⇐ Table des matières
- Faire du tort à autrui attire la colère de Dieu
- L’homme qui fait du tort à autrui est tourmenté
- L ’injustice commise par un homme fait souffrir ses descendants
- Celui qui nous fait du tort nous fait du bien
- Rendez à tous ce qui leur est dû: l’impôt à qui vous devez l’impôt
- Combien le monde est devenu malhonnête
- Le juste a Dieu de son côté
- Le juste est récompensé dès cette vie
Faire du tort à autrui attire la colère de Dieu
C’est très important pour l’homme d’avoir la bénédiction de Dieu: c’est une grande richesse. Ce qui est béni de Dieu tient bon et ne s’effondre pas. En revanche, ce qui n’est pas béni s’effondre. Faire du tort à autrui est un grand péché. Tous les autres péchés ont des circonstances atténuantes, mais l’injustice n’en a pas et elle attire la colère de Dieu. C’est terrible! Ceux qui font du tort à autrui s’attirent des malheurs. On observe souvent ceci: un homme fait du tort à autrui, puis ses proches meurent soudainement sans que cela le conduise à se poser des questions. Comment celui qui commet tant d’injustices pourrait-il progresser dans la vie spirituelle? En faisant du tort à autrui, il donne des droits au diable, et c’est pourquoi il passe ensuite par des épreuves; on lui trouve des maladies…, et il vous demande de prier pour qu’il retrouve la santé!
La plupart des malheurs naissent des torts faits à autrui. Ceux, par exemple, qui s’approprient injustement une fortune vivent quelques années comme des princes, puis ils donnent tout ce qu’ils avaient amassé aux médecins. Que dit d’ailleurs le psalmiste? «Pour le juste, mieux
vaut le peu qu ’il possède que toutes les richesses des pécheurs»1 . «Ce qui est amassé par le vent sera dispersé par le vent!», dit le proverbe. Ce qui est amassé injustement disparaît, entièrement dispersé. Les maladies, les faillites, les malheurs divers, sont rares en tant qu’épreuves permises par Dieu, réservées à un très petit nombre de fidèles. Ces personnes recevront de Dieu une pure récompense. Et d’habitude, comme ce fut le cas de Job, elles deviennent ensuite plus riches encore. Sachez aussi que si les corps de maints défunts ne se décomposent pas après leur mort, c’est souvent parce qu’ils ont commis quelque injustice pendant leur vie.
L’homme qui fait du tort à autrui est tourmenté
Faute de demander pardon, celui qui fait du tort à autrui et, plus généralement, tout homme coupable, est tourmenté par sa conscience ainsi que par l’indignation de sa victime. Car lorsque cette dernière ne lui pardonne pas et se plaint de lui, l’offenseur est fortement tourmenté et intérieurement déchiré. Il ne peut dormir, se sent comme frappé par des vagues en fureur. Comment il ressent l’indignation de celui auquel il a fait tort est un mystère! Lorsqu’une personne en aime une autre et pense à elle au bon sens du terme, cette dernière ressent son amour. Il se passe quelque chose d’analogue pour celui qui fait du tort à autrui: l’indignation de sa victime le pourchasse. Il aura beau se trouver au loin – jusqu’en Australie ou à Johannesburg -, si quelqu’un éprouve de l’indignation contre lui, il ne pourra trouver le repos.
– Même s’il est insensible?
– Penses-tu que les insensibles ne souffrent pas? Au mieux, ils courent se distraire pour oublier. Il peut se passer ceci également: l’offensé a pardonné au coupable, mais un peu de dépit demeure en lui. Il sera alors tourmenté à un certain degré, mais le coupable sera, lui, fortement tourmenté par le dépit de celui qu’il a offensé. Cependant, s’il demande pardon, mais que l’offensé ne lui pardonne pas, c’est alors ce dernier qui sera violemment tourmenté. Il n’existe pas de plus grand feu que la brûlure intérieure provoquée en l’âme par la conscience. Le ver la tourmente et la ronge en permanence en cette vie, et il la rongera encore plus en l’autre vie, en la Vie éternelle, sauf si le pécheur se repent et répare – ne serait-ce qu’en intention, s’il ne peut faire autrement – le tort qu’il a fait à autrui.
