient les auteurs, et qu’il n’en était pas de même des miracles de l’Homme-Dieu dont le caractère divin était éclatant.

Les ouvrages d’Eusèbe étaient, dit Jérôme, en nombre presque infini. Malheureusement ils ne nous sont arrivés qu’en fragments pour la plupart. Ce que l’on donne comme sa chronique n’est qu’un ouvrage arrangé par plusieurs auteurs. Ses cinq livres sur la Théophanie ou manifestation de Dieu sont perdus presque entièrement, ainsi que d’autres dans lesquels il avait approfondi plusieurs questions relatives à l’Ancien Testament et à la Judée. Son ouvrage sur les mots hébraïques a été traduit par Jérôme avec des modifications ; sa collection des actes des anciens martyrs est perdue. On possède une partie de ses commentaires sur les Psaumes, de ses questions évangéliques, de ses églogues prophétiques, et de quelques ouvrages de polémique publiés à propos des discussions qui eurent lieu de son temps et sur lesquels nous aurons occasion de revenir.

Tous les ouvrages authentiques d’Eusèbe sont d’une rigoureuse orthodoxie, il est, en particulier, très-explicite sur la divinité de Jésus-Christ qu’il considère comme le Verbe engendré de toute éternité, et qui s’est incarné pour le salut des hommes. Cette remarque est importante pour apprécier avec équité la conduite du savant évêque de Cæsarée, lors des discussions ariennes. Nous trouverions beaucoup à citer, dans ses ouvrages, mais nous avons eu déjà occasion d’en profiter assez amplement pour que les lecteurs aient su apprécier sa sagesse et sa science. Cependant, nous pouvons encore glaner ça et là quelques remarques importantes pour l’histoire.

Il affirme que du temps même des apôtres, le christianisme fut prêché dans tout l’univers. Plusieurs apôtres, dit-il, évangélisèrent l’empire romain et même Rome, la ville reine des autres villes. D’autres se rendirent chez les Perses, les Arméniens, les Parthes, les Scythes, et se rendirent même aux extrémités du monde, d’un côté, chez les Indiens, de l’autre, au-delà de l’Océan, dans les îles des Bretons.

Ce témoignage d’un homme aussi savant qu’Eusèbe est d’une haute importance ; il n’aurait pas ainsi parlé, à la fin du troisième siècle, s’il n’avait pas eu à sa disposition des documents d’une grande valeur historique.

Nous trouvons aussi fort remarquable ce qu’il dit touchant la classification du collège apostolique. Les apôtres auraient été choisis deux par deux, dans un certain ordre de supériorité ou d’infériorité. Ainsi, Pierre et André étaient au premier rang et égaux et ainsi des autres. Seulement, remarque l’auteur, saint Matthieu intervertit l’ordre par humilité, et se nomma après son collègue Thomas, quoiqu’il ait été le premier, dans l’ordre numérique, comme l’a reconnu saint Marc.

Nous devons également remarquer qu’Eusèbe admet le martyre de saint Pierre à Rome ; mais, en le mentionnant, il ne fait aucune allusion au séjour prolongé que cet apôtre aurait fait dans cette ville d’après certaines fausses légendes.

Sous le rapport doctrinal, nous avons remarqué qu’Eusèbe loue le célibat de ceux qui voulaient se consacrer d’une manière particulière au service de Dieu. Nous avons déjà cité des faits qui prouvent que cette doctrine était reconnue comme très-bonne, pendant les premiers siècles.

L’évêque de Cæsarée considérait aussi l’Eucharistie comme la continuation commémorative du sacrifice du Calvaire ; il voit ce sacrifice de la Nouvelle Alliance figuré dans les Prophéties, et particulièrement dans ces paroles du Psalmiste : « Tu as placé devant moi une table qui me fortifie contre mes adversaires ; tu as parfumé ma tête ; et comme elle est belle, ta coupe qui m’enivre ! » Ces paroles, selon Eusèbe, signifient Fonction sainte usitée dans l’Eglise et les victimes non sanglantes qui y étaient offertes.

L’eucharistie, considérée comme sacrifice n’est donc pas une innovation dans l’Eglise. C’est à tort que des écrivains modernes l’ont prétendu.

Le style d’Eusèbe, dit Photius, n’est ni agréable, ni brillant ; mais l’auteur est un homme de science profonde. Le docte patriarche reproche à Eusèbe certaines expressions qui sentent l’arianisme. Cependant, si l’on rapproche ces expressions obscures d’autres textes où Eusèbe se montra très-clairement orthodoxe sur la divinité de Jésus-Christ, on peut soutenir que l’évêque de Cæsarée ne fut pas arien. Pourquoi tenir à en faire une hérétique lorsqu’on peut prouver son orthodoxie ? Nous ne voyons pas quel intérêt on peut avoir aujourd’hui à incriminer sa doctrine, s’il est possible de l’interpréter d’une manière orthodoxe. Cependant, on ne peut contester que des hommes saints et savants et de vénérables conciles ont fait d’Eusèbe de Cæsarée un arien. On pourrait peut-être concilier les deux opinions. Dans sa conduite, Eusèbe ne montra pas contre l’hérésie autant de zèle qu’on en eût désiré chez un homme très-haut placé dans la confiance de Constantin ; Eusèbe de Nicomédie, chef de l’arianisme et son ami, sinon sou parent, exerça une fâcheuse influence sur le caractère faible et indécis de l’évêque de Cæsarée. Mais, en présence de la doctrine orthodoxe exposée dans ses ouvrages authentiques, et particulièrement dans la Démonstration évangélique, nous pencherions à croire que s’il se montra dans sa conduite trop favorable aux ariens, il fut cependant orthodoxe dans sa doctrine. Plusieurs martyrologes occidentaux sont allés trop loin en l’inscrivant au nombre des saints ; mais peut-être ses adversaires ont-ils exagéré le sens de quelques-unes de ses expressions pour le trouver arien même dans ses ouvrages.

Du reste, nous aurons à revenir sur ses actes, avant et après le concile de Nicée, et l’on pourra, d’après eux, se former une opinion sur ses véritables sentiments.

On ne peut comparer à Eusèbe, pour l’érudition, un autre écrivain, Lactance, qui prit à la même époque la défense du christianisme ; mais pour l’élégance du style, il lui est bien supérieur. On peut même considérer Lactance comme un des meilleurs écrivains latins.

D’après saint Jérôme, Firmianus, qui est aussi appelé Lactantius, était disciple d’Arnobius. L’empereur Domitianus le fit venir à Nicomédie pour enseigner la rhétorique latine. Mais comme dans cette ville grecque il ne pouvait avoir beaucoup d’élèves, il se mit à composer des ouvrages. Étant encore jeune, il avait publié un livre intitulé : Symposius et un Itinéraire d’Afrique à Nicomédie, en vers hexamètres. Il publia ensuite le Grammairien ; le livre De la colère de Dieu ; sept livres des Institutions divines contre les Gentils, et un abrégé du même ouvrage ; deux livres De la Persécution ; puis une vaste collection de lettres divisée en onze livres ; un livre de l’OEuvre de Dieu ou De la formation de l’homme. Il était déjà vieux lorsqu’il vint en Gaule, chargé par Constantin de l’éducation de son fils Crispus. Ala cour du Cæsar, comme dans sa condition de simple professeur d’éloquence, Lactance fut pauvre ; il aimait la pauvreté comme une des principales vertus chrétiennes, et il la recommandait spécialement à ses disciples.

Ce vénérable professeur n’avait pas sur toutes les questions l’exactitude théologique des écrivains qui appartenaient au clergé ; mais il faudrait être bien rigoureux pour taxer d’erreur tous ceux qui, dans les premiers siècles, n’ont pas suivi une terminologie qui ne passa que plus tard dans les habitudes des théologiens, à cause des hérésies qui la rendirent nécessaire.

Nous avons cité plusieurs fois l’ouvrage De la Persécution ou De la mort des Persécuteurs, composé pour prouver que Dieu avait puni sévèrement, même en ce monde, les empereurs romains qui avaient persécuté les chrétiens. Le principal ouvrage de Lactance est intitulé : Des Institutions divines, c’est-à-dire, Instructions sur les choses divines. Il est divisé en sept livres, lesquels ont pour titres, le premier : De la fausse religion ; le second : De l’origine de l’erreur ; le troisième : De la fausse sagesse des philosophes ; le quatrième : De la vraie sagesse et de la religion ; le cinquième : De la justice ; le sixième ; Du vrai culte ; le septième : De la vie bienheureuse.

L’élégance avec laquelle sont traités ces graves sujets a mérité à Lactantius le surnom de Cicéron chrétien ; il profita beaucoup des ouvrages de ses compatriotes d’Afrique : Minutius-Félix, Tertullien, saint Cyprien, Arnobius ; mais, sous le rapport du style, il se rapproche surtout de saint Cyprien qui, comme lui, avait été professeur d’éloquence latine.

