”Fils d’un riche dignitaire de la ville d’Amiropolis, en Égypte, Saint Niphon fut envoyé à Constantinople pour y faire ses études, alors qu’il était âgé de huit ans. Doux, pieux, zélé pour l’étude et pour les choses de Dieu, il se laissa pourtant entraîner par de mauvaises relations et sombra bientôt dans une vie de plaisirs et de débauches, fréquente alors parmi les jeunes aristocrates de la capitale. Malgré les reproches de sa conscience et les réprimandes de ses amis chrétiens, qui essayaient de le ramener dans le droit chemin en lui rappelant ses vertus passées, la force de l’habitude était plus forte, et il persistait dans le péché. Une nuit pourtant, il résolut de se lever et d’adresser une prière à Dieu; mais à son grand désarroi, un nuage noir apparut alors devant lui, en lui bouchant l’horizon. Sans avoir pu trouver le sommeil, il se rendit au petit matin dans l’église, et adressa une supplication pleine de détresse vers l’icône de la Mère de Dieu. Celle-ci sembla regarder le jeune homme avec tendresse et donna à son cœur l’assurance que tout n’était pas perdu et que le repentir était possible. Dès lors, chaque fois qu’il tombait dans le péché, il courait avec confiance à l’église, confessait sa faute devant l’icône, qui, d’abord sévère, semblait ensuite lui sourire, puis il repartait avec espérance. Plus il fréquentait assidûment l’église, plus il persévérait dans une lutte sans merci contre les passions installées en lui comme une seconde nature, par le moyen du jeûne, de la veille, du reproche constant envers lui-même. Aux entreprises sournoises des démons, il répondait par des paroles de mépris et par l’invocation du Nom de Jésus. Quand ils réprouvaient avec plus d’insistance, il se frappait alors le corps à grands coups de bâton, en se souvenant des peines bien pires qui l’attendaient en enfer. À leurs stratagèmes, il opposait la ruse. C’est ainsi qu’il mangeait quelquefois jusqu’à satiété, mais se levait aussitôt pour prier davantage qu’un jour ordinaire, se riant des démons et leur montrant qu’il n’était plus ni leur esclave, ni celui d’une règle, mais que, libre et disciple du Christ, rien ne pouvait plus l’empêcher de s’adresser à Dieu.

Pour assurer sa marche dans ce combat, le Saint-Esprit lui révéla, pendant une de ses nuits de prière, quelles armes il devait joindre aux mortifications de la chair: l’humilité, l’aumône, la condamnat ion de soi-même, la fuite du jugement d’autrui… Un jour, un Ange lui apparut et lui fit don d’un cœur nouveau en récompense de ses labeurs, le cœur contrit et humilié dont parle le Psalmiste (Ps 50, 19). Dès lors, Niphon put avancer sans trouble vers le ciel, en s’estimant le plus grand des pécheurs. Il répétait sans cesse: «Malheur à moi le pécheur!» et quand il se rendait la tête baissée dans l’une ou l’autre église de la ville, les noirs démons, qui essayaient de lui barrer la route, étaient comme jetés à terre à son approche. Il se considérait comme inférieur à la poussière que les frères secouaient de leurs pieds en entrant dans l’église, et quand quelqu’un venait se prosterner devant lui pour demander sa bénédiction, il s’abaissait en pensée jusqu’au plus profond de l’enfer. «Place-toi en-dessous de tous les autres, disait-il, alors tu vivras en compagnie du Christ». Lorsque, sur son chemin, il faisait l’aumône à quelque pauvre, il répétait ces paroles de la sainte liturgie: «Ce qui est à Toi de ce qui est à Toi, nous Te l’offrons en toutes choses et pour tout». C’est ainsi que le Saint attribuait à Dieu toutes les vertus qu’il pratiquait. Car tous ces combats et ces prières n’étaient que la préparation, l’offrande volontaire de sa conscience et de tout son être, dans l’espérance que Dieu allait l’accueillir, comme autrefois le fils prodigue repentant fut reçu par son père (cf. Lc 15, 11 sv). Et de fait, Dieu ne resta pas insensible. Alors qu’il pleurait un jour sur ses péchés, Niphon fut soudain environné d’une lumière céleste, deux bras immenses descendirent du ciel pour l’embrasser et il entendit la voix de Dieu répéter les paroles du père de famille: «Amenez le Veau gras, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie; il était perdu et il est retrouvé!» (Lc 15, 23-24). Un Ange vint alors pour répandre sur le saint, dont le visage était baigné de larmes rayonnantes, un flacon plein d’un parfum à l’odeur indicible. Il avait acquis la grâce du repentir.

