”Notre saint Père Basile le Grand vit le jour en 329, à Césarée de Cappadoce, au sein d’une famille riche et distinguée, dont le plus grand titre de gloire est d’avoir orné la robe de l’Église d’une série de saints, comme d’autant de joyaux. Un de ses aïeux maternels avait gagné la palme du martyre, ses grands-parents paternels avaient confessé le Christ pendant la persécution de Maximin (305) et s’étaient réfugiés dans les montagnes du Pont, où ils vécurent pendant sept ans, nourris miraculeusement par les bêtes sauvages [Non mentionnés dans les synaxaires byzantins, ils sont célébrés en Occident le 14 janvier (Martyrologe Romain)]. Ses parents, saint Basile l’Ancien et sainte Emmélie [De même, ils sont célébrés en Occident le 30 mai], se rendirent célèbres par leurs vertus, leur sollicitude envers les pauvres et pour avoir guidé leurs dix enfants sur le chemin de la sainteté. Sa sœur, sainte Macrine la Philosophe (mémoire le 19 juillet), véritable chef spirituel de la famille, encouragea vers la vie monastique sa mère et ses frères: saint Naucrace, saint Grégoire, futur évêque de Nysse (mémoire le 10 janvier), et saint Pierre, futur évêque de Sébaste [Commémoré en Occident le 6 mars, selon l’ancien Martyrologe Hiéronymien, ou le 9 janvier, selon le Martyrologe Romain, date qui a été adoptée par les synaxaires slaves].

Saint Basile passa son enfance à Néocésarée dans le Pont, recevant les semences de la foi orthodoxe de sa mère et de sa grand-mère, sainte Macrine l’Ancienne, disciple de saint Grégoire le Thaumaturge (mémoire le 17 novembre). Sous la direction de son père, célèbre maître de rhétorique, il progressa rapidement dans la connaissance des lettres profanes, qu’il avait soin d’associer à l’avancement dans la vertu. Après la mort de celui-ci, il poursuivit ses études, en quête des meilleurs maîtres, dans les plus grands centres de la culture d’alors: Césarée de Palestine, Constantinople et finalement Athènes, l’antique capitale de la science et de l’éloquence, où sa réputation l’avait précédé, par l’entremise de Grégoire (le Théologien), avec lequel il avait fait connaissance en Cappadoce. Leur amitié, d’abord commune et humaine, devint toute sainte et spirituelle quand ils découvrirent qu’ils n’avaient tous deux pour but unique que Dieu et l’acquisition des biens célestes. Étroitement unis par le lien de la charité, toutes choses leurs étaient communes: le logis, la table frugale, la répugnance pour les dissipations des jeunes gens de leur âge, la soif insatiable de science et de sagesse, l’audace dans les hautes spéculations de l’intelligence, l’amour de l’éloquence et, surtout, une sainte émulation dans la course vers la perfection de la vertu; si bien qu’on eût cru qu’ils n’avaient qu’une âme en deux corps, malgré leurs caractères très différents. Basile, le cœur ferme, l’intelligence vigoureuse et décidée, s’intéressait à toutes les sciences, excellait en toutes: aussi bien dans la philosophie, la grammaire, la logique, la rhétorique, que dans les mathématiques, l’astronomie, et même dans les arts pratiques comme la médecine. Là où la prédication de saint Paul avait été dédaigneusement rejetée par les sophistes orgueilleux, Basile et Grégoire faisaient triompher la folie de la Croix, en employant les armes mêmes de la sagesse profane. Basile acquit ainsi un tel prestige qu’une fois ses études achevées, ses condisciples voulurent le garder comme maître; mais, avide de voler vers de nouveaux horizons, il quitta la ville et avec elle la culture hellénique, en leur laissant pour quelque temps Grégoire, comme un otage.

De retour dans sa patrie (356), il découvrit que sa mère Emmélie et sa sœur Macrine avaient transformé leur demeure familiale d’Annésis en couvent et que ses frères menaient eux aussi la vie monastique à proximité avec des hommes. Les exhortations enflammées de Macrine, l’exemple des ascètes installés depuis peu en Cappadoce sous l’influence d’Eustathe de Sébaste et surtout une méditation approfondie de l’Évangile lui firent réaliser combien vaine avait été jusque là sa course après la sagesse de ce monde. Il abandonna sa carrière prometteuse de rhéteur, se fit baptiser [L’usage était alors répandu d’attendre l’âge de trente ans au moins pour recevoir le saint baptême. Saint Basile fut néanmoins un ardent partisan de ne pas différer ainsi inutilement l’entrée dans l’Église] et décida de chercher un père spirituel pour le conduire sur la voie de l’ascétisme. N’en ayant pas trouvé dans son pays, il entreprit un grand voyage vers les centres prestigieux de la vraie philosophie: l’Égypte, la Palestine, la Syrie et jusqu’à la Mésopotamie, où il put admirer les exploits ascétiques et les vertus divines des citoyens du ciel qui s’y illustraient. Semblable à une abeille industrieuse, il récoltait chez les uns et les autres le meilleur de ce qu’il pouvait trouver et acquit ainsi en peu de temps une connaissance approfondie dans l’art de l’ascèse. Il lui restait cependant à la mettre en application dans un endroit propice, suffisamment retiré du monde et silencieux pour y vaquer à l’œuvre de Dieu sans distraction.

