”L’empereur Maximien ayant publié un décret ordonnant à tous ses sujets d’offrir des sacrifices aux dieux à l’occasion de son anniversaire, des messagers allèrent le transmettre dans toutes les provinces. Quand cette nouvelle parvint à Édesse en Macédoine, Pamphile, le proconsul d’Hellade, et Vincentinus, proconsul et vicaire de Macédoine et de Thessalie, se trouvaient dans cette ville pour s’y entretenir des limites de leurs juridictions respectives. Ils ordonnèrent de mettre aussitôt l’édit à exécution et d’offrir le jour même un sacrifice public à Zeus, le lendemain au soleil et les autres jours à Hermès, Asclépios et à tous les autres dieux. De nombreux chrétiens, pris de peur, se soumirent, mais ceux qui étaient fermement enracinés dans la foi résistèrent héroïquement. Parmi eux se trouvaient sainte Bassa et ses fils. Noble chrétienne de rang sénatorial, qui avait reçu la foi de ses parents, elle était mariée à un certain Valérien, prêtre des idoles et un des notables les plus en vue de la cité, qui fut le premier à offrir son sacrifice et ses libations aux idoles.

Bassa prit alors à part ses trois fils : Théognios, Agapios et Pistos, et leur dit que si leur père s’était livré au pouvoir des démons, il ne convenait pas qu’ils l’imitent, même si celui-ci faisait usage de toute son autorité paternelle. « Souvenez-vous de mes douleurs lors de votre enfantement et, par crainte du châtiment, courez vers le Christ qui vous tend les bras, car en méprisant les choses éphémères, vous obtiendrez les biens éternels et incorruptibles. » Ses paroles eurent un tel effet que, quand Valérien proposa à ses fils de sacrifier, les jeunes garçons refusèrent d’une seule voix. Implacable et cruel, il les livra alors au tribunal, où siégeaient Pamphile et Vincentinus. Aux propositions des magistrats, ils répondirent que s’ils se soumettaient de bon gré aux lois de l’Empire en ce qui concernait leurs biens et la vie publique, ils souhaitaient cependant suivre l’exemple de la piété de leur mère et de leurs ancêtres, en observant les commandements du Christ. « Nous sommes prêts à livrer nos corps aux tourments pour garder notre âme pure et confiante devant Dieu au jour du Jugement » déclarèrent- ils. Saisis de colère les magistrats livrèrent Théognios, le plus âgé, à la torture, et lui firent lacérer la chair en présence de sa mère et de ses frères. Au milieu des tourments, le saint se moquait de l’impuissance des païens et déclarait que grâce à eux il obtiendrait une plus brillante victoire. Alors que la chair rougie laissait apparaître ses os, sa mère l’encourageait en lui assurant que, revêtu de la panoplie que procure le Christ, il n’avait rien à craindre. Affermi par ces paroles, l’athlète du Christ se montra inflexible et remporta la couronne du martyre.

On fit ensuite comparaître le second des frères. Comme l’assesseur lui demandait son nom, il répondit : « Ma mère, cette vraie servante de Dieu, m’a appelé Agapios, et je m’efforcerai de me montrer digne de ce nom en restant fidèle à la charité (agaph) du Christ» . Livré à la flagellation, le saint se moquait aussi bien des tortures que des vaines promesses de richesses et d’avantages matériels faites par les païens. « Je veux marcher sur les traces de mon frère. Puisque j’ai contemplé son endurance dans les tourments, je compte maintenant pour rien mon corps chétif, afin de manifester le lot éternel réservé à mon âme auprès de Dieu. » Il parlait encore, quand les tyrans lui firent arracher la peau, depuis la tête jusqu’à la poitrine. Il s’écria alors : « Rien n’est si doux que de souffrir pour le Christ! » et il rendit l’âme.
Vint le tour du plus jeune frère, Pistos, qui confessa lui aussi bravement sa foi (pistiv), en assurant qu’il se montrerait digne de son nom. Aux arguments des juges, il répondit que si son corps d’enfant leur appartenait et qu’ils pouvaient en faire ce qu’ils voulaient, son âme était, elle, mûre et parfaite, rendue inébranlable par la grâce de Dieu. On l’étira de la nuque jusqu’aux pieds, afin de le désarticuler, puis il fut décapité, après avoir adressé à Dieu une dernière prière d’action de grâces. Une voix retentit alors dans le ciel, qui souhaitait la bienvenue aux trois jeunes martyrs.

