Qu’est-ce que vous imaginez en tête lorsque vous entendez « le successeur de Pierre ». Le plus souvent, la suite associative se compose des termes comme « le pape de Rome ou l’évêque de Rome, l’Eglise de Rome ou la chaire de Rome ». Quoi qu’il en soit, tout objet imaginé est associé à Rome. Mais l’apôtre Pierre n’est pas égale à Rome. Il n’était jamais considéré comme un évêque de Rome ni celui qui a laissé ses successeurs exclusivement à Rome. Pour démontrer cela, regardons où, selon les saints Pères de l’Eglise, l’apôtre Pierre a laissé ses successeurs.

1. Saint Jean Chrysostome a considéré saint Ignace, évêque d’Antioche comme un successeur de l’apôtre Pierre :

« Mais en parlant de Pierre, je vois se former une cinquième couronne, la gloire d’avoir succédé au prince des apôtres. Lorsqu’on ôte une grande pierre des fondements, on a l’intention d’y en substituer une de la même force, de peur d’affaiblir l’édifice et de l’exposer à une ruine totale : de même, lorsque Pierre devait s’éloigner de notre Eglise, la grâce de l’Esprit-Saint lui substitua un maître d’un égal mérite (saint Ignace d’Antioche), pour que l’édifice ne perdît rien de sa solidité par la faiblesse du successeur. » [1]

2. Saint Jean Chrysostome a considéré saint Flavien, évêque d’Antioche comme un successeur de l’apôtre Pierre et comme celui qui a hérité la chaire de Pierre :

« Mais en parlant de Pierre, il me vient en pensée un autre Pierre (l’évêque d’Antioche Flavien), notre père, notre maître commun qui, héritier de sa vertu, a aussi hérité de sa chaire. » [2]

Si saint Jean Chrysostome considère le deuxième évêque d’Antioche Ignace, et le trente neuvième évêque après l’apôtre Pierre, évêque Flavien comme ses successeurs, alors selon le raisonnement par récurrence, on peut supposer tout évêque d’Antioche est un successeur de l’apôtre Pierre.

3. Saint pape Alexandre d’Alexandrie, oui les évêques d’Alexandrie ont été aussi appelés les papes, considère son précurseur saint pape Pierre d’Alexandrie comme un successeur de l’apôtre Pierre. Dans un de ses discours il dit :

« Ô toi, doté de la grâce des guérisons, à l’instar de Pierre, le premier des apôtres, ton homonyme, de qui tu as hérité son pouvoir obtenu de lier et de délier dans les cieux ! » [3]

Ainsi nous avons au moins deux successeurs de l’apôtre Pierre à Antioche, et un à Alexandrie.

 

4. Saint Gaudence de Brescia considère saint Ambroise de Milan comme un successeur de l’apôtre Pierre :

« Car Ambroise [de Milan], qui est présent avec nous et qui est notre père commun… Il parlera du Saint-Esprit Qui le remplit, et de ses entrailles couleront les fleuves d’eau vive ; en tant que successeur de l’apôtre Pierre, il sera la bouche des prêtres qui se tiennent autour. » [4]

 

5. Saint Théodore Studite se voit comme un successeur de l’apôtre Pierre :

« Bien que je sois un pécheur, je suis un gardien du pouvoir de lier et de délier devant le Seigneur qui, en la personne du premier et grand apôtre Pierre m’a dit : ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. (Mat. 16.19) » [5]

 

6. Retournons à Alexandrie. Saint pape de Rome Grégoire le Grand dans sa lettre à saint Euloge pape d’Alexandrie dit qui ce dernier occupe la chaire de l’apôtre Pierre et donc il est son successeur :

« Votre très douce Sainteté m’a beaucoup parlé dans sa lettre de la chaire de saint Pierre, prince des apôtres, disant que cet apôtre y vit encore lui-même dans ses successeurs. Or, je me reconnais indigne non-seulement de l’honneur des chefs, mais d’être compté au nombre des fidèles. Cependant j’ai accueilli volontiers tout ce que vous avez dit, parce que vos paroles touchant la chaire de Pierre venaient de celui qui occupe cette chaire de Pierre. » [6]

 

7. En plus, saint pape Grégoire le Grand considère que non seulement tout évêque d’Alexandrie s’occupe la chaire de Pierre et aussi tout évêque d’Antioche et de Rome. Dans une des lettre au pape Euloge d’Alexandrie, il dit :

« Quoiqu’il y ait de nombreux apôtres, le seul siége du prince des apôtres a prévalu par sa principauté, lequel siége existe en trois lieux ; car c’est lui qui a rendu glorieux le siége dans lequel il a daigné se reposer (quiescere) et finir la vie présente (Rome). C’est lui qui a illustré le siége où il envoya l’évangéliste son disciple (Alexandrie où il a envoyé l’évangéliste Marc). C’est lui qui a affermi le siége dans lequel il s’est assis pendant sept ans, quoiqu’il dût le quitter (Antioche). Donc, puisqu’il n’y a qu’un siége unique du même apôtre, et que trois évêques sont maintenant assis sur ce siége, par l’autorité divine, tout ce que j’entends dire de bien de vous, je me l’impute à moi-même. » [7]

 

8. Saint Jean Chrysostome se considère aussi comme un successeur de l’apôtre Pierre et il dit même que chaque évêque est son successeur :

« Le Seigneur voulait donner à saint Pierre et à nous (aux évêques) cet enseignement, afin que nous ayons nous-mêmes un grand zèle pour ses intérêts. Pourquoi Dieu n’a-t-il pas épargné son Fils unique ? Pourquoi l’a-t-il livré, ce cher et unique objet de sa tendresse ? Pour se réconcilier les hommes devenus ses ennemis, et pour se faire un peuple particulier. Et ce Fils lui-même, pourquoi a-t-il versé jusqu’à la dernière goutte de son sang ? si ce n’est pour racheter les brebis qu’il a remises aux mains de Pierre et de ses successeurs (à nous). » [8]

 

Et pourquoi chaque évêque est le successeur de l’apôtre Pierre explique saint Cyprien de Carthage. Pour lui, tout évêque légitime (à la différence des schismatiques) occupe la chaire de Pierre qui est une notion symbolique pour désigner le corps apostolique et par la suite, le corps épiscopal.