. Ps 36, 16.
Je me souviens d’un avocat qui avait commis toutes sortes de malhonnêtetés. Combien il a été tourmenté à la fin de sa vie! Il exerçait sa profession en une région d’éleveurs. Les bêtes, naturellement, causaient des dégâts et beaucoup de bergers s’adressaient ensuite à cet avocat, car, par des procédés déloyaux, il se conciliait l’agronome ainsi que le juge de paix. Et les malheureux paysans non seulement ne trouvaient pas justice des bergers qui laissaient leurs troupeaux détruire les semences, mais retiraient de leurs procès de nouveaux ennuis. Tous connaissaient cet avocat et aucun homme honorable n’avait de contact avec lui. Voyez ce que le confesseur du village avait même conseillé à un berger de grande finesse spirituelle! Ce dernier possédait un petit troupeau ainsi qu’une chienne. Celle-ci ayant mis bas, il ne garda que la mère et donna les chiots. Or il avait perdu une brebis qui allaitait, et son agneau, resté désormais orphelin, courait derrière la chienne pour téter. Cette dernière en était soulagée et les deux animaux se cherchaient l’un l’autre. Le malheureux berger avait beau s’efforcer de les séparer, les deux animaux s’étaient habitués l’un à l’autre. Comme il avait naturellement une grande délicatesse spirituelle, il décida de demander au confesseur si l’on pouvait ou non manger la viande de l’agneau qui avait tété la chienne. Songeant à
la pauvreté du berger, le confesseur resta pensif, puis il lui dit: «On ne peut manger cet agneau, mon enfant, car il a tété la chienne, mais sais-tu ce que tu vas faire? Les autres bergers offrent des cadeaux à l’avocat, l’un lui porte des agneaux, l’autre des fromages. Va toi, lui offrir cet agneau pour qu’il le mange! A lui seul convient de manger cette viande, car tout le monde sait qu’il est inique!». Une fois devenu vieux et alité, cet avocat malhonnête souffrit de cauchemars et il ne trouvait plus le sommeil. Cela dura des années. Il fut, en outre, frappé d’hémiplégie et ne pouvait même plus parler. Le confesseur s’efforça de lui faire au moins écrire ses péchés, mais en vain, car il avait perdu le contrôle de soi. Le confesseur récita sur lui la Prière des Sept Dormants d’Ephèse2 ainsi que des exorcismes, afin qu’il puisse un peu dormir et s’apaiser jusqu’au jour où il s’endormit pour l’éternité. Prions Dieu de le faire réellement reposer en paix!
– Géronda, de nombreuses personnes croient qu’on leur a jeté un sort maléfique? Jeter un sort a-t-il de l’effet?
– Si une personne se repent de ses péchés et se confesse, lui jeter un sort n’a aucun effet. Pour que cela ait de l’effet, il faut que l’homme ail donné des droits au diable: il aura, par exemple, fait du tort à autrui ou trompé une jeune fille, etc. Il doit alors se repentir, demander pardon, se confesser, être en règle avec sa conscience et racheter ce qu’il a fait. Sinon, tous les prêtres auront beau se rassembler pour lui lire des exorcismes, il est impossible de délier le sort jeté. Et même si on ne lui a pas jeté de sort, le cri d’indignation d’une âme à laquelle il a fait du tort suffit à le tourmenter.
Il est deux formes d’injustice: l’une matérielle, l’autre morale. L’injustice matérielle consiste à faire du tort à autrui en des choses matérielles. L’injustice morale a lieu,
2. Prière de l’Euchologe que les prêtres lisent sur les malades qui ne peuvent pas dormir.
par exemple, lorsqu’un homme trompe une jeune fille. Et si celle-ci est orpheline, cette injustice pèsera cinq fois plus lourd sur la conscience de cet homme. À la guerre, sais-tu comment les balles pourchassent les immoraux? On voit là de près la Justice divine, la protection de Dieu. La guerre ne souffre pas l’immoralité. L’homme immoral, une balle l’atteindra bien vite3 . Pendant la guerre, notre demi brigade était allé un jour remplacer un bataillon. Mais on nous attaqua pendant la relève, et les deux bataillons se jetèrent ensemble dans le combat. Or un soldat de cet autre bataillon avait commis la veille un acte immoral: il avait violé une femme enceinte, la malheureuse. Eh bien, dans la bataille, lui seul fut tué! C’est terrible! Tous disaient ensuite: «Le porc! C’est bien fait pour lui!». Les soldats qui cherchent à échapper en fuyant le danger finalement n’en réchappent pas! Et au contraire, les précieux corps des soldats croyants, qui vivent naturellement avec honneur, en chrétiens, sont davantage préservés du feu des balles que s’ils portaient sur eux une parcelle du bois de la Précieuse Croix.
