— Etat intellectuel de l’Eglise après la mort de Constantin.
— Doctrine, constitution, discipline, liturgie, d’après les Pères de cette époque.
— Ecrivains orientaux.
— Eglise d’Alexandrie.
— Saint Athanase, ouvrages historiques, dogmatiques, exégétiques.
— Eglise de Jérusalem.
— Saint Cyrille ; ses catéchèses.
— Opuscule.
— Eglise asiatique.
— Saint Basile de Cæsarée.
— Ses ouvrages exégétiques, dogmatiques et ascétiques.
— Sa liturgie.
— Saint Grégoire le Théologien
— Ses discours.
— Ses lettres.
— Ses poèmes.
— Amphilochios d’icône.
— Autres écrivains orientaux : Didymos d’Alexandrie ; Macarios d’Alexandrie, Macarios d’Ægypte et plusieurs autres écrivains.
— Saint Ephrem d’Edesse.
— Eglise occidentale : Julius, évêque de Rome.
— Victorinus ; ses ouvrages contre les ariens.
— Eusèbe de Verceil.
— Phæbade d’Agen.
— Saint Hilaire de Poitiers ; ses ouvrages exégétiques, dogmatiques, historiques.
— Zenon, de Vérone.
— Optatus, de Milève.
— Damasus, évêque de Rome.
— Ses lettres.
— Ses poèmes.
— Lucifer de Cagliari.
— Pacianus de Barcelone.
— Les poètes Juvencus, Sedulius, Severus, Ausonius.
— Saint Ambroise de Milan.
— Ses ouvrages exégétiques, dogmatiques, ascétiques.
— Autres écrivains occidentaux. Ulphilas, apôtre de la race gothique ; ses travaux bibliques. Mouvement intellectuel dans l’hérésie : Aeacius de Cæsarée en Palæstine, Auxentius de Milan et autres ariens.
— Apollinaristes.
— Priscillianistes.
— Donatistes.

361-363

Saint Athanase a tenu trop de place dans notre récit pour que nous ayons à nous étendre sur sa valeur intellectuelle et sur ses vertus. Ses ouvrages historiques nous ont fourni la plupart des documents relatifs à l’histoire de l’arianisme, depuis le concile de Nicée jusqu’au règne de Julien. Ses apologies contre les ariens, à Constance et de sa fuite ont été citées par nous très-souvent, ainsi que 1’Histoire de l’arianisme qu’il composa pour instruire les moines. Ceux-ci éloignés du monde, et appliqués seulement à la pratique de la vertu, n’avaient entendu parler que très-vaguement des discussions qui agitaient l’Eglise.
On peut encore considérer comme ouvrages historiques plusieurs traités dans lesquels le grand évêque

discute les questions théologiques, car il y mêle des renseignements historiques très-précieux ; tels sont ses Discours contre les ariens, sa Circulaire aux évêques, ses lettres sur les décrets de Nicée, sur les opinions de saint Denys d’Alexandrie, à l’évêque Dracontius, aux évêques d’Ægypte et de Lybie, à Sérapion sur la mort d’Arius, des synodes de Rimini et de Séleucie ; ses autres lettres abondent également en détails historiques.
Nous avons fait connaître ses deux livres dirigés contre les païens : Discours aux Hellènes et de l’Incarnation. Dans ses principaux ouvrages dogmatiques il a pour but de réfuter les erreurs des ariens. Il faut placer en première ligne ses quatre Discours contre ces hérétiques. Ils forment une œuvre de premier ordre, soit qu’on les considère sous le rapport de l’éloquence, soit qu’on envisage leur importance doctrinale. La discussion de toutes les questions agitées y est approfondie ; et tous les subterfuges de l’hérésie y sont dévoilés. Les discussions doctrinales y sont encadrées dans les faits, de sorte que ces discours sont aussi intéressants pour l’histoire que pour la théologie. Dans ses quatre Lettres à Sérapion, évêque de Tmuis, saint Athanase traite de la divinité du Saint-Esprit. Elles se rapportent par conséquent à la seconde phase de l’arianisme, que l’on a appelée eunomianisme ou macédonianisme. Nous n’avons point à analyser les discours contre les ariens. Nous avons raconté les faits qui y sont relatés, et la doctrine y est celle du concile de Nicée. Les lettres à Sérapion nous initient aux doctrines qui furent condamnées au second concile œcuménique.
Deux questions étaient soulevées au sujet du Saint-Esprit : Etait-il consubstantiel au Père ? Quelles étaient, quant à son origine, ses relations avec le Fils ?
Sur la première question, saint Athanase établit que, dans la Trinité, il n’y a qu’une essence ; par conséquent que le Saint-Esprit est consubstantiel au Père, aussi bien que le Fils. Sur ce point, il est très-clair et très-formel, et il ne peut y avoir aucun doute sur la doctrine qu’il a enseignée. La foi de l’Eglise était positive ; un

Dieu unique en essence ; Trinité de personnes ayant la même essence.
Un autre point sur lequel saint Athanase est fort explicite, c’est que le Père était le principe du Saint-Esprit, comme il était celui du Fils.
Mais quelles relations existent, quant à l’origine du Saint-Esprit, entre l’Esprit et le Fils ? Cette question a pris une telle importance dans l’Eglise qu’elle est devenue l’occasion principale de la division entre l’Orient et l’Occident du IXe siècle. Il est donc fort important de connaître quelle a été à l’origine la doctrine des pères de l’Eglise, surtout à l’époque où la question du Saint-Esprit fut si vivement agitée, c’est-à-dire, au milieu du quatrième siècle.
On peut dire que saint Athanase l’a traitée à fond dans ses lettres à Sérapion, évêque de Tmuis. Il est étrange, dit-il1, que les ariens, qui ne veulent pas que le Verbe soit créé, disent que le Saint-Esprit n’a été qu’une créature. Cependant la même unité existe entre le Saint-Esprit et le Fils qu’entre le Fils et le Père. S’ils les séparent, quant à l’essence, il n’y a plus en Dieu une seule divinité ; il n’y a plus unité dans la Trinité, et cette Trinité sera formée de plusieurs êtres différents. Qu’est-ce que cette théorie de la divinité qui fait de cette divinité un mélange d’incréé et de créé ? S’ils font de l’Esprit un être créé, ils doivent en faire autant du Fils. S’ils ont une doctrine exacte sur le Fils, ils doivent en avoir une analogue de l’Esprit qui procède du Père ; qui est l’Esprit du Fils, puisqu’il l’a donné à ses disciples et à tous ceux qui croient en lui.
Les ariens admettaient que le Fils était le Verbe dont le Père était le principe. Le Saint-Esprit procédant du Père, avait la même origine que le Fils. Il ne pouvait donc être créature, non plus que le Fils. Comme il possède la même essence que le Père et le Fils, il est l’Esprit du Fils comme du Père ; et comme le Fils est le moyen par lequel le Père opère ad extra, c’est par le Fils qu’il envoie l’Esprit à l’humanité.


1 S. Athanas., Epist. 1 ad Serapion, § 2.

L’origine essentielle du Saint-Esprit est le Père ou le Principe éternel, qui est aussi le Principe du Fils. L’action éternelle du Père à l’égard du Fils est appelée génération ; à l’égard de l’Esprit, procession ou émanation. Ces deux actions coéternelles sont désignées dans le langage humain par deux expressions différentes ; mais cette diversité, incompréhensible comme l’essence divine elle- même, n’empêche pas que le Père ne soit l’unique principe à l’égard du Saint-Esprit comme à l’égard du Fils.
Saint Athanase s’applique à prouver, dans sa première lettre à Sérapion, que le Saint-Esprit n’est pas une créature, et il fait à ce sujet une étude biblique très-approfondie, qui se résume dans ce dogme : que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ont la même divinité, et que l’Esprit de vérité, qui procède du ‘Père, reçoit de lui-même comme de sa source et est donné par lui1. Quant à l’essence, le Saint-Esprit est aussi inséparable du Fils que le Fils l’est du Père ; c’est en vertu de cette indivisibilité essentielle qu’il n’y a qu’un seul et même Dieu.
Les eunomiens faisaient des objections contre ce dogme : « Si l’Esprit, disaient-ils2, n’est pas une créature, et s’il procède du Père, on doit l’appeler Fils, et il sera le frère du Fils. S’il est son frère, comment le Verbe sera- t-il le Fils unique ? S’il est du Père, pourquoi ne l’appelle- t-on pas Fils, mais seulement Esprit ? »
Cette objection repose évidemment sur cette doctrine : que le Saint-Esprit vient du Père, comme le Fils en vient également ; que le Père est principe unique à l’égard de l’un comme à l’égard de l’autre. Saint Athanase ne conteste pas cette doctrine, qui était celle de l’Eglise, mais il s’applique à démontrer que la nature divine n’a pas d’analogie avec la nature humaine ; que la génération du Fils n’est pas une communication de nature comme dans l’humanité, et que l’acte de procession n’est pas analogue à l’acte de génération éternelle. Par conséquent, le Saint-Esprit n’est pas le Fils du Père ; n’est pas le frère du Verbe ; et l’on ne doit pas raisonner sur la


1 S. Athanas., Epiai. 1 ad Serapion, §§11 ad 14.
2 Ibid., §§ 15 et 16.

nature incompréhensible de Dieu par analogie avec celle de l’homme.
On doit donc admettre simplement l’enseignement divin1, d’après lequel le Saint-Esprit n’est pas créature. C’est tout ce que l’intelligence humaine peut connaître. Devant les autres questions, c’est-à-dire, celle de la nature de la procession, les chérubins eux-mêmes se couvrent de leurs ailes2. Il ne faut point soumettre aux raisonnements humains ce qui a été transmis pour être cru, et dont le témoignage est le critérium. Comment le langage de l’homme pourrait-il expliquer ce qui surpasse son intelligence ?
L’enseignement scripturaire se réduit à ces trois points3 : Le père est la source et la lumière ; le Fils est le fleuve qui sort de la source, il est la splendeur de la lumière ; et l’Esprit est cette splendeur communiquée à l’humanité, l’eau du fleuve que nous devons boire pour posséder la vie. Le Fils est ainsi le médiateur par lequel nous recevons l’Esprit de Dieu. Il ne faut donc point diviser la Trinité, comme le faisaient les ariens, en ce qui concerne l’essence ; en distinguant le Fils de l’Esprit au point de ne considérer ce dernier que comme une créature ; car rien de créé ne peut appartenir à l’essence divine.
De même que le Fils est unique, l’Esprit qui est donné et envoyé par lui est unique ; parce que le Fils est l’unique Verbe vivant, il est nécessaire qu’il n’y ait qu’un principe unique de sanctification ; ce don procède du Père, il brille par le Fils qui l’envoie et le donne. De même que le Père envoie le Fils, le Fils envoie l’Esprit, et il reçoit de lui ce qu’il doit communiquer à l’humanité.
Saint Athanase ne voit entre le Fils et le Saint-Esprit aucune relation d’origine. Le Père seul est la source de l’un et dé l’autre ; il n’y a entre le Fils et l’Esprit de


1 Ibid., §§ 17 et 18.
2 L’Eglise romaine a cru pouvoir expliquer ce qui, selon saint Athanase, était incompréhensible pour les chérubins. Au lieu de se contenter de l’enseignement divin, d’après lequel le Saint-Esprit procède du Père, elle a enseigné qu’il procède aussi du Fils. C’est une erreur destructive de la Trinité, comme nous aurons occasion de le démontrer.
3 Ibid., §§ 19 et 20.

relation que pour l’acte extérieur de l’envoi, de la mission, de la communication à l’humanité.
Après avoir exposé que l’Esprit ne peut être créature1, saint Athanase revient à cette objection à laquelle il a déjà répondu : Si l’Esprit vient de Dieu, pourquoi ne rappelle-t-on pas Fils2 ? Il est certain qu’il vient du Père comme le Fils ; qu’il est désigné dans l’Ecriture par des expressions qui prouvent son unité d’essence avec le Père et le Fils. Cela suffit ; c’est le dogme de foi. On n’a pas besoin d’approfondir des questions qui ne sont pas de la compétence de l’intelligence humaine. Il faut écouter sur ces questions « la vieille tradition3, la doctrine et la foi de l’Eglise Universelle, laquelle a été donnée par le Seigneur, prêchée par les apôtres, conservée par les Pères. Cette doctrine a été établie dans cette Eglise que l’on ne peut abandonner sans perdre tout droit au titre de chrétien. »
Ainsi la doctrine primitive toujours conservée dans l’Eglise universelle, telle est la règle que doit suivre tout fidèle, sous peine de cesser de mériter le titre de chrétien4. Voici la foi de cette Eglise universelle primitive touchant la Trinité, telle que l’expose saint Athanase : « La Trinité est sainte et parfaite et consiste dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit ; il n’y a rien d’étranger ou d’extérieur qui y soit mêlé, et elle n’est pas composée du Créateur et de la créature ; tout entière elle est douée de la puissance de créer et de produire. Sa nature est semblable à elle-même et indivisible, et son action ad extra est unique ; car le Père a tout fait par le Verbe dans le Saint-Esprit, et de cette manière, l’unité dans la Trinité a été conservée. Ainsi dans l’Eglise on enseigne qu’il n’y a qu’un Dieu qui est sur toutes choses, par toutes choses, et en toutes choses. » Sur toutes choses,


1 Ibid., §§ 21 ad 24.
2 Ibid., §§25 ad 27.
3 Ibid., §28.
4 Saint Athanase enseigne ici la même doctrine que Justin, Irænée, Tertullien et les autres anciens Pères. L’Eglise romaine a remplacé cette vieille règle de la foi catholique par la parole infaillible de l’évêque de Rome. On ne pouvait contredire plus formellement l’enseignement catholique des premiers siècles, le seul qui mérite créance.

dans la personne du Père qui est principe et source ; par toutes choses dans la personne du Verbe ; en toutes choses, dans la personne du Saint-Esprit. La Trinité n’est donc pas simplement un mot exprimant une chose purement idéale ; elle est une réalité, une vraie Trinité.
Telle est la base de la foi de l’Eglise1, comme l’établit saint Athanase dans le reste de sa lettre.
Dans la deuxième lettre à Sérapion, Saint Athanase établit, pour le Fils, la même doctrine qu’il a prouvée pour le Saint-Esprit, c’est-à-dire, qu’il a la même essence que le Père. La doctrine qu’il expose et prouve, est celle qui ressort de toutes les luttes pour ou contre le consubstantiel, c’est-à-dire, que le Fils est coéternel au Père et de la même substance.
La ; troisième lettre à Sérapion est consacrée à la question du Saint-Esprit ; elle est comme un supplément de la première. L’auteur établit que le Saint-Esprit, qui est l’esprit du Père est aussi appelé l’esprit du Fils2. En quel sens ? En ce sens qu’il est donné, du Père, par le Fils3. Il n’est pas créature, parce qu’il a la même essence que le Fils, et que le Fils a la même essence que le Père ; de plus son action ad extra vient du Père par le Fils ; elle est inséparable de l’action du Père et du Fils ; il est donc Dieu comme eux et ne fait avec eux qu’un seul et même Dieu, une Trinité indivisible.
Les Eunomiens, malgré les lettres si positives d’Athanase, soutinrent leurs blasphèmes contre le Saint-Esprit. Sérapion en donna avis au saint évêque d’Alexandrie qui lui écrivit une quatrième lettre. Les Eunomiens disaient4 : Si le Saint-Esprit vient du Père comme le Fils, le Saint-Esprit et le Fils sont frères. Si le Saint-Esprit est l’esprit du Fils, il viendra du Fils, et le Père sera l’aïeul. Athanase ne veut pas s’abaisser jusqu’à raisonner avec de tels hérétiques ; il leur oppose l’Ecriture qui appelle le Fils et le Saint-Esprit par leur titre propre, et enseigne qu’ils font


1 Ibid., §§29 ad 33.
2 S. Athanas., Epist. 5 ad Serap., § 1.
3 Ibid., §§ 2 ad 7.
4 S. Athanas., Epist. 4 ad Serap., §§ 2 ad 4. Une partie du symbole dit de saint Athanase est empruntée à cette quatrième lettre à Sérapion.

avec le Père une Trinité divine et indivisible. Il faut accepter l’enseignement divin tel qu’il est, et ne pas chercher à expliquer ce qui dépasse les limites de la raison humaine. Le Fils et le Saint-Esprit sont indivisibles parce qu’ils ont la même essence. Mais la sainte Ecriture les distingue en personnalité. Le Père n’est pas l’aïeul, mais le père ; le Fils est le fils de Dieu et non le père du Saint-Esprit ; le Saint-Esprit est le Saint-Esprit et n’est ni le petit-fils du Père ni le frère du Fils.
Celui-là est un insensé qui demande si le Saint-Esprit est fils1. Les apôtres ont enseigné ce que le Sauveur leur a appris, et ils n’ont pas demandé d’explication. La foi est basée sur la parole divine et non sur le raisonne – ment. Il ne faut donc pas demander autre chose que ce qui est enseigné, c’est-à-dire, que le Père, le Fils et le Saint-Esprit forment une Trinité divine et indivisible au nom de laquelle nous avons été baptisés. Le Père a toujours été père ; le Fils toujours fils, et le Saint-Esprit toujours Saint-Esprit, lequel est de Dieu, et est donné par le Père, au moyen du Fils. Les évêques de Cœsarée et de Scythopolis2 peuvent demander autre chose et faire des objections, mais la foi est telle que je l’ai exposée, et les objections contre la vérité divine ne sont que des insanités.
Après avoir ainsi exposé la foi, saint Athanase, dans le reste de sa quatrième lettre à Sérapion, traite du péché contre le Saint-Esprit.
Il faut remarquer que le saint évêque d’Alexandrie, en exposant la foi de l’Eglise touchant le Saint-Esprit, n’a pas dit un mot qui soit favorable à la doctrine que l’Eglise romaine ajouta au symbole, après sa séparation de l’Orient chrétien. Il n’établit que ces trois points comme appartenant à la foi de l’Eglise : le Père est la source éternelle du Fils et du Saint-Esprit : le Saint-Esprit est donné ou envoyé du Père par le Fils ; le Saint-Esprit n’est l’esprit du Fils qu’en ce sens qu’il a la même essence que


1 Ibid., §§ 5 ad 7.
2 Aeacius et Patrophilus.

le Fils et le Pète. Nous retrouverons la même doctrine dans les autres pères de l’Eglise.
Dans ses autres ouvrages théologiques, saint Athanase enseigne la même doctrine que dans ses lettres à Sérapion.
On peut dire, d’après le saint docteur, que le Fils est la source de l’Esprit, mais il ne l’est qu’en ce sens que c’est par lui qu’il est communiqué à l’humanité ; il n’en est pas la source en ce sens qu’il en soit le principe. L’Esprit n’est pas né de lui, dit saint Athanase, parce qu’il n’est pas son Verbe1.
Quant à son origine, le Saint-Esprit procède du Père ; il reste à la disposition du Père qui l’envoie et du Fils qui est comme l’intermédiaire de la mission2. Il possède la même divinité, la même puissance, la même essence que le Père et le Fils3.
A l’égard de l’humanité, tout ce que l’Esprit possède, il le possède par le Verbe4, c’est-à-dire qu’il en prend la vérité qui éclaire l’intelligence humaine, et le feu qui l’anime à la pratique du bien. Mais si telle action lui est spécialement attribuée, dans les actes divins, il ne faut pas isoler cette action, car, en réalité, toute action divine est commune au Père, au Fils et au Saint-Esprit, dès qu’on la considère sous le rapport de la manifestation ad extra5.
Cette doctrine est spécialement exposée dans le livre De la Trinité et du Saint-Esprit. Saint Athanase a composé trois traités sur l’Incarnation. Le premier, dont nous avons parlé précédemment, est dirigé contre les gentils. Dans le second, il combat les ariens ; dans le troisième, il réfute les apollinaristes.
Les ariens ne se contentaient pas de refuser la divinité essentielle au Verbe ; ils affirmaient-que l’humanité en Jésus-Christ n’appartenait pas à la personne divine.


1 S. Athanas., de Trinit. et Spirit. Sancto., § 19.
2 Ibid., Exposit. fid., § 4. Ce passage est remarquable : το δέ άγιον πνεύμα έκπο’ρευμα όν τοϋ πατρός ά εί εστιν έν ταίς y ερσι του πέμποντος πατρός καί τοϋ φέροντος υιοΰ δί ου επλήρωσε τα παντα.
3 S. Athanas., de Incarnat., §§ 9, 15.
4 Orat. III, Cont. Artati., §§ 24, 25.
5 De Trinit. et Spirit. S., §§ 8, 9.

Saint Athanase établit que les deux natures en Jésus- Christ formaient une seule personne divine, et il réfute ainsi par avance le nestorianisme qui fut, ainsi que le macédonianisme, une forme et une déduction des doctrines ariennes1. Il met en regard tous les textes des Ecritures qui ont rapport à l’humanité, et il démontre que les uns et les autres s’harmonisent dans un être Dieu- homme, personne unique, Jésus-Christ. Son humanité apparaît, dans les Ecritures, à côté de sa divinité, et l’une et l’autre s’unissent dans la personne divine du Christ.
Saint Athanase revient, dans ce traité, sur l’unité d’essence entre les trois personnes divines ; car les ariens, depuis les écrites d’Eunomius, s’attaquaient au Saint-Esprit aussi bien qu’au Fils. La question du Saint-Esprit, plus récemment soulevée, faisait même l’objet de discussions plus vives que la consubstantialité du Fils. Cette dernière question, agitée depuis le concile de Nicée, semblait épuisée. La seconde ne faisait que de naître et provoqua la réunion du deuxième concile œcuménique.
Apollinaire, évêque de Laodicée, s’égara en combattant les ariens avec trop de passion. Athanase avait professé pour lui la plus haute estime, mais ayant aperçu dans ses livres, qui parurent après sa mort, de graves erreurs, il s’attacha d’autant plus à les réfuter que l’évêque de Laodicéè avait été son ami, et que des erreurs deviennent d’autant plus dangereuses qu’elles sont enseignées par un évêque plus vertueux. Apollinaire exagérait la doctrine orthodoxe en sens contraire de l’arianisme ; il ne voulut voir, dans la personne du Christ, que le Verbe consubstantiel au Père, et il trouvait indigne de lui d’avoir pris un corps humain et une âme humaine. Il prétendait donc, comme d’anciens gnostiques, que le corps du Christ était d’une nature spéciale, presque spirituelle et plus apparente que réelle ; il ajoutait que la divinité était l’âme de Jésus-Christ qui n’aurait pas eu d’âme humaine proprement dite. Pour expliquer les


1 S. Athanas., De Incarnatione Dei Verbi, et contra arianos.

souffrances de la passion, il disait que le Christ n’avait pris de la nature de l’homme que la sensation ou âme sensitive qu’il fallait distinguer de l’âme intelligente1.
Tous les apollinaristes ne s’accordaient pas sur plusieurs questions. Athanase leur oppose le symbole adopté par les pères de Nicée, l’enseignement de l’Eglise catholique2 ; il discute les textes de l’Ecriture dont ils abusaient, et prouve, par les Ecritures, que le Christ fut véritablement homme et véritablement Dieu. Il répond à toutes les objections de ses adversaires avec une irrésistible logique et ne laisse aucune difficulté sans réponse3.
Dans le second livre, il oppose les hérésies les unes aux autres, depuis Valentin et Marcion jusqu’à Arius ; et il indique la vérité entre les systèmes contradictoires4. Il s’attache surtout à discuter cette objection qu’Apolli- naire avait empruntée à Manès : que le Christ ne pouvait avoir un vrai corps humain, une vraie âme humaine, sans participer au péché, puisque l’humanité était radicalement viciée. Il oppose à ce faux système la doctrine chrétienne d’après laquelle le Christ était le nouvel Adam, l’homme pur, destiné à réformer l’humanité issue du vieil Adam coupable.
Outre ses traités spéciaux sur les discussions qui agitaient l’Eglise, Athanase écrivit des lettres théologiques fort importantes pour éclairer ceux qui avaient recours à ses lumières et à sa science.
Le bruit des discussions avait enfin retenti jusqu’au fond des solitudes d’Egypte et de Thébaïde, et les moines y prenaient une part très-vive. Athanase, qui avait vécu au milieu d’eux pendant ses exils ; qui avait composé plusieurs de ses ouvrages les plus importants dans le désert ; qui en avait môme écrit plusieurs pour initier les moines aux discussions qui avaient lieu, ne pouvait que condescendre à leurs demandes, et leur adressait les éclaircissements qu’ils demandaient. Les évêques, se


1 S. Athanas., De Incarnat. Domini Jesu Christi contra Apollinar., lib. I, §1.
2 Ibid., §§ 2, 7.
3 Ibid., §§ 7 ad lin.
4 Ibid., lib. II, §§ 5 et seq.

suffragant s s’adressaient également à lui. Les lettres qui nous sont restées du grand évêque font voir qu’il était considéré dans toute l’Egypte comme le docteur et le défenseur de la foi.
On avait de lui la même opinion dans le reste de l’Eglise. Ainsi, Epictetus, évêque de Corinthe, voyant son Eglise troublée par des discussions théologiques, lui écrivit pour lui demander des éclaircissements.
On était tombé à Corinthe dans plusieurs erreurs par suite de l’opposition trop peu éclairée que l’on faisait à l’arianisme. C’était le même cas que celui d’Apollinaire. Seulement, au lieu de spiritualiser l’humanité du Christ, à l’exemple de l’évêque de Laodicée, on matérialisait le Verbe, au point qu’on identifiait la nature humaine avec la nature divine.
Les erreurs corinthiennes et celles d’Apollinaire se fusionnèrent depuis dans les hérésies plus philosophiques de Nestorius et d’Eutychès.
Saint Athanase1 opposa la doctrine de l’Eglise catholique à ces hérésies contradictoires. A toutes les théories il suffit, dit-il, de répondre : L’Eglise catholique n’a jamais admis une telle doctrine ; les pères ne l’ont point enseignée2. C’est le grand argument traditionnel que l’évêque d’Alexandrie oppose à tous les systèmes hérétiques. Il ne reconnaît d’autre autorité que celle de l’Eglise universelle dont les pères sont les échos et les interprètes. La doctrine reçue dès le commencement est un fait que l’on prouve à l’aide des témoignages, comme tout fait historique. C’est le témoignage qui prouve le fait de l’enseignement apostolique ; c’est lui qui prouve le fait permanent de la conservation de la doctrine reçue3.
Saint Athanase, tout en opposant la règle catholique


1 Saint Athanase, Epist. ad Epictet., §§ 1 ad 3.
2 Ibid., § 4.
3 II ne sera pas inutile de faire observer que dans tous les ouvrages de saint Athanase, tous dirigés contre les hérésies, il n’est pas fait la plus simple mention d’une autre autorité que celle de L’Eglise catholique. Le grand évêque n’a pas fait la plus petite allusion à l’autorité épiscopale en matière de foi ; à plus forte raison n’a-t-il pas mentionné l’autorité de l’évêque de Rome. Le témoignage de l’Eglise s’exprimant par les Pères, par exemple, par les Pères assemblés à Nicée, telle est l’unique règle de foi.

aux adversaires de la saine doctrine, répondait à leurs objections et discutait leurs systèmes d’après la sainte Ecriture. C’est ce qu’il fait dans sa lettre à Epictète, ainsi que dans sa lettre à Adelphios. Dans cette dernière, il répond à une secte arienne qui séparait la personne divine de l’humanité, dans le Christ, et reprochait aux orthodoxes de rendre à un homme un culte qui n’était dû qu’à Dieu.
Athanase répond1 que les deux natures divine et humaine étant unies dans une seule personne, et-cette personne du Christ étant divine, on adorait Dieu en adorant Jésus-Christ. Il réfutait ainsi par avance l’hérésie de Nestorius qui faisait des deux natures de Jésus-Christ deux personnes, et qui prétendait que la personne humaine était digne d’adoration. « Nous n’adorons pas, dit-il2, une chose créée, mais le Verbe de Dieu, Seigneur des choses créées, qui s’est fait chair. Quoique la chair, considérée en elle-même, fasse partie des êtres créés, elle est devenue le corps de Dieu ; nous n’adorons pas ce corps après l’avoir séparé du Verbe, et, pour adorer le Verbe, nous ne le séparons pas de son corps ; mais, sachant que le Verbe s’est fait chair, et qu’il existe avec sa chair, nous le reconnaissons en cet état pour Dieu. Qui sera assez sot pour dire au Verbe : Sépare-toi de ton corps pour que je t’adore ? Qui serait assez impie pour lui dire avec les Juifs : Pourquoi, toi qui n’es qu’un homme, te fais-tu Dieu ? »
Saint Athanase ne veut pas d’une séparation même abstraite de l’une des deux natures de Jésus-Christ ; c’est la personne, le Dieu-homme qui doit être adoré d’une seule et unique adoration. L’adoration ne peut pas plus être partagée que la personne divine à laquelle seule elle doit être adressée.


1 Saint Athanase, Epist. ad Adelph.
2 Ibid., § 3. Saint Athanase a réfuté par avance, non seulement Nestorius, mais l’Eglise romaine qui, depuis sa séparation de l’Eglise catholique, rend un culte spécial au corps eucharistique du Christ et à son cœur. On cherche à excuser ces cultes en disant qu’ils se rapportent en définitive à Dieu ; mais il n’en est pas moins vrai que l’on sépare, non-seulement une partie de l’humanité, mais même une partie du corps, de la personne du Verbe lait chair, pour leur rendre un culte spécial. Saint Athanase condamne ouvertement cette hérésie, comme l’Eglise l’a condamnée ensuite dans la personne de Nestorius.

Un philosophe chrétien de l’école d’Alexandrie, Maximus, entra en lice, comme Athanase, contre ceux qui se perdaient en divers systèmes touchant le Dieu-homme. Athanase lui écrivit pour louer ses écrites1, et ajouter quelques arguments à ceux que le philosophe chrétien avait mis en lumière. Selon son habitude, il renvoie, en dernière analyse, à la doctrine traditionnelle telle que les pères de Nicée l’avaient professée. Cette doctrine répond à toutes les erreurs ariennes2.
En général, tous les ouvrages dogmatiques de saint Athanase se rapportent aux mystères fondamentaux du christianisme : la Trinité et l’Incarnation du Verbe. Tout ce qu’il a écrit se réduit à ces vérités essentielles : une essence divine, unique, et trois personnes consubstantielles dans la divinité. Le Père, principe unique du Fils et de l’Esprit ; le Fils engendré ; le Saint-Esprit procédant du Père, et communiqué, du Père, par le Fils.
Le Verbe s’étant uni à l’humanité, eut un vrai corps humain, une vraie âme humaine ; mais la divinité et l’humanité ne pouvaient être séparées et ne formaient qu’une seule personne, qui était celle du Christ, fils de Dieu incarné.
Telle est la doctrine que saint Athanase donne comme celle qui avait été toujours conservée, depuis les apôtres par l’Eglise universelle, et à laquelle, par conséquent, tout chrétien était obligé de croire, à moins de renoncer à son titre. Malgré la profondeur des aperçus philosophiques du docte évêque, il ne donne point ses raisonnements comme le motif d’adhérer aux doctrines qu’il enseigne ; il ne raisonne que pour réfuter les arguties des hérétiques, et il n’indique aux fidèles pour motif de leur foi, que le témoignage constant et permanent de l’Eglise universelle ou catholique. C’est par ce témoignage seul qu’ils peuvent connaître la doctrine révélée, c’est-à-dire, celle qui est basée sur la véracité de Dieu lui-même et que nous devons croire sur sa parole, laquelle est nécessairement vérité.


1 Saint Athanase, Epist. ad Maxim, philosoph.
2 Ibid., § 5.

Athanase revient fort souvent sur cet unique critérium de la foi, sur cette règle catholique qui conduit à la connaissance certaine des dogmes révélés. Il n’indique aucune autre autorité doctrinale dans l’Eglise en dehors du témoignage de cette Eglise elle-même, considérée dans son universalité, comme société permanente, vivant d’une vie continue, et attestant, sans y rien changer, le dépôt qu’elle a reçu des apôtres.
Au IVe siècle, la doctrine sur ce point important était la même qu’aux temps des Justin, des Irænée, des Tertullien, qui l’ont mise en relief d’une manière si claire et si positive.
Nous devons maintenant jeter un coup d’œil sur les œuvres exégétiques de saint Athanase. L’Ecriture sainte était de sa part l’objet d’une étude approfondie. Il était un digne disciple d’Origène et un imitateur fidèle des anciens Pères.
C’est dans les œuvres d’Athanase que nous trouvons indiqué le premier canon des livres du Nouveau Testament.
Ce précieux document est contenu dans la trente- neuvième de ses Lettres paschales. Ce recueil est riche en instructions chrétiennes et en renseignements liturgiques que nous recueillerons avec soin.
Saint Athanase s’autorise de l’exemple de saint Luc, qui écrivit son Evangile parce que d’autres avaient fait des récits apocryphes. Il dit, à son exemple, qu’il ne veut indiquer comme divins que les livres qui ont été transmis à l’Eglise par les Pères, lesquels depuis le commencement, ont été les vrais interprètes de la doctrine divine. Il mentionne, pour l’Ancien Testament, les livres du canon des Hébreux. Quant au Nouveau Testament, les livres sacrés sont : « Les quatre Evangiles de Matthieu, de Marc, de Luc et de Jean ; ensuite les Actes des apôtres, puis les sept Epîtres, qui sont celles-ci : une de Jacques, deux de Pierre, trois de Jean, une de Jude. Suivent quatorze Epîtres de Paul, dans l’ordre suivant : la première, aux Romains ; deux aux Corinthiens ; une aux Galates ; une aux Ephésiens ; une aux Philippiens ;

une aux Colossiens ; deux aux Thessaloniciens ; une aux Hébreux ; ensuite, deux à Timothée, une à Titus, et une autre à Philémon. Enfin l’Apocalypse de Jean. »
Saint Athanase n’impose pas ce canon, qui n’avait pas encore été dressé officiellement. Il le donne comme celui qui a été le plus généralement admis par les anciens Pères, afin surtout de faire savoir aux fidèles quels étaient les livres apocryphes dont il fallait se défier. Nous avons vu précédemment que saint Denys d’Alexandrie n’osait pas se prononcer sur l’authenticité de l’Apocalypse, tout en admirant, ce livre, qu’il avouait ne pas toujours bien comprendre. Saint Athanase pensait que ce livre pouvait être reconnu comme authentique ; c’est pourquoi il l’insère dans le canon qu’il offre à son Eglise. Mais il n’imposait pas le canon en vertu d’une autorité qu’il ne possédait pas, mais à titre de conseiller dans un sujet sur lequel il pouvait avoir une opinion plus éclairée que les simples fidèles1.
A côté des livres authentiques et considérés comme divins, saint Athanase mentionne d’autres livres utiles. Pour l’Ancien Testament, ces livres sont : La Sagesse de Salomon ; la Sagesse de Sirach ; Esther ; Judith ; Tobie. Pour le Nouveau Testament : les Constitutions dites des apôtres ; le Pasteur.
Saint Athanase regardait comme un devoir essentiel d’instruire les fidèles d’Alexandrie sur le véritable canon des Ecritures, car les livres saints étaient, même de la part des laïques, l’objet d’études approfondies. Les ouvrages des Pères des trois premiers siècles prouvent jusqu’à l’évidence que les saints livres étaient lus et médités par tous les membres de l’Eglise, et cette lecture était fortement recommandée.
Nous pouvons citer en preuve la belle Lettre de saint Athanase à Marcellinus. Le saint docteur n’y enseigne pas que la sainte Ecriture soit nécessaire pour se former sa foi, mais qu’elle est utile pour développer son instruc-


1 A la même époque que saint Athanase, saint Cyrille de Jérusalem et saint Grégoire de Nazianze rejetaient encore l’Apocalypse, comme nous le verrons en étudiant leurs œuvres.

tion religieuse1. Comme Marcellinus étudiait spécialement les Psaumes, Athanase lui fait connaître les instructions qu’il avait reçues lui-même, sur ces chants sacrés, d’un vieillard très-savant.
Les Psaumes sont, dit-il, comme le résumé de toute la sainte Ecriture de l’Ancien Testament. Les livres prophétiques, en particulier, s’y retrouvent pour toutes les circonstances de la vie du Sauveur en ce monde. De plus, chacun, en les récitant, les trouve appropriés aux divers états spirituels dans lesquels on peut se trouver ; et quoique toute la sainte Ecriture soit une école de vertu et de vérité, le livre des Psaumes l’emporte sur les autres livres sacrés sous ce rapport2.
L’auteur indique quels Psaumes il convient de chanter chaque jour de la semaine, et dans telles circonstances spéciales3. Ces détails nous apprennent qu’il était d’usage, dans l’Eglise, de chanter, non-seulement dans les assemblées, mais en particulier, les Psaumes de David.
A la fin de sa lettre, saint Athanase expose dans quels sentiments il faut lire et chanter les Psaumes et les autres livres de la sainte Ecriture pour en retirer de l’utilité4.
On possède de saint Athanase un commentaire sur le livre des Psaumes5, et un autre ouvrage intitulé : Des Titres des Psaumes6. On peut retirer de la lecture de ces excellents ouvrages les plus utiles enseignements théologiques, en même temps qu’une claire intelligence des chants sacrés de David. On sent, en les lisant, que le saint évêque d’Alexandrie avait fait des Psaumes l’étude la plus sérieuse et qu’il avait mis en pratique les conseils qu’il donnait à Marcellinus.
On ne possède malheureusement que de courts fragments de ses commentaires sur Job, le Cantique,


1 S. Athan., Epiât, ad Marcellin., §§1,2.
2 Ibid., §§ 3 ad 20.
3 Ibid., §§ 22 ad 26.
4 Ibid., §§ 27 ad fin.
5 S. Athan., Exposit. in Psalm.
6 S. Athan., De Titulis Psalm.

saint Matthieu, saint Luc, et la première Epître aux Corinthiens.
Il est certain, que saint Athanase avait composé plus d’ouvrages que nous n’en possédons aujourd’hui. Ceux qui restent suffisent pour placer le saint évêque d’Alexandrie parmi les plus savants et les plus éloquents des Pères de l’Eglise.
Après avoir donné une idée générale de ses œuvres, nous pouvons examiner quelle a été sa doctrine sur quelques questions importantes, particulièrement celle de l’Eglise.
D’après plusieurs textes que nous avons cités précédemment, on a vu que, par rapport à l’enseignement, saint Athanase n’acceptait comme règle que le témoignage de l’Eglise universelle, et non pas le témoignage d’une Eglise particulière, à plus forte raison celui d’un évêque, fût-il évêque de Rome. Le concile œcuménique n’avait d’autorité à ses yeux que parce qu’il était l’écho du témoignage universel et constant de l’Eglise. Il est impossible de rencontrer une autre doctrine sur l’autorité de l’Eglise dans les œuvres du saint évêque d’Alexandrie.
Lorsqu’il parle des évêques de Rome, il les met au rang des autres évêques. Ainsi, quand il oppose les évêques orthodoxes à ses adversaires, il s’exprime ainsi : « Le grand Osius, confesseur ; Maximinus de Gaule et son successeur ; Philogonius et Eusthatius d’Orient ; Julius et Liberius, évêques de Rome ; Cyriacus de Mysie, etc., etc.1 »
Les partisans de la papauté, qui cherchent à trouver dans l’histoire des premiers siècles des preuves en faveur de cette institution, ont affirmé qu’Athanase en avait appelé à Julius, évêque de Rome, des sentences injustes prononcées contre lui, et qu’il avait ainsi reconnu la juridiction suprême et universelle de l’évêque de Rome2.