« Il y a le seul Dieu, le seul Christ, la seule Eglise et la seule chaire fondée selon la parole du Seigneur, sur le roc (Mat. 16.18) » [9]

Pourquoi ça s’appelle la chaire de Pierre, parce que l’apôtre Pierre était le symbole ou la figure de l’union apostolique. C’est lui qui confesse la véritable foi de la part de tous les apôtres, c’est lui qui, étant un symbole de l’unité de l’Eglise, entend la promesse d’obtenir les clés du Royaume. En effet, comme Pierre personnifiait l’Eglise, en lui toute l’Eglise reçoit le sacerdoce et les clefs du Royaume, c’est-à-dire le pouvoir de lier et de délier les péchés qui est remis dans les mains des évêques.
Saint Cyprien dit :

« Notre Seigneur, dont nous devons révérer et garder les commandements, réglant ce qui concerne les égards dus à l’évêque, et le plan de son Église, parle dans l’évangile et dit à Pierre : « Je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. Je te donnerai les clefs du royaume des cieux, et ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans le ciel, et que tu auras délié sur la terre sera délié dans le ciel ». (Mat 16,18-19). De là découle, à travers la série des temps et des successions, l‘élection des évêques et l’organisation de l’Église : l’Église repose sur les évêques et toute sa conduite obéit à la direction de ces mêmes chefs. » [10]

La promesse donnée par le Seigneur un jour à l’apôtre Pierre concerne tous les évêques. Dans ce sens, tous les évêques qui occupent dans la même mesure la seule chaire de Pierre, sont les successeurs de l’apôtre.

Ainsi, pour l’Eglise du premier millénaire, les paroles « successeur de l’apôtre Pierre » ne concernait pas exclusivement les évêques de Rome mais aussi les évêques des autres sièges comme d’Antioche ou d’Alexandrie. Dans le sens sacerdotal et dans les promesses données à l’apôtre Pierre du pouvoir lier et délier les péchés (Mat. 16.19), tous les évêques légitimes sur lesquels repose l’Eglise sont ses successeurs. Ce serait donc une sorte d’usurpation de privatiser l’apôtre Pierre et transformer l’apôtre de l’univers en évêque d’une seule ville.


 

 

[1] ÉLOGE DU SAINT HIÉROMARTYR IGNACE THÉOPHORE

[2] 2 EME HOMÉLIE SUR L’INSCRIPTION DES ACTES.

[3] « Le panégyrique à saint Pierre d’Alexandrie »
Traduction russe : 
Source : H. Hyvernat. Les actes des martyrs de l’Égypte tirés des manuscripts coptes de la Bibliothèque Vaticane et du Musée Borgia, t. 1, Paris. 1886, pp. 247–262

 

[4] «Communis pater Ambrosius… Loquetur enim Spiritu sancto, quo plenus est, et flumina de ventre ejus fluent aquae vivae, et tamquam Petri apostoli successor, ipse erit os universorum circumstantium sacerdotum. Nam cum Dominus Jesus interrogaret apostolos: Vos autem quem me esse dicitis (Matth. XVI)? solus Petrus omnium credentium ore respondit: Tu es Christus Filius Dei vivi. Quid statim muneris accepit ista confessio? beatitudinem scilicet, regnique coelestis gloriosissimam potestatem. Solus ergo cum loquitur Petrus, nequaquam reliquorum credentium fides excluditur. Sed congruus ordo servatur, dum principi Apostolorum primus loquendi locus jure defertur; ne tumultus quidam magis quam responsio videretur, si tunc universi certatim ac pariter respondissent. Dicat forte aliquis, sicut illos tres in camino fideles pueros (Dan. III), ita in hoc examine omnes Apostolos consona voce debuisse eadem profiteri. Sed considerandum quia Judas ille Iscariotes quod corde non crediderat, ore confiteri non poterat: et neque beatitudinem merebatur incredulus, neque ante diri facinoris perpetrationem, justi Judicis poterat sententia praedamnari. Postea vero pro commisso scelere jam damnato Juda, omnes Apostoli Christo surgente, in Petro claves accipiunt; quinimmo cum Petro coelestis regni claves ab ipso Domino accipiunt, quando ait illis: Accipite Spiritum sanctum: quorum peccata dimiseritis, dimissa erunt (Joan. XX, 22). Et iterum: Euntes, inquit, docete omnes gentes, et baptizate eas in nomine Patris, et Filii, et Spiritus sancti (Matth. XXVIII). Janua quippe regni coelorum nonnisi hac Sacramentorum spiritualium clave reseratur.»

(La parole prononcée en présence de saint Ambroise; PL ΧΧ, 957-959)

 

[5] Parole 62. Traduction russe : 

[6] Livre VII, 40
Source anglaise : 
Source française : 

 

[7] Livre VII, 39

 

[8] TRAITÉ SUR LE SACERDOCE
LIVRE DEUXIÈME

[9] Epitre 39
To the People, Concerning Five Schismatic Presbyters of the Faction of Felicissimus.
Source anglaise :

[10] Epitre 33


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