↵ Tables des matières
  1. La calyve d’Hypatios.

Pour l’amour de son hésychia bien-aimée et en raison de sa santé déficiente, le Père Païssios se rendit à Katounakia où il prit la calyve d’Hypatios, à l’endroit appelé « Vlachika », au-dessus de la maison des Danilaioi.

Il écrivit dans une lettre (datée du 18 septembre 1967) : « …Gloire à Dieu, je me porte très bien. Je ne suis pas oppressé parce que je peux ouvrir la fenêtre jour et nuit, car il n’y a pas d’humidité. Je n’ai pas non plus de voisinage. »

C’était une pauvre petite calyve sans chapelle avec deux trois murets de pierre alentour. Quelques mètres plus loin, il y avait aussi une autre petite calyve en tôles. Elle avait une bénédiction particulière, parce qu’en celle- ci avait vécu l’Ancien Éphrem «le Miséreux» (« f 1962)1. L’Ancien s’y rendait souvent, il y priait et ressentait la grâce du lieu. Cent mètres plus haut se trouvait une grotte, jadis refuge de bandits, dans laquelle l’ancien Éphrem avait également vécu. La vie à Katounakia était tranquille, sans trouble et très pauvre. Comme travail manuel, il gravait des icônes en bois de cyprès représentant la Crucifixion avec la Mère de Dieu et saint Jean. Il en vendait quelques-unes pour son entretien, mais le plus souvent il les distribuait en bénédiction*. Il fabriquait aussi des petites icônes faîtes à la presse, qu’il distribuait aussi en bénédiction.

C’est alors qu’il fit l’exhumation du précédent habitant de la calyve, l’Ancien Hypatios le Roumain.

L’Ancien aidait aussi les Danilaioi[1] [2] lors de leurs fêtes. Parmi les servants se trouvait un moine de Kavsocalyvia, auquel ce moine inconnu de lui (le P. Païssios) fit une grande impression, car il servait avec une grande agilité pendant la fête, autant que deux ou trois autres servants réunis ; silencieux et priant sans jamais se reposer.

Un jour, l’Ancien prit le bateau pour aller de Daphni à Katounakia. Il aborda un moine qu’il voyait pour la première fois, lui fit humblement une métanie* et l’appela de son nom. C’était l’Ancien Gabriel, le grand ascète de Karoulia[3]. Et celui-ci fiat content de connaître le Père Païssios, parce qu’il avait entendu parler d’un ascète qui habitait à Vlachika. Avec une charité sincère et familiarité, ils s’assirent à part et s’entretinrent spirituellement. Plus tard, l’Ancien devait dire : « L’Ancien Gabriel était un vrai ascète, mais l’Ancien Petros (« Petrakis ») avait quelque chose de spécial. Il avait une douceur (apalada) spirituelle. »

A Katounakia, il eut aussi des relations spirituelles avec d’autres Pères qui avaient atteint une haute stature spirituelle.

Cette hésychia*, qu’il désirait ardemment, était interrompue par les visiteurs, comme il nous le rapporta lui-même : « Je venais d’être opéré lorsque je revins à Katounakia, et les gens commencèrent à me rendre visite. Les ayant reçus autant qu’il était nécessaire, je les renvoyais en leur souhaitant bonne route. Eux alors se mettaient en route mais, peu après, ils revenaient sur leurs pas en me disant qu’ils voulaient passer la nuit chez moi, et ils s’installaient. Et moi, alors, de leur faire la cuisine, de leur préparer un lit. Où trouver la force de m’occuper d’eux ? Qu’est-ce que j’ai dû endurer ! Je souffrais et les médicaments ne me soulageaient pas. Mais je disais : “Gloire à Toi, notre Dieu, qui m’as accordé, malgré mon indignité, de ressentir un peu ce qu’ont ressenti les saints martyrs.” »

