”Notre saint Père théophore Irénée, qui reçut providentiellement le nom de la paix (eirhnh) pour se faire messager de l’Esprit Saint, naquit en Asie Mineure vers 140. Dans sa prime jeunesse, il avait suivi à Smyrne l’enseignement du vieil évêque saint Polycarpe (cf. 23 fév.), qui rapportait la tradition reçue de l’Apôtre saint Jean. C’est ainsi qu’il apprit à s’en tenir fidèlement à la tradition apostolique, transmise dans l’Église. « C’est dans l’Église, enseignait-il, que Dieu a placé les Apôtres, les prophètes et les docteurs, et tout le reste de l’opération du Saint-Esprit. De cet Esprit s’excluent donc tous ceux qui, refusant d’accourir à l’Église, se privent eux-mêmes de la vie par leurs doctrines fausses et leurs actions dépravées. Car là où est l’Église, là est aussi l’Esprit de Dieu ; et là où est l’Esprit de Dieu, là est l’Église et toute la grâce. Et l’Esprit, c’est la Vérité » [Contre les Hérésies III, 24].

Après avoir séjourné à Rome, il devint prêtre de l’Église de Lyon en Gaule, à l’époque de la persécution de Marc Aurèle (vers 177). C’est en tant que presbytre [Ce terme recouvrait alors la fonction de prêtre et celle d’évêque, c’est pourquoi certains supposent qu’il était alors déjà évêque de Vienne, et qu’il reçut ensuite la charge de l’Église de Lyon] de cette Église qu’il fut chargé de porter au Pape Éleuthère à Rome, la lettre admirable que les saints martyrs de Lyon adressaient aux chrétiens d’Asie et de Phrygie, décrivant leurs glorieux combats pour réfuter la secte hérétique de Montan [Cf. mémoire de SS. Sanctus, Blandine et de leurs compagnons, au 25 juil. Cette lettre a été transmise par Eusèbe de Césarée, Hist. ecclés. V, lsv., qui est aussi notre source principale pour la vie de S. Irénée. On a émis l’hypothèse que notre saint aurait été l’auteur de ce document]. C’est en effet par la force de l’Esprit Saint que les martyrs pouvaient triompher de la faiblesse de la chair et mépriser la mort. Le martyre est en effet le témoignage éminent de la vérité, le signe de la victoire de l’Esprit sur la chair et le gage de notre espérance en la résurrection. De retour à Lyon, Irénée succéda à saint Pothin qui venait d’être martyrisé (cf. 2 juin), à la tête des Églises de Lyon et de Vienne.

Évêque, ayant reçu de la tradition apostolique le « sûr charisme de vérité » pour proclamer et interpréter l’Évangile, il consacra désormais sa vie à témoigner, à l’imitation des martyrs, de cette vérité. « Il faut aimer avec un zèle extrême ce qui est de l’Église et saisir fortement la tradition de la vérité », enseignait-il [Contre Hér. III, 14, 4]. Il usa d’une énergie inlassable pour convertir les populations barbares à la foi, mais sa sollicitude s’étendait aussi à toute l’Église. C’est ainsi qu’il écrivit au Pape Victor (189-198), au nom des évêques de Gaule dont il était le primat, pour le dissuader de rompre la communion avec les Églises d’Asie, qui célébraient la fête de Pâques le 14e jour du mois de Nisan. Puisque cette coutume ancienne a été transmise par nos devanciers, qui n’en gardaient pas moins la paix les uns envers les autres, rien n’oblige d’imposer l’uniformité, soutenait-il, car : « La différence du jeûne confirme l’accord de la foi » [Citée dans Eusèbe, idem, V, 24, 13].

Ce fut surtout dans le combat contre les hérésies qu’il s’illustra, notamment contre la « gnose au-nom-menteur » [Son ouvrage principal, qui n’a été conservé intégralement qu’en traductions latine et arménienne, s’intitule : Mise en lumière et réfutation de la gnose au-nom-menteur. Il est plus connu sous le titre : Contre les Hérésies (SC 152-153, 210-21, 263-264, 293-294)] qui, d’Asie Mineure, s’était répandue dans toutes les grandes villes de l’Empire et séduisait beaucoup de gens par ses doctrines ésotériques. La lutte contre les gnostiques permit au saint évêque de brosser un tableau magistral de la doctrine chrétienne. Il montra d’abord que cette « Gnose », que recherchaient vainement les hérétiques dans les affabulations mythiques et les constructions compliquées de leur intelligence pervertie, est le don suréminent de la charité, que le Saint-Esprit accorde au chrétien dans l’organisme vivant de l’Église. Ce n’est qu’en elle que l’on peut s’abreuver à l’eau limpide qui coule du côté percé du Christ, pour y recevoir la vie éternelle. Toutes les autres doctrines ne sont que des « citernes crevassées » (cf. Jér. 2, 13).