1 S. Athan., Epist. ad Episcop. Ægypt. et Lyb., § 8.
2 V. en particulier, Barruel, Du Pape et de ses droits, IIe partie, chap. III. Cet écrivain prétend que saint Athanase en appela à Rome de la sentence du concile de Tyr et d’une autre déposition prononcée contre lui. Nous avons cité les monuments qui ont convaincu de mensonge Barruel et ceux qui ont soutenu la même erreur.

Les documents que nous avons cités précédemment ont déjà fait justice de cette erreur. Il faut ne pas avoir lu les œuvres de saint Athanase pour oser affirmer qu’il en a appelé à Rome. En effet, il raconte lui-même que ce sont les eusébiens ses adversaires qui se sont adressés à Julius de Rome, non pas pour lui demander un jugement, mais pour l’engager à préférer leur communion à celle d’Athanase. Julius voulut examiner s’il devait être en communion avec Athanase ou avec ses adversaires. Il Convoqua donc à Rome un concile dans lequel les eusébiens et Athanase pourraient présenter leurs griefs réciproques.
Les eusébiens refusèrent de se rendre au concile et écrivirent à Julius des choses blessantes. Celui-ci leur répondit que s’il s’était occupé des discussions qui existaient entre eux et Athanase, ils l’en avaient eux-mêmes prié ; et il ne parla, en cette circonstance, ni de son autorité supérieure, ni de l’appel d’Athanase. Ce dernier se présenta au concile de Rome pour s’y défendre contre ses accusateurs, et prouver que les évêques occidentaux devaient préférer sa communion à celle des eusébiens. Telle est la vérité, exposée par saint Athanase lui- même1. Ce récit, au lieu de prouver la haute juridiction de Rome, prouve tout le contraire, et établit positivement qu’on ne la reconnaissait pas plus au IVe siècle que dans les trois siècles précédents. Il est à remarquer qu’en toute cette affaire, Athanase, en parlant de Julius, l’appelle simplement évêque de Rome, et ne fait pas la plus légère allusion à une autorité supérieure qu’il aurait possédée.
Julius, appelé à se déclarer entre Athanase et les eusébiens, et à l’initiative de ces derniers, se déclara en faveur du premier, ce dont il fut loué par le concile de Sarclique2. Mais il faut, de parti pris, travestir les faits pour voir dans ce jugement de Julius un acte d’autorité supérieure.


1 S. Athan., Eist. arian. ad, monacli., §§ 9 et seq ; Apolog. cont arian., §§ 19 et seq.
2 S. Alhan., Apolog. cont. arian., §§ 37 et seq.

Lorsque Julius donna à Athanase, son frère et collègue, une lettre élogieuse pour attester qu’il était en communion avec l’Occident chrétien, l’évêque de Rome ne songea pas, et pour cause, à parler du jugement qu’il aurait prononcé en vertu de son autorité universelle. Il n’y eût pas manqué cependant, s’il eût possédé cette autorité.
Athanase, à la fin de sa vie, eut des relations avec saint Damase, évêque de Rome.
En parlant de cet évêque, il se sert de ces expressions : « Notre ami et collègue, Damase, évêque de la grande Rome1. » Dans un autre endroit, il l’appelle simplement son ami ; il lui fait observer que l’évêque de Milan, Auxentius, est arien, et s’étonne qu’il ne se soit pas encore entendu avec les autres évêques d’Italie pour le déposer. Ce qu’il désirait ayant été fait, Athanase en remercia son ami Damase et les autres évêques d’Italie2.
Cependant Athanase reconnaissait que saint Pierre était mort à Rome, et il parle du Martyrium ou tombeau qui était vénéré en souvenir de son martyre3 ; mais il ne tirait de ce fait aucune des déductions dont on a été si prodigue depuis le moyen âge, mais seulement celle-ci : que le siège de Rome était un trône apostolique. Le mot trône est usité en Orient pour désigner les Eglises apostoliques. On ne pouvait le refuser à Rome fondée par les apôtres Pierre et Paul4.
L’évêque de Rome n’avait pas, à ses yeux, plus d’autorité que les autres.
Telle est sa doctrine sur l’épiscopat en général :
L’évêque était élu par le peuple et était ordonné en présence des clercs et des fidèles. On le choisissait dans l’Eglise qu’il devait gouverner et où il était connu. Ces lois étaient clairement déterminées, et toute la société


1 S. Athan., Epist. ad Afros., § 1.
… του άγαπητοΰ καί συλλειτουσγοϋ ήμών, Δαμασου, τοϋ επισκόπου τη ; μεγαλής ‘Ρώμης… Le mot ρυλλειτουργος emporte avec lui l’idée du même service public, de la même fonction.
2 Ibid., § 10.
3 Ibid., Hist. arian. ad monach., §37.
4 Ibid., § 35.

chrétienne les connaissait1. Une fois élu et ordonné, l’évêque était considéré comme étant placé par Jésus- Christ lui-même à la tête de son Eglise, et il se devait tout entier à elle2.
Au IVe siècle, il y avait beaucoup d’évêques qui vivaient en véritables moines, tout en administrant leur Eglise et en vivant dans le monde. Saint Athanase les oppose aux moines qui ne suivaient pas les prescriptions de la vie monastique. Ce passage est remarquable3. « Nous connaissons, dit-il, des évêques qui jeûnent et des moines qui mangent ; des évêques qui s’abstiennent du vin et des moines qui en boivent ; des évêques qui font des miracles et des moines qui n’en font pas ; des évêques qui ont observé la continence et des moines qui ont des enfants. Il est vrai aussi que des évêques sont pères de famille, et que des moines sont continents ; que des moines et des clercs pratiquent également le jeûne ; il n’y a pas sur cela de règle fixe. »
On peut conclure de ce passage que le célibat n’était pas imposé aux évêques, mais qu’un grand nombre le pratiquaient volontairement et dans un esprit chrétien.
Selon la doctrine de saint Athanase, les évêques,en ce qui concernait la doctrine, ne devaient être que la voix de leurs Eglises respectives, attestant la foi reçue dès le commencement et toujours conservée avec soin.
L’enseignement de saint Athanase sur le baptême est très-remarquable. Le baptême était donné au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, afin de faire comprendre que l’essence de la Trinité était indivisible4. Jésus-Christ, en instituant cette formule du baptême, a voulu faire connaître au chrétien la base de sa foi. Il n’a pas voulu que le baptême fût administré au nom du non-fait et du fait, de l’incréé et du créé, expressions dont se servaient les ariens pour distinguer le Fils du Père ; mais il a voulu que l’on baptisât au nom du Père, du Fils et du


1 S. Athan., Epist. encycl., § 3.
2 Ibid., Epist. ad Dracont., §§ 1,2, 3.
3 Ibid., § 9.
4 Ibid.. Epist., 4 ad Serap., § 12.

Saint-Espritl, divinité unique en trois personnes distinctes.
Le baptême administré au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, est la base fondamentale sur laquelle la foi est établie2. En le recevant, on naît à une nouvelle vie ; l’ancienne a complètement disparu et il n’en reste rien ; l’âme est absolument renouvelée. C’est là la différence qui existe entre le baptême et la pénitence, car, par cette dernière on obtient bien la rémission des péchés ; mais si les péchés commis après le baptême sont guéris, ils laissent cependant des cicatrices ; tandis que le baptême efface totalement les péchés commis avant qu’on le reçoive3.
Le baptême ne peut être administré validement, selon saint Athanase, par ceux qui ne professent pas la foi orthodoxe sur la Trinité. Le Sauveur a dit d’abord à ses apôtres ; Allez, instruisez ; et ensuite : Baptisez, etc., afin de faire comprendre que l’on doit avoir d’abord une foi exacte, et que l’on est initié au baptême avec la foi. Ainsi, les ariens, qui se servaient cependant de la formule évangélique, n’administraient pas un baptême valide, parce qu’ils avaient une doctrine fausse touchant le Père, dont ils ne faisaient pas un vrai père, et touchant le Fils, qu’ils regardaient comme une créature4. Il en était de même des manichéens, des Phrygiens ou montanistes, et des disciples de Paul de Samosate, lesquels cependant prononçaient les mots de la formule évangélique.
Saint Athanase posait ainsi cette règle générale touchant le baptême des hérétiques : que celui-là seul était valide qui était administré par ceux qui professaient la véritable foi touchant la Trinité.
On a pu remarquer ce que nous avons rapporté plus haut de la différence établie par saint Athanase entre le baptême et la pénitence. Il admettait donc que cette


1 S. Athan., Le Decret. Nic. Synod., § 30.
2 Ibid., Orat. 4, cont. arian., § 21.
3 Ibid., Epist. 4, ad. Serap., § 13.
4 Ibid., Orat. 2, cont. arian., § 42.

dernière remettait les péchés ; seulement, au lieu de donner à l’homme une nouvelle naissance, elle le guérissait seulement de ses maux spirituels, en lui en laissant les cicatrices.
Athanase croyait que dans l’Eucharistie c’était le vrai corps de Jésus-Christ qui était reçu, et il donnait les paroles de l’institution eucharistique comme une preuve contre certains hérétiques qui ne croyaient pas à la réalité du corps du Christ1.
L’Eucharistie, même depuis la conversion de Constantin, était célébrée d’une manière mystérieuse. On ne voulait pas, dit Athanase2, qu’elle fût pour les païens un sujet de risée, et pour les catéchumènes qui n’étaient pas encore suffisamment instruits, un sujet de scandale. Il est bien évident que ce secret n’aurait pas été nécessaire si l’Eglise n’eût pas cru à la présence réelle. Réduite à un signe, l’Eucharistie n’aurait excité ni là risée des païens, ni le scandale des catéchumènes. Aussi saint Athanase, en parlant de la coupe qui servait à la consécration, dit-il positivement qu’on y buvait le sang du Seigneur.
Le saint docteur ajoute que les mystères divins n’étaient célébrés que le dimanche. Telle était en effet l’ancienne coutume de l’Eglise d’Alexandrie. Les saints mystères étaient conservés dans l’église, et saint Athanase s’élève contre la profanation dont ils furent l’objet de la part des païens, qui les jetèrent à terre, lorsque le faux évêque Grégoire fit son entrée à Alexandrie3. On ignorait, au IVe siècle, ce système moderne d’après lequel le corps et le sang du Seigneur n’auraient été reçus que d’une manière purement idéale, et n’auraient existé de cette manière idéale, dans l’Eucharistie, qu’au moment de la communion.
Saint Athanase, en se justifiant d’avoir réuni le peuple dans une église qui n’était pas achevée, fournit des renseignements sur le zèle du peuple fidèle à assis


1 Ap. Theodoret., Dialog. 2.
2 S. Athan., Apolog. cont. arian., § 11.
3 Ibid., § 30.

ter aux offices religieux. L’ancienne église d’Alexandrie était fort petite. « Dans les synaxes (assemblées) du carême, dit-il1 ,1a foule était si grande, qu’un grand nombre d’enfants, de jeunes et de vieilles femmes, et même de jeunes gens, furent tellement serrés, qu’on fut obligé de les transporter chez eux. Grâce à Dieu, aucun ne mourut. Si la foule était si grande les jours qui précédaient la fête, combien l’aurait-elle été davantage le jour même de la fête ? » L’évêque Alexandre avait déjà été obligé de construire l’église de Théonas, qui passait alors pour très-grande, et y avait tenu les assemblées avant qu’elle fût terminée. Tandis qu’Athanase était à Trèves, et à Aquilée, il avait été témoin du même fait. L’église de Théonas étant devenue insuffisante, saint Athanase en faisait construire une sur de plus vastes proportions. Avant qu’elle fût terminée, il y réunit les fidèles pour la fête de Pâques. « Je demande à mes adversaires, dit-il, s’il était préférable de réunir les fidèles dans un désert plutôt que dans une maison de prière en construction ; où le peuple répondrait plus décemment et plus saintement : Amen ! dans un désert ou dans un temple que l’on appelait déjà : la maison du Seigneur ; dans quel lieu les fidèles pouvaient étendre les mains pour prier, d’une manière plus convenable, en public et sous l’œil des païens, ou dans un lieu déjà sanctifié et que tous appelaient du nom du Seigneur2. »
Le mot amen proféré par les fidèles, dans les assemblées, était, selon saint Athanase, le signe de consentement qui faisait de la prière de tous une même prière. On voit, par ce qui précède, que les fidèles étendaient les mains pour prier pendant les offices.
Ces renseignements devaient être enregistrés par l’histoire.
Les ouvrages les plus importants de saint Athanase furent composés dans le désert, où il était obligé de chercher un refuge lorsque ses ennemis étaient triomphants.


1 S. Athan., Apol. ad Constant., §§ 15, 16.
2 Κυριάκον παντες ονορ, άςουσιν. V. la note 1 de la page 338 du tome II de notre Histoire de l’Hgtise.

Il y jouissait du respect et de la vénération des moines, qui, à l’exemple de leur patriarche Antoine, se déclarèrent pour l’orthodoxie et pour son généreux athlète. Dans ces écoles divines1, dans ces monastères habités par des hommes quine vivaient que pour Dieu, Athanase alliait les devoirs de sa charge pastorale à ceux de la vie monastique, et servait d’exemple aux moines les plus parfaits. Lorsque ses ennemis pénétrèrent jusque dans les solitudes pour le chercher et le mettre à mort, les moines refusaient de dire le moindre mot qui pût mettre sur la trace du grand évêque, et quand on les menaçait, il se contentaient de tendre le cou au glaive des bourreaux, persuadés qu’en souffrant pour Athanase, ils souffriraient pour Dieu lui-même. Cependant Athanase, pour ne pas les exposer aux violences des ariens, abandonna les pieuses solitudes et se retira plus avant dans le désert, et s’enferma dans une caverne où il pouvait à peine jouir de la lumière. Un fidèle venait chaque jour lui apporter les choses nécessaires à la vie et ses lettres.
C’est de la solitude qu’il écrivit sa Lettre aux évêques d’Ægypte et de Lybie ; son Apologie à Constantius ; ses quatre Discours contre les ariens ; l’Apologie de sa fuite ; l’Histoire de l’arianisme, écrite pour les moines ; son Livre des synodes de Rimini et de Seleucie ; ses Lettres à Sérapion.
Il est probable que ce fut aussi dans la solitude qu’il écrivit son livre de la Virginité. Athanase professait une haute estime pour le célibat chrétien, qu’il pratiquait lui- même avec la sévérité du moine le plus parfait, et il aimait à voir des moines accepter les fonctions épiscopales. Sa Lettre à Dracontios est un monument à consulter sur cette question. « Très-cher Dracontios, lui écrivit-il2, je ne sais que t’écrire ; dois-je te blâmer de refuser l’épiscopat, ou te reprocher de faire trop attention aux circonstances, ou de te cacher par crainte des Juifs ? De quelque


1 S. Gregor. Theol., Orat. 21, in Ladu. Athan, ; S. Athan., Apolog. de fuga ; Socrat., Hist. Eccl, lib. III, c. 8 ; Sozom., Hist. Eccl., lib. IV, c. 10 ; Ruff., Hist. Eccl., lib. I, c. 18.
2 S. Athan., Epist. ad Dracont., § 1.

manière que je considère la chose, tu n’es pas sans péché. Après avoir reçu la grâce, tu ne devais pas te cacher, et fournir ainsi à d’autres l’exemple de prendre la fuite, exemple que ta sagesse rend dangereux. Tu as causé du scandale à ceux qui ont appris ta fuite ; ce n’est pas ton acte en lui-même que l’on blâme, mais de ce que tu as agi ainsi dans des circonstances où l’Eglise avait besoin de toi. » Athanase fait remarquer au moine son ami, qu’ayant abandonné le siège auquel l’avaient élu les habitants des environs d’Alexandrie, plusieurs compétiteurs allaient se mettre sur les rangs et exciter des divisions parmi les fidèles. Les vertus de Dracontios étaient si généralement connues, que les païens de la localité avaient promis de se faire chrétiens dès qu’il serait évêque.
« Très-cher Dracontios, continue Athanase1, tu nous as causé beaucoup de peine et une vraie affliction, au lieu de la joie et de la consolation que nous attendions de toi. Nous comptions que tu serais pour nous une consolation, et voici que nous apprenons ta fuite. Tu dois savoir que, avant d’avoir été fait évêque, tu vivais pour toi ; mais que, devenu évêque, tu dois vivre pour ceux que tu es appelé à diriger. Avant d’avoir reçu la grâce de l’épiscopat, personne ne te connaissait ; mais dès que le peuple t’a élu, il t’attend, pour que tu le nourrisses de la doctrine des saintes Ecritures. Si, pendant qu’il a faim, tu ne songes qu’à te nourrir toi-même, quelle excuse donneras-tu à Jésus-Christ, qui verra ses brebis affamées ? Si tu n’avais pas reçu de denier, il ne t’en demanderait pas compte ; mais dès que tu l’as reçu et que tu l’enfouis, il t’adressera ce reproche : Tu aurais dû le faire valoir, afin de me le rendre avec intérêts. »
Saint Athanase considérait l’épiscopat comme une grâce divine, conférée par l’ordination à celui qui était élu par le peuple fidèle. Une fois investi de l’épiscopat, le pasteur se devait à son troupeau, et un de ses premiers devoirs était de l’instruire de la doctrine des saintes Ecritures, c’est-à-dire, de la doctrine révélée, dont il de


1 S. Athan., Epist. ad Dracont., § 2.

vait répandre et augmenter la connaissance parmi les fidèles confiés à ses soins.
Athanase continue1 : « Si tu as abandonné ton Eglise par crainte du danger, tu as montré peu de courage ; si c’est par un éloignement pour la direction d’une Eglise, et un certain mépris pour la charge épiscopale, tu méprises le Sauveur qui a constitué et l’Eglise et l’épiscopat. Je t’en prie, ne te laisse pas influencer par ceux qui t’inspireraient de telles pensées, bien indignes de Dracontios. Ce que le Seigneur a établi par ses apôtres est bon, et doit rester établi. »
Il est probable que les conseillers de Dracontios étaient des moines ses confrères, qui exaltaient la vie monastique comme seule digne d’un chrétien parfait, et plaçaient bien au-dessous d’elle l’épiscopat, dans lequel on ne devait s’occuper de sa propre perfection qu’en travaillant à celle des autres.
« Si tes conseillers ont raison, ajoute Athanase2, comment serais-tu chrétien aujourd’hui, puisqu’il n’y aurait pas eu d’évêques ? Et si ceux qui devaient l’être dans la suite avaient des sentiments analogues à ceux qu’ils professent, comment les Eglises subsisteraient- elles ? Tes conseillers croient-ils que tu n’as rien reçu, puisqu’ils en font si peu de cas ? Ils déraisonnent évidemment ; il ne reste plus qu’à dédaigner la grâce du baptême, puisqu’il en est qui ne l’estiment point. Tu as véritablement reçu quelque chose, très-cher Dracontios, ne t’y trompe pas, et ne permets pas à tes conseillers de te faire illusion sur ce point. »
Aux yeux d’Athanase, les effets de l’ordination étaient analogues à ceux du baptême ; l’ordination était un Mystère ou sacrement d’institution divine, et conférait une grâce spéciale. L’épiscopat était tellement nécessaire, que, sans lui, l’Eglise ne pouvait exister. Athanase comprenait les anciens monuments ecclésiastiques comme nous les avons compris nous-même. C’est avec rai-


1 S. Athan., Epist, ad Dracont., § 3.
2 Ibid., § 4

son que nous y avons aperçu l’Eglise constituée sur l’épiscopat, et l’Eglise entière des premiers siècles professait la même doctrine, puisque, au IVe siècle, Athanase l’enseignait, non pas comme une opinion qui lui fût personnelle, mais comme une antique doctrine, sur laquelle on n’élevait aucune contestation.
« Ce que tu as reçu, dit-il à Dracontios, vient de Dieu. N’as-tu pas entendu l’apôtre dire : Ne néglige pas la grâce- gui est en toi. Il faut régler notre vie sur le type des saints et des Pères, et les imiter. Tu n’ignores pas que si nous ne les suivons pas, nous sommes séparés de leur communion. Or, qui te conseille-t-on d’imiter ? Ce n’est certes pas l’apôtre Paul, qui, pour accomplir son ministère, s’en alla prêcher jusqu’aux confins de l’Illyrie ; osa aller à Rome et s’avancer jusqu’en Espagne, et qui s’applaudissait d’avoir ainsi dignement travaillé et mérité la couronne. Est-ce celui-là que tu imites, ou bien ceux qui ne lui ressemblent pas ? Tout mon désir est que, toi et moi, nous soyons imitateurs des saints. »
Dracontios avait refusé l’ordination, et avait déclaré que, s’il était fait évêque malgré lui, il s’enfuirait1. Athanase ne trouve pas en cela une excuse de sa fuite. C’est Dieu, dit-il, qui t’a confié le ministère ; tu ne peux refuser de l’exercer. Le Seigneur sait à qui il confie ses Eglises2 ; tu as été choisi, tu dois travailler avec nous et ne pas laisser inutile le denier que tu as reçu. Ne tarde pas d’obéir à Celui qui fa confié le ministère3, et viens à nous qui t’aimons et qui ne t’offrons que la doctrine des Ecritures pour te persuader. Viens célébrer la sainte liturgie dans les églises, et faire mémoire de nous dans tes prières. Tu n’es pas le seul moine qui ait été choisi pour l’ordination, et tu en as de nombreux exemples, même dans l’ancienne loi. N’écoute pas les moines qui voudraient te faire croire que le ministère est inférieur à la vie monastique4. Paul n’a-t-il pas reçu la couronne


1 S. Athan., Epist. ad Dracont., § 5.
2 Ibid., § 6.
3 Ibid., § 7.
4 Ibid., § 8.

lorsqu’il prêchait ? Quand Pierre a-t-il confessé la foi, sinon lorsqu’il prêchait l’Evangile et qu’il était pêcheur d’hommes ? Dans quel but le Sauveur a-t-il choisi ses disciples, sinon pour les envoyer évangéliser ?
En présence de tels exemples, n’écoute pas, cher Dracontios, ceux qui te disent que l’épiscopat est une occasion de péchés1. Il te sera permis d’y souffrir de la faim et de la soif, comme Paul ; de te priver de vin, comme Timothée ; de jeûner fréquemment, comme Paul, et, en même temps, de rassasier les autres par ton enseignement. Il y a des évêques qui sont de vrais moines, et des moines qui ne remplissent pas les obligations de leur état2.
Athanase termine sa lettre en exhortant Dracontios à venir dans son Eglise pour la grande fête de Pâques. Les moines, pour cette fête, invitaient des prêtres à se rendre au désert parmi eux pour la célébrer ; ils ne peuvent donc trouver mauvais qu’une Eglise réclame l’évêque qu’elle a élu3. Il l’exhorte à venir célébrer la liturgie pour son peuple, et à faire mémoire de lui.
Cette lettre est très-remarquable. Il faut noter qu’Athanase était le premier évêque d’Ægypte et de Lybie et exerçait une juridiction supérieure sur tous les évêques de ces régions. Cette ancienne coutume avait été consacrée par le concile de Nicée. C’est pour cela qu’il répète par deux fois que Dracontios fera mémoire de lui à la liturgie. L’usage de prier pour le principal évêque de la contrée était établi dès le IVe siècle. La lettre d’Athanase nous fait connaître une grave erreur qui tendait â se répandre parmi les moines, et qui consistait à rabaisser les fonctions sacrées du ministère au-dessous des pratiques de la vie cœnobitique. Enfin, de cette lettre ressort la doctrine orthodoxe sur l’origine divine, la nature et les devoirs de l’épiscopat. A ces divers points de vue, la Lettre à Dracontios est d’une très-grande importance pour l’histoire.


1 S. Athan., Episl. ad Dracont., § 9.
2 Nous avons cité précédemment ce passage.
3 Ibid., § 10.

Il nous l’este à faire connaître les lettres que saint Athanase écrivait chaque année pour annoncer la fête de Pâques1.
Nous avons remarqué précédemment que l’usage s’était établi d’accepter de l’Eglise d’Alexandrie, où l’on s’était distingué par des travaux très-savants sur le comput et la chronologie, l’indication de la fête de Pâques. Rome recevait cette indication comme les autres Eglises, et l’adressait à toutes les Eglises d’Occident. Les évêques d’Alexandrie annonçaient la fête avec une grande solennité à toutes les Eglises d’Ægypte et de Lybie qui reconnaissaient leur primauté, et joignaient à l’indication de la fête une instruction sur les mystères chrétiens. On possède une partie des lettres par lesquelles saint Athanase annonçait la Pâque chaque année2. L’histoire peut y recueillir plusieurs renseignements très-intéressants.
Dans la première, Athanase exhorte les fidèles à célébrer la grande fête du christianisme, et fait retentir les trompettes de la Nouvelle Alliance qui figuraient les trompettes de l’ancienne loi, par lesquelles on convoquait le peuple d’Israël à la célébration de ses fêtes. Mais avant la joie de la Pâque, il y avait le deuil de la pénitence, c’est-à-dire le jeûne, comme dans l’ancienne alliance.
« Vous voyez, mes frères, dit-il3, combien le jeûne a de valeur, et comment la Loi nous y oblige. Elle veut que nous jeûnions, non-seulement pour le corps, mais pour l’âme. L’âme fait pénitence lorsqu’elle s’éloigne des mauvaises doctrines, et se nourrit de vertus. Les vertus et les vices sont comme des aliments dont l’âme peut user à son gré. Si elle choisit la vertu, elle se nourrit de justice, de chasteté, de force. Si elle se tourne vers les choses de l’ordre inférieur, elle ne peut se nourrir que de péché. De même que Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ


1 S. Athan., Epist. festal.
2 Nous avons déjà remarqué plus haut que la découverte de ces lettres appartient à Curton. Le cardinal Mai les a insérées dans sa Nouvelle Bibliothèque des rires, avec une traduction latine faite sur le syriaque découvert et édité par Curton.
3 Epist. festal. 1, § 5.

est une nourriture céleste et l’aliment des saints, selon cette parole : Si vous ne mangez pas ma chair, et si vous ne buvez pas mon sang, ainsi le démon est la nourriture des pécheurs et de tous ceux qui font des œuvres de ténèbres…
« Mes bien-aimés1, donnons à nos âmes la nourriture divine, en pratiquant le jeûne du corps ; et nous pourrons aussi célébrer dignement notre grande et salutaire solennité. »
Après un rapprochement fort éloquent entre l’immolation figurative et transitoire de l’agneau judaïque, et l’immolation réelle du véritable agneau Jésus-Christ, Athanase exhorte les fidèles à célébrer la Pâque véritable en se dépouillant du vieil homme pour vivre en hommes régénérés, puis il indique le commencement du jeûne pour le 5e jour du mois Pharmouth et la fin, pour le 10e jour du même mois. Le lendemain, 11e jour était la Pâque ; c’est-à-dire, selon le comput latin, le 8 des Ides d’avril. Ainsi Athanase n’indiquait que le grand jeûne, c’est-à-dire, le jeûne de la grande semaine ou semaine sainte, pendant lequel les fidèles observaient une abstinence presque complète2. Il annonce en même temps que, sept semaines après là Pâque, aura lieu la fête de la Pentecôte3.
Il termine en priant les fidèles de se souvenir des pauvres et des voyageurs4. C’était toujours par la charité fraternelle que les chrétiens se montraient dignes de leur vocation.
Dans la seconde Lettre paschale, Athanase, après avoir parlé de l’amour du Sauveur pour les hommes, prévient les fidèles contre des hypocrites qui voulaient les tromper en leur enseignant de fausses doctrines. Il avait en vue évidemment Arius et ses partisans qui affectaient des airs de piété et qui, au fond, n’étaient que des loups couverts de peaux de brebis, ou des sépul-


1 Epist. festal. § 7.
2 Dans d’autres lettres, il indique le commencement du carême ; puis la grande semaine, Pâque et la Pentecôte.
3 Ibid. § 10.
4 Ibid. § 11.

cres blanchis. « Ils inventent, dit-il1, des hérésies, parce que, ayant lu les saints Livres, ils ne les interprètent pas selon la tradition des saints, mais dans un sens tout humain. Il n’y a, ajoute-t-il, aucune relation entre les paroles des saints et les fantaisies des novateurs. Ce que chaque saint a reçu, il l’a transmis sans y rien changer, à cause du caractère permanent et certain de la doctrine céleste. Nous devons être disciples à l’égard des saints, et ils sont nos maîtres, parce que c’est à eux que la vérité a été confiée, et qu’ils nous ont fait connaître les faits divins dont ils ont été témoins. »
Dans la troisième lettre, saint Athanase expose de quelle manière les fidèles célébraient la Pâque. « Le cinq du mois Phamenoth, dit-il2, sera le commencement du carême ; lorsque nous nous serons purifiés pendant ces jours et bien préparés, nous commencerons la sainte semaine de la grande Pâque le 10e jour de Pharmouth. Pendant ce temps, mes frères, nous devons nous appliquer à de continuelles prières, aux jeûnes et aux veilles, afin que nous puissions teindre nos portes du sang précieux et éviter l’ange exterminateur. Nous terminerons le jeûne le quinzième jour de Pharmouth, et le soir du samedi, lorsque nous entendrons les anges dire : Pourquoi cherchez-vous un vivant parmi les morts ? il est ressuscité ; aussitôt le grand jour du Seigneur commencera pour nous, le seize de Pharmouth, où Notre-Seigneur nous a donné la paix avec notre prochain. »
Ces dernières paroles sont une allusion au baiser fraternel que les frères se donnaient avant la sainte Liturgie, en signe de réconciliation et d’oubli de toute dissension.
Ce passage de saint Athanase prouve que l’on célébrait la Pâque au IVe siècle, dans l’Eglise d’Alexandrie, comme on la célèbre encore aujourd’hui dans les Eglises orientales et particulièrement dans les Eglises orthodoxes.
La quatrième des Lettres paschales fut écrite au


1 S. Athan., Epist. festal. 2, §§ 6, 7.
2 Epist. festal., 5, § 6.

moment où Athanase, appelé par Constantin, un peu avant le conciliabule de Tyr (332), ne pouvait que difficilement correspondre avec son Eglise. « Mes bien-aimés, dit-il1, je suis en retard pour vous écrire, mais vous me pardonnerez, à cause de mon éloignement et de la maladie qui m’a affligé. A ces deux obstacles il faut joindre la rigueur de l’hiver ; mais quoique malade et exilé si loin, je n’ai point oublié que je devais vous annoncer la fête de Pâques ; fidèle à cet usage, je m’acquitte de mon devoir. »
Il encourage les fidèles à célébrer avec joie la fête de Pâques, malgré les persécutions dont il était l’objet. Il oppose à la Pâque judaïque, qui ne pouvait être célébrée qu’à Jérusalem, la Pâque chrétienne qui devait être célébrée partout. « C’est pour cela, dit-il,2 que les apôtres demandent au Maître ; Où veux-tu que nous préparions la Pâque ? Notre Sauveur, passant aussi du figuratif à la réalité, leur promit de leur donner, au lieu de la chair d’un agneau, sa propre chair : Prenez, mangez et buvez, ceci est mon corps et mon sang. »
Dans la cinquième Lettre3, nous remarquons principalement ce passage : « Tournons notre esprit vers les choses futures, et prions afin que nous ne mangions pas la Pâque indignement, et qu’elle ne devienne pas pour nous un danger. La Pâque sera une nourriture céleste pour ceux qui célébreront la fête avec un cœur pur ; elle sera un péril et une honte pour les impurs et pour ceux qui la mépriseront. En effet, il est écrit : Celui qui mange et boit indignement, sera coupable de la mort du Seigneur. Ne venons donc pas sans préparation célébrer les rites de la fête ; mais, afin que nous puissions approcher dignement de l’Agneau divin, et toucher aux célestes aliments, purifions nos mains, lavons notre corps4, et nettoyons notre conscience de tout péché. Ne


1 Epist. festal., 4, § 1.
2 Ibid., § 4.
3 Epist. festal., §5.
Ces purifications extérieures sont encore en usage dans les Eglises orientales orthodoxes.