L ’injustice commise par un homme fait souffrir ses descendants
– Géronda, lorsque je suis entrée au monastère, ma famille s’est comportée injustement à mon égard. Puis-je demander ce qui me revient selon la loi?
– Non, cela ne convient pas à une moniale!
– J’ai peur, en fait, qu’un malheur ne leur arrive à cause de cette injustice.
3. Le Géronda Païssios servit en temps de guerre civile pendant les années 1946-1949.
-Voilà la pure générosité! Si j’étais à ta place, je leur parlerais ainsi: «Je ne veux rien pour moi, mais la part d’héritage qui me revient, je voudrais que, de vos mains, vous la distribuiez aux pauvres. Donnez tout d’abord aux pauvres de la famille. Je vous dis cela, de peur que la colère de Dieu n’atteigne vos enfants». Il arrive parfois qu’un père de famille fasse pour son âme une aumône à des étrangers, qu’il donne, par exemple, de l’argent pour fonder un hospice de vieillards et qu’il ne laisse rien à ses enfants!
Il se peut que dans une famille le grand-père ou la grand-mère aient commis des injustices et soient malgré tout restés en bonne santé. En revanche, leurs enfants ou leurs petits-enfants sont éprouvés: ils tombent malades et sont contraints de donner aux médecins tout l’argent amassé injustement par les grands-parents, rachetant ainsi leur conduite. Une famille de ma connaissance passait par maintes épreuves. Cela avait commencé par le chef de famille: atteint d’une grave maladie, il souffrit beaucoup, resta quelques années cloué au lit et mourut. Ensuite mourut sa femme, puis tous ses enfants, l’un après l’autre. Le dernier, le cinquième, est mort récemment. De riche qu’elle était, cette famille en arriva à la misère, car elle dut vendre toutes ses terres à n’importe quel prix pour pouvoir payer les médecins et assumer diverses dépenses. Je m’étonnais du destin de cette famille: «Comment se fait-il qu’il leur arrive tant de maladies et d’accidents?». Pour les membres de cette famille que je connaissais, il ne me semblait pas qu’il s’agissait là du meilleur des cas, c’est-à-dire d’épreuves permises par Dieu envers Ses élus, mais plutôt qu’entraient en vigueur des lois spirituelles. Pour m’en convaincre, je pris des renseignements sur eux auprès de dignes vieillards de leur village. J’appris alors que le chef de famille avait hérité une fortune assez importante de son père, fortune qu’il augmenta par la suite à coup d’injustices. Si, par exemple, une veuve lui demandait de lui prêter de l’argent pour marier sa fille en
promettant de lui rendre la somme au battage, il exigeait d’elle un terrain en échange. Et dans le besoin, la veuve lui cédait le terrain à bas prix. Un autre lui demandait un prêt pour payer la banque et promettait de le lui rendre dès qu’il récolterait son coton. Lui exigeait en retour un champ et l’autre, pour ne pas être harcelé par la banque, cédait son champ à n’importe quel prix. Un autre encore lui empruntait de l’argent pour payer le médecin, et lui demandait sa vache en retour. Le malheureux cédait alors sa vache à n’importe quel prix. C’est de cette façon que cet homme acquit une grande richesse. Mais l’indignation de tous ceux qu’il avait fait souffrir non seulement le frappa, lui et sa femme, mais atteignit aussi ses enfants. Des lois spirituelles entrèrent en vigueur et ils furent contraints de faire comme les personnes auxquelles leur père avait fait du tort: ils vendirent à n’importe quel prix leurs domaines pour payer les médecins et faire face aux dépenses liées aux maladies et accidents qu’ils subirent. De riches, ils devinrent pauvres et moururent tous l’un après l’autre. Dieu, naturellement, les jugera selon Son grand Amour et Sa Justice. Quant à ceux qui, dans le besoin, avaient été acculés à vendre tout leur avoir pour payer les médecins, etc., ils seront récompensés à proportion de l’injustice qui leur a été faite. C’est ainsi que les hommes injustes rachètent, eux aussi, leurs injustices.
