(Lc 19,1-10)
Celui qui veut voir le Christ, doit en esprit s’élever bien au-dessus de la nature, car le Christ est plus grand que la nature. Une haute montagne se voit plus facilement d’un sommet que de la vallée. Zachée était un petit homme, mais saisi par son envie de voir le Christ, il avait grimpé sur un grand arbre.
Qui veut rencontrer le Christ, doit se purifier, car il va rencontrer le Saint des saints. Zachée était souillé par son amour de l’argent et un caractère impitoyable, mais avant de rencontrer le Christ, il s’était hâté de se purifier en se repentant et en accomplissant des actes charitables.
Le repentir consiste à quitter tous les chemins de traverse foulés par nos pieds, nos pensées et nos envies, pour se retrouver sur une route nouvelle, la route du Christ. Mais comment un homme pécheur peut-il se repentir tant qu’il n’a pas rencontré Dieu dans son cœur et n’a pas eu honte de lui-même ? Avant de voir le Christ de ses yeux, le petit Zachée L’avait rencontré dans son cœur et avait eu honte de toutes les routes qu’il avait empruntées.
Le pécheur se complait longtemps, très longtemps, dans l’illusion, précisément jusqu’au moment de ressentir la douleur d’une telle illusion. Cette douleur mène au désespoir et au suicide, à moins de ressentir en même temps la honte et la crainte de Dieu. Ce n’est qu’ainsi que cette douleur de l’illusion ne s’avère pas funeste, mais salutaire. Le bienheureux Augustin a ressenti d’abord la douleur de l’illusion, qui lui aurait tué l’âme comme le corps s’il n’avait pas été rapidement rattrapé par la honte et la crainte de Dieu.
Le repentir est la prise de conscience soudaine de sa lèpre spirituelle et l’appel au secours pour trouver un remède et un médecin. C’est comme quand un homme aux cheveux noirs, qui ne s’était pas regardé depuis longtemps dans la glace, s’arrête soudain devant un miroir et découvre que ses cheveux sont tout blancs ! Ainsi, un pécheur non repenti croit pendant longtemps et affirme qu’il possède une âme saine et infaillible jusqu’au jour où soudain, ses yeux spirituels s’ouvrent et il voit son âme toute rongée par la lèpre. Mais comment va-t-il voir la lèpre dans son âme, sans se regarder dans un miroir? Et où se trouve un tel miroir? C’est le Christ qui est ce miroir, où chacun se voit tel qu’il est. Ce miroir unique a été donné à l’humanité afin que les hommes puissent s’y regarder et se voir tels qu’ils sont. Car en Christ, dans le miroir le plus pur, chacun se voit malade et laid, mais voit aussi sa belle image originelle, tel qu’il était et tel qu’il devrait être encore. Le pécheur Zachée, en apparence sain et avec une bonne mine, après avoir entendu parler du Seigneur Jésus, réalisa combien il était lépreux au fond de lui-même, et ressentit alors un mal terrible pour lequel il n’y avait pas de médecin sur cette terre en dehors du Christ Lui-même.
Le repentir est le début de la guérison de l’illusion, le début de la soumission à la volonté de Dieu. En vivant selon sa propre volonté, l’homme descend rapidement de sa dignité royale au niveau de l’étable où vit le bétail et de la tanière des bêtes sauvages. Jamais un homme sur terre n’a pu se déplacer selon sa volonté et rester un homme. Être un homme ne signifie pas vivre de façon arbitraire ; être un homme signifie se soumettre totalement à une volonté supérieure, la volonté visionnaire et infaillible de Dieu. Dans les foyers où règnent la folie et les gémissements, ne vivent que ceux qui le veulent bien. Leur corps n’est que ténèbres et grincements de dents, à l’image de leur âme. L’arbitraire ouvre la porte aux vers infatigables qui rongent le corps et l’âme du pécheur. Se repentir, c’est découvrir la multitude des vers en soi. Ah, que de vers se sont installés en moi ! Mais qui va m’aider à me débarrasser de tous ces vers dégoûtants qui grouillent en moi? C’est ce qu’implore le pécheur terrifié quand il a recouvré la vue et qu’il voit tout ce qui vit en lui.