nous laissons aller à aucun excès, afin que nous puissions être participants du Verbe. »
La dixième lettre (338) fut envoyée des confins de la terre1, c’est-à-dire, de Trêves où le saint évêque avait été exilé. Il était là aux confins de l’empire romain et à l’extrémité du monde, par rapport à Alexandrie. Il en prend occasion pour exposer cette belle doctrine de la communion des saint2 : « Après avoir confié toutes mes affaires à Dieu, je me suis occupé de célébrer la Pâque avec vous ; car je ne pense pas être éloigné de vous. Quoique l’espace nous sépare, le Seigneur qui nous a donné nos fêtes, ou plutôt qui est lui-même notre fête, et qui nous a donné le Saint-Esprit, nous réunit tous spirituellement par la concorde et le lien de la paix. Lorsque nous avons les mêmes sentiments et que nous adressons les mêmes prières, aucun espace ne nous sépare, mais le Seigneur nous rassemble et nous unit ; car dans le lieu où deux ou trois sont unis en son nom, il se trouve lui-même au milieu d’eux, comme il l’a promis. Il est donc très-certain pour eux qu’en quelque lieu qu’ils se rassemblent, le Seigneur est au milieu d’eux pour recevoir leur prière, comme S’ils étaient en un même lieu, et pour les exaucer lorsqu’ils disent à haute voix : Amen ! »
Athanase exilé console les fidèles en leur rappelant que Jésus-Christ a beaucoup plus souffert. Le courage chrétien ne pouvait s’exprimer avec une foi plus énergique. « O bien-aimés, dit-il3, mes chers amis, si l’on passe des angoisses à la consolation, de la peine au repos, de la maladie à la santé, de la mort à l’immortalité, il ne faut pas nous attrister des maux qui peuvent nous arriver en cette vie. Ne nous étonnons pas que le monde fasse opposition au Christ ; nous devons trouver là un motif de plus de nous efforcer de plaire à Dieu. Comment pratiquer la patience, si l’on n’avait pas à supporter des contradictions et des peines ? Comment con-


1 S. Athan., Epist festal. 10, § 1.
2 Ibid.., § 2.
3 Ibid., § 7.

naîtrait-on la force de quelqu’un s’il n’avait à subir un assaut ? Comment reconnaîtrait-on la magnanimité, si l’injure et l’offense ne lui fournissaient l’occasion de se montrer ? Qui saurait ce que c’est que la patience, si l’iniquité des antechrists ne la faisait exercer ? Pour tout dire en un mot : qui verrait la vertu, si le mal n’était là tout près d’elle ? Notre Maître et Sauveur Jésus-Christ, à souffert des maux bien plus grands, pour montrer aux hommes sa patience ; lorsqu’il était frappé, il supportait les coups sans se plaindre ; aux injures, il ne répondait pas par l’injure ; dans ses souffrances, il ne montrait aucune irritation ; il offrait son dos aux verges, ses joues aux soufflets, sa figure aux crachats ; enfin il fut conduit volontairement à la mort, afin que cette mort fût pour nous un exemple de toutes les vertus et la voie vers l’immortalité.
« Si chacun de nous se conforme à ces exemples sans aucun doute nous écraserons les serpents, les vipères, toutes les forces de l’ennemi. »
Saint Athanase se montre tout entier dans ces lignes, avec son courage indomptable et sa foi robuste. Il prévient ensuite les fidèles contre tous les sectaires qui attaquaient le Sauveur, soit dans sa divinité, soit dans son humanité, au lieu de se prosterner à ses pieds et de lui rendre grâces des bienfaits de son incarnation et de la rédemption.
La treizième lettre paschale fut écrite de Rome (341). Athanase y exhorte ses fidèles à la patience et il les assure que les persécutions dont il est victime ne peuvent l’effrayer ; car, dit-il, c’est en souffrant que le Christ nous a sauvé, et il nous a réservé le même sort2. Il s’élève fortement contre les Eusébiens qui le poursuivaient de leurs intrigues, et qui, par leurs violences, faisaient des lâches ou des apostats.
Dans la lettre dix-neuvième3, il se réjouit de son retour dans son Eglise (347), et avertit les dissidents que le


1 Epist. festal. 10, § 8.
2 S. Athan., Epist festal. 13, § 6.
3 Epist. festal., 19, § 1.

sacrifice qu’ils pourraient offrir à Dieu est de nul effet ; car Dieu n’a pas besoin des fêtes et ne tient compte que des âmes pures et amies de la vérité. Il s’élève avec énergie contre les Ariens qui abusaient des Ecritures pour appuyer leurs erreurs et qui cachaient leurs vices sous les apparences du zèle religieux1 : il convoque tous les chrétiens à renoncer à leurs divisions et à venir manger la Pâque dans la même maison, avec esprit de pénitence et après s’être confessés2.
Saint Athanase, comme premier évêque d’Ægypte et de Lybie, joignit à cette lettre la liste des évêques orthodoxes dont les fidèles pouvaient accepter les lettres pastorales. Déjà dans une lettre à Sérapion de Tmuis, jointe à la douzième lettre paschale, il en avait donné la liste afin que les fidèles ne fussent pas exposés à prendre des évêques hérétiques pour des orthodoxes.
Les lettres paschales ne nous sont parvenues, pour la plupart, qu’en extraits. C’est de la lettre trente-neuvième que nous avons tiré le canon des Ecritures du Nouveau Testament.
Nous ne trouvons, dans les autres fragments, que des pensées pieuses analogues à celles que l’on trouve dans les lettres complètes et qui ne fournissent pas de renseignements à l’histoire. Nous reviendrons sur les dernières années du saint évêque d’Alexandrie. Après avoir étudié ses ouvrages, nous ne pouvons que répéter ces éloges que lui décerna un juge bien compétent, le grand évêque de Constantinople, Photius3 : « Dans ses discours, Athanase possède un style clair, serré, simple ; mais il est en même temps si fin, si profond, si pressant dans sa logique, et il possède ces qualités à un tel degré qu’il faut dire tout simplement qu’il est admirable. Dans sa logique il n’y a ni ces subtilités ni ces enfantillages auxquels ont recours les jeunes gens et les hommes peu cultivés ; mais elle brille par Une magnifique philosophie. Pour démontrer les sujets qu’il traite, il a tout un arsenal


1Epist. festal, 10, § 6.
2 Ibid·., § 8.
3 Phot., Epist. ad Taras.

scripturaire, comme on peut le voir dans ses ouvrages contre les Hellènes, de l’Incarnation du Verbe ; et dans ses livres contre Arius, qui triomphent de toute hérésie, et surtout de l’hérésie arienne. Si l’on disait que Grégoire le Théologien et le divin Basile ont tiré de cette source les fleuves purs et limpides qu’ils ont répandus contre l’erreur, on ne serait pas loin, ce me semble, de la vraisemblance. Ses commentaires sur l’Ecriture, ses traités contre Apollinaire et ses lettres sont remplis de beautés. »
Passons d’Alexandrie à Jérusalem, où nous trouvons un autre grand évêque, Cyrille, dont les ouvrages forment un des plus beaux monuments théologiques du IVe siècle. Sa vie ne fut qu’une lutte contre les Ariens, à la tête desquels était Acacius de Cæsarée en Palestine. Cet évêque se prétendait supérieur à celui de Jérusalem, parce que Cæsarée était la capitale de la Palestine. Mais le trône de Jérusalem était regardé comme acéphale, malgré le peu d’importance civile de la ville à cause des mystères chrétiens qui s’y étaient accomplis et des grands souvenirs attachés à ses ruines. Ce fut bien en vain qu’Acacius et ses adeptes déposèrent par trois fois Cyrille de son siège. Il y fut rétabli par les évêques orthodoxes, et on le considéra, pendant toute sa vie, comme le légitime évêque de la ville sainte. Il y était né (vers 315), y avait embrassé la vie monastique et avait été fait diacre par le saint évêque Macarius. Maximus l’avait fait prêtre et l’avait chargé de l’enseignement des catéchumènes et des néophytes. Les instructions qu’il leur adressa forment un des ouvrages les plus précieux du IVe siècle, soit par l’exposition que le saint auteur y fait des dogmes chrétiens, soit par les renseignements que l’on y trouve sur les usages de l’Eglise primitive.
Les instructions aux catéchumènes sont au nombre de dix-huit ; celles aux néophytes ou nouveaux baptisés sont au nombre de cinq et sont distinguées des autres par leur titre de Mystagogiques, c’est-à-dire, initiatrices aux secrets ou Mystères que les fidèles seuls devaient connaître1.


1 S. Cyrill., Hierosol. op., édit. Bened.

Les dix-huit premières sont l’explication du symbole que l’Eglise de Jérusalem avait reçu des apôtres et qu’elle avait toujours conservé. C’est le plus ancien que l’on connaisse ; il est à peu près identique, même quant aux expressions, à celui auquel les conciles de Nicée et de Constantinople, au IVe siècle, donnèrent le caractère d’œcuménicité1.
Les catéchèses sont précédées d’un discours préliminaire adressé à ceux qui devaient être éclairés, c’est-à-dire, aux catéchumènes. Ceux-ci venaient écouter les instructions en portant à la main des cierges allumés, symbole de la lumière spirituelle qu’ils venaient demander à l’Eglise2. Cyrille les avertit qu’ils doivent venir avec de bonnes dispositions, s’ils veulent que le baptême leur soit utile. « Simon le Magicien, leur dit-il3, fut baptisé, mais ne fut pas doué de lumière4. L’eau lava son corps, mais n’illumina pas son cœur par l’Esprit. Son corps fut plongé et retiré de l’eau ; mais son âme ne fut pas ensevelie dans le Christ et ne ressuscita pas avec lui. »
Tel était le mystère signifié par l’immersion dans le baptême et par la sortie de l’eau. Ce mystère disparaît dès que le baptême n’est pas administré par immersion.
Parmi les catéchumènes qui venaient écouter l’enseignement chrétien, on en rencontrait qui n’étaient mûs


1 Voici ce symbole tiré textuellement de saint Cyrille :
« Nous croyons en un Dieu, Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, de toutes les choses visibles et invisibles ;
« Et en un Maître, Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, qui a été engendré du Père, Dieu vrai avant tous les siècles ; par lequel toutes choses ont été faites ;
« Qui est advenu en chair, et s’est incarné de la vierge par le Saint-Esprit ; qui a été crucifié et a été enseveli ; qui est ressuscité le troisième jour ; est monté aux cieux et est assis à la droite du Père ; et qui viendra avec gloire juger les vivants et les morts ; et dont le règne n’aura pas de fin ;
« Et en un Saint-Esprit, Paraclet, qui a parlé par les prophètes ;
« Et en un baptême de pénitence pour la rémission des péchés ;
« Et en une sainte Eglise catholique ;
« Et à la vie éternelle. »
2 S. Cyrill., Procatech., § 1. Les catéchumènes étaient appelés φωτιζόμενοι, en latin : illuminandi.
3 Ibid., § 2.
4 Οΰκέφωτίσθη, en latin : non illuminatus est. On appelait illumination la grâce communiquée dans le baptême.

que par un sentiment de curiosité et qui se disaient1 : « Allons voir ce que font les fidèles ; quand je serai entré parmi eux, je verrai ce qui se passe dans leurs assemblées. » Les Eglises chrétiennes n’étaient pas publiques ; l’entrée n’en était ouverte qu’aux fidèles ou aux catéchumènes pour la partie de là liturgie appelée Liturgie des catéchumènes et qui se terminait après la lecture de l’Evangile.
Les ministres du Christ laissaient libre l’entrée au catéchuménat2. Ceux qui étaient admis donnaient leur nom ; ils étaient introduits dans l’église où ils pouvaient voir les fidèles, entendre les lectures de la sainte Ecriture, s’inspirer de respect pour le lieu sacré. Après avoir reçu les instructions, ils faisaient pénitence pendant quarante jours. Ils se revêtaient ainsi de l’habit nuptial sans lequel ils auraient pu être chassés de la salle du festin, selon la parabole évangélique. S’ils viennent sans être revêtus de cet habit, c’est-à-dire, de bonnes dispositions, leur corps pourra entrer dans l’eau, dit Cyrille, mais l’esprit ne viendra pas dans leur âme.
Mais le baptême qui ne produisait pas ses effets surnaturels n’en était pas moins valide. Il n’est pas permis, dit Cyrille3, de recevoir le baptême deux ou trois fois ; car il n’y a qu’un Maître, une foi et un baptême. Il n’y a que les hérétiques qui soient rebaptisés, parce que leur premier baptême était nul.
Pendant que les catéchumènes suivaient les instructiones, ils étaient soumis à divers exorcismes et insufflations4 dont le but était de les purifier et de les préparer à la purification complète du baptême. On leur couvrait la tête d’un voile pour signifier que leurs pensées ne devaient se porter que sur les choses spirituelles. Dans l’enseignement on leur fournissait les armes5 à l’aide desquelles ils pouvaient se défendre contre les hérétiques, les juifs, les samaritains et les païens ; on leur apprenait « de quelle


1 Procatech., § 3.
2 Ibid., § 4.
3 Ibid § 7.
4 Ibid., § 9.
5 Ibid., S 10.

manière ils pourraient transpercer l’Hellène, et combattre contre l’hérétique, le juif et le samaritain ; » mais ils devaient garder pour eux ce qu’on leur enseignait, et n’accepter que la doctrine qui leur était officiellement donnée1.
« Dès que vous êtes inscrites, disait Cyrille à ses catéchumènes2, vous êtes les fils et les filles d’une même mère. Si vous êtes arrivés avant l’heure des exorcismes, tenez entre vous des discours pieux ; et si quelqu’un d’entre vous est absent, allez le chercher. Ne vous occupez pas de choses mutiles, de ce qui se passe à la ville ou au village, de ce que font l’empereur, l’évêque ou le prêtre. »
Lorsque l’exorcisme aura lieu3, les hommes y viendront ensemble ; puis les femmes. Pendant que les uns seront exorcisés, les autres devront faire de pieuses lectures. Mais les femmes les feront à voix basse, car il leur est défendu d’élever la voix dans l’église. Hommes et femmes, vous êtes assemblés dans une même Eglise ; mais l’ordre et la décence demandent que vous y soyez séparés.
Le saint docteur expose ainsi les effets du baptême4 :
« C’est assurément une grande chose que le baptême : c’est le rachat des esclaves, la rémission des péchés, la mort du péché, la régénération de l’âme, un vêtement lumineux, un sceau indissoluble, un char pour aller au ciel, le moyen d’arriver au royaume, aux délices du paradis, un acte d’adoption. » Puis il termine son instruction préparatoire en expliquant les dispositions intérieures avec lesquelles le catéchumène devait écouter l’enseignement de la religion.
Ce premier discours contient, comme on voit, des renseignements fort utiles sur la manière dont on préparait les catéchumènes à la réception du baptême.
Dans les deux premières catéchèses, saint Cyrille traite le même sujet que dans son instruction prépara


1 Procatech., §§11 et 12.
2 Ibid., § 13.
3 Ibid., § 14.
4 Ibid., § 16.

toire. Il y explique ces paroles du symbole de l’Eglise de Jérusalem : « Je crois aussi en un baptême de pénitence.»
Nous remarquons surtout, dans ces catéchèses, que les catéchumènes devaient confesser leurs péchés1 pour se dépouiller du vieil homme et se revêtir du nouveau. S’ils recevaient le baptême avec l’attachement au péché leur corps pouvait être lavé dans le bain du baptême mais leur âme ne participait pas à la grâce de la régénération. Le Christ ne les trouvait pas aptes à faire partie de son armée. En recevant le baptême, le catéchumène changeait ce nom contre celui de fidèle2.
Au début des instructions qui avaient lieu pendant les quarante jours du carême, c’était, dit saint Cyrille3, « le temps de la confession. Confesse donc ce que tu as commis, soit en parole, soit en action ; soit pendant la nuit, soit pendant le jour. Confesse-toi en temps opportun, et au jour de salut… Montre ensuite plus d’énergie dans la pratique de la vertu. Nettoie ton âme pour qu’elle puisse recevoir une grâce plus abondante. »
Dans sa seconde catéchèse saint Cyrille continue l’explication du symbole : Je crois en un baptême de pénitence, pour la rémission des péchés. Ces derniers mots font le sujet du deuxième discours. Le saint docteur explique ce que c’est que le péché et de quelle manière on peut en obtenir la rémission. Cette rémission s’obtient par la pénitence, et, parmi les actes de pénitence, il mentionne la confession.
Le péché est un acte qui nous est personnel ; le démon principalement nous y excite4 ; mais Dieu nous le pardonne, dans sa bonté, quelque grave qu’il soit. L’Ecriture sainte offre de nombreux exemples de pécheurs auxquels Dieu a pardonné, depuis Adam jusqu’à saint Pierre. Jésus priant pour nous, Dieu nous pardonne comme il a


1 Cyrill. Catech. 1, § 2. Le changement du vieil homme en homme nouveau se faisait, selon Saint Cyrille : διά της έςομολογήσεως, per confessionem.
2 C’est-à-dire croyant πιυτός. On appelait aussi le fidèle, éclairé ou illuminé.
3 Ibid., § 5.
4 Saint Cyrill., Catech. II., §§ 1 ad 10.

pardonné aux anges eux-mêmes, par le seul qui soit sans péché1.
Saint Cyrille prouve, par l’exemple de David confessant son péché, l’importance de la confession pour obtenir le pardon de Dieu2. Il établit, dans le reste de son discours, par des exemples tirés de l’Ecriture, que l’on doit avoir confiance en Dieu, malgré le nombre et la gravité dés fautes que l’on a commises. Dieu les pardonnera dès que l’on revient à lui avec un cœur contrit. Il faut citer textuellement ce qu’il dit de saint Pierre : « Pierre, le plus élevé et le président des apôtres renia son maître trois fois à la voix d’une simple servante. Mais, touché de repentir, il pleura amèrement. Ses pleurs étaient l’expression du repentir qui était dans son âme ; et, à cause de cela, non-seulement il obtint le pardon de son reniement, mais il conserva la dignité apostolique3. »
En donnant à saint Pierre les titres de plus élevé et de président, saint Cyrille n’accorde pas à saint Pierre d’autorité exceptionnelle et ne lui reconnaît que la dignité apostolique. Le péché la lui fit perdre ; mais son repentir le fit, réintégrer dans le corps apostolique, ce qui eut lieu lorsque Jésus-Christ lui demanda une triple déclaration d’amour pour effacer son triple reniement, l’appela de nouveau à sa suite, et lui confia, comme aux autres apôtres, le soin de son troupeau.
Dans sa troisième catéchèse, saint Cyrille explique le baptême en lui-même, sa nécessité, ses rites, ses effets.


1 ΕΤς μόνος άναμαρτητος (§ 10). Telle Otait la doctrine de l’Eglise primitive, opposée à celle qui a été proclamée de nos jours par l’Eglise romaine sur la vierge Marie qu’elle dit même conçue sans le péché originel et exempte de tout péché actuel. Ce prétendu dogme défini en 1854 est opposé à renseignement primitif formulé par saint Cyrille de Jérusalem et les autres pères de l’Eglise.
2 Ibid., §§ 12, 15.
3 Πέτροσ ό κορυφαιότατος καί πρωτοστάτης των αποστόλων… τό άποστολικόν. αξίωμα εσχεν άναφαίρετον.
Pour saint Cyrille, saint Pierre, quoique le premier des apôtres, n’avait que la dignité apostolique. Les évêques de Rome, qui se prétendent successeurs de saint Pierre, non-seulement comme évêques de Rome, mais comme premiers évêques de l’Eglise, cherchent à abuser des mots plus élevé ou président, pour attribuer à saint Pierre, et par suite à eux-mêmes, une dignité supérieure et exceptionnelle. Mais cette erreur est opposée à l’enseignement des pères, comme nous l’avons vu déjà et le verrons encore par la suite.

Parmi les rites nous remarquons la mention des habits blancs que revêtaient les nouveaux baptisés ; la bénédiction de l’eau au nom du Saint-Esprit, du Christ et du Père1 ; le symbolisme de la sépulture et de la résurrection figurés par la descente dans le baptistère et par la sortie de l’eau, après l’invocation qui a conféré la grâce2.
Le baptême est tellement nécessaire que les martyrs seuls peuvent être sauvés sans l’avoir reçu3. Il n’est aucun péché qu’il n’efface dans les âmes bien disposées4.
La quatrième catéchèse de saint Cyrille est une exposition générale de la doctrine dogmatique et morale de l’Eglise chrétienne. On y trouve des renseignements du plus haut intérêt.
On doit, dit-il5, veiller soigneusement à ne pas prendre une fausse doctrine pour la vérité. « Il y a beaucoup de loups qui tournent autour de nous, couverts de peaux de brebis. Sous leur toison, ils ont des griffes et des dents ; mais ils se couvrent de cette toison pour se donner de douces apparences, pour tromper les simples et leur faire une morsure empoisonnée. Veillons donc soigneusement à ne pas manger de l’ivraie pour du froment, à ne pas prendre un loup pour une brebis, et le démon pour un ange bienfaisant.
« La religion consiste en deux Choses : des dogmes pieux et de bonnes actions6. La doctrine ne peut être agréée de Dieu si elle n’est pas accompagnée de bonnes œuvres, et Dieu n’accepte pas les œuvres séparées de la bonne doctrine. A quoi sert d’avoir sur Dieu une bonne doctrine, si en même temps on commet des péchés hon-


1 Saint Cyrille, Catech. III, § 3.
2 Ibid., §12.
3 Ibid., § 10. Nous remarquons que saint Cyrille expose souvent la doctrine du Christ fils unique de Dieu. Dans la troisième catéchèse (§ 14), il dit que le Père a appelé le Christ son fils, dans le sens strict du mot, car il est le Verbe éternel et fils de Dieu par nature ; le baptisé n’est pas ainsi fils de Dieu, mais il l’est par adoption. On ne pouvait exposer plus clairement la doctrine de la consubstantialité.
4 Ibid., § 15.
5 S. Cyrill., Catech., IV, § 1.
6 Ibid., §2.

teux ? D’un autre côté, quelle utilité y a-t-il à se conduire avec modestie et à proférer des blasphèmes impies ? »
Les Hellènes séduisent les hommes par leurs beaux discours ; les juifs par leurs interprétations erronées des saintes Ecritures, les hérétiques par leur éloquence séduisante. C’est pourquoi, on a formulé une doctrine de foi que l’on a accompagnée d’explications.
Saint Cyrille fait ici allusion au symbole de l’Eglise de Jérusalem dont il allait donner l’explication à ses auditeurs.
Les questions doctrinales que saint Cyrille considère comme nécessaires et fondamentales sont au nombre de onze :
1° Dieu. C’est un principe unique et éternel ; créateur du monde visible et du monde invisible, Père d’un fils unique, Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel il fit les choses visibles et les choses invisibles ;
2° Le Christ. Il est fils unique de Dieu, Dieu de Dieu, vie engendrée de la vie, lumière engendrée de la lumière, en tout semblable à celui qui l’a engendré avant les siècles, d’une manière incompréhensible.
3° L’incarnation de la vierge. Le Fils de Dieu est descendu des deux pour nos péchés, a pris l’humanité de la sainte Vierge par le Saint-Esprit. Il s’est véritablement incarné de la Vierge et il a été homme en ce qui paraissait et Dieu en ce qui ne paraissait pas.
4° La croix. Pour nos péchés, le Christ a été crucifié ; il est mort sur ce mont Golgotha, et en souvenir de son sacrifice on y a bâti l’église dans laquelle nous sommes réunis, dit saint Cyrille, et l’univers est rempli du bois de sa croix coupée en morceaux1. Enfermé dans un tombeau de pierre, il ressuscita ; il descendit dans les espaces qui sont sous la terre pour délivrer les justes depuis Adam jusqu’à Jean-Baptiste2.


1 Ibid., § 10. Ce passage donnerait à penser que la croix n’était pas restée entière à Jérusalem, et pourrait être objecté contre l’authenticité de la croix que l’on affirme y avoir conservée.
2 Par le mot καταχθόνια, subterranea, saint Cyrille voulait désigner les espaces en dehors du monde visible, et où sont les âmes après la mort.

5° La résurrection. Jésus ressuscita le troisième jour véritablement ; et, après avoir accompli sa mission, retourna au ciel. Si tu hésites à le croire, dit Cyrille, considère le miracle perpétuel que sa croix opère. Un grand nombre d’hommes ont été crucifiés, pourrait-on en citer un autre que le Christ dont la croix fasse trembler les démons ? Ne rougissons donc pas de la croix, et forme- la sur ton front pour chasser les démons. Fais ce signe, sois que tu manges ou que tu boives ; que tu sois assis, ou couché, ou levé ; que tu parles ou que tu marches ; en un mot, en toute circonstance. »
Cet usage du signe de la croix était déjà mentionné par Tertullien comme très-antique et apostolique1.
6° Le jugement futur. Le même Jésus-Christ qui est monté aux cieux en viendra pour juger les vivants et les morts et commencer son règne éternel avec les élus. Il viendra du ciel et non de la terre comme les antechrists qui usurperont son nom pour répandre leurs erreurs2.
7° Le Saint-Esprit. Il faut croire de lui la même chose que du Père et du Fils, c’est-à-dire, qu’il est Dieu, un, indivisible, éternel. De même qu’il n’y a qu’un Père, et qu’un Fils, il n’y a qu’un Saint-Esprit, qui sanctifie et déifie tout, et qui a parlé dans les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament3.
8° L’âme. L’homme est composé de deux substances : l’âme et le corps. L’âme est spirituelle, immortelle, libre, exempte de toute nécessité ou fatalité. Elle n’était pas coupable avant de venir en ce monde, et elle a la même nature dans l’homme et dans la femme. Son libre arbitre est tel qu’elle peut, à son gré, faire le bien ou le mal.
Cette doctrine, opposée au fatalisme, n’empêche pas saint Cyrille d’admettre la doctrine de la grâce, conférée en particulier par le baptême, et qui donne à l’homme


1 On sait que les Eglises protestante et anglicane Pont aboli comme contraire aux usages de l’Eglise primitive. Elles ont fait fausse route sur ce point comme sur beaucoup d’autres que nous avons déjà indiqués et que nous indiquerons dans la suite.
2 Saint Cyrille, comme tous les autres pères, ne parle que du jugement final qui fixera pour l’éternité le sort de tous les hommes.
3 Saint Cyrille ne fait ici aucune allusion à la Procession du Saint-Esprit.

une liberté plus grande pour le bien, et qui justifie par le Saint-Esprit.
9° Le corps. Il est l’œuvre de Dieu, et n’est pas la cause du péché. Ce n’est pas lui qui commet le péché, c’est l’âme qui le commet par lui, car il n’est que l’instrument de l’âme et comme son vêtement. S’il est uni à une âme sainte, il devient le temple du Saint-Esprit.
Il est permis de soumettre le corps au célibat : les moines et les vierges sont comme les anges de l’Eglise. Mais, si l’on observe la chasteté, il ne faut pas pour cela s’élever au-dessus des gens mariés ; car le mariage est honorable, et sans lui nous n’aurions pas l’existence. Il ne faut même pas blâmer ceux qui contractent un second mariage.
Il est méritoire également de se priver de viande et de vin, par esprit de pénitence ; mais il ne faut pas blâmer ceux qui en usent.
Quant au vêtement, il doit se réduire à ce que demandent la nécessité et la décence ; le luxe est indigne du chrétien.
10° La résurrection. Le corps ressuscitera. Celui qui l’a tiré du néant peut bien faire qu’il renaisse ; tout chrétien doit croire à cette résurrection enseignée dans les saintes Ecritures, et dont le principe est le baptême qui nous rend héritiers de la vie éternelle.
11° Les divines Ecritures. Elles sont inspirées de Dieu, qu’elles appartiennent à l’Ancien ou au Nouveau Testament, car Dieu est l’auteur de l’un et de l’autre. Les livres de l’Ancien Testament sont au nombre de 22, ils ont été traduits en grec par les septante-deux interprètes. Saint Cyrille n’admettait que les livres du Canon judaïque. Il indique, pour le Nouveau Testament : les quatre Evangiles, les Actes des apôtres, les sept Epîtres catholiques de Jacques et de Pierre, de Jean et de Judas, et les quatorze Epîtres de Paul. Les autres livres doivent être placés dans un second ordre, et on ne doit pas lire en particulier ceux qu’on ne lit pas dans les Eglises.
Il est à remarquer que saint Cyrille ne met pas l’Apocalypse dans le canon des livres inspirés. Il place ce livre

dans la même catégorie que le Pasteur d’Hermas, qu’on lisait dans les Eglises, mais qui n’était pas considéré comme inspiré.
Nous avons vu que saint Athanase admettait l’Apocalypse parmi les livres inspirés. Il n’y avait pas d’enseignement universel sur ce point.
Saint Cyrille termine cette importante catéchèse par une exhortation à éviter toutes les superstitions idolâtriques, les spectacles et autres lieux de divertissement mondain ; les observances judaïques du sabbat ; les assemblées des hérétiques ; à s’appliquer au jeûne, à l’aumône, à la lecture des saintes Ecritures, afin de persévérer dans la pratique de la vertu et dans la pure doctrine.
Cette exposition des principes chrétiens faite par saint Cyrille au quatrième siècle, donne une connaissance exacte de l’état général de l’Eglise au point de vue de la doctrine dogmatique et de la morale. On était bien éloigné des théories d’après lesquelles le dogme chrétien ne serait que symbolique, et le christianisme ne consisterait que dans la morale élevée de l’amour de Dieu et du prochain. L’union nécessaire du dogme et de la morale est proclamée par saint Cyrille, et il expose les dogmes dans leur sens clair et évident. Du reste, il n’était, dans son exposition, que le fidèle écho de la doctrine toujours admise dans l’Église depuis le commencement ; nos études antérieures sur les premiers pères de l’Eglise le démontrent avec évidence.
Dans les catéchèses cinquième et suivantes, saint Cyrille n’a fait que développer les points qu’il avait exposés d’une manière générale.
La cinquième est une instruction préliminaire sur la foi et le symbole. Il indique le caractère particulier de la foi. Considérée d’une manière générale, elle est comme la condition essentielle des diverses existences1. C’est la foi qui persuade au laboureur de jeter la semence sur le terrain et d’en espérer une récolte ; qui jette le naviga-


1 S. Cyrill, Catech. 5, §§ 1 ad 5.

teur à travers les mers, monté sur quelques planches. Le chrétien a pour base de sa foi, non pas l’expérience humaine, mais la parole de Dieu qui est vérité. Tous ceux qui ont cru à cette parole forment comme un peuple de croyants dont Abraham est le père, sinon par la génération charnelle, du moins par la foi1. « Si nous gardons cette foi, dit Cyrille2, nous éviterons la damnation, et nous serons ornés de toutes les vertus. » Telle est la saine doctrine sur la foi chrétienne ; elle est le principe du salut ; mais si elle est vraie, elle est nécessairement accompagnée de bonnes œuvres. La foi n’est pas une théorie spéculative. Elle est pratique ; le vrai et le bien sont inséparables. Pour l’avoir oublié, les Eglises occidentales, romaines et protestantes, ont perdu beaucoup de temps en vaines discussions.
La foi considérée d’une manière spéculative est l’adhésion aux dogmes révélés ; considérée d’une manière pratique, elle est un don de Dieu, une grâce dont les effets vont jusqu’au miracle, comme l’enseigne l’Evangile3.
L’objet de la foi, considérée sous le premier rapport, consiste dans les vérités révélées qui sont transmises par l’Eglise ; ces vérités sont prouvées par les saintes Ecritures. Mais comme tout le monde n’est pas apte à lire toutes les Ecritures, celui-ci à cause de son ignorance, celui-là à cause de ses occupations, on a eu soin de réunir en quelques phrases l’objet complet de la foi. Cet abrégé, vulgairement appelé symbole, devait être appris et récité de mémoire par les catéchumènes4.
Tel était l’enseignement au IVe siècle sur la transmission de la doctrine. Elle était transmise par l’Eglise. Ceux qui pouvaient lire les Ecritures devaient y chercher les preuves qui établissaient la vérité de la doctrine qui leur avait été enseignée. Ceux qui ne pouvaient lire les Ecritures acceptaient la doctrine que l’Eglise leur


1 S. Cyrill., Catech., 5 ; § 6.
2 Ibid.. § 7.
3 Ibid., §§10 et 11.
4 Ibid., § 12.

enseignait, et il leur suffisait d’en connaître l’abrégé contenu dans le symbole.
Nous avons cité plus haut le symbole adopté dans l’Eglise de Jérusalem. Cyrille voulait que ce symbole fût tellement sacré qu’on n’en retranchât rien, qu’on n’y ajoutât rien, alors même qu’un ange serait venu du ciel pour annoncer quelque chose qui n’y serait pas contenu, selon le précepte de saint Paul. Le symbole, dit-il, n’a pas été composé d’après des idées humaines, mais des saintes Ecritures elles-mêmes, et chacune des vérités que l’on y trouve est comme une plante qui n’a qu’une racine, mais de laquelle sortent plusieurs rameaux. Toutes ces vérités forment un dépôt qu’il faut conserver avec le plus grand soin jusqu’au jour où le Christ viendra en demander compte1.
La sixième catéchèse traite du Dieu unique, première vérité exprimée dans le symbole.
« C’est une grande science, dit le saint docteur2, d’avouer son ignorance en ce qui touche à la nature divine. » Dieu seul se connaît et se comprend. L’homme a une intelligence trop bornée pour comprendre l’infini.
La nature, dans tous ses éléments, et dans les êtres qu’elle renferme, est remplie de choses incompréhensibles et qui nous confondent par leur immensité. Comment s’étonner de ne pas comprendre Celui qui a créé tous ces êtres ? Mais tu me diras : « Si la nature divine est incompréhensible, pourquoi entreprends-tu de nous en parler ?3 » Si je ne puis la comprendre complètement, ne puis-je pas dire ce que j’en sais ? Les anges ne comprennent pas Dieu ; ils le voient cependant, et ils en ont une connaissance plus ou moins profonde, selon leur degré de perfection.
Pour nous, il suffit que nous sachions que Dieu est unique4, éternel, immuable, toujours le même, quel que soit le nom qu’on lui donne, sans principe et sans


1 S. Cyrill., Catech. 5, § 13.
2 S. Cyrill., Calech. 6, § 2.
3 Ibid., §5.
4 Ibid., §$ 7, 9.

fin ; présent partout, voyant et sachant tout, créant tout par le Christ ; source intarissable de tout bien ; lumière toujours brillante, pouvoir invincible. Dieu est incorporel1, et les idolâtres se sont étrangement mépris en lui donnant tant de formes diverses et matérielles.
Saint Cyrille indique les erreurs de l’idolâtrie, et celles des hérétiques, particulièrement celles des Manichéens. Le saint docteur voulant esquisser l’histoire de toutes les hérésies, remarque que Simon le Magicien en fut le premier auteur, et il parle de son voyage à Rome. Ce qu’il en dit est fort remarquable. Lorsque cet imposteur fut rejeté par les apôtres, il se rendit à Rome et il y acquit une si grande réputation par ses prétendus miracles que l’empereur Claudius lui éleva une statue avec cette inscription : « A Simon, Dieu saint2. » Mais Simon rencontra à Rome des antagonistes redoutables, ajoute saint Cyrille, c’est-à-dire, Pierre et Paul, chefs de l’Eglise3.
A toutes les hérésies, saint Cyrille oppose l’Eglise qui enseigne l’unité divine, et c’est à cet enseignement de l’Eglise que les catéchumènes devaient se référer pour éviter les pièges des ennemis de la vérité.
Le Dieu unique est appelé Père, parce qu’il a pour fils unique Notre-Seigneur Jésus-Christ. C’est à l’explication de ce titre de Père que saint Cyrille consacre sa