Celui qui nous fait du tort nous fait du bien
– Géronda, comment considérer celui qui nous fait du tort?
– Comment le considérer? Comme un grand bienfaiteur, qui nous place de l’argent à la Caisse d’Épargne de Dieu et nous rend riches pour l’éternité. C’est peu de chose? N’aimons-nous pas ceux qui nous font du bien? Ne leur exprimons-nous pas notre gratitude? Faisons de même envers ceux qui nous font du tort: aimons-les et soyons-leur
reconnaissants, car ils nous font du bien pour l’éternité. Ceux qui commettent l’injustice sont privés de justice pour l’éternité, alors que ceux qui acceptent avec joie l’injustice sont justifiés pour l’éternité.
Un père de famille pieux subit maintes injustices dans son travail. C’était un homme de grande bonté, et il supporta tout sans se plaindre. Il vint à ma kalyva pour me confier ses épreuves et me demanda: «Que me conseilles-tu de faire?». Je lui répondis: «Aie en vue la justice et la rétribution divines et supporte tout. Rien n’est jamais perdu. En agissant ainsi, tu places un pécule à la Caisse d’Épargne de Dieu. Tu recevras à coup sûr une récompense en l’autre vie pour l’épreuve que tu supportes. Mais sache qu’en cette vie aussi le Bon Dieu récompense celui qui subit une injustice, ou à défaut Il récompense obligatoirement Ses enfants. Dieu sait ce qu’il fait; Il prend soin de Ses créatures». Si on supporte les tracas avec patience, les choses s’arrangent toutes seules. Dieu y pourvoit. Mais il faut pour cela faire preuve d’une patience qui défie la raison. Puisque Dieu voit tout, suit tout de près, on Lui confie le soin de tout. Vois, Joseph5 n’a pas protesté quand ses frères le vendirent comme esclave, alors qu’il aurait pu dire: «Je suis leur frère!». Il n’a pas parlé, mais ensuite, c’est Dieu qui parla et II le fit ministre! Mais pour celui qui n’a pas de patience, la vie devient tourment. Il veut que les choses se passent comme cela l’arrangerait, et à son gré. Et naturellement, il n’obtient aucune satisfaction et rien ne se passe comme il le voudrait.
Si des hommes et des démons nous font du tort en cette vie, Dieu ne s’en inquiète pas, car cela procure un profit à notre âme. Mais souvent nous disons qu’on nous fait du tort, alors qu’en fait c’est nous qui faisons du tort à autrui. Il faut ici être très attentifs et bien nous examiner.
5. Voir Gn 37, 20 sq.
6.
7.
Rendez à tous ce qui leur est dû: l’impôt à qui vous devez l’impôt
– Géronda, lorsque nous achetons quelque chose poulie monastère, certains magasins refusent de nous faire une facture? Que devons-nous faire?
– Exigez toujours que l’on vous fasse des factures et vous, faites les factures ou plutôt les comptes de vos exigences pour les restreindre au strict minimum. Limitez vos besoins et n’entreprenez que l’indispensable. C’est ainsi que j’agirais à votre place. Dieu pourvoira. Si nous, les moines, nous demandons que l’on ne nous fasse pas de facture, nous incitons les autres au péché, et ils disent alors: «Vu que les monastères font ainsi… ». Si nous, qui voulons observer les commandements, nous agissons ainsi, savez-vous à quel point nous scandalisons le monde? «Rendez à chacun ce qui lui est dû: l’impôt à qui vous devez l’impôt»6 , dit l’Écriture. Pour moi, quand j’expédie une lettre par l’intermédiaire de quelqu’un et non par la poste, je colle néanmoins les timbres sur l’enveloppe! En de telles situations, les laïcs se trouvent des justifications, mais si les monastères agissent ainsi, ce n’est pas honnête, et l’Évangile est bafoué… Lorsque nous n’agissons pas selon le précepte évangélique – «Si quelqu’un te prend ta tunique, donne-lui encore ton manteau»7 – et refusons de donner les choses matérielles que l’on exige de nous, nous rendons un contre témoignage sur l’Évangile et les laïcs justifient ensuite leurs propres chutes. Ils s’efforcent de trouver quelque justification pour apaiser leur conscience. Prenons garde, car nous serons sans justification au Jour du Jugement. Notre but consiste à lutter pour conserver avant tout des valeurs spirituelles, et non pas matérielles. Lorsque, pour une raison ou une autre, on ne vous fait pas de facture, considérez-le comme un dommage spirituel.