 

Au début de son ouvrage, il s’exprime ainsi « Les hommes distingués par leur génie et qui se sont voués à la science, ont tout sacrifié à la recherche de la vérité. Ils pensaient que rien n’était plus beau pour l’homme que d’approfondir les choses divines et humaines et d’en connaître les raisons ; ils ont préféré ce travail de l’intelligence à la recherche des richesses et des honneurs. Ces choses étant fragiles et terrestres et se rapportant exclusivement au corps, ne pouvaient, selon eux, rendre l’homme ni meilleur ni plus juste. Ils étaient très-dignes de connaître cette vérité, objet de tous leurs désirs et qu’ils préféraient à tout le reste. Il est en effet certain que plusieurs renoncèrent à leurs intérêts et aux plaisirs pour courir à la poursuite de la pure vérité, débarrassés de toutes entraves temporelles. La vérité avait à leurs yeux tant d’attraits et d’autorité qu’ils plaçaient dans sa possession le souverain bien. Mais ils n’obtinrent point ce qu’ils voulaient, et ils perdirent toute leur sagesse et tous leurs soins, parce que la vérité est le secret du Dieu souverain et Tout-Puissant, et qu’elle est au-dessus de la raison et des sens. Il n’y aurait plus de différence entre Dieu et l’homme, si ce dernier pouvait, par les seules forces de son esprit, connaître les desseins de l’éternelle majesté. L’homme ne pouvant par lui-même arriver à la vérité, Dieu n’a pas voulu qu’il fût toujours exposé à errer dans les ténèbres, c’est pourquoi il lui ouvrit quelquefois les yeux et lui fit don de la vérité, afin de prouver la vanité de la sagesse humaine, et de montrer en même temps par quelle voie il pouvait arriver à l’immortalité. »

Il en est peu, continue Lactance, qui profitent du don que Dieu a fait à l’humanité ; les savants ne trouvent pas qu’on ait démontré la vérité d’une manière assez élégante et la méprisent ; d’autres sont plongés à son égard dans une profonde ignorance. L’auteur s’adresse aux uns et aux autres. Il offre aux savants un ouvrage dont le style ne leur paraîtra pas méprisable, et il offre à tous la notion de la vérité.

 

Partant de l’idée de l’action providentielle dans le monde, il prouve que cette action ne peut appartenir qu’à un Dieu unique. Il prouve l’unité de Dieu par le témoignage des philosophes ; il établit de même sa nature spirituelle et il oppose à ces notions fondamentales de l’être divin les erreurs absurdes du paganisme. Il répond aux philosophes qui voulaient voir des allégories sous les erreurs païennes, et prouve ainsi en quoi consistait réellement la fausse religion chez les Romains comme chez les Barbares.

Quelle a été l’origine de cette erreur ? Lactance répond à cette question dans son second livre, surtout au point de vue historique, en développant les origines du paganisme qui n’est que la religion des démons opposée à la religion de Dieu. Tandis que les peuples tombaient dans toutes les absurdités idolâtriques, les hommes les plus éclairés ne cherchaient point à les en détourner. Lactance le leur reproche avec raison, car la vérité est faite pour tous, et ceux qui la connaissent sont coupables s’ils ne cherchent pas. à éclairer les autres.

Non-seulement le peuple tomba dans l’erreur, mais la philosophie elle-même ne sut pas trouver la vérité. C’est le sujet du troisième livre de Lactance qui passe en revue tous les systèmes philosophiques, et démontre qu’ils ont été incapables de résoudre les problèmes les plus graves qui intéressent l’humanité.

Si la philosophie a été incapable de conduire le genre humain à la vérité, où faut-il chercher cette vérité ? Dans la religion qui est identique avec elle ; et la religion, où faut-il la chercher ? A sa source, c’est-à-dire, dans les révélations prophétiques qui nous conduisent à Jésus, Dieu-homme, médiateur de l’humanité. Lactance développe ces pensées ; il fait le tableau des prophéties concernant la naissance, la vie, la mort, la résurrection de l’homme-Dieu, et prouve qu’elles ont été accomplies. La religion chrétienne est donc l’accomplissement de toute la révélation, et cette religion, où la trouve-t-on ? Dans la seule Eglise catholique. Cette dernière considération mérite d’être citée textuellement, afin de faire voir quelle idée on avait de l’Eglise au commencement du quatrième siècle.

« Un grand nombre d’hérésies ayant existé, et le peuple de Dieu ayant été divisé par l’influence du démon, nous devons en quelques mots exposer la vérité et la placer dans son véritable domicile, afin que, si quelqu’un désire boire l’eau de la vie, il n’aille pas aux lacs infects qui n’ont pas de courant, mais qu’il connaisse l’abondante fontaine de Dieu, dans laquelle il pourra être inondé d’un torrent de lumière. Il faut d’abord savoir que Dieu lui-même et ses envoyés ont prédit qu’il y aurait de nombreuses sectes et hérésies qui rompraient l’harmonie du saint corps, et qu’ils nous ont avertis de prendre-bien garde de ne pas nous laisser prendre aux pièges de l’adversaire avec lequel Dieu a voulu que nous ayons à combattre. Il a donné pour cela certaines règles que nous devons toujours observer. C’est pour les avoir oubliées que plusieurs ont abandonné la voie céleste, se sont égarés dans leurs propres voies, et sont tombés dans les précipices, et ont entraîné avec eux une partie du peuple qui ne se tenait pas sur ses gardes. Parmi nous, il y en eut plusieurs qui, par défaut de foi, par ignorance, par imprudence, ont déchiré l’unité et divisé l’Eglise.

« Ceux dont la foi était faible, feignaient de connaître Dieu et de l’adorer, mais leur souci était d’acquérir des richesses et des honneurs ; pour cela, ils ambitionnaient le sacerdoce le plus élevé ; vaincus par d’autres qui valaient mieux, ils préférèrent se séparer avec leurs partisans que de reconnaître pour supérieurs ceux sur lesquels ils voulaient avoir autorité.

« Quelques-uns trop peu instruits pour répondre aux objections de l’incrédulité se composèrent une doctrine sans raison et sans base solide.

« D’autres, trompés par de fausses prophéties, abandonnèrent la doctrine de Dieu, et la vraie tradition.

« Tous enlacés dans les filets du démon, perdirent, par leur imprudence, la religion et le nom divin lui-même. En effet, les Phrygiens, (Montanistes) les Novatiens, les Valentiniens, les Marcionistes, les Anthropiens, les Ariens, et autres, cessèrent d’être chrétiens, et perdant le nom du Christ, se donnèrent des titres humains. La seule Eglise catholique retient donc le vrai culte.

« Elle est la fontaine de la vérité, le domicile de la foi, le temple de Dieu. Si quelqu’un n’entre pas dans ce temple, où s’il en sort, il est privé de l’espérance de la vie et du salut éternel. Mais comme tous les hérétiques prétendent être plus chrétiens que les autres, et former l’Eglise catholique, il faut savoir que la vraie Eglise catholique est celle dans laquelle existent la confession et la pénitence, pour guérir les péchés et les blessures qui résultent de la faiblesse de la chair. »

Le moyen indiqué par Lactance pour reconnaître la vraie Eglise avait sa raison d’être dans les doctrines des principales sectes de son temps, lesquelles se faisaient remarquer par la négation de la doctrine de la rémission des péchés. Le passage remarquable que nous avons cité démontre qu’il reconnaissait l’Eglise catholique dans celle qui avait conservé la vraie tradition ; qui n’avait, point innové. On ne pouvait mériter le titre de chrétien, selon Lactance, si l’on n’appartenait pas à la vraie Eglise, et les vrais enfants de l’Eglise pouvaient seuls espérer le salut.

Dans son cinquième livre intitulé de la justice, Lactance établit un parallèle entre le culte faux et le culte vrai, entre les chrétiens et les païens. En suivant les règles d’une stricte justice, le christianisme et les chrétiens sont bien supérieurs au paganisme et aux païens.

Le sixième livre, intitulé du vrai culte est une exposition des vertus chrétiennes, que l’auteur met en parallèle avec les vertus philosophiques. La vertu est la base et la condition nécessaire de tout culte vrai et agréable à Dieu.

Dans le septième livre, de la vie bienheureuse, fauteur disserte sur l’origine du monde, la nature de l’homme, l’immortalité de l’âme, la fin du monde, le dernier jugement. Puis il enseigne que les âmes justes reviendront dans le monde renouvelé où le Christ régnera mille ans sur elles. Ce sera l’âge d’or dont les oracles sybillins ont parlé comme d’un âge passé, et qui est futur.

Lactance était millénaire. Cette erreur était chez lui très-inoffensive comme chez Papias, Irénée, Tertullien et tant d’autres ; elle ne ressemblait point à celle de Cérin-the et d’autres Gnostiques. Le tableau qu’il fait des dernières révolutions du monde est de pure fantaisie, mais il ne contredit aucune des vérités de la foi.

L’ouvrage de Lactance de l’œuvre de Dieu ou de la formation de l’homme, est comme un traité de physiologie destiné à prouver la supériorité de l’homme sur les autres êtres de la création.

Dans son livre de la colère de Dieu, Lactance a pour but d’établir que Dieu possède un sentiment qui le porte à punir le mal et à en tirer vengeance.

Nous n’avons pas à nous étendre sur quelques fragments ou opuscules attribués à tort ou à raison à Lactance. Ce que nous avons dit de ses ouvrages authentiques suffit pour en faire connaître l’importance. Si l’illustre écrivain a commis quelques inexactitudes, on doit se souvenir qu’il était plutôt littérateur et philosophe que théologien ; les belles choses que ses livres contiennent peuvent bien faire oublier quelques taches.

