(Mt 25,14-30)
Dieu crée l’inégalité ; les hommes bougonnent contre l’inégalité. Les hommes sont-ils plus avisés que Dieu ? Si Dieu crée l’inégalité, c’est que l’inégalité est plus sage et meilleure que l’égalité.
Dieu crée l’inégalité pour le bien des hommes ; or ceux-ci ne sont pas capables de voir leur propre bien dans l’inégalité.
Dieu crée l’inégalité à cause de la beauté de l’inégalité ; or les hommes ne sont pas capables de voir la beauté de l’inégalité.
Dieu crée l’inégalité à cause de l’amour qui s’enflamme et prend appui sur l’inégalité ; or les hommes ne sont pas capables de voir l’amour dans l’inégalité.
Il s’agit d’une très ancienne révolte des hommes : l’aveuglement contre la vision, la folie contre la sagesse, le mal contre le bien, la laideur contre la beauté, la méchanceté contre l’amour. Déjà Adam et Eve s’étaient soumis à Satan, afin de se montrer équivalents à Dieu. Déjà Caïn avait tué son frère Abel, parce que leurs sacrifices n’étaient pas également droits devant Dieu. Depuis lors et jusqu’à nos jours, dure la lutte des hommes pécheurs contre l’inégalité. Or, déjà avant cette époque et jusqu’à nos jours, Dieu crée l’inégalité. Nous disons bien: avant cette époque, car Dieu a créé aussi l’inégalité parmi les anges.
Dieu souhaite que les hommes soient inégaux dans tous leurs attributs extérieurs, comme par exemple : la richesse, le pouvoir, la fonction, l’instruction, la position, etc., et ne préconise à cet égard aucune surenchère. « Quand tu es invité à des noces, ne vas pas te mettre à la première place», recommande le Seigneur Jésus (Lc 14, 8). Dieu souhaite la surenchère dans la multiplication des biens intérieurs: la foi, la bonté, la charité, l’amour, la douceur et la modération, l’humilité et l’obéissance. Dieu a donné des biens extérieurs et intérieurs. Mais II considère que les biens extérieurs sont plus insignifiants que les biens intérieurs. Il a accordé des biens extérieurs délectables aussi bien aux hommes qu’aux animaux. Mais le riche trésor des biens intérieurs, spirituels, n’a été répandu par Lui que dans les âmes des hommes. Dieu a donné à l’homme quelque chose de plus qu’aux animaux, aussi demande-t-Il à l’homme plus qu’aux animaux. Ce supplément se compose de dons spirituels.
Dieu a accordé aux hommes les biens visibles afin qu’ils servent aux biens intérieurs. Car tout ce qui est extérieur sert de moyen à l’homme intérieur. Tout ce qui est donné dans le temps est au service de l’éternel ; et tout ce qui est mortel est donné pour servir l’éternel. L’homme qui suit un chemin contraire, et qui dilapide tous ses dons spirituels exclusivement en vue de l’acquisition de biens terrestres éphémères – de la richesse, des fonctions, de la célébrité dans le monde -, fait penser au fils qui hérite beaucoup d’or de son père, puis dépense tout son or ‘en achetant des cendres.
Pour les hommes qui ont senti dans leur âme qu’on y avait déposé des dons de Dieu, tout ce qui est apparent devient peu significatif; de même que l’école primaire le devient pour celui qui entre dans une grande école.
Les ignorants ne se battent que pour les biens apparents, non les sages. Ces derniers mènent un combat plus difficile et utile : le combat pour la multiplication des biens intérieurs.
Pour l’égalité extérieure luttent ceux qui ne savent pas ou n’osent pas regarder en eux-mêmes, ni se consacrer au champ intérieur, principal, de leur condition d’homme.