L’évangile de ce jour décrit un pécheur repenti, le petit Zachée, qui s’est hissé en haut d’un arbre afin de voir le Christ de tout en haut, qui s’est purifié en se repentant, afin de rencontrer le Christ très pur, et qui a été guéri de la lèpre spirituelle qui l’avait poussé vers l’amour de l’argent et l’absence de pitié, par la force du Christ tout-puissant. Le Seigneur a converti de nombreux pécheurs en repentis; Il a trouvé et sauvé de nombreuses âmes perdues; Il a retrouvé de nombreux égarés et les a ramenés sur le droit chemin. La Providence a voulu que l’Evangile ne fît mention que de quelques exemples de repentis, mais ils sont typiques et pleins d’enseignement pour toutes les générations d’hommes. L’exemple de la femme pécheresse montre la lèpre que constituent la débauche et la guérison de cette lèpre. L’exemple de Zachée montre la lèpre que constitue l’amour de l’argent et la guérison de cette lèpre. L’exemple du brigand repenti sur la croix montre la possibilité et le caractère salutaire des repentirs de ceux qui ont transgressé le plus, même à l’heure de mourir. Tout cela, ce sont des exemples de repentirs pleins d’espérance, qui mènent à la vie. Tout cela, ce sont des types de repentirs, exposés devant nous, afin que nous puissions, selon notre situation de pécheurs, savoir choisir la voie et le mode de notre propre salut. Mais il existe des repentirs funestes et mortels, sans espoir et suicidaires. Tel était le repentir de Judas le traître : «J’ai péché, dit-il, en livrant un sang innocent… Il se retira et s’en alla se pendre» (Mt 27, 4-5). Un tel repentir, qui conduit au désespoir et au suicide, n’est pas un repentir chrétien béni, mais l’exaspération de Satan contre lui-même, contre le monde et la vie, le dégoût satanique de soi, du monde et de la vie. Mais arrêtons-nous aujourd’hui sur l’exemple merveilleux du repentir salutaire du petit Zachée, dont parle l’évangile de ce jour.
Entré dans Jéricho, Jésus traversait la ville. Et voici un homme appelé du nom de Zachée; c’était un chef de publicains, et qui était riche. Et il cherchait à voir qui était Jésus, mais il ne le pouvait à cause de la foule, car il était petit de taille. Il courut donc en avant et monta sur un sycomore pour voir Jésus, qui devait passer par là (Lc 19,1-4). Cela se passait à l’époque où le Seigneur accomplit un autre miracle à Jéricho, en permettant à l’aveugle Bartimée de recouvrer la vue. Mais ce que le Seigneur accomplit avec Zachée, constitue un miracle non moins important que la guérison de cet aveugle. A Bartimée, Il a ouvert ses yeux charnels, tandis qu’il a ouvert ses yeux spirituels à Zachée. À Bartimée, Il a enlevé la cécité des yeux, et à Zachée Il a enlevé la cécité de l’âme. À Bartimée II a ouvert des fenêtres pour voir les miracles de Dieu dans le monde matériel, et à Zachée II a ouvert des fenêtres pour voir les miracles de Dieu dans le monde céleste, spirituel. Le miracle accompli sur Bartimée s’explique par le miracle accompli sur Zachée. L’accession à la vue physique doit servir à l’ouverture de la vue spirituelle. Chaque miracle accompli par Dieu avait d’abord un but spirituel, qui consistait principalement à ouvrir la vue spirituelle à l’humanité aveuglée, afin qu’elle se rende compte de la présence de Dieu» de la puissance de Dieu et de la miséricorde de Dieu. Cet objectif a été réalisé en partie, par exemple lors de la guérison de dix lépreux ; car un seul d’entre eux, guéri physiquement, le fut aussi spirituellement et revint en rendre grâces au Seigneur (Lc 17,12-20). Mais dans le cas de l’aveugle Bartimée, cet objectif fut atteint totalement. Après avoir recouvré sa vue physique grâce à la parole de Dieu, l’aveugle Bartimée put aussi voir en esprit, car