Et les vrais « gnostiques » ne sont pas ceux qui rejettent et méprisent le corps pour adorer un Dieu inconnaissable et son démiurge, mais les hommes « spirituels » qui ont reçu du Saint-Esprit les arrhes de la résurrection de la chair et de l’incorruptibilité. Rompant avec la dualité hellénique du corps et de l’âme, saint Irénée développe la doctrine de saint Jean du « Verbe fait chair », pour interpréter le sens de la vocation de l’homme. Le premier Adam a été modelé du limon par les deux Mains de Dieu : le Verbe et l’Esprit, comme image de Dieu, conformément au modèle de la chair glorieuse du Christ ; et un souffle de vie lui a été donné pour que, de l’image, il progresse vers la ressemblance de Dieu. Ayant été trompé par le diable jaloux de ses prérogatives et étant tombé dans la mort, il n’a cependant pas été abandonné par Dieu, qui avait de toute éternité pour dessein de le rendre participant de sa gloire. Les révélations et prophéties de l’Ancien Testament, et surtout l’Incarnation du Verbe, sa mort, sa Résurrection et son Ascension glorieuse, constituent les étapes nécessaires de cette « Économie » de l’Histoire du Salut. Ayant toujours en vue cette fin ultime pour laquelle il avait créé l’Homme, le Verbe s’est fait chair, « récapitulant » en lui- même le premier Adam. De même que le premier homme, né d’une terre vierge, par la désobéissance de la vierge Ève, était tombé dans le péché par le moyen du bois, le Christ est venu au monde par l’obéissance de la Vierge Marie et a été suspendu sur le bois de la Croix [Cette doctrine de la « récapitulation » (cf. Éph. I, 10), fondamentale chez S. Irénée, se trouve exposée surtout dans : Contre les Hérésies III, 22]. « Il a donné son âme pour notre âme et sa chair pour notre chair, et il a répandu l’Esprit du Père pour opérer l’ union et la communion de Dieu et des hommes, faisant descendre Dieu dans les hommes par l’Esprit et monter l’homme jusqu’à Dieu par son incarnation » [Idem V, 1, 1].

Le Verbe de Dieu qui avait créé le monde en l’ordonnant de manière invisible en forme de croix, s’est rendu visible, au temps fixé, sur la Croix, afin de rassembler dans son Corps tous les êtres qui étaient dispersés et les amener à la connaissance de Dieu [Idem IV, 18 et Démonstration de la Prédication apostolique 33]. Apparaissant, non dans sa gloire ineffable, mais comme homme, Il a montré en lui- même l’image de Dieu restaurée et de nouveau orientée vers la ressemblance. Et Il nous a nourris « à la mamelle de Sa chair », afin qu’habitués à manger et boire le Verbe de Dieu, et fortifiés par le « pain de l’immortalité », nous approchions de la vision de Dieu qui procure l’incorruptibilité [Idem IV, 38, 3]. « Il est impossible de vivre sans la Vie, et il n’ y a de vie que par la participation à Dieu, et cette participation à Dieu consiste à voir Dieu et à jouir de sa douceur… Car la gloire de Dieu c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme c’est la vision de Dieu » [Idem IV, 20, 5-7].

Pour Irénée, disciple de ceux qui avaient connu les Apôtres, la connaissance est donc amour et divinisation de l’homme dans la Personne du Christ Sauveur. Bien plus qu’une simple réfutation de la « fausse gnose », sa doctrine, admirable de simplicité et de profondeur, contient en germe tout ce que les Pères postérieurs développeront dans leurs écrits inspirés. [Bien que la plupart de ses écrits n’aient point été conservés en grec, certaines des idées majeures de S. Irénée se retrouvent chez SS. Grégoire le Théologien, Grégoire de Nysse, Maxime le Confesseur, Jean Damascène, etc. On peut donc à juste titre le considérer comme un des théologiens les plus importants de la période précédant le Concile de Nicée.]

Après son intervention pacifique auprès du Pape Victor, Irénée continua d’œuvrer à la confirmation de l’Église. On rapporte qu’il mourut martyr lors de la persécution de Septime Sévère, vers 202, mais aucun détail sur les circonstances de sa mort n’a été conservé. Son corps fut déposé dans la crypte de l’église Saint-Jean, qui prit ensuite son nom, entre les tombeaux des saints martyrs Épipode et Alexandre. [Ces reliques furent dispersées par les protestants en 1562.]