Dieu ne regarde pas ce qu’est un homme dans ce monde et ce qu’il possède, ni comment il est vêtu, nourri, instruit et respecté par les autres ; Dieu regarde le cœur de l’homme. En d’autres termes, Dieu ne regarde pas l’état apparent et la position de l’homme, mais son développement intérieur, son développement et son enrichissement en esprit et en vérité. Ce thème est évoqué dans l’Évangile de ce jour, qui est consacré aux talents ou dons spirituels que Dieu a déposés dans l’âme de tout homme ; on y voit la grande inégalité intérieure entre les hommes, conformément à leur nature même. Mais ce texte montre aussi autre chose. Dans un élan d’aigle, ce récit survole toute l’histoire de l’âme humaine, du commencement à la fin. Quiconque comprendrait au moins ce récit du Sauveur et imprégnerait sa vie de Son enseignement, serait en mesure d’acquérir le salut éternel dans le Royaume de Dieu.
C’est comme un homme qui, partant en voyage, appela ses serviteurs et leur remit sa fortune. A l’un il donna cinq talents, deux à un autre, un seul à un troisième, à chacun selon ses capacités, et puis il partit. (Mt 25, 14-15). Cet homme désigne le Dieu Très-Haut, donateur de tous les biens octroyés. Ses serviteurs correspondent aux anges et aux hommes. Le départ en voyage représente la longue patience de Dieu. Les talents sont des dons spirituels dont Dieu pourvoit toute créature sensée. La grandeur de ces dons est attestée par le terme de talents qui leur a été attribué à dessein. Car un talent représentait beaucoup d’argent, la valeur de 500 ducats d’or. Nous disons que le Seigneur a volontairement donné le nom de talents à ces dons de Dieu, afin de montrer la grandeur de ces dons, et que le Créateur très doux a richement pourvu Ses créatures. Ces dons sont si importants que même celui qui a reçu un talent a reçu un montant tout à fait suffisant. L’homme de ce récit désigne aussi le Christ Seigneur, ce qu’on voit dans l’expression utilisée par l’évangéliste Luc : un homme de haute naissance. Cet homme de haute naissance, c’est le Christ Seigneur Lui-même, le Fils unique de Dieu, le Fils du Très-Haut. On le voit encore plus dans la suite de cette phrase : Un homme de haute naissance se rendit dans un pays lointain pour recevoir la dignité royale et revenir ensuite (Lc 19, 12). Après Son ascension, le Seigneur Jésus se rendit au ciel pour recevoir Sa dignité royale, en promettant au monde qu’il reviendrait sur terre comme Juge. Si le nom d‘homme désigne ici le Seigneur Jésus, alors Ses serviteurs désignent les apôtres, les évêques, les prêtres et tous les fidèles. Sur chacun deux le Saint-Esprit a répandu de nombreux dons, différents et inégaux, afin que chacun puisse compléter l’autre et que tous, ainsi, puissent se perfectionner et se développer spirituellement. Il y a, certes, diversité de dons spirituels, mais c’est le même Esprit; diversité de ministères, mais c’est le même Seigneur; diversité d’opérations, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous. A chacun la manifestation de l’Esprit est donnée en vue du bien commun. Mais tout cela, c’est l’unique et même Esprit qui l’opère, distribuant Ses dons à chacun en particulier comme II l’entend (1 Co 12,4-11). À travers le mystère du baptême, tous les fidèles reçoivent ces dons en abondance, et à travers les autres mystères de l’Église, ces dons sont confortés et multipliés par Dieu. Dans les cinq talents, certains exégètes voient les cinq sens de l’homme, tandis que deux talents correspondraient à l’âme et au corps et qu’un talent désignerait l’unité de la nature humaine. Les cinq sens ont été donnés à l’homme pour être au service de son esprit et de son salut. Par l’âme et le corps, l’homme doit servir attentivement Dieu et s’enrichir par sa connaissance de Dieu et par les bonnes actions. C’est tout l’homme, de façon unitaire, qui doit être au service de Dieu. Dans son enfance, l’homme vit avec ses cinq sens et mène une vie pleinement sensorielle. Devenu plus mûr, l’homme sent une dualité en lui et l’affrontement entre le chair et l’esprit. Dans sa maturité, l’homme devient un esprit unique, après avoir vaincu sa division en cinq et en deux. Mais c’est précisément à ce moment-là, quand l’homme croit qu’il est vainqueur, que le plus grand danger le guette, du fait de sa désobéissance envers Dieu. Après avoir atteint le sommet, il tombe alors dans la déchéance la plus profonde et enfouit son talent.