il reconnut aussitôt la présence de Dieu, la puissance de Dieu et la miséricorde de Dieu — et à l’instant même il recouvra la vue, et il Le suivait en glorifiant Dieu (Lc 18, 43). Non seulement Bartimée put voir, mais de nombreux autres se mirent à voir spirituellement en voyant le miracle accompli par le Seigneur sur Bartimée, car il est dit que tout le peuple, voyant cela, célébra les louanges de Dieu (Lc 18,43). Il est probable que ce miracle a influencé également le publicain Zachée, afin que s’ouvre sa vue spirituelle. Il est indubitable toutefois que lui-même avait auparavant beaucoup entendu parler des actions prodigieuses et de la personnalité extraordinaire du Seigneur Jésus, ce qui avait fait naître en lui une envie irrésistible de Le voir, l’obligeant à se pousser pour être au-devant de la multitude de gens, de taille plus haute que la sienne, et même à grimper sur un arbre, dans le seul but de réaliser son souhait. Les publicains étaient considérés comme de grands pécheurs impurs, car ils faisaient payer les impôts dus par les gens à l’Etat; en ces occasions, ils se livraient dans le peuple à des exactions impitoyables à leur profit. C’est pourquoi les publicains étaient mis au même niveau que les païens (Mt 18, 17). Si les publicains en général avaient pareille réputation, on peut imaginer à quel niveau de détestation étaient placés les chefs des publicains ! Or, le petit Zachée était précisément l’un de ces chefs de publicains ; il était également riche, ce qui faisait qu’il était à la fois méprisé et envié. Le mépris et l’envie, ce sont deux murs proches entre lesquels l’âme d’un pécheur riche se faufile au cours de cette vie. Mais dans le pécheur Zachée, l’homme Zachée s’était réveillé ; il s’était dressé contre le pécheur qu’il était et s’était dépêché de toutes ses forces pour se mettre en avant et en hauteur, afin de voir le Christ, voir l’homme sans péché, voir son prototype intact de toute souillure et très pur. Zachée grimpa donc sur un sycomore aux larges ramifications et tout en paliers, qui se trouvait au bord de la route où devait passer le Seigneur.
Arrivé en cet endroit, Jésus leva les yeux et lui dit: « Zachée, descends vite, car il me faut aujourd’hui demeurer chez toi. » Et vite il descendit et Le reçut avec joie (Lc 19, 5-6). Ces mots pourraient laisser penser que ce n’est pas
Zachée qui vit en premier le Christ, mais que ce fut le Seigneur qui le vit. Jésus leva les yeux et lui dit… Grâce à Sa vue spirituelle, le Seigneur avait vu Zachée bien auparavant, mais Ses yeux physiques le virent quand Il fut arrivé en cet endroit. Le petit Zachée s’était échappé de la foule et avait grimpé sur un arbre, mais le Seigneur l’avait aperçu dans la foule avant que lui-même vît le Seigneur du haut de l’arbre. Ah, comme le Seigneur notre Dieu est visionnaire! Il nous voit même quand nous ne nous l’imaginons pas. Quand nous Le recherchons en faisant tous les efforts possibles, afin de Le trouver et de Le voir, Il se tient près de nous et nous observe. Toujours, Il nous voit avant que nous ne Le voyions. Si nous dirigions notre regard spirituel comme Lui-même le fait, en quête de Lui, ne souhaitant que Lui, alors II s’écrierait publiquement et nous appellerait par notre nom, afin que nous descendions des falaises périlleuses que sont nos raisonnements et que nous nous posions dans Son cœur, c’est-à-dire dans notre véritable maison. Alors le Seigneur dira à chacun de nous : il me faut aujourd’hui demeurer chez toi. Car quand l’esprit humain descend dans le cœur et qu’il s’y purifie en larmes tout en s’offrant au Dieu vivant, alors le cœur devient le lieu de la rencontre entre Dieu et l’homme. Tel est le sens intérieur ou spirituel de cet événement.