Ce lieu, il le trouva dans une vallée désertique, séparée du monastère familial d’Annésis par le cours de l’Iris, véritable paradis terrestre, selon son jugement, où il put attirer Grégoire et mener pendant quelque temps en sa compagnie la vie d’ascèse, de travail manuel, de méditation de l’Écriture Sainte et de prière, dont ils rêvaient depuis Athènes. S’étant dépouillé de tous ses biens pour se faire pauvre, comme notre Seigneur s’est dépouillé de Sa gloire pour nous enrichir de Sa divinité, Basile ne gardait que le strict nécessaire pour couvrir son corps et survivre jusqu’au lendemain; son seul trésor était la Croix qu’il embrassait dans toute sa conduite: par l’ascèse, en vivant comme déchargé de la chair, et par la patience dans la maladie qu’il aura comme compagne jusqu’à sa mort. Resté seul au bout d’une année, Basile n’en rayonnait pas moins dans toute la région par sa science et sa vertu, et nombreux étaient ceux qui venaient lui rendre visite: moines, laïcs, et même les enfants, envers lesquels il montra toujours une tendre affection. [Saint Basile est vénéré comme le protecteur des enfants.] Comme un nombre croissant de ses visiteurs décidaient d’embrasser eux aussi cette vie semblable aux anges, il commença pour eux la rédaction de ses fameuses Règles, considérées comme la véritable charte de fondation du monachisme, tant en Orient qu’en Occident. [Dans le prologue de sa Règle, saint Benoît de Nursie (voir 14 mars) reconnaît s’être grandement inspiré de «notre père» Basile.] Malgré son jeune âge, il légiférait avec l’autorité d’un vieillard blanchi par de longues années de travaux ascétiques, et montrait la connaissance approfondie de l’âme humaine que Dieu lui avait accordée au cours des jours et des nuits qu’il consacrait à la contemplation.

Corrigeant les excentricités ascétiques des disciples d’Eustathe de Sébaste, il insiste sur la vie communautaire menée sous la direction d’un seul père, image vivante du Christ, sur l’exigence du dépouillement complet de tous biens et de toute volonté propre, sur la charité et le respect des uns envers les autres, sur l’application des commandements de l’Évangile avec crainte de Dieu et foi orthodoxe. Rappelé à Césarée en 360, il est ordonné diacre par son évêque, Dianos, et assiste au concile de Constantinople, au cours duquel il put mesurer avec douleur combien l’Église du Christ était déchirée par les luttes interminables entre ariens, semi-ariens (omoioussiens) et orthodoxes. Le faible Dianos s’étant laissé entraîner à signer le formulaire favorable aux hérétiques, Basile rompit quelque temps la communion avec lui et regagna sa solitude, rejoint par saint Grégoire en fuite après son ordination forcée. En 363, il est ordonné prêtre par le nouvel évêque de Césarée, Eusèbe, mais, un différend ayant bientôt été suscité entre eux par des envieux, Basile gagna derechef son ermitage afin de préserver la paix. Pendant ce séjour, il poursuivit l’organisation des moines de Cappadoce en communautés cénobitiques, régla leur mode de vie, leurs offices liturgiques, leurs relations mutuelles et avec le monde.

Partisan résolu de la vie communautaire, saint Basile n’en abandonnait pas pour autant son amour pour la vie solitaire. Non loin de chaque monastère, il avait soin de fonder des cellules pour des ermites, de sorte que les solitaires ne fussent pas privés de la sécurité que donne la compagnie des hommes et que ceux qui étaient consacrés à la vie pratique reçoivent exemple et émulation de ceux qui persévèrent dans le silence et la prière sans distraction. Devant la menace provoquée par l’avènement du farouche empereur arien Valens (365), Basile se résolut à quitter de nouveau sa famille monastique pour prendre cette fois une part active au combat pour la Vérité. Après s’être réconcilié avec Eusèbe, il fut chargé de l’instruction du peuple de Césarée. Avec une admirable éloquence il leur enseignait à admirer la sagesse de Dieu dans la création (homélies sur l’Hexaéméron) et leur inspirait l’amour de la véritable beauté que l’âme obtient par la pratique des vertus et la méditation de la sainte Écriture (homélies sur les Psaumes). Pendant la terrible famine qui accabla la ville en 367, il fit preuve d’une admirable charité: distribuant les derniers biens qui lui restaient, faisant ouvrir les greniers des riches et des accapareurs par la force irrésistible de son éloquence (homélies sur les richesses), se dépensant sans compter pour organiser les distributions de vivres et mettant ses connaissances médicales au service des malades. Des milliers de personnes furent ainsi sauvées de la mort et lui gardèrent une si grande reconnaissance que son élection sur le siège de Césarée, difficilement acquise à cause des intrigants et des hérétiques, fut saluée avec enthousiasme par les fidèles (370).