6. Rm 13, 7.
7. Cf. Mt 5,40.
– Géronda, il arrive parfois qu’une personne donne une somme d’argent au monastère et nous demande un reçu d’une somme plus importante. Que faire dans ces cas?
– Dites: «Nous ne donnons pas de reçu d’une somme gonflée. Si cela ne vous convient pas, nous pouvons vous rendre la somme que vous nous avez donnée. Peut-être qu’ailleurs on pourra vous rendre service!». Ne soyez pas contaminées par cette épidémie!
– Géronda, un maçon nous demanda de le licencier, afin de pouvoir toucher l’allocation chômage, et de continuer à travailler au monastère.
– Non, cela n’est pas honnête! Celui qui a un brin de conscience n’agit pas ainsi! Cela ne convient pas à un monastère. Même si le monastère est dans le besoin, il vaut mieux payer à l’ouvrier un salaire double pour qu’il ne soit pas poussé à agir ainsi. C’est trop grave! La bénédiction apporte la bénédiction et la fraude apporte les catastrophes. Soyez très vigilantes là-dessus! Ne faites pas non plus de marchandage avec les ouvriers. C’est à cause de cela qu’incendies et catastrophes arrivent ensuite dans les monastères. Un fonctionnaire prête serment* d’accomplir dignement son service. Nous, les moines, nous ne prêtons pas de tels serments, mais faisons une double promesse: cette promesse est spirituelle, et si nous la transgressons, notre péché est double. Veillez à garder un équilibre, à manifester par votre vie monastique quelque chose de différent du monde. Je vois un abcès s’envenimer pour finalement éclater et se purifier. Dieu n’accorde pas Sa Grâce lorsque nous nous accommodons de compromis malhonnêtes. Sinon, ce serait comme s’il aidait le diable. Veillez à préserver la rigueur, l’honnêteté. Cette situation fait penser à l’homme ivre qui titube. Peut-il tenir debout? La colère de Dieu viendra sur nous, nous rendrons des comptes. En premier
8. Certains fonctionnaires de l’État grec doivent prêter serment d’accomplir dignement leurs obligations.
lieu, on distinguera le cuivre de l’or et, en second lieu, sera manifesté de combien de carats est l’or de chacun.
Le monde vit dans l’imposture. Les hommes deviennent fourbes. Ils se sont forgés comme une autre conscience. Je ne peux pas me transformer et devenir un imposteur parce que la société l’exige! Mieux vaut souffrir. Il faut faire preuve de vigilance pour ne pas entrer dans cette orbite du monde. En outre, le système économique qui prévaut actuellement n’aide en rien. Il pousse les individus à déclarer moins que ce qu’ils gagnent. J’ai admonesté des inspecteurs du fisc qui étaient croyants: «Que faites-vous? Veillez à conserver un peu de levain pour la pâte. J’ai de nombreux faits à l’esprit! Un homme se rend à la perception des impôts et déclare qu’il a un million de revenus. L’inspecteur écrit alors qu’il a trois millions de revenus car, certains ne déclarant que le tiers de leurs revenus, il est sûr ainsi de les pincer tous! Mais s’il se trouve un honnête homme et que vous le broyez en multipliant par trois ses revenus, vous le forcez de la sorte à voler. Au lieu d’améliorer la situation, vous ne faites que l’empirer! – Nous ne discernons pas quand on nous dit la vérité, m’objectèrent ces inspecteurs. – Vous le discernerez lorsque vous vivrez de façon spirituelle. Alors vous serez capable de faire le discernement. Dieu vous éclairera pour discerner».