A la même époque où brillaient Eusèbe de Cæsarée et Lactance, il y avait dans les Gaules un saint évêque qui consacra son éloquence à la défense de la miséricorde divine, et écrivit un grand ouvrage contre les Novatiens. Ce fut Rheticius, évêque d’Augustodunum (Autun), illustre d’abord dans le monde, plus illustre encore dans l’Eglise, et qui a mérité ces éloges de saint Augustin :

« Rheticius, dit ce grand docteur à son adversaire Julien, Rheticius a joui d’une grande autorité dans l’Eglise, pendant son épiscopat ; je n’en veux pour preuve que le choix qui fut fait de lui pour juger l’affaire des donatistes, sous la présidence de Melchiade, évêque du siège apostolique. Il fut un de ceux qui condamnèrent Donat, premier auteur du schisme des donatistes, et prononcèrent en faveur de Cæcilianus, évêque de l’Eglise de Carthage. En parlant du baptême, continue saint Augustin, voici comment Rheticius s’exprime :

« Tout le monde sait que la principale indulgence « qui soit dans l’Eglise est celle par laquelle nous quittons le poids de notre ancien crime, nous effaçons les fautes anciennes de notre ignorance ; par laquelle nous nous dépouillons du vieil homme et des péchés « qui sont innés en lui. »

Ce passage de saint Rheticius, que nous a conservé saint Augustin, est probablement tiré de son ouvrage contre les Novatiens. Il avait en outre composé un commentaire sur le Cantique des Cantiques. Saint Jérôme ne l’estimait pas sous le rapport philologique, mais il donne à l’éloquence sublime du saint auteur de si grands éloges, que nous devons vivement regretter que ses ouvrages soient perdus.

Ils lui avaient acquis une si haute réputation, qu’il fut un des trois évêques gaulois choisis par Constantin pour juger l’affaire des donatistes.

Cette question fit beaucoup de bruit dans l’Eglise dans les premières années du règne, de Constantin.

Nous avons dit qu’en Afrique, les persécuteurs recherchaient principalement les saintes Ecritures poulies livrer aux flammes, et les vases sacrés des Eglises pour loti détruire. Ceux qui livraient ces objets sacrés étaient appelés Traditeurs. Plusieurs évêques s’étaient rendus coupables de ce crime, et, au concile de Cirthe, il fut impossible, comme nous l’avons rapporté, de prendre une décision contre eux. D’autres évêques, comme Mensurius de Carthage, se contentaient de blâmer les fidèles qui, par un zèle indiscret, allaient se dénoncer eux-mêmes comme possédant des Ecritures, pour déclarer en même temps qu’ils ne les livreraient pas.

Ce zèle pouvait avoir des résultats funestes, non-seulement pour ceux qui en suivaient les inspirations, mais pour les autres fidèles. Mensurius, au début de la persécution, avait caché les saintes Ecritures et n’avait laissé à leur place dans l’Eglise que des livres hérétiques. Les persécuteurs trompés, crurent brûler les livres saints des chrétiens en brûlant ceux de leurs adversaires. La ruse de Mensurius fut dénoncée au proconsul Anulinus, qui ne jugea pas à propos de poursuivre l’évêque. Quelques zélés reprochèrent à l’évêque de Carthage, non-seulement la ruse dont il s’était servi pour se soustraire à la persécution, mais le crime d’avoir livré les saintes Ecritures. Ils prétendirent même que Mensurius avait laissé mourir de faim des martyrs en prison, en empêchant les fidèles de les assister.

Donat, chef des accusateurs de Mensurius, était évêque des Cases-Noires, en Numidie. Secondus, qui était évêque de Tigise, et premier évêque de la province, resta en communion avec Mensurius ; le schisme ne prit une réelle importance qu’au moment où Cæcilianus fut élu évêque de Carthage. Cet évêque fut ordonné par Félix, évêque d’Aptonge dans l’Afrique proconsulaire. On reprochait à cet évêque, comme à Mensurius, d’avoir livré les Ecritures.

Plusieurs prêtres de Carthage, qui espéraient être élus évêques, se prononcèrent contre Cæcilianus. Une dame riche, Lucilia, que ce dernier avait jadis contrariée par ses conseils, mit sa fortune à leur disposition pour faire de l’opposition au nouvel évêque. Le parti trouva ses premiers adeptes en quelques vieillards chez lesquels Mensurius avait caché le trésor de l’Eglise et qui ne voulaient pas le rendre. Grâce aux largesses de Lucilia, les évêques de Numidie, qui étaient presque tous tradi-teurs, furent gagnés. Ils se rendirent à Carthage et appelèrent avec eux des évêques des autres provinces, de sorte que leur conciliabule fut composé de soixante-dix évêques. Cæcilianus, cité par eux, ne les reconnut point pour ses juges. Alors ils le condamnèrent ainsi que Félix d’Aptonge qui l’avait ordonné, et élurent un autre évêque de Carthage nommé Majorinus.

Pour apprécier ces actes, il suffit de savoir que les évêques, si sévères envers ceux qu’ils accusaient, à tort ou à raison, d’être traditeurs ou d’être en communion avec eux, étaient eux-mêmes traditeurs et coupables de plusieurs crimes. Ce fut sans doute pour se faire croire innocents qu’ils montrèrent tant de zèle contre de prétendus coupables. Le conciliabule de Carthage inonda toute l’Afrique de ses lettres ; un grand nombre de fidèles furent trompés par leurs fausses accusations et préférèrent la communion de Majorinus à celle de Cæcilianus.

C’est ainsi que s’établit en Afrique un schisme qui dura un siècle entier.

Cependant Cæcilianus était considéré par la majorité des fidèles connue évêque légitime, et son Eglise était appelée catholique par opposition à celle des schismatiques. Ce fut donc à lui que le proconsul Anulinus communiqua les circulaires de Constantin sur la restitution des Eglises et des biens ecclésiastiques, ainsi que sur l’exemption du clergé des charges civiles. Lorsque Constantin se mit en relation directe avec les évêques, ce fut à Cæcilianus qu’il adressa sa lettre qui lui fut remise par Osius, évêque de Cordoue, qui passa d’Espagne, en Afrique, chargé par Constantin d’une haute mission religieuse.

Constantin savait qu’un parti schismatique troublait l’Eglise d’Afrique, car il écrivit à Cæcilianus : « Comme j’ai appris que des personnes d’un esprit turbulent corrompent le peuple de la très-sainte Eglise catholique, j’ai donné ordre à Anulinus, et à Patricius vicaire du préfet, d’y veiller avec soin et de ne pas souffrir ce désordre. Si vous voyez donc quelqu’un persévérer dans cette folie, portez plainte, afin que les séditieux soient punis. »

Les donatistes apprirent sans doute les intentions de Constantin. Aussi se hâtèrent-ils de réunir toutes les pièces qui pouvaient leur être favorables. Ils en formèrent une liasse considérable, qu’ils portèrent à Anulinus avec une lettre pour l’empereur, dans laquelle ils disaient

« Nous avons recours à vous, excellent empereur, vous qui êtes d’une race juste, et dont le père n’a point persécuté les fidèles ; puisque la Gaule a été exempte du crime d’avoir livré les saintes Ecritures, et qu’entre nous et les autres évêques d’Afrique, il s’est élevé des divisions, nous supplions votre piété de nous donner des juges gaulois. »

Constantin accueillit la requête des donatistes et écrivit à Melchiade, évêque de Rome :

« A Melchiade, évêque de Rome et à Marcus.

« J’ai reçu du très-noble Anulinus, proconsul d’Afrique, de nombreux papiers desquels il résulte que Caecilianus, évêque de Carthage, est incriminé, sur un grand nombre de points, par certains de ses collègues d’Afrique. Il m’est très-désagréable que dans ces provinces si peuplées, que la miséricorde divine m’a données sans que j’aie eu besoin de les soumettre, le peuple soit divisé en deux partis et que les évêques ne soient pas d’accord. J’ai décidé que Cæcilianus se rendrait à Rome avec dix des évêques qui l’accusent, et dix autres qu’il jugera nécessaires pour sa défense, afin que, dans cette ville, devant vous et devant vos collègues, Rheticius, Maternus et Marinus, auxquels j’ai ordonné de se rendre à Rome dans ce but, on puisse l’entendre comme vous savez que le veut la très-sainte loi. Afin que vous ayez une complète connaissance de l’affaire, j’ai joint aux lettres adressées à vos collègues, les papiers qui m’ont été envoyés par Anulinus. Après les avoir lus, Votre Gravité jugera comment vous devez juger et terminer cette affaire. Vous connaissez mon respect pour la très-sainte Eglise catholique, et vous savez combien je désire qu’aucune division ou discussion n’existe dans son sein. Que la divinité du Dieu souverain vous garde, très-cher, pendant de longues années. »

Rheticius, dont il est question dans cette lettre, était évêque d’Augustodunum (Autun) ; Maternus était évêque de Cologne, et Marinus, d’Arles. Quel était le Marc auquel Constantin adressa sa lettre conjointement avec Melchiade ? De graves érudits ont pensé qu’Eusèbe n’avait pas transcrit exactement le nom du personnage et qu’il faut lire Méroclès. L’évêque de Milan s’appelait en effet ainsi, et il assista au concile de Rome. On peut croire que Constantin l’avait adjoint à l’évêque de Rome et aux trois évêques gaulois pour juger Cæcilianus. Quinze évêques italiens prirent part au concile de Rome avec les juges nommés par Constantin. Cæcilianus y fut proclamé innocent. Mais Donatus, chef du parti schismatique, en appela de cette sentence à Constantin lui-même. Il est probable qu’il donnait pour motifs que les Gaulois qu’ils avaient demandés pour juges n’étaient qu’au nombre de trois sur dix-neuf évêques qui avaient jugé Cæcilianus, et que le lieu même où le concile s’était réuni leur était suspect. D’après saint Augustin, ils osaient accuser les membres du concile de Rome de s’être laissé corrompre par Cæcilianus. Ils se plaignirent seulement, dans leur appel à Constantin, que leurs juges étaient trop peu nombreux et n’avaient pas examiné leur cause avec assez de soin.