Et vite il descendit et Le reçut avec joie. Comment ne se hâterait-il pas à l’appel de la voix qui fait revivre les morts, arrête les vents, apaise les possédés et fait fondre en larmes les cœurs endurcis des pécheurs? Comment n’accueillerait-il pas Celui qu’il voulait seulement regarder de loin à la dérobée ? Et comment ne se réjouirait-il pas avec une joie indicible, quand il Le voit dans sa maison, où nul sinon des pécheurs de mauvaise réputation, n’aurait osé poser le pied? Mais c’est ainsi que le Seigneur montre toute Sa tendresse, accorde les dons qu’il prodigue. Il remplit de poissons les filets de pêcheurs désespérés, au point de déchirer les filets; Il nourrit de façon abondante des milliers d’hommes affamés dans le désert, au point que de nombreux paniers restaient pleins; Il accorde aux malades qui demandent de l’aide, la santé non seulement physique mais spirituelle. Aux pécheurs et pécheresses, Il n’accorde pas le pardon de certains péchés tout en en retenant d’autres, mais II leur pardonne tout. Partout, il s’agit de gestes royaux, de miséricorde royale, de faste royal dans la façon de donner! C’est également le cas dans l’évangile de ce jour: Zachée souhaite seulement Le voir, mais Lui ne se laisse pas seulement voir, Il se dépêche d’interpeller Zachée en premier et II pénètre même dans sa maison : ainsi se comporte le Seigneur. Et voici comment
se comportent les hommes pécheurs ordinaires, pleins de vanité et à l’honnêteté autoproclamée :
Ce que voyant, tous murmuraient et disaient: «Il est allé loger chez un homme pécheur !» (Lc 19, 7). Ah, quel malheur pour les hommes quand la langue est plus rapide que la raison ! L’âme malveillante et l’esprit affaibli, ces gens hurlent, dénigrent et bougonnent avant d’avoir réfléchi au sujet du projet du Seigneur Jésus et songé à l’éventualité d’un changement dans le cœur du pécheur Zachée. Avec leur jugement à l’emporte-pièce, ils pensent que le Seigneur Jésus est entré dans la maison de Zachée sans savoir quel pécheur il était. C’est ainsi que les pharisiens jugeaient sommairement, quand le Seigneur autorisa une femme pécheresse à Lui laver les pieds : A cette vue, le pharisien qui L’avait convié se dit en lui-même: « Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce quelle est: une pécheresse!» (Lc 7, 39). C’est ainsi que jugent encore aujourd’hui tous ceux qui réfléchissent avec leur intelligence sensible et évaluent les hommes selon leur apparence, sans connaître les profondeurs de la miséricorde divine et du cœur humain. Le Christ a dit à plusieurs reprises qu’il était venu dans ce monde à cause des pécheurs, et surtout à cause des plus grands pécheurs. De même qu’un médecin ne se hâte pas de se rendre auprès des gens en bonne santé mais de ceux qui sont malades, de même le Seigneur se hâtait, non auprès de ceux qui étaient dans le droit fil de la justice, mais de ceux qui étaient malades du péché. L’Evangile ne dit pas que le Seigneur a rendu visite à un juste quelconque de Jéricho, mais qu’il s’est hâté de se rendre dans la maison du pécheur Zachée. Tout médecin sensé n’agit-il pas ainsi en arrivant à l’hôpital? Ne se dépêche-t-il pas d’abord de voir les malades les plus graves? La terre entière représente un grand hôpital, bondé de malades contaminés par le péché. Tous les hommes sont malades, en comparaison de la santé du Christ ; tous impuissants par rapport à la puissance du Christ ; tous laids à côté de la beauté du Christ. Mais parmi les hommes, il y a des malades et d’autres qui le sont encore plus, des impuissants et d’autres qui le sont encore plus, des laids et d’autres qui le sont encore plus. Les premiers sont appelés justes, les seconds, pécheurs. Le Médecin céleste, qui n’est pas venu sur terre pour se divertir mais afin de guérir rapidement et sauver ceux qui étaient contaminés, s’est hâté de venir d’abord auprès de ceux qui étaient le plus contaminés. C’est pourquoi II s’est nourri et a bu avec des pécheurs; c’est pourquoi II a autorisé que des pécheresses pleurent à Ses pieds ; c’est pourquoi II est entré sous le toit du pécheur Zachée.