Dieu accorde des dons à chacun, selon sa force, c’est-à-dire compte tenu de ce que chacun peut supporter et utiliser. Bien entendu, Dieu répartit les dons entre les hommes en tenant également compte de Sa propre économie…
Et puis il partit. Ces mots traduisent la rapidité de la création divine. Quand le Créateur créa le monde, Il le fit rapidement. Quand le Seigneur Jésus vint sur terre pour la Nouvelle Création, pour régénérer le monde, Il accomplit rapidement Sa tâche : Il l’annonça et accorda les dons, puis partit aussitôt.
Que firent les serviteurs avec les talents qu’ils avaient reçus? Celui qui avait reçu les cinq talents alla les faire produire et en gagna cinq autres. De même celui qui en avait reçu deux en gagna deux autres. Mais celui qui n’en avait reçu qu’un s’en alla faire un trou en terre et enfouit l’argent de son maître (Mt 25,16-18).Toutes les activités artisanales et commerciales des hommes sont à l’image de ce qui se produit, ou devrait se produire, dans le royaume des âmes humaines. Si quelqu’un hérite d’un bien, les gens s’attendent à ce qu’il l’agrandisse; si quelqu’un a acquis un champ, on s’attend à ce qu’il exploite ce champ ; si quelqu’un a appris un métier, on s’attend à ce qu’il fasse ce métier aussi bien à son profit qu’à celui de ses voisins ; si quelqu’un a investi de l’argent dans le commerce, on s’attend à ce qu’il fasse fructifier cet argent. Les gens se déplacent, travaillent, arrangent des affaires, additionnent, transforment, vendent et achètent. Chacun s’efforce d’acquérir ce qui lui est nécessaire pour son existence, d’améliorer sa santé, de subvenir à ses besoins quotidiens et de s’assurer un bon état physique à long terme. Tout cela n’est qu’un reflet de ce que l’homme doit faire pour son âme. Car l’âme est la chose principale. Tous nos besoins apparents sont le reflet de nos besoins spirituels, un avertissement et une leçon pour que nous fassions aussi des efforts pour notre âme, affamée et assoiffée, nue et malade, impure et désolée. Aussi chacun de nous, qui a reçu de Dieu soit cinq onces, soit deux onces, soit une once de foi, de sagesse, de charité ou de crainte de Dieu, doit s’efforcer au moins de doubler ce qu’il a reçu, comme l’ont fait le premier et le deuxième serviteur, et comme le font d’habitude les gens faisant du commerce et de l’artisanat. Celui qui ne fait pas fructifier le talent qui lui a été donné – quel qu’il soit et quelle qu’en soit l’importance – sera coupé tel un arbre stérile et jeté dans le feu. Ce que fait chaque propriétaire avec un arbre fruitier stérile, qu’il bêche, greffe et clôture, sans avoir de fruits, c’est ce que fera le Propriétaire suprême de cette construction universelle, dont les hommes sont les fruits les plus précieux. Regardez vous-mêmes avec quel étonnement et quel mépris les gens contemplent l’homme qui, après avoir hérité un bien de son père, ne fait rien d’autre que de rester assis et dépenser son héritage pour ses besoins personnels et ses plaisirs charnels ! Le mendiant le plus misérable n’accumule pas sur lui autant de mépris qu’un paresseux égoïste de cette espèce. Un tel homme est l’image d’un paresseux spirituel, qui a reçu de Dieu un talent de foi, de sagesse, d’éloquence ou d’une autre vertu, mais le tient inutilisé, enfoui dans la boue de son corps, sans le faire fructifier par l’effort, sans le montrer à quiconque par orgueil et sans être utile à quiconque par égoïsme.