Leur mère Bassa ayant été renvoyée en prison, des païens vinrent auprès d’elle avec de la nourriture et essayèrent de la convaincre de se soumettre aux ordres impériaux ; mais elle ne leur répondit rien et refusa toutes leurs provisions. Au bout de sept jours, un ange lui apporta une nourriture céleste et la réconforta. Comme le vicaire Vincentinus devait repartir pour la ville où il avait son siège, il emmena Bassa à sa suite. Arrivé à destination, il voulut contraindre la sainte à se joindre au sacrifice qu’il allait offrir, mais ses efforts restèrent sans succès et Bassa lui déclara : « Homme impie et odieux, penses-tu pouvoir me détourner de la voie suivie par mes trois fils, qui leur a permis de remporter les trophées de la victoire? Je suis bien armée contre toi, le Christ m’a donné des armes qui me feront renverser toutes tes manigances. » On la plongea alors dans une cuve pleine d’eau et garnie au fond d’instruments tranchants ; mais, par l’opération d’un ange, l’eau déborda laissant la sainte indemne. Comme la grâce divine l’avait également sauvegardée d’une fournaise ardente et de la lapidation, elle demanda à Vincentinus de lui accorder de rester deux heures dans le temple afin de lui démontrer la vanité des idoles.

Dès qu’elle y entra, en présence de tout le peuple, la sainte se dirigea droit vers l’autel et renversa par sa prière l’idole de Zeus, qui se brisa en mille morceaux en tombant à terre. Furieux, le proconsul fit conduire sans retard Bassa dans l’arène pour y être livrée aux bêtes. Un tigre qu’on avait lâché sur elle, vint se prosterner à ses pieds, et quand les gardiens voulurent renvoyer le fauve dans sa cage, il retrouva toute sa férocité et les mit à mort. L’animal ne se laissait approcher par personne, et ce ne fut que sur l’ordre de la sainte qu’il rentra docilement dans sa cage. La foule réclamait de relâcher Bassa, mais le magistrat endurci et ne voulant pas reconnaître qu’il avait été vaincu par une femme, ordonna de la noyer en pleine mer, à plus de quarante stades de la côte. Comme le bateau approchait du lieu prévu, les hommes chargés de l’exécution virent la sainte resplendissante de gloire. Ils tombèrent face contre le sol, et quand ils se relevèrent, Bassa, ayant retrouvé son apparence habituelle, leur commanda d’accomplir leur tâche. Précipitée dans les flots, elle fut recueillie par trois êtres angéliques, qui la placèrent dans une barque et l’assirent sur un trône royal.

Après une navigation de dix-huit jours, la sainte aborda sur l’île d’Halonè dans l’Hellespont, où elle fut présentée aux autorités qui en référèrent au proconsul de Macédoine. Vincentinus écrivit aussitôt au gouverneur d’Hellespont, Laodicios, à Cyzique, en le pressant de la mettre à mort sans retard pour pratiques magiques. Le gouverneur se rendit en personne à Halonè et fit comparaître Bassa devant lui. Comme elle lui répondait avec assurance, il lui demanda pourquoi elle souhaitait tant mourir. La servante du Christ répondit: « J’ai hâte d’échapper à la mort et d’hériter la vie éternelle ». On lui attacha les mains derrière le dos, et les bourreaux lui rompirent les membres avant de lui procurer enfin la couronne du martyre en la décapitant. Le prêtre Sophrone prit soin de sa sépulture, et par la suite on édifia en son honneur une église, en un lieu élevé, visible de tous côtés par les navigateurs qui avaient sainte Bassa pour protectrice. [Elle y était vénérée jusqu’à l’expulsion des Grecs, en 1922. Une église, avec un monastère attenant, lui était également dédiée à Chalcédoine, au Ve-VIe s.]