”Saint Ouen (Audoenus), d’abord appelé Dadon, était le fils de riches aristocrates francs, qui l’élevèrent dans la piété. Comme ses parents avaient coutume d’offrir une large hospitalité aux clercs et pèlerins, ils reçurent un jour saint Colomban et quelques disciples qui, chassés de Luxeuil par la reine Brunehaut d’Austrasie, s’étaient réfugiés dans le royaume rival de Neustrie (cf. 21/23 nov.). Béni par le saint moine, l’enfant grava dans son cœur la forte impression qui l’avait marqué lors de cette brève rencontre. Après des études au sein de sa famille, il fut envoyé à la cour du roi Clotaire pour faire l’apprentissage des responsabilités administratives et militaires. Il s’y lia avec un groupe de jeunes nobles, qui devinrent des saints évêques : saint Didier, futur évêque de Cahors († 655, mémoire 15 nov.) ; Paul, évêque de Verdun († 8 fév. 648) ; saint Faron, évêque de Meaux († 28 oct. 670) ; saint Sulpice, évêque de Bourges († 17 janv. 647) ; et de futurs fondateurs de monastère, tels saint Wandrille († 22 juil. 668) et saint Cyran († vers 655, mémoire le 4 déc.). Mais ce fut surtout avec saint Éloi (cf. let déc.), alors argentier au service du roi, qu’il entretint une amitié spirituelle profonde et durable.

Il passa une dizaine d’années dans la chancellerie royale, s’initiant à tous les rouages de l’administration du royaume et assistant aux fêtes de la cour. Après la mort de Clotaire II (629), son fils et successeur, Dagobert Ier, éleva Dadon à la dignité de référendaire, c’est-à-dire chef de la chancellerie. Mais celui-ci restait avide de s’approcher de Dieu par une vie d’ascèse et de prière, et sous les vêtements fastueux et rehaussés de pierreries, il portait un rude cilice et partageait les élans de son cœur avec saint Wandrille, qui avait été ramené de force à la cour après avoir tenté de se retirer dans un ermitage. Ayant appris que ses deux frères, Adon et Radon, étaient devenus moines, Dadon fonda, avec le concours de ses parents, un monastère à Rebais, dans la forêt de Brie, qu’un édit royal protégea contre les exactions des fonctionnaires, et auprès duquel il fit construire un hospice pour les pauvres et les malades. Il fit appel à des moines de Luxeuil, dirigés par saint Aile, pour le peupler et y inspirer l’esprit de saint Colomban.

Malgré ses obligations, saint Dadon progressait dans la vertu et sa réputation de sainteté se répandit
au loin, de sorte que lorsque le prince breton Judicaël vint en visite à la cour de Dagobert, il préféra partager un modeste repas en compagnie de Dadon, plutôt que d’assister au festin offert par le roi. Après la mort de Dagobert (639), alors que son ami saint Éloi était élu évêque de Noyon, le pieux ministre fut choisi avec acclamations par le peuple de Rouen pour devenir évêque de cette ville. Devant passer, conformément aux saints Canons, au moins une année dans les ordres mineurs, le saint se retira auprès de l’évêque de Mâcon, qui l’ordonna prêtre, et il passa une année à étudier les œuvres des saints Pères, notamment les sermons de saint Césaire d’Arles, et à s’initier à la prédication au cours d’une mission qui le conduisit jusqu’en Espagne. Le saint délivra par sa prière ce pays d’une terrible sécheresse qui l’affligeait depuis sept ans et, grâce à ce miracle, il put ramener la population à l’observance des commandements de Dieu.