Longtemps après, arrive le maître de ces serviteurs et il règle ses comptes avec eux (Mt 25,19). Dieu ne se trouve pas loin des hommes, même pendant une heure, a fortiori pendant une période plus longue. Son soutien aux hommes s’écoule de jour en jour comme une rivière trop pleine, mais Son tribunal, Son règlement de comptes avec eux se produit au bout d’une longue période. Prompt à aider quiconque implore Son secours, Dieu est lent à se venger de celui qui L’offense et gaspille les talents qu’il lui a donnés. Il s’agit ici du Jugement Dernier, qui surgit à l’expiration du temps, et où tous ceux qui ont agi sont appelés à recevoir leur salaire.
Celui qui avait reçu les cinq talents s’avança et présenta cinq autres talents: «Seigneur, dit-il, tu m’as remis cinq talents: voici cinq autres talents que j’ai gagnés. — C’est bien, serviteur bon et fidèle, lui dit son maître, en peu de choses, tu as été fidèle, sur beaucoup je t’établirai: entre dans la joie de ton seigneur». Vint ensuite celui qui avait reçu deux talents: «Seigneur, dit-il, tu m’as remis deux talents: voici deux autres talents que j’ai gagnés. — C’est bien, serviteur bon et fidèle, lui dit son maître, en peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t’établirai: entre dans la joie de ton seigneur» (Mt 25, 20-23). L’un après l’autre, les serviteurs se présentent devant le maître et lui rendent compte de ce qu’ils ont fait de l’argent qui leur a été confié. Nous aussi, nous devrons, les uns après les autres, nous présenter devant le maître du ciel et de la terre et devant des millions de témoins, annoncer ce que nous avons fait de l’argent qui nous a été confié. A ce moment-là, rien ne pourra être caché ni corrigé. Car le Seigneur illuminera de Sa lumière tous les présents, de sorte que chacun connaîtra la vérité sur chacun. Si nous avons réussi dans cette vie à doubler nos talents, nous nous présenterons, le visage radieux et le cœur libre, devant le Seigneur, comme les deux premiers serviteurs bons et fidèles. Et nous serons illuminés par le visage du Seigneur et ranimés pour toujours par Ses paroles : Serviteur bon et fidèle ! Mais malheur à nous si nous nous présentons sans rien devant le Seigneur et Ses saints anges, comme le troisième serviteur, mauvais et paresseux !
Que signifient ces mots : en peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t’établirai? Ils signifient que tous les dons reçus de Dieu dans ce monde, de quelque ampleur fussent-ils, sont infimes par rapport au trésor qui attend les fidèles dans l’autre monde. Mais, selon qu’il est écrit, nous annonçons ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment (1 Co 2, 9). Le plus petit effort fait par amour de Dieu, Dieu le récompense par de riches dons royaux. Pour le peu que les fidèles auront enduré dans cette vie par obéissance envers Dieu et par le peu d’efforts qu’ils auront fait pour leur âme, Dieu leur accordera une gloire telle que les rois de ce monde ne l’ont ni connue ni possédée.