D’ailleurs, ce Zachée, au moment où il a fait la rencontre du Christ, n’était pas, loin s’en faut, l’homme le plus contaminé à Jéricho. Son cœur s’était soudain transformé, et il était ainsi devenu un juste beaucoup plus sain, plus puissant et plus beau que ceux qui bougonnaient et dénigraient. Car il s’était repenti pour tous ses péchés et son cœur s’était soudain transformé. Le fait que son cœur ait été transformé, est illustré par ce qui suit : Mais Zachée, debout, dit au Seigneur: « Voici, Seigneur, je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres, et si j’ai extorqué quelque chose à quelqu’un, je lui rends le quadruple» (Lc 19, 8). Qui avait réclamé cela de lui? Personne. Qui l’a accusé d’avoir pris quelque chose à autrui? Personne. Seule la présence du Seigneur très pur et infaillible avait été ressentie par Zachée comme une accusation à son égard, et cette seule présence, sans paroles, confession ni explication, l’avait poussé à accomplir ce geste. Un cœur de repenti se fait comprendre sans paroles de Dieu. Dieu révèle rapidement au repenti ce qu’il doit faire. A peine l’homme s’est-il repenti de tout son cœur à cause de ses péchés, que Dieu le pousse aussitôt avec Sa force à créer les fruits du repentir. Déjà saint Jean le Précurseur avait montré aux hommes toute la méthode du repentir sincère. Il avait d’abord appelé les hommes à se repentir: Repentez-vous! puis il leur avait dit aussitôt après : Produisez donc un fruit digne du repentir! (Mt 3,2-8). Voici un pécheur qui adopte rapidement cette méthode et la mène à bien ! Après avoir entendu parler du Seigneur Jésus, Zachée s’est insurgé contre lui-même et a été sincèrement dégoûté par son état de pécheur; et maintenant quand le Médecin très doux lui a accordé une telle attention et qu’il est entré dans sa maison, il produit les fruits du repentir. Il connaît son mal principal, et aussitôt il utilise le remède principal contre cette maladie. L’amour de l’argent est la maladie de Zachée ; la miséricorde en est le remède. Déjà les anciens disaient : Qui aime l’argent ne se rassasie pas d’argent (Qo 5, 9). Zachée aimait l’argent et avait jusque-là amassé de l’argent de différentes façons, et surtout de façon pécheresse. C’est une maladie qui mène irrésistiblement l’homme à la déchéance. C’est un feu qui se propage d’autant plus vite que la richesse se multiplie. Il n’y a pas de somme d’argent qui puisse rassasier celui qui aime l’argent. De même que le feu est incapable de dire : « Ne jetez plus de bois sur moi, c’est assez ! », de même la passion de l’argent est incapable de dire : « Assez ! » D’une telle passion, l’homme ne peut se sauver tout seul. Elle ne peut être éteinte qu’avec la présence de Dieu qui introduit la honte et la peur dans le cœur de l’homme, et au-delà de la honte et de la peur, l’accès à quelque chose de meilleur que l’argent et l’or. Sans la présence du Christ, Zachée aurait passé sa vie de pécheur comme tous les autres publicains ; il serait mort méprisé, maudit et oublié. Jamais son nom n’aurait été mentionné dans l’Evangile sur cette terre, ni dans le Livre des vivants dans le ciel. Mais la présence du Seigneur vivant a vivifié son âme, jusque-là engourdie par la passion de l’argent, faisant de lui un homme nouveau, régénéré et ressuscité des morts. Cet enseignement immortel s’adresse à tous les hommes : aucun mortel ne peut se sauver de sa maladie pécheresse sans l’aide du Seigneur Jésus.