Constantin avait sans doute choisi Rome à cause de sa situation intermédiaire entre les Gaules et l’Afrique. Il accueillit l’appel de Donatus, et convoqua à Arles, dans les Gaules, un nombreux concile des évêques des provinces occidentales de l’Empire. Eusèbe a conservé la lettre de convocation qui fut adressée à Christus, évêque de Syracuse h

« Quelques personnes, écrit Constantin, ayant commencé, dans un esprit méchant et pervers, à s’éloigner de la sainte religion, de la vertu céleste, et du sentiment de l’Eglise catholique, nous avons désiré arrêter leurs contestations, et nous avions décidé d’envoyer de la Gaule plusieurs évêques pour décider, de concert avec celui de la ville de Rome, entre les évêques d’Afrique qui étaient partagés en deux avis différents et contestaient entre eux. Mais quelques-uns d’entre eux, oublieux de leur propre salut et du respect qu’ils doivent à la très-sainte foi, ne cessent de prolonger la division ; ils refusent de se soumettre à la décision qui a été prise, prétendant que les évêques étaient en trop petit nombre et n’avaient pas apporté tout le soin désirable à l’examen des questions. De là il est résulté que ceux qui devraient donner l’exemple de l’union fraternelle, donnent celui de la division, et que les adversaires de la sainte religion en prennent occasion de s’en moquer. J’ai l’intention de mettre un terme à cet état de choses, et pour cela, nous avons ordonné à un grand nombre d’évêques de se réunir dans la cité d’Arles aux calendes d’août. »

Constantin ajoute que l’évêque de Syracuse pourra emmener avec lui deux ecclésiastiques de second ordre et des domestiques ; et qu’il aura à sa disposition, poulies transporter, une voiture de l’Etat. Il espère que les membres de rassemblée pourront accorder les parties adverses qui avaient reçu ordre de se rendre à Arles.

Comme préliminaire du concile, Constantin ordonna une enquête pour savoir si Félix d’Aptonge, qui avait ordonné Cæcilianus, avait été traditeur. C’était là en effet, la question importante, et de laquelle tout le reste dépendait. De l’enquête faite par les officiers de l’Etat, il résulta que Félix n’avait point été traditeur, et que les pièces apportées en preuve de l’allégation des donatistes Otaient fausses. Vers le même temps, deux évêques, Economius et Olympius, s’étaient rendus à Carthage pour faire une enquête ecclésiastique. Après s’être rendu compte des choses, ils communiquèrent avec les adhérents de Cæcilianus et déclarèrent qu’ils étaient en communion avec l’Eglise catholique h

Cæcilianus n’avait donc point été en communion avec les traditeurs par son ordination, et on ne pouvait élever contre la légitimité de son épiscopat aucune objection sérieuse.

Après les enquêtes, Cæcilianus et ses adversaires se rendirent à Arles sur l’ordre de Constantin. Il est probable que l’évêque de Rome fut invité à ce concile aussi bien que les autres évêques d’Occident ; mais il ne put s’y rendre. Cet évêque était Sylvestre qui avait succédé depuis peu à Melchiade.

Trente-trois évêques d’Italie, des Gaules, de la Bretagne, de l’Espagne et de l’Afrique, signèrent les actes du concile. Les évêques des Gaules étaient : Marinus d’Arles, qui présida ; il était accompagné du prêtre Sa-lamas, et des diacres Nicasius, Afer, Ursinus et Petrus. Oresius de Marseille y assista avec son lecteur Nazarius ; Verus de Vienne, avec l’exorciste Bedas ; Daphnus de Vaison, avec l’exorciste Victor ; Imbetausius de Rheims, avec le diacre Primigenius ; Avitianus de Rouen, avec le diacre Nicatius ; Rheticius d’Autun, avec le prêtre Amandus et le diacre Philomatius ; Vocius de Lyon, avec l’exorciste Petulinus ; Maternus de Cologne, avec le diacre Macrinus ; Orientalis de Bordeaux, avec le diacre Flavius ; Agræcius de Trêves, avec l’exorciste Félix ; Mamertinus d’Eluse, avec le diacre Léontius.

L’Eglise d’Orange était représentée par le prêtre Faustinus ; celle de Nice par le diacre Innocent et l’exorciste Agapius ; celle d’Apt, par le prêtre Romanus et l’exorciste Victor ; celle des Gabales (près Mende), par le diacre Genialis.

 

 

Les Eglises de Sicile, et des différentes provinces d’Italie, de Dalmatie, de la Grande-Bretagne, d’Espagne, de Mauritanie, de Sardaigne, d’Afrique, envoyèrent des délégués à Arles. L’Eglise de Rome était représentée par les prêtres Claudianus et Vitus, et par les diacres Eugenius et Cyriacus. On ne possède pas les actes du concile d’Arles ; mais on sait que Cæcilianus y fut jugé innocent, et que l’on y condamna les donatistes.

Après avoir rendu leur sentence, les pères firent plusieurs canons. Ils adressèrent ces canons et leur décision à l’évêque de Rome, afin qu’il les envoyât à tous les autres évêques d’Occident qui le reconnaissaient comme le premier d’entre eux. Voici la lettre qui accompagnait cet envoi :

« Marinus, Agræcius, etc., au très-aimé pape  Sylvestre, salut éternel dans le Seigneur :

« Unis par les liens d’une mutuelle charité, et dans l’unité de notre mère l’Eglise catholique, de la cité d’Arles, où nous a fait réunir notre très-pieux empereur, nous vous saluons, pape très-glorieux, avec tout le respect qui vous est dû.

« Nous avons eu affaire à des hommes effrénés et très-pernicieux à notre loi et à la tradition ; mais, grâce à l’autorité de Dieu présent au milieu de nous, à la tradition et à la règle de la vérité, ils ont été confondus, réduits au silence et à l’impossibilité de donner suite à leurs accusations et de les prouver. C’est pourquoi, par le jugement de Dieu et de l’Eglise qui connaît les siens, ils ont été condamnés.

« Plût à Dieu, notre très-cher frère, que vous eussiez voulu assister à ce grand spectacle ! Nous croyons que la sentence portée contre eux eût été encore plus accablante ; et si vous eussiez jugé avec nous, nous aurions ressenti une plus grande joie ; mais vous n’avez pu quitter ces lieux où les apôtres ne cessent de présider, et où leur sang rend à la gloire de Dieu un continuel témoignage.

 

« Très-cher frère, nous n’avons pas cru devoir nous occuper seulement de l’affaire pour laquelle nous avions été réunis, mais encore des besoins de nos provinces respectives, et nous vous envoyons nos règlements, afin que par vous, qui avez la plus grande autorité, ils viennent à la connaissance de tous. »

Le recueil des règlements du concile, envoyé au pape, était accompagné de la lettre suivante :

« Au seigneur très-saint frère Sylvestre, Marinus et l’assemblée des évêques réunis à Arles :

« D’un commun accord, nous envoyons à Votre Charité ce que nous avons décidé, afin que désormais tous sachent ce qu’ils doivent observer.

« 1° Sur l’observation de la paque du Seigneur, nous avons décidé qu’elle devait être observée, dans tout l’univers, le même jour et dans le même temps, et que, suivant la coutume, vous l’indiquiez à tous par lettre. »

Les évêques des principaux sièges apostoliques étaient dans l’usage d’indiquer à leurs frères des autres Eglises le jour de la Pâque. Celui d’Alexandrie en était chargé pour l’Egypte et la Nubie, comme celui de Rome pour les Eglises occidentales. Ce premier canon fut adopté sans doute malgré l’opposition des évêques Bretons, car leur Eglise suivait la coutume asiatique, défendue par Polycrate d’Ephèse contre l’évêque de Rome, Victor. L’Eglise des Bretons avait sans doute une origine orientale.

« 2° Les ministres devront rester dans les lieux où ils auront été ordonnés. »

A leur origine, les diverses communautés chrétiennes étaient administrées plutôt par des missionnaires que par des pasteurs proprement dits, comme elles le furent depuis. Lorsqu’une mission arrivait dans une province non encore, évangélisée, le chef de la mission ou l’évêque désignait bien comme un centre d’opérations qui devenait son siège épiscopal ; mais tous ses disciples se répandaient çà et là, suivant l’impulsion de l’Esprit de Dieu. A mesure que la religion s’établit, on sentit la nécessité de fixer des lignes de démarcation entre les diverses communautés ou Eglises, et d’arrêter les courses plus ou moins aventureuses de clercs qui n’auraient pu, sans inconvénients graves, aller travailler dans un champ confié aux soins d’un autre, et échapper à une surveillance que la fragilité humaine a toujours rendue nécessaire. Telle fut probablement la raison du deuxième canon du concile d’Arles.

« 3° Il a été décidé que ceux qui, pendant la paix, quittent le service militaire, seront excommuniés. »

On peut croire sans témérité que ce décret fut rendu pour plaire à l’empereur, qui alors avait besoin de ses troupes.

« 4° Les conducteurs de chars seront excommuniés, tant qu’ils prendront part à ces jeux.

« 5° Les acteurs de théâtre sont aussi excommuniés.

« 6° Il a été décidé qu’on devait faire l’imposition des mains à ceux qui, étant malades, manifestent l’intention d’être du nombre des croyants. »

Cette expression : l’imposition des mains, est prise en plusieurs sens par les écrivains ecclésiastiques. Elle désigne ici le baptême auquel on donnait quelquefois ce nom, parce qu’on y joignait toujours la confirmation.