Et voici maintenant ce qui est arrivé au serviteur mauvais et infidèle : S’avançant à son tour, celui qui avait reçu un seul talent dit: « Seigneur, je savais que tu étais un homme dur: tu moissonnes où tu n’as pas semé, tu ramasses où tu n’as pas répandu. Par peur, je suis allé cacher ton talent dans la terre: le voici, tu as ton bien » (Mt 25, 24-25). Voilà comment ce troisième serviteur justifie sa méchanceté et sa paresse devant son maître ! Mais il n’est pas seul dans ce cas. Combien y en a-t-il parmi nous qui rejettent la responsabilité sur Dieu pour leur malveillance, leur laisser-aller, leur oisiveté et leur égoïsme ! Ne reconnaissant pas leurs péchés et ne connaissant pas les voies de l’amour de Dieu pour les hommes, ils murmurent contre Dieu pour leur impuissance, leur maladie, leur pauvreté, leurs échecs. Tout d’abord, chaque mot prononcé par ce serviteur paresseux devant Dieu est un mensonge élémentaire. Où Dieu moissonne-t-Il où II n’a pas semé ? Où ramasse-t-Il où II n’a pas répandu ? Y a-t-il une bonne semence en ce monde, qui n’ait pas été semée par Dieu ? Et y a-t-il de bons fruits dans tout l’univers, qui ne résultent pas du labeur de Dieu? Les malveillants et les infidèles se plaignent par exemple quand Dieu leur enlève des enfants. « Voilà comment Il nous enlève sans pitié nos enfants avant l’âge ! » Mais en quoi ces enfants sont-ils les vôtres? N’étaient-ils pas les Siens avant que vous les appeliez vôtres ? Et en quoi est-ce avant l’âge ? Est-ce que Celui qui a créé le temps ne sait pas quand le temps est venu ? Aucun propriétaire terrien n’attend que toute la forêt soit décrépite pour couper les arbres ; il coupe les vieux et les jeunes arbres en fonction de ses besoins. Au lieu de bougonner contre Dieu et de maudire Celui dont dépend leur moindre souffle, il vaudrait mieux qu’ils disent comme le juste Job : Le Seigneur avait donné, le Seigneur a repris; que le Nom du Seigneur soit béni! (Jb 1,21). Les malveillants et les infidèles murmurent contre Dieu quand la grêle a détruit leur récolte ; ou quand leur navire coule dans la mer avec sa cargaison ; ou quand ils sont frappés par la maladie ou l’impotence, ils crient que Dieu est violent ! Ils ne s’expriment ainsi que parce qu’ils ne se souviennent pas de leurs péchés ou qu’ils ne peuvent pas en tirer de leçon pour le salut de leur âme.
Devant la justification mensongère de Son serviteur, le Seigneur répond : Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne où je n’ai pas semé, et que je ramasse où je n’ai rien répandu ? Eh bien, tu aurais dû placer mon argent chez les banquiers et à mon retour j’aurais recouvré mon bien avec un profit (Mt 25, 26-27). Tout cela possède un sens figuré. Les commerçants correspondent ici aux hommes s’occupant d’activités de bienfaisance, l’argent aux dons de Dieu et le profit au salut de l’âme humaine. Vous voyez ainsi comment tout ce qui se produit de façon visible entre les hommes, n’est que le reflet de ce qui se produit, ou devrait se produire, dans le royaume spirituel au cours de cette vie ! Même des commerçants sont utilisés pour refléter la réalité spirituelle existant au plus profond des hommes ! Le Seigneur veut ainsi dire au serviteur paresseux: tu as reçu un don de Dieu, mais tu n’as pas voulu l’utiliser pour ton salut; pourquoi ne l’as-tu pas au moins confié à un bienfaiteur, à un homme spirituel, qui aurait voulu et su transmettre ce don à d’autres hommes qui se confient à lui afin de gagner leur salut? Et à mon arrivée parmi les hommes, j’aurais ainsi trouvé davantage d’âmes sauvées sur la terre : plus de fidèles, plus d’êtres purifiés, plus d’êtres charitables et doux. Au lieu de cela, tu as enfoui le talent au fond de ton corps qui a pourri dans la tombe (Le Seigneur s’exprimera ainsi au Jugement dernier) et qui ne t’est maintenant d’aucun secours !
Quelle leçon terrible et claire pour tous ceux qui possèdent beaucoup de richesses et n’en distribuent pas aux pauvres ; ou pour ceux qui possèdent beaucoup de sagesse, mais la tiennent enfermée en eux-mêmes, comme dans une tombe; ou qui possèdent de nombreuses capacités bonnes et utiles, mais ne les montrent à personne ; ou ceux qui détiennent un grand pouvoir, mais ne protègent pas les malheureux et les faibles ; ou ceux qui ont un grand nom et la gloire, mais ne souhaitent pas illuminer de la moindre lueur ceux qui sont dans les ténèbres ! Pour le dire en termes policés, tous ces gens sont des voleurs. Car ils considèrent que le don de Dieu est à eux ; ils se sont attribué ce qui n’est pas à eux et ont dissimulé ce qui leur a été donné. Mais ce ne sont pas seulement des voleurs, mais aussi des assassins. Car ils n’ont pas aidé à sauver ceux qui auraient pu être sauvés. Leur péché n’est pas moindre que celui de l’homme se tenant avec une corde au bord d’une rivière et qui, voyant quelqu’un en train de se noyer, ne lui aurait pas jeté la corde pour le sauver.
