”Il est fêté le 28 août dans l’Église latine. Poussé, tant par sa formation intellectuelle que par les circonstances de sa conversion, à envisager les rapports de l’homme avec Dieu d’un point de vue plutôt « psychologique », différent de celui adopté par la tradition patristique antérieure, S. Augustin a donné à toute sa théologie un aspect personnel, qui affecta sa doctrine sur la Sainte Trinité, sur le péché originel, sur les rapports de la nature et de la grâce etc. Tant que ces thèses furent considérées comme des opinions théologiques personnelles (theologoumena), elles ne remirent pas en cause la place de S. Augustin dans le chœur des saints orthodoxes. C’est seulement quand elles furent adoptées comme doctrine officielle et exclusive de l’Église romaine (notamment le Filioque) qu’elles devinrent le principal objet de dissension entre les deux Églises. Si l’on peut, avec raison, vénérer S. Augustin comme saint orthodoxe, c’est donc moins en sa qualité de théologien qu’en tant que pasteur, et pour son indéniable sainteté personnelle. S. Photios écrivait à son propos : « Sachant que quelques-uns de nos Pères et docteurs ont dévié de la foi au sujet de quelques dogmes, nous ne recevons pas comme doctrine ce en quoi ils ont dévié, mais nous n’en continuons pas moins d’embrasser les hommes » Ep. 24, 20 (PG 102, 813).
Certains lui donnent pour cette raison le titre de « bienheureux » ou de « hieros », mais, de telles distinctions n’existant pas dans la tradition hagiographique orthodoxe, il suffira ici de faire cette distinction entre sa vie et la postérité malheureuse de sa doctrine.

Saint Augustin vit le jour en 354, à Thagaste, petite ville de Numidie, aux confins de l’Algérie et de la Tunisie actuelles. Son père, Patricius, petit propriétaire terrien qui comptait parmi les notables de la cité, resta païen jusqu’à ses derniers jours, mais sa mère, sainte Monique (cf. 4 mai), était une fervente chrétienne qui le fit inscrire, encore enfant, parmi les catéchumènes et qui l’emmenait régulièrement à l’église pour l’instruire des mystères de la foi. Le baptême ayant cependant été différé, comme c’était alors l’usage, l’enfant se montrait turbulent et rebelle aux remontrances de sa mère, et il s’éloigna de la foi. Doté d’une brillante intelligence, il acquit rapidement une grande aisance dans la langue latine, mais restait récalcitrant à l’étude du grec, ce qui restera une lacune dans sa pensée théologique. À dix-sept ans, il fut envoyé à Carthage, la métropole de l’Afrique, pour y suivre les cours de rhétorique. Les tentations de la cité et les mauvaises fréquentations le firent alors tomber dans une vie de débauche et il se lia avec une femme chrétienne qui lui donna un fils, Adéodat (372). Grâce à la lecture de Cicéron, il se détourna des vaines études de droit et de rhétorique pour rechercher la Vérité et la sagesse; mais, déçu par l’apparente sécheresse de la Bible, il montra plutôt de la sympathie pour la doctrine des manichéens, qui lui paraissait concilier le Christ avec son désir d’acquérir la sagesse par le moyen du seul raisonnement. Il devait rester neuf années prisonnier dans les filets de cette hérésie, pourtant si grossière. Après un bref séjour à Thagaste, comme professeur de grammaire, il repartit pour Carthage, afin d’y ouvrir une école de rhétorique. La mauvaise conduite de ses étudiants le dégoûta cependant bien vite de cette profession, et ayant perdu ses illusions sur le manichéisme à la suite d’une discussion avec un de leurs évêques, Faustus, l’esprit inquiet et avide de la vraie connaissance, il s’embarqua pour Rome, où il ouvrit une autre école, laquelle n’eut guère plus de succès. Guéri d’une grave maladie, et ayant obtenu un poste de rhéteur rémunéré à Milan, il alla s’y installer en nourrissant encore le rêve d’une brillante carrière dans l’administration (384).