1 S. Cyrill., Catech. 6, § 11.
2 Ce fait a été admis par saint Justin (Apolog. 11) ; Irænée (Cont. Hœres., lib. I, 23) ; Tertullien (Apologet., c. 13) ; Eusèbe (Hist. Eccl, lib. II, c. 13, 14) et d’autres écrivains postérieurs. Certains critiques ont révoqué en doute ce fait et ont cherché à expliquer l’inscription d’une autre manière que les savants écrivains que nous venons de citer. On peut très-raisonnablement préférer le témoignage de ces savants aux systèmes de quelques critiques modernes. V. sur Simon le Magicien, notre note 2 de la page 313 du tome Ier de l’Histoire de l’Eglise.
3 Saint Cyrille (§15) donne à Pierre et à Paul le même titre de : ot τησ Εκκλησίας προστάται, préposés au gouvernement de l’Eglise, ou chefs de l’Eglise. Selon l’évêque de Jérusalem, Pierre n’avait donc pas un droit exclusif à ce titre, et Paul y avait droit aussi bien que lui. Ce qui les distinguait dans les récits du Nouveau Testament, comme les clefs du ciel qui distinguaient Pierre, et l’extase au troisième ciel qui distinguait Paul, ne leur conférait pas une autorité distincte. Saint Pierre et saint Paul ne s’étant trouvés ensemble à Rome que vers l’an 67, sous Néron, ce serait à cette époque, selon saint Cyrille, que se serait passé le fait relatif à Simon le Magicien, qui aurait ainsi séjourné à Rome plusieurs années.

septième catéchèse. Le titre de Père donné à Dieu emporte avec lui l’idée de Fils comme celui de Fils suppose celui de Père1. Ce dernier titre est placé à côté de celui de Dieu unique en tête du Symbole, afin qu’on ne puisse pas supposer que le Fils ait quelque infériorité parce que les dogmes qui le concernent plus spécialement sont placés comme en seconde ligne, dans cet abrégé de la doctrine. Dieu a été de toute éternité Père, il n’a jamais été sans ce titre, car le Fils lui est coéternel ; il est Fils, et seul Fils dans le sens strict du mot. Les hommes sont aussi Fils de Dieu, mais par adoption.
Le saint docteur développe ces pensées et la morale qui en est la conséquence. Sa morale est très-élevée, et sa doctrine est celle du concile de Nicée, c’est-à- dire, celle que l’Eglise avait toujours enseignée.
La huitième et la neuvième catéchèses sont consacrées à Dieu considéré comme créateur, et à sa Providence2. Ainsi que dans les précédentes, il expose et réfute les erreurs contraires à la doctrine chrétienne, et il explique cette doctrine d’une manière claire et orthodoxe.
Dans la dixième, saint Cyrille expose la doctrine sur « le Maître unique, Jésus-Christ, fils unique de Dieu ». Il passe en revue tous les titres qui lui sont donnés dans les Écritures3.
On doit remarquer que saint Cyrille prend un soin extrême, dans toutes ses catéchèses, de réfuter les erreurs des Juifs, et de leur opposer les Ecritures de l’Ancien Testament. Il parlait à des gens qui, s’ils n’étaient pas nés de parents Israélites, vivaient au milieu de ce peuple et connaissaient les objections qu’ils élevaient contre les doctrines du christianisme. Il s’applique surtout à réfuter les Juifs en ce qui touchait à la personne de Jésus-Christ.
En expliquant le titre de Christ qui désigne l’onction sacerdotale que le Sauveur avait reçue de Dieu son Père,


1 S. Cyrill., Catech. 7, § 4.
2 S. Cyrill., Catech. 8 et 9.
3 Ibid., Catech., 10.

saint Cyrille s’exprime ainsi : « Le Christ est l’ARCHIPRÊTRE1, possédant un sacerdoce intransmissible, qui n’a pas commencé avec le temps, et il ne peut avoir de successeur pour son souverain pontificat. »
Ceux qui exercent le sacerdoce dans l’Eglise ne sont donc que les ministres du seul souverain pontife, Jésus- Christ, et l’ordination ne leur donne que le droit d’exercer le sacerdoce de Jésus-Christ, l’unique sacerdoce de la Nouvelle Alliance, comme le sacrifice du Calvaire est son unique sacrifice.
En parlant des témoignages rendus à Jésus-Christ, saint Cyrille indique celui de la vierge Mère de Dieu2. Ce titre de la sainte vierge était fort en usage au IVe siècle.
Dans la onzième catéchèse, Jésus-Christ est considéré comme étant véritablement Dieu, revêtu de la nature humaine, et l’organe du Père dans l’œuvre de la création du monde3.
La doctrine de la double nature divine et humaine dans la même personne de Jésus-Christ, est exposée d’une manière fort exacte dans ce discours, et telle qu’elle fut définie par les conciles œcuméniques postérieurs.
Quant à l’acte de la génération éternelle, Dieu seul en connaît la nature, et tout ce que l’homme peut savoir, c’est qu’il n’a aucune analogie avec la génération humaine.
L’homme ne peut se servir que d’un langage humain pour exposer les choses surhumaines, c’est pourquoi les expressions ne doivent jamais être prises dans un sens rigoureux analogue à celui qu’elles ont lorsqu’elles s’appliquent aux choses humaines. C’est ainsi que le mot génération ne peut donner une idée parfaite de l’acte


1 S. Cyrill., Catech. 10, § 11. άρχιερεύσ άπαράοατον ïyων τήν ίερωσΰνην… ούτε διάδοχον έτερον εχων τήσ άρχιερατείας. Celte doctrine est diamétralement opposée à la théorie papale.
2 ΙΙαρΟένοσ ή Οεοτοκος. Ce titre n’a donc point été inventé par le concile d’Ephèse, comme l’ont prétendu certains écrivains peu instruits.
3 S. Cyrill., Catech. 11.

divin, comme celui de personnes ne peut exprimer exactement ce qui constitue les attributs distinctifs du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Il est bien évident que si l’on comprenait le sens des mots : génération, procession, personnes, par rapport à Dieu, on comprendrait Dieu lui- même, c’est-à-dire que l’intelligence humaine serait une intelligence divine et infinie. Il n’est donc pas étonnant que saint Cyrille, comme les autres Pères de l’Eglise, affirme que les actes divins sont incompréhensibles, et qu’il faut les croire tels qu’ils ont été révélés sans prétendre les comprendre.
Saint Cyrille s’étend sur cette incompréhensibilité de la génération éternelle tout en l’exposant avec la plus stricte orthodoxie d’après la parole de Dieu.
Il passe ensuite à l’incarnation du Verbe divin, et expose la doctrine de l’Eglise sur ce point, dans sa douzième catéchèsel. Il s’y exprime fort nettement sur les deux natures divine et humaine du Christ et enseigne que c’est le Dieu-homme que nous devons adorer en lui. Il réfute les erreurs des Juifs sur Jésus-Christ ; expose que l’incarnation du Verbe, prenant d’une vierge pure, son humanité, est comme le point central auquel se rattachent les prophéties et les symboles de l’Ancien Testament.
La treizième catéchèse2 traite du Christ crucifié et enseveli ; il a été crucifié pour notre salut, et toutes les circonstances de sa mort et de sa sépulture ont été prédites dans les saintes Ecritures de l’Ancienne Alliance.
Dans la quatorzième catéchèse, saint Cyrille s’occupe de la résurrection, de l’ascension de Jésus-Christ et de son séjour au ciel où il est assis à la droite du Père3.
Il accumule, comme dans ses précédents discours, les témoignages de l’Ancien Testament, à l’appui des sujets qu’il traite. « Quant au trône que le Christ occupe dans les deux, dit saint Cyrille4, ne cherchons pas trop à ap-


1 S. Cyrill., Catech. 12.
2 S. Cyrill., Catech. 13.
3 S. Cyrill., Catech. 14.
4 Ibid., par. 27.

profondir ce point ; il dépasse notre intelligence. Ne disons pas avec certains qu’après son ascension, le Christ commença à occuper ce trône, car il l’occupe depuis qu’il a été engendré, c’est-à-dire de toute éternité. »
Le saint docteur recueille ensuite les témoignages scripturaires sur le Christ assis à la droite du Père, afin de prouver la vérité de ce dogme.
La quinzième catéchèse est consacrée au second avènement du Christ, à son dernier jugement et à son règne éternel1. Le Christ, à la fin du monde, viendra avec éclat pour juger le monde. Les anciens prophètes ont connu et annoncé ce second avènement. Les Ecritures nous en ont fait connaître les signes avant-coureurs2. Après le jugement du monde, le Christ régnera éternellement. A ce propos, saint Cyrille s’élève contre Marcel d’Ançyre, qui disait que la fin du monde serait la fin du règne du Christ.
Dans la seizième catéchèse, saint Cyrille expose la doctrine de l’Eglise sur le Saint-Esprit3. « Contentons-nous, dit-il4, de dire du Saint-Esprit ce qui a été écrit. Ne cherchons pas avec curiosité quelque chose qui n’aurait pas été écrit. C’est le Saint-Esprit lui-même qui a parlé par les Ecritures ; il nous y a dit de lui-même ce qu’il a voulu, et ce que nous pouvions entendre. Disons donc seulement ce qu’il a dit lui-même et n’ayons pas la témérité de dire autre chose. »
Si l’on avait suivi ces sages conseils, on n’aurait pas soulevé autant de discussions sur des questions insolubles et incompréhensibles. Saint Cyrille n’a point traité la question de la procession du Saint-Esprit du Père, ni celle de ses relations essentielles avec le Père et le Fils. Il savait que ces questions qui appartiennent à la nature de l’Être infini étaient au-dessus de l’intelli-


1 S. Cyrill., Catech. 15
2 S. Cyrille, comme beaucoup d’autres Pères de l’Eglise, s’est étendu sur les signes qui doivent précéder le second avènement ; ils ont appliqué à ce sujet plusieurs prophéties, surtout celle de Daniel ; mais ils n’ont pas donné leurs théories comme des dogmes que l’on fût obligé de croire.
3 S. Cyrill., Catech. 16
4 Ibid., § 2.

gence humaine. Il ne s’occupe donc que des actes extérieurs de la Trinité à l’égard de l’homme. Il cite ces passages de l’Ecriture : « Toutes choses m’ont été données par mon Père… Lorsque l’Esprit de vérité viendra, il me glorifiera, car il prendra du mien et vous l’annoncera. » Il en tire cette conclusion1 : « Le Père donne tout par le Fils avec le Saint-Esprit ; ces dons du Père ne sont pas différents de ceux du Fils ni de ceux du Saint-Esprit. Il n’y a qu’un salut, qu’un pouvoir, qu’une foi. Il n’y a qu’un Dieu Père, un Maître, son Fils unique ; un Saint-Esprit , Paraclet. Qu’il nous suffise de savoir cela. Ne recherchez pas curieusement quelle est sa nature ou sa personne ; nous vous en parlerions, s’il y avait quelque chose d’écrit sur ce sujet ; ce qui n’est pas écrit, n’ayons pas la témérité de le rechercher. Pour notre salut il suffit de savoir qu’il y a un Père, un Fils, un Saint-Esprit .
Dans sa dix-septième catéchèse, saint Cyrille continue à donner ses instructions sur le Saint-Esprit2. Il y continue à passer en revue les textes de l’Ecriture où il en est question, et les titres qui lui sont donnés. Après, avoir cité les passages de l’Évangile où Jésus-Christ a parlé du Saint-Esprit, il ajoute : « Je t’ai lu les paroles de l’Unique-Engendré lui-même, afin que tu ne prêtes pas ton attention aux paroles humaines3.


1 S. Cyrill., Catech. 16, §24. Au paragraphe 22, saint Cyrille, parlant de l’action du Saint-Esprit dans le monde, donne une idée de l’importance numérique de l’Eglise au IVe siècle. « Je voudrais, dit-il, que tu considères combien de chrétiens appartiennent à ce diocèse et à toute la province de Palestine. De là, va par la pensée jusqu’aux extrêmes limites de l’Empire romain ; puis jette les yeux sur le reste du monde, et tu verras des chrétiens chez les Perses, les différents peuples des Indes, les Goths, les Sarmates, les Gaulois, les Espagnols, les Maures, les Africains, les Ethiopiens, et les autres peuples dont nous ne connaissons même pas les noms. Considère, chez chaque peuple, les évêques, les prêtres, les diacres, les moines, les vierges, les laïques, et vois combien de dons le Saint-Esprit y a répandus ; comme, dans le monde entier, les uns pratiquent l’honnêteté, les autres une virginité perpétuelle, ou la charité, ou la pauvreté. L’Esprit-Saint est comme un centre lumineux dont les rayons se répandent partout. »
2 S. Cyrill., Catech. 17.
3 Ibid., § 11.
Nous devons noter deux passages de cette catéchèse relatifs à saint Paul et à saint Pierre. Saint Paul est considéré par saint Cyrille comme l’apôtre de

La dix-huitième catéchèse est consacrée à trois questions : la résurrection générale ; l’Église catholique, et la vie éternelle1.
La résurrection est, dit-il, un dogme très-important et très-utile de la sainte Eglise catholique2. Il défend ce dogme contre les objections des païens, des Samaritains, de plusieurs hérétiques.
Ce qu’il dit de l’Eglise est très-remarquable. « L’Eglise, dit-il3, est appelée catholique (universelle), parce qu’elle est répandue dans l’univers entier ; parce qu’elle enseigne universellement et exactement tous les dogmes que l’homme doit connaître, sur les choses visibles et invisibles, sur les choses du ciel et sur celles de la terre ; parce qu’elle oblige l’humanité entière à professer la même religion : les princes comme les simples particuliers, les savants comme les ignorants ; parce qu’elle guérit tous les péchés, qu’ils soient extérieurs on intérieurs ; enfin parce qu’elle possède une vertu universelle, de quelque nom qu’on la désigne, pour inspirer les bonnes actions, les bonnes paroles, et communiquer tous les dons spirituels4. » Le titre d’Eglise (assemblée) con-
Rome : κατηχήσοντα Si και τήν βασιλίδα ‘Ρώμην : Regiamque Romam institutis imbuit (vid. Et., § 31). Après son évangélisation de Home, il mentionne son voyage en Espagne (§26). Au paragraphe suivant (§ 27) il appelle saint Pierre : président des apôtres et porte-clefs du royaume des deux : ο πρωτοστάτησ των άτοστολων και τησ βασίλειασ των ουρανών κλειδοϋχοσ Πε’τροσ. Mais saint Cyrille ne considère pas ces titres comme conférant à saint Pierre une autorité particulière. Il est à remarquer qu’il ne parle ni de l’épiscopat, ni même de l’apostolat de saint Pierre à Rome, et qu’il réserve à saint Paul le titre d’apôtre de Rome. C’est donc en vain que les partisans de la papauté ont voulu voir dans ce texte de saint Cyrille une preuve en faveur de cette institution. Sous avons vu que le saint docteur donne le titre de président des apôtres à saint Paul aussi bien qu’à saint Pierre. Le litre de porte-clefs n’est qu’une allusion au texte évangélique. Quant à l’épiscopat de saint Pierre à Rome, qui serait la raison de la papauté, saint Cyrille le rejette, d’une manière indirecte il est vrai, mais réellement très-formelle. Il nie aussi de la même manière l’épiscopat de saint Pierre à Antioche (§ 28).


1 S. Cyrill., Catech. 18.
2 Ibid., § 1.
3 Ibid., § 23.
4 Par ces dernières paroles, saint Cyrille désigne aussi clairement qu’il pouvait le faire pour des catéchumènes, les Mystères ou Sacrements de l’Eglise.
Il est très-important de remarquer que, dans l’explication du mot catho-

vient très-bien à la société des fidèles, puisqu’elle convoque tout le monde à se réunir, à ne former qu’une assemblée unique. Les Juifs formèrent d’abord l’Eglise de Dieu ; mais les chrétiens furent appelés à les remplacer et à former des églises sur toute la surface du monde. Comme les hérétiques donnaient aussi à leurs assemblées le nom d’Eglise, saint Cyrille prévient ses catéchumènes qu’il n’y en a qu’une de vraie, c’est-à-dire, l’Eglise catholique dont il a indiqué le caractère. « Fuis, dit-il1, les assemblées abominables des hérétiques et reste attaché à l’Eglise catholique dans laquelle tu as été régénéré. Si tu voyages et que tu t’arrêtes dans quelques villes, ne demande pas seulement où il y a une maison du Seigneur2 ; car les sectaires et les hérétiques donnent aussi le nom de maison du Seigneur aux lieux où ils tiennent leurs réunions impies ; ne demande pas non plus simplement où se tient l’Eglise (c’est-à-dire, l’assemblée) ; mais où se tient l’Eglise catholique, car tel est le vrai nom de la sainte Eglise notre mère à tous, et l’épouse de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu… L’ancienne Eglise israélite ayant été répudiée, dans la seconde, c’est-à-dire, dans l’Eglise universelle, Dieu, selon saint Paul, a établi à la première place des apôtres, à la seconde des prophètes, à la troisième des docteurs3, ensuite des dons spéciaux, comme ceux de guérir, de comprendre la doctrine, de diriger, de parler différentes langues, de pratiquer les vertus… Les souverains reconnaissent tous des limites aux lieux où s’exerce leur
lique, saint Cyrille ne fait aucune allusion à la soumission à une autorité qui serait le centre d’unité. On ne connaissait pas, de son temps, cette théorie moderne de la papauté.


1 S. Cyrill., Catech. 18, § 26.
2 Saint Cyrille se sert pour désigner une Eglise du mot τά Κυριάκον (en latin Dominicum) mot sur lequel nous avons attiré plusieurs fois l’attention du lecteur et qui est de la plus haute antiquité.
3 Saint Cyrille ne reconnaissait que trois ordres dans l’Eglise, les apôtres ou évêques ; les prophètes ou prêtres ; les docteurs ou diacres chargés de lire le livre de la doctrine dans les assemblées des fidèles. C’est ainsi qu’il interprète le texte de saint Paul qu’il cite (1 Corinth. XII, 28) et il ne voit dans les autres fonctions indiquées par l’apôtre que des dons spéciaux et non des ordres permanents.

pouvoir ; seule, l’Eglise catholique possède une autorité qui s’étend sur tout l’universl. »
Les enfants de l’Eglise auront en héritage la vie éternelle, qu’ils obtiendront après la résurrection2.
Les dix-huit catéchèses aux catéchumènes forment l’ensemble de la doctrine que l’Eglise enseignait à tout le monde, à ses ennemis comme à ses amis, et que devaient connaître ceux qui se présentaient pour recevoir le baptême. Les instructions du saint docteur nous démontrent clairement que, sur tous les points qui forment encore aujourd’hui le vrai christianisme, l’Eglise, au IVe siècle, possédait une doctrine clairement déterminée. Cyrille ne la donnait pas comme une doctrine nouvelle, progressivement formée depuis trois siècles, mais comme celle que les apôtres avaient reçue du Maître, qu’ils avaient prêchée dans le monde entier, que l’Eglise universelle ou catholique avait toujours conservée pure et intacte.
Nos études précédentes prouvent que saint Cyrille ne se trompait point en affirmant ce fait. Ainsi tombent, devant la réalité historique, tous les vains systèmes inventés par des hommes peu érudits, sur la formation successive des doctrines chrétiennes.
A côté de l’enseignement du symbole destiné à tous, l’Eglise réservait un enseignement secret à ses enfants. On le donnait aux nouveaux baptisés pendant les fêtes de Pâques. Il est résumé dans les cinq catéchèses de Cyrille appelées Mystagogiques, parce qu’elles initiaient aux mystères, ou doctrines réservées aux fidèles.


1 Il n’est pas sans importance d’attirer l’attention sur la notion que saint Cyrille de Jérusalem donne de l’Eglise catholique ; elle est absolument opposée à celle qu’en donne l’Eglise romaine ou papale. Croirait-on que des théologiens romains aient eu l’impudeur de citer les textes reproduits ci-contre de saint Cyrille en faveur du système papal ? Un évêque in partibus, M. Luquet, évêque d’Hésébon, a bien osé citer les mêmes textes dans une lettre fort insolente qu’il a adressée aux vénérables évêques orthodoxes de Russie. Cette lettre se trouve, en forme d’introduction, à la tête d’un lourd pamphlet de Theiner contre l’Eglise catholique orthodoxe de Russie. (V. p. i. de l’introd.)
2 Comme les Pères que nous avons cités précédemment, saint Cyrille ne fait commencer la vie éternelle qu’après la résurrection des corps et le jugement général. En attendant, les morts sont clans un état provisoire en rapport avec le sort qui leur sera assigné plus tard.

Dans la première et la seconde, saint Cyrille fait ressortir le sens mystique des rites du baptême. Il s’adresse aussi aux néophytes1 : « Je désirais, avant ce jour, enfants légitimes et chéris de l’Eglise, vous entretenir des spirituels et célestes mystères auxquels vous avez participé. Mais je savais que vos yeux vous les feraient mieux comprendre que vos oreilles, c’est pourquoi j’ai attendu jusqu’aujourd’hui pour que votre propre expérience vous rendît plus intelligible l’explication que je vais vous en donner, et qu’il me fût plus facile de vous conduire par la main dans les prairies si vertes et si odorantes de ce paradis. Vous êtes aussi devenus plus aptes à entendre les mystères sacrés, après le bain divin et vivifiant dont vous avez été jugés dignes. Je puis donc placer devant vous la table des préceptes les plus parfaits, afin de vous y initier plus profondément et de vous faire comprendre l’opération qui s’est faite en vous, à ces vêpres où vous avez reçu le baptême2. »
Nous allons recueillir de la catéchèse de saint Cyrille tous les détails des rites usités dans l’administration du baptême, pendant les premiers siècles.
Le catéchumène entrait dans une salle spéciale située sous le parvis de l’Eglise3. Il se tournait vers l’occident, levait la main, et, sur une première interpellation de l’évêque, il disait : Je renonce à toi, Satan ! Satan est le principe du mal, qui avait poursuivi le catéchumène jusqu’à la piscine baptismale, comme Pharaon avait poursuivi les Hébreux jusqu’à la mer Rouge. Avant de traverser l’onde où Satan devait périr, le catéchumène lui lançait l’anathème, en se tournant vers l’occident, le pays de l’ombre et des ténèbres.
Sur une seconde interpellation de l’évêque, le catéchumène disait, en s’adressant toujours à Satan : « Je renonce à tes œuvres ; » et, sur une troisième interpellation : « Je renonce à toutes tes pompes », c’est-à-dire, aux


1 S. Cyrill., Hieros. Catech. Mystag.1, § 1.
2 Le baptême solennel se donnait à l’office du soir qui commençait la fête de Pâques.
3 Ibid., §§ 2 et seq.

spectacles et à toutes les fêtes mondaines, où la cruauté et l’immoralité se donnaient libre carrière. Parmi ces pompes de Satan, on comptait les festins dans lesquels l’on mangeait du pain et l’on buvait du vin consacrés aux démons. « En effet, dit saint Cyrille1, de même que le pain et le vin, avant l’invocation sainte de l’adorable Trinité, étaient simplement du pain et du vin, mais, après l’invocation, sont devenus, le pain, le corps du Christ, et le vin, le sang du Christ ; de même les aliments qui appartiennent aux pompes de Satan, quoique de leur nature ils soient de simples aliments, deviennent profanes et souillés par l’invocation des démons2.
Sur une quatrième interpellation de l’évêque le catéchumène disait, toujours en s’adressant à Satan : « Et à tout ton culte. » Il renonçait ainsi à l’idolâtrie et à toutes les superstitions.
Il se tournait ensuite vers l’orient, où Dieu avait placé le Paradis, dans lequel l’humanité innocente eût vécu heureuse3, et, sur l’injonction de l’évêque, il récitait le symbole ; puis il entrait dans l’Eglise.
Aussitôt on ôtait au catéchumène sa tunique4, qui était considérée comme le symbole du vieil homme ; sa nudité était l’image de celle de Jésus sur la croix, c’est- à-dire qu’elle signifiait le renoncement complet à toutes les choses du monde. « Chose admirable, s’écrie saint Cyrille, vous étiez nus devant tout le monde, et vous ne rougissiez pas ; vous étiez en effet l’image de notre père Adam qui était nu, dans le Paradis, et n’en concevait aucune honte. »


1 S. Cyrill., Catech. Mystag., 1, § 7.
2 On doit remarquer que, selon saint Cyrille, la consécration des éléments eucharistiques n’a lieu que par l’invocation, comme l’enseigne encore l’Eglise catholique orientale.
Nous ferons observer de plus que le saint docteur, tout en faisant un rapprochement entre les aliments souillés par l’invocation des démons et les éléments eucharistiques, ne mentionne, pour les premiers, qu’une simple souillure, tandis qu’il dit expressément que le pain et le vin consacrés deviennent le corps et le sang du Christ.
3 Ibid., §§ 9, 11. D’après saint Cyrille, le paradis terrestre était placé à l’orient, par rapport à la Palestine. Il désignait ainsi les plaines de l’Euphrate et du Tigre.
4 Ibid,., 2, § 2.

Lorsque le catéchumène était ainsi dépouillé de ses vêtements, on lui faisait une onction sur tout le corps, depuis les cheveux jusqu’aux pieds, avec de l’huile1. Cette huile avait été exorcisée ; on avait invoqué Dieu sur elle, et on avait prié afin qu’elle eût la puissance de détruire les dernières racines du péché, et de mettre en fuite lès démons.
Après cette onction, on conduisait le catéchumène à la sainte Piscine du divin baptême2. L’évêque lui demandait s’il croyait au Père, au Fils et au Saint-Esprit , et, sur sa réponse affirmative, on le plongeait par trois fois dans l’eau, en mémoire de la mort du Christ, des trois jours de sa sépulture, et de sa résurrection.
Tel était le baptême, considéré non-seulement comme un moyen de rémission des péchés, mais d’adoption et d’identification avec le Christ3.
De même que le Christ, sortant du Jourdain où il avait reçu le baptême de Jean, reçut le Saint-Esprit qui descendit sur lui d’une manière visible, ainsi le catéchumène, en sortant de la Piscine du baptême, recevait une onction qui lui conférait le Saint-Esprit, c’est-à-dire, la confirmation4. L’onction était faite avec une huile parfumée à laquelle la prière et l’invocation communiquaient une vertu réelle qui en faisait un don du Christ et un moyen de communication du Saint-Esprit. « De même, dit saint Cyrille5, que le pain de l’Eucharistie, après l’invocation du Saint-Esprit, n’est plus un pain ordinaire, mais le corps du Christ, de même l’huile parfumée n’est plus un parfum ordinaire après l’invoca-


1 S. Cyrill., Catech., Mystag. 2, § 3.
2 Ibid.., § 4.
3 Ibid., §§3,6, 7.
4 Ibid., 3, § 4.
L’Eglise catholique orientale a conservé l’union mystique du baptême et de la confirmation. L’Eglise romaine, tout en conservant l’ancien usage dans l’administration des deux sacrements, réitéré la confirmation après plusieurs années par le ministère de l’évêque. L’Eglise anglicane a conservé l’erreur de l’Eglise romaine et y a ajouté l’abolition de l’onction, sous le faux prétexte qu’elle est contraire aux usages primitifs. Les protestants ont tout aboli, le sacrement et ses rites, sous prétexte de simplicité primitive.
5 Ibid., § 3.

tion, de sorte que l’âme elle-même est atteinte lorsque le corps reçoit l’onction1. »
Cette Onction était faite d’abord sur le front2, puis aux oreilles, aux narines et sur la poitrine.
Ce n’était qu’après la réception de la confirmation que l’on était jugé digne du titre de chrétien3. Le, baptême lui- même n’était qu’un moyen d’arriver à être digne de porter ce nom.
L’onction, dans la confirmation, n’était pas un simple rite extérieur, selon saint Cyrille, mais un mystère qui produisait de lui-même ses effets dans l’âme bien disposée.
La quatrième catéchèse mystagogique est consacrée au dogme de la présence réelle du corps et du sang du Christ dans l’Eucharistie. Il est à remarquer que saint Cyrille sépare la question dogmatique de la question pratique, ou de la communion qui fait le Sujet de sa cinquième et dernière catéchèse4.
Il rappelle le texte de saint Paul sur l’institution eucharistique et les paroles de Jésus-Christ. Il les entend dans leur sens propre et demande : « Qui pourrait s’inscrire en faux contre de telles expressions : Ceci est mon corps ; ceci est mon sang5 ?
« Dieu changea l’eau en vin à Cana en Galilée, et nous ne le trouverions pas digne de foi lorsqu’il change le vin en son sang6 ? Recevons donc avec une conviction intime le pain et le vin comme le corps et le sang de


1 Des protestants ont prétendu, d’après ce texte, que saint Cyrille n’admettait dans l’Eucharistie qu’une réalité mystique comme celle qu’il attribue à l’huile parfumée de la confirmation. Saint Cyrille se chargera bientôt lui- même de répondre à ce système. Le saint docteur n’avait en vue que de relever aux yeux des néophytes l’importance du chrême, mais ne voulait pas dire qu’entre le principe sanctifiant qui lui était conféré après sa consécration, et le pain eucharistique, il y avait similitude complète. Il appelle bien le pain eucharistique le corps du Christ, tandis qu’il n’appelle pas le chrême, Saint-Esprit .
2 S. Cyrill., Catech., Mystag. 3, § 4
3 Ibid., §5.
4 Cette seule division répond aux protestants d’après lesquels la réalité (non réelle) qu’ils admettent, n’existerait qu’au moment de la communion.
5 Ibid., 4, § 1.
6 ΚαΙούκ αξιόπιστος έστιν, οίνον ρ,εταβαλι’ον εΐσ αΤρΛ. § 2. Il y a donc, d’après saint Cyrille, changement de la substance du vin dans la substance du sang, malgré les apparences qui restent les mêmes.

Christ1 ; car sous le type du pain, c’est le corps qui t’est donné ; et sous le type du vin, c’est le sang qui t’est donné ; afin que, prenant le corps et le sang du Christ, tu sois participant du même corps et du même sang que lui. Nous devenons ainsi porte-Christ, lorsque nos membres ont participé à son corps et à son sang1. »
Cependant saint Cyrille ne voulait pas qu’on entendît ces paroles dans un sens matériel et d’une manducation extérieure, mais dans un sens spirituel2 qui n’enlevait rien à la réalité. Les éléments du pain et du vin restent pour l’extérieur, pour les sens ; mais la participation de l’âme et du corps au corps et au sang du Christ n’en est pas moins réelle. Ce ne sont ni les yeux ni le goût qui nous attestent la réalité ; c’est la foi qui nous donne la conviction intime que le pain et le vin sanctifiés sont le corps et le sang du Christ3. D’après cette foi intime, ce qui paraît du pain, n’est plus du pain, mais le corps du Christ, quoique le pain reste sensible pour le goût ; ce qui paraît du vin, n’est plus du vin, mais le sang du Christ, quoique le vin reste sensible pour le goût4.
Nous allons tirer de la cinquième et dernière catéchèse les renseignements liturgiques qui y sont contenus.
Vous avez vu, dit-il5, le diacre offrant à l’évêque et aux prêtres qui entouraient l’autel, de l’eau pour se laver les mains. Ce n’était point pour nous nettoyer, car nous étions propres en entrant dans l’église, mais l’ablution des mains est un symbole de la pureté avec laquelle on doit approcher des saints mystères.
Après avoir offert l’eau à l’évêque et aux prêtres, le diacre a dit à haute voix : Embrassons-nous mutuellement dans une étreinte fraternelle6. Ce baiser est le symbole de


1 Έν τΰπω γάρ άρτου, δίδοται σοι το σώμα καί έν τΰπω οίνου δίδοταί σοι το αίμα ; ινα γένη, μεταλαβών σώματος και αίματος Χρίστου, σΰσσωμοσ και σΰναιμοσ αΰτοΰ. Οΰτω γάρ καί yριστοτδροι γινόμεθα, του σώματος αύτοΰ και τοϋ αίματος ε’ισ τά ήμέτερα άναδιδομένον μέλη (§ 3).
2 ΙΙνευματικώσ (§ 4).
3 S. Cyrill. Catech. mystag., §6.
4 Ibid., § 9.
5 Ibid., 5, § 2.
6 Άλλήλουσ άπολάβετε, και άλλήλουσ άσπαζώμεΟα.

l’union qui doit régner entre les âmes, et de l’oubli des injures, car il est défendu de se présenter à l’autel avec de la haine dans le cœur.
L’évêque élevant la voix, dit ensuite : Que vos cœurs s’élèvent en haut !1 Le moment redoutable approchant, dit saint Cyrille, les cœurs doivent s’élever vers le ciel et non pas s’abaisser vers les choses de la terre. Les fidèles répondaient à l’évêque : Nous avons nos cœurs élevés vers le Seigneur2.
Le prêtre reprenait à haute voix : Rendons grâce au Seigneur, et les fidèles répondaient : C’est une chose digne et juste3.
« Ensuite, continue saint Cyrille4, nous faisons mention du ciel, de la terre et de la mer, du soleil et de la lune, des astres et de tout être créé doué de raison ou qui en manque, qu’il soit visible ou invisible ; des Anges, des Archanges, des Vertus, des Dominations, des Principautés , des Puissances, des Thrônes, des Chérubins à plusieurs figures, des Séraphins qu’Isaïe vit autour du trôné de Dieu, se couvrant la figure de deux ailes, les pieds de deux autres ailes, et se servant de deux autres ailes encore pour voler. Avec ces Séraphins nous disons : « Saint, Saint, Saint est le Seigneur Tout- Puissant5 ».
« Après nous être sanctifiés par ces louanges spirituelles6, nous prions le Dieu bienfaisant d’envoyer son Saint-Esprit sur les éléments placés sur l’autel, afin qu’il fasse le pain, corps du Christ, et le vin, sang du Christ7, car tout ce que le Saint-Esprit atteint, est sanctifié et changé8.
Lorsque le sacrifice spirituel est accompli9, nous


1 “Ανοι τά ; καρδίασ. (§ 1.)
2 “Εχομεν πρόσ ΐδν κύριον.
3 Εύγαριστήσωμεν τω κυρίψ…. άςιον καί δίκαιον. (§5.)
4 Ibid., § 6
5 L’expression hébraïque de Lieu des armées (Sabaoth), signifie Dieu puissant, l’armée étant considérée comme le symbole de la puissance.
6 S. Gyrill., Catech. mystag., 5. § 7.
7 “lvoc ·ποιήστ| μέν άρτον σώμα Χρίστου, τον δε οίνον αίμα Χρίστου.
8 Μεταβέβληται.
9 Ibid., § 8.

prions Dieu pour la paix des Eglises, pour la bonne organisation du monde, pour les empereurs, pour l’armée, pour les malades, pour les affligés ; nous prions et nous offrons la victime pour tous ceux qui ont besoin de secours.
Ensuite, nous faisons mémoire de ceux qui se sont endormis du sommeil de la mort1 : les patriarches d’abord, les prophètes, les apôtres, les martyrs, afin que, par leurs prières et leurs intercessions, Dieu reçoive notre prière. Puis nous prions pour nos saints pères défunts, les évêques et tous ceux qui sont morts parmi nous, persuadés que nos supplications sont d’un grand secours pour leurs âmes lorsqu’elles sont adressées pendant que la sainte et vénérable victime est sous nos yeux sur l’autel2.
Nous récitons après cela la prière que le Sauveur nous a apprise : Notre Père qui es aux deux, etc. Saint Cyrille explique toute la prière et ajoute : Lorsqu’elle est terminée, tu dis Amen ; c’est un signe d’assentiment à tout ce qui a été demandé dans la prière3.
L’évêque élève ensuite la voix et dit : Les choses saintes pour les saints4. Les fidèles répondaient : Il n’y a qu’un seul saint, le seul Seigneur Jésus-Christ5. Puis un clerc chantait le cantique : Goûtez et voyez que c’est le Christ, le Seigneur6, afin d’inviter les fidèles à s’approcher de la communion et â se souvenir qu’il ne fallait pas s’en rapporter au goût pour reconnaître celui qu’ils recevaient.
« N’approche point de la communion, dit saint Cyrille, en étendant les mains et en écartant les doigts7, mais place ta main gauche sous la droite et forme comme un trône destiné à recevoir ton Roi. En recevant le corps


1 S. Cyrill., Catech. mystag.,5, §9.
2 Ce texte corrobore ceux que nous avons déjà cités et prouve que l’invocation des saints et la prière pour les morts datent des siècles primitiis.
3 Ibid., §§ 10 ad 18.
4 Τά άγια τοϊσ άγιοις. (§ 19.)
5 Eiσ άγιοσ, εΐσ κύριος Ίησοΰσ Χριστο’σ. {Ibid.)
6 ΓεόσασΟε και ’ιοετε, οτι Χριστός ό κύριος. (t$ 20.)
7 Ibid., § 21.

du Christ dans le creux de ta main, réponds : Amen. Lorsque tu auras sanctifié tes yeux en regardant le saint corps, prends-le, en faisant attention de n’en pas laisser perdre.
« Après la communion du corps du Christ, approche- toi de la coupe de son sang1 ; non pas en étendant les mains, mais en t’inclinant dans l’attitude du respect et de l’adoration, et dis : Amen après avoir pris du sang du Christ ; lorsque tes lèvres en seront encore imprégnées, essuie-les avec ta main et sanctifie par son attouchement ton front, tes yeux et tes autres sens. Enfin, écoute la prière d’actions de grâces et remercie Dieu de t’avoir admis à la participation de si grands mystères. »
En terminant, saint Cyrille engage les fidèles à communier, lors même qu’ils auraient commis quelque pèche2, s’ils se repentent.
Les catéchèses de saint Cyrille sont remplies de science biblique ; le style en est doux et pieux. Les renseignements qu’elles renferment sur la discipline de l’Eglise primitive, sa doctrine, ses sacrements, démontrent avec évidence qu’au IVe siècle l’Eglise catholique était la même qu’elle est encore en Orient, et qu’elle ne connaissait ni la constitution monarchique, ni le démocratisme presbytérien, ni les systèmes, ni les dogmes nouveaux qui ont dénaturé en Occident les Eglises chrétiennes. L’ouvrage de saint Cyrille a une importance théologique incontestable ; il n’a pas une moindre valeur au point de vue historique.
On possède encore de saint Cyrille de Jérusalem une homélie sur le Paralytique ; une lettre à l’empereur Constantius au sujet d’une croix lumineuse qui était apparue dans les nues, au-dessus de Jérusalem, l’an 351,


1 S. Cyrill., Catech. mystag., 5, § 22.
2 Ceux qui connaissent la liturgie suivie encore de nos jours par l’Eglise catholique orientale et connue sous le nom de Liturgie de saint Jean Chrysostôme, auront remarqué qu’elle est entièrement conforme à celle qui était suivie à Jérusalem au IVe siècle, et qui n’était pas nouvelle alors, et datait plutôt des temps apostoliques. Les Eglises occidentales ont conservé des rites conformes à cette antique liturgie, mais ils sont aujourd’hui mêlés à beaucoup de modifications adoptées pendant le moyen âge. Saint Cyrille n’a parlé que de la messe des fidèles et non de la messe des catéchumènes.

le jour de la pentecôte1. Plusieurs auteurs ont cité des fragments d’autres homélies du même Père. On lui a attribué quelques ouvrages que les érudits regardent avec raison comme apocryphes. Ce que l’on possède du grand et saint évêque de Jérusalem suffit pour le mettre au rang des écrivains les plus importants du IVe siècle.
Passons de Jérusalem à Cæsarée en Cappadoce, où vivait un évêque plus illustre encore que Cyrille ; c’était Basile le Grand. Son frère, saint Grégoire de Nysse, n’hésite pas à donner à cet homme illustre une mission providentielle dans le plan conçu par Dieu pour conserver et défendre la vérité dans le monde2. Cette mission fut de défendre la vérité catholique contre les ariens, lesquels, par l’organe d’Arius, d’Aetius, d’Eunomius, d’Eudoxius et de tant d’autres apostats, se liguaient avec les puissances de la terre pour détruire la doctrine révélée. Lorsque ces hommes poursuivaient leur but avec une énergie diabolique, parut le grand Basile, brillant comme une lumière resplendissante au milieu d’une nuit obscure, comme un phare pour diriger ceux qui luttaient au milieu des flots de l’erreur. Il engagea le combat contre les préfets, les présidents et les généraux ; il parla librement aux empereurs ; il éleva la voix dans ses sermons et ses lettres contre tous les ennemis de la foi. Il ne craignait pas l’exil, car il considérait le ciel comme l’unique patrie de l’homme ; et la terre entière était, à ses yeux, un lieu d’exil. Lui qui, chaque jour, mourait, ne pouvait craindre la mort. Certain préfet lui ayant dit un jour qu’il le ferait écarteler, il se contenta de sourire en disant : « Je vous remercie du moins de la bonne volonté que vous m’en témoignez. » Basile fut, en Orient, ce qu’Athanase était en Egypte : l’intrépide champion de l’Eglise catholique et de l’intégrité de sa doctrine.


