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  1. Premier séjour à la Sainte-Montagne.

Arsène ne resta que peu de temps à Konitsa et se rendit ensuite au Mont-Athos vêtu de son uniforme. Le premier soir, il fut hébergé dans le kellion* du monastère de Lavra dédié à saint Jean le Théologien en contrebas de Koutloumousiou. Il cherchait un Ancien pour se soumettre à lui. Il visita beaucoup de calyves*, skites* et kellia*, parce qu’il était attiré par la vie hésychaste. Lorsqu’il entendait parler d’Anciens vertueux, il accourait auprès d’eux comme une abeille attirée par des fleurs odorantes.

Il eut cependant à souffrir de quelques zélotes* dépourvus de discernement. Il pensait qu’on les appelait des zélotes parce qu’ils étaient très zélés et qu’ils combattaient beaucoup. Ceux-ci l’étourdirent et voulurent le rebaptiser, bien qu’il eût été baptisé par saint Arsène et, bien sûr, selon l’Ancien calendrier !

Il se rendit chez un Ancien qui était zélote, avec l’intention de rester auprès de lui. Il n’en fut pas satisfait, car les moines écoutaient des chansons à la radio et leur existence n’était pas vraiment spirituelle. Quand il voulut partir, l’Ancien fit pression sur lui, en lui disant que, s’il partait, il irait en enfer, car « quiconque quitte son lieu de repentir ne va pas au Paradis ». Arsène, qui y croyait, en souffrit. Mais un jour, il en eut assez et partit.

Il se rendit dans un autre kellion de Kapsokalyvia et y resta quelque temps. Là aussi c’étaient des zélotes. Lorsqu’ils célébraient un office, ils demandaient à Arsène de rester à l’extérieur de l’église pour ne pas être souillés, car c’était là ce qu’ils pensaient[1] [2]. L’Ancien de la calyve, bien qu’il eût un disciple, lui dit : « Arsène, reste pour me prêter assistance dans ma vieillesse et me fermer les yeux. » En raison de son effort désespéré et de ses déconvenues pour trouver un Ancien qui pourrait l’édifier spirituellement et auquel il prêterait allégeance, il ne pouvait pas dormir. Et il passa une nuit à prier et à faire des prosternations. Le matin, le disciple de l’Ancien lui dit : « As-tu passé la nuit à frapper le plancher de ton pied, pour nous attendrir et nous faire croire que tu faisais des prosternations ? » Arsène ne répondit rien. Il était cependant surpris que le disciple eût de telles pensées.

En se rendant à Sainte-Anne, lorsqu’il arriva à la « croix », il prit une mauvaise direction et commença à monter vers le sommet de l’Athos. C’est alors qu’il rencontra un anachorète au visage lumineux et revêtu d’un froc raccommodé : ils discutèrent ensemble[3].

Arrivé à Sainte-Anne, il rencontra l’évêque de Milétopolis, Hiérothée. Du fait de ses tribulations et de sa contrariété il était devenu squelettique. Lorsqu’il le vit dans un tel état, le hiérarque vertueux l’accueillit avec bonté et le convia à sa table en remplissant pour lui un verre de vin.

« Monseigneur, je ne peux pas le boire.

— Bois-le donc, cela te fera du bien ! », et il le bénit.

Il le conseilla adéquatement et lui donna sa bénédiction.

À Néa-Skiti, le Père Néophyte, de la calyve de Saint-Démètre, l’invita à rester quelque temps, pour qu’il réfléchît à ce qu’il allait faire, car il était dans un état tel qu’il ne pouvait prendre aucune décision. Il resta un peu pour se remettre de ses peines. C’est là qu’il entendit parler d’un anachorète nommé Séraphim, qui était devenu moine dans cette calyve et, par la suite, s’était installé dans une grotte sur l’Athos[4] [5]. Il était plein de simplicité et de sincérité. Et à quiconque l’interrogeait, il disait sa pensée et ses dispositions, et cela le faisait souffrir.