Il y fut présenté à l’évêque, saint Ambroise (cf. 7 déc.), qui le conquit par sa douceur et son aménité, – et surtout, par sa brillante éloquence et les interprétations spirituelles de l’Écriture sainte, qui ouvrirent son cœur à la profondeur de la parole de Dieu. Monique, qui l’avait rejoint, le convainquit d’abandonner sa concubine et tenta vainement de lui faire contracter un mariage avantageux. La philosophie ainsi que les plaisirs mondains avaient procuré à Augustin un tel désappointement, qu’avec douleur et angoisse, il cherchait quelle pouvait être la source du vrai bonheur. La lecture des philosophes néoplatoniciens lui fit abandonner définitivement le manichéisme et lui permit d’entreprendre la recherche intérieure d’une vie spirituelle. À la différence toutefois de ces philosophes, cette intériorisation n’était pas pour lui vaine recherche spéculative, mais elle prenait la forme d’une quête ardente du Dieu incarné, qu’il admettait intellectuellement, mais que son cœur ne sentait pas encore. C’est alors qu’il entendit parler de la Vie de saint Antoine le Grand, écrite par saint Athanase pendant son exil en Occident, et qui était l’occasion de conversions retentissantes parmi des gens de la noblesse. Peu après, alors qu’il se trouvait dans le jardin de son ami Alypius, pleurant à l’écart sur sa vie, il entendit une voix enfantine chanter : « Prends et lis ! » Il ouvrit un volume des Épîtres de saint Paul qui se trouvait là et s’arrêta sur ce passage : « Revêtez le Seigneur Jésus-Christ et ne vous faites pas pourvoyeurs de la chair dans ses convoitises » (Rom. 13, 13). Les ténèbres du doute s’évanouirent aussitôt et une douce lumière baigna son cœur de joie. À cet instant il était devenu un autre homme, qui ne vivra plus désormais que pour Jésus-Christ et son Église. Lorsqu’il fit part à sa mère de cette révélation, celle-ci exulta de joie. Après avoir abandonné pour toujours sa profession de « marchand de paroles », il passa quelques mois de retraite, dans une propriété de campagne, avec sa mère, des parents et quelques amis, pour se remettre d’une maladie qu’avait aggravée l’émotion de sa conversion. Dans cette ébauche de monastère, où il souhaitait mener une vie semblable à celle de la communauté apostolique de Jérusalem, Augustin associait la prière, la méditation de l’Écriture et les discussions philosophiques. De retour à Milan, il mena une vie austère et retirée avant d’être baptisé par saint Ambroise, le 24 avril 387, en compagnie d’Alypius et de son fils Adéodat.

Il se rendit ensuite à Ostie, avec sainte Monique, dans le but de rentrer en Afrique pour y mener la vie monastique. Un soir, alors qu’ils s’entretenaient appuyés contre une fenêtre, soudain emportés par l’élan de leur pieuse conversation et, aspirant de tout leur cœur aux eaux de la Source céleste, ils se trouvèrent enlevés dans une sorte d’extase, au-dessus des créatures visibles et invisibles, pour entrer en communion avec l’éternelle Sagesse, instant de contemplation qui leur sembla être une invitation à goûter dès ici-bas à la vie éternelle, conformément à la parole évangélique : « Entrez dans la joie de votre Seigneur » [S. Augustin fait tout le récit de sa conversion dans ses Confessions, un des chefs-d’œuvre de la littérature universelle]. Sainte Monique mourut peu après, et Augustin, reportant son projet, resta encore quelque temps en Italie pour y rédiger des ouvrages polémiques contre les manichéens. En septembre 388, il regagna Thagaste, avec Alypius et Adéodat, qui fut bientôt emporté par la mort. Augustin vendit tous ses biens pour en distribuer le produit aux pauvres, et se consacra, pendant trois années, à l’organisation d’un monastère en compagnie de ses amis et disciples. Au jeûne et à la prière, il joignait la méditation de la Loi de Dieu, jour et nuit; et ce que le Seigneur lui faisait comprendre, il le communiquait, par des conversations, à ceux qui étaient présents et aux absents par des lettres.