1 Plusieurs écrivains du temps ont mentionné ce fait ; il fut consigné dans ia Chronique Alexandrine ou paschale, ad ami. 351.
2 S. Greg. Nysse il.. In Laud. Frat. Basil, init. ; S. Greg. Theol., In Laud. Bàsil. Magni, orat. 45. Vit. S. Basil. In op. Edit. Bened.

Basile naquit vers 329, en même temps, à peu près, que son intime et digne ami Grégoire surnommé le Théologien. Il était, selon toute probabilité, originaire de Cæsarée dont il fut évêque dans la suite. Cette ville, assise au pied du mont Argée, avait porté le nom de Maza ou Mazaca, imité de celui de Mosoch, père des Cappadociens. Tibère fit de la Cappadoce une province de l’empire romain et donna à sa capitale le nom de Cæsarée. A l’époque où naquit Basile, cette ville était florissante ; la population en était très-lettrée, et presque tout entière chrétienne.
La mère de Basile était Cappadocienne, mais son père était d’origine arménienne et ses ancêtres étaient originaires de Sébaste. Sa famille, du côté du père comme de la mère, était noble, illustre et riche. Basile s’honorait surtout d’avoir eu pour aïeule sainte Macrina, qui avait reçu les instructions de saint Grégoire le Thaumaturge. Macrina avait initié son petit-fils à la doctrine de cet homme apostolique, et Basile s’applaudit d’être resté fidèle à son enseignement. Macrina et son mari avaient beaucoup souffert pendant la persécution de Dioclétien, mais leur courage avait été au- dessus des violences des tyrans.
Le père du grand évêque de Cæsarée s’appelait Basile et sa mère Emmelia. L’un et l’autre étaient aussi distingués par leurs qualités intellectuelles que par leurs vertus. Ils étaient dignes d’avoir des enfants comme Basile le Grand, Grégoire de Nysse, Pierre de Sébaste. et la pieuse vierge Macrina qui, par ses vertus, rappelait l’aïeule du même nom.
Parmi les parents que Basile lui-même fait connaître dans ses lettres, nous remarquons particulièrement Soranos, duc de Scytbie. Les plus illustres familles de ce pays, du Pont et de Cappadoce étaient alliées à celles de Basile le père et d’Emmelia.
Basile, après avoir reçu les premières leçons de littérature et d’éloquence de son père, qui passait pour l’homme le plus éloquent de Cæsarée, passa en Palestine et suivit les cours de l’école de Cæsarée qu’Origène,

le prêtre Pamphilos et Eusèbe avaient rendue très-célèbre. Basile s’y distingua par son goût pour l’éloquence et la philosophie. Il passa de Cæsarée de Palestine à Constantinople, où il suivit les cours du fameux rhéteur Libanius qui professait pour lui la plus grande estime, et exaltait son éloquence aussi bien que la gravité de ses mœurs. Basile quitta tes écoles de Constantinople vers l’an 350 et se rendit à Athènes. Il y trouva Grégoire son compatriote et s’y lia avec lui d’une étroite amitié. Lorsque Grégoire, privé, par la mort, de son ami, voulut faire son éloge, il se rappelait avec émotion la vie corn : aune qu’ils avaient menée à Athènes. « Comment, dit-il1, me la rappeler sans émotion ? La science qui porte plus que toute autre chose à la jalousie, était le but auquel nous tendiohs l’un et l’autre ; et cependant, il n’y avait aucune jalousie entre nous. L’émulation qui existait entre nous, ne nous portait qu’à étudier ; nous luttions, non pas à qui remporterait la palme, mais à qui la céderait à l’autre. Nos succès étaient communs ; nous n’avions à nous deux qu’une seule âme. On a raison de rejeter le système d’après lequel tous les êtres seraient les uns dans les autres ; cependant je puis dire que nous ne faisions qu’un. La vertu était le but unique de nos efforts ; nous cherchions à régler notre vie en vue des espérances de la vie future. La loi de Dieu était notre guide, et nous nous excitions mutuellement à la vertu ; si je ne craignais pas de paraître orgueilleux, je dirais que nous étions une règle l’un pour l’autre et que, d’après nos actions réciproques, nous distinguions ce qui était bien de ce qui était mal. Nous n’avions aucune relation avec ceux des étudiants qui étaient insolents ou de mauvaises mœurs ; les plus chastes étaient ceux que nous fréquentions. Nous évitions ceux qui étaient querelleurs et opiniâtres, et nous n’avions de liaison qu’avec ceux qui étaient pacifiques et dont la conversation pouvait nous être utile. Nous savions qu’il est plus facile de con-


1 S. Grég. Theol., Orat., 45, § 20. Edit. Benedit.

tracter le vice que de communiquer la vertu, de gagner la maladie des autres que de donner sa propre santé. Les sciences agréables nous plaisaient moins que les sciences utiles, car la science peut former les jeunes gens à la vertu, mais aussi les porter au vice. Nous ne connaissions que deux chemins ; celui qui nous conduisait à l’Eglise et aux saints docteurs qui y donnaient l’enseignement religieux ; l’autre, que nous aimions moins, nous conduisait vers les maîtres qui nous enseignaient les sciences. Nous laissions aux autres les chemins des spectacles, des assemblées profanes, des festins. Notre grande affaire et notre gloire consistait, non pas à prendre des titres orgueilleux, mais celui de chrétiens et d’en être dignes. »
Athènes était une ville très-dangereuse pour les jeunes gens ; on y rencontrait plus d’idoles que dans tout le reste de la Grèce, et l’idolâtrie y faisait une active propagande. Mais ce qui séduisait les autres ne fit qu’affermir Basile et Grégoire dans la foi ; ils étudièrent de près l’idolâtrie ; ils en surprirent toutes les imposa tares, et ne conçurent pour elle que du mépris. Au lieu de se laisser séduire par les plaisirs, ils conçurent dès lors le projet de vivre dans la solitude, à l’exemple des ascètes d’Egypte et de Thébaïde, et de consacrer à Jésus- Christ leur science et leur éloquence. Plusieurs étudiants, sans être aussi distingués que Basile et Grégoire, essayèrent de les imiter et formèrent : un groupe dont Basile était le chef. Il devait cette distinction à sa haute capacité qui lui avait assigné le premier rang dans l’étude de la littérature, de la linguistique et de la philosophie. Il n’apprit des mathématiques que ce qui lui était nécessaire pour n’avoir rien à redouter des objections de ceux qui s’étaient rendus habiles dans cette science. Il ne négligeait aucune connaissance utile ; mais le caractère particulier de son génie était la profondeur philosophique jointe à une éloquence vive et entraînante. Sous ce double rapport, il avait acquis, dès sa jeunesse, une grande réputation. Pour Grégoire, il joignait à la pénétration philosophique un génie poétique

et brillant. Il mérita le titre de Théologien à cause de ses aperçus philosophiques sur la vérité révélée ; et ses poésies prouvent qu’il savait revêtir les conceptions théologiques les plus profondes, des formes les plus élégantes.
Basile et Grégoire connurent à Athènes un grand nombre d’étudiants qui occupèrent depuis les positions les plus élevées dans l’Eglise et dans l’Etat. Parmi eux était l’empereur Julien dont ils eurent dès lors une idée fort peu avantageuse.
Lorsque le temps fut venu pour les deux amis de quitter les écoles d’Athènes, les professeurs et les étudiants rivalisèrent d’efforts pour les retenir. Basile résista à toutes les instances, mais Grégoire fut vaincu, car Basile lui-même se joignit aux autres pour l’engager à rester. C’était une trahison, dit amicalement Grégoire ; mais la conscience du traître ne lui reprocha pas sans doute son crime d’une manière trop véhémente, et Grégoire ne chercha point à s’en venger.
Basile passa par Constantinople, et se dirigea vers Cæsarée de Cappadoce ; il visita les principales villes de cette province et de celle du Pont ; partout on voulait le retenir et le placer à la tète des écoles, mais ses goûts le portaient ailleurs. Il voulut suivre à la lettre, les conseils évangéliques, se défaire de ses biens au profit des pauvres, et ne plus songer qu’à la pratique de la haute philosophie que le Christ a révélée au monde. Ce n’était ni à Athènes, ni à Constantinople qu’il fallait aller pour recevoir des leçons, mais dans les solitudes où vivaient les vrais Cyniques chrétiens qui ne négligeaient pas, par orgueil, comme Diogène, les plaisirs du monde, mais se pénétraient d’idées beaucoup plus élevées. Il parcourut donc les solitudes de Mésopotamie, de Célésyrie, de Palestine et d’Egypte. Il recueillit partout les plus hautes leçons de vertu ; mais, en même temps, il vit les évêques orthodoxes persécutés, exilés, ou poursuivis par les ariens qui, protégés alors par Constantius (357), remplissaient l’empire de trouble et de divisions. Les luttes des fidèles et des évêques entre eux le remplissaient de

tristesse, et il cherchait, dans les Ecritures, s’il ne trouverait pas la raison de ce triste état de l’Eglise, pour laquelle cependant Jésus-Christ est mort, et à laquelle il a envoyé le Saint-Esprit. Il comprit que l’orgueil était la cause des divisions, c’est-à-dire, que l’esprit de l’homme voulait toujours s’insurger contre Dieu, et opposer à la vérité ses vaines conceptions. Il en conçut un plus profond attachement pour la vieille et immuable doctrine.
De retour à Cæsarée de Cappadoce, Basile fut fait Lecteur par l’évêque de cette ville, qui craignait qu’on ne lui ravît un si riche trésor. Cependant, quoiqu’il fût attaché à cette Eglise, il ne crut pas manquera son devoir en la quittant pour vivre en solitaire dans le Pont. En Cappadoce, il avait connu et admiré les moines qui suivaient les règles d’Eustathios de Sébaste, et il n’avait pas voulu croire qu’ils fussent hérétiques, comme plusieurs l’affirmaient. Il n’entra point dans leur association, mais préféra se retirer dans une maison de campagne qui appartenait à sa famille et située dans le Pont, pour y pratiquer la philosophie chrétienne telle qu’il la comprenait. Déjà plusieurs de ses parents avaient vécu dans cet endroit en véritables solitaires. Sa mère Emmelia, Makrina sa sœur et Pierre son frère, depuis évêque de Sébaste, y avaient pratiqué les vertus chrétiennes avec la plus haute perfection. A côté de la demeure de sa famille, il fonda un monastère d’hommes qu’il gouverna jusqu’à ce qu’il fût élu évêque de Cæsarée, et qui fut gouverné après lui par son frère Pierre.
Grégoire ne vint point d’abord partager sa vie ascétique ; il était retenu à Nazianze par les soins qu’il devait à son père et à sa mère, déjà fort avancés en âge. Le père de Grégoire portait le même nom que son fils et était évêque de Nazianze. Grégoire aurait voulu attirer Basile dans le pays qu’il habitait ; mais celui-ci préférait sa solitude du Pont. Il décrivit à son ami la vie chrétienne qu’il y menait et l’engagea à venir enfin le rejoindre pour y mettre à exécution le projet qu’ils avaient conçu

à Athènes. Grégoire se décida enfin il obéir aux conseils de son ami ; il l’alla trouver et ils vécurent ensemble, partageant leur temps entre l’étude des saintes Ecritures, la prière et les travaux manuels.
Basile fonda dans le Pont plusieurs autres monastères et écrivit les règles que les moines devaient suivre. Il a été considéré, avec raison, comme le vrai fondateur et le législateur de la vie ascétique en Orient.
Grégoire, après avoir vécu quelque temps auprès de lui, était retourné à Nazianze. On l’y fit prêtre malgré lui. La haute idée qu’il avait du sacerdoce l’empêcha d’en exercer les fonctions, et il s’enfuit auprès de son ami Basile qui l’avait toujours sollicité de venir le rejoindre (362).
Basile était dans sa solitude avec son ami Grégoire lorsque Julien lui écrivit la lettre dont nous avons parlé. Peu de temps après il se rendit à Cæsarée à la prière de l’évêque Dianée qui était sur le point de mourir. Eusèbe, élu après, la mort de Dianée, se hâta d’élever Basile au sacerdoce, afin de le retenir à Cæsarée où il pouvait être si utile à son troupeau. Mais bientôt la jalousie changea les sentiments d’Eusèbe qui ne pouvait voir sans dépit que l’illustre prêtre jouît dans la ville d’une influence supérieure à la sienne. Il commença â persécuter Basile ; la ville et les moines allaient prendre son parti contre l’évêque, lorsque l’humble Basile s’enfuit â sa solitude du Pont. Il y resta trois ans, après quoi Grégoire le réconcilia avec Eusèbe qui le rappela à Cæsarée.
Les actions de Basile comme prêtre et comme évêque de Cæsarée appartiennent à l’histoire proprement dite, et elles tiendront, dans nos récits, la place qu’elles méritent.
Pour le moment nous devons étudier les œuvres de ce grand homme.
Parmi ses ouvrages exégétiques, on doit mettre à la première place ses neuf homélies sur le premier chapitre de la Genèse1. C’est une explication approfondie de la


1 S. Basi., Homil. in hexaemeron.

création du monde. Il oppose d’abord les uns aux autres les divers systèmes philosophiques sur l’origine de la nature1. Ces systèmes, qui sont encore aujourd’hui ce qu’ils étaient à l’époque où Basile les étudiait à Constantinople et à Athènes, ne reposent que sur des hypothèses contradictoires, et n’approchent pas de la philosophie profonde qui émane des premiers mots de la Genèse : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Tout d’abord le principe du monde apparaît : Dieu. Pour l’éluder, les philosophes ont inventé le mouvement qui aurait été la cause de l’organisation de la nature ; mais ce mouvement, quel en est le principe ? Tout système recule la difficulté, mais ne la résout pas, et ne répond pas à cette question primordiale : quel a été le principe des choses ? La philosophie a affirmé que ce principe était dans la nature elle-même ; mais la nature, être multiple, ne peut avoir en elle-même un principe identique ; on n’aperçoit en elle que des résultats divers, selon des lois déterminées dont on ne peut rendre raison philosophiquement, lorsqu’on veut faire abstraction de Dieu.
Le monde a été fait au commencement ; c’est-à-dire qu’avec le monde a commencé le temps destiné à mesurer, par des instants successifs, les existences contingentes des êtres qui devaient l’habiter. Mais avant ce temps du monde visible, il y avait un autre monde invisible dont nous pouvons avoir idée, mais dont la nature est incompréhensible pour nous2.
En parlant du ciel et de la terre créés par Dieu, saint Basile s’étend longuement sur tous les systèmes philosophiques au moyen desquels on prétendait les expliquer. On sent qu’il en avait fait l’étude la plus sérieuse, et les objections qu’il oppose à ces systèmes sont irréfutables. On ne peut que tomber dans des imaginations absurdes et contradictoires dès qu’on veut éliminer Dieu et ses lois de la nature, et chercher la raison des choses dans ces choses elles-mêmes.
Mais en plaçant Dieu au seuil de la création pour


1 S. Basil., Homil. I, §§ 1, 2 el 5.
2 Ibid., § 5.

l’expliquer et en déterminer le principe, Basile n’en cherche pas moins à jeter la lumière sur l’origine et les développements de l’œuvre divine.
A l’origine le ciel et la terre étaient à l’état de simples éléments, confondus les uns avec les autres, et sans cet ordre que Dieu y mit ensuite par sa volonté, c’est-à-dire par les lois qu’il imposa à tous les êtres. La terre n’était d’abord qu’une masse liquide1. L’eau qui devait plus tard être réunie et former les mers, était répandue sur toute la surface du globe. Les éléments étant ainsi confondus, il devait en résulter un travail de première organisation qui s’opérait par la volonté de Dieu, et qui en préparait un plus parfait et plus complet.
Ce travail primordial s’opérait dans une masse inerte, obscure, dont les éléments étaient en dissolution dans l’eau qui formait comme un vaste abîme2. Sur cet abîme planait l’esprit de Dieu qui couvait, pour ainsi dire, l’œuvre de la création et développait ses éléments d’organisation3.
La durée de cette incubation divine n’est pas fixée. On peut donc admettre celle que l’on jugera nécessaire pour la formation de ces matières primitives qui semblent former comme les fondements de la terre ; la science peut également se donner libre carrière pour étudier et déterminer la nature du travail des éléments divers dans la formation du noyau terrestre.
Tout à coup la voix de Dieu retentit sur cet abîme immense et obscur ; Dieu dit : Que la lumière soit, et aussitôt, dit saint Basile, l’éther fut enflammé et la lumière brilla instantanément dans l’immensité. Il est à remarquer que le savant évêque admettait, au IVe siècle, sur la nature de la lumière, les notions dont la science moderne s’attribue l’invention4.
La lumière eut un temps déterminé pour luire ; ce fut le jour ; et un temps pour disparaître ; c’était la nuit ;


1 S. Basil., Homil. 2, §§ l, 2 et 5.
2 Ibid., § 4.
3 Ibid., § 6.
4 Ibid., § 7.

c’était la nuit. Ces ténèbres et cette lumière formèrent une époque qui n’avait pas la durée de la révolution quotidienne du soleil. Cette époque eut une durée que
Dieu lui-même fixa1.
Sur ce point encore, le récit révélé de la création ne gêne point les systèmes scientifiques que l’on pourra inventer pour expliquer l’organisation dans laquelle la lumière devait entrer comme élément nécessaire. Rien n’empêche également d’entendre ce mot lumière dans sa plus large acception, c’est-à-dire avec tous les éléments que la science lui donne comme principes ou comme résultats.
La durée de la lumière et des ténèbres n’étant pas déterminée, avant la création du soleil, le premier jour doit être entendu dans le sens d’une époque indéfinie, indéterminée. C’est pourquoi le texte biblique n’appelle pas cette époque le premier jour, mais d’une manière générale : un jour.
Lorsque la Genèse se sert des mots Dieu dit, il ne faut pas croire, dit saint Basile, qu’il ait émis un son analogue à la parole humaine. La volonté divine, le premier mouvement de son intelligence, c’est la Parole ou le Verbe de Dieu. C’est ainsi que saint Jean enseigne que Dieu a tout créé par son Verbe, et que ce Verbe, c’était Dieu lui-même.
Après avoir créé la lumière, Dieu créa le firmament, pour être comme un intermédiaire entre les eaux et les eaux. Est-ce autre chose que le ciel qui, au commencement fut créé simultanément, avec la terre ? Saint Basile se pose cette question2, et répond que le firmament, c’est le vaste espace où Dieu tient en réserve la masse d’eaux qui correspond à la force absorbante du feu. Ce feu est un des principes de vie de la nature entière ; il aurait bientôt épuisé les eaux de la surface terrestre, si du firmament ne s’échappaient pas les eaux supérieures qui renouvellent les eaux terrestres.
La création du firmament, c’est-à-dire, la grande


1 S. Basil., in Hexaem. Homil.§ 8,
2 Ibid., 3, § 3.

œuvre de la séparation des eaux qui tenaient en dissolution les éléments terrestres, fut l’œuvre du second jour, non pas de la durée qu’on a appelée ainsi lorsque le soleil fut créé, mais d’une durée indéfinie que la science peut prolonger autant qu’il lui conviendra.
Dans cette homélie comme dans les précédentes, saint Basile expose les divers systèmes philosophiques et les réfute, ainsi que les erreurs de certains hérétiques qui voulaient entendre la Genèse d’une manière allégorique et basaient sur ces interprétations fantaisistes les idées les plus singulières et lés plus erronées. Le savant docteur avait étudié très-sérieusement les sciences physiques et mathématiques, et il se sert de ses connaissances pour établir que la doctrine révélée était plus satisfaisante pour l’intelligence que tous les systèmes des différentes écoles. Ses homélies sur l’œuvre des six jours n’ont pu être adressées qu’à des fidèles fort instruits ; car les détails scientifiques qu’elles contiennent étaient bien au-dessus de l’intelligence commune.
Saint Basile, dans son exorde de la quatrième homélie, convie ses auditeurs à étudier l’œuvre du Créateur et à préférer cette contemplation aux misérables plaisirs auxquels se livraient ceux qui ne voyaient dans le monde que des moyens de s’abandonner à leurs passions.
Le troisième jour, Dieu réunit dans les vastes espaces appelés mers les eaux qui étaient restées sur la surface de la terre, et l’élément sec apparut : Sur cet élément se développa une immense germination de toutes les plantes qui devaient obtenir leur accroissement sous faction de la lumière qui succéda aux ténèbres, et forma la troisième période ou troisième jour. Saint Basile explique cette œuvre de la troisième époque dans sa quatrième homélie1.
Sous l’action des lois créées par la volonté de Dieu, les éléments terrestres s’étaient groupés d’une manière inégale de manière que l’eau pût se précipiter, selon la loi qui lui a été donnée, dans les espaces les plus bas et former


1 S. Basil., Homil. IV in Hexaem.

les mers. L’élément sec apparut alors et Dieu lui donna le nom de terre, et aux amas d’eau qui se réunirent sur les terrains les plus bas, il donna le nom de mersl.
La cinquième homélie2 consacrée à la germination terrestre est remplie de détails curieux sur Futilité des plantes, soit pour l’alimentation, soit pour la conservation ou la guérison du genre humain et des animaux. Nous n’avons point à entrer dans les détails ; il nous suffira de dire que saint Basile y fournit la preuve qu’il connaissait bien l’histoire naturelle, comme il avait donné précédemment des preuves de ses connaissances en physique, en mathématiques et en géographie. Peu d’hommes, au IVe siècle, possédaient des connaissances aussi complètes.
Le quatrième jour ou époque indéfinie, Dieu créa les astres pour déterminer, par leurs révolutions, la durée du jour et de la nuit, les saisons, les années, les époques. C’est le sujet de la sixième homélie de saint Basile3. Il y expose les notions astronomiques les plus exactes et réfute les fantaisies des astrologues qui attribuent aux astres une destination qu’ils n’ont pas reçue du Créateur.
Au cinquième jour, qui est le premier que l’on doive accepter comme durée de vingt-quatre heures, puisque le soleil existait, Dieu créa les animaux ; les moins parfaits d’abord qui vivent dans les eaux, et les reptiles ; puis les oiseaux qui occupent une place supérieure dans la vie organique.
Saint Basile fit sa septième homélie sur les reptiles ; et la huitième sur les poissons et les oiseaux4. Ces discours sont du plus haut intérêt pour constater l’état des sciences naturelles au IVe siècle. Les livres des philosophes de la même époque ne renferment pas autant de rensei-


1 Plusieurs mers primitives furent déplacées au moment du grand bouleversement qu’on a appelé le déluge, de sorte qu’on ne peut absolument dire que toutes les mers actuelles soient les mers primitives. Le déplacement de plusieurs mers est si bien démontré par les débris fossiles que l’on trouve sur la surface du globe, qu’on ne peut élever aucun doute à ce sujet.
2 S. Basil., Homil. V in Hexaem.
3 Ibid., Homil. VI in Hexaem.
4 Ibid., Homil. VII et VIII in Hexaem.

gnements et surtout ne sont pas écrites dans un aussi beau style.
La neuvième homélie est consacrée à l’œuvre du sixième jour pendant lequel Dieu créa les animaux doués d’une organisation supérieure et qui habitent la terre, et enfin l’homme, le plus parfait des êtres, sous le rapport de l’organisation, et auquel Dieu donna un élément spirituel, l’âme, qui le place à un degré exceptionnel au-dessus de tous les autres êtres appartenant au monde visible.
On peut considérer comme un supplément à l’Hexaéméron, les homélies de saint Basile sur l’état de l’homme, la place qu’il occupe dans la création et suile Paradis où le premier homme fut placé.
En exposant la première question, saint Basile commente le texte de la Genèse sur la supériorité accordée à l’homme sur les autres êtres organisés1. Voici la définition chrétienne qu’il donne de l’homme : « C’est une œuvre de Dieu, douée de raison, et faite à l’image du Créateur2. » On rencontre dans ces discours des aperçus physiologiques du plus haut intérêt, et le saint docteur y combat avec énergie le préjugé païen sur l’infériorité naturelle de la femme.
L’homélie sur le Paradis, telle qu’elle nous est parvenue, ne paraît pas entière. Basile y déplore que, par la déchéance humaine, le mal se trouve à côté du. bien dans cette nature que Dieu avait créée si bonne et si admirable.
Saint Basile avait probablement composé un commentaire de tous les Psaumes. Cet ouvrage ne nous est pas parvenu dans son entier ; mais ce qu’on en possède est digne de l’éloquence et du génie du grand docteur. On peut en dire autant des fragments de son commentaire sur le prophète Isaïe3.
Ces ouvrages exégétiques étaient adressés aux fidèles
1 S. Basil. ΙΙερί τησ του άνΟράιπου κατασκευησ… περί παραδείσου orat, i, 2, 5.
2 Ibid., Orat. i, § 16.
3 S. Basil. Homil. in Psalm. et Comment, in Isai. Prophet.

dans l’Eglise de Cæsarée et font voir de quel profond enseignement étaient capables les fidèles de cette époque. L’explication des saintes Ecritures formait la base des instructions adressées aux fidèles dans toutes les Eglises. Les fidèles lisaient l’Ecriture et pouvaient comprendre les explications très-élevées que les plus grands évêques leur en donnaient. Ces explications nous font connaître, non-seulement le génie des docteurs de l’Eglise dont on possède les discours, mais l’état intellectuel de la société chrétienne à laquelle les pasteurs pouvaient adresser de tels enseignements.
A la tête des ouvrages dogmatiques de saint Basile, nous plaçons ses trois livres contre Eunomius1. Cet hérétique, comme nous l’avons déjà remarqué, avait déduit de l’arianisme toutes les conséquences que ce système contenait. Non-seulement le Fils n’était plus, à ses yeux, qu’une créature, mais le Saint-Esprit n’était non plus qu’un être créé. Dieu, unique en essence, l’était également en personnalité ; le Fils et le Saint-Esprit n’étaient que ses agents dans ses œuvres extérieures ; ils ne formaient avec lui qu’une Trinité improprement dite, puisqu’ils n’émanaient pas de sa substance, de toute éternité ; avaient été seulement créés avant les autres êtres contingents, et avaient été doués de qualités supérieures et divines.
Arius n’avait soulevé que la question de la consubstantialité du Fils. Eunomius souleva celle de la consubstantialité du Saint-Esprit. C’est sous cet aspect que l’arianisme apparaît vers le milieu du IVe siècle. Nous avons déjà étudié les ouvrages de saint Athanase d’Alexandrie contre l’eunomianisme. Saint Basile poursuivit la même erreur en Orient, dans ses livres contre Eunomius. C’est un ouvrage de la plus haute valeur théologique. Il le commence par cette observa-


1 L’ouvrage que l’on a donné sous les titres de Quatrième et cinquième Livres de S. Basile contre Eunomius sont rejetés comme apocryphes par un grand nombre d’érudits. Nous partageons cette opinion et nous ne trouvons dans ces livres ni le même style, ni la même méthode, ni la même profondeur que dans les autres ouvrages du saint docteur. On doit les attribuer à un théologien postérieur et qui est resté inconnu.

tion catholique1 : « Si tous ceux sur lesquels a été invoqué le nom de Notre Dieu et Sauveur Jésus-Christ, avaient voulu s’en tenir à la vérité de l’Evangile, et se contenter de la tradition des apôtres et de la simplicité de la foi, nous n’aurions pas besoin de composer cet ouvrage. « Mais, ajoute-t-il, l’ennemi a toujours semé de l’ivraie dans le champ de l’Eglise ; c’est pourquoi on est obligé de travailler en faveur de ceux qui pourraient se laisser séduire par ses artifices.
C’est bien, en effet, l’hérésie qui a été cause de toutes les discussions qui ont si profondément bouleversé l’Eglise à toutes les époques de son histoire ; la vérité évangélique n’en peut être responsable, et ses défenseurs, dans tous les temps, ne se sont appliqués qu’à l’opposer, dans son expression la plus claire et la plus exacte, aux systèmes à l’aide desquels l’hérésie s’efforçait de l’obscurcir. Les ouvrages des Pères des trois premiers siècles ont déjà démontré ce fait incontestable. Ceux du IVe siècle et des suivants, le démontreront également, aussi bien que les actes des conciles. Ceux qui ont eu le droit de parler au nom de l’Eglise, pendant les huit premiers siècles, n’ont opposé à toutes les innovations des hérétiques que la doctrine enseignée dès le commencement et transmise sans interruption. On ne peut trouver dans les monuments qu’ils nous ont laissés la moindre trace d’une doctrine nouvelle.
Selon saint Basile, et comme nous l’avons dit précédemment, ce fut Aëtius qui, le premier, tira les conséquences du système arien ; mais Eunomius donna plus d’extension à l’hérésie et la présenta sous des dehors plus philosophiques ; c’est pourquoi il en fut considéré comme le véritable auteur. Aëtius était Syrien ; Eunomius était Galate2. Ce dernier procéda d’une manière fort insidieuse pour enseigner son erreur. Au lieu de la donner comme une doctrine nouvelle qui lui était personnelle, ce qui eût suffi pour la faire rejeter par les fidèles, il feignit d’être injustement incriminé, et se


1 S. Basil., adv. Eunom. Lib. 1, § 1.
2 Ibid., §1.

défendit d’enseigner aucune erreur1. Cette manière hypocrite lui gagna des partisans qui s’imaginaient prendre parti pour un homme injustement attaqué ; mais. Basile découvrit sa fraude. Il cite textuellement son adversaire et répond à chacune de ses assertions, de sorte que son ouvrage a la forme d’un dialogue entre lui et Eunomius. Dans le premier livre, il dévoile son procédé. hypocrite2, et oppose à ses prétentions personnelles, la doctrine traditionnelle des saints. L’hérétique osait se donner comme le défenseur de cette doctrine traditionnelle ; mais Basile le confond et le réduit à sa simple expression de novateur hérétique, abusant d’une philosophie sophistique pour miner la doctrine qu’il semblait professer en apparence.
Il est fort remarquable de voir Eunomius se donner comme défenseur de la doctrine traditionnelle pour séduire les fidèles. Plusieurs anciens hérétiques avaient eu recours à la même hypocrisie, ce qui prouve que dans toute l’Eglise, on acceptait comme critérium de la foi ce témoignage permanent de la société chrétienne auquel tous les docteurs avaient recours pour confondre l’hérésie.
Saint Basile poursuit son adversaire à travers les subterfuges que lui fournissait une philosophie nébuleuse. Le docteur chrétien était plus profond philosophe que l’hérétique. Il réfute victorieusement toutes ses assertions sur la nature divine, sur l’acte éternel par lequel il a engendré le Fils de toute éternité, et sur l’acte de la création3.
Au-dessus des arguments du saint docteur plane la doctrine, mystérieuse, il est vrai, incompréhensible, mais certaine et révélée, du Père engendrant le Fils de toute éternité. Eunomius supprimait les deux mots de Père et de Fils, et les remplaçait par ceux d’Inengendré et d’Engendré, afin d’établir plus facilement l’inégalité substantielle qu’il enseignait ; mais saint Basile le ramenait à la


1 S. Basil., adv. Eunom. lib. § 2.
2 Ibid., §§ 2 ad 6.
3 Ibid., §§6 ad 27.

terminologie chrétienne et à la doctrine telle qu’elle avait été révélée, et réfutait, en passant, tous ses sophismes plus ou moins philosophiques. Pour expliquer comment le Fils était antérieur au temps, quoiqu’il fût créature, Eunomius fixait le commencement du temps à la création des astres ; mais Basile lui oppose une notion plus philosophique. Les astres mesurent aujourd’hui le temps, mais ne le font pas ; il existait avant les astres et il correspond nécessairement à l’existence de tout être contingent. La génération du Fils ayant eu lieu avant le temps, le Fils n’est pas une créature, il a été engendré par conséquent dans l’éternité, et il est coéternel au Père.
Dans son premier livre, saint Basile avait eu principalement pour but de réfuter les erreurs d’Eunomius sur le Père. Dans le second livre, il réfute les erreurs de l’hérétique touchant le Fils.
Ces erreurs consistaient principalement dans de fausses interprétations des mots hypostase et essence1. La valeur théologique de ces mots n’était pas encore absolument déterminée ; mais la doctrine révélée ne dépendait pas des interprétations qu’on pouvait leur donner ; elle était en elle-même parfaitement définie, et ce n’est qu’à la suite des discussions que le sens de certains mots fut fixé pour exposer cette doctrine avec plus de clarté. Saint Basile met à découvert les subterfuges de son adversaire, et met toujours en relief la doctrine révélée touchant le Fils, engendré, de toute éternité, du Père et ne faisant avec lui qu’un même Dieu. Toutes les subtilités sur l’essence et l’hypostase venaient échouer contre la doctrine ainsi présentée ; contre la distinction catholique entre la substance elle-même et les qualités ou attributs distinctifs des personnes ; contre les paroles si claires des saintes Ecritures sur la coéternité du Verbe et du Père2.