Il devait écrire plus tard : « J’ai beaucoup souffert comme débutant, jusqu’à ce que je trouve ce que je cherchais. Naturellement, ce n’est la faute de personne, si ce n’est celle de mes nombreux péchés (pour que je m’acquitte de quelques-uns) ; et la seconde cause, c’est ma grossièreté paysanne qui m’a valu ces tribulations, car je me confiais à tous ceux que je rencontrais. Je rends grâce à Dieu pour tout, car cela me fut très utile . »

Et il devait dire aussi : « Au début, jusqu’à ce que me poussent des ailes spirituelles, personne ne m’a aidé ; tous m’ont repoussé. Par la suite j’ai rencontré des saints. »

Bien qu’il n’eût pas trouvé ce qu’il cherchait, les tribulations dont il eut à souffrir lui furent utiles et lui apprirent beaucoup de choses. Et comme il risquait de perdre, comme il disait, le peu de cervelle qu’il avait, il prit la décision de revenir dans le monde pour des raisons familiales. Il avait alors reçu une lettre de son père, lui demandant de leur venir en aide car, comme son frère aîné s’était marié, il avait des difficultés. Arsène répondit à l’appel paternel, car il avait une forte conscience de sa responsabilité et de ses devoirs à l’égard de sa famille et surtout envers ses frères et sœurs plus jeunes. Mais c’était une âme forte. Sa visite sans résultat au Mont-Athos n’avait pas entamé son zèle, ni éteint son espérance.

 

  1. Travaux et préparatifs.

Il recommença à travailler comme menuisier à Konitsa et dans les villages environnants. Il soutenait financièrement son père et l’aidait dans ses travaux agricoles. Il acheta une machine à coudre à sa petite sœur et il lui prépara une dote de 50 lires pour son mariage.

Il faisait l’aumône en cachette à beaucoup de pauvres. Il aidait les familles qui avaient perdu leurs parents à la guerre. Il leur fabriquait des portes et des fenêtres gratuitement. Tous l’aimaient.

Sa vie dans le monde était un combat permanent et une préparation à la vie monastique.

Pendant la journée, il travaillait beaucoup et il jeûnait, et il veillait la plus grande partie de la nuit en priant, en lisant des psaumes et en faisant des prosternations. Il habitait dans un sous-sol humide et, pour une plus grande ascèse, il dormait sur le ciment. Après la lassitude justifiée d’une journée fertile en labeurs, son corps demandait un peu de repos. Arsène, rempli de zèle pour Dieu, considérait qu’il n’avait aucune raison de se reposer à moins qu’on ne lui coupe les jambes. Ainsi, il se forçait et il combattait avec un zèle généreux (philotimo*).

Après l’armée, il ne toucha plus à la viande. Il se justifiait en disant aux autres que cela le dégoûtait, mais en vérité il évitait d’en manger pour s’accoutumer aux conditions de la vie monastique. Il vivait dans le monde, mais il combattait et se comportait comme s’il était moine. Il s’était aussi laissé pousser la barbe. Il allait se reposer dans une petite cabane dissimulée dans un ravin, mais lorsqu’on la découvrit, il l’abandonna. Il demeurait souvent dans la maison d’un ami, qui avait une petite chapelle consacrée au néo-martyr Georges de Ioannina. À cette époque, il passa la durée du Grand Carême dans un monastère du Péloponnèse.

Dans les villages, il travaillait très soigneusement ; il parlait peu et quand il travaillait, il psalmodiait à voix basse. Lorsqu’il ne trouvait pas de nourriture de jeûne, il passait la journée dans l’abstinence.

A ses parents, il disait qu’il allait devenir moine mais, par délicatesse, il disait qu’il n’était pas encore prêt, pour qu’ils ne se sentissent pas gênés en pensant être la cause de son atermoiement et de ce qu’il restait encore dans le monde.

Il se mit en règle avec ses affaires, sans rien laisser en suspens. « Lorsque je suis parti pour devenir moine, personne n’avait rien à me reprocher », disait-il, entendant par là qu’il avait accompli jusqu’au bout son devoir et ses obligations à l’égard de sa famille.

En mars 1953 Arsène était désormais prêt à réaliser sa vocation monastique qui l’attirait depuis son jeune âge. Après avoir prié avec ferveur, il décida de retourner sans tarder au Mont-Athos.

 

[1] C’est-à-dire le lieu où il s’exerce à l’ascèse : monastère ou autre.

[2] Aujourd’hui encore, les vieux-calendaristes considèrent comme impurs, avant qu’ils ne soient rebabtisés par eux, les orthodoxes qui viennent de l’extérieur de leur groupe, et ils leur interdisent, en conséquence, l’accès à l’église.

[3]  Fleurs du Jardin de la Mère de Dieu, Monastère de Souroti, 1997, p. 61- 62.

[4]  Ibid., p. 59-60.

[5]  Lettres, Monastère de Souroti, 2005, p. 23-24.