  1. Des gilets pour l’ascète.

L’Ancien apportait aussi à des pères malades et âgés des bénédictions* consistant en vêtements et en nourriture. Un vieillard âgé avait mis devant la porte de son kellion un écriteau : « Ne me dérangez pas. Je suis vieux et malade. » Il ne voulait rien recevoir de personne. Le Père Païssios réussit à lui faire accepter ce qu’il lui apportait, en disant : « Garde-le, Géronda*, puisque tu es vieux et malade. »

Un jour, il rendit visite à l’ancien Sabbas de Katounakia et lui donna quelques « bénédictions* ». En partant, il lui demanda s’il avait besoin de quelque chose. Il lui répondit qu’il avait besoin de vêtements de dessous en flanelle. Sur le chemin, en revenant à sa calyve, il rencontra un visiteur qui venait le voir et tenait un colis pour lui. L’Ancien l’ouvrit et admira la providence divine. Le colis contenait des flanelles. Il fit aussitôt demi-tour et les donna à l’ancien Sabbas.

  1. Le possédé.

« Un jour, en remontant vers ma calyve assez chargé, raconta l’Ancien, je rencontrai un laïc de Trikala qui souhaitait m’aider. Mais le malheureux était possédé et en chemin, il fut saisi de soubresauts à cause du démon et il tomba sur le sol. Je fis sur lui le signe de croix avec la croix de mon chapelet. Le possédé se saisit de ma main droite et fut sur le point de la briser. Alors j’ai pris mon chapelet* de ma main gauche, et j’ai fait sur lui le signe de croix en disant : “Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, sors, esprit impur !” Aussitôt il se calma et me demanda pardon. » L’Ancien ajouta alors avec admiration : « Le chapelet* a une grande puissance, oh là là ! »

  1. « Il a dénoué mon nœud gordien »

Témoignage d’un prêtre anonyme : « En 1968, j’ai rendu visite à l’Ancien alors que j’étais séminariste. Mon grand problème, qui m’étouffait littéralement, c’était que j’avais choisi de vivre comme un prêtre célibataire, car on m’avait présenté le mariage d’une façon partiale et suivant une perspective erronée. J’ai ouvert mon cœur avec confiance à l’Ancien. Il m’écouta avec attention et lorsque j’eus terminé, il me dit : « Écoute, mon enfant, le menuisier fait des meubles de luxe avec le bois approprié. Il en est de même pour le forgeron : celui-ci, avec du fer, fabrique d’excellents meubles en métal. Toi, mon enfant, il faut que tu t’examines soigneusement : de quel matériau es-tu fait ? Si, par exemple, tu es en bois, en aucune façon tu ne dois aller chez le forgeron, parce qu’il te consumera avec le chalumeau dont il se sert. C’est seulement si tu es de fer que tu dois aller chez le forgeron. »

J’étais alors dans la confusion la plus totale mais, dès cet instant, je me sentis soulagé parce que l’Ancien, avec un exemple simple et plein de sagesse, avait dénoué le nœud gordien qui, depuis tant d’années, m’oppressait. Je suis reparti tout joyeux, persuadé qu’il y avait une issue qui s’ouvrait à l’horizon même pour moi. Je m’étais ainsi assuré que je pouvais, sans nuire et sans trahir l’idéal de vie du célibat, suivre le conseil que

Dieu m’avait prodigué par la bouche de l’Ancien Païssios. L’intervention de l’Ancien Païssios fut décisive pour ma vie ultérieure. »

  1. Pauvreté.

Un jour, alors qu’il était assis dans la cour de sa pauvre calyve, il s’aperçut que quelqu’un était caché dans le bois et l’observait. Il donnait l’impression d’un homme qui cherche une occasion pour voler.