Désormais suffisamment aguerri, Dieu le jugea prêt pour affronter la «grande épreuve», et Il donna licence à Satan de l’attaquer avec ses armes les plus redoutables. À la suite d’une apparition du diable, pendant quatre années, l’âme du saint fut agitée par un trouble profond: son intelligence était recouverte par une lourde ténèbre, si bien qu’il lui était impossible de se concentrer pour prier; son corps et toutes ses facultés étaient comme paralysés par l’acédie, et le démon lui suggérait sans répit de nier l’existence de Dieu.[L’«acédie», dont la meilleure traduction pourrait être l’«ennui», est une des huit passions fondamentales. C’est le dessèchement, l’insensibilité du cœur, la difficulté à entreprendre la prière et les activités spirituelles que connaissent surtout les moines et plus particulièrement les ermites.] Désespérément accroché à l’ancre de la foi et décidé à persévérer jusqu’à la mort, même s’il tombait dans les plus grand péchés, le saint se levait matin et soir pour la prière, rassemblait difficilement ses forces pour faire le signe de la Croix, et répondait au démon par ses simples mots: «Oui, Dieu existe!» Parvenu à la limite du désespoir, il fut finalement délivré par la vision éclatante du visage du Christ, qui mit en fuite définitivement le démon, et laissa saint Niphon triomphant et rendant grâce à Dieu par les mots mêmes de la Toute Sainte Mère de Dieu: «Mon âme magnifie le Seigneur, et mon esprit exulte en Dieu mon Sauveur…» (Lc 1, 47). Peu après, le Seigneur lui accorda le don de l’impassibilité (apatheia), le sommet et le couronnement du combat de la vertu, en la lui montrant en vision comme étant le trône de Dieu, situé au sommet d’une colonne de feu, elle-même plantée au milieu de la mer.

Dès lors, recevant grâce après grâce, saint Niphon vécut comme un ange sur la terre. La Grâce de Dieu transfigurait sa chair et ses sens, si bien qu’il était élevé au-dessus du sol pendant sa prière et que son visage brillait d’une lumière éclatante. Il devint pour le peuple de Constantinople un nouveau prophète; témoin de visions grandioses et de redoutables révélations sur le Jugement Dernier et sur l’examen que doivent subir les âmes après leur mort, il prodiguait à de nombreux visiteurs ses célestes enseignements, réprimandait les pécheurs publics, priait avec ardeur pour la conversion des Juifs et des païens, et intercédait avec une attention particulière pour les agonisants. Les honneurs et la gloire des hommes lui étaient plus exécrables que le péché et plus redoutables que les plus terribles démons; c’est pourquoi, à la suite d’un songe lui annonçant qu’il serait bientôt nommé évêque, il décida de fuir Constantinople pour Alexandrie. Mais, tout comme le prophète Jonas, Niphon ne fit alors que réaliser la volonté de Dieu en voulant lui échapper. Aussitôt parvenu à Alexandrie, il fut immédiatement reconnu par l’archevêque, saint Alexandre (313-326), qui avait reçu une vision à son propos, et après avoir été élevé successivement à tous les degrés de la hiérarchie, il fut désigné comme évêque de l’Église de Constantiane. Le jour de sa consécration épiscopale, saint Athanase le Grand, alors diacre, vit Saint Niphon tout revêtu de lumière et entouré d’une multitude d’Anges. Trois jours plus tard, il gagna son diocèse avec sa suite et fut reçu avec allégresse par son troupeau, fier d’avoir acquis un tel pasteur. Par la suite, il se montra l’égal des plus saints prélats: prêchant sans relâche la Bonne Nouvelle, exhortant, reprenant à temps et à contre temps (II Tim. 4, 2), avec une patience inlassable et le souci de procurer le salut à la moindre des âmes qui lui avaient été confiées. Quand il n’était pas dans l’église, il sortait pour exercer sa sollicitude envers les veuves et les orphelins ou se retirait dans la solitude pour rédiger enseignements spirituels et commentaires de l’Écriture Sainte; mais, seul ou en public, jamais il n’interrompait son entretien secret et silencieux avec le vrai Pasteur, Jésus-Christ.

Trois jours avant son décès, saint Niphon vit le saint Archange Michel lui apparaître pour lui annoncer la date de son départ vers le ciel et lui promettre qu’il allait bientôt avoir part à la gloire des Anges. Saint Athanase, devenu patriarche d’Alexandrie, fut lui aussi prévenu par un songe et arriva sans retard auprès du vénérable prélat. Après un ultime entretien, ils se firent de touchants adieux: Athanase demandant à Niphon de se souvenir de lui devant le trône de Dieu et Niphon recommandant à l’archevêque de ne pas manquer de le commémorer pendant la sainte liturgie. Puis, après une dernière prière pour le salut du monde entier, le visage rayonnant malgré la fièvre, saint Niphon vit le Christ venir vers lui, entouré des Apôtres, des Martyrs et des Prophètes, en disant: «Viens vers moi, toi qui as revêtu mon humilité!» Puis il s’endormit.