« 7° Les présidents, se rendant à la province qui leur sera désignée, devront prendre des lettres de communion, et il en sera de même de tous ceux qui iront dans une autre province exercer des fonctions publiques. »

Ces lettres de communion étaient délivrées par l’évêque, et il y attestait que la personne à laquelle il les accordait était en communion avec lui. Les idolâtres étant encore nombreux, les pasteurs devaient prendre des moyens de reconnaître les fidèles.

« 8° Quant à la coutume des Africains de rebaptiser, il a été décidé que si quelqu’un quittait l’hérésie pour rentrer dans l’Eglise, on devait l’interroger sur le symbole. Si, par les réponses, on voit qu’il a été baptisé au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, on lui imposera seulement les mains, afin qu’il reçoive le Saint-Esprit, c’est-à-dire on lui donnera le sacrement de confirmation ; s’il ne répond pas sur la trinité, on devra le rebaptiser. »

On voit, par ce canon, que l’opinion des rebaptisants n’était pas morte en Afrique avec saint Cyprien.

« 9° Pour ceux qui n’ont que des lettres de communion signées des, confesseurs de la foi, on doit les leur ôter et leur en donner d’autres. »

Pour comprendre ce règlement, il faut savoir que ceux qui avaient confessé la foi pendant la persécution étaient en si grande vénération dans l’Eglise, que des lettres de communion données par eux étaient reçues avec respect et équivalaient à celles des évêques ; il se glissa probablement des abus dans cet usage si respectable en lui-même, et c’est ce qui motiva le décret du concile.

« 10° Si des fidèles surprennent leurs épouses en adultère, on doit, autant que possible, leur conseiller de ne se pas remarier du vivant de ces épouses. »

Dans ce cas, les lois civiles autorisaient le divorce. En Orient on a toujours accepté comme légitime le divorce, en cas d’adultère, conformément à l’Evangile.

« 11° Il a été décidé qu’on séparerait de la communion, pour quelque temps, les femmes qui s’uniraient à des gentils.

« 12° Les ecclésiastiques usuriers doivent être excommuniés.

« 13° Ceux qui sont dénoncés comme ayant livré, pendant la persécution, les saintes Ecritures, les vases sacrés, ou les noms des frères, doivent être rayés du clergé, si leur faute est prouvée par des actes publics, et non par de simples paroles. Les ordinations qu’ils auraient faites depuis leur faute sont annulées. Mais comme un grand nombre paraissent se porter comme accusateurs contre les règles de l’Eglise, et croient devoir être crus sur de simples témoignages, nous déclarons que leurs accusations ne doivent pas être reçues, si elles ne sont appuyées sur des actes publics, comme on l’a dit ci-dessus. »

Il y eut des traîtres pendant la persécution, et il était juste de leur faire expier leur crime. Mais il ne fallait rien donner à la haine, et on devait empêcher les fausses accusations. La preuve, par acte public, que demande le concile, était d’une haute sagesse et arrêtait toute accusation calomnieuse, que le concile frappe d’anathème dans le canon suivant :

« 14° Ceux qui accusent à faux leurs frères seront excommuniés jusqu’à la mort. »

Nous donnons Immédiatement le canon seizième, afin de présenter ensuite sans interruption ceux qui ont rapport à la hiérarchie ecclésiastique.

« 16° Tous ceux qui ont été excommuniés pour crime ne devront rentrer en communion que dans l’endroit où ils auront été excommuniés, en quelque lieu qu’ils se soient retirés depuis. »

Le concile avait sans doute pour but, dans ce règlement, de maintenir la peine dans toute sa rigueur, et d’ôter, autant que possible, par l’admission à la communion, le scandale du crime.

« 15° Nous avons appris qu’en plusieurs lieux les diacres offraient le sacrifice ; nous ordonnons qu’il n’en soit plus ainsi.

« 17° Qu’aucun évêque ne blesse les droits d’un évêque.

« 18° Les diacres des villes ne doivent pas avoir autant de présomption ; il faut qu’ils aient pour les prêtres l’honneur qui leur est dû, et ne fassent rien sans leur consentement. »

Dans les premiers siècles, il y avait des diacres attachés aux différentes églises : L’évêque, exerçant dans son église épiscopale les fonctions du prêtre, avait ordinairement avec lui moins de prêtres que de diacres. Les prêtres étaient envoyés dans les petites villes ou les campagnes, à mesure qu’on y établissait des communautés chrétiennes. Il paraît que les diacres résidant dans la cité et auprès de l’évêque se croyaient, en vertu de leur position, à leurs yeux plus brillante que celle des prêtres, au moins leurs égaux, et usurpaient parfois les fonctions sacerdotales. Le concile les ramène sans ménagement aux principes de la hiérarchie établis dans l’Eglise dès son origine, et qui se sont toujours perpétués les mêmes. Le concile ne maintient pas avec moins de vigueur les droits respectifs de chaque évêque dans son église épiscopale ou diocèse, et lui conserve toute la plénitude de son action.

« 19° On doit donner aux évêques voyageurs un lieu pour offrir le saint sacrifice. »

Ces évêques, qu’on appelait indistinctement voyageurs ou chorévêques, étaient des évêques sans siège et missionnaires. On les appela d’abord évêques des nations. Ils allaient annoncer l’Evangile aux peuples idolâtres, et, plus tard, venaient probablement seconder le zèle de ceux qui réclamaient leur secours pour le bien de leurs églises.

« 20° Personne ne doit être assez téméraire pour ordonner seul un évêque. Il doit prendre avec lui sept autres évêques, et au moins trois, s’il ne peut en avoir sept. »

« 21° Il a été décidé que les prêtres et les diacres devaient exercer leur ministère dans les lieux où ils ont été ordonnés ; s’ils les quittent pour aller ailleurs, qu’ils soient déposés. »

Les Eglises étant régulièrement organisées, on n’avait pas besoin d’un grand nombre de missionnaires, et il était mieux que chaque membre du clergé travaillât dans son diocèse, sous la direction de l’évêque, qui ne pouvait alors avoir un clergé très-nombreux.

« 22° Quant aux apostats qui ne se mettent pas en peine de revenir à l’Eglise ou de faire pénitence, et qui, étant malades, demandent la communion, on ne devra la leur donner que lorsqu’ils seront revenus en santé et qu’ils auront fait de dignes fruits de pénitence. »

Les apostats et tous les excommuniés ne pouvaient rentrer en communion, c’est-à-dire être réintégrés au nombre des fidèles, qu’après une pénitence publique. On ne pouvait donc, d’après ces règles, accorder la communion ou réintégration parmi les fidèles au moment où un apostat, même malade, la demandait. Cependant on accordait alors la réconciliation, de sorte que le malade ne mourait pas hors de l’Eglise.

Π est hors de doute que l’Eglise des Gaules, déjà si belle et si pure aux yeux du monde chrétien, et que les hérétiques eux-mêmes choisissaient pour arbitre, se mit à corriger, suivant les règlements du concile d’Arles, les rares abus qui pouvaient ternir tant soit peu son éclat. Les canons du concile d’Arles ne sont jamais passés dans le Droit général de l’Eglise ; cependant, ils sont respectables à cause de leur antiquité et contiennent des renseignements disciplinaires dont l’histoire doit tenir compte.

Plusieurs donatistes se soumirent à la décision du concile d’Arles ; mais d’autres s’obstinèrent dans leur erreur. Constantin ordonna d’envoyer à sa résidence les récalcitrants qui se trouvaient à Arles, et écrivit au gouverneur d’Afrique de lui envoyer également ceux qui, dans cette province, persisteraient dans leur opposition.

Ils furent probablement dirigés sur Trêves qui était alors la résidence ordinaire de Constantin. Au lieu de les punir rigoureusement, comme il semblait les en menacer dans sa lettre aux évêques, Constantin en eut pitié et les traita plutôt comme des insensés que comme des coupables.

Dans sa lettre aux évêques, Constantin avait déclaré que malgré l’appel interjeté par les donatistes à sa personne, il n’oserait jamais être juge dans les choses religieuses. Cependant, sur les instances des schismatiques qui récusaient les conciles de Rome et d’Arles, et en appelaient toujours à l’empereur, il résolut d’examiner lui-même leur cause. D en donna avis aux évêques donatistes et à Celsus, gouverneur d’Afrique. Son jugement fut conforme à celui des conciles, et il déclara Cæcilianus innocent

Les Donatistes ne se soumirent point à cette nouvelle sentence et prétendirent que Constantin avait été circonvenu et excité contre eux injustement. Ils semblaient surtout rendre Osius de Cordoue, responsable des sentiments de l’Empereur et des rigueurs qu’il ordonna contre eux. Il les condamna à mort ; mais il adoucit ensuite cette sentence et se contenta d’exiler les plus coupables, de confisquer leurs biens et d’ôter les Eglises à la secte.

Mais ces rigueurs leur fournirent seulement le prétexte de se poser en martyrs. Privés des Eglises qui appartenaient à la société chrétienne, ils en bâtirent qui furent leur propriété. A la mort de Majorinus, ils avaient élu pour évêque de Carthage, Donatus, qui fut si estimé dans la secte que l’on a pensé que c’était de lui, et non pas de Donatus des Cases-Noires, premier auteur du schisme, que les Donatistes avaient pris leur nom.