Dès son installation, le nouveau métropolite se prépara au combat en affermissant la foi et en réglant la discipline de son clergé et de ses évêques suffragants. Voyant que la métropole de Césarée s’élevait, seule avec celle d’Alexandrie, comme une tour fortifiée contre ses entreprises, Valens décida de s’y rendre en personne et envoya devant lui le préfet Modeste pour soumettre l’intrépide évêque. Après avoir vainement essayé d’attirer Basile par des promesses et des paroles flatteuses, le préfet le menaça de confiscation de ses biens, d’exil, de tortures de toutes sortes et de la mort. «Cherche d’autres menaces à me faire, répondit le saint d’un ton assuré, car il n’y a rien là qui m’atteigne. En vérité, un homme qui n’a rien ne craint point la confiscation, à moins que tu ne tiennes à ces méchants haillons que voilà et à quelques livres: ce sont là tous les biens que je possède. Quant à l’exil, je n’en connais point, puisque je ne suis attaché à aucun lieu; celui que j’habite n’est pas à moi et je me regarde comme chez moi dans quelque lieu qu’on me relègue, ou plutôt, je regarde toute la terre comme étant à Dieu et je me considère comme étranger quelque part que je sois. Pour les supplices, où les appliqueras-tu? je n’ai pas un corps capable d’en supporter (…) Quant à la mort, je la recevrai comme une faveur, car elle me conduira plus tôt vers Dieu pour qui je vis, pour qui j’agis, pour qui je suis plus qu’à demi-mort et vers qui je soupire depuis longtemps». Stupéfait et désarmé, le préfet confessa qu’il n’avait jamais entendu de telles paroles; —«c’est que tu n’as jamais eu affaire à un ÉVÊQUE», reprit Basile. Guéri ensuite d’une maladie par la prière du saint, Modeste devint son ami et son admirateur empressé.

Une autre fois, comme les ariens menaçaient de s’emparer de l’Église de Nicée, saint Basile, tel un nouvel Élie (voir I Rois 18, 20-40), suggéra que l’un et l’autre parti élèvent successivement leurs prières devant les portes fermées de l’église. Les supplications des hérétiques restèrent sans effet, mais dès que le saint éleva les mains pour s’adresser à Dieu, toute l’église trembla sur ses bases et les portes s’ouvrirent d’elles-mêmes aux cris d’allégresse des fidèles (ce miracle est commémoré le 19 janvier). De tels signes de Dieu se produisirent directement envers la famille du souverain, sa fille ayant été frappée de mort subite après qu’il eût signé une déclaration hérétique, et même sur sa personne. Entrant un jour dans l’église de Césarée, lors de la célébration de la Théophanie, Valens fut tellement impressionné par la beauté des chants, le bon ordre de la foule et surtout par l’allure majestueuse de saint Basile, debout devant l’autel, tel le Grand-Prêtre de notre Salut, Jésus, qu’il vint malgré lui porter son offrande avec les fidèles. Un peu après, comme on lui présentait l’ordre de bannissement de l’évêque, sa plume se brisa à trois reprises. Effrayé par tous ses signes de la faveur de Dieu, il cessa d’inquiéter le saint, mais n’en renonçant pas, néanmoins, à sa politique, il fit diviser la Cappadoce en deux métropoles ecclésiastiques, pensant ainsi réduire l’influence de l’évêque de Césarée. Basile réagit aussitôt en créant de nouveaux évêchés, sur les sièges desquels il plaça des hommes sûrs (son frère Grégoire à Nysse, Grégoire le Théologien à Sasimes…). Il fit aussi des appels répétés à la charité des évêques d’Occident, alors solidement établis dans la paix et la foi orthodoxe, en leur demandant d’envoyer une délégation en Orient en vue d’un grand concile orthodoxe, mais il ne trouva chez eux qu’un froid soutien. Les Occidentaux soutenaient en effet Paulin, rival de saint Mélèce (voir 12 février) sur le siège d’Antioche, occasionnant ainsi de nouveaux déchirements à l’intérieur de l’Église, déjà assaillie de toutes parts à l’extérieur par les hérétiques.