L’Ancien réfléchit et se dit : « Le malheureux doit être dans le besoin. » Il partit aussitôt en laissant la porte de sa calyve ouverte. Le voleur put pénétrer librement à l’intérieur. Mais, malheureusement pour lui, il ne trouva rien qui vaille la peine d’être emporté. Il n’y avait qu’un matelas de paille et quelques petits objets de moindre valeur. « Bien que le voleur ait été, selon l’Ancien, un homme rude, il fut ému et, par la suite, il m’amenait du ravitaillement. » Se repentant, il demanda pardon, ce que l’Ancien lui accorda bien volontiers et de tout son cœur.

  1. « Moi, je mange tout le temps… »

Un jour le Père Daniel de la communauté des Danilaioi lui rendit visite. Il frappa à la porte, en disant : « Par les prières de nos saints Pères… », et pendant longtemps il n’y eut pas de réponse. Enfin, l’Ancien ouvrit. Il avait le visage couvert de larmes et il tenait dans ses mains un oignon et du pain séché, et il mangeait. Le Père Daniel lui demanda : « Comment vas-tu Père Païssios ? — Comment puis-je aller, Père ? Eh, ne le vois-tu pas ? Je mange. Moi, je mange tout le temps… » Et tout en disant cela, il mangeait de l’oignon et du pain séché, et ses larmes ne cessaient de couler. A ce qu’il semble, il était dans un état spirituel de grande componction, au point qu’il ne pouvait retenir ses larmes. En entendant la voix du Père Daniel, il fit un effort pour se dominer, parce qu’il devait ouvrir la porte. Mais ne pouvant contenir ses larmes, il trouva cet artifice avec l’oignon. Mais le Père Daniel, qui raconta cet incident, comprit de quoi il retournait, et il donna cette explication.

  1. Lumière très douce.

À Katounakia, il fit aussi des expériences divines : « Un jour, raconta- t-il, alors que je disais la Prière* pendant la nuit, une grande joie m’envahit. Je continuai de dire la Prière et, soudain, ma cellule fut baignée de lumière. Celle-ci était blanche avec une légère tendance au bleu. Mon cœur battait doucement. Je continuai à faire le chapelet* jusqu’au lever du soleil. La lumière était si forte 1 Plus forte que la lumière du soleil. Le soleil était une lueur à côté d’elle. Je voyais le soleil, et sa lumière me semblait pâle, comme l’est la lumière de la lune pendant la pleine lune. Je vis cette lumière pendant longtemps. Par la suite, quand la lumière se retira, la grâce aussi diminua, alors je ne trouvai plus ni consolation ni joie. Parce que j’étais passé d’un état spirituel à un autre inférieur, je me considérais moi-même comme un animal. J’allais manger, boire de l’eau, faire mon travail manuel et je me sentais comme un animal. J’avais complètement oublié cet événement et je m’en suis souvenu avant-hier[4], quand un pieux avocat qui se livrait à la prière mentale me le rappela, parce qu’il vivait un état spirituel… »

L’Ancien ne dit pas explicitement que la lumière qu’il vit était incréée, bien qu’il n’y ait aucun doute qu’il s’agissait bien de la Lumière incréée. Il ne décrit rien de plus, il ajouta seulement : « On la voit même les yeux fermés, comme aussi avec les yeux ouverts ; même la nuit dans l’obscurité et le jour au soleil. »

Par de telles interventions spirituelles, la grâce divine consolait l’ascète Païssios qui, volontairement, s’était fait pauvre en pratiquant l’ascèse et en renonçant à lui-même dans le désert sans consolation de Katounakia.

 

[1] Voir Fleurs du Jardin de la Mère de Dieu, p. 109 – 111.

[2] Communauté fondée au xix’ s. par l’Ancien Daniel, connue pour la qualité de ses iconographes et de ses chantres. Cette communauté est la plus nombreuse et la mieux

organisée de Katounakia, c’est ce qui lui permet de venir fréquemment en aide aux ermites de la région.

[3] Karoulia se trouve en contrebas de Katounakia et en bordure de mer. C’est sur ces rochers abrupts et sans consolation que vivent des ermites.

[4]  Le 23 juin 1984.