1 ϓπόστάσισ hypostase, signifie aussi bien substance que Personne ; ουσία essence, signifie aussi substance et, sous ce dernier rapport, son sens se confond avec celui du premier mot ; delà une logomachie dont les hérétiques abusaient, et qui a été aussi cause d’erreurs involontaires.
2 S. Basil., adv. Eunom., lib, 11, §§ 1, ad 34.

Dans son troisième livre, saint Basile réfute les erreurs d’Eunomius sur le Saint-Esprit. Cet hérétique prétendait que le Paraclet était, par nature, troisième, comme l’Unique-Engendré était second. L’un et l’autre étaient créatures. Il donnait cela comme l’enseignement des saints opposé aux préjugés vulgaires1.
Le Saint-Esprit, répond saint Basile, est le troisième dans l’ordre des personnes divines, mais non par sa nature qui est la même que celle du Père et du Fils. Nous acceptons qu’il doit être nommé le troisième conformément aux Ecritures, mais il n’a point été enseigné qu’il tînt une troisième nature que le Fils et le Père lui auraient donnée2. Eunomius peut être considéré comme le premier qui ait attribué au Fils aussi bien qu’au Père, l’acte de procession du Saint-Esprit. Il disait, en effet, que l’Esprit avait été fait par le Fils, conformément à l’ordre du Père3. Amené par son adversaire à la question de l’origine du Saint-Esprit, Basile s’arrête devant ce mystère, pour dire que l’on ne doit point rougir d’avouer son ignorance, puisque la nature elle-même est remplie de mystères que l’intelligence humaine ne, peut expliquer ; à plus forte raison ne peut-elle expliquer l’essence divine. Il suffit donc d’accepter la doctrine révélée sur la Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, et de croire que le Saint-Esprit nous est envoyé de Dieu et nous est communiqué par le Fils4.
La question relative au Saint-Esprit ayant pris, au milieu du IVe siècle, une importance exceptionnelle, saint Basile la traita de nouveau dans son livre du Saint-Esprit, dédié à saint Amphilochios, évêque d’Icone. Cet évêque, ami intime de Basile5, aimait l’étude, et ne croyait pas s’abaisser en demandant des éclaircissements à celui que tout l’Orient proclamait le plus savant évêque de l’Eglise.


1 S. Basil., adv. Eunom., lib. 111, § 1.
2 Ibid.,§§ 2, ad 4.
3 Ibid., § 5.
4 Ibid., § 6. C’est encore ce qu’enseigne l’Eglise catholique orientale sur ce mystère que les Eglises occidentales ont eu la prétention d’éclaircir, en ajoutant aux expressions des Ecritures, des mots nouveaux inconnus à toute la tradition catholique.
5 S. Basil., De Spirit. S. c. 1, § 1.

Les hérétiques qui avaient recours à tous les moyens pour embarrasser les orthodoxes et divulguer leurs erreurs, avaient remarqué que dans les offices de l’Eglise, saint Basile, priant avec le peuple, s’était servi de deux expressions diverses dans la formule de glorification qui terminait les prières. Tantôt il disait : Gloire appartient au Père avec le Fils et avec le Saint-Esprit, tantôt : par le Fils dans le Saint-Esprit. Ils voulaient trouver dans le mot avec une doctrine, et dans le mot dans une doctrine différente1. Basile voulut bien descendre jusqu’à cette chicane grammaticale, car, disait-il2, une syllabe peut parfois avoir la plus grande importance. Oui et non sont deux monosyllabes et- peuvent cependant être les formules de l’erreur ou de la vérité.
Basile, qui avait composé des prières pour le culte public, fut rendu responsable des formules qu’il employait. Les uns les blâmaient comme des innovations ; d’autres y voyaient des contradictions3. Amphilochios pria Basile de l’éclairer, et cette demande fut l’occasion du beau livre du Saint-Esprit.
Aëtius avait déjà fait les observations les plus minutieuses sur les monosyllabes de, par et dans ; et il y voyait la distinction essentielle entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit . De désignait l’attribut du Père, source et principe ; par désignait l’attribut, du Fils qui n’était qu’un moyen ; dans ne désignait que le lieu ou le temps où l’acte divin avait été opéré4. Les monosyllabes étant différents, les natures qu’ils désignaient étaient elles-mêmes diverses ; d’où il concluait que le Fils et le Saint-Esprit avaient des natures ou essences différentes de celle du Père, et qu’ils n’avaient pas la divinité proprement dite.
Basile expose5 que les monosyllabes auxquels Aëtius et ses partisans attachaient tant d’importance,


1 S. Basil., Le Spirit. S. § 3.
2 Ibid., § 2.
3 Ibid., § 3. Ce passage est un témoignage en faveur de l’authenticité de la liturgie attribuée à saint Basile et qui est en usage dans l’Eglise orientale, le jour de la fête du saint, et les jours de carême ou l’on célèbre la liturgie.
4 Ibid., c. 2, § 4.
5 Ibid., cc. 3, 4, 5.

étaient indifféremment appliqués, dans les Ecritures, au Père, au Fils et au Saint-Esprit. On ne pouvait donc en déduire d’aussi larges conséquences.
Puis il aborde la question doctrinale en elle-même. Il établit que le Fils est égal au Père en gloire et qu’il lui est coéternel1 ; que les expressions avec lui et par lui sont également propres à exprimer l’acte de la puissance divine et qu’elles sont également usitées dans l’Eglise2 ; en quel sens il faut les entendre3. Le saint docteur donne sur toutes ces questions des explications très-profondes et parfaitement orthodoxes.
Après avoir réfuté les Ariens touchant le Fils, il expose la doctrine de l’Eglise sur le Saint-Esprit4, telle qu’elle résulte de la sainte Ecriture et de la tradition non écrite dont les Pères ont été les organes5. On n’admettait pas au IVe siècle, non plus que dans les siècles précédents, que l’Ecriture sainte fût l’unique source de la doctrine révélée. Les apôtres n’avaient que peu écrit, et les Eglises avaient conservé leurs enseignements oraux.
Le Saint-Esprit en lui-même est Dieu ; il procède du Père ; il a tous les attributs de la divinité. A notre égard ; il est le principe de la lumière intellectuelle, du bien et du salut. La doctrine générale de l’Eglise peut se réduire à ces points principaux. Mais les Ariens prétendaient que l’on ne devait point adjoindre le Saint-Esprit au Père et au Fils, dont il n’aurait eu ni la nature ni la dignité6. Basile en appelle à la formule baptismale prescrite par Jésus-Christ, pour prouver que le rite sacré qui nous fait chrétien est administré au nom du Saint-Esprit aussi bien que du Père et du Fils ; que la profession de foi pro-
1 S. Basil.. De Spirit. S. c. 6.
2 Ibid., c. 7.
3 Ibid., c. 8.
4 Ibid., c. 9.
5 Τάσ (έννοίασ) τε έκ των Γραφών… και άσ έκ τησ άγραφου παραδο’σεωσ των πατέρων… c. 9, § 22. Les protestants peuvent voir, par les expressions de saint Basile, que la tradition non écrite de l’Eglise est d’assez vieille date. On a pu même se convaincre par nos extraits de saint Irænée, de Tertullien et des autres pères des trois premiers siècles, que cette doctrine était aussi vieille que l’enseignement apostolique.
6 Ibid., cc. 10,11.

noneée au baptême est basée sur la Trinité ou sur les trois personnes divines qui ne sont qu’un Dieu unique.
Il réfute ensuite plusieurs vaines objections des hérétiques1 ; après quoi il revient à sa thèse de l’inséparabilité du Saint-Esprit, du Père et du Fils. Leur action est inséparable dans la création des êtres intelligents, dans le gouvernement des choses humaines, et dans le jugement qui mettra fin au monde visible2. Les hérétiques avaient recours à des distinctions subtiles pour assigner au Saint-Esprit un rang inférieur dans la Trinité. Basile les suit sur ce terrain et les réfute à l’aide de la philosophie aussi bien que par la notion exacte de la doctrine révélée3. Il développe d’une manière très-profonde le dogme chrétien de la Trinité en établissant que Dieu est un, puisqu’en lui il n’y a qu’une essence, et que les personnes, distinctes par leur attribut personnel, n’en ont pas moins entre elles une essence unique. L’unité d’essence n’est pas l’unique preuve de l’unité des trois personnes divines. L’origine du Fils et du Saint-Esprit là prouve également. Le Fils en effet vient de l’essence du Père par génération. L’Esprit n’en vient pas par génération comme le Fils, mais par procession ; il est comme l’aspiration du Père4. L’Esprit qui procède du Père est aussi appelé l’esprit du Christ, parce qu’il participe à la même nature que lui, et qu’il est envoyé par lui. Comme Paraclet (consolateur) il exprime la bonté du Consolateur par lequel il est envoyé ; et dans sa propre dignité, il exprime la majesté de Celui duquel il procède5.
Le Saint-Esprit ayant une essence unique avec le


1 S. Basil., De spirit. sanct., cc. 12,13,14,15.
2 Ibid., c. 16.
3 Ibid., cc. 17, 18.
4 Ibid., c. 18, § 46.
5 On ne pouvait exprimer plus clairement que ne le fait ici saint Basile la doctrine de l’Esprit procédant du Père seul et envoyé par le Fils. Cependant tes théologiens occidentaux ont falsifié des textes de saint Basile et en ont même inventé pour faire de ce saint docteur un patron de l’hérésie occidentale sur la Procession dit Père et du Fils. Les textes qu’ils ont falsifiés ne se rapportent point au Principe du Saint-Esprit, mais à l’action commune des trois personnes, action dont l’origine est le Père ; dont le moyen est le Fils, et qui s’opère dans le Saint-Esprit.

Père et le Fils, doit être l’objet d’une même glorification, c’est-à-dire, d’un même culte d’adoration. Les hérétiques le niaient1. Saint Basile leur oppose la foi chrétienne qui fut depuis promulguée officiellement au deuxième concile œcuménique. L’objection réfutée par le saint docteur nous initie aux motifs qui ont dicté la décision dogmatique sur la glorification unique qui est due au Saint-Esprit et aux deux autres personnes divines.
Saint Basile, dans le reste de son traité2, réfute les chicanes grammaticales des hérétiques, et prouve que, en se servant indifféremment des expressions dans, avec, en, il n’a fait qu’imiter les saints Pères comme Irænée, Clément de Rome, Denys de Rome, Denys d’Alexandrie, Origène, le martyr Athénogène, Grégoire le Thaumaturge qu’il appelle le Grand, Firmilianus, Meletios, enfin toutes les Eglises d’Orient et d’Occident qui se servaient indifféremment de ces monosyllabes dans les formules de glorification adressées à la sainte Trinité3.
Les lettres de saint Basile, fort nombreuses, sont remplies de renseignements qui appartiennent au corps de l’histoire ; c’est pourquoi nous les ferons connaître, en nous appuyant sur elles dans les faits que nous aurons à raconter dans la suite.
On possède encore divers fragments d’écrites dogmatiques dirigées contre les Ariens ou les Eunomiens ou Macédoniens. Plusieurs discours ou homélies dogmatiques ont trait au même sujet ; dans les autres, le saint docteur expose des questions de morale chrétienne, ou fait l’éloge de martyrs honorés par l’Eglise d’un culte public. Dans tous ces discours, Basile fait preuve d’un génie profondément philosophique et d’une éloquence que ses contemporains les plus illustres ont admirée. Chrétien sincère et convaincu, il ne croyait pas être obligé de jeter l’anathème à tout ce qui n’avait pas appartenu à l’Eglise, et il allait jusqu’à expliquer aux jeunes gens comment ils pouvaient profiter, pour affermir leurs


1 S. Basil., De Spirit. S. a c. 19 ad c. 25.
2 Ibid., a c. 25 ad 30.
3 Ibid., c. 29, §§ 72, 73, 74.

convictions chrétiennes, de la lecture des écrivains païens1. On ne peut lire les écrites des Pères de l’Eglise sans admirer l’ampleur de leur doctrine, et leur respect pour l’intelligence humaine.
Les ouvrages de saint Basile connus sous le titre de Ascétiques, sont : les Traités de la foi et du Jugement de Dieu ; les Morales, les Grandes et les Petites Règles, et les Constitutions monastiques.
Ces divers ouvrages ont été composés, les uns, lorsqu’il était simple moine ; d’autres, lorsqu’il était prêtre ou évêque de Cæsarée ; tous sont destinés à former de véritables moines, sur le type de ceux qui peuplaient les déserts de l’Ægypte et de la Thébaïde.
Nous ne pouvons nous étendre longuement sur ces ouvrages et nous devons nous contenter d’indiquer l’idée générale que saint Basile avait du moine, qu’il considérait comme le vrai philosophe chrétien.
Il devait être un homme de foi, de prière et de travail, détaché des choses du monde, célibataire, appliqué sans cesse à sa perfection spirituelle, et préoccupé seulement de rechercher cette perfection dans toutes ses pensées, ses sentiments et ses actions. Les biens terrestres ne devaient avoir à ses yeux aucune valeur, et il ne pouvait se flatter d’être un véritable ascète s’il s’en occupait. La foi, l’espérance de la vie future, la charité envers le prochain, la douceur, la frugalité, l’obéissance, l’humilité, étaient les vertus qui formaient comme le fonds du caractère du philosophe chrétien ou ascèté.
Les exemples de saint Basile et ses écrites ascétiques contribuèrent beaucoup à propager en Orient la vie monastique ; sa règle a été la seule qui ait été suivie dans tous les monastères orientaux, et qui le soit encore aujourd’hui. Seulement la rédaction que l’on possède de ses règles a été faite postérieurement, par ceux qui avaient été à même de recueillir les explications nombreuses qu’il avait adressées à tous ceux qui le consultaient sur les détails de la vie monastique.


1 S. Basil., Serm. de Legend., lib. Gentil.

Il est incontestable que saint Basile avait composé pour son Eglise plusieurs prières liturgiques, en conservant, dans la liturgie elle-même, l’ordre suivi primitivement. Les Eglises orientales orthodoxes récitent encore, le jour de la fête du saint, et les dimanches de carême, la liturgie du saint évêque de Cæsarée, et on ne pourrait présenter aucune raison plausible contre l’authenticité de cette liturgie. Les prières qui y sont spécialement attribuées à saint Basile présentent bien le caractère élevé et profond du génie du saint docteur. Gomme les autres liturgies orientales, celle de saint Basile est un témoignage irréfutable en faveur de la foi de l’Eglise primitive touchant la présence réelle, le sacrifice non sanglant, qui n’est que la continuation de celui du Calvaire ; l’invocation des saints ; la prière pour les morts, et plusieurs autres dogmes de l’Eglise primitive, qui sont encore ceux des Eglises orthodoxes.
Les autres ouvrages de saint Basile contiennent également les témoignages les plus formels en faveur des doctrines orthodoxes. Quoique doué, à un degré éminent de l’esprit philosophique, il comprenait que la vérité révélée ne pouvait recevoir sa démonstration des données de l’intelligence ou de la logique ; que l’unique critérium de cette vérité était le témoignage divin soigneusement conservé par les Eglises apostoliques dans son intégrité. Aussi, tout en réfutant avec autant de logique que d’éloquence les objections des hérétiques, il ne manquait jamais, lorsqu’il se trouvait en présence d’un mystère supérieur aux lumières naturelles, de rappeler que la raison humaine n’avait d’autre moyen d’en obtenir la certitude, que d’en appeler au témoignage permanent et universel de l’Eglise.
Nous avons établi ce fait dans les analyses de ses ouvrages.
Quoique, dans ses livres dogmatiques, saint Basile ait eu surtout en vue la réfutation des ariens et des macédoniens, on y rencontre des témoignages précieux sur les différentes doctrines de l’Eglise. Nous en indiquerons quelques-uns des plus importants.

Le baptême1, à ses yeux, était le commencement de la vie régénérée, et le jour où on le recevait était le premier de la vie véritable. Il renferme une puissance secrète qui régénère l’homme en lui communiquant une grâce vivifiante qui le fait enfant, de Dieu, et le revêt d’un vêtement d’immortalité. Ce vêtement est le Christ auquel le nouveau baptisé est identifié. En descendant dans l’eau, l’homme descend comme dans le tombeau du Christ ; il y ensevelit l’humanité déchue ; en sortant de l’eau, il ressuscite avec Jésus-Christ et se trouve en possession d’une nouvelle vie. L’eau seule ne sanctifie pas, mais le Saint-Esprit, par la grâce que confère le baptême, régénère celui qui le reçoit.
Quant au baptême des hérétiques, il n’est pas valide dès qu’on n’invoque pas les trois personnes de la Trinité en le conférant. L’invocation des trois personnes divines est le rite révélé, et la profession de foi qui en est faite par le nouveau baptisé doit être scrupuleusement conservée.
La communion eucharistique2 était considérée par saint Basile comme la participation réelle au corps et au sang du Christ. C’est pourquoi on ne devait pas, par respect pour le Christ, célébrer la sainte Cène dans une maison ordinaire, à moins qu’il n’y eût nécessité.
Depuis que les chrétiens n’étaient plus persécutés, ils possédaient, dans toutes les localités, des lieux consacrés spécialement au culte, et qui recevaient pour cela une consécration. Il n’était donc plus permis de célébrer ailleurs les saints mystères.
Cependant, si la coutume s’était conservée, comme en Egypte, en faveur des moines, d’emporter l’eucharistie dans les maisons particulières pour se communier, on pourrait suivre cette coutume ; en se communiant ainsi soi-même, c’était comme si on recevait la communion de la main du prêtre. Dans l’Eglise de Cæsarée, la coutume était de communier quatre fois par semaine : le dimanche, le mercredi, le vendredi et le samedi. Mais


1 S. Basil., Despirit. sanct., c. 10 et seq. Homil. in s. Baptism.
2 Ibid., Moral. Regul. 21 et seq. ; Regul. brev. interrogat. 310 ; Epist. class. II. Epist. 93.

ceux qui communiaient tous les jours faisaient une chose bonne et salutaire.
La consécration du pain et du vin était faite, selon saint Basile par les paroles de l’invocation1 ; ces paroles n’étaient pas dans l’Ecriture ; mais l’Eglise les avait reçues de renseignement apostolique et les avait conservées. Il ne considérait donc pas comme la formule de consécration les paroles de l’institution contenues dans l’Evangile.
Lorsque l’Eglise n’était encore que peu nombreuse et que la plupart des fidèles étaient des saints, ceux qui s’étaient rendus coupables de quelque faute se confessaient dans les assemblées, en présence de leurs frères. Mais, au IVe siècle, l’Eglise, devenue plus nombreuse, possédait un grand nombre de membres qui n’avaient pas conservé la sainteté et la simplicité primitives. C’est pourquoi saint Basile ne voulait pas que la confession des péchés se fît à haute voix dans l’assemblée des fidèles, mais seulement à ceux qui pouvaient guérir les péchés et avaient reçu le pouvoir de dispenser les mystères divins2, c’est-à-dire aux évêques et aux prêtres.
Cependant il approuvait dans les monastères les confessions non sacramentelles qui avaient pour but la pratique de l’humilité chrétienne.
La doctrine de saint Basile sur la constitution de l’Eglise chrétienne est celle des anciens pères3. L’Eglise est une société fraternelle répandue dans tout le monde, et gouvernée par l’Esprit-Saint. Tous les membres forment un même corps qui est celui du Christ ; quoique dispersés chez les différents peuples, la charité et la foi sont des liens qui les unissent.
A la tête de l’Eglise sont les évêques qui ont été établis par Dieu pour la gouverner4. Les évêques sont assis sur la chaire des apôtres ; leur siège est le trône


1 S. Basil., De Spirit. Sanct., § 66.
2 S. Basil., Regul. Interrogat. 229 et 288.
3 S. Basil., Epist. class. II, Epist., 134, 161. De Spirit. Sanct., §§ 39, 61.
4 S. Basil., Epist. class. I, Epist. 42 ; class. II, Epist. 161 ; 183 ; 197.

même de Dieu et ils sont les chefs du troupeau, en vertu de leur ordination.
Saint Basile ne parle des évêques que d’une manière collective, et il ne reconnaît à aucun d’eux en particulier une autorité supérieure pour le gouvernement de l’Eglise. Dans les rapports qu’il eut avec l’évêque de Rome, il ne le considérait que comme un frère orthodoxe qui pouvait, d’accord avec les évêques orthodoxes d’Occident, dont il était le coryphée, apporter le secours de leur témoignage aux orthodoxes d’Orient1. Nous ferons connaître ailleurs ses rapports avec les évêques d’Occident.
Sur toutes les questions dogmatiques, morales et disciplinaires, les œuvres de saint Basile contiennent des témoignages en faveur de l’orthodoxie, et contre toutes les erreurs des Eglises modernes d’Occident. On en remarquera un grand nombre dans les lettres que nous aurons occasion de citer.
L’ami de saint Basile, Grégoire le Théologien, n’avait pas le caractère grave et philosophique du profond évêque de Cæsarée ; mais il n’en est pas moins un des hommes les plus remarquables de l’Eglise au IVe siècle. Son génie brillant et poétique s’élevait jusqu’aux plus hautes conceptions sur les mystères divins ; c’est pourquoi on le surnomma le Théologien, par allusion à ses cinq discours théologiques contre les hérétiques de son temps.
On possède de saint Grégoire quarante-cinq discours très-éloquents et qui le placent de beaucoup au-dessus des rhéteurs les plus célèbres de l’époque, sans en excepter Libanius2. Parmi ces discours, les uns sont relatifs à ses propres actions ; dans les autres, il fait l’éloge de ses parents ou des hommes célèbres qu’il


1 Le jésuite Barruul (Du pape et de scs droits, 2e p., c. 3) a cité une lettre de saint Basile à saint Athanase comme contenant une preuve en faveur de la papauté. Il n’y a pas dans cette lettre un seul mot en faveur de la papauté. En revanche, on y lit que saint Athanase avait soin de toutes tes Eglises. Si ce mot avait été dit de l’évêque de Rome, on en abuserait en faveur de la papauté. Cependant, il ne prouve que le zèle épiscopal de celui qui l’a mérité (Epist. 69 ad Athan.) Barruel fait saint Basile évêque de Néocœsarée.
2 S. Gregor. Theol. op. Edit. Bened.

avait aimés ou admirés, comme saint Athanase d’Alexandrie et saint Basile de Cæsarée ; plusieurs sont des critiques comme les deux harangues contre Julien, dont nous avons donné précédemment l’analyse ; plusieurs sont consacrés aux grandes fêtes de l’Eglise ou aux questions théologiques.
Elevé au sacerdoce, Grégoire s’était enfui dans le Pont pour ne pas exercer un ministère qu’il trouvait trop élevé pour sa vertu1. Il se décida cependant à retourner à Nazianze, dont son père, nommé Grégoire comme lui, était évêque. Il arriva pour la fête de Pâques (362) et fit à cette occasion son premier discours ; mais peu après, il crut devoir s’excuser d’avoir abandonné l’Eglise de Nazianze où il pouvait être d’un si grand secours à son père, et fit l’apologie de sa fuite, en développant les obligations sacerdotales qui l’avaient effrayé2. Il faut lire ce discours pour avoir une juste notion de la manière dont on considérait le sacerdoce, au IVe siècle.
Nommé évêque de Sasime par saint Basile, Grégoire n’accepta que malgré lui, et dans un discours prononcé le jour de son ordination, en présence de son père et de Basile, il se plaignit de la violence qui lui était faite.
« Me voici de nouveau, dit-il3, consacré par fonction et l’Esprit ; et de nouveau je suis dans la tristesse et les larmes. »
Puis il cite des exemples de l’Ancien et du Nouveau Testament qui autorisent sa douleur.
Il craignait que la dignité épiscopale ne lui inspirât de l’orgueil, ne fût pour lui une occasion de péché. Il était effrayé en songeant aux devoirs que cette dignité imposait. Il demande en conséquence les conseils de son père et de son ami qui sont devenus ses collègues ; de son père qui, pendant sa longue existence, avait formé


1 S. Greg. Theol. orat., 1.
2 Ibid., orat., 2.
3 S. Greg. Theol Orat., 9. I.es premiers mots de ce discours montrent que l’on faisait une onction aux prêtres et aux évêques lorsqu’ils étaient ordonnés.

tant d’évêques ; de son ami qui avait été le critique et le juge de ses études philosophiques.
Grégoire ne put rester à Sasime où Anthime de Thyanes avait déjà établi un évêque, prétendant en avoir le droit depuis que sa ville épiscopale était devenue capitale de la seconde Cappadoce. Il s’enfuit donc de cette ville, dont il fait un portrait fort peu flatteur, et se cacha dans une solitude. De retour à Nazianze, il rendit compte à son père et à Basile de ce qu’il avait fait1, dans un discours où il se montre beaucoup plus épris de la vie monastique que du ministère épiscopal. La solitude fut son rêve continuel ; mais dès qu’il fut consacré évêque, il ne put réaliser ses désirs et se trouva entraîné dans une vie extérieure qui n’avait aucun attrait pour lui. Il seconda son père dans le gouvernement de l’Eglise de Nazianze, et lorsque ce vénérable patriarche fut mort, il lui paya un juste tribut d’éloges2 et continua pendant quelque temps à gouverner son Eglise.
Ce fut sans doute pendant son séjour à Constantinople qu’il prononça les cinq magnifiques discours intitulés Théologiques3. Le premier est comme un préambule dans lequel il avertit ses auditeurs qu’il ne les a point convoqués à une de ces luttes d’éloquence qui étaient dans le goût de l’époque, mais à entendre, en fidèles, la véritable doctrine sur Dieu, doctrine que l’on ne devait pas examinera l’aide de raisonnements Sophistiques, comme le faisait Eunomius, mais à la lumière divine elle-même.
Le deuxième discours traite de la théologie, c’est-à- dire de la science de Dieu4. Il invoque ce Dieu triple dans son unité, et un dans sa trinité ; il s’élève jusqu’au delà des nuages qui cachent à l’humanité la majesté divine, et avoue, avec Platon, qu’il est difficile d’avoir idée de Dieu, et qu’il est impossible de le définir exactement. Le langage humain n’est pas à la hauteur d’un tel sujet ; l’intelligence s’en rapproche-t-elle davantage, comme


1 S. Greg. Theol., Orat., 10.
2 Ibid., Orat. 12, 16 et 18.
3 Ibid., Orat. 27 et sec.
4 S. Greg. Theol., Orat., 28, 2a Theologica,

l’affirmait Platon ? Grégoire ne le pense pas : il dit a vec raison que l’intelligence peut moins avoir idée de Dieu que le langage l’exprimer. En effet, on peut exprimer l’idée d’infini, et on ne la comprend pas. Le philosophe n’a jamais pu avoir une opinion exacte sur l’essence divine. Il a dit qu’il est un être incorporel, infini, immuable. Sur toutes ces questions que de systèmes la philosophie a inventés, sans compter la honteuse idolâtrie qui déifiait les astres et d’autres êtres matériels ! De l’étude de toutes les philosophies, il faut conclure que l’homme n’a jamais aperçu qu’un faible rayon de ce foyer lumineux qui est Dieu. Il a su qu’il existait, mais il n’a pas connu son essence.
Les patriarches et les prophètes eux-mêmes n’ont point vu exactement l’essence divine, non plus que les apôtres, y compris Paul, qui fut élevé jusqu’au troisième ciel.
Est-il étonnant qu’il en soit ainsi, lorsque nous ne comprenons pas même la nature visible, ni les plantes, ni les animaux dont nous étudions les mœurs et les instincts, ni la terre, ni la mer, ni ce qu’elles renferment. Nous constatons des faits, mais nous ne comprenons ni l’essence, ni la nature des choses.
La foi seule peut faire connaître l’essence divine, triple en personnes1. Le Père qui engendre et produit, sans passion, avant le temps et incorporellement. Des deux autres personnes, l’une est le produit de la génération, l’autre de la procession. Ces mots sont incompréhensibles, mais nous savons ce que le Verbe lui-même nous a appris, qu’il y a en Dieu : « Le Non-Engendré, l’Engendré et le Procédant du Père2. »
Quand le Fils a-t-il été engendré ? Quand le Saint-Esprit a-t-il procédé ? Avant le temps, c’est-à-dire, de toute éternité. Le Père n’a jamais été sans le Fils qu’il a engendré, sans l’Esprit, qui procède de lui. Comment la


1 Ibid., Orat., 29, 3a Theologica, § 2.
2 On remarquera que saint Grégoire le Théologien ne connaît pas la Procession du Fils, dont l’Eglise romaine a l’ait un dogme. Nous trouverons même la réfutation de l’erreur romaine dans le cinquième discours théologique.

génération et la procession ont-elles pu s’effectuer sans passion ? Parce que ce sont des actes spirituels. Qu’est- ce que le Père qui n’a pas de principe ? C’est Celui dont l’essence a une origine incompréhensible et inconnue. Il a été éternellement ; le Fils et le Saint-Esprit lui sont coéternels ; ce sont là des dogmes révélés que n’ébranleront pas les sophismes de l’hérésie.
Comment le Fils a-t-il été engendré ? Si tu pouvais comprendre sa génération, elle ne serait pas bien mystérieuse. Cherche à comprendre les relations de ton âme et de ses facultés, et, en présence de ce problème insoluble pour toi, tu ne demanderas pas à comprendre les relations du Père et de son Verbe.
Grégoire réfute cependant toutes les objections ariennes sur la génération du Fils, et prouve que, un en substance avec le Père, le Fils en est distinct par son attribut personnel qui est d’être engendré. Il ne peut expliquer le mystère de l’essence divine, mais il démontre l’inanité des objections des hérétiques, lesquelles ne pouvaient être raisonnables, dès qu’elles n’étaient basées que sur des données fausses, et sur ce sophisme qui consistait à attribuer à Dieu ce qui ne pouvait convenir qu’à la créature.
Il termine ce magnifique discours en prouvant, par l’Ecriture, que le Fils est le Verbe éternel du Père. Puis, rapprochant les uns des autres les textes et les faits évangéliques, il démontre que Jésus-Christ fut Dieu et homme : « Celui qui est un homme, dit-il1, était incorporel ; il est resté ce qu’il était, il a pris ce qu’il n’était pas. En principe il était sans cause ; car qui peut indiquer quelle a été la cause de Dieu ? Mais ensuite il est né d’une certaine cause ; et cette cause, insolent hérétique, ce fut ton salut : c’est pour cela qu’il a pris ta bassesse, à toi qui le méprises et qui nies sa divinité parce qu’il s’est abaissé jusque-là ; mais cet homme qui semble inférieur à Dieu, s’est uni à Dieu, et la nature supérieure l’emportant sur l’inférieure, il a été Dieu, afin que


1 S. Greg ;. Theol. Orat. 29, 3a, Theologica, §§ 19, 20.

toi-même tu t’identifies à sa divinité autant qu’il s’est identifié à l’humanité. Il est né, mais il avait été engendré ; il est né d’une femme, mais cette femme était vierge ; de ces deux choses, l’une était humaine, l’autre divine. Sur la terre il n’a pas eu de père ; au ciel, il n’eut pas de mère. Ces deux choses étaient divines. Il fut enfermé dans le sein de sa mère, mais il y fut connu par le prophète qui tressaillit dans le sein de la sienne, à l’approche du Verbe qu’il aurait mission d’annoncer. Il fut enveloppé de langes ; mais en ressuscitant, il se débarrassa du linceul. Il fut couché dans une crèche, mais les anges célébrèrent sa naissance, une étoile l’annonça, et les Mages vinrent l’adorer. Il fut obligé de se réfugier en Egypte ; mais il mit en fuite les erreurs des Ægyptiens. Il n’avait ni éclat ni beauté aux yeux des Juifs ; mais aux yeux de David, il était le plus beau des enfants des hommes. Sur la montagne il brilla comme un éclair, et se montra plus resplendissant que le soleil, pour donner une idée de sa véritable splendeur. Il a été baptisé comme un homme ; mais, comme Dieu, il a remis les péchés et donné à l’eau se vertu sanctifiante. Il a été tenté comme un homme ; il a vaincu comme un Dieu ; il a souffert la faim, mais il a nourri des milliers d’hommes, et il est lui-même le pain céleste et vivifiant. Il a souffert de la soif, et il a dit : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et boive. Il a été fatigué ; et il est lui-même le repos pour ceux qui sont fatigués et chargés ; il fut appesanti par le sommeil, et il fut assez léger pour marcher sur la mer, commander à la tempête, et tendre la main à Pierre qui enfonçait dans les flots. Il paya l’impôt, mais trouva la pièce de monnaie dans un poisson, et il était le roi de ceux qui le lui demandaient. Il a été appelé Samaritain et démoniaque, mais il sauva le. Samaritain qui descendait par la route de Jéricho, et il mit en fuite les démons qui reconnurent sa puissance. On lui jeta des pierres ; mais on ne l’atteignit pas. Il prie, et il exauce ceux qui le prient. Il pleure, et console ceux qui pleurent. Il demande où l’on a enseveli Lazare, car il était homme ; mais il ressuscite Lazare, car il était Dieu. Il est vendu à vil prix, pour trente deniers, et, en même

temps il rachète le monde au prix inestimable de son sang. Il est conduit à la mort comme un agneau, mais il est l’agneau qui rassasie Israël et le monde tout entier. Il se tait comme un agneau, mais il est le Verbe annoncé dans le désert par la voix de celui qui était chargé de l’acclamer. Il souffrit et fut blessé, mais il guérit toute douleur et toute maladie. Il est attaché à la croix, mais il nous rend l’arbre de vie, sauve le voleur crucifié à côté de lui, et couvre la terre de ténèbres. On lui donne du vinaigré à boire et du fiel à manger. Mais quel est-il ? Celui qui a changé l’eau en vin. Il meurt, mais il garde la puissance de se redonner la vie, et le voile du temple se déchire, les rochers se fendent, et les morts ressuscitent. Il meurt, mais il donne la vie, et par sa mort, il détruit la mort. Il est enseveli, mais il ressuscite. Il descend dans l’enfer, mais il en tire les âmes et monte au ciel d’où il viendra juger les vivants et les morts. »
C’est ainsi que la divinité et l’humanité apparaissent toujours simultanément dans les actes de l’homme-Dieu, Jésus-Christ.
Dans le discours suivant1, encore consacré au Fils, saint Grégoire répond aux objections que les hérétiques tiraient des saintes Ecritures, en faveur de leur erreur contre la divinité de Jésus-Christ. Son procédé est d’expliquer l’Ecriture par l’Ecriture elle-même, et il arrive ainsi à la conclusion des deux natures divine et humaine dans la personne du Fils de Dieu incarné.
Son cinquième et dernier discours théologique est consacré au Saint-Esprit2. L’Esprit est la Sainteté ; le Père n’a jamais été sans Sainteté, non plus que sans Verbe. Les trois personnes sont donc coéternelles et ont la même essence divine. Le Saint-Esprit procède du Père ; la procession est aussi incompréhensible que la génération du Fils et l’existence du Père. Mais l’Ecriture enseigne formellement qu’il en a été ainsi3. L’attribut du Père, c’est


1 S. Greg. Theol., Orat. 30, 4a Theologica.
2 Ibid., Oral. 31, 5a, Theologica.
3 Ibid., §§ 8, 9. Saint Grégoire le Théologien réfute ici, par avance, l’erreur romaine sur la procession du Fils, erreur qu’on ne peut admettre sans attribuer au Fils ce qui fait l’attribut distinctif du Père.

qu’il n’est pas engendré ; celui du Fils, qu’il est engendré ; celui du Saint-Esprit, qu’il procède ; c’est ce qui fait qu’en Dieu un il y a trois personnes distinctes,
Le Saint-Esprit est donc Dieu ; il est consubstantiel au Père et au Fils l.
Ces vérités forment la base du discours dans lequel le saint docteur réfute avec sa profondeur et sa vivacité habituelles toutes les objections des hérétiques contre la doctrine orthodoxe.
Nous aurons occasion de citer, dans le corps de l’histoire, quelques autres discours de saint Grégoire, mais nous devons attirer l’attention sur ceux qui ont pour objet les principales fêtes de l’Eglise, à cause des renseignements disciplinaires qu’ils contiennent.
Le premier a été prononcé le jour de la Théophanie2. C’était le nom donné au jour de la naissance de Jésus- Christ. Ce jour est en effet l’apparition de Dieu dans le monde. Mais on lui donnait aussi celui de Naissance ou Noël3.
« Le Christ naît, s’écrie l’orateur, rendez-lui gloire ; il descend du ciel, accourez au-devant de lui ; le Christ est sur la terre, venez il lui. Que la terre entière célèbre le Seigneur ! ».
Il explique le but de la fête, et engage les fidèles à la célébrer d’une manière toute spirituelle. En faisant le détail de toutes les réjouissances extérieures qui accompagnaient les fêtes païennes4, et en engageant les fidèles à s’en abstenir, le saint orateur donne à penser que des chrétiens avaient transporté dans la célébration des fêtes chrétiennes, les usages du paganisme. Grégoire les engageait à les remplacer par de pieuses lectures et des actes de charité.
Après cet exorde, saint Grégoire expose le plan de Dieu dans la création et la rédemption du monde par le Verbe incarné.