C’est l’opinion d’Optatus de Milève. Donatus, privé de l’appui du pouvoir civil auquel il en avait appelé, se déclara pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat. « Qu’est-ce que l’empereur, disait-il, a de commun avec l’Eglise ? » Il parlait avec dédain des plus hauts fonctionnaires de l’empire, et ne se souvenait pas, dit Optatus, que « ce n’est pas la république qui est dans l’Eglise ; mais l’Eglise qui est dans la république. » Les fonctions ecclésiastiques ne dispensent donc point des devoirs civiques. Donatus était possédé d’un tel orgueil qu’il se faisait appeler le premier des évêques, comme s’il l’était plus que les autres ; il se considérait presque comme un Dieu, et il était persuadé qu’aucun homme ne pouvait lui être comparé. Il exigeait des autres évêques de son parti une vénération mêlée de crainte, et il permettait que l’on fit serment en son nom comme au nom de Dieu. Il ne voulut même plus que ses partisans portassent le nom de chrétiens, et il leur donna celui de Donatistes. Lorsqu’on venait vers lui à Carthage des différentes parties de l’Afrique, il n’adressait pas à ses visiteurs les questions d’usage : ses premiers mots étaient : « Comment va mon parti dans vos contrées ? »

Ses partisans lui avaient voué une espèce de culte et chantaient ses louanges même à l’Eglise.

Donatus était doué d’une certaine éloquence. Il écrivit plusieurs opuscules et particulièrement un livre sur le Saint-Esprit. Il s’y montrait favorable à l’Arianisme. Le schisme des Donatistes se perpétua dans l’Eglise et nous aurons plusieurs fois occasion d’en parler dans la suite.

Portons nos regards vers l’Orient. Ces vénérables contrées étaient persécutées par Licinius, tandis que Constantin favorisait les Eglises occidentales. Le tyran ravagea le troupeau de Jésus-Christ de l’année B19 jusqu’à sa mort arrivée en 324. On pense que ce fut avant sa persécution, et vers l’an 315, que les évêques d’Orient s’assemblèrent à Ancyre et à Néocésarée pour édicter les lois les plus utiles au maintien de la discipline de l’Eglise.

On possède ces canons qui ont été admis dans le corps du Droit de l’Eglise universelle.

Ancyre avait alors pour évêque Marcellus qui joua un rôle important dans les discussions ariennes. Cette ville était cité métropole de la province de la Galatie. Par les noms des évêques qui assistèrent au concile qui y fut assemblé, on voit que l’Orient presque entier y était représenté. On nomme en effet parmi les Pères, Vitalis d’Antioche ; Agricola, de Cæsarée en Palestine, prédécesseur d’Eusèbe l’historien ; Léontius, de Cæsarée en Cappadoce ; Longinus de Néocæsarée, dans le Pont ; Narcissus, de Néroniade en Cilicie ; Lupus, de Tarse ; Pierre, d’icône ; Basilios d’Amasée sur l’Hellespont ; Eustolios, de Nicomédie.

 

Le concile d’Ancyre promulgua vingt-cinq canons, qui donnent une idée fort juste de la discipline ecclésiastique au commencement du quatrième siècle.

Nous les donnons en abrégé :

1° Les prêtres qui, après avoir sacrifié, sont revenus au combat avec foi et sincérité, seront admis à s’asseoir sur la chaire d’honneur ; mais ils ne pourront ni offrir, ni prêcher, ni faire les autres fonctions sacerdotales.

2° Il en sera de même pour les diacres qui se trouvent dans une situation analogue. Ils ne pourront présenter ni le pain ni le calice, ni annoncer. L’évêque, cependant, pourra adoucir ce règlement en faveur, des diacres qui se montreraient dignes d’indulgence.

3° Ceux qui ont fui pendant la persécution, mais qui ont été pris et trahis par leurs domestiques ; qui ont perdu leurs biens, souffert des tourments et la prison, mais auxquels on a mis de force de l’encens dans les mains, ou des viandes immolées dans la bouche, et qui ont protesté qu’ils étaient chrétiens et ont depuis manifesté leur douleur de cet acte involontaire ; ceux-là sont exempts de péché et doivent être admis à la communion. Ceux qui en auraient été éloignés, soit par ignorance, soit par excès de zèle, doivent être réintégrés sans délai. Cette loi est la même pour les ecclésiastiques et les laïques. Ces derniers pourront être promus aux ordres, si leur vie était précédemment irréprochable.

4° Ceux qui, après avoir sacrifié par force aux idoles, ont été amenés aux festins de ces idoles et y ont paru en habits de fête et n’en ont pas paru tristes, seront placés, pendant un an, parmi les Auditeurs ; pendant trois ans, parmi les Prosternés ; pendant deux ans, parmi les Priants.

 

 

Ce n’est qu’à la suite de ces trois épreuves qu’ils pourront approcher de ce qui est parfait, c’est-à-dire de la communion.

Cette disposition canonique est très-remarquable, et fait connaître exactement les diverses classes de fidèles. Les auditeurs assistaient dans le vestibule à la lecture de la sainte Ecriture ; les prosternés se tenaient derrière l’ambon dans l’assemblée des fidèles, jusqu’au moment de la sortie des catéchumènes, c’est-à-dire, jusqu’à la liturgie des fidèles. Pendant la troisième épreuve, ils assistaient à la liturgie entière, mais ils ne devaient participer aux sacrements qu’après les six années d’épreuve.

5° Ceux qui n’ont assisté aux festins des idoles qu’avec tristesse et en versant des larmes, mais qui y ont mangé, ne seront reçus parmi les priants qu’après être restés trois ans parmi les prosternés. S’ils n’ont pas mangé dans ces festins, ils ne seront que deux ans parmi les prosternés, un an parmi les priants ; et après ces trois ans d’épreuves, ils seront admis à la communion.

Les évêques, selon les dispositions et la vie de ces pénitents, pourront abréger ou prolonger les années d’épreuves.

Les évêques abrégeaient aussi quelquefois les épreuves à la prière des martyrs. Ces adoucissements ont été l’origine des Indulgences dont l’Eglise romaine a changé la nature après l’institution de la papauté, et dont elle a abusé d’une manière si scandaleuse.

Nous avons dû indiquer l’origine d’un fait qui a pris de si étranges proportions dans les Eglises occidentales, et qui retentira plus tard, si souvent, dans leur histoire.

6° Ceux qui, à la simple menace des supplices, de la confiscation de leurs biens ou de la mort, ont sacrifié aux idoles, n’ont pas fait pénitence jusqu’aujourd’hui el demandent la pénitence, seront admis parmi les auditeurs jusqu’au grand jour (Pâques) ; après ce grand jour, ils seront pendant trois ans parmi les prosternés ; puis, pendant deux uns parmi les priants : et admis à la communion seulement après six ans d’épreuve. Pour ceux qui ont demandé la pénitence avant la tenue du concile, on leur tiendra compte du temps accompli. En cas de péril de mort, ou pour tout autre motif grave, on admettra les pénitents à la communion, sous condition.

C’est-à-dire que, le péril passé, ils devraient rentrer parmi les pénitents.

7° Ceux qui, invités à un festin idolâtrique, ont apporté leur nourriture, pour ne pas participer aux viandes immolées, seront reçus parmi les priants, après avoir été pendant deux ans parmi les prosternés. A quelle époque devra-t-on les admettre à la communion ? C’est à l’évêque qu’il appartient de le décider d’après la vie de ces pénitents.

8° Ceux qui ont sacrifié deux ou trois fois par force seront pendant quatre ans parmi les prosternés ; pendant deux ans parmi les priants, et ne seront reçus à la communion que la septième année.

9° Ceux qui, non-seulement ont apostasié, mais ont été cause de la chute d’autres frères, seront pendant trois ans parmi les auditeurs ; pendant six ans parmi les prosternés ; pendant un an parmi les priants ; et la communion ne leur sera accordée ainsi qu’après dix ans.

10° Les diacres qui, au moment de leur ordination, ont déclaré qu’ils voulaient se marier, pourront le faire, puisque l’évêque le leur aura permis. Mais, s’ils n’ont pas fait de déclaration et s’ils se marient, ils cesseront le ministère du diaconat.

La discipline a été modifiée sur ce point en Orient par le concile in Trullo, qui a interdit par son sixième canon tout mariage pour les prêtres, les diacres et les sous-diacres, après l’ordination. La disposition de ce concile, conforme au vingt-sixième canon des apôtres, eut force de loi, même au civil par un décret de l’empereur Léon le Sage.

En Occident, nous avons vu, par le concile d’Elvire, que l’on avait dès lors des tendances vers le célibat, puisqu’on engageait les prêtres et diacres mariés à se priver de leurs femmes. Cependant, la loi du célibat n’existait pas ; les prêtres ainsi que les diacres mariés pouvaient user de leurs droits d’époux.

Pour les évêques, la discipline n’est pas aussi clairement déterminée.

11° Les femmes mariées, ravies à leurs maris, doivent leur être rendues.

Mais ces derniers n’étaient pas obligés de les reprendre.

12° Ceux qui ont sacrifié avant leur baptême pourront être admis aux ordres, car le baptême les a complètement purifiés.

On ne pouvait exprimer plus nettement l’effet du baptême pour la purification de l’âme.

13° Il n’est pas permis aux chorévêques d’ordonner des prêtres ou des diacres ; ni aux prêtres d’une ville d’en placer dans une autre paroisse, sans la permission écrite de l’évêque.