En vérité, c’est aussi à ceux-là que le Seigneur dira ce qu’il a dit dans ce récit au mauvais serviteur : Retirez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui a les dix talents. Car à tout homme qui a, l’on donnera et il sera dans la surabondance ; mais à celui qui n’a’pas, même ce qu’il a lui sera retiré. Quant à ce serviteur bon à rien ,jetez-le dans les ténèbres du dehors: là seront les pleurs et les grincements de dents (Mt 25, 28-30). Dans cette vie aussi, il arrive habituellement que l’on retire à celui qui possède peu pour le donner à celui qui a beaucoup; ce riest que le reflet de ce qui arrive dans le Royaume céleste. Le père ne prend-il pas l’argent de son fils dissipé pour le donner au fils raisonnable qui sait s’en servir utilement? Le chef militaire ne retire-t-il pas les munitions au soldat infidèle pour les donner au soldat bon et fidèle ? Le Seigneur Dieu retire Ses dons aux serviteurs infidèles, dès cette vie : les hommes riches mais impitoyables connaissent d’habitude la banqueroute et meurent dans la misère; les hommes sages mais égoïstes terminent leur existence dans une étroitesse d’esprit extrême ou dans la folie ; des saints saisis par l’orgueil tombent dans le péché et terminent comme grands pécheurs; ceux qui ont conquis le pouvoir de manière agressive, connaissent la raillerie, l’infamie et l’impuissance ; les prêtres qui n’ont instruit les autres ni par la parole ni par l’exemple, tombent de plus en plus profondément dans le péché avant de quitter cette vie dans des souffrances atroces ; les mains qui n’ont pas voulu faire ce qu’elles étaient capables de créer, se mettent à trembler ou se retrouvent paralysées; la bouche qui ria pas voulu dire la vérité quelle pouvait dire, devient épaisse ou morte ; et en général, tous ceux qui ont occulté les dons de Dieu terminent comme des mendiants démunis de tout. Ceux qui n’ont pas su partager quand ils avaient des richesses, devront apprendre à mendier quand on leur aura pris leurs biens. Si un bien n’est pas repris à un égoïste méchant et impitoyable avant sa mort, il le sera à ses descendants ou parents proches à qui ce bien aura été légué. L’essentiel est que le talent soit repris à celui qui s’est montré infidèle, qui ne sera traduit en jugement qu’à ce moment-là. Dieu ne condamne jamais quelqu’un, tant que le talent bienfaisant se trouve encore en lui. De même, celui qui a été condamné par les tribunaux terrestres se voit dépouillé de ses habits civils et revêtu de la tenue infamante de prisonnier, avant d’être conduit sur le lieu de la sentence. C’est ainsi que tout pécheur non repenti sera d’abord dépouillé de tout élément divin en lui, puis envoyé dans les ténèbres du dehors: là seront les pleurs et les grincements de dents.
Ce récit nous dit clairement que ne sera pas condamné seulement celui qui commet le mal, mais aussi celui qui ne fait pas le bien. L’apôtre Jacques nous enseigne que celui qui sait faire le bien et ne le fait pas, commet un péché (Je 4,17).Tout l’enseignement du Christ, de même que l’exemple du Christ, nous incitent à faire le bien. S’abstenir de faire le mal est un point de départ; mais tout le parcours terrestre d’un chrétien doit être parsemé de bonnes actions, telles des fleurs. Faire sans compter de bonnes actions aide beaucoup à s’abstenir de mauvaises actions. Car il est difficile de s’abstenir de mauvaises actions sans faire simultanément quelque chose de bien, comme il est difficile de se préserver du péché sans pratiquer de bonnes actions.