Sacré évêque de Rouen, en même temps que saint Éloi l’était à Noyon, il consacra dès lors tous ses soins à confirmer la foi dans son grand diocèse. Visitant villes et villages jusqu’au moindre hameau, il prêchait inlassablement la vraie foi, baptisait les populations restées païennes, luttait contre les superstitions, assistait les pauvres et les malades, et se faisait tout pour tous. Le temps libre qui lui restait, il le consacrait à la prière et à la contemplation des réalités célestes. Malgré ses obligations pastorales, il continuait à vivre en moine et il encouragea les fondations monastiques, en particulier celle de saint Germer à Flay dans le pays de Bray († 660, mémoire le 24 sept.), et celles de ses amis : saint Wandrille à Fontenelle, et saint Philibert à Jumièges (cf. 20 août), dont il consacra lui-même les églises. Réglant avec leurs fondateurs la vie de ces institutions, le saint évêque contribua activement à la fusion de la tradition irlandaise, transmise par les monastères de saint Colomban, avec la Règle de saint Benoît et les traditions des saints Pères d’Orient.

En tant qu’évêque métropolitain, il avait sous sa dépendance les diocèses de Bayeux, Avranches, Évreux, Sées, Lisieux et Coutances, dont il réunissait régulièrement les évêques en des synodes locaux. Il participa aussi à des conciles généraux de l’Église franque, en particulier le concile de Chalon-sur-Saône (644 ou 656), où tous les évêques du royaume prirent des décisions contre la corruption du clergé et pour le redressement des mœurs des fidèles. C’est au cours de ce concile que fut aussi officiellement institué l’usage de la pénitence privée renouvelable. [Dans l’Église ancienne, la pénitence publique, accordée pour l’expiation de péchés graves, n’était pas réitérable. C’est en s’inspirant de la pratique des monastères colombaniens que le concile de Châlon prescrivit aux prêtres d’imposer une pénitence (épitimie) après chaque confession.]

Outre son activité ecclésiastique, saint Ouen continua d’exercer son influence à la cour, et il était le conseiller très écouté de la reine sainte Bathilde (cf. 30 janv.), régente du royaume de Neustrie après la mort de son fils Clovis II (657). À la majorité de Clotaire III, le maire du palais Ébroïn contraignit sainte Bathilde à entrer au monastère de Chelles ; saint Ouen se retira alors des affaires politiques et entreprit, malgré son grand âge (75 ans), un pèlerinage à Rome, sur le tombeau des Apôtres. À son retour, il fut accueilli par son peuple en liesse ; mais il retrouvait le royaume fort troublé. Clotaire III étant mort, Ébroïn avait fait monter sur le trône Thierry — le troisième fils de Clovis II — sans prendre l’avis des nobles. Ceux-ci reléguèrent Thierry dans l’abbaye de Saint- Denis et appelèrent sur le trône Childéric II, roi d’Austrasie, restaurant ainsi l’unité du royaume mérovingien. Ce roi gouverna d’abord avec sagesse, grâce à l’assistance de saint Léger, mais il prit ensuite une attitude tyrannique et mourut assassiné. Pendant la lutte qui opposa le cruel Ébroïn à saint Léger [Cf. notice de S. Léger, 2 oct.], saint Ouen se tint à l’écart ; mais en dépit de cette réserve, le maire du palais réussit à semer la discorde dans le clergé du diocèse de Rouen. Comme on avait rapporté à saint Ouen des calomnies contre saint Philibert (cf. 20 août), il le fit déposer et mettre en prison. Ce ne fut qu’après la mort d’Ébroïn que, la vérité ayant été enfin révélée, saint Philibert put être relâché ; et les deux saints tombèrent alors dans les bras l’un de l’autre, en se demandant mutuellement pardon.

Malgré ses quatre-vingts ans, saint Ouen intervint encore pour rétablir la paix entre les royaumes de Neustrie et d’Austrasie, et se rendit en personne auprès de Pépin d’Héristal à Cologne, pour le réconcilier avec Waraton, maire du palais de Neustrie. Cette paix fut cependant de courte durée et, deux ans après, Pépin s’emparait du royaume de Neustrie. Le saint, qui avait rendu la parole à un muet à Cologne et avait délivré une femme possédée sur le chemin du retour, arriva épuisé au château de Clichy, près de Paris, pour rendre compte au roi de sa mission, et c’est là qu’il remit son âme à Dieu (686). Son corps fut transféré à Rouen, escorté par le peuple et les grands du royaume, et il y accomplit de nombreux miracles, jusqu’à sa destruction par les Calvinistes en 1562.