Il arrivait parfois que des évêques sans siège déterminé faisaient des ordinations, et que des prêtres des villes, qui se croyaient une certaine supériorité, plaçaient des prêtres ou des diacres dans les paroisses suburbaines. Ces usages pouvaient avoir de graves inconvénients pour la bonne administration des diocèses.

14° Les prêtres et les diacres qui sont dans le ministère, et qui s’abstiennent de manger de la viande, devront cependant y goûter. S’ils s’y refusent, et s’ils ne veulent pas manger de légumes cuits avec la viande, ils devront cesser leur ministère.

La raison de cette loi, c’est que les prêtres et les diacres, appartenant au ministère, devaient éviter de donner occasion de les soupçonner d’appartenir à la secte manichéenne, d’après laquelle la chair était l’œuvre du mauvais principe.

15° Si, pendant la vacance du siège épiscopal, des prêtres ont vendu quelque chose appartenant à l’Eglise ce qui a été vendu doit lui être restitué à moins que l’évêque ne préfère en recevoir le prix.

L’évêque représentait donc l’Eglise et ses droits, et les prêtres ne pouvaient rien faire sans lui, même dans l’ordre du temporel ecclésiastique.

16° Le seizième canon fixe des pénitences diverses, mais toutes rigoureuses contre ceux qui s’abandonnent à l’acte honteux de la bestialité. Les hommes d’un certain âge qui commetteront ce crime, ne pourront être réconciliés qu’à la mort.

Ce canon est un témoignage de la profonde immoralité développée dans la société par le paganisme. Le vice contre nature était si profondément empreint dans les âmes que même des chrétiens s’y abandonnaient.

17° Dans son canon dix-septième, le concile relègue ces coupables ainsi que les lépreux, parmi les auditeurs qui, sous le portique, étaient exposés aux rigueurs de l’hiver h

18° Ceux qui, étant ordonnés évêques, ne sont pas reçus dans le diocèse auquel on les destinait, et qui voudraient s’emparer d’un autre diocèse par force, et y exciter des séditions contre l’évêque qui y est établi, seront séparés de la communion. S’ils veulent conserver le presbytérat qu’ils avaient auparavant, on leur laissera cet honneur ; mais s’ils se révoltent contre les évêques, ils seront déposés même du sacerdoce et excommuniés.

19° Quiconque, ayant fait profession de virginité, ne tient pas son engagement doit être considéré comme bigame. Nous défendons aux vierges d’habiter avec des hommes qu’elles appellent leurs frères.

Le vœu de virginité n’était pas considéré par les Pères du concile comme un engagement perpétuel ; aussi ne décidèrent-ils pas que le mariage contracté après ce vœu était illicite. Ils n’imposent comme pénalité que le titre de bigame, considérant l’engagement comme un mariage spirituel. Ce canon regardait ceux qui, soit hommes, soit femmes, se vouaient au célibat, en restant dans la vie commune. Après l’établissement de la vie monastique, la pénalité fut plus sévère pour ceux qui renonçaient à leur état pour se marier. Saint Basile, dans sa règle, les soumet au jugement et aux peines des adultères.

20° La femme adultère et son complice sont condamnés à sept ans de pénitence.

21° La femme coupable, qui fait périr le fruit de sa faute, n’obtenait sa réintégration qu’à la mort ; d’après l’ancienne règle. Le concile se montre moins rigoureux, sans blâmer ceux qui s’en tiennent à la règle ancienne, et condamne la femme coupable à dix ans de pénitence.

22° Ceux qui avaient commis un homicide involontairement étaient condamnés à sept ans de pénitence par l’ancienne règle. Le concile réduit la pénitence à cinq ans.

23° Ceux qui ont commis un homicide volontairement, seront, toute leur vie, parmi les prosternés, et ne recevront la communion qu’à la mort.

24° Ceux qui se sont adonnés à la divination et à la magie, seront cinq ans en pénitence, c’est-à-dire, trois ans parmi les prosternés, et deux ans parmi les priants.

A la fin du concile, les Pères jugèrent un homme qui, fiancé à une fille, avait péché avec la sœur de sa future femme et l’avait rendue enceinte. Sa victime s’était donné la mort. Plusieurs personnes avaient été complices dans ces crimes.

 

Le concile (can. 25) décida que ceux qui avaient été complices feraient dix ans de pénitence.

Quant au coupable lui-même, son crime était prévu et puni par les lois, et il n’était pas nécessaire d’en promulguer de nouvelles à ce sujet.

Les évêques du concile d’Ancyre se retrouvèrent quelque temps après de nouveau réunis à Néocésarée. Ils y promulguèrent seize nouveaux canons.

1° Si un prêtre se marie après son ordination, il quittera le ministère ; celui qui aura commis la fornication ou l’adultère sera dégradé et mis en pénitence.

4° Si une femme a épousé les deux frères, elle ne sera réconciliée qu’à la mort, et si elle promet de quitter son second mari dans le cas où elle reviendrait à la santé.

3° Ceux qui se sont mariés plusieurs fois seront soumis à une pénitence plus ou moins longue.

4° Celui qui a désiré une femme sans avoir péché avec elle, a été préservé par la grâce.

On n’infligeait pas de pénitence pour les péchés secrets.

5° Si un catéchumène commet un péché passible de la pénitence, il doit être renvoyé du rang de catéchumène parmi les auditeurs. S’il commet, étant auditeur, un péché semblable, on le renverra absolument.

6° Les femmes enceintes doivent être baptisées, si elles le désirent.

Plusieurs pensaient qu’elles ne devaient être baptisées qu’après leur délivrance, à cause de l’enfant qui participerait à leur baptême, et serait ainsi comme baptisé deux fois. Le concile décida que le baptême de la mère ne pouvait lui être commun avec l’enfant.

7° Le prêtre ne doit point assister aux festins des secondes noces, car il ne peut paraître approuver un acte pour lequel il devait imposer pénitence.

Les secondes noces étaient permises ; mais elles étaient considérées comme une faiblesse digne d’une pénitence d’un an.

 

8° Celui dont la femme a commis l’adultère ne peut être admis au ministère. Si sa femme commet l’adultère après son ordination, il doit la renvoyer. S’il veut habiter avec elle, il doit quitter son ministère.

9° Si un prêtre confesse qu’il a commis un péché de la chair avant son ordination, il ne doit plus offrir, tout en restant dans son ordre. S’il a commis le péché, mais ne le confesse pas et ne peut en être convaincu, il agira comme il voudra.

C’est une nouvelle preuve que les lois de pénitence n’atteignaient que ceux qui étaient notoirement coupables et reconnus comme tels, et non pas ceux qui n’avaient que des péchés secrets. Pour ces péchés, ils étaient remis par l’imposition des mains, selon une opinion que le concile ne réprouve point.

10° La même loi est applicable au diacre.

11° On ne doit pas ordonner de prêtre avant l’âge de trente ans, parce que Notre-Seigneur Jésus-Christ n’a été baptisé et n’a commencé à enseigner qu’à trente ans.

12° Si quelqu’un a été baptisé étant malade, on ne peut l’élever au sacerdoce ; car il n’a pas embrassé la foi avec une liberté assez entière. Cependant si sa vie est régulière, et si on manque de sujets dignes du sacerdoce, on pourra lui conférer l’ordination.

On sait que le baptême était administré aux malades, dans leur lit, par infusion, c’est-à-dire, en répandant de l’eau sur eux. Il est à remarquer que les Pères parlent de ce baptême, sans restriction, comme d’un baptême valide. S’ils ne veulent pas que ceux qui ont été ainsi baptisés soient élevés au sacerdoce, c’est que ceux-ci avaient peut-être différé de recevoir le baptême, afin de jouir de plus de liberté dans le péché ; de sorte que l’acte de foi qu’ils faisaient en recevant le baptême en maladie était dû plutôt à la nécessité qu’à une résolution librement prise.

13° Les prêtres des campagnes ne peuvent ni offrir dans l’Eglise de la ville, ni donner le pain et le calice dans la prière, en présence de l’évêque ou des prêtres de la ville. Mais si ceux-ci sont absents, et si un prêtre de campagne a été appelé seul pour la prière, il peut remplir son ministère.

14° Les chorévêques sont une imitation de soixante-dix disciples. En leur qualité de coministres, chargés spécialement du soin des pauvres, ils jouiront d’un honneur spécial dans la célébration du sacrifice.

Dans chaque Eglise, on ne pouvait célébrer qu’une seule fois par jour ; il était donc nécessaire de déterminer auquel des ministres présents appartiendrait le droit d’offrir le sacrifice. L’évêque avait ce droit avant tous autres ; après lui les chorévêques ; en troisième lieu les prêtres de la ville ; enfin les prêtres de la campagne. Telle était la hiérarchie établie dans le clergé de chaque diocèse.

15° Les diacres ne peuvent être qu’au nombre de sept, quelle que soit l’importance de la ville où l’Eglise est établie.

Le concile fonde cette, règle sur le livre des Actes.