Comme il s’était rendu un jour dans la petite ville d’Hippone, à la requête d’un fonctionnaire impérial qui désirait l’entendre pour décider de sa conversion, Augustin parut avec le vieil évêque Valerius en présence du peuple. Alors que le prélat faisait part de son désir de pourvoir à l’ordination d’un prêtre pour le seconder dans la prédication en latin, car il était de langue grecque, les fidèles s’emparèrent soudain d’Augustin, en le saluant par un tonnerre d’ovations, et c’est avec bien des larmes devant le danger que représente le ministère pastoral, qu’il accepta de « quitter quitter Dieu pour Dieu », c’est-à-dire de renoncer à la douce retraite du monastère pour servir le Corps du Christ. Il obtint cependant un délai de quelques mois pour se préparer à son ministère par la méditation de l’Écriture et, après son ordination, l’évêque lui concéda un terrain situé près de l’église, pour y fonder un nouveau monastère, le « Monastère du Jardin », d’où furent issus une dizaine d’évêques. Vers la fin de l’an 395, il reçut la consécration épiscopale et succéda peu après à Valerius sur le siège d’Hippone. Placé sur la chaire de ce petit évêché, mais éclairant toute l’Église d’Afrique, et jusqu’aux extrémités du monde latin, par son enseignement, saint Augustin fut pendant trente-cinq ans le modèle du bon Pasteur, donnant sa vie pour ses brebis et s’estimant le serviteur des serviteurs de Dieu. Inlassablement, il prêchait presque chaque jour (environ huit cents de ses sermons sont conservés), abordant tous les sujets avec une vivacité et un art incomparables, et cherchant à communiquer à ses auditeurs son amour de Dieu et des biens célestes. Pendant la journée, il tranchait les différents, veillait à l’administration de l’Église, prenait soin des pauvres – sans hésiter à faire fondre des vases sacrés lorsque l’or venait à manquer –, et pendant la nuit, il redevenait moine, tout entier consacré à l’amour de l’Époux. Il vivait dans son évêché en communauté avec ses clercs, pour lesquels il rédigea une Règle monastique [Qui est à l’origine de l’institution occidentale des chanoines] , adaptée à leur condition mais exigeant l’observation stricte de la pauvreté et des commandements évangéliques. Son amour brûlant de l’unité de l’Église ne le laissait indifférent à aucune des affaires qui agitaient la chrétienté. Il participait aux conciles et sillonnait l’Afrique romaine, alors cruellement divisée, mettant tout son art et son habileté au service de la Vérité. Il écrivit une centaine d’ouvrages, dont la plupart sont consacrés à la lutte contre les schismatiques, les hérétiques et les païens. Ayant d’abord brillamment réfuté les manichéens, il dirigea ensuite son combat contre les schismatiques novatiens, qui prétendaient subordonner la validité des sacrements à la vertu du ministre, et qui depuis bientôt un siècle avaient semé une funeste zizanie dans l’Église d’Afrique en y installant une hiérarchie parallèle. Comme tous les efforts et les arguments du saint évêque pour les ramener dans le sein de l’Église, se heurtaient à leur haine obstinée, c’est à contrecœur qu’il se résolut à faire appel au pouvoir séculier, mais sans jamais justifier les actes de violence.

Comme nombreux étaient ceux qui attribuaient aux chrétiens la responsabilité de la chute de Rome (410), Augustin rédigea un grand ouvrage, la Cité de Dieu, vaste réflexion sur l’histoire humaine, dans lequel il montre que l’Église, passant au travers de ses vicissitudes, est en marche vers le Royaume éternel. Ce fut ensuite contre l’hérésie pélagienne qu’il eut à combattre, hérésie qui diminuait le rôle de la grâce divine et considérait que l’homme, par ses propres forces, peut parvenir à ne plus pécher; elle reniait en outre la transmission du péché originel et proclamait inutile le baptême des enfants. Augustin s’efforça de renverser cette doctrine pour défendre la foi de l’Église; mais, entraîné par les nécessités de la controverse et par son esprit avide d’éclaircissements rationnels, il établit, entre la nature et la Grâce, une opposition trop stricte qui aura de funestes conséquences, par la suite, en Occident. [Cette controverse n’eut guère d’échos en Orient, car les Pères grecs, qui ignoraient en grande partie Augustin, concevaient ce rapport entre la nature et la Grâce comme une « coopération » (synergie). Le désir d’Augustin de trop sonder le mystère de la prescience divine le conduisit à une conception exagérée de la prédestination — qui gardait chez lui un sens orthodoxe, tant qu’elle restait comprise comme la conséquence des actes libres, prévus de toute éternité par le Créateur, mais non déterminés par Lui. Sa doctrine fut cependant la source des différentes hérésies occidentales sur la prédestination, comme le calvinisme.]

Il réussit à faire condamner les pélagiens par les conciles de Carthage (411) et de Rome (417), mais l’hérésie persista. Lorsque les Vandales, venus d’Espagne, commencèrent à envahir l’Afrique chrétienne, ravageant tout sur leur passage, le saint évêque se dépensa sans compter pour sauver ce qui pouvait encore l’être. Après quarante ans d’épiscopat et de labeurs apostoliques, il voyait avec douleur l’idolâtrie renaître au sein des ruines ensanglantées et l’hérésie arienne imposée par les conquérants. Hippone se trouvait assiégée depuis trois mois, quand il fut pris de fièvre violente. Il avait fait placarder sur les murs de sa chambre les psaumes de pénitence, et c’est avec la ferveur d’un converti de fraîche date qu’il remit son âme valeureuse au Seigneur, le 28 août 427. Si la doctrine de saint Augustin donna lieu à des déviations dans l’Occident médiéval, on ne peut toutefois lui reprocher d’avoir été un hérétique, car il soumit toujours humblement ses réflexions au jugement de l’Église et, terminant son De Trinitate, il écrivait : « Seigneur, Dieu Un, Dieu Trinité, tout ce que j’ai écrit dans ces livres vient de Toi, et s’il y a quoique ce soit qui vienne de moi, puisséje être pardonné par Toi et par ceux qui sont Tiens ».