Combien le monde est devenu malhonnête
La méchanceté des hommes a dépassé toute limite. Chacun scrute les moyens de tromper autrui. Et c’est même considéré comme un exploit! En vérité, le monde est devenu malhonnête! Il fait tout malhonnêtement. Par ailleurs, nos contemporains gagnent plus d’argent que ne gagnaient nos ancêtres, les malheureux! De façon générale, la malhonnêteté est partout. On m’a apporté l’autre jour des pieds de tomates. Chaque plant était dans un tout petit sac rempli de grosse terre noire et de gros sable, afin de préserver
l’humidité. On a la paresse d’arroser un peu! Il n’y avait presque pas d’engrais: un rien de la taille d’un poivron noir à la surface! En conséquence, quand je sortis les pieds du sac, toutes les racines étaient pourries si bien que je dus les recouvrir d’une couche de terre pour qu’elles forment de nouvelles racines.
Comme on trompe son monde! Voyez, on m’avait apporté une grosse boîte de gâteaux. «Je l’ouvrirai, pensai-je, lorsqu’un groupe important viendra. Car sinon, les fourmis iront s’y nicher». Et un jour, alors que des visiteurs assez nombreux étaient réunis, estimant qu’il y aurait des gâteaux pour tous et qu’il en resterait même, j’ouvris la boîte… pour voir quoi? Du plastic par ci, du plastic par là… Le volume de gâteaux était si réduit… bref, une boîte presque vide! Une autre fois, on m’apporta une jolie boîte de gâteaux enveloppée de rubans. «Je vais la garder pour les étudiants de l’Athoniade9 », me dis-je. Et en fait, il s’agissait de loukoums
9. Petit séminaire du Mont Athos, fondé en 1748. pour les élèves de collège et de lycée.
tout durcis, de vieux loukoums! De tels loukoums, je ne me permets pas d’en offrir aux visiteurs! Je leur donne des loukoums tendres!
– Géronda, les hommes ne comprennent-ils pas que c’est de la tromperie?
– On considère cela comme un exploit, car le péché est devenu à la mode et la fraude est considérée comme une marque d’intelligence. L’esprit du monde fait hélas dévier l’esprit humain vers la fraude et celui qui trompe autrui y voit une sorte d’exploit. Un tel homme obtient même ce titre de gloire: «Celui-ci est un vrai diable, il réussit tout!» – alors qu’il souffre intérieurement un petit enfer dès ici-bas, le remords de sa conscience.
Le juste a Dieu de son côté
Dans le monde actuel, il n’y a pas de place pour tous. Si un homme veut vivre honnêtement et spirituellement, il n’y a pas de place pour lui dans le monde.
– Pourquoi, Géronda?
– L’homme sensible qui se trouve dans un entourage professionnel dur, lequel lui fait la vie rude, comment pourra- t-il tenir? Il doit ou bien se quereller avec les autres ou bien quitter son travail. Quitter son travail est impossible, car il a besoin de vivre. Son patron lui dit, par exemple: «J’ai confiance en toi, parce que tu ne voles pas. Mais tu dois mettre quelques articles pourris au milieu de la marchandise saine. Place quelques fagots de trèfle pourris parmi les autres!». Et pour le garder, il le nomme même responsable. Sous peine d’être renvoyé, cet employé doit agir conformément à la volonté de son patron. Le malheureux en arrive à ne plus dormir et se met à prendre des somnifères. Savez- vous ce que subissent ces malheureux? Quelles difficultés, quelles pressions supportent maints employés de la part de leurs chefs? Ceux-ci leur rendent la vie dure. Abandonner
–
leur travail? Ils ont une famille. Demeurer à leur poste? Ce sont des tourments continuels. En avant, sont les eaux profondes et, en arrière, il y a du courant! On s’effondre. On patiente, on lutte.