1 S. Greg. Theol. Orat., 31, §10.
2 Ibid., Orat., 38.
3 Ibid., § 3.
4 Ibid., § 4.

Après Noël, première fête de l’année chrétienne, l’Eglise célébrait celle des Lumières, ou du baptême de Jésus-Christ1. La raison de cette fête était le Christ, lumière de l’intelligence, commençant à son baptême sa mission auprès de l’humanité, pour lui communiquer les lumières divines.
Le saint orateur oppose la lumière chrétienne offerte à tous, aux mystères ténébreux dans lesquels le paganisme cachait les plus honteuses immoralités2. A la place des ténèbres du paganisme, le Christ a apporté au monde la vérité, qui est l’éclat de la splendeur de Dieu. Pour se rendre dignes de la recevoir, les chrétiens doivent purifier leur cœur et se montrer les dignes disciples du Maître divin.
Le passage suivant3 fait connaître les solennités Je l’Eglise, depuis Noël jusqu’au baptême de Jésus-Christ : « Nous avons célébré avec la solennité qui convient à un si grand jour, la naissance du Christ. Nous avons suivi l’étoile et nous l’avons adoré avec les Mages ; avec les bergers nous avons été entourés de lumière, avec les anges, nous avons annoncé sa gloire divine ; avec Siméon, nous l’avons reçu dans nos bras ; avec Anna, cette vieille et chaste femme, nous l’avons reconnu. Aujourd’hui, nous avons à célébrer une autre action du Christ, un autre mystère. »
L’Eglise primitive avait fixé à certains jours de l’année, des solennités qui correspondaient à toutes les actions de la vie de Jésus-Christ. De cette manière, l’année entière était comme un mémorial de la vie du Christ, qui était toujours vivant au sein de la société chrétienne, et dont les fidèles devaient imiter les exemples.
Le but pratique de la fête des Lumières, était que le fidèle devait être comme une lumière dans le monde, brillant de la splendeur que lui communiquait la vérité4.


1 S. Greg. Theol., Orat., 39, §§1, 2.
2 Ibid., §§ 3 et seq.
3 Ibid., § 14.
4 Ibid., § 20.

Le lendemain de la fête des Lumières, les fidèles se réunissaient encore à l’Eglise. Dans une de ces circonstances, Grégoire leur adressa son discours sur le baptême1. La doctrine qu’il expose sur les effets du premier sacrement chrétien, est la même que celle que nous avons déjà tirée des autres Pères de l’Eglise.
On possède un discours de saint Grégoire pour la fête de Pâques. C’était la grande fête chrétienne ; aussi s’écrie- t-il : « Pâques du Seigneur ! Pâques ! Pâques ! je le répète trois fois à l’honneur de la Trinité ; c’est la fête des fêtes, la solennité des solennités !2 » Dans ce discours, le saint docteur traite des grandes questions dont l’Eglise était agitée.
Le premier dimanche après Pâques était appelé dimanche nouveau ; on y célébrait une fête analogue à celle que les Juifs appelaient Encœnia3, ou des Tabernacles. Grégoire, dans le discours consacré à cette solennité, engage les fidèles à se former une demeure de lumière pour y adorer Dieu.
Cinquante jours après Pâques, l’Eglise célébrait la fête de la Pentecôte. Nous avons un discours de saint Grégoire pour cette solennité4. L’objet de cette fête était la venue du Saint-Esprit5 ; le jour était donc consacré au Saint-Esprit6 ; c’est pourquoi, dans son discours, saint Grégoire expose la doctrine orthodoxe sur la consubstantialité du Saint-Esprit avec le Père et le Fils.
Le cycle des grandes fêtes chrétiennes était terminé à la Pentecôte. Dans le reste de l’année on célébrait des fêtes en l’honneur de la sainte Vierge, des apôtres et des martyrs.
Saint Grégoire, doué d’une éloquence si vive et si entraînante, avait une merveilleuse facilité pour la poésie. Lorsque Julien interdit aux chrétiens la littérature païenne, Apollinaire, comme nous l’avons rapporté, composa, pour leur usage, une foule d’ouvrages de rhéto-


1 S. Greg. Theol., Orat., 40, § 1.
2 Ibid., Oral., 43. § 2.
3 Ibid., Orat., 44.
4 Ibid., 41.
5 Ibid., § 5.
6 Ibid., § 10.

rique et de poésie ; mais cet évêque, si respectable et si savant, était tombé, par antipathie contre les Ariens, dans une erreur d’autant plus dangereuse, qu’elle semblait, au premier abord, inspirée par le respect pour le Christ, dont l’humanité, selon Apollinaire, aurait eu un caractère presque immatériel et surhumain. Il répandit cette erreur dans ses ouvrages de littérature. Grégoire eut donc un double motif en composant ses poëmes, celui de prouver que les chrétiens pourraient se passer de la littérature païenne, et aussi celui de mettre entre les mains des fidèles, des ouvrages plus orthodoxes que ceux d’Apollinaire1.
Les poëmes de saint Grégoire sont théologiques ou historiques. Parmi les premiers, les uns sont dogmatiques, les autres moraux.
Dans les poëmes dogmatiques, le vénérable écrivain expose les vérités fondamentales de la foi. Les exigences de la versification ne lui font rien sacrifier de l’exactitude orthodoxe. La Trinité et chacune des trois personnes divines ; la création du monde et la Providence qui le gouverne ; les êtres vivants et l’âme ; l’avénement de Jésus-Christ, l’Incarnation, sont les sujets d’autant de poëmes. Π énumère, dans un autre, les Livres saints de l’Ancien et du Nouveau Testament2. Pour ceux de l’Ancien, il admet le canon hébraïque ; pour le Nouveau, il mentionne les mêmes que saint Cyrille de Jérusalem et saint Athanase ; mais, comme l’évêque de Jérusalem, il n’admet pas l’Apocalypse et abandonne sur ce point l’évêque d’Alexandrie. Il raconte ensuite quelques faits de l’Ancien Testament ; les miracles et les paraboles de Jésus-Christ d’après les quatre évangélistes. Il termine ses poëmes dogmatiques par des hymnes et des prières. Ces poëmes sont au nombre de trente-huit.
Les poëmes moraux sont au nombre de quarante. La virginité, la chasteté, la vie humaine et les voies différentes qu’on y peut suivre ; le détachement des choses temporelles, l’amour de la pauvreté, le luxe des femmes,


1 S. Greg., Theoi. Epist., 101, ad Cledon.
2 Ibid., Poem. 12.

la colère, la patience, sont les principaux sujets qui y sont traités.
Dans les nombreux poëmes relatifs aux diverses circonstances de sa vie, saint Grégoire a transmis « Via postérité des renseignements historiques très-intéressants, le tableau presque journalier de ses sentiments intimes.
Huit seulement de ses poëmes historiques regardent d’autres personnes.
On possède encore de saint Grégoire des épitaphes, des épigrammes, une tragédie : le Christ souffrant. Le saint docteur s’essayait dans tous les genres, pour rendre inutile le décret de Julien, et donner à ses frères le moyen de cultiver la littérature. On ne peut qu’admirer l’étonnante facilité du saint poëte, et si ses vers ne sont pas tous aussi beaux que ceux d’Homère, ils le sont assez pour mériter d’être lus et admirés des hommes de goût.
Nous aurons occasion de citer, dans le corps de l’histoire, quelques extraits des poëmes qu’il a composés sur lui-même. Nous aurons également à citer quelques-unes de ses lettres. On en possède deux cent quarante-quatre, toutes dignes d’être lues, mais dont plusieurs ont une véritable importance historique.
Après les grands écrivains dont nous venons d’étudier les œuvres, il en est d’autres qui illustrèrent à la même époque les Eglises orientales, et dont les ouvrages furent considérés comme très-importants.
Nommons d’abord saint Amphilochios, évêque d’icône, l’ami de Basile et de Grégoire, qui entretenaient une correspondance assez fréquente avec lui. On a encore de ce grand évêque plusieurs discours sur les fêtes chrétiennes, et des homélies sur quelques passages des saintes Ecritures. Il s’était mêlé aux discussions théologiques de son temps. Saint Basile avait fait à sa demande son traité du Saint-Esprit ; il fit lui-même un ouvrage sur le même sujet et sur Dieu considéré comme Tout- Puissant et objet du culte d’adoration1.


1 Hieron., de Vir. lllust.,c. 133 ; S. Amphiloch., Op. Edit. Galland.

L’Eglise d’Alexandrie était illustrée par le docte Di- dymos, imitateur d’Origène dans l’étude des saintes Ecritures. Quoique privé de la vue dès sa jeunesse1, il apprit la dialectique et la géométrie pour lesquelles le secours des yeux est nécessaire. Libanius lui-même, le premier des rhéteurs de l’époque, admirait la science du docte Alexandrin2. Didymos composa d’innombrables commentaires sur les saintes Ecritures ; un ouvrage considérable sur la sainte Trinité ; un traité du Saint-Esprit. Il commenta le fameux livre d’Origène : des Principes. Il vécut dans un âge fort avancé et fut connu de Jérôme, qui étudia sous sa direction et à la prière duquel il composa plusieurs de ses commentaires.
Didymos avait été placé par le grand Athanase à la tête de cette école d’Alexandrie, que Pantenus, Clément et Origène, avaient rendue si célèbre. Lorsque saint Antoine sortit de son désert pour combattre Arius, il visita Didymos, et lui dit : « Ne déplore pas, Didymos, la perte des yeux de ton corps, qui peuvent voir les mouches et les cousins ; mais réjouis-toi d’avoir les mêmes yeux que les anges, qui voient Dieu et sa lumière. »
On possède encore de lui les trois Livres de la Trinité ; son traité du Saint-Esprit, traduit par Jérôme ; son livre contre les Manichéens, et des fragments d’autres ouvrages dogmatiques ; des fragments de divers commentaires ; son commentaire sur les psaumes presque en entier3.
Didymos fut un savant défenseur de l’orthodoxie contre les erreurs des Ariens et des Macédoniens. Il développe avec une philosophie égale à son érudition, les dogmes chrétiens de l’unité de substance en Dieu et de la Trinité des personnes ; de la divinité du Fils et du Saint-Esprit. Dans son traité de la Trinité4 nous ferons remarquer ce passage aussi profond qu’orthodoxe : « L’Ecriture en appelant le Saint-Esprit Esprit du Fils, a


1 Socrat., Hist. eccl., lib. IV., c. 24 ; Sozomen., Hist., eccl, lib. III, c. 15 ; Theodoret, Hist., eccl., lib. IV, c. 26. ; Hieron., de Vir. Illust., c. 109, et in div. op. ; Rufin., Hist., eccl., lib. 2, c. 7.
2 Liban., Epist. 321 ad Sebast., édit. Amstelœdam.
3 Didym. op. Fabric. Bibliotli. Grœc.
4 Ibid., de Trinit., lib. 2, c. 2.

enseigné que le Fils et le Saint-Esprit ont la même nature, et qu’il ne fallait pas regarder l’Esprit comme une créature du Fils. Comment pourrait-on dire que le Fils a procuré au Père, qui ne l’aurait pas eu auparavant, Celui qui est et qui est appelé dans les Ecritures l’Esprit de Dieu ? Ce serait non-seulement un blasphème, mais une insanité. Par ces mots : l’Esprit du Fils, il faut donc entendre : la vertu du Christ, comme ces mots : le Christ est la vertu de Dieu, et la sagesse de Dieu. Puisque ces personnes divines sont sorties du Père seul, par nature, et non par un acte créateur, elles doivent se rapporter également au Père seul1. Ne t’imagine pas que le Saint-Esprit ait eu un commencement ou qu’il aura une fin ; mais crois que, à cause de sa procession selon la nature, il est l’Esprit de Dieu, le souffle de Dieu, et non sa créature, car le Seigneur a dit dans l’Evangile de Jean : l’Esprit de vérité gui procède du Père. Il n’est donc pas créé, car la génération et la procession, dans les sujets égaux et semblables, s’opère sans qu’elles soient création ; à plus forte raison quand il s’agit de la génération et de la procession qui viennent du Père seul, conformément à l’unité de la divinité du Père lui-même. »
Dans son traité du Saint-Esprit, Didymos, pour prouver l’unité d’essence des trois personnes divines, enseigne que le Saint-Esprit est communiqué à l’homme par le Père au moyen du Fils ; que l’opération qui communique la grâce étant commune, la substance des trois personnes est la même ; et que le Saint-Esprit est envoyé aussi bien par le Père que par le Fils2.
Mais il distingue parfaitement la question de l’origine éternelle du Saint-Esprit, de sa communication à l’humanité, et son traité du Saint-Esprit est d’une orthodoxie aussi rigoureuse que son grand ouvrage sur la Trinité.


1 Επειδή γάρ έκ τοϋ ένο’ς Ιΐατροσ φύσει, και ου δημιουργική ένεργει’γ, προήλΟον αί μακάριαι υποστάσεις αυται, εις τόν αυτόν ενα ανάγονται. Le savant Didymos réfutait ainsi à l’avance non-seulement l’hérésie de l’Eglise romaine sur la procession du Saint-Esprit, mais les arguties de ses théologiens en faveur de celle hérésie.
2 Didym., de Spirit. Sanct., §§ 17, 22.

Didymos vécut sous les deux successeurs d’Athanase sur le siège d’Alexandrie, Pierre II et Timothée. Ces deux évêques sont comptés parmi les écrivains ecclésiastiques. On possède du premier des fragments d’une lettre aux évêques d’Ægypte. Il y prend la défense de ceux qui furent exilés pour la foi sous Valens. On a du second des réponses canoniques et une lettre à Diodore de Tyr.
Nous avons déjà nommé les deux Maearios d’Ægypte et d’Alexandrie, qui publièrent à la même époque plusieurs ouvrages. On possède du premier des lettres, des prières, des sentences, des homélies et des traités de morale. On a de Macarios d’Alexandrie des sentences et un sermon.
Ces deux illustres moines1 à cause de leur vertu éminente etde leur capacité, jouirent d’une grande influence en Ægypte et en Thébaïde pendant le quatrième siècle, et les écrivains de cette époque et des siècles postérieurs témoignèrent pour leurs ouvrages la plus haute estime, et pour leur sainte vie la plus grande admiration.
L’Eglise d’Ægypte était illustrée à la même époque par d’autres écrivains remarquables : Orsiesius et Pa- chomius, abbés du monastère de Tabenne2 ; Sérapion, évêque de Tmuis, l’ami du grand Athanase et de saint Antoine3 et les saints moines, Antoine le Grand4, Théodore5, Sérapion et Paphnutius6, Isaïe7, et Evagre qui était venu du Pont, s’ensevelir dans le désert de Scété8.


1 Mac. Ægypt. et Mac. Aiexandr. op. Edit. Mign. ; Patrolog. Græc. t. XXXIV ; Pallad., Hist. Lausiac.
2 On a d’Orsiesius un ouvrage : de l’Institution des moines, et de saint Pachomius la règle monastique dont nous avons déjà parlé.
3 Cet évêque écrivit un livre contre les Manichéens et un autre sur les titres des Psaumes ; deux de ses lettres ont été conservées ; elles sont adressées, la première à l’évêque Eudoxius, la seconde aux moines d’Alexandrie. Il avait mérité le titre de scholastique, c’est-à-dire, de savant professeur.
Hieron. de Vir. Illust. c. 99.
4 On a recueilli de saint Antoine, des lettres, des discours, des sentences et règlements.
5 On possède de l’abbé Théodore une circulaireaux monastères sur la Pâque.
6 Sérapion et Paphnutius firent une règle monastique.
7 Isaïe composa des discours, des sentences et des règlements monastiques.
8 Evagre composa également des sentences, des règlements et quelques opuscules théologiques.
Tous les ouvrages de ces écrivains ægyptiens ont été recueillis dans la Bibliothèque des Pères de Gallandi.

Dans les Eglises d’Orient se distinguaient : Diodore, évêque de Tarse, savant commentateur des Ecritures1 ; Philon et Triphillius, évêques en Chypre2 ; Astérius, évêque d’Amasée, dont on possède un grand nombre d’homélies3 ; Némésius, évêque d’Emèse, auteur d’un traité de la nature de l’homme4 ; Eusèbe, évêque de la même ville d’Emèse, écrivit de très-nombreux ouvrages contre les hérétiques et sur les saintes Ecritures5. Son éloquence lui avait fait une immense réputation. Hiéronyme, prêtre de Jérusalem, qui écrivit plusieurs ouvrages théologiques et particulièrement un Dialogue entre un juif et un chrétien sur la sainte Trinité ; de l’effet du baptême ; de la croix6. Nommons encore Théodore, évêque d’Hé- raclée en Thrace qui composa d’élégants commentaires sur plusieurs livres des saintes Ecritures7.
L’Eglise syriaque possédait au quatrième siècle un diacre qui a toujours passé pour un des plus éminents entre les Pères de l’Eglise. Il se nommait Ephrem. Les plus grands évêques s’honoraient des relations qu’ils avaient avec lui, et les plus savants, comme saint Basile, admiraient sa science. Il a écrit des ouvrages en syriaque8, et ils étaient si estimés qu’on les lisait dans les Eglises après la sainte Ecriture. Quoique diacre, il vivait dans la solitude, et Palladius le nomme avec saint Sabas comme les plus illustres moines de Mésopotamie. Théodoret le nommait la lyre du Saint-Esprit, et le canal par lequel les eaux de la grâce coulaient sur les Syriens. Sozomène constate que, sans avoir étudié dans sa jeunesse, Ephrem devint si habile dans l’art d’écrire, qu’il surpassa


1 Ap. Fabric., Biblioth. græc., Hieron., de Vir. Illust., c. 119.
2 Ap. Galland. Biblioth. Pat. Jérôme (de Vir. Illust., c : 92) dit que Tryphillius était l’homme le plus éloquent de Chypre, et qu’il composa un commentaire sur le Cantique des cantiques.
3 Ap. Fabric. Biblioth. græc. Il faut le distinguer de l’arien Asterius dont parle Jérôme, de Vir. Illust., c. 9.
4 Ap. Galland., Biblioth. Pat.
5 Hieron., de Vir. Illust., c. 91.
6 Ap. Galland., Biblioth. Pat.
7 Hieron., de Vir. Illust., c. 90.
8 Hieron., de Vir. Illust., c. 115. Pallad., Hist. Laus., Theodoret.
Epist. 145 ; Hist. eccl., lib. IV, c. 26 ; Sozom., Hist. eccl., lib. III, c. 16.

les écrivains grecs eux-mêmes. Si l’on traduit ceux-ci en syriaque, dit-il, ils perdent aussitôt avec leur style leur valeur réelle ; tandis que ceux d’Ephrem traduits en grec, conservent toutes leurs beautés originales. Il fit école en Syrie et ses principaux disciples furent Abba, Zenobius, Habraam, Maras et Syméon, dont les écrites étaient fort appréciés dans l’Eglise syriaque. L’usage s’était maintenu dans cette Eglise, de lire les poésies philosophiques d’Harmonius, fils du fameux hérétique Bardesanes. Dans ces poésies les fidèles puisaient des idées qui n’étaient pas strictement orthodoxes. Ephrem se rendit si habile dans la versification, qu’il égala Harmonius et que les Syriaques chantèrent ses poésies orthodoxes.
Ephrem n’était pas moins remarquable par ses vertus que par son génie. Son humilité surtout était extraordinaire. Un jour on le vint chercher dans son désert pour l’élever à l’épiscopat. Il courut aussitôt sur la place publique où il contrefit si bien le fou, qu’on abandonna le projet de l’élire. Il profita de la liberté qui lui fut laissée pour aller se cacher dans une solitude d’où il ne sortit qu’après avoir appris qu’un autre avait été choisi pour évêque.
Les œuvres de saint Ephrem ont été publiées en syriaque, en grec et en latin1. On y admire surtout un style brillant, des sentiments pleins d’ardeur et de vivacité. Après ce que nous avons cité des Pères grecs sur les erreurs d’Arius et de Macedonius, nous ne pourrions emprunter rien d’important à saint Ephrem, qui a attaqué les hérétiques plutôt avec éloquence qu’avec philosophie. Dans ses ouvrages de polémique, il a été orthodoxe ; dans ses discours moraux et ses ouvrages de piété, il s’est montré plein d’ardeur pour les vertus chrétiennes et pour la perfection de la vie monastique.
Tous ses ouvrages sont empreints d’une foi vive, ardente. Son style figuré, selon l’usage oriental, est souvent admirable, toujours élevé.
Ce qu’on a publié de ses ouvrages ne dément point


1 S. Ephrem., οp. Edit. Assemani, Romæ, 6 v. in-folio.

les éloges qui lui ont été donnés dans l’antiquité. Il fut surtout poëte, et tous ses ouvrages rappellent le mot de Théodoret, qu’il fut la lyre du Saint-Esprit.
Les Eglises occidentales n’égalaient pas, au quatrième siècle, les Eglises orientales, sous le rapport du génie et de la science ; cependant, elles avaient fait de grands progrès ; au quatrième siècle, elles possédaient quelques écrivains qui pouvaient rivaliser avec les meilleurs de l’Orient, et une foule d’autres qui n’étaient pas sans mérite.
Nous avons déjà parlé de Julius, évêque de Rome, d’Osius de Cordoue1, de Phœbadius, évêque d’Agen2, d’Eusèbe, évêque de Verceil3. Ces écrivains n’étaient certes pas sans mérite. Il faut en dire autant de Victorinus qui écrivit comme Phœbadius contre les Ariens.
Victorinus était Africain d’origine. Il se rendit à Rome où il acquit beaucoup de réputation comme professeur. Il était d’abord païen. Converti au christianisme, il défendit la foi contre l’arianisme qui essayait de faire des prosélytes en Occident. Ses ouvrages ne sont pas remarquables par la profondeur de la doctrine ; on sent que l’auteur était plutôt littérateur que théologien. On a de lui des ouvrages contre les Manichéens et contre les Ariens ; des commentaires sur plusieurs épîtres de saint Paul4.
A la même époque, Firmicus Maternus s’attaquait au paganisme et Philastrius aux hérésies5 ; les prêtres Faustinus et Marcellinus défendaient la grande doctrine de la Trinité, si obstinément attaquée par toutes les sectes ariennes6.


1 Nous avons cité dans le corps de l’histoire, les lettres authentiques d’Osius et de Julius. Elles font le plus grand honneur à ces saints évêques.
2 Nous avons cité ailleurs l’ouvrage composé par Phœbadius après le concile de Rimini.
3 Eusèbe de Verceil avait traduit les commentaires d’Eusèbe de Cæsarée sur les Psaumes ; on n’a de lui que quelques lettres. On a publié un manuscrit des Evangiles écrit par lui. Voir le t. XII de la Patrologie latine de Migne et la bibliothèque des Pères de Gallandi.
4 Voir le t. VIII de la Patrologie latine.
5 Pour les ouvrages de ces deux écrivains, v. let. XII de la Patrologie latine
6 Voir Patrologie latine, t. XIII.

Mais celui qui défendit en Occident l’orthodoxie avec le plus de profondeur, fut incontestablement le grand Hilaire de Poitiers, surnommé l’Athanase de l’Occident.
Nous avons déjà parlé de ce grand homme et de ses ouvrages contre Constantius ; nous avons cité souvent les fragments de son ouvrage historique sur l’arianisme.
Nous devons nous arrêter à son grand travail sur la Trinité, digne d’être placé à côté des plus beaux ouvrages d’Athanase, de Basile et de Grégoire le Théologien.
Le traité de la Trinité est divisé en douze livres1.
Dans le premier2, Hilaire examine les systèmes philosophiques sur Dieu ; il place en parallèle la doctrine chrétienne tirée des livres de l’Ancien et du Nouveau Testament ; principalement de l’Evangile de saint Jean, et conclut que la révélation seule peut donner satisfaction à l’intelligence. Cependant, la doctrine révélée dépasse l’intelligence, on doit donc l’accepter sans avoir la prétention de la comprendre. Ceux qui ont eu cette prétention sont tombés dans l’hérésie, parce qu’ils ont voulu rapetisser la doctrine divine jusqu’aux dimensions de leur intelligence bornée. De là toutes les hérésies qui se sont attaquées à la nature divine. Parmi elles, deux surtout furent importantes, celles de Sabellius et d’Arius. Hilaire entreprend leur réfutation à l’aide de l’Ecriture, qu’il veut accepter dans toute sa rigoureuse exactitude, et il prie Dieu de le soutenir dans ce travail.
La notion de la Trinité3 est donnée au fidèle avec le baptême. Ce sacrement est en effet donné au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. On devrait accepter purement et simplement cette notion. Mais il en est qui veulent comprendre l’essence divine. Comment ne voient- ils pas qu’ils sont entourés de mystères ? S’ils ne peuvent comprendre les choses les plus ordinaires qui sont à leur portée, comment peuvent-ils prétendre comprendre Dieu ?


1 S. Hilarii Pictaviensis opera., Edit. Bened.
2 S. Hilar. de Trinit., lib. 1
3 Ibid., lib. 2.

Le Père, d’après les Ecritures, c’est l’être spirituel, infini, étemel, existant par lui-même1. Le Fils, c’est le Verbe de Dieu, engendré de toute éternité et qui n’a qu’une même essence avec le Père2. Cette génération est un mystère incompréhensible, mais il est révélé ; l’Ecriture nous enseigne que le Fils est la vie venant de la vie, Dieu venant de Dieu ; qu’il a la même essence que le Père et qu’il n’altère en rien l’idée de l’unité divine. L’Ecriture confond les hérétiques, Sabellius aussi bien qu’Arius. Son témoignage divin est plus fort que toutes les objections.
Quant au Saint-Esprit3, la question, à l’époque où écrivait Hilaire, n’était pas encore agitée comme elle le fut depuis. Il n’en parle donc qu’avec la plus extrême réserve et ne mentionne que son union avec le Père et le Fils et sa mission dans le monde.
Le troisième livre est consacré à la génération étemelle du Verbe et à son unité personnelle avec l’humanité. Dans le quatrième livre, Hilaire expose la doctrine du consubstantiel et réfute le système d’Arius ; il continue cette réfutation dans les cinquième, sixième et septième et établit que la vérité enseignée par l’Eglise est aussi éloignée des systèmes d’Arius et de Photinos que de ceux de Sabellius.
Dans le huitième livre, le saint docteur enseigne que le Fils, unique en substance avec le Père, s’est incarné pour nous racheter et a établi le mystère eucharistique pour que sa chair et son sang fussent communiqués aux fidèles4.
Il revient, dans ce livre, sur les relations du Saint-Esprit avec le Père et le Fils. Le Saint-Esprit, dit-il, procède du Père ; il est envoyé par le Fils5. C’est du Fils


1 S. Hilar. De Trinit., lib. 2, § 7.
2 Ibid., §§ 8 ad 28.
3 Ibid., §§ 29 et seq.
4 S. Hilar. Pictav., de Trinit., lib. 8, §§ 13 et 14.
5 Ibid., § 20. On doit remarquer que saint Hilaire est très-explicite sur ce point : que le Saint-Esprit ne procède que du Père. Il ne veut donc point enseigner que le Fils participe à l’attribut personnel du Père, lorsqu’il dit que le Saint-Esprit vient du Père par le Fils. (Lib. 12, §§ 55, 56.) Il ne considérait le Saint-Esprit que par rapport à sa mission qu’il tient en effet du Père par le Fils.

qu’il prend sa mission, la vérité et la grâce qu’il communique.
Sur ce point important, la doctrine était la même en Occident et en Orient. Les mots : Esprit du Fils, et tout ce qui est dit dans les Ecritures sur les relations du Fils et du Saint-Esprit, ne signifient que l’unité d’essence entre eux et avec le Père, et la mission ad extra, et non pas l’origine éternelle du Saint-Esprit, car cette origine il ne la tenait que du Père par procession1.
Dans le livre neuvième, Hilaire répond aux objections que tiraient les Ariens de quelques textes mal interprétés de l’Ecriture. Dans le dixième, il explique les actions du Christ et prouve qu’à côté de celles qui mettent son humanité en évidence, il en est d’autres qui démontrent sa divinité ; de sorte que dans la personne divine du Christ, il y a les deux natures divine et humaine. Il continue dans les onzième et douzième ses explications sur le même sujet, en réfutant toutes les objections des Ariens.
Tel est le grand ouvrage de saint Hilaire de Poitiers sur la Trinité.
Ses autres ouvrages théologiques ont un caractère spécialement historique ; nous les avons cités trop souvent pour que nous ayons à les faire connaître ici.
On possède de saint Hilaire deux grands ouvrages exégétiques : ses Traités sur les Psaumes, et son Commentaire sur l’Evangile de saint Matthieu.
Un passage de ce commentaire relatif à la confession que fit saint Pierre de la divinité de Jésus-Christ, a fourni à certains écrivains latins l’occasion de prétendre que saint Hilaire a professé une doctrine favorable à la papauté. Il est certain que le saint docteur, dans ses commentaires sur saint Matthieu et sur les Psaumes, applique à saint Pierre le mot de pierre de l’Eglise et l’en considère comme le fondement2.
Mais dans son livre sur la Trinité, il reconnaît que


1 S. Hilar. de Trinit., lib. 8, §§ 21 et seq.
2 S. Hil. de Poit., Comment, sur te ch. XVI de S. Matth. et sur le Psaume CXXXI, § 4.

c’est sur la pierre de sa confession, c’est-à-dire sur la divinité de Jésus-Christ que l’Eglise est bâtie1. « Il n’y a, ajoute-t-il2, qu’un fondement immuable, c’est cette unique pierre confessée par la bouche de Pierre : « Tu es le Fils du Dieu vivant ; » elle soutient sur elle autant d’arguments de la vérité que la perversité pourra agiter de questions, et l’infidélité de calomnies. »
Il est évident que le saint docteur n’entend ici que l’objet de la confession de foi de saint Pierre, c’est-à-dire la divinité de Jésus-Christ. Si l’on prétendait qu’il a entendu sa foi subjective, c’est-à-dire son adhésion, et que les évêques de Rome auraient hérité de cette foi indéfectible, il suffirait de rappeler cet anathème du même Père à l’adresse du pape Liberius qui avait faibli dans la confession de la divinité de Jésus-Christ : «Je t’ai dit anathème, à toi, Liberius, et à tes complices. Je te dis de nouveau anathème ; je te le dis une troisième fois, à toi, Liberius, prévaricateur. »
Donc, d’après saint Hilaire de Poitiers, si saint Pierre peut être considéré comme la pierre de l’Eglise, ce n’est qu’au moyen de la confession de foi qu’il a faite au nom de tout le collège apostolique, et par l’objet même de cette foi qui est la divinité de Jésus-Christ. Sa doctrine est ainsi conforme à celle des autres Pères qui n’ont appliqué qu’en ce sens à saint Pierre lui-même le titre de la pierre de l’Eglise. Si l’on ajoute que ce Père et d’autres ne donnent même pas à entendre que ce titre appartienne aux évêques de Rome, et que leur enseignement est même tout à fait opposé à cette opinion, on conviendra que ce n’est que par un étrange abus de quelques-unes de leurs paroles, prises isolément et à contre-sens, que les théologiens latins ont cherché à étayer l’autocratie papale sur leur témoignage.
La doctrine d’Hilaire sur l’épiscopat et sur la constitution de l’Eglise, exclut absolument l’idée d’un évêque supérieur aux autres, et d’une autorité monar-


1 S. Hil. de Poil., de Trinit, liv. 6, ch. 36.
2 Ibid. liv. 2, ch. 23.

chique. Il reconnaissait que le siège de Rome était le premier siège épiscopal de l’Eglise, à cause de ses fondateurs Pierre et Paul, et à cause de l’importance de la capitale de l’empire où il était établi. Mais il ne faisait pas de cette primauté honorifique et purement ecclésiastique, une autorité divine.
Les ouvrages de saint Hilaire sont certainement bien inférieurs, au point de vue littéraire, à ceux des Athanase et des Basile ; ils ont quelque chose de rude qui rappelle Tertullien. Mais ils n’en sont pas moins d’une très-haute importance historique et doctrinale. L’Eglise de France n’avait pas encore produit un écrivain d’une pareille valeur dont la place est marquée parmi les Pères les plus illustres.
Parmi les écrivains que possédait l’Occident à la, même époque, nous nommerons Zénon, évêque de Vérone1 ; Optatus, évêque de Milève2 ; Damasus qui fut élevé sur le siège de Rome après Liberius (366). Nous aurons occasion de mentionner plusieurs actes importants de cet évêque de Rome et de citer ses lettres. Outre ces lettres, il écrivit des poésies à l’honneur de Jésus- Christ et de quelques saints3.
Nous avons analysé ailleurs les principaux ouvrages de Lucifer de Cagliari, un des écrivains les plus importants d’Occident, au IVe siècle. Nous avons dit qu’il fut l’auteur d’un schisme. Parmi ses adhérents, on cite le prêtre Faustinus qui écrivit contre les Ariens4.
Pacianus, évêque de Barcelone, illustrait l’Eglise d’Espagne à la même époque. On a de lui plusieurs lettres, une exhortation à la pénitence, un discours sur le baptême5.


1 On possède de Zénon de petits traités sur diverses questions dogmatiques et morales ; sur plusieurs chapitres des Ecritures ; de petits discours aux catéchumènes et aux néophytes nouvellement baptisés. S. Zenon, op. Edit. Ballerin.
2 Optatus a écrit un ouvrage divisé en sept livres intitulé : du Schisme des Donatistes. Nous l’avons déjà cité et nous aurons encore occasion de nous servir de cet important ouvrage historique. S. Optât. Milev. op. Edit. Ellies du Pin.
3 S. Damasi op. Edit. Galland, in Biblioth. Pat.
4 Aρ. Galiand., Biblioth. Pat.
5 S. Pacian. Barcilon. op. ap. Galiand., Biblioth. Pat.