Sur le plan doctrinal, ayant déjà réfuté les ariens extrémistes (Traité contre Eunome, en 364), saint Basile s’attaqua alors aux serai-ariens (omoioussiens) qui, malgré leur apparente proximité avec les Orthodoxes, n’en troublaient que davantage la situation par d’inextricables querelles de personnes. Contre les adversaires de la divinité du Saint-Esprit (pneumatomaques ou macédoniens), il fut le premier des Pères orthodoxes à oser déclarer clairement que le Saint-Esprit est pleinement Dieu, de même nature que le Père et le Fils. Inspiré lui-même par l’Esprit de Dieu, communiant par la Grâce au mystère de l’union ineffable des trois Personnes de la Sainte Trinité, saint Basile savait discerner le moment favorable et la manière d’exposer avec une clarté et une précision incomparables les notions fondamentales de la théologie orthodoxe (essence, hypostase), sans jamais les isoler du mystère de notre Salut et de la déification de l’homme.

Critère de vérité, il exerçait son autorité bien au-delà des limites de son diocèse. Tel un aigle qui s’élève vers les hauteurs, il surveillait tout, protégeait toutes les églises en détresse en les couvrant de ses ailes. Il fit pour cela de nombreux voyages et, quand il en était empêché par ses fréquentes maladies, il indiquait la voie à suivre dans une importante correspondance, qui reste un des trésors de la littérature patristique. Ce prestige sans cesse grandissant lui valut, à la mort de saint Athanase d’Alexandrie (373), ce défenseur infatigable de la foi de Nicée, d’être considéré comme le phare de l’Orthodoxie et le porte-parole le plus autorisé de la Vérité.

En dépit de cette activité, saint Basile n’en restait pas moins le pasteur attentif de son troupeau spirituel et le père compatissant pour chacun de ses fidèles. Sa sollicitude à l’égard des pauvres ne connaissait pas de bornes et, poursuivant l’œuvre entreprise quand il était prêtre, il fit construire un peu en dehors de Césarée un immense établissement de bienfaisance, la «cité de la charité», appelée par la suite Basiliade, qui regroupait autour d’une église: hospices, hôpitaux, léproserie, école etc.. Chaque fois qu’il le pouvait, le saint s’y rendait, n’hésitant pas à soigner lui-même les malades les plus repoussants ou à embrasser les lépreux. D’après le témoignage de saint Éphrem (voir au 28 janvier), quand saint Basile prêchait, une colombe blanche et lumineuse lui murmurait à l’oreille ses sublimes paroles, et quand il offrait le saint Sacrifice, il devenait semblable à une colonne de feu montant de la terre au ciel. L’Église Orthodoxe continue jusqu’à nos jours de célébrer la Liturgie qu’il rédigea et d’utiliser ses prières à la haute inspiration théologique. [La liturgie de Saint-Basile est célébrée dix fois par an. Son noyau, la prière de l’anaphore, est certainement le plus dense et le plus parfait exposé théologique de l’Histoire de notre Salut.] Il encouragea également le développement des fêtes des martyrs et le culte des saintes reliques.

Docteur universel, lumière de la Foi orthodoxe, père des moines, nourricier des pauvres, providence de tous ceux qui espèrent en Dieu, saint Basile fut le modèle parfait de l’évêque, l’image vivante du Christ qui, par lui, se faisait tout pour tous, parlant par ses paroles et répandant par ses actions les trésors de Son amour pour les hommes. Pourtant, en tant qu’homme, il ne connaissait qu’échecs, calomnies et afflictions de toutes sortes; malgré ses efforts, les divisions persistaient à tel point que tout autre que lui aurait pu désespérer de voir se rétablir un jour la paix. Ce n’est qu’une année avant sa mort que, Valens ayant succombé lors d’une campagne contre les Goths (378), le pieux Théodose lui succéda sur le trône et commença sans retard à chasser les ariens et à rétablir les évêques orthodoxes sur leurs sièges. Mais, le corps épuisé par la maladie et les austérités, le saint remit son âme à Dieu avant de voir le couronnement de ses travaux, lors du Second Concile Œcuménique à Constantinople (381). Ses funérailles, célébrées le ler janvier 379 au milieu d’un extraordinaire concours de peuple, furent son triomphe. On eut dit qu’on s’y rassemblait pour le Second Avènement du Christ, et plusieurs miracles s’y accomplirent. Conformément au nom qu’il avait reçu, saint Basile occupe maintenant une place «royale» (Βασίλειος= royal) dans la cour des saints Pères, toute proche du trône du Roi céleste.