Ce récit nous montre aussi que Dieu est également charitable envers tous les hommes. Tout homme s’est vu attribuer un don; certains en ont reçu plus, d’autres moins, ce qui ne change rien au fond, car II demande plus à celui à qui II a donné plus et moins à celui à qui II a donné moins. Mais chacun a reçu suffisamment pour pouvoir assurer son propre salut et aider au salut des autres. C’est pourquoi il serait erroné de penser que dans ce récit, le Seigneur n’évoque que des hommes riches de diverses sortes dans ce monde. Non, Il parle de tous les hommes, sans exception. Tous ont été indistinctement envoyés dans ce monde avec un don. La veuve qui a fait don au temple de Jérusalem de ses deux dernières piécettes, était très pauvre du point de vue matériel mais n’était pas pauvre du point de vue du sacrifice et de la crainte de Dieu ; elle a été complimentée par le Seigneur Jésus Lui-même : « En vérité\ je vous le dis, cette veuve qui est pauvre, a mis plus que tous ceux qui mettent dans le Trésor» (Mc 12, 44).
Mais considérons le cas le pire et le plus mystérieux. Imaginez un homme aveugle et sourd-muet qui a passé toute sa vie terrestre dans cet état, de la naissance à la mort. Certains se demanderont : quel don un tel homme a-t-il reçu de Dieu? et comment pourra-t-il être sauvé? Mais il possède un don, un grand don. Si lui ne voit pas les hommes, eux le voient. Si lui-même ne fait pas la charité, il suscite la charité chez d’autres hommes. Si lui ne peut mettre en garde en paroles sur l’attitude à avoir envers Dieu, il constitue un avertissement vivant pour les hommes. S’il ne prêche pas par des mots, il sert de preuve à la prédication divine. En vérité, il est en mesure de conduire un grand nombre vers le salut, et d’obtenir ainsi lui-même le salut. Mais il fait savoir que les aveugles, les sourds et les muets ne font pas habituellement partie de ceux qui enfouissent leur talent. Ils ne se cachent pas des hommes, et c’est suffisant. Car tout ce qu’ils ont à montrer, ils le montrent. Eux-mêmes ! C’est l’argent qu’ils mettent en circulation et le restituent avec profit au Seigneur. Ils sont des serviteurs de Dieu, des avertissements divins, des mises à l’épreuve par Dieu. Ils remplissent les cœurs des hommes de crainte et de miséricorde. Ils constituent une prédication terrible et évidente de Dieu, gravée dans la chair. Ce sont précisément ceux qui ont des yeux, des oreilles et une bouche, qui enfouissent le plus souvent leur talent dans la terre. Beaucoup leur a été accordé, et quand il leur sera beaucoup demandé, ils ne pourront rien donner.
C’est ainsi que l’inégalité a été installée dans le fondement même du monde créé. Mais il faut se réjouir de cette inégalité, non s’insurger contre elle. Car elle a été établie par amour, non par haine, par la raison, non par la folie. La vie humaine n’est pas l’aide du fait de l’absence d’égalité, mais du fait de l’absence d’amour et de discernement spirituel parmi les hommes. Apportez plus d’amour envers Dieu et de compréhension spirituelle de la vie, et vous verrez qu’une inégalité deux fois plus grande ne gênera en rien la félicité des hommes.
Ce récit sur les talents insuffle la lumière, la raison et l’esprit dans nos âmes. Mais il nous incite aussi à nous hâter, à ne pas attendre pour achever la tâche pour laquelle nous avons été envoyés par le Seigneur sur la surface de ce monde. Le temps s’écoule plus vite que la rivière la plus rapide. Bientôt arrivera la fin du temps. Je le répète : bientôt arrivera la fin du temps. Et nul ne pourra revenir de l’éternité afin de prendre ce qui a été oublié et faire ce qui n’a pas été fait. Aussi hâtons-nous d’utiliser le don de Dieu qui nous a été donné, le talent emprunté au Seigneur des seigneurs. Gloire et louange au Seigneur Jésus pour cet enseignement divin comme pour tous les autres, avec Son Père et avec le Saint-Esprit, Trinité unique et indissociable, maintenant et toujours, de tout temps et de toute éternité. Amen.