Mais regardez comment Zachée confesse son péché. Il ne dit pas: Seigneur, je suis un pécheur! Il ne dit pas non plus: L’amour de l’argent est ma maladie ! Non, en présentant les fruits de son repentir, il confesse à la fois son péché et sa maladie. Voici, Seigneur, je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres ! (Lc 19, 8). N’est-ce pas la confession publique que la richesse est sa passion ? Et si j’ai extorqué quelque chose à quelqu’un, je lui rends le quadruple (Lc 19, 8). N’est-ce pas la confession publique que sa richesse a été acquise par des voies pécheresses? Il n’a pas dit auparavant au Seigneur: je suis pécheur et me repens! Il l’a tacitement confessé au Seigneur en son cœur, et le Seigneur a tacitement recueilli sa confession et son repentir. Pour le Seigneur, il est plus important que l’homme reconnaisse et confesse sa maladie dans son cœur et implore Son aide, plutôt que de le faire par la parole. Car la bouche peut proférer des mensonges, mais le cœur ne ment pas. Regardez ensuite comment Zachée rachète son péché et les efforts qu’il accomplit de son côté pour aller vers la lumière et sortir de l’ombre de la passion funeste de l’argent ! Il propose immédiatement la moitié de ses biens aux pauvres, lui qui jusque-là avait chéri chaque somme reçue qu’il cherchait à dissimuler des yeux des hommes; il n’avait jamais connu le plaisir de donner! Mais ce n’est pas tout. Il lutte de toutes ses forces pour réparer et remédier aux injustices faites aux hommes, et propose de rendre le quadruple à chacun de ceux à qui il a pris quelque chose injustement. La loi de Moïse se comporte de façon beaucoup plus clémente envers les pécheurs que Zachée envers lui- même. La loi de Moïse dit : Si un homme ou une femme commet quelqu’un de ces péchés par lesquels on frustre le Seigneur, cette personne est en faute. Elle confessera le péché commis, et restituera la somme dont elle est redevable, majorée d’un cinquième. Elle la restituera à celui envers qui elle est en faute. (Nb 5,5-7). C’est ce qui était prescrit pour ceux qui reconnaissaient leurs péchés. En reconnaissant son péché, Zachée était donc tenu, selon la loi, à rendre à chacun de ceux qu’il avait spoliés, la somme spoliée majorée d’un cinquième. Or Zachée agit envers lui-même plus durement que ce qui était prévu par la loi ; il veut s’appliquer à lui-même une disposition législative prévue pour les voleurs et les aigrefins, qui ne reconnaissaient pas leurs méfaits après avoir été arrêtés sur le lieu de leur forfait ; il veut rendre le quadruple à tous ceux qu’il aura spoliés de quelque façon (Ex 22). C’est ainsi que tout véritable repenti devient miséricordieux envers autrui et impitoyable envers lui-même.