A un autre, il arrive ceci: on lui laisse faire tout le travail et son confrère ne vient au bureau que pour se faire payer. Un homme de ma connaissance était responsable dans un Office. Lorsque la situation politique changea, on lui fit quitter son poste pour mettre à sa place un membre du parti, qui n’avait pas même terminé le lycée! Ce dernier fut bien nommé responsable, mais, comme il ignorait le travail, on ne put transférer son prédécesseur à un autre poste. Que faire donc? On plaça un deuxième bureau dans la pièce! Le travail, c’est l’ancien responsable qui l’accomplissait, alors que le nouveau restait toute la journée assis sans rien faire: cigarettes, café, bavardages… Il était d’un sans gêne absolu. Comme il ne connaissait pas le travail, il donnait des directives en disant ce qui lui passait par la tête, et la responsabilité de l’exécution incombait ensuite à son prédécesseur, en sorte que le malheureux fut contraint de partir. «Il faut sans doute que j’aille ailleurs. La pièce est trop petite pour deux, il n’y a pas de place pour deux bureaux. Il vaut mieux que toi, tu restes!», lui dit-il, et il partit, car le nouveau responsable lui faisait la vie dure. Il ne s’agissait pas d’un jour ou deux, mais d’avoir quotidiennement un tel homme sur son dos. Quel tourment!
L’homme intègre, les autres le poussent d’habitude à la dernière place ou même lui prennent sa place. Ils se montrent injustes envers lui, ils le piétinent. Ne dit-on pas: «piétiner les cadavres»? Mais plus les hommes le poussent vers le bas, plus Dieu l’élève en haut – tout comme l’eau fait remonter le bouchon de liège. Il faut cependant une patience extrême. La patience clarifie beaucoup de choses. Celui qui veut vivre dans la vertu et désire être
honnête dans son travail — qu’il soit ouvrier, commerçant ou autre – doit montrer bien de la détermination lorsqu’il en vient au stade, par exemple, de ne même plus pouvoir payer son loyer (s’il a un magasin). Et c’est alors que la bénédiction de Dieu descendra sur lui. Il ne doit pas agir d’après des calculs, en raisonnant ainsi: «Si j’arrive au zéro, j’aurai ensuite une clientèle!». S’il démarre dans un tel dessein, Dieu ne lui donnera pas de clients. En revanche, s’il raisonne avec droiture: «Je vais vivre selon Dieu, je ne commettrai rien de malhonnête, je dirai aux clients la vérité sur les prix, que ceci coûte 50 drachmes10 , et cela 200 drachmes». Dieu ne l’abandonnera pas. Un autre vendra 500 drachmes un article que lui cédera pour 50 drachmes, et s’enrichira ainsi. Mais finalement, ce commerçant malhonnête en viendra au point de ne pas pouvoir payer le loyer de son magasin et sera contraint de fermer, car le monde apprendra qui il est, alors que le commerçant honnête ne pourra pas venir à bout de la clientèle qu’il acquerra petit à petit, et il engagera constamment de nouveaux employés! Mais il faut passer au début par des épreuves. Les bons doivent être éprouvés et passer entre les mains des méchants, comme la laine doit passer dans la cardeuse.
Si quelqu’un collabore avec le diable, commet des malhonnêtetés, Dieu ne bénit pas ses entreprises. Ce qui est fait avec malhonnêteté ne porte pas de fruit. Cela semble prospérer au début, mais finira par s’effondrer. Quoi qu’on fasse, le plus important est de commencer avec la bénédiction de Dieu. Si on agit avec justice, on aura Dieu de son côté. Et si on a quelque assurance devant Dieu, on verra se produire des miracles. Celui qui chemine avec l’Évangile a droit au secours de Dieu. Un tel homme chemine avec le Christ, et c’est pourquoi il a droit au secours divin. Tout est là. Rien à craindre ensuite! L’important est de plaire au
10. Ces paroles furent prononcées en 1985 alors que la drachme était la monnaie en cours en Grèce.
11.
Christ, à la Vierge et aux Saints en chacun de nos actes: leur bénédiction sera alors avec nous et le Saint-Esprit reposera sur nous. L’intégrité est pour l’homme la plus précieuse parcelle du Précieux Bois de la Croix. L’homme non intègre aurait beau posséder une parcelle du Précieux Bois, ce serait comme s’il n’avait rien. L’homme intègre, au contraire, même sans posséder de parcelle du Précieux Bois, recevra le secours divin. Et s’il possède en plus une parcelle du Précieux Bois, alors…
Le juste est récompensé dès cette vie
J’ai vu des âmes auxquelles on avait fait injustice et qui, l’ayant supporté en gardant de bonnes pensées*, furent dès cette vie inondées par la Grâce!