Les canons disciplinaires des conciles d’Ancyre et de Néocésarée ont une très-haute importance historique ; ils donnent une notion fort exacte de l’état de la société chrétienne en Orient ; des vices qui y régnaient ; des pénitences sévères auxquelles devaient se soumettre ceux qui voulaient être comptés parmi les fidèles ; de la sainte vie à laquelle étaient astreints ceux qui devaient exercer le ministère ecclésiastique. Les païens qui se sentaient attirés vers le christianisme, avaient contracté, au sein de l’idolâtrie, des habitudes immorales si profondément enracinées que, souvent, leurs mœurs ne correspondaient pas à leur foi, et que, même après le baptême, ils se laissaient entraîner au vice. L’Eglise les condamnait sévèrement, et ne consentait à leur réintégration qu’après des pénitences d’une grande sévérité. C’était grâce à ces pénitences que le vrai troupeau du Seigneur était préservé de toute atteinte et donnait au monde le spectacle de toutes les vertus chrétiennes,

Nous avons parlé précédemment de l’état intellectuel de l’Eglise orientale. Aux écrivains que nous avons nommés, on doit ajouter Eustathios d’Antioche, auteur de plusieurs ouvrages contre Origène et d’une infinité de lettres qu’il serait trop long d’énumérer, dit Jérôme. Nous aurons occasion de parler plus longuement de lui lors des discussions ariennes, ainsi que d’Alexandre, évêque d’Alexandrie. Titus, évêque de Bosra, en Arabie, s’attaqua aux Manichéens et écrivit un ouvrage en trois livres contre leurs erreurs. Alexandre, évêque de Lycopolis, écrivit contre la même hérésie. Théodore, évêque d’Héraelée, publia des commentaires sur plusieurs livres des saintes Ecritures.

Les conciles d’Elvire et d’Arles prouvent qu’en Occident comme en Orient, les pasteurs de l’Eglise veillaient avec soin sur la discipline. L’Eglise occidentale ne jetait pas alors un éclat aussi vif que celle d’Orient. Cependant, elle commençait à produire des hommes fort remarquables au début du quatrième siècle. Nous avons déjà mentionné, pour les Gaules, Rhéticius, évêque d’Autun ; nous en aurons bientôt d’autres à nommer, en particulier, Phæbadius d’Agen et le grand Hilaire de Poitiers. L’Eglise d’Espagne possédait Osius, de Cordoue, un des évêques les plus influents sous le règne de Constantin. La même Eglise avait, à la même époque, d’autres évêques remarquables, et un littérateur, Juvencus, qui mit en vers hexamètres les quatre Evangiles. On possède encore cet ouvrage ; l’auteur en avait composé un autre sur les sacrements ; il est malheureusement perdu. Juvencus appartenait à une haute noblesse.

L’Eglise de Pannonie possédait aussi un écrivain chrétien, Victorinus, évêque de Pettau et martyr. Il avait composé des commentaires sur la Genèse, l’Exode, le Lévitique, Isaïe, Ezéchiel, Habacuc, l’Ecclésiaste, le Cantique des Cantiques, l’Apocalypse. Il avait en outre réfuté toutes les hérésies, et publié beaucoup d’autres ouvrages.

On ne possède plus, de ce grand évêque, que quelques fragments.

A la même époque, l’Eglise arménienne, fondée dès le temps des apôtres, comme nous l’avons rapporté précédemment, prenait une nouvelle vie, grâce à son grand évêque, Grégoire, surnommé l’Illuminateur.

Depuis la prédication apostolique en Arménie, le christianisme y avait conquis un grand nombre de fidèles ; mais les rois de cette contrée n’avaient pas imité Abgare, et plusieurs d’entre eux avaient même persécuté les chrétiens. Parmi eux on nomme Chosroës I, qui rendit un édit de persécution, sous prétexte que la différence des religions causait des discordes civiles. Tiridate fui aussi persécuteur avant de se convertir à la foi chrétienne. Mais, en Arménie, comme dans l’Empire romain, les violences exercées contre les fidèles n’obtinrent pas les résultats que les persécuteurs poursuivaient.

L’Eglise d’Arménie était en relations de communion avec les autres Eglises d’Orient, et, comme elles, regardait l’Eglise de Jérusalem comme l’Eglise mère. Plusieurs évêques arméniens reçurent la consécration dans cette Eglise. Tout en conservant son autonomie, elle n’étail qu’une seule et même Eglise avec l’Eglise grecque, et se servait même de la langue grecque dans la célébration des saints mystères.

L’idolâtrie, soutenue par les rois, avait en Arménie de nombreux adeptes, malgré les efforts des évêques pour répandre l’Evangile. Dieu choisit Tiridate et Grégoire l’Illuminateur pour conduire le pays tout entier à la foi.

Grégoire appartenait à la race royale des Arsacides.

 

 

Son père Anag ayant tué le roi Chosroës, toute sa famille fut condamnée à mort. Il n’avait alors que deux ans, et il fut soustrait à la mort par le frère de sa nourrice, Euthalius, qui l’emmena à Cæsarée en Cappadoce. Il y fut élevé dans les croyances et les pratiques de l’Evangile, et il épousa la fille d’un prince arménien dont il eut deux fils, Verthanès et Aristacès. Plus tard, les deux époux se séparèrent d’un commun accord, pour se vouer tout entiers à Dieu.

Grégoire se rendit alors en Arménie pour y annoncer les vérités du christianisme.

Comme Grégoire, Tiridate, fils de Chosroës, fut exposé à la mort pendant sa jeunesse. Après la mort de son père, Ardaschir, roi de Perse, s’était emparé de l’Arménie et avait voulu faire périr l’enfant qu’il avait détrôné. Tiridate fut sauvé et conduit à Rome, où il fut élevé dans le palais impérial.

Diocletianus le replaça sur le trône de son père. Il était roi et habitait Vagharschabad, lorsque Grégoire arriva en Arménie. Un jour que Tiridate offrait un sacrifice à l’une des principales divinités d’Arménie, il remarqua un des assistants qui ne donnait aucune marque de respect. — Qui es-tu, lui demanda le roi. — Je suis chrétien, répondit Grégoire. Aussitôt on lui fit souffrir d’inexprimables tourments, et on le jeta dans une fosse profonde, où il vécut plusieurs années, oublié de tout le monde, excepté d’une pauvre veuve qui, chaque jour, venait lui jeter un morceau de pain.

Tiridate continua à persécuter les fidèles avec fureur, et livra en particulier à la mort plusieurs vierges chrétiennes qui s’étaient réfugiées de Rome à Vagharschabad. Tiridate, comme la plupart des persécuteurs, fut frappé de la main de Dieu et perdit la raison. Sa sœur, qui vivait dans la retraite, eut une vision dans laquelle elle entendit une voix qui lui disait que Grégoire seul pourrait guérir son frère. On le tira aussitôt de sa fosse et il rendit la raison à Tiridate. Celui-ci, éclairé subitement d’un rayon céleste, tomba aux genoux de l’apôtre et devint chrétien. « On sont les agneaux de Dieu ? -demanda aussitôt Grégoire. Il désignait ainsi les vierges martyrisées. On le conduisit à l’endroit de leur supplice, il recueillit leurs corps, et, les ayant ensevelis, il passa la nuit sur le tombeau. Pendant la nuit, il vit le ciel s’entr’ouvrir ; une nuée d’anges en sortit, suivis d’un rayon lumineux. Derrière ce rayon était un être à figure humaine, tenant à la main un marteau d’or et qui se dirigea vers Vagharschabad. Il frappa un coup de marteau sur le sol qui s’entr’ouvrit. Les montagnes tremblèrent et des entrailles de la terre sortit un bruit infernal. Grégoire vit alors apparaître un piédestal d’or en forme d’autel, d’où s’élançait une colonne de feu, surmontée d’un dôme de nuages sur lequel brillait une croix. Une fontaine d’eau vive sortait de dessous l’autel et arrosait un terrain d’une vaste étendue. Autour de cet édifice mystique s’élevaient quatre colonnes ; trois d’entre elles avaient leurs bases sur les ossements des saintes martyres. L’ensemble du monument était dominé par une croix lumineuse. Un ange apparut à Grégoire et lui dit : L’être à figure humaine, c’est le Seigneur ; l’édifice signifie l’Eglise ; elle est surmontée de la croix, parce que la croix est son égide, et que c’est sur elle que le Fils de Dieu est mort. Ce lieu doit devenir un lieu de prière. La colonne de feu et la fontaine figurent le baptême qui coule de l’Eglise sur la race humaine pour la régénérer. Prosterne-toi devant la grâce de Dieu qui t’est manifestée, et élève ici une Eglise.

L’endroit où Grégoire eut cette vision fut nommé Schoghagath (diffusion de lumière) ; plus tard, on y bâtit un monastère qui fut appelé Edchmiadzine (descente du fils unique) et devint le siège du premier pasteur de l’Eglise arménienne.

Tiridate seconda le zèle de Grégoire par la construction des églises et l’évangélisation du peuple. On peut croire que tous les anciens évêques arméniens avaient été martyrisés, car Grégoire, à la prière de Tiridate, dut se rendre à Cæsarée en Cappadoce, pour y recevoir l’épiscopat de l’évêque grec Leontios. Revenant en Arménie, il rencontra Tiridate, qui était allé au-devant de

lui jusqu’à l’Euphrate. Ce fut dans ce fleuve que le roi reçut le baptême. A l’exemple de Tiridate, les Arméniens entrèrent en foule dans l’Église. Grégoire fonda un grand nombre d’Églises et y plaça des évêques parmi lesquels était son fils Aristacès, qui assista au Concile de Nicée. Il confia aussi plusieurs Églises à des évêques et à des prêtres grecs.

Après avoir conquis l’Arménie presque entière à la foi, il se retira dans les solitudes du mont Sébouh, où il mourut. Son fils Aristacès lui succéda ; son second fils, Verthanès, fut son deuxième successeur. Grégoire a mérité de l’Église d’Arménie le titre d’Uluminateur, parce qu’il la tira de l’obscurité où la persécution l’avait réduite, et lui rendit l’éclat dont elle avait brillé au commencement.