L’Eglise d’Espagne avait déjà produit le poëte Juvencus dont nous avons parlé précédemment. Outre son histoire évangélique versifiée, Juvencus avait écrit, aussi en vers, un livre sur la Genèse, et un poëme à la louange du Seigneur. D’autres poëtes chrétiens méritent d’être mentionnés. Sédulius, sous le titre de Poëme paschal, écrivit cinq livres sur les actions de Jésus- Christ. Il composa aussi un poëme de l’Incarnation et quelques autres poésies chrétiennes.
Ausonius, célèbre rhéteur, professait la littérature à Bordeaux, dans les Gaules où il jouissait d’une grande célébrité. Ses poésies n’ont pas un grand intérêt au point de vue religieux. Un autre rhéteur, Severus, a laissé un poëme sur la puissance du signe de la croix1.
Mais l’écrivain qui fut incontestablement le plus célèbre d’Occident, au IVe siècle, avec saint Hilaire, fut saint Ambroise, évêque de Milan. Nous exposerons plus tard les principales actions de sa vie.
On peut diviser ses œuvres en trois groupes : les ouvrages exégétiques ; les ouvrages théologiques, et ses lettres2.
Comme saint Basile, saint Ambroise expliqua l’œuvre des six jours ou Hexaéméron ; commenta les récits bibliques sur les patriarches ; quelques psaumes ; le Cantique des Cantiques, et l’Evangile selon saint Luc. On peut rattacher au groupe des ouvrages exégétiques les cinq livres de la ruine de Jérusalem.
Parmi les ouvrages théologiques, plusieurs ont une grande importance pour nous faire connaître la vie intime de l’Eglise.
En tête de ces ouvrages, nous rencontrons les trois livres des devoirs. Ils forment comme un traité de morale philosophique et religieuse.


1 Les œuvres des poëtes chrétiens occidentaux se trouvent réunies dans le t. XIX de la Patrologie latine.
2 S. Ambros. op. Edit. Bened. Nous ne pouvons analyser les ouvrages exégétiques de saint Ambroise. Nous remarquerons seulement que son ouvrage sur l’Hexaéméron, quoique moins profond que celui de saint Basile, mérite d’être étudié. Il profite souvent de l’ouvrage de saint Basile sur le même sujet ; mais il n’accepte pas toutes les opinions du grand évêque de Cæsarée.

Le devoir est l’accomplissement du bien ; le bien a sa raison d’être en Dieu, et les philosophes n’en ont pas présenté une notion exacte. Partant de cette idée primordiale, le saint docteur entre dans le détail des devoirs que l’homme doit accomplir depuis son adolescence jusqu’à sa mort, selon les états divers où il se trouve. Ce n’est que par la pratique du vrai, du beau et du bien que l’on peut arriver au bonheur, à ce qui est véritablement utile.
Cet ouvrage de morale ne renferme pas de renseignements historiques assez importants pour être indiqués.
Les trois livres des vierges ; le livre des veuves ; le traité de la virginité, celui de la virginité perpétuelle de la Vierge Marie ; l’exhortation à la virginité et le traité de la chute d’une vierge consacrée, méritent de fixer l’attention de l’historien.
C’est en effet au quatrième siècle que la pratique du célibat chrétien prit une plus grande extension que par le passé.
Dès l’origine, on rencontre dans les annales de l’Eglise des vierges et des veuves consacrées à Dieu, qui se rendaient utiles aux Eglises et aux pauvres. Lorsque la vie monastique eut pris un plus grand développement, au quatrième siècle, le célibat devint plus commun ; des moines furent élevés à l’épiscopat et favorisèrent les nouvelles tendances. Quelques Eglises, comme celle de Rome, imposèrent même le célibat aux évêques, aux prêtres et aux diacres. Des abus nombreux résultèrent de cette ferveur que le premier concile œcuménique n’avait pas jugé à propos d’encourager ; mais à l’époque où saint Ambroise composait ses ouvrages en faveur de la virginité, ces abus n’existaient pas encore. On peut croire que les ouvrages de saint Ambroise contribuèrent beaucoup à répandre le zèle pour le célibat, car le saint évêque de Milan jouit d’une grande influence dans les Eglises occidentales.
Il dédia ses trois livres des vierges à sa sœur Marcellina, qui avait conservé sa virginité. Il fait du célibat

l’éloge le plus pompeux1, mais il a soin d’avertir qu’il doit être observé librement et ne pas être imposé2. Il propose aux vierges les exemples les plus saints pour leur faire comprendre l’élévation et la pureté de leur état3. S’adressant enfin à sa sœur Marcellina, il lui rappelle le discours que lui avait adressé Liberius, le jour où il la consacra vierge dans l’église de Saint-Pierre, à la fête de la naissance du Sauveur. Ambroise avait conservé pour Liberius une grande vénération, et il l’appelle Liberius de sainte mémoire4. Cet évêque de Rome avait faibli dans les discussions de l’arianisme ; mais on rendait justice à ses vertus, Le discours qu’il avait adressé à Marcellina était fort pieux, et Ambroise le commenta pour apprendre à sa sœur comment elle devait mettre en pratique les conseils qui y étaient contenus.
Les veuves étaient comme les vierges consacrées à Dieu. Saint Ambroise leur enseigne dans un ouvrage spécial, les vertus qu’elles devaient pratiquer5.
Ses autres livres sur la virginité, sont des exhortations à la pratique du célibat ; il développe tous les motifs qui pouvaient y engager, et cherche dans l’Ecriture tout ce qui pouvait être favorable à ses vues.
Le livre des Mystères est important au point de vue historique. Saint Ambroise donnait le titre de Mystères aux rites sacrés que l’on désignait aussi sous le nom de sacrements. Il traite dans ce livre du baptême et des deux autres mystères auxquels participaient les néophytes : la confirmation et l’eucharistie. Voici les principaux rites qu’il mentionne :
Le catéchumène était d’abord touché par l’évêque qui prononçait les paroles : Ephpheta, c’est-à-dire, sois ouvert, en mémoire du miracle du sourd-muet guéri par Jésus-Christ6. L’évêque ou grand-prêtre était assisté, dans l’administration du baptême, par un prêtre et un


1 S. Ambros., de Virginit., lib. I, cc. 3 et seq.
2 Ibid., cc. 6, 7.
3 Ibid., lib. II.
4 Ibid., lib. III, c 1.
5 S. Ambros., de Viduis.
6 S. Ambros., de Mysteriis, cc. 1 et 2.

diacre. Après avoir prononcé l’Ephpheta, l’évêque introduisait le catéchumène dans le baptistère que saint Ambroise appelle saint des saints, ou sanctuaire de la régénération. Là, on le faisait tourner vers l’orient, afin qu’il se trouvât pour ainsi dire en face de Jésus-Christ, et il renonçait à Satan et à ses œuvres.
Pendant ce temps les clercs préparaient l’eau dans le baptistère1 et l’évêque la consacrait. Le catéchumène était comme enseveli dans l’eau par l’immersion, et avec lui toutes ses fautes étaient ensevelies.
Mais avant de descendre dans la piscine, il professait sa foi en la Trinité2 ; il ne disait pas je crois dans le plus grand, le moins grand et le dernier, mais je crois au Père, au Fils et au Saint-Esprit, de la même foi.
Lorsque le catéchumène était sorti de la piscine3, l’évêque lui faisait une onction avec de l’huile parfumée ; puis lui lavait les pieds. Le symbolisme de ce dernier rite était que le fidèle devait enlever de son âme la plus légère souillure.
Le catéchumène était ensuite couvert de vêtements blancs4, qui signifiaient la pureté de la vie nouvelle qu’il devait mener. « Puis il recevait le cachet de l’Esprit, l’esprit de sagesse et d’intelligence, l’esprit de conseil et de vertu, l’esprit de science et de piété, l’esprit de la sainte crainte : le Père t’a scellé, le Christ t’a confirmé, et a donné à ton cœur le don du Saint-Esprit, »
La coutume de l’Occident comme de l’Orient était de conférer la confirmation après le baptême.
Après avoir reçu ce sacrement, le néophyte s’avançait vers l’autel5, en disant : « J’irai vers l’autel de Dieu, du Dieu qui réjouit ma jeunesse. »
Le Psaume quarante-deuxième commence encore la liturgie occidentale.
En parlant des dons eucharistiques, saint Ambroise a soin de dire qu’il ne faut pas en juger d’après les yeux ;


1 S. Ambros., de Myst., c. 5 ;
2 Ibid., c. 5.
3 Ibid., c. 6.
4 Ibid., c. 7.
5 Ibid., c. 8.

car les choses invisibles ne peuvent pas être aperçues par eux. Le pain qui est reçu, dit-il, c’est le corps du Christ ; et le vin est le sang du Christ1.
« Peut-être, dit saint Ambroise2, tu me diras : Je vois autre chose, comment peux-tu m’affirmer que je recevrai le corps du Christ ? Je dois donc te prouver qu’il en est ainsi. A quels grands exemples aurai-je recours, pour prouver que ce que tu vois n’est pas tel que la nature l’a formé, mais tel que la bénédiction l’a consacré ; que la force de la bénédiction est plus puissante que celle de la nature, puisque la nature elle-même est changée par la bénédiction. »
Peut-on exprimer plus clairement la doctrine orthodoxe sur la présence réelle ? Après avoir cité des exemples bibliques pour prouver que la bénédiction est plus puissante que la nature, saint Ambroise ajoute3 :
« Le Seigneur Jésus nous dit lui-même : ceci est mon corps. Avant la bénédiction des paroles célestes, il nomme un autre objet ; après la consécration, c’est le corps qui est désigné. Il s’est exprimé de la même manière au sujet de son sang. Avant la consécration, il désigne un autre objet qu’il appelle son sang après la consécration. Et toi, tu réponds : Amen, c’est-à-dire, c’est vrai. »
Ce passage prouve que les paroles de l’institution eucharistique étaient prononcées à haute voix dans l’ancienne liturgie occidentale, comme dans celles des Eglises d’Orient. Le fidèle répondait Amen, lorsque le prêtre avait récité les paroles relatives au corps ; et il répondait par le même mot, aux paroles relatives au sang4.
A la fin de son traité, saint Ambroise mentionne l’invitation que fait l’Eglise aux fidèles de s’approcher de l’autel, pour participer à la nourriture divine. Cette nourriture n’est, pas corporelle, dit-il, elle est spiri-


1 S. Ambros., de Myst., c. 8, §§ 47, 48.
2 Ibid., c. 9, § 50.
3 Ibid., § 54.
4 C’est ce qui a lieu encore dans l’Eglise orientale. L’Eglise latine a change l’ancien usage ; le prêtre dit à voix basse les paroles de l’institution et le fidèle ne peut plus répondre Amen, en signe de foi.

tuelle1. En croyant à la réalité, l’ancienne Eglise n’était pas tombée dans ce matérialisme absurde qui fit tant de bruit en Occident, pendant le moyen âge. Ce qui est spirituel n’en est pas moins réel. Dans l’Eucharistie on reçoit le corps et le sang du Christ ; mais le corps de Dieu est spirituel, ajoute le saint docteur, le corps du Christ est le corps de l’Esprit, car le Christ est Esprit2.
Dans son livre des Sacrements, saint Ambroise a traité les mêmes sujets que dans son livre des Mystères. Les deux mots, comme nous l’avons remarqué, signifiaient également les rites divins conférés par l’Eglise.
Nous y rencontrons quelques détails de plus que dans le livre des Mystères. Saint Ambroise en mentionnant l’attouchement du prêtre, l’appelle le Mystère de l’apertion3, en souvenir de l’action de Jésus-Christ, ouvrant les sens du sourd-muet ; il dit que le prêtre touchait les oreilles et les narines du catéchumène.
Quand le prêtre demandait au catéchumène de renoncer à Satan, il lui disait : « Renonces-tu au diable et à ses oeuvres ? » Le catéchumène répondait : J’y renonce. Le prêtre reprenait : Renonces-tu au monde et à ses voluptés ? Le catéchumène répondait : J’y renonce4.
Voici comment saint Ambroise décrit l’administration du baptême5 :
« On t’a demandé : Crois-tu en Dieu Père Tout-Puissant ? Tu as répondu : J’y crois ; et tu as été plongé dans l’eau, c’est-à-dire, enseveli. On t’a demandé encore : Crois-tu à notre Maître Jésus-Christ et à sa croix ? Tu as répondu : J’y crois, et tu as été plongé dans l’eau ; car celui qui a été enseveli avec le Christ, ressuscite avec le Christ. On t’a


1 S. Ambras, de Myst., § 58.
2 Les protestants ont abusé de ces expressions dont les Pères se sont servis pour exclure toute idée matérielle de l’Eucharistie ; ils ont prétendu qu’elles excluaient la réalité. S’ils les avaient rapprochées des textes où cette réalité est enseignée si explicitement, ils les auraient mieux comprises et auraient vu qu’elles ne favorisaient point le système calviniste, mais condamnaient seulement le matérialisme eucharistique, soutenu par quelques théologiens latins.
3 Mysteria apertionis. De Sacrament., lib. I, c. 1.
4 S. Ambras., de Sacrament., lib. I, c. 2, § 5.
5 S. Ambras., de Sacrament., lib. II, c. 7, g 20.

fait cette troisième demande : Crois-tu au Saint-Esprit ? Tu as répondu : J’y crois, et tu as été plongé dans l’eau une troisième fois, afin que ta triple confession effaçât tous les péchés de ta vie passée. »
Saint Ambroise compare cette triple confession à celle que Jésus-Christ exigea de saint Pierre, avant de lui pardonner son triple reniement1.
Lorsque le néophyte était sorti de la piscine, le souverain prêtre (ou de simples prêtres, car ils pouvaient également remplir ce ministère, dit saint Ambroise) se ceignait d’un linge et lui lavait les pieds, pour signifier l’extrême pureté qu’il devait conserver après le baptême2.
Aussitôt après on conférait la confirmation.
Saint Ambroise appelle la confirmation comme les Grecs Μύρον, mot qu’il traduit en latin par le mot unguentum, parfum3. L’huile parfumée était répandue sur la tête du nouveau baptisé, parce que la tête est considérée comme l’organe de la sagesse, et que la sagesse humaine a besoin du secours de la grâce.
Pour administrer la confirmation, le prêtre4 joignait à l’onction l’invocation au Saint-Esprit sous les sept qualifications qui lui sont données dans les Ecritures.
Lorsque saint Ambroise en est arrivé à la communion que recevait le nouveau baptisé, il n’est pas moins explicite que dans le livre des Mystères, sur la présence réelle. Les fidèles apportaient eux-mêmes du pain ordinaire pour être consacré5. Partant de cet usage, le saint docteur s’exprime ainsi6 : « Tu dis peut-être : Mon pain est du pain ordinaire. Oui, mais ce pain n’est du pain


1 S. Ambros., § 21. Telle était l’interprétation que les anciens Pères donnaient à ce fait évangélique, sur lequel les partisans de la papauté ont osé appuyer leurs systèmes en faveur de la puissance absolue dé l’évêque de Rome sur l’Eglise.
2 Saint Ambros., de Sacrament., lib. III, c. 1, § 4.
3 Ibid., §1.
4 Ibid., c. 2, § 1. Quand saint Ambroise parle de l’évêque, il l’appelle summus sacerdos ; ici, il ne parle que du prêtre (sacerdos) ce qui prouve que, au IVe siècle, le prêtre conférait la confirmation, aussi bien dans l’Eglise d’Occident que dans celle d’Orient.
5 Ceci prouve que dans l’Eglise occidentale, au IVe siècle, on ne se servait pas de pain azyme.
6 S. Ambros., de Sacrament., lib. IV, c. 4, § 14.

qu’avant les paroles sacramentelles. Dès que la consécration est faite, de ce pain est faite la chair du Christ. Comment ce qui est pain peut-il devenir le corps du Christ ? Par la consécration. Mais la consécration, de quels mots, des paroles de qui est-elle composée ? Des paroles du Seigneur Jésus.
Rendant compte de la consécration, saint Ambroise cite une partie de la liturgie suivie en Occident. Veux-tu savoir, dit-il, au catéchumène1, par quelles paroles célestes la consécration a lieu ? Le prêtre dit :
« Fais que cette oblation soit admise, ratifiée, raisonnable et agréable ; cette oblation qui est la figure du corps et du sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui, la veille du jour où il souffrit, prit du pain dans ses saintes mains, éleva les yeux au ciel vers toi, Père saint, Tout- Puissant, Dieu éternel, et rendent grâces, le bénit, le rompit, et après l’avoir rompu, le donna à ses apôtres et à ses disciples en disant : Prenez et mangez-en tous, car c’est mon corps qui sera brisé pour un grand nombre, (Luc XII, 19.)
« De même, après le souper, la veille du jour où il souffrit, il prit la coupe, leva les yeux au ciel vers toi, Père saint, Tout-Puissant, Dieu éternel, et, rendant grâces, la bénit et la donna à ses apôtres et à ses disciples en disant : Prenez et buvez-en tous, car c’est mon sang. (Matth. XXVI, 27, 28.) »
Après avoir cité cet extrait de la liturgie occidentale, saint Ambroise continue ainsi : « Examine toutes ces choses. Tu y lis les paroles de l’Evangile jusqu’à ces mots recevez soit le corps, soit le sang ; les autres paroles sont celles du Christ : Prenez et buvez, ceci est mon sang. Il est dit : la veille qu’il souffrit, il prit du pain dans ses saintes mains. Avant la consécration, c’était en effet du pain, mais dès que les paroles de Jésus-Christ ont été prononcées, c’est le corps du Christ ; aussi, dit-il : Prenez et mangez-en tous, ceci est mon corps. Avant les paroles du Christ, la coupe était pleine de vin mêlé d’eau ; mais dès que les paroles du Christ ont obtenu leur effet, c’est le


1 S. Ambros., de Sacrament., lib. IV, c. 3, §§ 21, 22,23.

sang du Christ qui a racheté le monde. Voyez par là que les paroles du Christ peuvent changer toutes choses. Le Seigneur Jésus nous atteste que nous recevons son corps et son sang. Pouvons-nous douter de son témoignage1 ? » Saint Ambroise nous apprend qu’avant la consécration2, le prêtre, dans la liturgie occidentale, faisait des prières pour rendre hommage à Dieu, et demander ses bénédictions pour les rois, le peuple et tous les membres de l’Eglise.
Après la consécration, le prêtre disait cette prière3 :
« Donc, nous souvenant de sa très-glorieuse passion, de sa résurrection des enfers, et de son ascension au ciel, nous t’offrons cette victime immaculée, cette victime raisonnable, cette victime non sanglante, ce pain saint, et ce calice de la vie éternelle ; et nous demandons et nous prions que tu reçoives cette oblation sur ton autel sublime par les mains de tes anges, comme tu as daigné recevoir les dons de ton enfant le juste Abel, et le sacrifice de notre patriarche Abraham, et celui que t’offrit le souverain prêtre Melchisédech4. »
On a pu remarquer que saint Ambroise dit que dans la coupe le vin était mêlé d’eau. C’est encore l’usage de l’Eglise latine de mêler un peu d’eau au vin qui doit être consacré. Saint Ambroise voit dans ce mélange un double mystère. Il rappelle que le peuple israëlite but,


1 Il est à remarquer que saint Ambroise donne les paroles de l’institution comme celles de la consécration ; mais il renferme dans la formule de consécration l’invocation par laquelle on prie Dieu d’agréer celte oblation de la figure du corps et du sang du Christ, comme l’oblation réelle du môme corps et du même sang. Un docte liturgiste occidental, le Père Lebrun, a donc eu raison de regarder comme la formule de consécration la prière entière dans laquelle sont contenues les paroles de l’institution. L’Eglise catholique orientale reconnaît que, dans la bouche de Jésus-Christ, les paroles de l’institution furent celles de la consécration, parce que la puissance divine y était attachée ; mais, dans la bouche du prêtre, l’affirmation n’a pas la même puissance et la consécration est le résultat de l’action du Saint-Esprit, que le prêtre invoque, pour que le pain et le vin deviennent le corps et le sang du Christ. Nous avons vu que les Pères grecs enseignaient ainsi.
2 Ibid., c. 4, § 14.
3 Ibid., c. 6, § 27.
4 Les passages de la liturgie occidentale cités par saint Ambroise, existent encore, à peu près textuellement, dans le canon de la messe latine. C’est la première mention de la liturgie latine que nous ayons rencontrée dans les documents historiques.

dans le désert, de l’eau qui sortait du rocher frappé par Moïse. La pierre était le Christ, dit saint Ambroise, d’après saint Paul. Le prêtre, figuré par Moïse, frappe la pierre par la parole de Dieu, l’eau coule et le peuple de Dieu peut se désaltérer. L’eau qui est dans la coupe jaillit pour la vie éternelle. Le second mystère, c’est l’eau qui coula avec le sang du côté de Jésus, lorsqu’un soldat lui donna un coup de lance dans le côté1.
Les légères différences qui existaient entre les Eglises dans l’acte principal du culte chrétien n’altéraient point la croyance qui était identique. Saint Ambroise, sur la question de la présence réelle, est aussi formel que saint Cyrille de Jérusalem. Pour l’un comme pour l’autre, comme pour tous les autres Pères de l’Eglise, la paissance divine change les éléments eucharistiques. Le pain, dit saint Ambroise2 devient substantiellement le corps du Christ, comme le Verbe est substantiellement le Verbe du Père. Le saint docteur répond aux objections que l’on pouvait élever contre ce dogme, dont il ne parle que comme d’un dogme révélé et toujours admis dans l’Eglise.
Dans ses deux ouvrages sur les mystères et les sacrements, saint Ambroise n’a mentionné que le baptême, la confirmation et l’Eucharistie. Il ne faudrait pas en conclure que l’Eglise n’admettait alors que ces trois sacrements.
Dans son ouvrage sur la Pénitence, saint Ambroise la considère également et comme vertu et comme sacrement.
Il blâme d’abord les novatiens qui usent de trop de rigueur envers les coupables, quoique, en leur qualité d’hérétiques, ils n’aient pas le pouvoir de lier et de délier. Ce pouvoir n’a été conféré qu’aux vrais prêtres, et l’Eglise seule a de vrais prêtres3.


1 Dans les Eglises orientales, on ne consacre que le vin, car le vin seul est mentionné lors de l’institution ; on ne verse l’eau dans la coupe qu’après la consécration et un peu avant la communion.
2 S. Ambros., de Sacrament., lib. VI, c.1.
3 S. Ambros., de Poenit., lib. 1, cc. 1, 2.

Les novatiens n’ont pas le pouvoir de remettre les péchés, car ceux-là n’ont pas l’héritage de Pierre, qui n’ont pas le siège de Pierre, qu’ils ravagent par une division impie ; mais en quoi ils se rendent surtout coupables, c’est en niant que dans l’Eglise même on ait le droit de remettre les péchés lorsqu’il a été dit à Pierre : Je te donnerai les clefs du royaume des deux ; tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel ; tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le ciel1.
Saint Ambroise n’entend ces paroles que de la rémission des péchés ; et cette rémission n’a pas été confiée à un seul apôtre, mais à l’Eglise. C’est l’Eglise entière qu’il entend par les mots : siège de Pierre, parce que cette Eglise est représentée par le corps épiscopal qui a succédé au corps apostolique, lequel était personnifié dans saint Pierre, le premier des apôtres. Cet apôtre représentait tous les autres, et aucun privilège ne lui fut conféré personnellement. Telle est la doctrine de tous les Pères2.
Lès novatiens prétendent qu’ils ne sont sévères que pour les grands coupables ; qui leur a donné le droit de se constituer juges de la gravité des fautes ? Dieu seul en est juge. Saint Ambroise s’applique à réfuter toutes les erreurs des novatiens3. Il les met en contradiction avec eux-mêmes. En effet, ils prétendaient remettre les péchés par le baptême. Si les prêtres, dit-il, remettent lès péchés par le baptême, ils peuvent aussi les remettre par la pénitence, car dans ces deux rémissions, C’est le mystère qui opère4, c’est-à-dire, l’action du Saint-Esprit.
Tout en réfutant le rigorisme des novatiens et en répondant à leurs objections5, saint Ambroise ne veut pas que l’on admette à la pénitence ceux qui ne mani-


1 S. Ambros., de Pœnil., c. 6, § 33.
2 On pense bien que les théologiens romains se hâtent d’abuser de ce passage de saint Ambroise, en faisant de l’évêque de Rome le successeur de saint Pierre (ce qui est faux) ; et de plus, en lui attribuant comme privilèges personnels, une autorité que saint Ambroise attribue il l’Eglise entière représentée par saint Pierre dont le siège est l’épiscopat.
3 Ibid., cc. 3 et seq.
4 Ibid., c. 8, § 36.
5 Ibid., a c. 8 ad 10.

festeraient pas un véritable repentir. A ce sujet, il considère comme soumis à la pénitence ceux qui avaient des péchés secrets, aussi bien que les pécheurs publics1. Ces pécheurs secrets étaient donc obligés de confesser leurs péchés pour que le prêtre sût quelle pénitence devait leur être appliquée.
Saint Ambroise met la confession des péchés sur le même rang que le repentir pour obtenir le pardon des fautes : Pleurons, dit-il2, dans ce temps, pour que nous nous réjouissions dans l’éternité ; craignons le Seigneur ; rendons-nous-le favorable en confessant nos péchés ; corrigeons nos fautes ; réparons notre erreur3. »
Si le pécheur a ces sentiments, l’Eglise viendra à son tombeau, comme le Christ à celui de Lazare ; il soulèvera la pierre, je rappellera à la vie. Viens dehors, lui dira-t-elle. C’est-à-dire, révèle ta faute, afin que tu sois justifié. Si tu te confesses, tu rompras à la voix du Christ les liens qui te tenaient attachés. Comme les Juifs, témoins de la résurrection de Lazare, ourdirent des complots contre le Christ, ainsi les novatiens, témoins du miracle opéré par l’Église dans la résurrection du coupable, conjurent contre elle dans leurs conciliabules4, et veulent tuer les ressuscités ; mais Jésus ne reprend pas ses dons ; au contraire, il les accroît, et reçoit à la Cène que l’Église lui a préparée, celui dont les fautes ont été remises.
Saint Ambroise revient à plusieurs reprises à la confession : « Montre, dit-il5, ta blessure au médecin, afin que tu puisses être guéri. Quand tu ne la montrerais pas, il la connaîtrait ; mais il veut t’entendre l’avouer de ta propre bouche. »
Lorsque le pécheur avait confessé secrètement sa faute, il devait s’avouer coupable dans l’assemblée des fidèles, implorer les prières de ses frères, et se soumettre publi-


1 S. Ambros., de Pœnit., c. 16, § 90.
2 Ibid., lib. II, c. 7. Dans les chapitres précédents de ce deuxième livre, il prouve,par DEtriture, que les péchés peuvent être pardonnés.
3 Ibid., c. 7, §§ 57, 58.
4 Ibid., § 59.
5 Ibid., c. 8, § 66.

quement à la pénitence qui lui avait été imposée1. Saint Ambroise exhorte vivement les pécheurs à ne point écouter le respect humain qui pouvait les éloigner de l’aveu public de leur culpabilité.
Ces détails, donnés par saint Ambroise, font connaître que l’aveu public de culpabilité et la pénitence publique étaient précédés d’une confession secrète pour les péchés secrets. Le saint docteur éclaire ainsi un point de discipline qui était resté entouré d’une certaine obscurité dans les monuments historiques antérieurs.
Nous n’analyserons pas l’ouvrage de saint Ambroise intitulé de la foi. Il est dirigé contre les ariens, et le saint docteur y développe la doctrine du consubstantiel, telle que le concile œcuménique de Nicée l’avait définie2. Après tout ce que nous avons cité sur cette question, nous ne pourrions rien emprunter de nouveau au saint docteur ! Il composa ses livres pour l’empereur Gratianus qui les lui avait demandés lors de son voyage en Orient, afin de se prémunir contre l’hérésie. Gratianus emporta seulement les deux premiers livres. Les ariens leur opposèrent des objections que saint Ambroise réfuta dans trois autres livres qui complètent l’ouvrage.
Le même empereur qui avait trouvé que la question relative au Saint-Esprit avait fait presque oublier celle du Fils, demanda au saint évêque de Milan un nouvel ouvrage contre les eunomiens. Saint Ambroise se rendit à ses désirs et composa les trois livres du Saint-Esprit3. Il y prouve contre les hérétiques, la divinité du Saint-Esprit et sa consubstantialité avec le Père et le Fils4. Il s’attache principalement à l’unité d’essence et des attributs essentiels des trois personnes divines, et il n’a point traité celle des attributs personnels qui les distinguent dans leur substance unique. L’ouvrage de saint Ambroise est moins philosophique que ceux de saint Atha-


1 S. Ambros., de Poenit., c. 10, § 91.
2 S. Ambros., de Fide.
3 S. Ambros., de Spirit. S.
4 Saint Ambroise a interprété le mot de l’Evangile : qui procède du Père, de la mission ad extra et non de l’origine éternelle. Il s’éloigne en ce point de l’interprétation de la plupart des autres Pères (v. lib. I, c. 11, §§ 116 et seq.).

nase et de saint Basile sur le même sujet ; mais il atteste chez le saint docteur une connaissance très approfondie des Ecritures.
On possède de saint Ambroise un traité de l’incarnation1 ; il traita ce sujet pour répondre à un défi que lui avaient porté certains sceptiques qui prétendaient qu’il ne pourrait démontrer ce dogme chrétien. Ses adversaires n’osèrent lui répondre.
Les lettres de saint Ambroise appartiennent au corps de l’histoire ; nous aurons occasion d’en citer plusieurs en retraçant les actions de ce grand évêque2.
Nous avons encore à nommer quelques écrivains religieux d’Occident, qui vécurent au IVe siècle ; Aurelius Symmachus, dont on possède un recueil de lettres ; le diacre Hilarius, qui écrivit des commentaires sur la sainte Ecriture ; Sulpitius Severus, dont nous citerons souvent les ouvrages d’histoire ecclésiastique ; Grégoire d’Elvire, auteur de plusieurs traités et d’un


1 S. Ambros., de Incarnat. Dominic. sacrament.
2 Comme les théologiens partisans de la papauté ont osé citer saint Ambroise parmi les patrons de leur erreur, nous devons faire observer que le saint évêque de Milan, qui parle continuellement de l’Eglise, n’a jamais fait allusion à sa constitution monarchique, mais uniquement à sa constitution conciliaire. Nous avons cité un texte dans lequel il appelle l’épiscopat, siège de Pierre. Saint Pierre n’était à ses yeux qu’un être collectif et signifiait d’une manière générale l’apôtre ou l’évêque. C’est en ce sens qu’il l’appelle la pierre ou le fondement de l’Eglise ; car il a soin d’avertir que la primauté de saint Pierre n’a été ni une primauté d’honneur, ni une primauté d’ordre (de Incarnat., c. 4, § 32), mais une primauté de foi et de profession de foi. Nous devons citer un texte de saint Ambroise dont on abuse tous les jours. Dans son commentaire sur le Psaume XL, § 30, saint Ambroise explique comment Jésus- Christ influe sur son Eglise pour la vivifier, et il cite à l’appui ce qu’il fit pour Pierre auquel il dit : sur cette pierre je bâtirai mon Eglise. En s’adressant à Pierre il s’adresse à l’Eglise, car où est Pierre là est l’Eglise. Comment comprendre que les partisans de la papauté osent citer un pareil texte pour prouver qu’il faut être uni au pape pour faire partie de l’Eglise ?
Saint Ambroise n’a pas fait une seule fois allusion à l’autorité de l’évêque de Rome, et toute sa doctrine sur l’Eglise est en contradiction avec l’idée de papauté.
Il ne reconnaît aucune prérogative personnelle à saint Pierre dans le gouvernement de l’Eglise et ne considère sa triple confession d’amour que comme l’expiation de son triple reniement, avant d’être de nouveau appelé à l’apostolat. (Apot. Proph. David., c. 9, § 30). Quand Jésus-Christ a chargé Pierre d’affermir ses frères, il lui a confié simplement les fonctions pastorales, selon le saint docteur (In Psalm XLIII, § 40).

livre sur la foi ; un autre Espagnol, Aquilius Severus1.
Nous devons mentionner encore Ulphilas, évêque des Goths. Ce peuple habitait les régions situées entre le Danube et le mont Hœmus2. Au commencement du IVe siècle, ils avaient un évêque nommé Théophile. Ulphilas devint leur évêque vers le milieu du IVe siècle. Afin de travailler en même temps à l’instruction religieuse et à la civilisation des Goths, Ulphilas traduisit en leur langue les saintes Ecritures. Les Goths devinrent ariens, du moins en partie, et nous aurons occasion de parler de leurs invasions dans l’empire romain.
D’après le tableau que nous venons d’esquisser des principaux écrivains religieux du IVe siècle, on peut affirmer que le mouvement intellectuel avait pris dans l’Eglise de cette époque de vastes développements. L’Orient s’y montre incontestablement supérieur à l’Occident ; cependant Hilaire de Poitiers et Ambroise de Milan occupent une place éminente dans la littérature religieuse, quoiqu’ils soient inférieurs à Athanase, à Basile, à Grégoire le Théologien, à Cyrille de Jérusalem.
Au sein des diverses hérésies, l’état intellectuel était bien inférieur à celui des orthodoxes.
L’écrivain le plus savant du parti arien était Acaeius, évêque de Cæsarée. On le surnomma Monophthalmon, parce qu’il était borgne. Il publia des commentaires sur l’Ecclésiaste, et une grande quantité de traités théologiques3. Il n’en est rien resté.
Auxentius, évêque de Milan, était le soutien de l’arianisme en Occident. Mais il écrivit peu.
Le chef des apollinaristes, Apollinaire, évêque de Laodicée de Syrie, fut un écrivain distingué et très-fécond. Il composa d’innombrables volumes sur les saintes Ecritures et une réfutation de Porphyre entrente livres. Il est bien regrettable que ce dernier ouvrage ait été perdu4.


1 Hieron., de Vir. Illustr. Les ouvrages de la plupart de ces écrivains et de plusieurs autres sont réunis dans la Patrologie Latine, t. 18, 19, 20.
2 V. sur Ulphilas la Patrologie latine, t.18.
3 Hieron., de Vir. illustr., c. 98.
4 Ibid., c. 104.

Donatus, chef des donatistes écrivit aussi beaucoup d’ouvrages pour soutenir son parti qui avait pris de vastes proportions en Afrique1. Jérôme mentionne de lui un livre sur le Saint-Esprit et dit qu’il s’y montrait favorable à l’arianisme.
Photinos, disciple de Marcel d’Ancyre, soutint dans plusieurs ouvrages les erreurs attribuées à son maître.
Il écrivit contre le paganisme et contre l’empereur Valentinianus qui le chassa de son Eglise2.
Eunomius publia un grand nombre d’ouvrages pour soutenir son hérésie ; on ne les connaît que par les extraits qu’en ont donnés ses adversaires3.
Priscillianus, qui dogmatisa en Espagne, tomba dans l’hérésie de Manès et fit plusieurs traités pour la soutenir4. Son hérésie se répandit en Occident, et principalement en Espagne. Le manichéisme avait des adeptes en Occident au IVe siècle. On connaît d’un certain Faustus un ouvrage dans lequel il défendait cette hérésie et que saint Augustin jugea digne d’être réfuté5.
Les chefs de secte ne manquèrent pas de capacité ; mais on ne voit pas qu’ils aient donné une forte impulsion intellectuelle à leurs partisans. Leurs écrites ont disparu pour la plupart avec leurs sectes, et ce qui en reste ne peut être comparé avec les ouvrages des Pères de l’Eglise.


1 Hieron., de Vir. Illustr., c. 93.
2Ibid., c. 107.
3 Ibid., c. 120.
4 Ibid., c. 121.
5 Nous en parlerons plus tard en étudiant les œuvres de saint Augustin.