Et Jésus lui dit: «Aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison, parce que lui aussi est un fils d’Abraham» (Lc 19, 9). Telle fut la réponse du Seigneur Jésus au repentir sincère du petit Zachée, à sa joie spirituelle et aux fruits de son repentir qu’il venait de montrer. Les paroles finales de ce récit: Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu (Lc 19,10), sont la réponse du Christ aux sages à courte vue qui hurlaient et étaient en colère contre le Christ parce qu’il était entré dans la maison d’un pécheur. Pendant qu’ils marchaient dans la rue en direction de la maison de Zachée et qu’ils bougonnaient et criaient contre cette visite indécente, le Seigneur gardait le silence et attendait. Qu’attendait-Il ? Il attendait que fussent complètement dévoilés les cœurs de ceux qui murmuraient et le cœur du repenti Zachée ; Il laissait le démon du mal parvenir au sommet de sa jubilation, pour que sa déchéance fut plus visible et évidente aux yeux de tous. Telle est la méthode de Dieu pour vaincre. Dieu ne se dépêche jamais, lors de Sa première rencontre avec le mal, de montrer la faiblesse du mal et Sa propre puissance ; Il attend que le mal s’élève dans son arrogance jusqu’aux nuages, avant que d’un souffle Il ne le disperse dans le néant. Le mal est si dérisoire devant la puissance divine que si Dieu ne laissait pas le mal croître jusqu’au maximum de ses possibilités avant d’apparaître alors avec toute Sa puissance, les hommes ne se rendraient jamais compte de l’évidence de la puissance divine. Après avoir laissé se manifester les forces infernales et terrestres sur le Golgotha, le Tout-Puissant a, aussitôt après, montré à l’enfer comme à la terre Sa force inopinée lors de la Résurrection. Le Seigneur utilise la même méthode avec Zachée. Il chemine paisiblement vers la maison de Zachée ; les hurleurs hurlent, les bougonneurs bougonnent, les dénigreurs dénigrent, mais Lui se tait et marche. Il pénètre dans la maison de Zachée ; les justes auto-proclamés restent en dehors de la demeure du pécheur par crainte de se souiller; les vociférateurs continuent à hurler plus fort, les bougonneurs à murmurer et les railleurs à se moquer. Ainsi le triomphe du mal atteint son apogée. Tous ceux qui crient, bougonnent et se moquent, sont déjà persuadés qu’ils ont tout à fait raison et que le Christ a tort, qu’ils connaissent bien le pécheur Zachée et que le Christ ne le connaît pas, qu’eux s’en tiennent fermement à la loi alors que le Christ a transgressé la loi en franchissant le seuil de la maison du pécheur, qu’ils ne se laissent pas abuser tandis que le Christ a été abusé ! D’où la conclusion logique pour eux, qui est que le Christ n’est pas un maître véritable, ni un prophète, ni le Messie; car s’il l’avait été, Il aurait su qui était Zachée et ne serait pas entré sous son toit. Par conséquent: nous, habitants de Jéricho, avons fait tomber Jésus-Christ dans un piège et nous allons maintenant sauver le monde d’une grande illusion selon laquelle II serait le Messie et le Fils de Dieu ! C’est un triomphe, c’est une victoire, c’est la montée du mal jusqu’aux nuages. Et pendant tout ce temps, Zachée est en train de devenir un homme meilleur et nouveau. Le Seigneur, qui se préoccupe moins de la masse bariolée et maléfique que de la régénération du cœur de Zachée, reste calme, et attend que tout soit terminé pour prendre la parole. Quand le mal fut monté jusqu’aux nuages et que toute la moisissure coriace fut retombée du vieux cœur du pécheur, alors Zachée ouvrit la bouche et prononça devant tous une parole inattendue pour toute l’assistance à l’exception du Christ : Voici, Seigneur, je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres! N’est-ce pas là un coup de tonnerre inattendu qui disperse les nuages hautains? Pourquoi vous taisez-vous soudain, habitants de Jéricho ? Pourquoi ne criez-vous pas, ne bougonnez-vous pas et ne vous moquez-vous pas ? Pourquoi les mots s’étranglent-ils dans votre gorge? Qui s’est trompé: le Christ ou vous? Qui a mieux connu Zachée: vous ou le Christ? Qui est maintenant plus juste: vous ou Zachée?