Un pieux chrétien, homme simple et bon, m’avait rendu visite il y a quelques années. Il me demanda de prier pour ses enfants, afin qu’en grandissant, ils ne se plaignent pas de leurs proches parents à cause de la profonde injustice qu’ils leur avait faite. Il me raconta toute l’affaire, et je constatai que ce chrétien était vraiment un homme de Dieu. Il était l’aîné des cinq enfants de la famille et, après la mort subite de leur père, il se comporta comme un père envers ses frères et sœurs: il travailla dur, acquis une fortune supplémentaire, des terrains, etc. et dota ses deux sœurs. Ses frères cadets se marièrent à leur tour et prirent pour eux les meilleurs terrains, les oliveraies…, lui laissant les champs en friche et les terres sablonneuses. Finalement, lui aussi se maria et il eut trois enfants. Il n’était déjà plus très jeune et songeait naturellement que ses enfants en grandissant pourraient prendre conscience de cette injustice et se plaindre. Il me dit: «Je ne m’inquiète pas de l’injustice, car je lis le Psautier, un cathisme le soir, et deux le matin à l’aube. J’ai pratiquement appris le Psautier par cœur. Aucun psaume ne dit que les injustes prospéreront,
alors qu’il est dit que Dieu se soucie des justes. Moi, mon Père, je ne regrette pas les terrains que j’ai perdus, mais je regrette que mes frères perdent leur âme!». Cet homme béni de Dieu partit et me rendit à nouveau visite dix ans plus tard. Il arriva tout joyeux et me demanda: «Tu te souviens de moi. Père, tu te souviens de moi? – Oui», lui répondis-je, et je lui demandai comment allaient ses affaires. «Je suis devenu riche, me répondit-il. – Comment donc es-tu devenu riche, mon frère? – Eh, bien voilà, les champs en friche, les terres sablonneuses que j’avais ont pris de la valeur, car ils étaient en bord de mer, et je les ai vendus. Et cette fois, je suis venu te trouver pour que tu me dises quoi faire de tout mon argent! – Assure l’avenir de tes enfants en leur achetant une maison et garde quelque argent jusqu’à ce qu’ils finissent leurs études. – J’ai déjà mis de l’argent de côté pour mes enfants, et il m’en reste encore beaucoup. – Fais des aumônes, en premier lieu, aux pauvres de ta famille, puis aux autres. – Je l’ai fait. Père, et il m’en reste encore beaucoup! – Fais un don pour restaurer l’église et les chapelles de ton village. – Je l’ai fait, et il m’en reste encore beaucoup!». Je lui dis alors que je prierai le Christ de l’éclairer pour faire des aumônes là où on en aurait le plus besoin. Puis je l’interrogeai: «Comment vont tes frères? Où se trouvent-ils?». Il fondit en larmes et me répondit en sanglotant: «Je l’ignore, mon Père! On a perdu leurs traces. Ils ont vendu les terrains qu’ils avaient au village, les oliveraies et les champs, et je ne sais où ils se trouvent à présent. Ils étaient partis d’abord en Allemagne, puis en Australie, mais maintenant on n’a plus de nouvelles d’eux». Je regrettai de l’avoir interrogé sur ses frères, ne soupçonnant pas que cela lui ferait tant de peine. Je le consolai et il partit rasséréné. Je lui dis encore que nous prierions ensemble pour recevoir de ses frères de joyeuses nouvelles. Les versets du psaume 36 me vinrent ensuite à l’esprit: «J’ai vu l’impie triomphant, il s’élevait
comme les cèdres du Liban; quand je suis repassé, voici qu’il n’était plus, je l’ai cherché, et on ne trouvait plus sa place»11 . C’est exactement ce qui était arrivé à ses frères.
Il n’est rien de pire que l’injustice. Quoi que vous fassiez,
veillez à avoir la bénédiction de Dieu avec vous! 11
11. Ps 36. 35-36.