Comme le Seigneur est tendre et doux! Comme un agneau innocent, Il se tient cette fois encore parmi les hommes, au milieu de loups invisibles. Comme II est paisible et sûr de Sa victoire, maintenant comme toujours ! Comme II attend sereinement son tour ! Quand vient Son tour, Il s’adresse d’abord au malade pour lequel II a quitté Sa route pour entrer dans sa maison : Aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison ! C’est par ces mots que le Médecin céleste donne l’assurance au malade qu’il a été guéri et qu’il est prêt à quitter l’hôpital pour venir parmi les gens en bonne santé. La cécité a été enlevée de son âme, de même que des yeux de Bartimée, et le voilà maintenant capable de se déplacer librement sur la route de la justice et de la miséricorde. Mais afin que cette assurance soit encore plus claire pour tous ceux qui se tiennent tout autour, le Seigneur ajoute parce que lui aussi est un fils d’Abraham! Un fils véritable d’Abraham, en esprit et en vérité, et non pas seulement par le nom et le corps, comme les autres qui se vantaient de leur filiation à Abraham, uniquement par le nom et le corps ! Abraham était un philanthrope craignant Dieu, ayant le sens de l’hospitalité, n’aimant pas l’argent, fidèle, doux et plein de joie dans le Saint-Esprit. Tel était devenu le petit Zachée. Abraham, en raison de ses bonnes actions éminentes, était le fondateur spirituel de tous les justes. Voilà comment Zachée, par le repentir, devient son descendant véritable, son fils en esprit. C’est ce que le Seigneur annonce, pour le réconfort de Zachée et pour faire réfléchir ses accusateurs. Et à ces derniers, Il proclame : Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu (Lc 19,10). Ce qui signifie qu’il est venu rechercher par leur nom les pécheurs que nul ne recherche et que tous rejettent, et sauver ceux que le monde et eux-mêmes considèrent comme perdus. Car le Grand Héros est descendu du ciel pour sauver les lépreux et les aveugles, les possédés et les paralysés, et ressusciter les morts des tombeaux. Le Seigneur a dit : Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs (Mt 9,13 ; 1 Tm 1,15). Ah, frères, savez-vous que cette parole s’adresse aussi à nous ? Savez-vous que nous aussi nous sommes des pécheurs pour lesquels le Seigneur- Héros est descendu sur la terre? Un amour indicible L’a fait descendre du ciel sur la terre parmi nous, afin de rechercher ceux qui sont perdus et sauver les pécheurs. Ah, observez donc comment le petit Zachée, dans son désir de voir le Seigneur, est devenu grand. Mais voici maintenant que le Christ s’approche de nous comme jadis de Zachée, entouré par une multitude populaire, une multitude innombrable de justes et de bougons. Toute l’histoire des hommes depuis deux millénaires, bruisse autour de Lui et nous domine. N’entendez-vous pas les murmures et les bruissements ? Tout ce passé s’avance vers vous et sur vous. Et au milieu de la masse innombrable, chemine l’humble Seigneur et Sauveur. Dépêchez- vous de monter sur une hauteur afin de voir le Seigneur. Tout le reste qui a été et qui est, n’est pas tellement digne d’être regardé. Élevez-vous de la route boueuse où vous pataugiez jusqu’à présent, et montez sur un grand arbre : Il vous rencontrera sans aucun doute. Ah, béni soit celui qui sera interpellé par la voix la plus suave, dont la douceur enivre les anges !
En vérité, le repentir est la première marche sur l’échelle qui mène au Royaume de Dieu. Personne n’a jamais pu mettre le pied sur la seconde marche sans avoir franchi la première. Dans le vide de cette existence, le repentir est la première et la seule façon régulière de frapper à la porte céleste. Vous pouvez frapper avec vos doigts autant de fois que vous voulez sur les murs d’une maison ; personne ne vous entendra et nul ne vous ouvrira. Mais frappez à la porte et celle-ci s’ouvrira. Se repentir, c’est frapper non contre un mur mais à la porte véritable menant à la lumière et au salut. Celui qui s’est repenti sincèrement et souhaite entrer dans la maison de son Père céleste, a déjà frappé à la seule porte permettant d’entrer dans cette demeure.
L’amour de l’argent rend aveugle; le Christ seul donne la vue aux aveugles. L’amour de l’argent isole l’homme et l’enchaîne avec des chaînes d’esclave. Le Christ fait sortir celui qui s’est enfermé dans son isolement et l’introduit dans la société des anges, le libère de sa servitude et le rend libre. A tous ceux qui s’élancent pour Le voir, Il se montre ; et à ceux à qui II se montre, Il révèle et montre tous les mystères du ciel et de la terre, et tous les trésors immenses et impérissables que Dieu a préparés depuis la création du monde pour ceux qui L’aiment. Gloire et louange donc à notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, avec Son Père et avec le Saint-Esprit, Trinité unique et indissociable, maintenant et toujours, de tout temps et de toute éternité. Amen